<h2 style="text-align: justify; margin-bottom: 11px;"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Écosystème Amazon, la fusion espérée du commentaire et du <i>react</i> :<i> </i>du <i>live-streaming</i> au <i>live-screaming</i></span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Amazon, membre des GAFAM le plus critiqué pour sa volonté de créer un monopole dans tous les champs économiques possibles, repose sur un système non pas de la discussion ou de la participation, mais celui du commentaire. Il faut ici comprendre notre expression « écosystème du commentaire » comme la volonté d’Amazon de placer les commentaires des internautes au centre de l’expérience utilisateur. En effet, que ce soit sur le <i>Marketplace</i> (boutique d’achats de produits en ligne), sur Twitch (commentaires en direct), tout contenu, tout achat, est susceptible de recevoir une note (sous forme d’étoiles) et un commentaire. A cet écosystème propre à Amazon en tant qu’entreprise s’ajoute la culture de la vidéo de réaction. Celle-ci n’est pas spécifique à Twitch : elle est déjà présente sur YouTube (<i>cf</i>. Warren-Crow, 2016). L’activité consiste à se saisir d’un matériau de base, le plus souvent une vidéo, et à réagir au dit contenu. L’intérêt est multiple, car tout est susceptible de faire l’objet d’une <i>reaction video</i>. Le principe du décalage entre l’observateur et le contenu peut être un ressort particulièrement recherché dans certaines productions, c’est notamment le cas de la chaîne YouTube « REACT<i> »</i> (20 millions d’abonnés). Sur Twitch, le <i>react</i> est au cœur de la création de contenu. A l’origine, la plateforme a été créée pour pouvoir observer des streamers jouer à des jeux vidéo en direct. Ce qui est recherché par le spectateur est donc autant la performance du joueur, son évolution dans le jeu, que sa réaction aux différents aspects de celui-ci. Le <i>react</i> s’est ensuite étendu à tous les contenus susceptibles d’être montrés sur Twitch (vidéos YouTube, archives de l’INA). L’option de partage d’écran permet virtuellement de montrer tout ce qu’il est possible de montrer sur un écran (article de journal, blog, stream d’un autre streamer, <i>etc</i>.). Twitch mutualise deux de ses services en proposant aux abonnés Amazon Prime (plateforme de vidéo à la demande) de regarder un streamer réagir à un film, issu du catalogue Amazon. Cette « Watchparty » n’est accessible qu’aux abonnés Prime, en direct comme en replay, ce qui exclut de fait tous les autres internautes. Cette option est particulièrement saillante car elle montre les limites de l’écosystème Amazon du commentaire : cela reste un écosystème enclos sur lui-même. </span></span></span></span></span></p>
<h2 style="text-align: justify; margin-bottom: 11px;"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Emote et émotion sur Twitch</span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">De très nombreuses publications récentes considèrent Twitch sous le prisme de l’émotion partageable. Plus que les autres plateformes, Twitch permet une analyse fine des ressorts émotionnels en raison de la durée des contenus, de l’omniprésence du streamer à l’écran et du fait que tout repose sur sa performance. La focalisation sur le visage du streamer exalte les ressorts émotionnels. Par ailleurs, les émotes présents sur la plateforme sont bien souvent bien plus expressifs que les émojis traditionnels, et permettent la représentation d’une palette beaucoup plus fine d’émotions. Les emotes, propres à Twitch, constituent en effet une catégorie à part d’émojis, dans le sens où ils tiennent tout autant de l’émoji que du mème Internet. La possibilité de passer le tchat en « emote only » (seulement les émotes) peut être activée par le streamer pour diverses raisons, comme le risque de recevoir des messages haineux, ou encore la peur de voir le stream interrompu par des outils automatisés de modération. Ces mèmes mettant en avant des émotions particulièrement marquées (le choc, la surprise, la joie) sont ensuite mobilisés par les internautes comme un répertoire d’images permettant de réagir sur les réseaux sociaux numériques. D’ailleurs, le passage d’un tchat en <i>emote only</i> n’est pas imperméable à une analyse détaillée des engagements émotionnels et politiques des internautes, bien au contraire. Sarah Riddick et Rich Shivener ont analysé les emotes lors d’un discours de Joe Biden, retransmis sur Twitch et diffusé en ‘emote only’. Les deux chercheurs parlent alors de « <i>spamming </i>affectif » (<i>affective spamming</i>) pour qualifier la logorrhée positive d’emotes en faveur du président américain. La circulation de l’émotion n’est donc pas circonscrite à la seule figure du streamer, elle opère à tous les niveaux de la plateforme. </span></span></span></span></span></p>
<h2 style="text-align: justify; margin-bottom: 11px;"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Engagement émotionnel et monétisation </span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Enfin, les différentes formes visuelles de l’émotion à l’écran servent toute un même but pour la plateforme appartenant à Amazon : fédérer des communauté grâce à l’engagement (<i>cf</i>. Riddick & Shivener, 2022). L’engagement excède ici l’idée de la conversation : le consommateur de vidéos en direct interagit avec le streamer-journaliste, mais il est également amené à rétribuer le streamer, via un système de dons (<i>subs</i>), effectués en direct. La mise en scène de ces dons est au cœur du stream. Le système de rétribution par dons étant activé par défaut, le vidéaste doit alors faire le choix explicite de désactiver l’option. C’est par exemple le cas de Samuel Etienne, estimant qu’il serait indécent d’activer les dons puisqu’il touche des revenus en tant que présentateur sur France 3 et de journaliste sur France Info. <i>A contrario</i>, les événements caritatifs comme le « ZEvent » ou « Le grand 8 » intègrent le processus de don tout en le gamifiant. Au-delà de la conception anthropologique du don et du contre-don telle que définie par Marcel Mauss, la singularité du don sur les <i>streams</i> interroge. Pour tenter d’en définir les contours, il faut faire s’entrecroiser les deux concepts clés que sont le capital humain (Becker) et le capital médiatique (Desrumaux & Nollet, 2021). Car au-delà de la constitution d’une communauté sémiotique<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">[1]</span></span></span></span></span></a> (Julliard, 2022), c’est bien la constitution d’une communauté affectivo-sémiotique qui se fait jour sur la plateforme. </span></span></span></span></span></p>
<h2 style="text-align: justify; margin-bottom: 11px;"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Informer sur Twitch</span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Enfin se pose la question centrale de l’information au prisme de Twitch. La question des formats, des contenus, des techniques d’éditorialisation se pose dès lors que l’on parle des contenus audiovisuels et numériques. Mais l’information est-elle un contenu comme un autre ? Un streamer n’est-il qu’un créateur de contenu, comme le veut l’expression consacrée ? <i>A priori</i> oui. La campagne présidentielle de 2022 a bien sûr mobilisé les streamers d’information habituels (Jean Massiet, Samuel Etienne, Usul) mais elle a également créé un effet d’opportunité pour des médias en ligne ou des streamers dont la politique n’est pas le cœur de la ligne éditoriale (Madmoizelle, Game of Roles). La campagne présidentielle s’est alors présentée comme un moyen de tester de nouveaux formats et les possibilités de tourner une émission en direct, comme ce fut le cas pour Madmoizelle. L’émission Game of Roles, en partenariat avec <i>France Info</i>, a quant à elle gamifié l’actualité politique à travers de nombreux jeux de rôle. Au-delà de l’effet d’opportunité, comment comprendre l’engouement de la part des journalistes, professionnels et non professionnels pour cette plateforme ? Il nous faut chercher vers la forme particulière de production relationnelle et économique que met à disposition la plateforme Twitch, en tant que dispositif d’intermédiation entre streamers d’information et des internautes-citoyens. </span></span></span></span></span></p>
<h3 class="MsoNoSpacing" style="text-align: justify;"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Bibliographie indicative :</span></span></span></span></h3>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Desrumaux C., Nollet J. (2021). <i>Un capital médiatique ? Usages et légitimation de la médiatisation en politique</i>. Presses Universitaires de Rennes, coll. « Res Publica ». </span></span></span></span></p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Julliard V. (2022). « Un regard situé pour étudier les communautés interprétatives et émotionnelles ». <i>Communication & langages</i>, n° 212. Presses Universitaires de France. </span></span></span></span></p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Riddick S., Shivener R. (2022). « Affective Spamming on Twitch: Rhetorics of an Emote-Only Audience in a Presidential Inauguration Livestream ». <i>Computers and Composition</i>, vol. 64. </span></span></span></span></p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Warren-Crow H. (2016). « Screaming like a girl: viral video and the work of reaction », <i>Feminist Media Studies</i>, 16:6, p. 1113-1117. </span></span></span></span></p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"> </p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Mots-clés : Twitch, communauté affectivo-sémiotique, plateforme, streamer, information</span></span></span></span></p>
<p class="MsoNoSpacing" style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Mots-clés anglais : Twitch, affective-semiotic community, platform, streamer, information </span></span></span></span></p>
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<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri",sans-serif">[1]</span></span></span></span></span></a> Nous attirons l’attention sur le fait qu’il s’agit d’une communauté de personnes utilisant un thésaurus d’éléments sémiotiques communs, et non de la « communauté sémiotique » telle que pensée par Idriss Ablali, c’est-à-dire la communauté des chercheurs en sémiotique (<i>cf</i>. Ablali, « Sémiotique et SIC, je t’aime moi non plus », in <i>Semen</i> n°23, 2007, Presses Universitaires de Franche-Comté, p. 13). </span></span></p>
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