<p>L’intelligence artificielle est non seulement en phase de devenir « la technologie clé de l’avenir », mais aussi un <em>« élément central de la transition numérique de la société et une priorité pour l’UE »</em>, tant ses <em>« applications devraient mener à d’énormes changements dans notre quotidien »</em>, annonce le Parlement européen<sup>[1]</sup>. Un postulat qui tend à se confirmer, puisque deux ans après le lancement sensationnel de ChatGPT, l’usage de l’intelligence artificielle générative (IAg) se démocratise et s’étend à toutes les strates de nos sociétés numériques<sup>[2]</sup>. Des très petites entreprises aux grandes industries, de l’enseignement à agriculture, aucun secteur ne semble échapper à la déferlante IAg et à la profusion de contenus pluriels qu’elle génère.</p>
<p>L’intelligence artificielle générative nous propulserait-elle vers une nouvelle révolution ? Pas nécessairement, puisque l’humanité vit déjà sa 4<sup>e</sup> révolution industrielle désignée par le passage à des systèmes de production intelligents utilisant des équipements connectés, des réseaux numériques et de l’intelligence artificielle. (Commission de la science et de la technique au service du développement, 2022). L’avènement de l’intelligence artificielle générative, aussi spectaculaire soit-il, n’est qu’une évolution sans rupture majeure, qui s’inscrit dans la continuité de la révolution numérique. On l’assimile davantage à l’ajout « d’une brique technologique transversale qui interconnecte et synchronise les différents systèmes de production les uns avec les autres » (D. Kohler & Weisz, 2016). Une brique qui <em>« invente un nouveau langage entre les machines, entre les hommes et les machines, entre les produits, entre les services et les machines »</em>, notent les auteurs.</p>
<p>De quoi parle-t-on ? Quel est ce nouveau langage qui s’invente entre les hommes et les machines ? Si l’IA générative est <em>« un couplage particulier du matériel et du logiciel qui nous forme à penser différemment, à transformer nos manières de raisonner »</em>, comme le précise Dominique Boullier (Boivin et al., 2024), on comprend aisément la nécessité à examiner la nature de cette nouvelle technique qu’est l’IAg pour comprendre ce qui est en jeu.</p>
<p>Au-delà des aspects éthiques et réglementaires, nous proposons ici une exploration ontologique autour du concept d’Intelligence artificielle générative (IAg) : questionner sa nature, ses propriétés intrinsèques d’être numérique, telles que l’existence, la possibilité, le devenir ; examiner son essence pour donner un sens intelligible à ce qu’elle transmute dans notre rapport au monde et dans les interactions Homme-Machine qui en découlent.</p>
<p>En premier lieu, nous tenterons d’apporter un éclairage sur la question de la notion de l’IAg : comment distinguer l’IA générative dans la multitude de modèles d’intelligence artificielle ? Comment comprendre son niveau d’artificialité et son « intelligence » par rapport à l’homme ? Une telle comparaison, est-elle sensée ?</p>
<p>En deuxième lieu, nous proposons d’explorer la question des possibles offerts par l’IAg en sa qualité de technique. Comment s’exprime l’idéation humaine à l’heure de l’intelligence artificielle générative ? Comment le caractère « génératif » de l’IA vient-il moduler la manière dont les humains produisent des idées et des contenus ? Quelle est l’« aura phénoménologique » dégagée par l’IAg et comment envisager son « autruiphanie numérique » ? Nous mobiliserons à cet effet les travaux de Bruno Bachimont et de Stéphane Vial.</p>
<p>En troisième lieu, nous questionnerons les (re)configurations des rapports entre acteurs sociaux et agents artificiels face aux perspectives offertes par l’IA générative : le possible glissement vers une assimilation anthropomorphique, mais aussi l’hétérogénéité et l’asymétrie des rapports Homme-Machine observés.</p>
<p>Le périmètre d’exploration proposé est certes vaste, mais essentiel pour cerner le caractère que l’intelligence artificielle générative revêt dans nos sociétés contemporaines. À travers les différents questionnements sur son essence, nous visons à identifier des clés de compréhension des possibles effets de sens dans notre capacité idéative, dans notre rapport aux êtres numériques, dans les configurations Homme-Machine et les hypothétiques « liaisons dangereuses »<sup>[3]</sup>, pour in fine appréhender la place que l’IAg tend à occuper dans notre expérience perceptive du monde.</p>
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<p><sup>[1] </sup>Source : <a href="https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20200827STO85804/intelligence-artificielle-definition-et-utilisation">Parlement Européen</a></p>
<p><sup>[2]</sup> L’expression « société numérique » fait référence à la société de l’information ou société en réseaux, avec la technique pour élément constitutif. (Compiègne, 2010)</p>
<p><sup>[3]</sup> Référence à l’œuvre littéraire « Les liaisons dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos décortiquant le processus de duperie dans la mise en place d’un simulacre relationnel.</p>