<h2>Introduction</h2> <p>L&rsquo;intelligence artificielle est non seulement en phase de devenir &laquo;&thinsp;la technologie cl&eacute; de l&rsquo;avenir&thinsp;&raquo;, mais aussi un &laquo;&thinsp;&eacute;l&eacute;ment central de la transition num&eacute;rique de la soci&eacute;t&eacute; et une priorit&eacute; pour l&rsquo;UE&thinsp;&raquo;, tant ses &laquo;&thinsp;applications devraient mener &agrave; d&rsquo;&eacute;normes changements dans notre quotidien&thinsp;&raquo;, annonce le Parlement europ&eacute;en<sup>[1]</sup>. Un postulat qui tend &agrave; se confirmer, puisque deux ans apr&egrave;s le lancement sensationnel de ChatGPT, l&rsquo;usage de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative (IAg) se d&eacute;mocratise et s&rsquo;&eacute;tend &agrave; toutes les strates de nos soci&eacute;t&eacute;s num&eacute;riques<sup>[2]</sup>. Des tr&egrave;s petites entreprises aux grandes industries, de l&rsquo;enseignement &agrave; agriculture, aucun secteur ne semble &eacute;chapper &agrave; la d&eacute;ferlante IAg et &agrave; la profusion de contenus pluriels qu&rsquo;elle g&eacute;n&egrave;re.</p> <p>L&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative nous propulserait-elle vers une nouvelle r&eacute;volution&thinsp;? Pas n&eacute;cessairement, puisque l&rsquo;humanit&eacute; vit d&eacute;j&agrave; sa 4<sup>e</sup>&nbsp;r&eacute;volution industrielle d&eacute;sign&eacute;e par le passage &agrave; des syst&egrave;mes de production intelligents utilisant des &eacute;quipements connect&eacute;s, des r&eacute;seaux num&eacute;riques et de l&rsquo;intelligence artificielle. (Commission de la science et de la technique au service du d&eacute;veloppement, 2022). L&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative, aussi spectaculaire soit-il, n&rsquo;est qu&rsquo;une &eacute;volution sans rupture majeure, qui s&rsquo;inscrit dans la continuit&eacute; de la r&eacute;volution num&eacute;rique. On l&rsquo;assimile davantage &agrave; l&rsquo;ajout &laquo;&thinsp;d&rsquo;une brique technologique transversale qui interconnecte et synchronise les diff&eacute;rents syst&egrave;mes de production les uns avec les autres&thinsp;&raquo; (D. Kohler &amp; Weisz, 2016). Une brique qui &laquo;&thinsp;invente un nouveau langage entre les machines, entre les hommes et les machines, entre les produits, entre les services et les machines&thinsp;&raquo;, notent les auteurs.</p> <p>De quoi parle-t-on&thinsp;? Quel est ce&nbsp;nouveau langage qui s&rsquo;invente entre les hommes et les machines&thinsp;? Si l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative est &laquo;&thinsp;un couplage particulier du mat&eacute;riel et du logiciel qui nous forme &agrave; penser diff&eacute;remment, &agrave; transformer nos mani&egrave;res de raisonner&thinsp;&raquo;, comme le pr&eacute;cise Dominique Boullier (Boivin et al., 2024), on comprend ais&eacute;ment la n&eacute;cessit&eacute; &agrave; examiner la nature de cette nouvelle technique qu&rsquo;est l&rsquo;IAg pour comprendre ce qui est en jeu.</p> <p>Au-del&agrave; des aspects &eacute;thiques et r&eacute;glementaires, nous proposons ici une exploration ontologique autour du concept d&rsquo;Intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative (IAg)&nbsp;: questionner sa nature, ses propri&eacute;t&eacute;s intrins&egrave;ques d&rsquo;&ecirc;tre num&eacute;rique, telles que l&rsquo;existence, la possibilit&eacute;, le devenir&thinsp;; examiner son essence pour donner un sens intelligible &agrave; ce qu&rsquo;elle transmute dans notre rapport au monde et dans les interactions Homme-Machine qui en d&eacute;coulent.</p> <p>En premier lieu, nous tenterons d&rsquo;apporter un &eacute;clairage sur la question de la notion de l&rsquo;IAg&nbsp;: comment distinguer l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative&nbsp;dans la multitude de mod&egrave;les d&rsquo;intelligence artificielle&thinsp;? Comment comprendre son niveau d&rsquo;artificialit&eacute; et son &laquo;&thinsp;intelligence&thinsp;&raquo;&nbsp;par rapport &agrave; l&rsquo;homme&thinsp;? Une telle comparaison, est-elle sens&eacute;e&thinsp;?</p> <p>En deuxi&egrave;me lieu, nous proposons d&rsquo;explorer la question des possibles offerts par l&rsquo;IAg en sa qualit&eacute; de technique. Comment s&rsquo;exprime l&rsquo;id&eacute;ation humaine &agrave; l&rsquo;heure de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;? Comment le caract&egrave;re &laquo;&thinsp;g&eacute;n&eacute;ratif&thinsp;&raquo; de l&rsquo;IA vient-il moduler la mani&egrave;re dont les humains produisent des id&eacute;es et des contenus&thinsp;? Quelle est l&rsquo;&laquo;&thinsp;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique&thinsp;&raquo; d&eacute;gag&eacute;e par l&rsquo;IAg et comment envisager son &laquo;&thinsp;autruiphanie num&eacute;rique&thinsp;&raquo;&thinsp;? Nous mobiliserons &agrave; cet effet les travaux de Bruno Bachimont et de St&eacute;phane Vial.</p> <p>En troisi&egrave;me lieu, nous questionnerons les (re)configurations des rapports entre acteurs sociaux et agents artificiels&nbsp;face aux perspectives offertes par l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative&nbsp;: le possible glissement vers une assimilation anthropomorphique, mais aussi l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; et l&rsquo;asym&eacute;trie des rapports Homme-Machine observ&eacute;s.</p> <p>Le p&eacute;rim&egrave;tre d&rsquo;exploration propos&eacute; est certes vaste, mais essentiel pour cerner le caract&egrave;re que l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative rev&ecirc;t dans nos soci&eacute;t&eacute;s contemporaines. &Agrave; travers les diff&eacute;rents questionnements sur son essence, nous visons &agrave; identifier des cl&eacute;s de compr&eacute;hension des possibles effets de sens dans notre capacit&eacute; id&eacute;ative, dans notre rapport aux &ecirc;tres num&eacute;riques, dans les configurations Homme-Machine et les hypoth&eacute;tiques &laquo;&thinsp;liaisons dangereuses&thinsp;&raquo;<sup>[3]</sup>, pour in fine appr&eacute;hender la place que l&rsquo;IAg tend &agrave; occuper dans notre exp&eacute;rience perceptive du monde.</p> <h2>Comprendre le ph&eacute;nom&egrave;ne de l&rsquo;intelligence artificielle&nbsp;</h2> <h3>La question de la d&eacute;finition de l&rsquo;intelligence d&rsquo;artificielle</h3> <p>Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;intelligence artificielle (IA) en 2024&thinsp;? Le nom &laquo;&thinsp;intelligence artificielle&thinsp;&raquo; n&rsquo;est pas d&eacute;pos&eacute; &agrave; l&rsquo;INPI (Institut National de la Propri&eacute;t&eacute; Intellectuelle) pas plus qu&rsquo;il ne fait l&rsquo;objet d&rsquo;un quelconque copyright&copy;. Le concept, longtemps demeur&eacute; l&rsquo;apanage d&rsquo;experts et chercheurs scientifiques, est d&eacute;sormais vulgaris&eacute; aupr&egrave;s du grand public. Pour autant, la notion d&rsquo;intelligence artificielle est-elle r&eacute;ellement comprise&thinsp;? Que se cache derri&egrave;re ce terme &laquo;&thinsp;valise&thinsp;&raquo;&thinsp;?&nbsp;<br /> Des d&eacute;finitions plus ou moins complexes circulent en abondance sur les ondes et sur le net, et saturent l&rsquo;espace m&eacute;diatique. L&rsquo;intelligence artificielle pose un vrai probl&egrave;me de terminologie, pr&eacute;vient Daniel Andler, puisque que le terme d&eacute;signe &agrave; la fois &laquo;&thinsp;un objet qu&rsquo;on cherche &agrave; cr&eacute;er, un syst&egrave;me dot&eacute; d&rsquo;une certaine propret&eacute;, la discipline, et plus largement l&rsquo;institution qui se donne pour but de concevoir, c&rsquo;est-&agrave;-dire de caract&eacute;riser et de construire cet objet.&thinsp;&raquo; (Andler, 2023, p. 22)<br /> L&rsquo;expression &laquo;&thinsp;intelligence artificielle&thinsp;&raquo; est &eacute;voqu&eacute;e pour la premi&egrave;re fois en 1956, lors d&rsquo;une conf&eacute;rence au Dartmouth College, aux &Eacute;tats-Unis. Elle a &eacute;t&eacute; propos&eacute;e par deux Am&eacute;ricains consid&eacute;r&eacute;s comme les principaux pionniers de l&rsquo;IA : John McCarthy (1927-2011), math&eacute;maticien et informaticien, et Marvin Minsky (1927-2016), sp&eacute;cialiste de la discipline IA et des sciences cognitives. Ce terme est alors employ&eacute; pour d&eacute;signer &laquo;&thinsp;les sciences et technologies qui permettent d&rsquo;imiter, d&rsquo;&eacute;tendre et/ou d&rsquo;augmenter l&rsquo;intelligence humaine avec des machines&thinsp;&raquo;. (Pallanca &amp; Read, 2021)<br /> Peut-&ecirc;tre l&rsquo;une des d&eacute;finitions les plus ais&eacute;es &agrave; appr&eacute;hender serait celle propos&eacute;e par le Parlement europ&eacute;en qui d&eacute;signe l&rsquo;IA comme &laquo;&thinsp;la possibilit&eacute; pour une machine de reproduire des comportements li&eacute;s aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la cr&eacute;ativit&eacute;&thinsp;&nbsp;&raquo;. Yan LeCun (prix Turing 2018), pr&eacute;cise quant &agrave; lui que l&rsquo;IA c&rsquo;est &laquo;&thinsp;la capacit&eacute; des machines &agrave; prendre des d&eacute;cisions et &agrave; adopter des comportements attribu&eacute;s g&eacute;n&eacute;ralement &agrave; des humains ou &agrave; des animaux, mais avec un moindre niveau de performance&thinsp;&raquo;. (LeCun, 2017)<br /> Le fantasme de la cr&eacute;ation d&rsquo;une machine qui imiterait ou serait semblable &agrave; l&rsquo;homme remonte aux temps anciens. Cette id&eacute;e serait pr&eacute;sente d&eacute;j&agrave; dans les textes de Hom&egrave;re, notamment &agrave; travers les fabrications du dieu H&eacute;pha&iuml;stos cens&eacute;es offrir aux hommes un monde sans travail. Ainsi les Olympiens pouvaient vivre une vie sans effort ni contrainte, o&ugrave; des &laquo;&thinsp;cr&eacute;atures artificielles remplacent en quelque sorte les esclaves des soci&eacute;t&eacute;s humaines en se chargeant des travaux les plus r&eacute;p&eacute;titifs et les plus p&eacute;nibles, des t&acirc;ches les plus r&eacute;barbatives.&thinsp;&raquo; (Leveau-Vallier, 2023). N&rsquo;est-ce pas ce que nous promet l&rsquo;IA aujourd&rsquo;hui&thinsp;?&nbsp;</p> <h3>La question des intelligences artificielles multiples</h3> <p>La tentative d&rsquo;&eacute;tablir une seule et unique d&eacute;finition de l&rsquo;intelligence artificielle se heurte &agrave; la pluralit&eacute; de ses propri&eacute;t&eacute;s intrins&egrave;ques, d&rsquo;autant que les multiples qualificatifs associ&eacute;s &agrave; l&rsquo;IA rendent compte de la complexit&eacute; du concept et ne favorisent pas toujours sa compr&eacute;hension. L&rsquo;intelligence artificielle est dite tant&ocirc;t symbolique, connexionniste, forte, faible, globale, g&eacute;n&eacute;rative&hellip; &Agrave; moins d&rsquo;&ecirc;tre un expert du domaine, il est fort probable que nombre d&rsquo;utilisateurs des IA pr&eacute;sentes dans les ordinateurs, smartphones et autres dispositifs num&eacute;riques confondent ou ignorent la diff&eacute;rence entre ces notions.&nbsp;</p> <h4>L&rsquo;IA forte &mdash; devenir l&rsquo;&eacute;gal de l&rsquo;Homme</h4> <p>Une IA forte ou IA g&eacute;n&eacute;rale serait dot&eacute;e d&rsquo;esprit, de sensibilit&eacute; et de conscience, notamment la conscience de soi. Cette IA aurait la capacit&eacute; non seulement de comprendre et d&rsquo;apprendre, mais serait en mesure d&rsquo;utiliser ses comp&eacute;tences &agrave; bon escient et selon les situations, &agrave; l&rsquo;instar de l&rsquo;Homme dont elle serait en quelque sorte l&rsquo;&eacute;gale. <em>&laquo;&thinsp;Si le calculateur projette son propre monde, c&rsquo;est aussi parce qu&rsquo;il a pour ambition de contenir lui-m&ecirc;me son propre horizon. C&rsquo;est en ce sens que cette IA a pu se revendiquer comme&thinsp;forte&thinsp;&raquo;</em>, explique Dominique Cardon. (Cardon et al., 2018)<br /> Adaptabilit&eacute;, planification, contextualisation, raisonnement, voici un panel de comp&eacute;tences que l&rsquo;IA forte est suppos&eacute;e poss&eacute;der et manier avec justesse. Une telle IA est-elle souhaitable&thinsp;? &Agrave; ce jour, l&rsquo;IA forte rel&egrave;ve encore de la science-fiction. Les meilleurs exemples pour l&rsquo;illustrer nous parviennent des grandes productions cin&eacute;matographiques, &agrave; l&rsquo;instar de R2-D2, le robot de Star Wars, ou encore JARVIS, l&rsquo;IA d&rsquo;Ironman. Si l&rsquo;IA forte n&rsquo;est pas encore atteinte, elle reste un objectif &agrave; long terme de la recherche en IA.</p> <h4>L&rsquo;IA symbolique &mdash; savoir raisonner et manier les symboles</h4> <p>Pour comprendre les autres mod&egrave;les d&rsquo;IA, il faut op&eacute;rer un retour dans les ann&eacute;es 1950. &Agrave; cette &eacute;poque, deux courants majeurs d&rsquo;IA se d&eacute;veloppent et entrent en concurrence : l&rsquo;&eacute;cole des connexionnistes et l&rsquo;&eacute;cole symbolique. Les adeptes de l&rsquo;IA symbolique se focalisent sur la reconstitution de l&rsquo;encha&icirc;nement logique des raisonnements. Cette approche symbolique constitue le cadre de r&eacute;f&eacute;rence initial de l&rsquo;IA, port&eacute; par ses pionniers John McCarthy et Marvin Minsky (1956) qui prennent appui sur&thinsp;le cognitivisme orthodoxe, une approche qui stipule que &laquo;&thinsp;penser, c&rsquo;est calculer des symboles qui ont &agrave; la fois une r&eacute;alit&eacute; mat&eacute;rielle et une valeur s&eacute;mantique de repr&eacute;sentation&thinsp;&raquo;. (Cardon et al., 2018).&nbsp;<br /> Il s&rsquo;agit d&egrave;s lors de d&eacute;couvrir et de mod&eacute;liser les r&egrave;gles permettant &agrave; la machine de raisonner de mani&egrave;re juste et d&rsquo;&eacute;tablir des relations logiques entre des propositions unitaires. Voici un exemple simple qui illustre une relation logique : &laquo;&thinsp;on est en hiver, alors il fait froid dehors&thinsp;&raquo;. (A. Kohler, 2020). C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment sur cette intelligence artificielle symbolique que sont d&eacute;velopp&eacute;es des applications telles que les syst&egrave;mes experts, les ontologies, le web s&eacute;mantique, le calcul symbolique&hellip;&nbsp;<br /> &nbsp;</p> <h4>L&rsquo;IA connexionniste &mdash; s&rsquo;inspirer des neurones humains</h4> <p>Cette IA vise &agrave; reproduire le fonctionnement du cerveau par des machines apprenantes. Les connexionnistes s&rsquo;int&eacute;ressent &laquo;&thinsp;aux r&eacute;seaux de neurones qui fournissent un m&eacute;canisme perceptif ind&eacute;pendant des intentions et de la logique formelle du programmateur&thinsp;&raquo; (Pallanca &amp; Read, 2021). La naissance du connexionnisme est li&eacute;e aux recherches men&eacute;es par les scientifiques am&eacute;ricains Warren McCulloch et Walter Pitts. Dans leur article&thinsp;A logical calculus of the ideas immanent in nervous activity,&nbsp;publi&eacute; en 1943, ils annoncent d&eacute;j&agrave; les potentialit&eacute;s computationnelles des neurones artificiels s&rsquo;ils &eacute;taient mis en r&eacute;seau. (Saporta, 2018).<br /> S&rsquo;inspirant de leurs travaux, l&rsquo;am&eacute;ricain John von Neumann, con&ccedil;oit l&rsquo;un des tout premiers ordinateurs &eacute;lectroniques en 1949. Nomm&eacute; EDVAC (Electronic Discrete Variable Automatic Computer), c&rsquo;est un mastodonte de 7,85 tonnes qui occupe une surface de 45,5 m2. Presque dix ans apr&egrave;s, en 1958, Frank Rosenblatt invente le Perceptron &mdash; la premi&egrave;re &laquo;&thinsp;machine &agrave; apprendre&thinsp;&raquo;, con&ccedil;ue selon les principes des r&eacute;seaux multicouches comportant un algorithme d&rsquo;apprentissage.&nbsp;<br /> Apr&egrave;s des d&eacute;buts prometteurs, les progr&egrave;s du courant connexionniste manquent de d&eacute;coller et conduisent &agrave; un d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral des acteurs. La baisse significative des subventions, pourtant essentielles &agrave; son essor, aboutira &agrave; des p&eacute;riodes peu productives, connues sous le nom d&rsquo;&laquo;&thinsp;hiver de l&rsquo;IA&thinsp;&raquo;. &nbsp;<br /> Le retour en gr&acirc;ce de l&rsquo;IA connexionniste se produira &agrave; partir des ann&eacute;es 2000, gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;augmentation de la puissance de calcul, puis le d&eacute;veloppement des m&eacute;thodes de deep learning.&nbsp;Dominique Cardon (2018) analyse cette revanche par la formule suivante : &laquo;&thinsp;Alors que les concepteurs des machines symboliques cherchaient &agrave; ins&eacute;rer dans le calculateur et le monde et l&rsquo;horizon, la r&eacute;ussite actuelle des machines connexionnistes tient au fait que de fa&ccedil;on presque oppos&eacute;e, ceux qui les fabriquent vident le calculateur pour que le monde se donne &agrave; lui-m&ecirc;me son propre horizon. &raquo;&nbsp;</p> <h4>L&rsquo;IA faible &mdash; r&eacute;aliser des t&acirc;ches sp&eacute;cialis&eacute;es</h4> <p>Souvent confondue avec l&rsquo;IA connexionniste, cette IA est con&ccedil;ue pour r&eacute;pondre &agrave; des t&acirc;ches sp&eacute;cifiques. Bas&eacute;e sur un ensemble de r&egrave;gles et d&rsquo;algorithmes, elle n&rsquo;a pas de compr&eacute;hension, se concentrant sp&eacute;cifiquement sur la t&acirc;che &agrave; effectuer&thinsp;; Siri ou Alexia sont des exemples parfaits pour illustrer cette IA. La confusion avec les connexionnistes provient du fait que les syst&egrave;mes d&rsquo;IA faible peuvent recourir &agrave; l&rsquo;hybridation de diff&eacute;rentes techniques, dont les r&eacute;seaux de neurones &mdash; mod&egrave;le connexionniste par excellence.</p> <h4>L&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative &mdash; g&eacute;n&eacute;rer des contenus</h4> <p>C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment l&rsquo;intelligence artificielle dite g&eacute;n&eacute;rative (IAg) qui a propuls&eacute; de mani&egrave;re spectaculaire l&rsquo;IA dans nos quotidiens num&eacute;riques. Mais comment comprendre ce terme&thinsp;? &Agrave; quelle notion fait-il r&eacute;f&eacute;rence&thinsp;? Jean-Gabriel Ganascia (2024) nous propose la d&eacute;finition suivante : &laquo;&thinsp;On appelle Intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative la branche de l&rsquo;IA sp&eacute;cialis&eacute;e dans la cr&eacute;ation de contenus&thinsp;&raquo;. On peut compl&eacute;ter en ajoutant qu&rsquo;il s&rsquo;agit &laquo;&thinsp;des outils multit&acirc;ches, multimodaux (texte, parole, son et image) et multilingues qui peuvent produire des contenus (texte, vid&eacute;o) &agrave; partir d&rsquo;une demande ou question&nbsp;&raquo;. (Devillers, 2023)<br /> Les contenus sont donc au c&oelig;ur de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative. Par &laquo;&thinsp;g&eacute;n&eacute;rer des contenus&thinsp;&raquo; on entend donc la capacit&eacute; de l&rsquo;IAg &agrave; g&eacute;n&eacute;rer de nouvelles donn&eacute;es comme des images, des sons, des textes, des vid&eacute;os&hellip;, sur un simple &laquo;&thinsp;prompt&thinsp;&raquo; (instruction donn&eacute;e &agrave; la machine par l&rsquo;homme), le tout en utilisant des algorithmes de machine learning &nbsp;boost&eacute;s par le big data, et des capacit&eacute;s de calcul ultra performantes. Alban Leveau-Vallier (2023) compl&egrave;te ces d&eacute;finitions et propose de comprendre l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative comme :&nbsp;&laquo;&thinsp;L&rsquo;encodage d&rsquo;une collection d&rsquo;exemples dans un espace multidimensionnel qui permet de produire des esquisses de forme (textes, images, sons&hellip;), de les moduler en changeant leurs caract&eacute;ristiques globales (&eacute;clairage, style) ou locales, en transf&eacute;rant les caract&eacute;ristiques d&rsquo;une forme &agrave; une autre, o&ugrave; en les &laquo;&thinsp;&eacute;tirant&thinsp;&raquo; (compl&eacute;ter un texte, outpainting &hellip;).&nbsp;<br /> Mais d&rsquo;autres auteurs signalent un probl&egrave;me terminologique sur le concept d&rsquo;Intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative, de sorte que la notion ne peut offrir une d&eacute;finition universellement accept&eacute;e, ce qui peut potentiellement conduire &agrave; des m&eacute;compr&eacute;hensions et des malentendus. Des chercheurs de l&rsquo;universit&eacute; de Salamanca ont analys&eacute; 631 articles dans la p&eacute;riode de janvier 2019 &agrave; mai 2023, pour tenter de comprendre et de caract&eacute;riser le paysage de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative. Les r&eacute;sultats de leur &eacute;tude sugg&egrave;rent une <em>&laquo;&thinsp;dichotomie </em>dans la compr&eacute;hension et l&rsquo;application du terme IA g&eacute;n&eacute;rative. Le grand public interpr&egrave;te souvent l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;en tant que cr&eacute;ation de contenu tangible bas&eacute; sur l&rsquo;IA, tandis que la communaut&eacute; de chercheurs en IA en discute principalement les impl&eacute;mentations g&eacute;n&eacute;ratives, en mettant l&rsquo;accent sur les mod&egrave;les utilis&eacute;s, sans cat&eacute;goriser explicitement leur travail sous le terme d&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;&raquo;. (Garc&iacute;a-Pe&ntilde;alvo &amp; V&aacute;zquez-Ingelmo, 2023).<br /> Ainsi, les auteurs de cette &eacute;tude pointent le fait que l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est souvent appr&eacute;hend&eacute;e, c&ocirc;t&eacute; chercheurs, par les techniques qu&rsquo;elle mobilise (GAN , R&eacute;seau Encodeur-d&eacute;codeur , Transformers &hellip;), mais on peut tout autant &eacute;voquer les processus de g&eacute;n&eacute;ration par conversion auxquels elle fait appel (data-to-text, text-to-image, image-to-image&hellip;). Le grand public, quant &agrave; lui, entend l&rsquo;IAg surtout par le contenu qu&rsquo;elle g&eacute;n&egrave;re : texte, image, son, vid&eacute;o&hellip;&nbsp;<br /> Oui, le concept d&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est bel et bien prot&eacute;iforme et polys&eacute;mique, tant les d&eacute;finitions qui sont propos&eacute;es renvoient &agrave; des r&eacute;alit&eacute;s diverses de ses manifestations multiples. Pour pallier la difficult&eacute; notionnelle qui entoure le concept, nous proposons d&rsquo;appr&eacute;hender l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative &agrave; travers la m&eacute;taphore de la for&ecirc;t digitale et ses trois strates essentielles, la canop&eacute;e, le sous-bois et le parterre. (voir Figure 1)&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><u>Fig. 1. &Eacute;cosyst&egrave;me de l&rsquo;IAg &mdash; la For&ecirc;t digitale IAg et ses strates</u></p> <p><img height="626" src="https://www.numerev.com/img/ck_3476_17_image.png" width="750" /></p> <p style="text-align: center;"><em>Source : Cr&eacute;ation originale A. Koleva</em></p> <p style="text-align: center;"><em>L&eacute;gende : La for&ecirc;t digitale IAg et ses strates</em></p> <ol> <li>La Canop&eacute;e &mdash; la strate la plus haute et la plus visible. Elle repr&eacute;sente les contenus g&eacute;n&eacute;r&eacute;s par les outils d&rsquo;IAg. Cette strate est la plus expos&eacute;e, elle a la part belle et capte l&rsquo;attention des m&eacute;dias, des organisations et du grand public.</li> <li>Le Sous-Bois &mdash; la strate du milieu. Elle repr&eacute;sente les processus de g&eacute;n&eacute;ration par conversion. Cette strate s&rsquo;adresse &agrave; un public plus averti.</li> <li>Le Parterre &mdash; la strate la moins visible, celle de l&rsquo;enracinement. Elle repr&eacute;sente les techniques d&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative. Cette strate s&rsquo;adresse &agrave; un public d&rsquo;experts scientifiques, d&eacute;veloppeurs, informaticiens et ing&eacute;nieurs.</li> </ol> <p>Les diverses strates de la &laquo; For&ecirc;t digitale de l&rsquo;IAg &raquo; sont emmen&eacute;es &agrave; s&rsquo;enrichir de nouveaux &eacute;l&eacute;ments constitutifs au rythme effr&eacute;n&eacute; des progr&egrave;s technologiques. Le d&eacute;veloppement rapide des techniques (strate Parterre) engendre de nouveaux proc&eacute;d&eacute;s et outils de g&eacute;n&eacute;ration (strate Sous-Bois), qui cr&eacute;ent &agrave; leur tour de nouveaux contenus et des combinaisons in&eacute;dites de contenus divers (strate Canop&eacute;e).</p> <h3>La question de la notion d&rsquo;&laquo;&thinsp;intelligence&thinsp;&raquo; appliqu&eacute;e &agrave; la machine</h3> <h4>Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;intelligence&thinsp;?</h4> <p>Pour r&eacute;pondre &agrave; cette interrogation, il conviendra d&rsquo;abord de s&rsquo;attarder sur le concept m&ecirc;me d&rsquo;&laquo;&thinsp;intelligence&thinsp;&raquo;, afin de tenter d&rsquo;apporter une d&eacute;finition situ&eacute;e. Du point de vue de l&rsquo;&eacute;tymologie, l&rsquo;origine du terme est latine. Compos&eacute; du pr&eacute;fixe inter (&laquo;&thinsp;entre&thinsp;&raquo;) et du verbe lĕgĕre (&laquo;&thinsp;cueillir, choisir, lire&thinsp;&raquo;), le mot intellegentia signifiait &laquo;&thinsp;action de discerner, de comprendre&thinsp;&raquo;, explique Charles Tijus. On appr&eacute;henderait donc l&rsquo;intelligence comme &eacute;tant &laquo;&thinsp;l&rsquo;action de faire le bon choix en comparant entre des alternatives et en sachant pourquoi.&thinsp;&raquo; (Tijus, 2024)<br /> Mais le concept d&rsquo;intelligence n&rsquo;est pas ais&eacute; &agrave; cerner, tant il convoque des disciplines transversales. Daniel Andler, pr&eacute;cise que la notion est devenue &laquo;&thinsp;une sp&eacute;cialit&eacute; acad&eacute;mique &agrave; la fronti&egrave;re de la psychologie, des sciences de l&rsquo;&eacute;ducation, et des sciences cognitives&thinsp;&raquo;. Si l&rsquo;on ajoute les sp&eacute;cialistes de l&rsquo;IA qui s&rsquo;emparent r&eacute;guli&egrave;rement du concept, ce n&rsquo;est pas moins de soixante-dix d&eacute;finitions qui sont propos&eacute;es pour tenter de &laquo;&thinsp;saisir&thinsp;&raquo; ce qu&rsquo;est l&rsquo;intelligence. L&rsquo;une d&rsquo;elles semble faire consensus et s&rsquo;exprime dans les termes suivants : &laquo;&thinsp;l&rsquo;intelligence est la capacit&eacute; de raisonner, de faire des plans, de r&eacute;soudre des probl&egrave;mes, de d&eacute;velopper une pens&eacute;e abstraite, de saisir des id&eacute;es complexes, d&rsquo;apprendre rapidement, et de tirer profit de l&rsquo;exp&eacute;rience&thinsp;&raquo;. (Andler, 2023, p. 251)<br /> Les multiples concurrences associ&eacute;es au mot &laquo;&thinsp;intelligence&thinsp;&raquo; rendent compte du caract&egrave;re polys&eacute;mique de la notion : on parlera de l&rsquo;intelligence du c&oelig;ur, du jeu, du r&eacute;cit, de la situation, mais aussi d&rsquo;intelligence sensorielle, &eacute;motionnelle, &eacute;conomique, animale&hellip;&nbsp;La pluralit&eacute; de la notion constitue l&rsquo;essence m&ecirc;me de la th&eacute;orie des intelligences multiples d&eacute;velopp&eacute;e par Howard Gardner. Il dresse la liste (qu&rsquo;il d&eacute;finit lui-m&ecirc;me comme non exhaustive et provisoire) des sept intelligences &mdash; logico-math&eacute;matique, linguistique, spatiale, musicale, kinesth&eacute;sique, interpersonnelle et intrapersonnelle &mdash;, sp&eacute;cifiant que &laquo;&thinsp;la plupart d&rsquo;entre nous combinent leurs intelligences pour r&eacute;soudre les probl&egrave;mes et r&eacute;pondre aux besoins de notre culture, par le biais de choix spirituels, professionnels ou autres&thinsp;&raquo;. (Gardner, 2008). Mais comment, compte tenu de cette nature polymorphe, synth&eacute;tiser l&rsquo;essence de l&rsquo;intelligence humaine et en extraire sa singularit&eacute;&thinsp;?<br /> Jean-Fran&ccedil;ois Richard (2024) apporte un &eacute;clairage compl&eacute;mentaire sur ce qui distinguerait l&rsquo;homme au regard des autres &ecirc;tres : &laquo;&thinsp;l&rsquo;intelligence repr&eacute;sente la fonction par laquelle l&rsquo;homme a essay&eacute; de se d&eacute;finir dans l&rsquo;&eacute;chelle des &ecirc;tres, c&rsquo;est-&agrave;-dire de se situer par rapport &agrave; son inf&eacute;rieur, l&rsquo;animal, et par rapport &agrave; son sup&eacute;rieur, la divinit&eacute; &raquo;. Ainsi, selon l&rsquo;auteur, la notion d&rsquo;intelligence pointerait une fonction sp&eacute;cifiquement humaine.&nbsp;</p> <h4>L&rsquo;IA est-elle intelligente&thinsp;?</h4> <p>Pouvons-nous r&eacute;ellement parler d&rsquo;intelligence se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; une machine&thinsp;? Ce terme n&rsquo;est-il pas exclusivement r&eacute;serv&eacute; &agrave; l&rsquo;humain&thinsp;? Les auteurs du manuel ouvert &mdash; IA pour les enseignants &mdash; pr&eacute;cisent que &laquo;&thinsp;de nombreux experts contestent l&rsquo;utilisation du mot intelligence &mdash; l&rsquo;intelligence artificielle n&rsquo;a aucune ressemblance avec l&rsquo;intelligence humaine&thinsp;!&thinsp;&raquo; (De la Higuera &amp; Iyer, 2024)<br /> Pour aborder la nature sp&eacute;cifique de l&rsquo;intelligence dite artificielle, Jean-Fran&ccedil;ois Richard propose de la consid&eacute;rer &agrave; travers sa capacit&eacute; &agrave;&thinsp;&eacute;laborer &laquo;&thinsp;des proc&eacute;dures automatiques de recherche de solution pour diverses classes de probl&egrave;mes, dont la r&eacute;solution s&rsquo;effectue moyennant des programmes ex&eacute;cutables par les ordinateurs&thinsp;&raquo;. (Richard, 2024) L&rsquo;intelligence artificielle pourrait donc s&rsquo;entendre comme &eacute;tant les comp&eacute;tences computationnelles de la machine, d&eacute;di&eacute;es &agrave; la r&eacute;solution de probl&egrave;mes.<br /> Cette id&eacute;e est port&eacute;e encore plus loin dans la d&eacute;finition propos&eacute;e par Alexandre Gefen :</p> <blockquote> <p><em>&laquo; L&rsquo;intelligence artificielle est l&rsquo;ensemble de m&eacute;thodes math&eacute;matiques et de technologies informatiques destin&eacute;es &agrave; r&eacute;soudre des probl&egrave;mes ordinairement trait&eacute;s par l&rsquo;esprit humain, de l&rsquo;accompagnement des t&acirc;ches humaines (les outils num&eacute;riques), &agrave; &laquo;&thinsp;la substitution &agrave; l&rsquo;humain (c&rsquo;est l&rsquo;horizon d&rsquo;une &thinsp;IA g&eacute;n&eacute;rale capable de produire des raisonnements)&thinsp;&raquo;.</em> <em>(Gefen, 2022)</em></p> </blockquote> <p>Et si les experts s&rsquo;accordent pour dire qu&rsquo;une IA g&eacute;n&eacute;rale qui serait &eacute;gale &agrave; celle de l&rsquo;homme est impossible &agrave; l&rsquo;heure actuelle, des auteurs pointent les &eacute;volutions r&eacute;centes qui font que l&rsquo;intelligence artificielle ne se cantonne pas &agrave; la seule r&eacute;solution de probl&egrave;mes. D&eacute;sormais, l&rsquo;IA<em> </em>&laquo;&thinsp;produit, &agrave; une &eacute;chelle industrielle, des objets nouveaux : textes, dialogues, images, sc&eacute;narios, chansons, mod&egrave;les de prot&eacute;ines, mol&eacute;cules chimiques&hellip; Elle est devenue &laquo;&thinsp;g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;&raquo;. (Andler, 2023). Pour autant, est-elle intelligente&thinsp;?</p> <h4>Sur la pertinence de la comparaison des intelligences (humaines et artificielles)</h4> <p>Ind&eacute;niablement une cr&eacute;ation de l&rsquo;intelligence humaine, l&rsquo;intelligence artificielle est &agrave; la fois technique, outil et milieu, qui manipule et recombine des connaissances, traces et savoirs humains, au moyen de puissants processus calculatoires. Partant du postulat que l&rsquo;IA est issue et se nourrit de l&rsquo;intellect humain, nous pouvons nous interroger s&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas en r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;une nouvelle forme de comp&eacute;tence cognitive humaine &mdash; l&rsquo;IA comme une intelligence humaine exog&egrave;ne (externe &agrave; l&rsquo;organisme humain), sorte de fonction support qui permettrait de stimuler et d&rsquo;am&eacute;liorer les multiples capacit&eacute;s et aptitudes humaines (langagi&egrave;re, math&eacute;matico-logique, musicale&hellip;). Une huiti&egrave;me intelligence pour la liste de Gardner&thinsp;?&nbsp;<br /> &laquo;&thinsp;L&rsquo;intelligence artificielle constitue une &eacute;nigme, l&rsquo;intelligence humaine en est une autre, et ces deux &eacute;nigmes sont &eacute;troitement li&eacute;es&thinsp;&raquo;, pr&eacute;cise Andler (2023, p. 12) tout en s&rsquo;interrogeant sur la r&eacute;elle pertinence &agrave; comparer les deux intelligences. Kate Crawford se montre particuli&egrave;rement critique &agrave; cet &eacute;gard. La chercheuse pr&eacute;cise que les diverses fa&ccedil;ons de d&eacute;finir l&rsquo;intelligence artificielle &eacute;tablissent des cadres diff&eacute;rents pour la comprendre, la mesurer, l&rsquo;&eacute;valuer et la gouverner. Crawford affirme que l&rsquo;IA &laquo;&thinsp;n&rsquo;est ni intelligente ni artificielle&thinsp;&raquo;. &Agrave; sa suppos&eacute;e&thinsp;artificialit&eacute;, elle oppose toute la mat&eacute;rialit&eacute; et les ressources naturelles et humaines que l&rsquo;IA mobilise. &Agrave; sa pr&eacute;tendue intelligence, la chercheuse oppose le manque de discernement de l&rsquo;IA, autant que son incapacit&eacute; &agrave; &ecirc;tre autonome et rationnelle. (Crawford, 2023, p. 19)<br /> Dans une d&eacute;marche similaire, Anne Alombert met en garde sur l&rsquo;utilisation d&rsquo;expressions non pertinentes et autres assimilations abusives rappelant que :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&laquo;&thinsp;Contrairement &agrave; ce que les vocables d&rsquo;intelligence artificielle, d&rsquo;apprentissage automatique&thinsp;&nbsp;ou d&rsquo;agents conversationnels pourraient laisser croire, les technologies num&eacute;riques contemporaines n&rsquo;apprennent pas et ne conversent pas : elles constituent des dispositifs de calcul, qui, gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;indexation (humaine), de quantit&eacute;s massives de donn&eacute;es, et au moyen de certaines op&eacute;rations math&eacute;matiques tr&egrave;s sp&eacute;cifiques (&hellip;), permettent de g&eacute;n&eacute;rer des contenus textuels comparables aux contenus dits humain&thinsp;&raquo;. (Alombert, 2023)</p> </blockquote> <p>Notons aussi qu&rsquo;il manque deux choses essentielles aux IA : &laquo;&thinsp;la capacit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre personnellement engag&eacute;es, c&rsquo;est-&agrave;-dire par la r&eacute;ussite et l&rsquo;&eacute;chec, et d&rsquo;&ecirc;tre capables de faire provisoirement abstraction de toute consid&eacute;ration rationnelle &raquo;. (Andler, 2023, p. 327) Pour autant, l&rsquo;auteur ne rejette pas la possibilit&eacute; de l&rsquo;existence d&rsquo;une intelligence &laquo;&thinsp;artificielle&thinsp;&raquo;, une sorte de qualit&eacute; insaisissable commune aux algorithmes et aux SAI (syst&egrave;mes artificiels intelligents). Dans un r&eacute;cent entretien avec C&eacute;dric Brun (Librairie Mollat, 2023), Andler sugg&egrave;re que ces m&eacute;canismes pourraient acqu&eacute;rir dans le temps une propri&eacute;t&eacute;, &quot;une essence fondamentale qui serait une qualit&eacute; sp&eacute;cifique, l&rsquo;&eacute;quivalent de ce qu&rsquo;est l&rsquo;intelligence pour l&rsquo;homme, mais pour les m&eacute;caniques artificielles&nbsp;<em>&raquo;</em>.&nbsp;<br /> &Agrave; supposer que les machines puissent b&eacute;n&eacute;ficier &agrave; une &eacute;ch&eacute;ance plus ou moins lointaine d&rsquo;une intelligence propre, celle-ci ne saurait en aucun cas &ecirc;tre humaine. Ainsi, Rapha&euml;l Enthoven (2024) pr&eacute;cise que &laquo;&thinsp;la facult&eacute; qui consiste &agrave; classer, synth&eacute;tiser, expliquer des ph&eacute;nom&egrave;nes ou des donn&eacute;es ne pourrait constituer le seul p&eacute;rim&egrave;tre pour d&eacute;finir l&rsquo;intelligence&thinsp;; l&rsquo;intelligence est aussi le synonyme de complicit&eacute;, de l&rsquo;entente particuli&egrave;re qui ne peut pas faire l&rsquo;objet d&rsquo;une computation&thinsp;&raquo;.&nbsp;<br /> Car comme le souligne Jean-Fran&ccedil;ois Richard (2024), l&rsquo;homme ne souffre pas d&rsquo;&eacute;gal : &laquo; l&rsquo;intelligence est ce je-ne-sais-quoi par lequel il exprime sa diff&eacute;rence par rapport aux &ecirc;tres qui l&rsquo;entourent&thinsp;&raquo;. Aussi, l&rsquo;intelligence serait &laquo;&thinsp;ce quelque chose que ne pourra jamais r&eacute;aliser une machine&thinsp;&raquo;. &nbsp;Mais bien au-del&agrave; des diff&eacute;rences qui les opposent, ce qui importe est de permettre aux deux intelligences, humaine et artificielle, de s&rsquo;enrichir l&rsquo;une l&rsquo;autre, sans jamais fermer la voie des possibles. (Malabou, 2020). Voil&agrave; de quoi rassurer (peut-&ecirc;tre) les esprits pr&eacute;occup&eacute;s par le remplacement fantasm&eacute; de l&rsquo;homme par la machine.</p> <h2>Explorations ontologiques autour du concept de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative</h2> <p>Si la qualit&eacute; &laquo;&thinsp;intelligente&thinsp;&raquo; de l&rsquo;IA ne fait pas consensus, en quels termes comprendre alors l&rsquo;essence des syst&egrave;mes artificiels&thinsp;? Pour tenter d&rsquo;apporter une r&eacute;ponse, nous proposons de nous appuyer sur l&rsquo;ontologie<sup>[4]&nbsp;</sup>pour explorer l&rsquo;existence et les r&eacute;alit&eacute;s de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative. Examiner son statut ontologique nous emm&egrave;nerait &agrave; nous interroger sur la mani&egrave;re dont elle est per&ccedil;ue, sachant que cette consid&eacute;ration d&eacute;pend des perspectives d&rsquo;analyse que l&rsquo;on adopte. D&rsquo;une part, nous pouvons consid&eacute;rer que l&rsquo;IAg est une cr&eacute;ation humaine qui poss&egrave;de une existence r&eacute;elle dans notre monde mat&eacute;riel. D&rsquo;autre part, nous pouvons sugg&eacute;rer que l&rsquo;IA aurait la capacit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre per&ccedil;ue comme une construction strictement conceptuelle, ou une manifestation de processus computationnels, qui n&rsquo;aurait aucune existence ind&eacute;pendante en dehors de ses manifestations physiques. Nous entendons ici par &laquo;&thinsp;manifestations physiques&thinsp;&raquo; l&rsquo;ensemble des repr&eacute;sentations concr&egrave;tes de la technologie IA qui permet son fonctionnement : ordinateurs, r&eacute;seaux de neurones, data&hellip; Ainsi, nous questionnerons l&rsquo;essence de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative en mobilisant respectivement les travaux de Bruno Bachimont sur la technique &mdash; sens et ruptures, ainsi que l&rsquo;&eacute;tude de la structure perceptive des &ecirc;tres num&eacute;riques, d&eacute;velopp&eacute;e par St&eacute;phane Vial.</p> <h3>La question des possibles : l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative comme technique&nbsp;</h3> <h4>Agir comme m&eacute;dium de la mat&eacute;rialisation de la pens&eacute;e</h4> <p>Per&ccedil;ue comme &eacute;tant au c&oelig;ur des pr&eacute;occupations contemporaines, la technique est un sujet d&rsquo;&eacute;tude r&eacute;current dans les travaux de recherche de Bruno Bachimont. Dans son ouvrage &laquo;&thinsp;Le sens de la technique&thinsp;&raquo;, il propose une analyse hors cadre pr&eacute;&eacute;tabli pour servir de socle de compr&eacute;hension aux questionnements fondamentaux associ&eacute;s &agrave; la technique : &laquo;&thinsp;Que fait l&rsquo;homme de la technique&thinsp;; et que fait la technique de l&rsquo;homme&thinsp;?&thinsp;&raquo;<br /> L&rsquo;auteur souligne que la technique est souvent oppos&eacute;e &agrave; l&rsquo;humain, d&eacute;cha&icirc;nant des d&eacute;bats et des passions entre technophiles et technophobes. Une des caract&eacute;ristiques de la technique r&eacute;side en sa capacit&eacute; &agrave; offrir des possibles. D&rsquo;une part, elle permet &agrave; l&rsquo;homme d&rsquo;agir avec son environnement et de le transformer (le r&egrave;gne technique &laquo;&thinsp;d&rsquo;agir&thinsp;&raquo;). D&rsquo;autre part, elle aide l&rsquo;homme &agrave; penser et &agrave; exprimer ses pens&eacute;es, en proposant des outils, machines et proc&eacute;d&eacute;s, dont l&rsquo;objectif est la &laquo;&thinsp;structuration de la pens&eacute;e&thinsp;&raquo; (le r&egrave;gne technique &laquo;&thinsp;de penser&thinsp;&raquo;). &nbsp;(Bachimont, 2010, p. 15)<br /> Par ailleurs, le syst&egrave;me technique contemporain &laquo;&thinsp;r&eacute;gule les objets, outils et proc&eacute;d&eacute;s conditionnant la communication entre les humains, l&rsquo;expression et la mat&eacute;rialisation de leur pens&eacute;e&thinsp;&raquo;. Le num&eacute;rique, dont la technique d&eacute;coule, agit comme &laquo;&thinsp;m&eacute;dium universel permettant de mat&eacute;rialiser tout type de contenu&thinsp;&raquo;, pr&eacute;cise Bachimont (2010, p. 18)<br /> &Agrave; la lumi&egrave;re de ces postulats, quel regard pouvons-nous porter sur l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative en sa qualit&eacute; d&rsquo;objet technique&thinsp;? Quels possibles offre-t-elle &agrave; l&rsquo;homme&thinsp;? Nous pensons qu&rsquo;il est possible d&rsquo;appr&eacute;hender l&rsquo;IAg comme un d&rsquo;outil de programmation, qui, en sa nature d&rsquo;esprit artificiel se pr&eacute;sente comme une &laquo;&thinsp;proth&eacute;tisation&thinsp;&raquo; permettant la mat&eacute;rialisation de l&rsquo;id&eacute;e humaine. Car si l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative ne r&eacute;volutionne pas le processus de concr&eacute;tisation de la pens&eacute;e humaine, elle r&eacute;interpr&egrave;te le champ des possibles. Pour mieux appr&eacute;hender l&rsquo;IAg en tant que m&eacute;dium de contenus, nous proposons d&rsquo;analyser ce que nous nommons le processus d&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo;. &nbsp;</p> <h4>Permettre le processus d&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo;&nbsp;</h4> <p>L&rsquo;id&eacute;ation &mdash; la facult&eacute; de formuler des id&eacute;es &mdash; est propre &agrave; l&rsquo;homme. Mais si les id&eacute;es germent dans l&rsquo;esprit humain, leur mat&eacute;rialisation, entendue dans le sens de &laquo;&thinsp;donner une forme mat&eacute;rielle &agrave; une chose abstraite&thinsp;&raquo; n&rsquo;est pas syst&eacute;matique.&nbsp;<br /> &nbsp;Si l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative n&rsquo;est pas capable de d&eacute;velopper une pens&eacute;e abstraite ni des id&eacute;es complexes, elle peut en revanche rendre possible la mat&eacute;rialisation de l&rsquo;id&eacute;e humaine. Ainsi l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative, en particulier la technique des GANs (r&eacute;seaux antagonistes g&eacute;n&eacute;ratifs) et ses algorithmes, est convoqu&eacute;e d&egrave;s 2017 pour &laquo;&thinsp;r&eacute;pondre &agrave; des objectifs non quantifiables ou difficilement mesurables (comme l&rsquo;esth&eacute;tique) et stimuler la cr&eacute;ativit&eacute; des concepteurs en phase d&rsquo;id&eacute;ation architecturale.&thinsp;&raquo; (Marsault &amp; Nguyen, 2022)<br /> Les diff&eacute;rentes techniques de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative sont donc mobilisables en qualit&eacute; de m&eacute;dium pour la &laquo;&thinsp;corporisation&thinsp;&raquo; des id&eacute;es humaines en leur &laquo;&thinsp;donnant un corps&thinsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire une forme mat&eacute;rielle, et ce &agrave; travers le processus d&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo;.<br /> De quoi s&rsquo;agit-il&thinsp;? Nous proposons d&rsquo;envisager la notion d&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo; comme la capacit&eacute; de mat&eacute;rialisation de la pens&eacute;e humaine par un processus computationnel g&eacute;n&eacute;r&eacute; par l&rsquo;IA &agrave; la suite d&rsquo;un encodage en r&eacute;ponse d&rsquo;une commande (prompt) exprim&eacute;e en langage naturel. Nous soulignons que l&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation&thinsp;&raquo; et la &laquo;&thinsp;Corporisation&thinsp;&raquo; ne sont pas des ph&eacute;nom&egrave;nes r&eacute;ciproques : si l&rsquo;id&eacute;ation humaine peut se produire en dehors de la corporisation par la machine, l&rsquo;inverse n&rsquo;est pas vrai. L&rsquo;IA est incapable d&rsquo;id&eacute;ation et la corporisation qu&rsquo;elle permet n&rsquo;est autre que la manifestation physique de l&rsquo;id&eacute;ation humaine, exprim&eacute;e par les calculs machine. (Voir Figure 2)<br /> &nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><u>Figure 2. Sch&eacute;ma du mod&egrave;le Id&eacute;ation-Corporisation&nbsp;</u></p> <p style="text-align: center;"><img height="436" src="https://www.numerev.com/img/ck_3476_17_image3.png" width="1016" /></p> <p style="text-align: center;"><em>Source : Cr&eacute;ation originale A. Koleva</em></p> <p>Le proc&eacute;d&eacute; &laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo; qui se configure entre l&rsquo;homme et la machine (IAg) se met en place en respectant 4 phases : Id&eacute;ation, Prompt, Encodage, Corporisation. Les phases 1 et 2 sont exclusivement du domaine de l&rsquo;homme tandis que les phases 3 et 4 sont sp&eacute;cifiquement li&eacute;es au processus machine. Entre les phases 2 et 3 se cr&eacute;&eacute; un espace de latence o&ugrave; na&icirc;t l&rsquo;interaction Homme-Machine.&nbsp;<br /> Construit dans un encha&icirc;nement d&rsquo;&eacute;tapes, le mod&egrave;le d&rsquo;Id&eacute;ation-Corporisation n&rsquo;est pourtant pas un processus en sens unique. L&rsquo;it&eacute;ration &mdash; action de retour en arri&egrave;re vers les &eacute;tapes pr&eacute;c&eacute;dentes &mdash; est r&eacute;guli&egrave;rement mobilis&eacute;e pour amplifier, moduler, corriger, varier les r&eacute;sultats de la corporisation. Bien que d&rsquo;apparence lin&eacute;aire, ce mod&egrave;le rel&egrave;ve davantage d&rsquo;un processus circulaire qui s&rsquo;inscrit dans une dynamique r&eacute;cursive. D&eacute;velopp&eacute; par Edgar Morin dans ses travaux sur la Pens&eacute;e Complexe, le principe de r&eacute;cursion traduit le ph&eacute;nom&egrave;ne lors duquel le r&eacute;sultat du processus impacte son commencement. &laquo;&thinsp;Un processus r&eacute;cursif est un processus o&ugrave; les produits et les effets sont en m&ecirc;me temps causes et producteurs de ce qui les produit&thinsp;&raquo; (Morin 2014, p. 99-100). Ainsi, les productions corporis&eacute;es (proc&eacute;d&eacute; IAg) issues du processus id&eacute;atif (proc&eacute;d&eacute; humain) se retrouvent r&eacute;introduites dans ce m&ecirc;me processus en tant que nouvelles causes qui influencent et modifient le processus id&eacute;atif initial, cr&eacute;ant une boucle r&eacute;cursive reproductible &agrave; l&rsquo;infini.&nbsp;<br /> &nbsp;</p> <h4>Maintenir dans l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; consubstantielle&nbsp;</h4> <p>La technique n&rsquo;est pas seulement un instrument qui ouvre les champs des possibles pour &laquo;&thinsp;l&rsquo;agir&thinsp;&raquo; et &laquo;&thinsp;le penser&thinsp;&raquo; de l&rsquo;homme. Par sa nature, la technique est intrins&egrave;quement ambigu&euml;, &eacute;tant &agrave; la fois la voie qui conduit vers de nouveaux horizons de sens, et l&rsquo;impasse qui emp&ecirc;che d&rsquo;y acc&eacute;der, souligne B. Bachimont. (2010)<br /> La technique est dans le m&ecirc;me temps &laquo;&thinsp;instrument d&rsquo;&eacute;mancipation et d&rsquo;ali&eacute;nation&thinsp;&raquo;. Par &laquo;&thinsp;&eacute;manciper&thinsp;&raquo;, l&rsquo;auteur entend la capacit&eacute; de la technique &agrave; &laquo;&thinsp;ouvrir la possibilit&eacute; de certains futurs&thinsp;&raquo; et &agrave; guider l&rsquo;homme dans les actions &agrave; entreprendre, pour agir avec son environnement et anticiper son avenir. De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, la machine &laquo;&thinsp;ali&egrave;ne&thinsp;&raquo; l&rsquo;homme du fait de son fonctionnement inh&eacute;rent. Elle ferme l&rsquo;horizon des nouveaux possibles, avec une tendance &agrave; se substituer &agrave; l&rsquo;humain, pour finalement le r&eacute;duire &agrave; un simple ex&eacute;cutant asservi &agrave; son fonctionnement. &nbsp;(Bachimont, 2010, p. 39)<br /> &Agrave; l&rsquo;aune de la nature ambivalente de la technique, quel regard porter sur le processus d&rsquo;&laquo;&thinsp;Id&eacute;ation-Corporisation&thinsp;&raquo; permis par l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;? Pouvons-nous consid&eacute;rer que ce proc&eacute;d&eacute; ouvre de nouvelles voies pour la mat&eacute;rialisation de la pens&eacute;e humaine, sans pour autant &eacute;triquer ses potentialit&eacute;s de cr&eacute;ation et id&eacute;ation&thinsp;? L&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative n&rsquo;&eacute;chappe pas &agrave; l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; consubstantielle propre &agrave; la technique que B. Bachimont (2010, p. 99) d&eacute;crit comme &eacute;tant &laquo;&thinsp;&agrave; la crois&eacute;e des possibles qu&rsquo;elle invente pour aussit&ocirc;t r&eacute;duire&thinsp;&raquo;.<br /> &Agrave; travers sa capacit&eacute; de &laquo;&thinsp;corporisation&thinsp;&raquo;, IAg ouvre la voie &agrave; de multiples expressions de la pens&eacute;e humaine, et ce faisant, contribue &agrave; ce que nous appellerons l&rsquo;hypergen&egrave;se&thinsp;id&eacute;ative. Nous proposons de comprendre ce terme &agrave; partir des mots qui le constituent : le pr&eacute;fixe hyper tir&eacute; du grec ὑ&pi;έ&rho; signifiant au-dessus, au-del&agrave;, indique une intensit&eacute; ou une qualit&eacute; sup&eacute;rieure &agrave; la normale, voire une exag&eacute;ration, un exc&egrave;s, le plus haut degr&eacute;&thinsp;; le mot gen&egrave;se est entendu dans le sens de &laquo;&thinsp;ce qui est cr&eacute;&eacute;&thinsp;&raquo;, comme l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un courant de pens&eacute;e, le processus de cr&eacute;ation d&rsquo;une &oelig;uvre artistique, litt&eacute;raire, musicale, la gen&egrave;se d&rsquo;une id&eacute;e. Ainsi, &agrave; travers un processus reproductible et modulable &agrave; l&rsquo;infini, l&rsquo;IAg permet de &laquo;&thinsp;donner corps&thinsp;&raquo; &agrave; une pl&eacute;thore d&rsquo;interpr&eacute;tations de ce qui &eacute;tait en &eacute;tat de germination dans l&rsquo;esprit humain. L&rsquo;IAg amplifie et augmente les possibilit&eacute;s d&rsquo;id&eacute;ation humaine, rendant possible l&rsquo;hypergen&egrave;se id&eacute;ative.<br /> Rappelons toutefois que cette capacit&eacute; de &laquo;&thinsp;corporisation&thinsp;&raquo; n&rsquo;est autre qu&rsquo;un processus computationnel, une combinatoire de donn&eacute;es (textuelles, visuelles, sonores&hellip;) d&eacute;termin&eacute;es en amont. La mat&eacute;rialisation de l&rsquo;id&eacute;ation humaine par un processus d&rsquo;assemblage al&eacute;atoire et probabiliste d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments pr&eacute;existants manque cruellement de cette mati&egrave;re sensible que poss&egrave;dent les cr&eacute;ations originales de l&rsquo;esprit humain. Ainsi, nous pouvons supposer que les id&eacute;ations humaines ne serviront qu&rsquo;&agrave; &laquo;&thinsp;nourrir&thinsp;&raquo; l&rsquo;algorithme du programme informatique en vue de futures combinaisons statistiques.&nbsp;<br /> La machine est incapable de produire des id&eacute;es radicalement nouvelles, ce processus &eacute;tant intimement li&eacute; &agrave; l&rsquo;intuition d&rsquo;apr&egrave;s Henri Bergson. L&rsquo;intuition, aptitude dont l&rsquo;IA est totalement d&eacute;pourvue, est &laquo;&thinsp;attach&eacute;e &agrave; une dur&eacute;e qui est croissance, y per&ccedil;oit une continuit&eacute; ininterrompue d&rsquo;impr&eacute;visible nouveaut&eacute;&thinsp;; elle voit, elle sait que l&rsquo;esprit tire de lui-m&ecirc;me plus qu&rsquo;il en a, que la spiritualit&eacute; consiste en cela m&ecirc;me, et que la r&eacute;alit&eacute;, impr&eacute;gn&eacute;e d&rsquo;esprit, est cr&eacute;ation.&thinsp;&raquo; (Bergson, 2023, p. 70)<br /> Le fait est que la machine traduit l&rsquo;id&eacute;e humaine dans un r&eacute;arrangement d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments pr&eacute;existants, puisant dans l&rsquo;ancien pour proposer du nouveau. Vides de toute originalit&eacute;, les productions corporis&eacute;es par l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative, pourraient enfermer l&rsquo;homme dans une bulle st&eacute;rile et standardis&eacute;e, emp&ecirc;chant l&rsquo;&eacute;mancipation de sa capacit&eacute; d&rsquo;id&eacute;ation cr&eacute;ative, et conduire ainsi &agrave; une hypogen&egrave;se id&eacute;ative (le pr&eacute;fixe hypo tir&eacute; du grec ὑ&pi;ό, signifiant sous, dessous, en dessous, avec une notion d&rsquo;inf&eacute;riorit&eacute; physique ou morale). Ainsi, au lieu de permettre l&rsquo;exploration de nouvelles voies et le d&eacute;veloppement d&rsquo;id&eacute;es originales et radicalement nouvelles, on aboutirait &agrave; un r&eacute;tr&eacute;cissement id&eacute;atif et une indigence inspirationnelle, avec le risque de compromettre le processus cr&eacute;atif. (Voir Figure 3)<br /> &nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><u>Figure 3. La dualit&eacute; &laquo; Hypergen&egrave;se-Hypogen&egrave;se &raquo;&nbsp;</u></p> <p style="text-align: center;"><img height="362" src="https://www.numerev.com/img/ck_3476_17_image2.png" width="962" /></p> <p style="text-align: center;"><em>Source : Cr&eacute;ation originale A. Koleva</em></p> <p>Ainsi l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative porte en elle l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; propre &agrave; la technique : elle permet dans le m&ecirc;me temps, l&rsquo;&eacute;largissement id&eacute;atif - l&rsquo;hypergen&egrave;se, et le r&eacute;tr&eacute;cissement id&eacute;atif - l&rsquo;hypogen&egrave;se du processus id&eacute;atif humain ; le chemin qui m&egrave;ne &agrave; l&rsquo;un ou l&rsquo;autre de ces &eacute;tats d&eacute;pendra sans doute des usages et du niveau d&#39;intellection du sujet requ&ecirc;t&eacute; par l&#39;utilisateur.</p> <h3>La question de l&rsquo;ontophanie de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative &nbsp;</h3> <h4>Comprendre la ph&eacute;nom&eacute;nalit&eacute; de l&rsquo;IAg&nbsp;</h4> <p>Le concept d&rsquo;ontophanie propos&eacute; par St&eacute;phane Vial dans l&rsquo;&Ecirc;tre et l&rsquo;&eacute;cran semble particuli&egrave;rement pertinent pour interroger la nature de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative. L&rsquo;ontophanie est d&eacute;finie comme &laquo;&thinsp;la mani&egrave;re dont les &ecirc;tres &laquo;&thinsp;ontos&thinsp;&raquo; nous apparaissent &laquo;&thinsp;pha&iuml;n&ocirc;&thinsp;&raquo; (Vial, 2013).&nbsp;<br /> Il convient de noter que l&rsquo;ontophanie est indissociable de la notion de &laquo;&thinsp;ph&eacute;nom&eacute;notechnique&thinsp;&raquo; d&eacute;velopp&eacute;e par Gaston Bachelard. Notons que S. Vial (2014, p. 152) explique cette notion par &laquo;&thinsp;la capacit&eacute; de la science moderne &agrave; fabriquer les ph&eacute;nom&egrave;nes gr&acirc;ce &agrave; des instruments techniques&thinsp;&raquo; concluant que par cons&eacute;quent, &laquo;&thinsp;tout ph&eacute;nom&egrave;ne est en soi ph&eacute;nom&eacute;notechnique&thinsp;&raquo;. Ainsi, pr&eacute;cise-t-il, &laquo;&thinsp;toute ontophanie est une ontophanie technique&thinsp;&raquo; tandis que &laquo;&thinsp;la technique est une structure de la perception&thinsp;&raquo;. (Vial, 2013, p. 99) Cette id&eacute;e est essentielle pour la compr&eacute;hension de la nature des nouveaux &ecirc;tres num&eacute;riques et technologiques, car ils &laquo; nous contraignent &agrave; ren&eacute;gocier l&rsquo;acte de perception lui-m&ecirc;me &raquo; et de nous &laquo; forger des perceptions nouvelles, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;objets pour lesquels nous n&rsquo;avons aucune habitude perceptive.&thinsp;&raquo; (Vial, 2013, p. 97)<br /> En tant qu&rsquo;objet technique, l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative peut donc &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;e comme un ph&eacute;nom&egrave;ne du monde&thinsp;dans lequel l&rsquo;IAg appara&icirc;t comme une exp&eacute;rience perceptive r&eacute;solument nouvelle. En effet, elle pr&eacute;sente des caract&eacute;ristiques, des fonctionnalit&eacute;s, des capacit&eacute;s, bref, une essence sp&eacute;cifique qui lui est propre et par laquelle s&rsquo;instaure une interaction perceptive in&eacute;dite entre l&rsquo;objet technique qu&rsquo;elle repr&eacute;sente et les acteurs sociaux qui entrent en interaction avec elle.&nbsp;<br /> De quelle mani&egrave;re IAg modifie-t-elle notre perception du monde&thinsp;? Que vient-elle &laquo;&thinsp;renverser, bouleverser, d&eacute;placer, remplacer&thinsp;&raquo; dans les r&eacute;alit&eacute;s qu&rsquo;elle g&eacute;n&egrave;re&thinsp;? Pour tenter de r&eacute;pondre &agrave; ces questions, nous mobiliserons les notions &laquo;&thinsp;d&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique&thinsp;&raquo; et de &laquo;&thinsp;l&rsquo;autruiphanie num&eacute;rique&thinsp;&raquo; d&eacute;velopp&eacute;es par St&eacute;phane Vial.</p> <h4>L&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique de l&rsquo;IAg&nbsp;</h4> <p>Le concept d&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique propos&eacute; par S. Vial peut &ecirc;tre compris comme &eacute;tant le degr&eacute; d&rsquo;intensit&eacute; avec lequel les choses et les &ecirc;tres s&rsquo;offrent &agrave; notre perception, se concentrant essentiellement sur l&rsquo;interaction que nous entretenons avec les &ecirc;tres num&eacute;riques. Cette notion met l&rsquo;accent sur la mani&egrave;re dont les &ecirc;tres num&eacute;riques influencent notre perception et notre relation au monde.&nbsp;<br /> L&rsquo;intensit&eacute; perceptive qui se produit &agrave; leur rencontre n&rsquo;est pas la m&ecirc;me pour tous les &eacute;tants. L&rsquo;aura des &ecirc;tres num&eacute;riques d&eacute;pend des dispositifs qui permettent leur fonctionnement et constituent leur expression mat&eacute;rielle. Il conviendra de distinguer l&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique (degr&eacute; de perception) de l&rsquo;effet de r&eacute;alit&eacute; (degr&eacute; d&rsquo;existence) qu&rsquo;ils produisent. (Vial, 2013, p. 284)&nbsp;<br /> Illustrons le propos : un face-&agrave;-face physique, d&rsquo;humain &agrave; humain sans interface technologique, pr&eacute;sente l&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique la plus intense qui soit&thinsp;; viennent ensuite l&rsquo;&eacute;change en visioconf&eacute;rence entre personnes (l&rsquo;interface technique &eacute;tant l&rsquo;ordinateur ou le smartphone), l&rsquo;&eacute;change t&eacute;l&eacute;phonique (l&rsquo;interface technique &eacute;tant le t&eacute;l&eacute;phone), puis l&rsquo;&eacute;change par SMS, ou autre application de type messagerie&hellip; Notons qu&rsquo;il est possible de b&eacute;n&eacute;ficier d&rsquo;un fort effet de r&eacute;alit&eacute;, tout en ayant une faible aura ph&eacute;nom&eacute;nologique. Concernant les &ecirc;tres technologiques, le constat de l&rsquo;auteur est sans appel : &laquo;&thinsp;les exp&eacute;riences du monde induites par l&rsquo;ontophanie num&eacute;rique poss&egrave;dent, malgr&eacute; la puissance in&eacute;dite de leurs effets de r&eacute;el, un assez bas degr&eacute; d&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique&thinsp;&raquo;. (Vial, 2013, p. 287) En cause, l&rsquo;interface num&eacute;rique que n&eacute;cessitent les &ecirc;tres techniques pour leur manifestation, qui ne pourra jamais offrir l&rsquo;exp&eacute;rience de vivre qu&rsquo;offre le face-&agrave;-face.<br /> &Agrave; la lumi&egrave;re de ces explications, quelle aura ph&eacute;nom&eacute;nologique pouvons-nous attribuer &agrave; l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;? Si l&rsquo;IAg est appr&eacute;hend&eacute;e en sa qualit&eacute; de dispositif technique et que son interface est indissociable &agrave; sa manifestation, alors nous pouvons par analogie avancer que son aura est plut&ocirc;t faible, en d&eacute;pit de ses effets de r&eacute;alit&eacute; forts.<br /> Il semble toutefois que l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative se distingue des autres &ecirc;tres num&eacute;riques, b&eacute;n&eacute;ficiant d&rsquo;une aura ph&eacute;nom&eacute;nologique &agrave; nul autre &ecirc;tre num&eacute;rique &eacute;gale. Certes, l&rsquo;IAg vient s&rsquo;ajouter &agrave; la liste des autres ontophanies num&eacute;riques, enrichissant les &laquo;&thinsp;cultures ontophaniques qui se cumulent autant qu&rsquo;elles se succ&egrave;dent&hellip;&thinsp;&raquo; (Vial, 2013, p. 273) Mais nous ne pouvons nier que les mod&egrave;les g&eacute;n&eacute;ratifs, par leurs capacit&eacute;s computationnelles et g&eacute;n&eacute;ratives in&eacute;gal&eacute;es, influencent notre perception et notre relation au monde d&rsquo;une mani&egrave;re qu&rsquo;aucun autre dispositif technique n&rsquo;a pu le r&eacute;aliser jusqu&rsquo;&agrave; lors. Cette singularit&eacute; nous emm&egrave;ne &agrave; sugg&eacute;rer la possibilit&eacute; pour l&rsquo;IAg d&rsquo;aboutir &agrave; de nouvelles &laquo;&thinsp;liaisons num&eacute;riques&thinsp;&raquo;, des situations in&eacute;dites d&rsquo;interaction &laquo;&thinsp;Homme-Machine&thinsp;&raquo; qui peuvent conduire &agrave; l&rsquo;accroissement de l&rsquo;intensit&eacute; de son aura ph&eacute;nom&eacute;nologique. N&rsquo;occultons pas ce qui constitue sans doute la raison d&eacute;terminante &agrave; cette &eacute;volution &mdash; le mode d&rsquo;interaction sp&eacute;cifique &agrave; cette technique, &agrave; savoir l&rsquo;utilisation du langage naturel. Cette particularit&eacute; intrins&egrave;que de l&rsquo;outil IAg ouvre la possibilit&eacute; &agrave; une potentielle assimilation anthropomorphique<sup>[5]&nbsp;</sup>de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative et modifie le degr&eacute; d&rsquo;intensit&eacute; avec lequel l&rsquo;IAg s&rsquo;offre &agrave; la perception humaine.<br /> La question de l&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique de l&rsquo;objet technique qu&rsquo;est l&rsquo;IAg reste un ph&eacute;nom&egrave;ne &agrave; explorer, et une enqu&ecirc;te qualitative sur le terrain avec une observation directe s&rsquo;av&eacute;rerait particuli&egrave;rement pertinente pour &eacute;tudier le degr&eacute; de perception des nouvelles configurations relationnelles &laquo;&thinsp;Homme-IAg&thinsp;&raquo;.</p> <h4>L&rsquo;autruiphanie num&eacute;rique : le cas de l&rsquo;IAg&nbsp;</h4> <p>Le concept d&rsquo;autruiphanie d&eacute;velopp&eacute; par S. Vial s&rsquo;articule autour de &laquo;&thinsp;la mani&egrave;re dont l&rsquo;autre nous appara&icirc;t et se donne &agrave; nous dans l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue en fonction de crit&egrave;res techniques&thinsp;&raquo;. Il s&rsquo;agit donc de &laquo;&thinsp;la mani&egrave;re dont l&rsquo;autrui se manifeste aujourd&rsquo;hui dans le champ de l&rsquo;exp&eacute;rience perceptive &agrave; travers les artefacts num&eacute;riques&thinsp;&raquo;. (Vial, 2014).&nbsp;<br /> La notion d&rsquo;autruiphanie est diff&eacute;rente de l&rsquo;aura ph&eacute;nom&eacute;nologique, dans la mesure o&ugrave; elle d&eacute;signe l&rsquo;ontophanie d&rsquo;autrui, le r&eacute;sultat de la production ph&eacute;nom&eacute;notechnique de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, comprise du point de vue de l&rsquo;exp&eacute;rience ph&eacute;nom&eacute;nologique qu&rsquo;en fait le sujet. Cet &laquo;&thinsp;Autre&thinsp;&raquo; qu&rsquo;on nomme &laquo;&thinsp;Autrui&thinsp;&raquo; n&rsquo;est pas dissociable des conditions techniques d&rsquo;apparition par lesquelles il s&rsquo;offre &agrave; la perception et &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience &agrave; vivre. Car les autruiphanies, qu&rsquo;elles soient de type face &agrave; face, t&eacute;l&eacute;phoniques, messag&egrave;res&hellip;, sont toujours des exp&eacute;riences technologiquement conditionn&eacute;es qui se manifestent &laquo;&thinsp;&agrave; travers le m&eacute;dium num&eacute;rique, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; travers les dispositifs informatis&eacute;s en r&eacute;seau qui structurent notre vie&thinsp;&raquo;. (Vial, 2014).&nbsp;<br /> Quelles nouvelles exp&eacute;riences perceptives l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative d&eacute;clenche-t-elle dans l&rsquo;expression de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&thinsp;? Quelle r&eacute;alit&eacute; vient-elle restructurer sur le plan ph&eacute;nom&eacute;nologique&thinsp;dans la rencontre de l&rsquo;autre&thinsp;? Pour tenter de r&eacute;pondre &agrave; ces questions, il conviendra de revenir sur les deux notions essentielles intervenant dans l&rsquo;expression de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; : celle du m&eacute;dium et de l&rsquo;artefact num&eacute;riques.</p> <p>Situons dans un premier temps le r&ocirc;le du m&eacute;dium num&eacute;rique dans l&rsquo;alert&eacute; : &agrave; la fois support et v&eacute;hicule de la rencontre de l&rsquo;autre, il est l&rsquo;interm&eacute;diaire qui inscrit l&rsquo;&eacute;metteur et le r&eacute;cepteur dans une nouvelle dynamique communicationnelle. Notons que les progr&egrave;s technologiques de ces derni&egrave;res ann&eacute;es ont propuls&eacute; le m&eacute;dium num&eacute;rique dans une dimension nouvelle &mdash; il est devenu algorithmique. Cette &eacute;volution, sp&eacute;cifie Pierre L&eacute;vy, est due &agrave; nos soci&eacute;t&eacute;s d&eacute;sormais datacentriques, o&ugrave; s&rsquo;&eacute;tablit un nouveau cadre relationnel au sein duquel &laquo;&thinsp;nos communications &mdash; &eacute;mettrices et r&eacute;ceptrices de donn&eacute;es &mdash; reposent sur une infrastructure de plus en plus complexe de manipulation automatique de symboles&thinsp;&raquo; que l&rsquo;auteur nomme &laquo;&thinsp;m&eacute;dium algorithmique&thinsp;&raquo;. (L&eacute;vy, 2015)<br /> Oui, l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est r&eacute;solument un m&eacute;dium algorithmique, puisqu&rsquo;elle repose sur des algorithmes d&rsquo;apprentissage automatique pour g&eacute;n&eacute;rer divers formats de contenus &mdash; texte, image, vid&eacute;o, audio&hellip; &mdash; issus de la manipulation computationnelle de datas et de symboles. Certes, un espace interactionnel et communicationnel se cr&eacute;e lorsque l&rsquo;outil d&rsquo;IAg est mobilis&eacute; par l&rsquo;humain, mais cet espace s&rsquo;av&egrave;re particuli&egrave;rement restreint. Nous pouvons affirmer que, si la production d&rsquo;informations cons&eacute;quente &agrave; l&rsquo;&eacute;change humain-IAg appara&icirc;t illimit&eacute;e, l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, quant &agrave; elle, est r&eacute;duite &agrave; sa forme la plus restreinte, &agrave; savoir un &eacute;change &agrave; deux. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une interaction bidirectionnelle o&ugrave; les r&ocirc;les d&rsquo;&eacute;metteur et de r&eacute;cepteur sont tenus &agrave; la fois par l&rsquo;humain et la machine, altern&eacute;s &agrave; chaque &eacute;tape de la communication.&nbsp;<br /> &Agrave; ce jour, les outils d&rsquo;IAg de type ChatGPT sont con&ccedil;us pour une communication exclusive entre un utilisateur unique et l&rsquo;IA. Cette particularit&eacute; des outils d&rsquo;IAg, et donc du m&eacute;dium num&eacute;rique devenu algorithmique, condamne l&rsquo;autruiphanie &agrave; l&rsquo;unilat&eacute;ralisme o&ugrave;, la seule ontophanie possible est celle de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative faisant irruption dans le champ perceptif de l&rsquo;homme. La r&eacute;ciproque est impossible, l&rsquo;IAg &eacute;tant incapable d&rsquo;exp&eacute;rience perceptive. &Agrave; noter toutefois qu&rsquo;avec le progr&egrave;s fulgurant de ces mod&egrave;les, il n&rsquo;est pas exclu qu&rsquo;&agrave; terme, l&rsquo;IAg permette une discussion simultan&eacute;e avec plusieurs utilisateurs humains dans la m&ecirc;me session. Il conviendra &agrave; ce moment de r&eacute;interroger la place qu&rsquo;occupera alors l&rsquo;IAg en sa qualit&eacute; de m&eacute;dium algorithmique dans l&rsquo;exp&eacute;rience ph&eacute;nom&eacute;nologique de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, o&ugrave; l&rsquo;&laquo;&thinsp;autre&thinsp;&raquo; redevient humain.&nbsp;</p> <p>Questionner le concept d&rsquo;artefact num&eacute;rique constitue une autre piste d&rsquo;analyse des possibles modulations de l&rsquo;expression de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; induites par l&rsquo;IAg. Comment en sa qualit&eacute; d&rsquo;artefact num&eacute;rique, l&rsquo;IAg transfigure-t-elle la mani&egrave;re dont l&rsquo;&laquo;&thinsp;autre&thinsp;&raquo; se r&eacute;v&egrave;le &agrave; nous&thinsp;?&nbsp;<br /> Le mot &laquo;&thinsp;artefact&thinsp;&raquo; est souvent utilis&eacute; comme &eacute;quivalent du terme &laquo;&thinsp;objet technique&thinsp;&raquo;. Pourtant, certains auteurs indiquent que &laquo;&thinsp;la d&eacute;finition de l&rsquo;artefact d&eacute;borde largement de l&rsquo;objet technique&thinsp;&raquo;. (Gar&ccedil;on, 2022). Pour expliquer ce d&eacute;passement, l&rsquo;auteure s&rsquo;appuie sur l&rsquo;analyse de Pierre Rabardel qui pr&eacute;cise que la notion d&rsquo;objet technique est davantage technocentr&eacute;e, tandis que celle d&rsquo;artefact permet une approche anthropocentrique. Ainsi l&rsquo;artefact &laquo;&thinsp;permet de penser les diff&eacute;rents types de relations du sujet &agrave; l&rsquo;objet ou au syst&egrave;me anthropotechnique : comme structure technique, dispositif fonctionnant, instrument.&thinsp;&raquo; (Gar&ccedil;on, 2022).&nbsp;<br /> Lise Verlaet (2022) rappelle que &laquo; les artefacts num&eacute;riques sont n&eacute;s des technologies num&eacute;riques et par cons&eacute;quent sont r&eacute;solument info-communicationnels &raquo;. L&rsquo;auteure souligne l&rsquo;importance de la notion d&rsquo;individualit&eacute; de l&rsquo;artefact num&eacute;rique dans la mesure o&ugrave; &laquo;&thinsp;elle vient conforter l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;on peut &mdash; sinon doit &mdash; penser l&rsquo;artefact num&eacute;rique comme un acteur &agrave; part enti&egrave;re de la situation de communication&thinsp;&raquo;. De m&ecirc;me que l&rsquo;artefact est aussi &laquo;&thinsp;porteur de signifiance<sup>[6]&nbsp;</sup>pour l&rsquo;acteur social, signifiance construite par la connaissance &agrave; travers le principe d&rsquo;interaction Homme-Machine&thinsp;&raquo;. (Verlaet, 2022).&nbsp;<br /> Quelle est la place de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative dans le monde des artefacts multiples&thinsp;? Peut-elle &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme un artefact num&eacute;rique capable de cognition&thinsp;? Dans l&rsquo;affirmative, l&rsquo;IAg peut-elle &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;e comme un agent ou un acteur &agrave; part enti&egrave;re, porteur de signifiance&thinsp;?&nbsp;<br /> Les artefacts num&eacute;riques deviennent cognitifs lorsque &laquo;&thinsp;construits comme des programmes et compris comme des agents r&eacute;solvants des probl&egrave;mes&thinsp;&raquo;, pr&eacute;cise Anne-Fran&ccedil;oise Gar&ccedil;on, citant Bruno Bachimont (1993). Elle ajoute que &laquo;&thinsp;parler d&rsquo;artefact cognitif signe donc un changement de statut, d&rsquo;actant &agrave; agent, voire acteur. (Gar&ccedil;on, 2022).<br /> Con&ccedil;ue comme un programme informatique aux propri&eacute;t&eacute;s computationnelles d&eacute;di&eacute;es &agrave; la g&eacute;n&eacute;ration de contenus divers, l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est incontestablement un artefact cognitif qui s&rsquo;inscrit dans une relation info-communicationnelle avec l&rsquo;humain. Pour autant, n&rsquo;est-il pas extravagant de lui conf&eacute;rer un statut d&rsquo;agent, voire d&rsquo;acteur&thinsp;?&nbsp;</p> <p>Comment faire la lumi&egrave;re sur ces nouvelles configurations ? Sans doute, leur appr&eacute;hension implique de prendre en consid&eacute;ration que &laquo; l&rsquo;intelligibilit&eacute; des artefacts num&eacute;riques consiste &agrave; cerner et comprendre les intrications g&eacute;n&eacute;r&eacute;es par le syst&egrave;me interactionnel acteur-artefact, et subs&eacute;quemment comprendre la co-construction de l&rsquo;homme et son milieu. &raquo; (Verlaet, 2022) Il serait quesion de la mise en place d&rsquo;un syst&egrave;me in&eacute;dit &agrave; travers lequel l&rsquo;autruiphanie num&eacute;rique s&rsquo;enrichirait d&rsquo;une nouvelle modalit&eacute; dont l&rsquo;analyse ph&eacute;nom&eacute;nologique reste &agrave; explorer sur le terrain.</p> <h2>Interroger les mises en rapport Homme-Machine</h2> <p>Que l&rsquo;on soit un enthousiaste convaincu des possibilit&eacute;s offertes par les mod&egrave;les d&rsquo;intelligence artificielle ou un lanceur d&rsquo;alerte sur leurs effets n&eacute;fastes pour l&rsquo;avenir de l&rsquo;homme, le constat reste le m&ecirc;me : les syst&egrave;mes d&rsquo;intelligence artificielle (SIA) sont durablement ancr&eacute;s dans nos quotidiens num&eacute;riques, tant au niveau personnel que professionnel. Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; moderne ind&eacute;niable dans laquelle &laquo;&thinsp;la condition humaine contemporaine tend &agrave; devenir une situation interactive g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;e.&thinsp;&raquo; (Vial, 2013) Les transformations auxquelles nous faisons face sont profondes et inscrivent notre monde dans un &laquo;&thinsp;mouvement de mise en num&eacute;rique g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; et d&rsquo;innovations technologiques, concernant tout autant les modalit&eacute;s de production que les transactions marchandes, les processus communicationnels ou encore la g&eacute;om&eacute;trie des collaborations &raquo;. (Pin&egrave;de, 2019).&nbsp;<br /> La question de la position de l&rsquo;Homme &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la machine n&rsquo;est pas nouvelle. En 1995, Pierre Rabardel interrogeait d&eacute;j&agrave; le statut des syst&egrave;mes d&rsquo;intelligence artificielle vis-&agrave;-vis de l&rsquo;homme : &laquo;&thinsp;Doivent-ils &ecirc;tre des proth&egrave;ses, sortes de b&eacute;quilles palliant les insuffisances des op&eacute;rateurs, ou au contraire des instruments les aidant &agrave; r&eacute;soudre les probl&egrave;mes et &agrave; traiter les situations qu&rsquo;ils rencontrent&thinsp;?&thinsp;&raquo; (Rabardel, 1995)&nbsp;<br /> Car &agrave; travers le statut conc&eacute;d&eacute; par l&rsquo;homme aux SIA, c&rsquo;est toute la question des interactions qui se trouve r&eacute;examin&eacute;e. Comme le pr&eacute;cise Rabardel, les mises en rapport des acteurs sociaux avec ces objets techniques sont conditionn&eacute;es par &laquo;&thinsp;leurs intentions, leurs usages, leurs fantasmes&thinsp;&raquo;. Et l&rsquo;irruption de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative dans la sph&egrave;re num&eacute;rique semble faire basculer les relations Homme-Machine dans une configuration &agrave; g&eacute;om&eacute;trie variable.</p> <h3>La question de l&rsquo;anthropomorphisme</h3> <p>Comment se met en place le m&eacute;canisme de l&rsquo;anthropomorphisme&thinsp;? Comment l&rsquo;homme peut-il consentir &agrave; accorder aux objets techniques, en l&rsquo;occurrence &agrave; l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative, des caract&eacute;ristiques propres &agrave; l&rsquo;esp&egrave;ce humaine&thinsp;? De quelle mani&egrave;re le m&eacute;canisme de l&rsquo;anthropomorphisme remod&egrave;le-t-il l&rsquo;interaction Homme-Machine&thinsp;?&nbsp;</p> <h4>L&rsquo;acte de nommer</h4> <p>Dans la mise en place de ce processus, Alexe&iuml; Grinbaum met en &eacute;vidence le r&ocirc;le du nom qu&rsquo;on donne &agrave; la machine. Ce serait pr&eacute;cis&eacute;ment l&rsquo;acte de nommer qui permettrait d&rsquo;entrer en communication et &laquo; d&rsquo;&eacute;tablir une relation et &agrave; mettre l&rsquo;autre dans son monde (&hellip;) ce n&rsquo;est pas le statut ontologique qui compte, c&rsquo;est la relation. Sur le plan relationnel, l&rsquo;autre fera partie de notre r&eacute;alit&eacute; et ira jusqu&rsquo;&agrave; nous influencer.&thinsp;&raquo; (Grinbaum, 2023) Quand on pense aux IA g&eacute;n&eacute;ratives &laquo;&thinsp;Claude&thinsp;&raquo; ou &laquo;&thinsp;Leonardo&thinsp;&raquo;, on peut raisonnablement supposer que les &eacute;quipes marketing des soci&eacute;t&eacute;s qui les ont d&eacute;velopp&eacute;es n&rsquo;ignoraient pas la puissance de l&rsquo;acte de nommer.&nbsp;</p> <h4>L&rsquo;importance du langage</h4> <p>Au-del&agrave; du nom, c&rsquo;est la question du langage qui doit &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e, quand il s&rsquo;agit d&rsquo;anthropomorphiser l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative. Car si elle ne poss&egrave;de pas de corps mat&eacute;riel dans le monde r&eacute;el (&agrave; l&rsquo;instar des robots), l&rsquo;IAg mobilise une caract&eacute;ristique humaine unique : le langage naturel. Citant Edgar Morin, L. Verlaet souligne l&rsquo;importance du langage dans la boucle r&eacute;cursive langage &mdash; pens&eacute;e &mdash; intelligence :&nbsp;<br /> &laquo;&thinsp;La cogitation (la pens&eacute;e) se formule par le langage, le langage permet &agrave; la cogitation de traiter, non seulement ce qui est ant&eacute;rieur au langage (l&rsquo;action, la perception, le souvenir, le r&ecirc;ve), mais aussi ce qui rel&egrave;ve du langage lui-m&ecirc;me, les discours, les id&eacute;es, les probl&egrave;mes.&thinsp;&raquo; (Morin, 1986, p.115)(Verlaet, 2022). &nbsp;<br /> C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment l&rsquo;aptitude &agrave; mobiliser le langage qui peut ouvrir la voie &agrave; des assimilations erron&eacute;es. Car c&rsquo;est &agrave; travers lui que &laquo; s&rsquo;exprime la pens&eacute;e consciente et le jugement humain &raquo; et sa simple utilisation &laquo; provoque une projection par les humains de connaissances, d&rsquo;affects et de jugements moraux sur la machine.&thinsp;&raquo; (Devillers, 2023)&nbsp;<br /> Le processus d&rsquo;anthropomorphisme se met en place d&rsquo;une mani&egrave;re insidieuse. L&rsquo;homme est conscient qu&rsquo;il est en face d&rsquo;un syst&egrave;me &laquo;&thinsp;parlant&thinsp;&raquo; non humain. Mais l&rsquo;utilisation du langage naturel, voire d&rsquo;une forme de &laquo;&thinsp;politesse bienveillante&thinsp;&raquo; dans les r&eacute;ponses de la part de la machine peut &ecirc;tre assimil&eacute;e &agrave; de &laquo;&thinsp;l&rsquo;empathie humaine &raquo;. Le processus semble prendre place de mani&egrave;re presque involontaire : &laquo;&thinsp;l&rsquo;anthropomorphisme est spontan&eacute;, on ne peut pas l&rsquo;emp&ecirc;cher (&hellip;) et on projette donc des connaissances, des &eacute;tats d&rsquo;&acirc;me, des &eacute;motions, voire des responsabilit&eacute;s&thinsp;&raquo; (Grinbaum, 2023)<br /> Si l&rsquo;on ne peut pas emp&ecirc;cher l&rsquo;anthropomorphisme, doit-on pour autant se r&eacute;signer &agrave; le subir&thinsp;? Comment &eacute;viter les effets n&eacute;gatifs de ce processus&thinsp;? Rappelons que les syst&egrave;mes d&rsquo;IA ne sont que des programmes ex&eacute;cutant des algorithmes math&eacute;matiques et que si leurs habilit&eacute;s computationnelles sont remarquables, ils ne poss&egrave;dent pas d&rsquo;aptitudes &agrave; la prise de d&eacute;cision, au discernement, et encore moins &agrave; l&rsquo;appr&eacute;hension du sens. Oui, &laquo;&thinsp;la technique est souvent consid&eacute;r&eacute;e comme oppos&eacute;e &agrave; la dimension de sens&thinsp;&raquo;, pr&eacute;cise B. Bachimont (2010, p. 23‑24), pourtant elle &laquo;&thinsp;v&eacute;hicule une authentique dimension de sens&hellip;&thinsp;&raquo;. L&rsquo;auteur rappelle toutefois que si la technique &laquo;&thinsp;permet d&rsquo;ouvrir de nouvelles dimensions du sens, d&rsquo;inventer de nouveaux possibles, la technique est aussi ce qui permet de les an&eacute;antir et de les r&eacute;duire &agrave; un pur utilitarisme&hellip;&thinsp;&raquo;&nbsp;<br /> La capacit&eacute; des agents conversationnels de &laquo;&thinsp;converser&thinsp;&raquo; en langage naturel ne leur octroie pas pour autant la comp&eacute;tence de compr&eacute;hension du sens des mots qu&rsquo;ils produisent. Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;un leurre dialogique, d&rsquo;un &laquo;&thinsp;simulacre de conversation&thinsp;&raquo;, et il est essentiel de garder en m&eacute;moire que &laquo;&thinsp;la signification est uniquement celle que les humains projettent sur les textes produits par le syst&egrave;me d&rsquo;IA, car ils poss&egrave;dent une interpr&eacute;tation des mots dans le monde r&eacute;el&thinsp;&raquo;. (Devillers, 2023). L&rsquo;absence de prise de recul sur le contenu produit par l&rsquo;IAg peut avoir des &laquo;&thinsp;cons&eacute;quences terribles si les textes g&eacute;n&eacute;r&eacute;s sont des recommandations pour des d&eacute;cisions critiques dans des situations &agrave; risques&thinsp;&raquo;, ajoute l&rsquo;auteure.<br /> Les possibles transferts de responsabilit&eacute;s de l&rsquo;homme &agrave; la machine rendent l&rsquo;enjeu de l&rsquo;anthropomorphisme crucial. C&rsquo;est encore plus vrai depuis les progr&egrave;s technologiques de juin 2024, date &agrave; laquelle le laboratoire de recherche en IAg, Kyutai, a franchi une nouvelle &eacute;tape avec Moshi&nbsp;&mdash; une IA innovante qui a pass&eacute; le test de Turing haut la main et qui &laquo;&thinsp;converse de vive voix&thinsp;&raquo; avec l&rsquo;humain.<br /> Ainsi, pour se pr&eacute;munir de l&rsquo;influence et des &laquo;&thinsp;projections de sens&thinsp;&raquo; il est n&eacute;cessaire &laquo;&thinsp;d&rsquo;avoir compris comment le langage est g&eacute;n&eacute;r&eacute; par la machine et &eacute;galement d&rsquo;avoir suivi un entra&icirc;nement &agrave; l&rsquo;utilisation de ces outils&thinsp;&raquo; (Devillers, 2023).&nbsp;<br /> Reste &agrave; savoir &agrave; qui revient alors la t&acirc;che d&rsquo;acculturation et de construction d&rsquo;esprit critique vis-&agrave;-vis des SIA. Aux parents, qui n&rsquo;ont pas ou peu manipul&eacute; les outils g&eacute;n&eacute;ratifs&thinsp;? Au corps professoral en plein questionnement sur la place de l&rsquo;IAg dans l&rsquo;enseignement&thinsp;? Aux chefs d&rsquo;entreprise s&eacute;duits par les promesses de gains en productivit&eacute; et baisse de co&ucirc;ts&thinsp;? Il n&rsquo;est pas certain que la seule d&eacute;marche individuelle et autoapprenante, sous l&rsquo;influence de discours vantant les prouesses des outils g&eacute;n&eacute;ratifs, suffise pour garantir le d&eacute;veloppement d&rsquo;une habilit&eacute; &agrave; contextualiser et &agrave; prendre du recul&hellip;</p> <h3>La question relationnelle : h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute;, multiplicit&eacute; et asym&eacute;trie des rapports observ&eacute;s</h3> <p>Les &eacute;tudes sur les interactions homme-artefact, homme-robot, homme-IA ne manquent pas dans la litt&eacute;rature. Pourtant, en dehors des premi&egrave;res r&eacute;flexions sur la potentielle assimilation anthropomorphique due &agrave; l&rsquo;utilisation du langage naturel, la question des mises en rapport homme-IA g&eacute;n&eacute;rative est relativement peu abord&eacute;e dans les travaux scientifiques &agrave; ce stade. En effet, l&rsquo;arriv&eacute;e r&eacute;cente des outils d&rsquo;IAg n&rsquo;a pas encore permis une installation p&eacute;renne des usages et les rapports interactionnels sont en cours de configuration. L&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est un &eacute;cosyst&egrave;me en voie de structuration et les observations sur le terrain sont encore rares.<br /> Pourtant, des organismes gouvernementaux et institutionnels interrogent d&eacute;j&agrave; ces mises en rapport naissantes, avec une attention particuli&egrave;re sur les usages et les effets de l&rsquo;IA au travail. Notons &agrave; cet &eacute;gard l&rsquo;enqu&ecirc;te quantitative men&eacute;e en 2022 par LaborIA, projet de recherche-action de l&rsquo;INRIA et du minist&egrave;re du Travail, dont l&rsquo;objectif est de dresser un premier panorama des modalit&eacute;s d&rsquo;usages, du niveau de maturit&eacute; et des impacts de l&rsquo;intelligence artificielle dans les entreprises et les organisations publiques. (questionnaire lanc&eacute; juste avant l&rsquo;arriv&eacute;e massive des IA g&eacute;n&eacute;ratives). Les r&eacute;sultats mettent en exergue les &eacute;carts de perception des impacts de l&rsquo;intelligence artificielle au travail : les utilisateurs effectifs des SIA consid&egrave;rent &agrave; 73 % que l&rsquo;impact de l&rsquo;IA sur le travail est &laquo;&thinsp;plut&ocirc;t positif&thinsp;&raquo;, tandis que ce taux tombe &agrave; 45 % pour les non-utilisateurs d&rsquo;IA<sup>[7]</sup>. Ceci d&eacute;montre l&rsquo;importance de la compr&eacute;hension, la connaissance et l&rsquo;acculturation &agrave; l&rsquo;IA, des pr&eacute;alables essentiels &agrave; la mise en rapport Homme-Machine.&nbsp;<br /> Dans quel mod&egrave;le de liaisons pouvons-nous alors envisager d&rsquo;inscrire l&rsquo;Homme et l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;? Ce mod&egrave;le existe-t-il, ou est-il &agrave; inventer&thinsp;? Les &eacute;tudes d&eacute;montrent de grandes multiplicit&eacute;s et h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute;s dans les rapports observ&eacute;s.</p> <h4>Diversit&eacute; des mises en rapport &laquo;&thinsp;Homme &mdash; machine parlante&thinsp;&raquo;</h4> <p>Pour Julia Vlkovska et Marc Relieu, &eacute;tablir un mod&egrave;le unique pour d&eacute;finir les interactions Homme-Machine et plus sp&eacute;cifiquement &laquo;&thinsp;machine parlante&thinsp;&raquo; semble difficile, &laquo;&thinsp;tant les articulations observ&eacute;es sont multiples&thinsp;&raquo;. Les auteurs font le constat de &laquo;&thinsp;configurations relationnelles plurielles, porteuses de mises en rapport et de collaborations heureuses, mais aussi d&rsquo;ennui, d&rsquo;ambivalences, de troubles et de difficult&eacute;s directement li&eacute;s &agrave; la technologie des agents conversationnels et aux diff&eacute;rences qui les s&eacute;parent des interlocuteurs humains.&thinsp;&raquo; (Velkovska &amp; Relieu, 2021)<br /> Dans une &eacute;tude portant sur les interactions acteurs sociaux &mdash; robots, Claude Rosental conclut &agrave; une grande diversit&eacute; d&rsquo;interactions constatant des &laquo;&thinsp;difficult&eacute;s importantes rencontr&eacute;es par les humains pour interagir avec les agents conversationnels&thinsp;&raquo;, mais aussi des &laquo;&thinsp;interactions fructueuses permises par le recours &agrave; l&rsquo;intelligence artificielle dans la conception des dispositifs&thinsp;&raquo;. (Rosental, 2021). Alors que trop souvent les regards se concentrent sur la machine et la mani&egrave;re dont son statut ontologique viendrait moduler ces interactions, Claude Rosental interroge l&rsquo;emploi du terme &laquo;&thinsp;humain&thinsp;&raquo;. La question est de savoir si l&rsquo;on peut consid&eacute;rer que les individus qui interagissent avec les machines sont des &laquo;&thinsp;repr&eacute;sentants interchangeables de l&rsquo;esp&egrave;ce humaine&thinsp;?&thinsp;&raquo; L&rsquo;auteur cite les travaux de Justine Cassel (2020) qui d&eacute;fend l&rsquo;id&eacute;e contraire : &laquo;&thinsp;les individus ne semblent pas interchangeables&thinsp;&raquo;, car &laquo;&thinsp;ils sont dot&eacute;s d&rsquo;une certaine &eacute;paisseur sociologique&thinsp;&raquo;. (Rosental, 2021)<br /> Soulever la question de l&rsquo;individu en tant qu&rsquo;&ecirc;tre singulier interagissant avec une l&rsquo;intelligence artificielle se justifie &agrave; plein d&rsquo;&eacute;gards. L&rsquo;humain est appr&eacute;hend&eacute; par ses croyances, comp&eacute;tences et apprentissages individuels. Mais il est aussi le r&eacute;sultat d&rsquo;un construit social, et il conviendra de prendre en consid&eacute;ration l&rsquo;ensemble de ces &eacute;l&eacute;ments dans la compr&eacute;hension des interactions qu&rsquo;il met en place avec les IA g&eacute;n&eacute;ratives. Rappelons d&egrave;s lors l&rsquo;importance de sortir des exp&eacute;riences de laboratoire pour s&rsquo;inscrire dans une logique d&rsquo;observation sur le terrain.</p> <h4>Vers une compl&eacute;mentarit&eacute; Homme-Machine</h4> <p>La question de la compl&eacute;mentarit&eacute; est une des approches constituantes des interactions Homme-Machine. Le rapport Villani de 2018<sup>[8]</sup>&nbsp;pr&eacute;cisait d&eacute;j&agrave; la n&eacute;cessit&eacute; de travailler collectivement au d&eacute;veloppement d&rsquo;une IA &laquo;&thinsp;capacitante&thinsp;&raquo; qui s&rsquo;inscrit dans une logique de compl&eacute;mentarit&eacute; et de parit&eacute; avec l&rsquo;humain notamment au travail.&nbsp;<br /> Pour Daniel Andler, il existe une notion de &laquo; compl&eacute;ment d&rsquo;intelligence&thinsp;&raquo; :&nbsp;&laquo;&thinsp;L&rsquo;humain s&rsquo;appuie individuellement ou collectivement sur des outils informatiques con&ccedil;us par l&rsquo;IA (&hellip;) ces outils apportent un compl&eacute;ment d&rsquo;intelligence nettement s&eacute;par&eacute; : l&rsquo;intelligence augment&eacute;e est alors le r&eacute;sultat d&rsquo;une addition de la contribution humaine et du compl&eacute;ment&thinsp;&raquo; (Andler, 2023)<br /> Pour Fran&ccedil;ois Cazals et Chantal Cazals, auteurs du livre Intelligence artificielle : L&rsquo;intelligence amplifi&eacute;e par la technologie, humains et machines doivent travailler en compl&eacute;mentarit&eacute; et non en opposition ; une approche qu&rsquo;ils nomment &laquo; l&rsquo;intelligence amplifi&eacute;e&thinsp;&raquo;. &nbsp;Mais ils pr&eacute;cisent &eacute;galement que la condition pr&eacute;alable r&eacute;side en la formation : &laquo;&thinsp;Avant toute chose, nous avons un devoir d&rsquo;&eacute;duquer nos enfants d&egrave;s le plus jeune &acirc;ge au monde du num&eacute;rique, avant que Google et Facebook ne s&rsquo;en occupent&thinsp;&raquo; (Bernard, 2021)&nbsp;</p> <h4>Collaboration, coop&eacute;ration, partenariat versus aide, assistance&nbsp;</h4> <p>L&rsquo;Agence Nationale de la Recherche (ANR) s&rsquo;est saisie du sujet de la collaboration Homme-Machine dans une approche de &laquo;&thinsp;processus continus de construction de connaissances&thinsp;&raquo;. &Agrave; travers le projet Kolflow, l&rsquo;objectif consiste &agrave; aborder la question de la coordination de l&rsquo;action des agents humains et automatiques partageant des contenus formels et informels &agrave; une grande &eacute;chelle. La collaboration Homme-Machine est interrog&eacute;e du point de vue humain (comment rendre la connaissance formelle et son &eacute;volution accessible, utilisable, modifiable et compr&eacute;hensible par des humains), mais aussi du point de vue machine (comment prendre en compte les comportements humains impr&eacute;vus qui peuvent &agrave; tout moment ajouter ou modifier des contenus et des connaissances formelles avec le risque de produire de l&rsquo;incoh&eacute;rence ou de l&rsquo;incertitude&thinsp;) Les r&eacute;sultats &agrave; venir fourniront ind&eacute;niablement des cl&eacute;s de compr&eacute;hension sur le processus commun de construction de connaissances.<br /> Dans une &eacute;tude tr&egrave;s compl&egrave;te sur les &eacute;volutions de l&rsquo;IA et les enjeux pour la relation humain &mdash; machine, M. Zouinar aborde les diff&eacute;rents mod&egrave;les de rapports propos&eacute;s dans la litt&eacute;rature scientifique. Ainsi la collaboration, dans le sens &laquo;&thinsp;travail d&rsquo;&eacute;quipe&thinsp;&raquo; &mdash; teamwork &raquo; est une approche propos&eacute;e par D. Norman (2017) qui consid&egrave;re que les SAI sont des &laquo;&thinsp;collaborateurs&thinsp;&raquo; et pas des substituts &agrave; l&rsquo;humain. Toujours dans la m&ecirc;me vision, l&rsquo;auteur cite Davenport et Kirby (2016) qui stipulent qu&rsquo;il convient de &laquo;&thinsp;consid&eacute;rer les machines intelligentes comme des partenaires, des collaborateurs dans le travail du savoir&thinsp;&raquo;. Mais avant tout, M. Zouinar souligne la difficult&eacute; d&rsquo;appr&eacute;hension du concept de collaboration, de coop&eacute;ration, ou de partenariat dans la mesure o&ugrave; cela suppose de consid&eacute;rer la machine comme un &ecirc;tre &laquo;&thinsp;coop&eacute;ratif&thinsp;&raquo; et que la complexit&eacute; de la coop&eacute;ration humaine serait transf&eacute;rable sur une coop&eacute;ration Homme-Machine. Selon l&rsquo;auteur, les termes de collaboration, de coop&eacute;ration et de partenariat rel&egrave;vent davantage de la m&eacute;taphore, alors que les notions d&rsquo;assistance, d&rsquo;aide, ou de configuration semblent plus ad&eacute;quates, car plus neutres du point de vue ontologique et plus proches de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;art technique des SAI aujourd&rsquo;hui. (Zouinar, 2020)</p> <h3>La question de l&rsquo;importance du contexte&nbsp;</h3> <p>Le contexte dans lequel les relations se configurent appara&icirc;t comme un &eacute;l&eacute;ment essentiel et structurant. Quel est le cadre dans lequel l&rsquo;homme entre en contact avec l&rsquo;IAg&thinsp;? S&rsquo;agit-il d&rsquo;un environnement professionnel ou personnel&thinsp;? Dans quel but&thinsp;? Est-ce pour un cas d&rsquo;usage r&eacute;cr&eacute;atif, &eacute;ducatif, culturel, promotionnel, commercial&hellip;&thinsp;? Le secteur d&rsquo;activit&eacute;, le m&eacute;tier, la fonction, l&rsquo;objectif vis&eacute;&hellip; sont autant d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments qui exercent une influence sur la mani&egrave;re dont les interactions avec les machines se d&eacute;ploient.<br /> Les auteurs s&rsquo;accordent sur le fait que les outils num&eacute;riques tendent &agrave; &laquo;&thinsp;reconfigurer les modalit&eacute;s d&rsquo;action, de collaboration, d&rsquo;&eacute;changes, de production, la place de l&rsquo;humain&thinsp;&raquo; (Pin&egrave;de, 2019). Mais &laquo;&thinsp;la cat&eacute;gorie IA occulte la multiplicit&eacute; des dispositifs, des pratiques et des contextes d&rsquo;usage&thinsp;&raquo; sp&eacute;cifient Julia Velkovska et Marc Relieu. De nouvelles liaisons Homme-IA sont en cours de structuration et exposent &agrave; une redistribution du travail et &agrave; l&rsquo;&eacute;volution des m&eacute;tiers. Les futures configurations sont &agrave; appr&eacute;hender &agrave; la lumi&egrave;re des diff&eacute;rents niveaux de contextes : &laquo;&thinsp;contextes d&rsquo;interaction, contextes d&rsquo;usage, contextes organisationnels, politiques et contextes socioculturels&thinsp;&raquo; sans oublier de &laquo;&thinsp;prendre en compte l&rsquo;&eacute;paisseur sociale et culturelle des utilisateurs, plut&ocirc;t que de les traiter comme interchangeables&thinsp;&raquo;. (Velkovska &amp; Relieu, 2021)</p> <h4>Configurations &laquo;&thinsp;ali&eacute;nantes ou capacitantes&thinsp;&raquo;</h4> <p>En 2024, le rapport d&rsquo;enqu&ecirc;te de LaborIA sur les effets de l&rsquo;IA au travail (premi&egrave;re zone d&rsquo;exp&eacute;rimentation op&eacute;r&eacute;e par Matrice, institut d&rsquo;innovation technologique et sociale en partenariat avec Inria) fait appara&icirc;tre deux axes de d&eacute;ploiement de l&rsquo;IA qui sont en tension, pr&eacute;sent&eacute;s sous le nom de &laquo;&thinsp;conflit de rationalit&eacute;&thinsp;&raquo;. Du fait de la coexistence de deux logiques en opposions &mdash; celle du gestionnaire/concepteur et celle du salari&eacute; &mdash; se cr&eacute;ent des ambigu&iuml;t&eacute;s et des contradictions. &nbsp;Le rapport pr&eacute;cise que &laquo;&thinsp;les SIA sont aussi bien per&ccedil;us comme des assistants utiles (gain de temps, facilitation du travail) que comme une source de menace (pour l&rsquo;emploi ou le contenu du travail)&thinsp;&raquo;. Cette m&ecirc;me &eacute;tude souligne que l&rsquo;absence de compromis entre les deux logiques (gestionnaire/salari&eacute;) peut conduire &agrave; &laquo;&thinsp;des configurations Homme-Machine ali&eacute;nantes (avec exc&egrave;s de confiance ou de prudence &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de l&rsquo;IA, pertes de comp&eacute;tences et d&rsquo;autonomie&hellip;) dans lesquelles les salari&eacute;s se sentent d&eacute;poss&eacute;d&eacute;s de leur travail &raquo;. &Agrave; contrario, un compromis de rationalit&eacute; r&eacute;ussi &laquo; fait na&icirc;tre des configurations capacitances dans lesquelles les SAI augmentent les capacit&eacute;s humaines&thinsp;&raquo;. (Borel, 2024)<br /> Sans doute convient-il de suivre les recommandations des partisans de l&rsquo;IA qui donnent le conseil suivant : &laquo;&thinsp;Pour tirer le b&eacute;n&eacute;fice de l&rsquo;intelligence artificielle sans risquer de nous livrer &agrave; elle, nous devons faire en sorte qu&rsquo;au sein des attelages humains-machines les r&ocirc;les soient strictement d&eacute;finis. (Andler, 2023, p. 362)&thinsp;<br /> Dans un contexte o&ugrave; la dynamique des technologies tend &agrave; influer sur nos quotidiens personnels et professionnels, &laquo;&thinsp;la place des &eacute;tudes d&rsquo;usages devrait selon nous &ecirc;tre affirm&eacute;e avec force&thinsp;&raquo; (Badillo &amp; P&eacute;lissier, 2015). D&egrave;s lors, la constitution d&rsquo;une cartographie des usages de l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative nous appara&icirc;t comme une &eacute;tape pr&eacute;alable et indispensable &agrave; toute &eacute;tude des interactions homme-IAg, et des &eacute;ventuelles modulations des pratiques info-communicationnelles.<br /> &nbsp;</p> <h2>Conclusion</h2> <p>Depuis son entr&eacute;e en sc&egrave;ne remarquable, l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative ne cesse de gagner du terrain dans de nombreux secteurs d&rsquo;activit&eacute; et on ne peut ignorer ni les d&eacute;fis qu&rsquo;elle impose ni les enjeux qu&rsquo;elle soul&egrave;ve : &laquo;&thinsp;l&rsquo;IA et surtout l&rsquo;IA g&eacute;n&eacute;rative (IAg) se sont install&eacute;es quotidiennement dans les d&eacute;bats sur la transformation de nombreuses activit&eacute;s humaines&hellip;&thinsp;&raquo; (Chartron, 2023)<br /> L&rsquo;exploration ontologique de l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative souligne avec force l&rsquo;impermanence du concept. Elle fait appara&icirc;tre non seulement une nature plurielle et prot&eacute;iforme, mais aussi un caract&egrave;re l&rsquo;ambivalent, propre &agrave; toutes les techniques.&nbsp;Ainsi, la notion d&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative ne semble pas encore &eacute;tablie comme valeur stable et unique dans le langage courant et recouvre une multitude de r&eacute;alit&eacute;s de compr&eacute;hension, d&rsquo;usages et d&rsquo;interactions communicationnelles. Tenter de d&eacute;finir l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative, en la r&eacute;sumant &agrave; sa seule capacit&eacute; &agrave; g&eacute;n&eacute;rer des contenus multiples, semble non pertinent, car nous sommes en pr&eacute;sence d&rsquo;une &laquo;&thinsp;dichotomie dans la compr&eacute;hension et l&rsquo;application du terme IA g&eacute;n&eacute;rative&thinsp;&raquo;. (Garc&iacute;a-Pe&ntilde;alvo &amp; V&aacute;zquez-Ingelmo, 2023). Certes, l&rsquo;IAg est souvent associ&eacute;e aux contenus qu&rsquo;elle produit, mais elle peut aussi &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;e &agrave; travers une grande vari&eacute;t&eacute; de processus de g&eacute;n&eacute;ration par conversion, de m&ecirc;me que par la multitude de techniques permettant aux syst&egrave;mes d&rsquo;IAg de performer. Ainsi, la m&eacute;taphore de la for&ecirc;t digitale et ses trois strates &mdash; la canop&eacute;e (contenus), le sous-bois (processus de conversion), le parterre (techniques) &mdash; sied on ne peut mieux &agrave; l&rsquo;image de l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me prolifique que repr&eacute;sente l&rsquo;IAg.<br /> La question de &laquo;&thinsp;l&rsquo;intelligence&thinsp;&raquo; de l&rsquo;IA &mdash; sujet qui ne fait pas consensus &mdash; met en &eacute;vidence des comp&eacute;tences ind&eacute;niables pour la r&eacute;solution de probl&egrave;mes par la ma&icirc;trise de m&eacute;thodes math&eacute;matiques et autres programmes informatiques. Mais si l&rsquo;intelligence artificielle poss&egrave;de des aptitudes computationnelles d&eacute;sormais ph&eacute;nom&eacute;nales, &laquo;&thinsp;elle ne comprend pas le monde au sens o&ugrave; les humains le comprennent&thinsp;; elle n&rsquo;est pas une qualit&eacute; unique permettant d&rsquo;accomplir l&rsquo;ensemble des t&acirc;ches dont les humains sont capables&thinsp;&raquo; (Andler, 2023, p. 47). Pourtant, la technique de l&rsquo;IAg ouvre aussi la voie &agrave; de nouvelles perspectives pour la mat&eacute;rialisation de la pens&eacute;e humaine. Elle agit comme un amplificateur des facult&eacute;s id&eacute;atives humaines : en facilitant leur corporisation, elle permet l&rsquo;hyperg&eacute;n&egrave;se id&eacute;ative. Mais par ce m&ecirc;me m&eacute;canisme ambivalent, elle peut conduire &agrave; un r&eacute;tr&eacute;cissement id&eacute;atif, tel un goulet d&rsquo;&eacute;tranglement qui, pouss&eacute; &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me, conduit &agrave; l&rsquo;hypog&eacute;n&egrave;se id&eacute;ative.<br /> Du point de vue de l&rsquo;ontophanie num&eacute;rique, l&rsquo;IAg confirme sa nature polys&eacute;mique et polymorphe. Elle est, dans le m&ecirc;me temps, un m&eacute;dium num&eacute;rique et algorithmique, mais aussi un artefact num&eacute;rique et cognitif dot&eacute; d&rsquo;une certaine agentivit&eacute; fonctionnelle. Cette ph&eacute;nom&eacute;nalit&eacute; prot&eacute;iforme reconfigure l&rsquo;espace interactionnel Homme-Machine : on observe un possible glissement anthropomorphique, mais aussi l&rsquo;instauration de situations communicationnelles multiples et h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes, tant&ocirc;t ali&eacute;nantes ou au contraire capacitantes.&nbsp;<br /> Alors, de quoi l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est-elle la r&eacute;volution&thinsp;? De quelles ph&eacute;nom&eacute;nologies est-elle le d&eacute;clencheur ? Nous empruntons les mots de S.Vial pour avancer le postulat suivant : l&rsquo;intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative est une &laquo;&thinsp;r&eacute;volution ph&eacute;nom&eacute;nologique, c&rsquo;est-&agrave;-dire une r&eacute;volution de la perception&thinsp;&raquo;, dans la mesure o&ugrave; elle &laquo;&thinsp;&eacute;branle nos habitudes perceptives de la mati&egrave;re et, corr&eacute;lativement, l&rsquo;id&eacute;e m&ecirc;me que nous nous faisons de la r&eacute;alit&eacute;&thinsp;&raquo;.&nbsp;<br /> Quelle est cette nouvelle r&eacute;alit&eacute; que l&rsquo;IAg tend &agrave; instaurer&thinsp;? Quelles nouvelles attitudes ou repr&eacute;sentations s&rsquo;installent au fil des interactions avec les agents artificiels&thinsp;? Si le langage naturel n&rsquo;est plus le seul apanage de l&rsquo;Homme, comment son usage par la machine influe-t-il sur la cr&eacute;ation de sens, la subjectivit&eacute; et la multiplicit&eacute; des interpr&eacute;tations&thinsp;? Ces questionnements ouvrent la voie &agrave; de nouvelles investigations sur le terrain, o&ugrave; &laquo;&thinsp;l&rsquo;observation des pratiques, qu&rsquo;elles soient individuelles ou collectives, n&eacute;cessite alors d&rsquo;adopter une approche de l&rsquo;action envisag&eacute;e comme un processus en tension entre les savoirs mobilisables, les comp&eacute;tences imm&eacute;diates, les habitus, les arts de faire, les d&eacute;sirs d&rsquo;agir&hellip;&thinsp;&raquo; (Chaudiron &amp; Ihadjadene, 2010).&nbsp;<br /> &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup>[1] </sup>Source&nbsp;: <a href="https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20200827STO85804/intelligence-artificielle-definition-et-utilisation">Parlement Europ&eacute;en</a></p> <p><sup>[2]</sup> L&rsquo;expression &laquo;&nbsp;soci&eacute;t&eacute; num&eacute;rique&nbsp;&raquo; fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;information ou soci&eacute;t&eacute; en r&eacute;seaux, avec la technique pour &eacute;l&eacute;ment constitutif. (Compi&egrave;gne, 2010)</p> <p><sup>[3]</sup> R&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire &laquo;&nbsp;Les liaisons dangereuses&nbsp;&raquo; de Pierre Choderlos de Laclos d&eacute;cortiquant le processus de duperie dans la mise en place d&rsquo;un simulacre relationnel.</p> <p><sup>[4]&nbsp;</sup>Partie de la philosophie qui a pour objet l&#39;&eacute;tude des propri&eacute;t&eacute;s les plus g&eacute;n&eacute;rales de l&#39;&ecirc;tre, telles que l&#39;existence, la possibilit&eacute;, la dur&eacute;e, le devenir. ET [Dans la pens&eacute;e contemporaine, notamment dans la ph&eacute;nom&eacute;nologie et l&#39;existent.] Partie de la philosophie qui a pour objet l&#39;&eacute;lucidation du sens de l&#39;&ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; simultan&eacute;ment en tant qu&#39;&ecirc;tre g&eacute;n&eacute;ral, abstrait, essentiel et en tant qu&#39;&ecirc;tre singulier, concret, existentiel. Source : <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/ontologie">Cnrtl.fr</a></p> <p><sup>[5]&nbsp;</sup>L&rsquo;anthropomorphisme est compris ici dans le sens de la caract&eacute;ristique d&rsquo;un m&eacute;canisme (IAg) qui rappelle l&rsquo;humain, &agrave; savoir l&rsquo;utilisation du langage naturel.</p> <p><sup>[6]&nbsp;</sup>Note de L. Verlaet : la &laquo; signifiance &raquo; entend d&eacute;passer le sens rationnel g&eacute;n&eacute;ralement attribu&eacute; &agrave; la &laquo; signification &raquo; tout en y int&eacute;grant la subjectivit&eacute; des acteurs-interpr&eacute;tants, consid&eacute;rant que l&rsquo;&laquo; on ne peut tenir pour n&eacute;gligeable l&rsquo;intelligence &lsaquo; &eacute;motionnelle &rsaquo; dont la port&eacute;e est affective ou sensible, li&eacute;e &agrave; un v&eacute;cu et des souvenirs personnels &raquo; (Leleu-Merviel, 2004, p.127).</p> <p><sup>[7] </sup>Source&nbsp;: <a href="https://www.laboria.ai/rapport-denquete-usages-et-impacts-de-ia-sur-le-travail/">LaborIA</a></p> <p><sup>[8]&nbsp;</sup>Source&nbsp;:<sup> </sup>Donner un sens &agrave; l&rsquo;intelligence artificielle, <a href="https://fichiers.acteurspublics.com/redac/pdf/2018/2018-03-28_Rapport-Villani.pdf">Rapport Villani 2018</a></p> <p><sup>[9]&nbsp;</sup>Source&nbsp;: <a href="https://www.laboria.ai/laboria-explorer-synthese-generale/">LaborIA Explorer - Synth&egrave;se g&eacute;n&eacute;rale</a></p> <p>&nbsp;</p> <h2>Bibliographie</h2> <p style="text-align: left;">Alombert, A. 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Rapha&euml;l Enthoven : &ldquo;L&rsquo;esprit est cette &eacute;trange &eacute;toffe dont l&rsquo;humanit&eacute; est faite et que la machine ne synth&eacute;tise pas&rdquo;. <em>Philosophie magazine</em>. <a href="https://www.philomag.com/articles/raphael-enthoven-lesprit-est-cette-etrange-etoffe-dont-lhumanite-est-faite-et-que-la" rel="noopener" target="_new">https://www.philomag.com/articles/raphael-enthoven-lesprit-est-cette-etrange-etoffe-dont-lhumanite-est-faite-et-que-la</a></p> <p style="text-align: left;">Ganascia, J.-G. (2024, avril 29). <em>Intelligence artificielle g&eacute;n&eacute;rative</em>. Encyclop&aelig;dia Universalis. <a href="https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/intelligence-artificielle-generative" rel="noopener" target="_new">https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/intelligence-artificielle-generative</a></p> <p style="text-align: left;">Garc&iacute;a-Pe&ntilde;alvo, F., &amp; V&aacute;zquez-Ingelmo, A. (2023). What do we mean by GenAI? 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Questionner &laquo; l&rsquo;intelligence &raquo; des machines. <em>Multitudes</em>, 78(1), 134‑141. <a href="https://doi.org/10.3917/mult.078.0134" rel="noopener" target="_new">https://doi.org/10.3917/mult.078.0134</a></p> <p style="text-align: left;">Marsault, X., &amp; Nguyen, H. M.-C. (2022, octobre 19). Les GANs : Stimulateurs de cr&eacute;ativit&eacute; en phase d&rsquo;id&eacute;ation. <em>HAL-SHS : Architecture</em>. <a href="https://doi.org/10.1051/shsconf/202214706003" rel="noopener" target="_new">https://doi.org/10.1051/shsconf/202214706003</a></p> <p style="text-align: left;">Pallanca, O., &amp; Read, J. (2021). Principes g&eacute;n&eacute;raux et d&eacute;finitions en intelligence artificielle. <em>Archives des Maladies du Coeur et des Vaisseaux - Pratique</em>, 294, 3‑10. <a href="https://doi.org/10.1016/j.amcp.2020.11.002" rel="noopener" target="_new">https://doi.org/10.1016/j.amcp.2020.11.002</a></p> <p style="text-align: left;">Pin&egrave;de, N. (2019). Introduction. 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Pour une conception &laquo; situ&eacute;e &raquo; de l&rsquo;intelligence artificielle : Des interactions hybrides aux configurations socio-techniques. <em>R&eacute;seaux</em>, 229(5), 215‑229. <a href="https://doi.org/10.3917/res.229.0215" rel="noopener" target="_new">https://doi.org/10.3917/res.229.0215</a></p> <p style="text-align: left;">Verlaet, L. (2022). Le constructivisme num&eacute;rique : Mod&egrave;le &eacute;pist&eacute;mologique pour concevoir des artefacts num&eacute;riques. <a href="https://doi.org/10.34745/NUMEREV_1860" rel="noopener" target="_new">https://doi.org/10.34745/NUMEREV_1860</a></p> <p style="text-align: left;">Vial, S. (2013). <em>L&rsquo;&ecirc;tre et l&rsquo;&eacute;cran : Comment le num&eacute;rique change la perception</em>. Presses Universitaires de France.</p> <p style="text-align: left;">Vial, S. (2014). 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