<p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Comme le dit justement Bruno Bachimont &laquo;&nbsp;Le num&eacute;rique r&eacute;duit la r&eacute;alit&eacute; qu&rsquo;il aborde <span style="background:white"><span style="color:#252525">&agrave; des symboles sans signification pour la soumettre &agrave; des manipulations aveugles&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CA" style="font-size:12.0pt"><span style="background:white"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#252525">[1]</span></span></span></span></span></span></a>. Le but de cet article est d&rsquo;&eacute;lucider les conditions de possibilit&eacute; de cette r&eacute;duction et de contribuer ainsi &agrave; ce que Lise Verlaet appelle &laquo;&nbsp;une anthropologie du num&eacute;rique&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CA" style="font-size:12.0pt"><span style="background:white"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#252525">[2]</span></span></span></span></span></span></a>. Je montrerai d&rsquo;abord comment la manipulation symbolique est constitutive de l&rsquo;hominisation. J&rsquo;examinerai dans un second temps l&rsquo;&eacute;largissement progressif de l&rsquo;engrenage entre le monde sensible (les signifiants) et le monde intelligible (les concepts) au cours de l&rsquo;&eacute;volution culturelle. Dans le prolongement de ces analyses, j&rsquo;&eacute;voquerai pour finir quelques grands traits de la civilisation num&eacute;rique contemporaine.</span></span></span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">L&rsquo;exp&eacute;rience sensible</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Dans le r&egrave;gne animal, le d&eacute;veloppement du syst&egrave;me nerveux d&eacute;coule des n&eacute;cessit&eacute;s de la locomotion&nbsp;: il s&rsquo;agit de mettre en boucle les sens et la motricit&eacute; pour orienter le mouvement. Au cours de l&rsquo;&eacute;volution, ce circuit r&eacute;flexe se complexifie en simulation de l&rsquo;environnement, &eacute;valuation de la situation et calcul d&eacute;cisionnel menant &agrave; l&rsquo;action. Une &eacute;mergence existentielle accompagne la n&eacute;cessit&eacute; cognitive puisque le syst&egrave;me nerveux g&eacute;n&egrave;re une&nbsp;exp&eacute;rience ph&eacute;nom&eacute;nale<em> </em>peupl&eacute;e d&rsquo;images multimodales (c&eacute;nesth&eacute;sie, toucher, go&ucirc;t, odorat, audition, vue) incluant le ressenti des mouvements propres. La conscience animale se rapporte &agrave; un monde hors d&rsquo;elle-m&ecirc;me : elle est intentionnelle. Ses objets se conservent au-del&agrave; de la vari&eacute;t&eacute; des perceptions imm&eacute;diates. Le plaisir et la douleur polarisent la gamme des sensations, les &eacute;motions dirigent l&rsquo;activit&eacute;. Locomotion oblige, l&rsquo;animal localise sa pr&eacute;sence et habite un territoire. Sa conscience n&rsquo;est pas seulement plong&eacute;e dans l&rsquo;espace et pleine de sensations actuelles, elle est aussi virtualis&eacute;e par une imagination qui lui rappelle des &eacute;v&eacute;nements pass&eacute;s (l&rsquo;&eacute;cureuil se souvient des lieux o&ugrave; il a cach&eacute; ses noisettes), assure la continuit&eacute; de ses mouvements et le projette dans un futur imm&eacute;diat. Il discerne les situations o&ugrave; il est jet&eacute; et cat&eacute;gorise les objets de sa perception. Il reconna&icirc;t des proies, des pr&eacute;dateurs ou des partenaires sexuels et agit en cons&eacute;quence. <i>Ceci n&rsquo;est possible que parce que des circuits neuronaux (inn&eacute;s ou appris) codent des&nbsp;sch&eacute;mas d&rsquo;interaction &ndash; ou concepts &ndash;</i><em>&nbsp;</em><i>qui orientent, coordonnent et donnent sens &agrave; son exp&eacute;rience ph&eacute;nom&eacute;nale, tout en supportant une communication sociale complexe avec ses cong&eacute;n&egrave;res</i>. Les signaux de la communication animale &ndash; cris, postures, ph&eacute;romones &ndash; portent des concepts (&laquo;&nbsp;pr&eacute;dateur &agrave; l&rsquo;approche&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;nourriture&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est mon territoire&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soumission&nbsp;&raquo;, etc.) mais ils sont biologiquement h&eacute;rit&eacute;s, limit&eacute;s en nombre, en complexit&eacute; et ne se r&eacute;f&egrave;rent qu&rsquo;&agrave; des situations actuelles.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La r&eacute;volution symbolique</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="color:black">La station debout, la main, la fabrication d&rsquo;outils et la ma&icirc;trise du feu singularisent le genre Homo. Et puis les N&eacute;anderthaliens, les D&eacute;nisoviens et les Sapiens se mettent &agrave; parler. Notre cerveau a les m&ecirc;mes propri&eacute;t&eacute;s que celui des vert&eacute;br&eacute;s sup&eacute;rieurs, avec les capacit&eacute;s cognitives et communicatives qui viennent d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;voqu&eacute;es et le type d&rsquo;exp&eacute;rience sensible qui lui correspond. Mais il poss&egrave;de <i>en plus</i> une capacit&eacute; de reconnaissance et de production de symboles qui nous fait entrer dans un nouvel univers. En effet, l&rsquo;&eacute;volution biologique qui m&egrave;ne &agrave; l&rsquo;humain a transform&eacute; le cerveau du primate initial pour l&rsquo;ajuster &agrave; une sp&eacute;cialisation symbolique unique dans le r&egrave;gne animal : hypertrophie du cortex pr&eacute;frontal, amplification du cervelet, apparition des aires de Broca et de Wernicke, division du travail plus pouss&eacute;e entre les h&eacute;misph&egrave;res et r&eacute;organisation g&eacute;n&eacute;rale des circuits neuronaux. Interface ontologique, le cerveau humain conduit la symbiose et la co&eacute;volution d&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;mes symboliques avec des populations de primates parlants plong&eacute;s dans la biosph&egrave;re.</span></span> </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;un symbole? En un mot, il s&rsquo;agit de la traduction conventionnelle (variable selon les soci&eacute;t&eacute;s) d&rsquo;un <i>concept</i> &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;un sch&egrave;me organisateur de l&rsquo;exp&eacute;rience &ndash; en un <i>ph&eacute;nom&egrave;ne</i> sensible. Ajoutons que &ndash; loin d&rsquo;&ecirc;tre ind&eacute;pendants les uns des autres &ndash; les symboles s&rsquo;organisent en syst&egrave;mes qui r&egrave;glent leurs compositions, leurs substitutions et leurs diff&eacute;rences. En se projetant sur les images sensibles des syst&egrave;mes symboliques, les concepts qui organisaient le monde ph&eacute;nom&eacute;nal de l&rsquo;int&eacute;rieur opaque de la bo&icirc;te cr&acirc;nienne des vert&eacute;br&eacute;s deviennent explicites, partageables et se recombinent &agrave; volont&eacute;. La r&eacute;volution symbolique se r&eacute;percute sur l&rsquo;ensemble du monde v&eacute;cu. La communication se coule dans le moule de langages et de codes conventionnels, des rituels complexes organisent les relations sociales et des combinaisons d&rsquo;artefacts conduisent les interactions sensorimotrices. </span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La communication </span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Par contraste avec la communication indicielle ou iconique des autres animaux, <span style="background:white"><span style="color:black">nous racontons ce qui nous est arriv&eacute; la veille, prenons rendez-vous pour la semaine prochaine et inventons des histoires.</span></span> Les territoires de nos anc&ecirc;tres &eacute;volutifs &eacute;taient peupl&eacute;s d&rsquo;objets et d&rsquo;agents actuels. Le monde humain se compose en outre de lieux, d&rsquo;&ecirc;tres et d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements invisibles, ou qui ne sont plus l&agrave; depuis longtemps, ou qui n&#39;arriveront jamais. </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Une langue poss&egrave;de des milliers d&#39;unit&eacute;s de sens &eacute;l&eacute;mentaires, ce qui d&eacute;passe de plusieurs ordres de grandeur le r&eacute;pertoire de signaux des esp&egrave;ces animales. Verbes et noms communs d&eacute;signent des cat&eacute;gories g&eacute;n&eacute;rales tandis que les noms propres &eacute;tiquettent les &ecirc;tres et les &eacute;v&eacute;nements singuliers. Le langage traduit les sch&eacute;mas d&#39;interaction par des phrases. Le verbe &eacute;voque l&#39;action, les r&ocirc;les grammaticaux d&eacute;crivent les actants et les circonstances et le tout mod&eacute;lise une sc&egrave;ne complexe. Ajoutons que chaque mot d&rsquo;une phrase &eacute;voque &agrave; son tour un sch&eacute;ma d&#39;interaction&nbsp;: &laquo;&nbsp;don&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;sacrifice&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;naissance&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;chasse&nbsp;&raquo;, etc. Les symboles linguistiques s&#39;organisent selon une grammaire r&eacute;cursive&nbsp;: les expressions se composent en s&eacute;quences et s&#39;embo&icirc;tent les unes dans les autres comme des poup&eacute;es russes, ce qui permet de construire et de d&eacute;chiffrer une quantit&eacute; ind&eacute;finie de textes complexes pourvus de significations distinctes. Les primates parlants &eacute;laborent les sch&eacute;mas qui organisent leur exp&eacute;rience avec un luxe de d&eacute;tail hyperr&eacute;aliste. Les concepts imm&eacute;diats et massifs des autres animaux font place aux g&eacute;n&eacute;alogies, aux classifications fines, aux genres, aux esp&egrave;ces et &agrave; leurs diff&eacute;rences, aux tissus de notions raffin&eacute;es dont chaque n&oelig;ud est &agrave; son tour un r&eacute;seau. Nos r&eacute;cits s&#39;ench&acirc;ssent et se r&eacute;pondent. L&rsquo;&eacute;ventail des repr&eacute;sentations mentales s&rsquo;&eacute;largit ind&eacute;finiment.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="color:black">Le symbole linguistique est coup&eacute; en deux puisqu&rsquo;il poss&egrave;de (a) une partie actuelle ou&nbsp;</span></span><i>signifiante</i><span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="color:black">&nbsp;: une image sonore, visuelle, tactile ou autre, comme le son &ldquo;arbre&rdquo;, et (b) une partie virtuelle ou&nbsp;</span></span><i>signifi&eacute;e</i><span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="color:black">&nbsp;: un concept g&eacute;n&eacute;ral, comme celui de &ldquo;plante ligneuse poss&eacute;dant des racines, un tronc et des branches&rdquo;. Le signifiant lui-m&ecirc;me se d&eacute;double en forme abstraite (le phon&egrave;me, le caract&egrave;re, le geste) sans adresse, intemporelle, et une image concr&egrave;te, situ&eacute;e, dat&eacute;e : ce timbre de voix, cette lettre, une main qui s&rsquo;agite. Quant au signifi&eacute;, il poss&egrave;de &agrave; son tour une part virtuelle et une part actuelle. Le dictionnaire et la grammaire d&rsquo;une langue d&eacute;finissent la partie virtuelle, g&eacute;n&eacute;rale, encore flottante, du sens d&rsquo;une parole qu&rsquo;on nous adresse. Notre connaissance de la langue nous permet de d&eacute;coder cette s&eacute;quence de phon&egrave;mes pour la traduire en r&eacute;seaux de concepts, en r&eacute;cit suscitant des images, des &eacute;motions et des souvenirs. Un rhizome de sens illumine un instant le mutisme de l&rsquo;exp&eacute;rience. Une signification s&rsquo;est actualis&eacute;e ainsi pour nous, mais elle s&rsquo;actualiserait diff&eacute;remment dans des circonstances dissemblables pour quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre, pourvu d&rsquo;une m&eacute;moire singuli&egrave;re.</span></span></span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Bien que les parties <i>signifiantes</i> des symboles &ndash; des images en mouvement &ndash; n&#39;apparaissent aux sens que dans l&#39;espace-temps ph&eacute;nom&eacute;nal, elles d&eacute;signent pour l&rsquo;intelligence humaine des <i>signifi&eacute;s</i> qui peuplent un univers abstrait in&eacute;puisable, au croisement de structures hi&eacute;rarchiques de composition (les syntagmes) et de structures sym&eacute;triques d&#39;opposition et de substitution (les paradigmes). De tels arrangements &ndash; indissolublement syntaxiques et s&eacute;mantiques &ndash; ne sont pas limit&eacute;s aux langues. Ils se retrouvent peu ou prou dans les autres syst&egrave;mes de signes. Par exemple, comme les paradigmes de la langue, les harmonies de la musique organisent un ordre de la simultan&eacute;it&eacute; et des choix possibles tandis que la m&eacute;lodie se d&eacute;roule dans le temps de fa&ccedil;on lin&eacute;aire &agrave; l&rsquo;instar du syntagme en linguistique. Quant &agrave; la communication visuelle, les palettes de formes et de couleurs forment des groupes de substitution qui croisent le plan de la composition des images.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Les &eacute;motions &eacute;l&eacute;mentaires se diffractent en une myriade de sentiments m&ecirc;l&eacute;s, violents ou d&eacute;licats. Les lieux sont nomm&eacute;s, mesur&eacute;s, cartographi&eacute;s. Le dense filet des heures et du calendrier capte la temporalit&eacute;. Le langage ouvre l&rsquo;espace de l&rsquo;interrogation, du dialogue et du r&eacute;cit. Il supporte le raisonnement, la d&eacute;monstration, le souci de la v&eacute;rit&eacute;&hellip; sans oublier la dissimulation mensong&egrave;re et la d&eacute;sinformation. D&rsquo;ailleurs, ce ne sont pas seulement les messages qui sont cod&eacute;s, mais aussi les syst&egrave;mes de v&eacute;ridiction &agrave; savoir, selon les occasions, les mani&egrave;res de d&eacute;cider du vrai ou du beau.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La soci&eacute;t&eacute; </span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">La personne na&icirc;t de l&rsquo;interlocution. L&rsquo;autor&eacute;f&eacute;rence implicite dans l&rsquo;exp&eacute;rience animale se redouble chez l&rsquo;humain d&rsquo;une premi&egrave;re personne explicite, un <i>soi-m&ecirc;me</i> auquel fait immanquablement face <i>l&rsquo;autre</i> d&rsquo;une seconde personne et <i>l&rsquo;objectivit&eacute;</i> d&rsquo;un monde suppos&eacute; commun et reconnu comme tel&nbsp;&agrave; la troisi&egrave;me personne. </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Les soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;une m&ecirc;me esp&egrave;ce animale se ressemblent. Par contraste, les groupes humains connaissent une grande diversit&eacute; de r&ocirc;les sociaux et de r&egrave;gles d&rsquo;interaction. La parent&eacute;, l&rsquo;organisation politique ou le commerce avec l&rsquo;invisible (anc&ecirc;tres, esprits, dieux et valeurs) rel&egrave;vent ici encore de la convention. Des rituels codifient, socialisent et r&eacute;ifient un ordre symbolique que des syst&egrave;mes de justification &ndash; morales, droits, religions, traditions &ndash; expliquent et motivent.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Les r&ocirc;les sociaux ont des traits communs avec les r&ocirc;les grammaticaux, dont le moindre n&rsquo;est pas l&rsquo;embo&icirc;tement r&eacute;cursif. Aux arbres syntaxiques du langage r&eacute;pondent les arbres g&eacute;n&eacute;alogiques des familles et les organigrammes des administrations. Les oppositions du type &laquo;&nbsp;fr&egrave;re et s&oelig;ur&nbsp;&raquo; en r&ocirc;le de germain ou &laquo;&nbsp;police et arm&eacute;e&nbsp;&raquo; en r&ocirc;le de garant de la s&eacute;curit&eacute;, voire les partitions fonctionnelles du type &laquo;&nbsp;pr&ecirc;tres, guerriers et paysans&nbsp;&raquo; ressemblent aux groupes de diff&eacute;rence et de substitution des paradigmes lexicaux.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La technique</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Si la symbolisation consiste &agrave; projeter dans le sensible et &agrave; syst&eacute;matiser des sch&eacute;mas de comportement, alors elle ne concerne pas seulement les codes de communication et les relations sociales mais aussi les interactions avec le monde physique. Les artefacts et les outils sont produits par des m&eacute;thodes communes, ils exhibent des &laquo;&nbsp;<i>affordances</i>&nbsp;&raquo; (possibilit&eacute;s d&rsquo;usage) et commandent des gestes. Les techniques les plus mat&eacute;rielles participent de l&rsquo;ordre symbolique par leur externalisation et leur socialisation des fonctions corporelles, par leur r&eacute;ification des perceptions et des mouvements. <i>A fortiori</i> la dimension virtuelle de nos rapports aux choses compose une part essentielle des syst&egrave;mes culturels&nbsp;: les r&egrave;gles qui r&eacute;gissent le travail et la propri&eacute;t&eacute;, les proc&eacute;d&eacute;s de l&rsquo;&eacute;change et de la comptabilit&eacute;. Quand les soci&eacute;t&eacute;s animales ne connaissent ni monnaie ni &eacute;conomie, les tribus les plus primitives utilisent des coquillages pour leurs trocs et gardent m&eacute;moire des dons et contre-dons.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">La syntaxe vient se nicher jusque dans l&rsquo;ordre de bataille des arm&eacute;es et l&rsquo;arrangement des gestes techniques. Les structures arborescentes des phrases et des textes se retrouvent dans l&rsquo;encha&icirc;nement des op&eacute;rations n&eacute;cessaires &agrave; la construction des b&acirc;timents, au tissage des &eacute;toffes ou aux recettes de cuisine. Et dans la plupart des cas, l&rsquo;Homo Faber pourra remplacer un mat&eacute;riau par un autre, modifier l&rsquo;&eacute;paisseur des fils ou substituer la pomme de terre au riz tout en conservant le plan d&rsquo;action g&eacute;n&eacute;ral. Le m&ecirc;me manche en bois se termine par la t&ecirc;te en m&eacute;tal d&rsquo;une pelle, d&rsquo;une pioche ou d&rsquo;une fourche comme les mots d&rsquo;un paradigme se substituent les uns aux autres dans un m&ecirc;me contexte narratif.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La symbiose culturelle</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">L&rsquo;ordre des signes, celui des gens et celui des choses s&rsquo;impliquent r&eacute;ciproquement dans la tresse bien serr&eacute;e de l&rsquo;hominisation. Nous ne les avons les examin&eacute; successivement que pour les besoins de l&rsquo;exposition. D&eacute;finissons la culture comme l&rsquo;ensemble des syst&egrave;mes symboliques (s&eacute;miotiques, sociaux, techniques), leurs produits et leurs couches d&rsquo;inscriptions s&eacute;diment&eacute;es. D&egrave;s lors, la vie de l&rsquo;esprit &ndash; qui transcende les existences individuelles &ndash; r&eacute;sulte d&rsquo;une symbiose entre les primates parlants qui composent une soci&eacute;t&eacute; et la culture qu&rsquo;ils partagent. </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Les cultures codifient, mettent en commun et r&eacute;ifient les concepts (les sch&eacute;mas organisateurs de l&rsquo;exp&eacute;rience) tandis que les individus incorporent les langages, les rituels et les pratiques techniques. Les conventions et les outils transmis par la culture ne sont mis en &oelig;uvre que si des personnes vivantes internalisent leurs usages, incarnent leur maniement et les traitent comme une seconde nature. C&rsquo;est pourquoi, aussi divers &ndash; voire h&eacute;t&eacute;roclites &ndash; que soient les constructions sociales et les artifices culturels en un temps et un lieu particulier, les corps vivants qui les int&egrave;grent en font, avec plus ou moins de bonheur, une unit&eacute; organique. </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">De longues ann&eacute;es sont parfois n&eacute;cessaires pour apprendre &agrave; manier les conventions s&eacute;miotiques, pensons par exemple &agrave; l&rsquo;&eacute;criture. Pour que des interlocuteurs reconstituent des r&eacute;seaux de concepts &agrave; partir d&rsquo;une s&eacute;quence de phon&egrave;mes et traduisent des id&eacute;es ou des consignes en sons, il faut que le dictionnaire qui &eacute;tablit la correspondance entre signifiants et signifi&eacute;s &eacute;l&eacute;mentaires, la grammaire qui r&eacute;git la composition des unit&eacute;s de sens, sans oublier la prosodie, les accents et la musique de la langue, soient int&eacute;gr&eacute;s aux r&eacute;flexes et aux habitudes perceptives de l&rsquo;organisme. Il en est de m&ecirc;me pour les relations sociales. Nous apprenons &agrave; discerner les jeux de rapports interpersonnels qui ont cours dans notre milieu, &agrave; nous identifier &agrave; des r&ocirc;les, &agrave; les incarner le mieux possible et &agrave; jouer notre partie dans des sc&eacute;narios conventionnels, aid&eacute;s en cela par des parcours d&rsquo;initiation et la r&eacute;p&eacute;tition de mises en sc&egrave;ne rituelles. L&rsquo;usage des artefacts, le maniement des outils, la conduite des v&eacute;hicules, l&rsquo;ex&eacute;cution collective de t&acirc;ches complexes suppose encore une fois l&rsquo;int&eacute;riorisation corporelle et mentale des techniques ambiantes.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Les personnes physiques ne survivent qu&rsquo;&agrave; condition d&rsquo;assimiler les syst&egrave;mes symboliques et de s&rsquo;approprier leurs produits. Sym&eacute;triquement, pour durer, une culture doit &ecirc;tre absorb&eacute;e, mise en &oelig;uvre et transmise par des individus. Dans cette relation o&ugrave; chacun des deux participants se nourrit de l&rsquo;autre, la culture repr&eacute;sente le p&ocirc;le virtuel, ni mort ni vif, en attente d&rsquo;&ecirc;tre actualis&eacute; par une population humaine. Quant aux personnes physiques, elles incarnent le p&ocirc;le subjectif, pr&eacute;sent, sensible, vivant et mortel de la dynamique symbolique. Et chaque g&eacute;n&eacute;ration, oublieuse ou ardente, innovante ou d&eacute;cadente, rejette &agrave; son tour les d&egrave;s. Tel est le moteur de l&rsquo;&eacute;volution culturelle. L&rsquo;h&eacute;ritage imm&eacute;morial de nos anc&ecirc;tres soutient nos esprits vivants comme du fond des eaux tropicales le corail empil&eacute; par les si&egrave;cles porte les poissons multicolores vers la lumi&egrave;re du soleil. </span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La stigmergie symbolique</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span lang="FR-CA" style="background:#fefefe"><span style="color:black">L&rsquo;intelligence collective des animaux repose largement sur une communication stigmergique&nbsp;: les traces plus ou moins durables qu&rsquo;ils laissent dans un environnement partag&eacute; leur permettent de coordonner leurs actions. La senteur des ph&eacute;romones, l&rsquo;&eacute;cho des cris et des chants, l&rsquo;image fugace des postures ou des empreintes suscitent des r&eacute;actions imm&eacute;diates. </span></span>Comme d&rsquo;autres esp&egrave;ces eusociales, nous communiquons en grande partie de mani&egrave;re stigmergique, mais au lieu de marquer un territoire physique au moyen de ph&eacute;romones ou d&rsquo;autres types de signaux visuels, sonores ou olfactifs, nous laissons des traces symboliques. <span style="background:#fefefe"><span style="color:black">Le r&egrave;gne humain amplifie les m&eacute;canismes de la stigmergie. Ce sont des textes symboliques &eacute;labor&eacute;s qui s&rsquo;accumulent, se r&eacute;pondent, se laissent alimenter et r&eacute;approprier par les groupes et les individus. Non seulement la m&eacute;moire commune se complexifie et s&rsquo;allonge mais la synchronisation des exp&eacute;riences et la propagation des affects s&rsquo;intensifie. Les syst&egrave;mes symboliques ayant &eacute;t&eacute; incorpor&eacute;s par les individus, voici que les </span></span>signifiants, les gestes rituels et les artefacts familiers d&eacute;clenchent automatiquement des circuits neuronaux, avec les sch&eacute;mas d&rsquo;interaction, les &eacute;motions, les images, les souvenirs et les impulsions motrices qu&rsquo;ils &eacute;voquent. De m&ecirc;me qu&rsquo;un contact avec une mol&eacute;cule de ph&eacute;romone provoque un comportement r&eacute;flexe chez la fourmi, nous ne pouvons pas ne pas comprendre la parole qui atteint nos tympans et le moindre r&eacute;cit &eacute;voque irr&eacute;sistiblement des repr&eacute;sentations mentales et des sentiments. Le public d&rsquo;un spectacle, les danseurs d&rsquo;une <i>rave</i>, les manifestants qui scandent un slogan entrent en r&eacute;sonnance. Les membres d&rsquo;une &eacute;quipe d&rsquo;aviron ou de football sont peut-&ecirc;tre plus en phase que ne le seront jamais une harde de babouins ou un clan de loups.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La manipulation symbolique</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Qu&rsquo;il soit bien entendu que l&rsquo;esprit humain ne quitte jamais l&rsquo;exp&eacute;rience sensible. Les combinaisons les plus complexes de la culture s&rsquo;enracinent dans un monde spatio-temporel, habit&eacute; d&rsquo;objets et d&rsquo;agents tangibles, entretiss&eacute; de relations causales imagin&eacute;es, anim&eacute; de l&rsquo;int&eacute;rieur par les tropismes de l&rsquo;&eacute;motion, r&eacute;sonnant de timbres et de rythmes, alternant l&rsquo;ombre et la lumi&egrave;re, la douceur et la violence. Mais cette exp&eacute;rience sensible, parce qu&rsquo;elle est signifiante pour notre esp&egrave;ce symbolique, pointe vers un monde intelligible dont les rapports, les successions et les connexions sont tout autres que celles de l&rsquo;espace, du temps et de la causalit&eacute; mat&eacute;rielle. Les concepts qui peuplent le monde intelligible peuvent &ecirc;tre situ&eacute;s &agrave; l&rsquo;intersection de trois axes. Un premier axe &ndash; &eacute;troitement symbolique &ndash; organise la correspondance entre les images sensibles et leurs vis-&agrave;-vis conceptuels, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des signifi&eacute;s linguistiques, des relations sociales ou des fonctions techniques. Un second axe structure les concepts selon des arbres syntaxiques dont chaque feuille peut devenir &ndash; r&eacute;cursivement &ndash; une racine. Dans l&rsquo;ordre des signes, des grammaires composent les phrases linguistiques ou musicales, assemblent les textes et les images, disposent les &oelig;uvres selon de savantes taxonomies par &eacute;poques, genres, &eacute;coles et sujets. Les syntaxes sociales dessinent la structure des institutions, elles hi&eacute;rarchisent ou sym&eacute;trisent les &acirc;ges, les sexes et les classes ; elles r&egrave;glent les jeux, distribuent les r&ocirc;les, &eacute;quilibrent les pouvoirs et divisent le travail. Les syntaxes techniques sch&eacute;matisent les op&eacute;rations en s&eacute;rie ou en parall&egrave;le, am&eacute;nagent les petits ateliers et les vastes usines, imbriquent les pi&egrave;ces des machines et les cha&icirc;nes logistiques. Enfin le troisi&egrave;me axe &ndash; paradigmatique &ndash; ordonne les syst&egrave;mes de diff&eacute;rences et de substitutions dont les anneaux tournoyants occupent les n&oelig;uds des arbres syntaxiques. Le monde intelligible s&rsquo;&eacute;panouit entre ces trois axes, foisonnant, divers, interd&eacute;pendant, mutant, en voie d&rsquo;hybridation, emport&eacute; par une &eacute;volution culturelle irr&eacute;versible. </span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">En somme, la symbolisation situe l&rsquo;esprit humain &agrave; l&rsquo;interface entre deux mondes, celui du mouvement physique et des images sensibles, r&eacute;gi par un groupe de transformations spatio-temporelles, et celui des formes intelligibles, r&eacute;gl&eacute; par un groupe de transformations conceptuelles. C&rsquo;est pourquoi des op&eacute;rations id&eacute;elles embrayent sur des op&eacute;rations physiques et, sym&eacute;triquement, des transformations sensibles entra&icirc;nent des changements conceptuels. Le morphisme qui couple les deux univers ouvre un champ d&rsquo;action inaccessible &agrave; l&rsquo;animalit&eacute; pr&eacute;symbolique puisqu&rsquo;il devient possible de commander les transformations conceptuelles &agrave; partir de mouvements physiques et d&rsquo;encha&icirc;ner les gestes mat&eacute;riels suivant des op&eacute;rations conceptuelles. Le calcul est originel. Au noyau dur de l&rsquo;anthropog&eacute;n&egrave;se nous d&eacute;couvrons la manipulation symbolique. A partir du pli du conceptuel sur le sensible et de sa condition de possibilit&eacute; dans le cerveau humain, l&rsquo;&eacute;largissement du passage entre les deux ordres de r&eacute;alit&eacute; et l&rsquo;efficacit&eacute; croissante de leur traduction r&eacute;ciproque rythme une &eacute;volution culturelle qui ne cesse de reprendre et d&rsquo;amplifier l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement de l&rsquo;hominisation.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Impl&eacute;ment&eacute; de mani&egrave;re distribu&eacute;e dans les cerveaux des populations de primates parlants, cinq syst&egrave;mes d&rsquo;exploitation symbolique se sont succ&eacute;d&eacute; jusqu&rsquo;&agrave; maintenant, chaque nouvelle version &eacute;tant pleinement compatible avec les versions ant&eacute;rieures. &Agrave; l&rsquo;oralit&eacute; primaire correspondent le nomadisme, l&rsquo;organisation tribale, la chasse et la cueillette, les connaissances transmises par les rites et les r&eacute;cits, le shamanisme pour les rapports avec l&rsquo;invisible. Les premi&egrave;res &eacute;critures, ou l&rsquo;autoconservation des symboles, accompagnent les civilisations des palais-temples, l&rsquo;&eacute;levage et l&rsquo;agriculture &agrave; grande &eacute;chelle, l&rsquo;&eacute;cole des scribes et la syst&eacute;matisation des connaissances. Le z&eacute;ro, l&rsquo;alphabet ou le papier optimisent la manipulation des signifiants dans les cit&eacute;s commer&ccedil;antes et les empires, avec leurs &eacute;lites lettr&eacute;es, leurs religions universelles, leurs philosophies et leurs monnaies. &Agrave; partir du XVIe si&egrave;cle, la m&eacute;canisation de l&rsquo;&eacute;criture et de la mesure du temps annoncent la modernit&eacute;&nbsp;: les sciences de la nature deviennent exp&eacute;rimentales et math&eacute;matiques ; les moteurs r&eacute;volutionnent les industries et le transport ; les &eacute;tats nations, les nouvelles perspectives s&eacute;culi&egrave;res de salut (comme le lib&eacute;ralisme ou le socialisme) et l&rsquo;enseignement obligatoire transforment les soci&eacute;t&eacute;s. Enfin l&rsquo;&eacute;lectrification, les m&eacute;dias &eacute;lectroniques et l&rsquo;informatique du vingti&egrave;me si&egrave;cle pr&eacute;parent la culture num&eacute;rique contemporaine, fond&eacute;e sur les techniques de contr&ocirc;le de l&rsquo;&eacute;nergie et de la mati&egrave;re &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle des particules &eacute;l&eacute;mentaires, la transformation automatique des signes, la communication mondiale interactive et instantan&eacute;e, l&rsquo;&eacute;conomie de l&rsquo;information. Il est encore difficile de pr&eacute;ciser les nouvelles formes politiques, &eacute;pist&eacute;miques et id&eacute;ologiques qui pr&eacute;vaudront dans la nouvelle culture. Il est n&eacute;anmoins certain que le num&eacute;rique est notre syst&egrave;me d&rsquo;exploitation symbolique global, non seulement &ndash; comme il est &eacute;vident &ndash; aux plans de la communication et de la technique mais aussi des relations sociales.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">S&rsquo;agit-il d&rsquo;un retour de la fable du progr&egrave;s (&laquo;&nbsp;&Ccedil;a va de mieux en mieux&nbsp;&raquo;)&nbsp;? Non puisqu&rsquo;un syst&egrave;me d&rsquo;exploitation peut supporter diverses applications, qu&rsquo;on jugera bonnes ou mauvaises selon les points de vue. La m&ecirc;me forme politique &laquo;&nbsp;&eacute;tat nation&nbsp;&raquo; poss&egrave;de une face lib&eacute;rale et une face totalitaire, la m&ecirc;me structure industrielle fabrique des voitures et des chars d&rsquo;assaut, le m&ecirc;me Internet sert l&rsquo;information et la d&eacute;sinformation. J&rsquo;ajoute que la notion g&eacute;n&eacute;rale de progr&egrave;s suppose un crit&egrave;re d&rsquo;&eacute;valuation constant du pal&eacute;olithique au XXIe si&egrave;cle &ndash; ce crit&egrave;re &eacute;tant g&eacute;n&eacute;ralement celui des contemporains &ndash; alors que chaque &eacute;poque, chaque culture r&eacute;invente ses valeurs ultimes.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Ma partition en cinq syst&egrave;mes d&rsquo;exploitation symbolique successifs simplifie un processus continu, in&eacute;galement distribu&eacute; dans l&rsquo;espace, soumis &agrave; de multiples d&eacute;calages, retours en arri&egrave;re et sauts d&rsquo;&eacute;tapes. De plus, les formes culturelles qui apparaissent &agrave; une &eacute;poque donn&eacute;e ne disparaissent pas aux &eacute;poques ult&eacute;rieures mais sont reprises et adapt&eacute;es &agrave; un nouveau contexte. Malgr&eacute; la complexit&eacute; du processus, l&rsquo;&eacute;volution g&eacute;n&eacute;rale semble irr&eacute;versible et fermement orient&eacute;e vers un engrenage toujours plus efficace entre le sensible et l&rsquo;intelligible. </span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La num&eacute;risation de la communication</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Sur le temps long d&rsquo;une &eacute;volution qui s&rsquo;acc&eacute;l&egrave;re, les symboles se d&eacute;tachent de leurs lieux d&rsquo;origine et survivent de mieux en mieux au moment de leur naissance. Les voici qui s&rsquo;all&egrave;gent, se multiplient, se diffusent, se traduisent et se transforment. Mais plus les symboles se font &ldquo;<i>soft</i>&ldquo;, logiciels, virtuels, plus ils s&rsquo;approchent d&rsquo;une forme omnipr&eacute;sente et mall&eacute;able &eacute;chappant &agrave; l&rsquo;inertie de la mati&egrave;re, plus leur inscription n&eacute;cessite de supports<i>&nbsp;&ldquo;hard&rdquo;</i>, d&rsquo;instruments et d&rsquo;installations lourdement actuelles. La manipulation des signes rel&egrave;ve d&rsquo;une longue histoire o&ugrave; la virtualisation des codes et l&rsquo;actualisation des m&eacute;dias s&rsquo;entra&icirc;nent mutuellement : tablettes d&rsquo;argile, rouleaux de papyrus ou de soie, r&eacute;seaux de routes et de ports des empires antiques, poste &agrave; cheval, fabrication du papier, machines &agrave; imprimer, b&acirc;timents des &eacute;coles et des biblioth&egrave;ques, poteaux t&eacute;l&eacute;graphiques au bord des voies ferr&eacute;es, antennes et satellites, jusqu&rsquo;aux centres de donn&eacute;es qui consomment l&rsquo;&eacute;lectricit&eacute; d&rsquo;une centrale et aux magazines, radios, tourne-disques, t&eacute;l&eacute;visions, ordinateurs et t&eacute;l&eacute;phones crach&eacute;s par des usines et qui finissent par s&rsquo;entasser p&ecirc;le-m&ecirc;le dans des d&eacute;charges.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">L&rsquo;intelligible et le sensible alternent, se comp&eacute;n&egrave;trent et compliquent leur enchev&ecirc;trement. Chaque tour de leur spirale d&eacute;pose une nouvelle couche de complexit&eacute; qu&rsquo;entra&icirc;ne la r&eacute;volution suivante. Il en est de ces deux modes d&rsquo;&ecirc;tre comme des rapports du Yin et du Yang dans la philosophie chinoise traditionnelle. Un des principaux classiques confuc&eacute;ens, le Yi-King (ou I-Ching) repr&eacute;sente la dynamique des transformations cosmiques, politiques et personnelles au moyen de soixante-quatre hexagrammes : six lignes empil&eacute;es dont certaines sont continues (Yang) et d&rsquo;autres bris&eacute;es (Yin). Ce vieux livre oraculaire pr&eacute;sente un des premiers alignements entre structure signifiante et situation signifi&eacute;e : les deux plans des hexagrammes et des configurations pratiques ob&eacute;issent au m&ecirc;me groupe de transformations. Faut-il faire remonter l&agrave; le codage binaire et la manipulation r&eacute;gl&eacute;e des signifi&eacute;s au moyen des signifiants qui caract&eacute;rise l&rsquo;informatique ? Ou bien faut-il identifier les d&eacute;buts du calcul automatique &agrave; la formalisation du raisonnement logique par Aristote ? Et que dire des math&eacute;maticiens indiens qui ont invent&eacute; la num&eacute;ration par position avec neuf chiffres et le z&eacute;ro, rendant ainsi les calculs arithm&eacute;tiques simples et uniformes ? Ou du d&eacute;veloppement de l&rsquo;alg&egrave;bre par les math&eacute;maticiens arabophones, andalous ou persans, comme Al Khawarizmi, qui a donn&eacute; son nom &agrave; l&rsquo;algorithme&nbsp;? Dans tous ces cas, la manipulation r&eacute;gl&eacute;e, quasi-m&eacute;canique, d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments visibles et tangibles entra&icirc;ne un mouvement d&rsquo;objets virtuels : tropismes politiques, propositions logiques ou nombres insubstantiels.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">Le calcul</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span lang="FR-CA" style="color:black">Examinons de plus pr&egrave;s le calcul, qui est un cas d&rsquo;&eacute;cole de l&rsquo;embrayage entre le sensible et l&rsquo;intelligible. Il peut &ecirc;tre d&eacute;fini comme l&#39;art de m&eacute;caniser les op&eacute;rations symboliques. Le calcul suppose l&#39;adoption d&#39;un syst&egrave;me de codage pour les variables et les op&eacute;rations ainsi que la d&eacute;finition de cha&icirc;nes d&#39;op&eacute;rations&nbsp;: les algorithmes. L&#39;application d&#39;un algorithme &agrave; un ensemble de variables en entr&eacute;e m&egrave;ne &agrave; la variable de r&eacute;sultat en sortie.&nbsp;Les symboles &eacute;tant constitu&eacute;s d&#39;une partie signifiante et d&#39;une partie signifi&eacute;e, les calculs sont d&rsquo;autant plus efficaces qu&rsquo;ils s&#39;appliquent aux signifiants de mani&egrave;re m&eacute;canique, c&#39;est-&agrave;-dire sans tenir compte des signifi&eacute;s. Les algorithmes sont aveugles aux contenus s&eacute;mantiques des symboles qu&#39;ils manipulent. M&ecirc;me lorsque nous effectuons une multiplication &agrave; la main, nous suivons toujours la m&ecirc;me routine, quels que soient les nombres multipli&eacute;s. Les signifiants manipul&eacute;s par les op&eacute;rations peuvent &ecirc;tre assimil&eacute;s &agrave; des pi&egrave;ces mat&eacute;rielles comme des jetons, des billes ou des cailloux. Le mot calcul lui-m&ecirc;me vient du latin <i>calculus</i> signifiant galet (<i>calculus</i> a aussi donn&eacute; &quot;caillou&quot; en fran&ccedil;ais) parce que les anciens romains utilisaient des petits galets pour effectuer des op&eacute;rations arithm&eacute;tiques sur des abaques.</span></span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span lang="FR-CA" style="color:black">Le calcul est un <i>art</i> dans la mesure o&ugrave; le codage du signifi&eacute; par un certain syst&egrave;me de signifiants facilite plus ou moins la manipulation r&eacute;gl&eacute;e des symboles. Par exemple, le syst&egrave;me de notation des nombres des anciens &eacute;gyptiens ou des anciens romains ne se pr&ecirc;te pas &agrave; une manipulation algorithmique des nombres aussi efficace que celui de la notation par position avec z&eacute;ro des chiffres indo-arabes. Essayez de multiplier de grands nombres en utilisant les chiffres romains pour vous en convaincre. L&#39;efficacit&eacute; de la manipulation symbolique implique un compromis entre, d&#39;une part, la g&eacute;n&eacute;ralit&eacute; des algorithmes (la maximisation des cas auxquels ils s&#39;appliquent) et, d&#39;autre part, la minimisation du nombre d&#39;op&eacute;rations n&eacute;cessaires pour arriver au r&eacute;sultat. Le progr&egrave;s du codage alg&eacute;brique et le perfectionnement des proc&eacute;dures automatiques de calcul marquent g&eacute;n&eacute;ralement un saut de coh&eacute;rence et de rigueur dans le domaine auquel ils s&#39;appliquent, comme le montrent </span>les perc&eacute;es de la science exp&eacute;rimentale moderne qui ont souvent unifi&eacute; des formes et des m&eacute;thodes disparates au moyen de coups de filet alg&eacute;briques.</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">Les machines &agrave; calculer</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Des machines &agrave; calculer m&eacute;caniques avaient &eacute;t&eacute; construites d&egrave;s le XVIIe si&egrave;cle par Pascal et Leibniz. Les caisses enregistreuses effectuaient d&eacute;j&agrave; des op&eacute;rations arithm&eacute;tiques au d&eacute;but du XXe si&egrave;cle. Mais pour atteindre des calculatrices &eacute;lectroniques programmables &ndash; beaucoup plus rapides et adaptables que les machines pr&eacute;c&eacute;dentes &ndash; il a fallu que plusieurs progr&egrave;s th&eacute;oriques et techniques soient accomplis au pr&eacute;alable. Du c&ocirc;t&eacute; th&eacute;orique, Turing avait d&egrave;s 1937 d&eacute;crit un automate abstrait capable d&rsquo;effectuer n&rsquo;importe quel calcul d&eacute;finit par un programme. Du c&ocirc;t&eacute; technique, d&egrave;s le d&eacute;but du XXe si&egrave;cle, les diodes, ou tubes &agrave; vide, ont permis le contr&ocirc;le fin des flux d&rsquo;&eacute;lectrons. Utilis&eacute;s par les premiers ordinateurs, ces composants volumineux et grands consommateurs d&rsquo;&eacute;nergie seront ensuite remplac&eacute;s par les transistors, puis par les circuits imprim&eacute;s dans la course &agrave; la vitesse et &agrave; la miniaturisation qui marque l&rsquo;industrie &eacute;lectronique. Un pas d&eacute;cisif fut franchi par Claude Shannon en 1938, lorsqu&rsquo;il d&eacute;montra la corr&eacute;lation entre le calcul logique et l&rsquo;arrangement des circuits &eacute;lectriques, &agrave; la confluence du conceptuel et du sensible. Un interrupteur ouvert ou ferm&eacute; correspond &agrave; &ldquo;vrai&rdquo; ou &ldquo;faux&rdquo;, un montage des interrupteurs en s&eacute;rie correspond &agrave; l&rsquo;op&eacute;rateur logique &ldquo;et&rdquo;, un montage en parall&egrave;le &agrave; l&rsquo;op&eacute;rateur &ldquo;ou exclusif&rdquo;. Or les connecteurs&nbsp;<i>non</i>,&nbsp;<i>et</i>,&nbsp;<i>ou</i>&nbsp;suffisent &agrave; exprimer l&rsquo;alg&egrave;bre de Boole, &agrave; savoir la formalisation de la logique ordinaire. L&rsquo;arithm&eacute;tique en base deux (0, 1) se pr&ecirc;te &eacute;galement fort bien au calcul &eacute;lectronique. Traversant les portes logiques, courant dans le labyrinthe de circuits que forment et reforment les programmes, rapide comme l&rsquo;&eacute;clair, l&rsquo;&eacute;lectron devient signifiant. Automatiser la manipulation du sens virtuel en m&eacute;canisant celle du signe actuel, telle est la puissance du codage informatique.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">D&egrave;s lors, en quelques g&eacute;n&eacute;rations, le num&eacute;rique va s&rsquo;imposer comme le m&eacute;ta-m&eacute;dium de la communication sociale. De 1955 &agrave; 1975, les gros ordinateurs centraux ne servent que les grandes administrations et le calcul scientifique. Moins d&rsquo;un milli&egrave;me de la population mondiale est en relation directe avec ces &laquo;&nbsp;cerveaux &eacute;lectroniques&nbsp;&raquo;, comme on les appelle alors. De 1975 &agrave; 1995, le courrier &eacute;lectronique se banalise, les ordinateurs personnels qui se connectent par l&rsquo;internet augmentent la productivit&eacute; de la classe cr&eacute;ative et des cols blancs. Un pour cent de la population mondiale est d&eacute;sormais connect&eacute;e. De 1995 &agrave; 2015, le Web s&rsquo;impose comme la nouvelle sph&egrave;re publique et absorbe progressivement les m&eacute;dias ant&eacute;rieurs. Le t&eacute;l&eacute;phone intelligent se niche dans nos poches et sur nos tables de chevet. La moiti&eacute; de la population mondiale entre en r&eacute;sonnance dans les m&eacute;dias sociaux. Dans les ann&eacute;es 2020, les op&eacute;rateurs am&eacute;ricains et chinois des grands centres de donn&eacute;es dominent la communication plan&eacute;taire. L&rsquo;intelligence artificielle occupe le poste de commande d&rsquo;un milieu num&eacute;rique dans lequel la quasi-totalit&eacute; de la population humaine est plong&eacute;e. </span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">La stigmergie num&eacute;rique</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Moins d&rsquo;un si&egrave;cle apr&egrave;s l&rsquo;invention des premiers ordinateurs, la m&eacute;moire du monde est num&eacute;ris&eacute;e, accessible &agrave; la majorit&eacute; de la population via l&rsquo;internet. Qu&rsquo;une information se trouve en un point du r&eacute;seau et la voici partout. Du texte statique sur papier, nous sommes pass&eacute; &agrave; l&rsquo;hypertexte ubiquitaire, puis &agrave; l&rsquo;architexte surr&eacute;aliste qui rassemble tous les symboles. Une m&eacute;moire virtuelle s&rsquo;est mise &agrave; cro&icirc;tre, secr&eacute;t&eacute;e par des milliards de vivants et de morts, fourmillant de langues, de musiques et d&rsquo;images, grosse de r&ecirc;ves et de fantasmes, m&ecirc;lant la science et le mensonge. Si l&rsquo;&eacute;change de messages point &agrave; point a toujours lieu, la majeure part de la communication sociale passe d&eacute;sormais par une stigmergie &eacute;lectronique. Plong&eacute;s dans l&rsquo;espace num&eacute;rique, nous communiquons par l&rsquo;interm&eacute;diaire de la masse oc&eacute;anique de donn&eacute;es qui nous rassemble. Chaque lien que nous cr&eacute;ons, chaque &eacute;tiquette ou mot-di&egrave;se appos&eacute;e sur une information, chaque acte d&rsquo;&eacute;valuation ou d&rsquo;approbation, chaque &laquo; j&rsquo;aime &raquo;, chaque requ&ecirc;te, chaque achat, chaque commentaire, chaque partage, toutes ces op&eacute;rations modifient subtilement la m&eacute;moire commune, c&rsquo;est-&agrave;-dire le magma inextricable des rapports entre les donn&eacute;es. Notre comportement en ligne &eacute;met un flux continuel de messages et d&rsquo;indices qui transforment la structure de la m&eacute;moire et contribuent &agrave; orienter l&rsquo;attention et l&rsquo;activit&eacute; de nos contemporains. Nous d&eacute;posons dans l&rsquo;environnement virtuel des ph&eacute;romones &eacute;lectroniques qui d&eacute;terminent en boucle l&rsquo;action des autres internautes et qui entra&icirc;nent par-dessus le march&eacute; les neurones formels des intelligences artificielles (IA).</span></span></p> <h2 style="margin-top:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:&quot;Calibri Light&quot;, sans-serif"><span style="color:#2f5496"><span style="font-weight:normal">L&rsquo;intelligence artificielle et la m&eacute;moire</span></span></span></span></span></h2> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Le cerveau biologique abstrait le d&eacute;tail des exp&eacute;riences actuelles en sch&eacute;mas d&rsquo;interactions, ou concepts, cod&eacute;s par des patterns de circuits neuronaux. De la m&ecirc;me mani&egrave;re, les mod&egrave;les neuronaux de l&rsquo;IA condensent les donn&eacute;es innombrables de la m&eacute;moire num&eacute;rique. Ils virtualisent les donn&eacute;es actuelles en patterns et en patterns de patterns. Conditionn&eacute;s par leur entra&icirc;nement, les syst&egrave;mes d&rsquo;IA peuvent alors reconna&icirc;tre et reproduire des donn&eacute;es correspondant aux formes apprises. Mais parce qu&rsquo;ils ont abstrait des structures plut&ocirc;t que de tout enregistrer, les voici capables de conceptualiser correctement des formes (d&rsquo;image, de textes, de musique, de code&hellip;) qu&rsquo;ils n&rsquo;ont jamais rencontr&eacute;es et de produire une infinit&eacute; d&rsquo;arrangements symboliques nouveaux. Les patterns cach&eacute;s dans les myriades de couches et de connexions des cerveaux &eacute;lectroniques font retomber en pluie des actualisations in&eacute;dites. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;on parle d&rsquo;intelligence artificielle&nbsp;<i>g&eacute;n&eacute;rative</i>. L&rsquo;IA neuronale synth&eacute;tise et mobilise la m&eacute;moire commune accumul&eacute;e par les si&egrave;cles.&nbsp;Loin d&rsquo;&ecirc;tre autonome, elle prolonge et amplifie une intelligence collective stigmergique. Des millions d&rsquo;utilisateurs contribuent au perfectionnement des mod&egrave;les en leur posant des questions et en commentant les r&eacute;ponses qu&rsquo;ils en re&ccedil;oivent. Nous semons des donn&eacute;es pour r&eacute;colter du sens.</span></span></p> <p style="margin-top:8px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Le calcul &eacute;lectronique qui simule le fonctionnement des neurones donne-t-il naissance &agrave; une conscience autonome ? Non, parce que les machines manipulent seulement la partie mat&eacute;rielle des symboles et que les images, les textes, les m&eacute;lodies n&rsquo;ont de signification que pour nous lorsqu&rsquo;elles sont &eacute;mises aux interfaces. Non, parce que l&rsquo;exp&eacute;rience ph&eacute;nom&eacute;nale est la contrepartie d&rsquo;un organisme animal et que le sens intelligible n&rsquo;appara&icirc;t qu&rsquo;&agrave; la personne qui s&rsquo;est impr&eacute;gn&eacute;e d&rsquo;une culture. Les humains participent de l&rsquo;esprit parce qu&rsquo;ils habitent un corps vivant. De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; du miroir, les signifiants tourbillonnent &agrave; l&rsquo;aveugle, les galets s&rsquo;entrechoquent sur le grand abaque, une furie &eacute;lectronique insens&eacute;e se d&eacute;cha&icirc;ne dans les centres de donn&eacute;es. De ce c&ocirc;t&eacute; du miroir, les &eacute;crans nous pr&eacute;sentent le visage d&rsquo;un autre qui parle, mais c&rsquo;est une projection anthropomorphe. Une biblioth&egrave;que ne se souvient pas plus qu&rsquo;un algorithme ne pense : les deux virtualisent des fonctions cognitives par externalisation, transformation, mise en commun et r&eacute;-internalisation. Les nouveaux cerveaux &eacute;lectroniques synth&eacute;tisent et mettent au travail l&rsquo;&eacute;norme m&eacute;moire num&eacute;rique par l&rsquo;interm&eacute;diaire de laquelle nous nous souvenons, communiquons et pensons ensemble. Derri&egrave;re &ldquo;la machine&rdquo; il faut entrevoir l&rsquo;intelligence collective humaine qu&rsquo;elle r&eacute;ifie et mobilise.</span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="margin-top:8px"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-CA" style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">[1]</span></span></span></span></a> Bachimont, B. (2023).&nbsp;Manifeste pour l&#39;intelligibilit&eacute; du num&eacute;rique. [En ligne] <a href="http://intelligibilite-numerique.numerev.com/manifeste" style="color:blue; text-decoration:underline"><span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="font-family:Helvetica">http://intelligibilite-numerique.numerev.com/manifeste</span></span></a> <a href="https://doi.org/10.34745/numerev_1922" style="color:blue; text-decoration:underline" target="_blank"><span lang="FR-CA" style="background:white">https://doi.org/10.34745/numerev_1922</span></a> </span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p class="MsoFootnoteText" style="margin-top:8px"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-CA" style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">[2]</span></span></span></span></a> <span lang="FR-CA" style="background:white"><span style="color:black">Verlaet, L. (2022). Le constructivisme num&eacute;rique : mod&egrave;le &eacute;pist&eacute;mologique pour concevoir des artefacts num&eacute;riques.&nbsp;<em><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Revue Intelligibilit&eacute; du num&eacute;rique</span></em>, 3|2022. [En ligne]&nbsp;</span></span><a href="https://doi.org/10.34745/numerev_1860" style="color:blue; text-decoration:underline"><span lang="FR-CA" style="background:white">https://doi.org/10.34745/numerev_1860</span></a></span></span></p> </div> </div>