Introduction Quelle qu’en soit la définition retenue, l’intelligence économique est toujours appréhendée comme proactive, se nourrissant d’une veille informationnelle réalisée sur des sources ouvertes pour faire en sorte, grâce à des actions d’influence, qu’un environnement pertinent (AUTEUR, 1998) favorable à l’entreprise advienne. Si la compétence est individuelle, l’intelligence est collective (Massé, AUTEUR, AUTEUR2, 2006) et l’action d’influence est donc, in fine, une affaire de réseau. Comment une stratégie d’influence sur la réglementation permet-elle à un réseau de TPE d’ouvrir un marché à une innovation ? Telle est la question posée par l’étude de cas Aquatiris présentée dans cet article, qui montre en recourrant à la théorie de l’acteur réseau comment l’influence n’est pas qu’une affaire de puissance. Cette recherche s’appuie sur l’analyse d’un corpus de sources audio-visuelles et d’articles (produites par Aquatiris<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[1]</a> ou par des journalistes) complété par un entretien accordé par Martin Werckmann, co-fondateur du projet, interrogé à partir d’un guide d’entretien construit par les auteurs. Ces différents corpus ont été transcrits afin d’en faciliter l’analyse de contenu. Des extraits constituent le verbatim qui soutient notre exposé. Pour conduire l’analyse du cas Aquatiris, nous procéderons en trois temps. Nous proposerons d’abord un bref rappel de ce qui caractérise la théorie de l’acteur réseau, premier angle d’analyse retenu s’agissant d’un questionnement en termes réticulaires. Ces rappels permettront de mieux appréhender les outils d’interprétation mobilisés dans un deuxième temps. Enfin, dans un troisième temps, nous proposerons d’enrichir l’analyse à partir d’une approche en termes de stratégie-réseau, laquelle nous semble opératoire pour l’approfondissement des logiques d’influence à l’&oelig;uvre.     1. Une entrée par la théorie de l’acteur réseau La littérature laisse apparaître deux conceptions selon que l’innovation est considérée comme un produit ou bien comme un processus à travers lequel une idée va se transformer en un bien ou un service reconnu comme nouveau. Des chercheurs ont mis en lumière le caractère réticulaire de ce processus, au travers de l’Actor Network Theory (ANT : Théorie de l’acteur réseau) considérant l’innovation comme un processus dans lequel actants humains et non-humains entrent en interaction. La notion de conception/diffusion de l’innovation est ainsi étroitement liée à la construction sociale du réseau et à la capacité d’une organisation à favoriser les interactions sociales, les négociations et les apprentissages permettant l’adaptation rapide de l’innovation en développement. Née au cours des années 80 d’un groupe de chercheurs du Centre de Sociologie de l’Innovation de l’école des Mines de Paris, l’ANT étudie principalement la naissance et le développement de sphères d’influence et des jeux de pouvoir. Cette théorie s’est attachée à l’étude de la création des connaissances scientifiques et du développement des innovations, des entreprises, de la recherche médicale, de la politique et plus récemment de la création des marchés. L’actant est un élément essentiel de l’ANT : il s’agit de toutes les entités susceptibles de se connecter entre elles - des textes, des êtres humains, de la monnaie, etc - afin de construire un univers commun avec d’autres entités possédant leur propre histoire, leur propre identité et leurs propres relations. Le terme d’actant symbolise le principe de symétrie revendiqué qui abolit les cloisonnements de toutes sortes et rejette les dualismes classiques entre « humains » et « non-humains », « nature »/ « social » . L’originalité de l’ANT provient donc de l’élévation des objets au rang d’acteurs à part entière dans la mesure où ils façonnent autant le social qu’ils en sont le réceptacle : ils sont « socio-techniques » (Akrich, Callon & Latour, 1988). Dans l’un des textes fondateurs de l’ANT, Callon (1986) en décrit le cadre d’analyse suivant quatre étapes : 1.  La problématisation : un acteur analyse une situation, définit le problème et propose une solution. 2.  L’intéressement : d’autres acteurs deviennent intéressés par la solution proposée. Ils modifient leur affiliation à un certain groupe en faveur du nouvel acteur. 3.  L’enrôlement : la solution est communément acceptée en tant que nouveau concept. Un nouveau réseau d’intérêts est ainsi créé. 4.  La mobilisation : le nouveau réseau débute son action en vue de la réalisation de la solution proposée. Il s’agit d’un processus itératif composé d’une succession d’épreuves et de transformations non prévisibles, produisant un compromis. Akrich, Callon et Latour montrent que le compromis est le fruit d’une élaboration collective et d’un intéressement de plus en plus large permettant l’adaptation mais aussi l’appropriation de l’innovation par le réseau sous l’impulsion de « porte-paroles ». La diffusion de l’innovation résulterait alors d’un mouvement tourbillonnaire d’adaptations, d’intéressements et d’enrôlements successifs d’actants. Dès lors, ce dont les chercheurs de la sociologie de la traduction rendent compte, c’est essentiellement comment les acteurs humains passent des alliances pour réaliser leur projet, en y mobilisant les non-humains et en les faisant évoluer. Pour parvenir à une relation stable et à l’atteinte de l’objectif fixé, les actants doivent viser un « point de passage obligé » afin de canaliser les divers intérêts dans une seule et même direction. Cela va aboutir à la création d’une « boîte noire » dans laquelle les processus de traduction vont agir automatiquement sans être renégociés au cas par cas. Un des principaux apports de la sociologie de la traduction réside dans la prise en compte des objets dans la dynamique sociale et, dans certains cas, l’objet va servir d’intermédiaire (Vinck, 1999) ou de médiateur (Cochoy, 2002) pour prendre part à l’action finalisée ou aux mécanismes de coordination : en intervenant soit dans le découpage temporel (passage d’une étape à une autre du processus d’innovation), soit dans le découpage social (lien entre deux acteurs appartenant à des mondes différents). Dès lors que les objets se définissent à partir des perceptions des acteurs humains et de leurs utilisation au sein du réseau, il importe de les intégrer au processus d’innovation, en tant que ressources comme le suggère Grossetti (2006). De même, il semble plus pertinent de s’intéresser, non pas aux acteurs eux-mêmes, ni à leurs interactions en tant que telles, mais plutôt à la manière dont les liens se créent entre les acteurs. Les travaux montrent que ce qui crée le lien entre les acteurs, ce sont les proximités qui existent entre eux, celles-ci pouvant être de différentes natures et concerner tant des ressources que des éléments de coordination. Appliquée à la conception/diffusion de l’innovation, l’économie des proximités prend comme point de départ l’innovateur au sens de Schumpeter. Cet innovateur, dans un premier temps, cherche à nouer des alliances stratégiques avec d’autres individus (appartenant à d’autres organisations) pris deux à deux afin d’élargir le partage et la création de connaissances et d’élargir le réseau par successions d’alliances bilatérales. Il existe des proximités de différentes natures et la littérature sur les dynamiques de proximité révèle que les liens et interactions sont facilitées, non seulement par l’histoire relationnelle entre les acteurs, mais aussi par leurs proximités qui ne se limitent pas à une proximité spatiale, mais peut s’étendre à des proximités socio-économiques (Bouba-Olga et Grossetti, 2008). Les proximités socio-économiques peuvent être regroupées en proximités de ressources ou en proximités de coordination (cf. figure 1).  <img height="523" src="https://www.numerev.com/img/ck_203_18_image-20220222081136-1.png" width="945" /> Figure 1. Typologie des ressources (Krupicka, 2013)   La dynamique du réseau va être insufflée par des mécanismes alternatifs d’encastrement (Granovetter, 1985) et de de découplage (White, 2002) des individus du réseau. L’approche par la proximité permet de hiérarchiser des types d’acteurs ainsi que de conférer aux objets et aux médiations un certain rôle dans le processus d’innovation, comme l’a révélé la sociologie de la traduction. Ce sont ces mécanismes que nous nous proposons d’étudier dans le cas de la conception du système de filtrage planté Aquatiris.   2. Le cas Aquatiris : phénoménologie et analyse par la théorie de la traduction   Nous proposons ici, non pas uniquement de porter un regard d’intelligence économique sur le cas Aquatiris au travers du cadre d’analyse offert par la théorie de la traduction, mais de l’enrichir au regard des proximités socio-économiques qui viennent cimenter le réseau et l’aident à se stabiliser, durant la phase de conception et ses premières années d’existence.   2.1. Un engagement initial techniquement innovant, habile en contexte semi-fermé Tout part de la création de l’Atelier REEB par l’association Aquaterre fondée en 2001. Celle-ci souhaite développer son concept de filtration sanitaire plantée pour remplacer les fosses septiques dans les collectivités en milieu rural. Il s’agit alors d’un véritablement engagement écologique et citoyen, pour le bien des usagers particuliers, mais aussi de collectivités. A cette époque, la réglementation en vigueur freine le développement de cette innovation écologique et seuls quelques particuliers sont prêts à contourner la législation par conviction mais aussi en engageant des démarches pour obtenir des dérogations, possibles seulement dans quelques situations particulières. Quelques années plus tard apparaissent peu à peu les prémices d’une règlementation en faveur des filtres plantés qui font leur apparition d’abord en France, sous l’impulsion de grands groupes tels que Véolia ou Suez, avant de remonter au niveau Européen, pour redescendre ensuite sur le plan national. Ces grands groupes s’intéressant uniquement aux collectivités, un champ des possibles était ouvert sur le marché des particuliers pour un petit acteur tel qu’Aquaterre. Mais à l’époque, l’atelier REEB « bricole » et fait au mieux, tout en ayant à c&oelig;ur de respecter la législation en vigueur, afin de s’intégrer dans le système, dispositif socio-technique à l’état naissant. Si la démarche de modification de la règlementation est en cours, le processus demeure long. « La création d’une association a permis de mettre en place un modèle économique hors marché jusqu’à ce que cela devienne règlementaire. Les collectivités ont suivi, via des projets et des dérogations. Elles ont précédé la règlementation.  Avec la création d’Aquatiris, on est passé d’un modèle innovant, écolo… pas toujours bien pris, à une organisation. » L’entreprise Aquatiris est créée en 2007. Ses spécialistes scientifiques sont basés en Alsace. Or, dans cette région, il existe peu de zones d’assainissement non collectif, ce qui limite sévèrement le développement. Martin Werckmann, un des fondateurs d’Aquatiris spécialiste de phyto épuration,  rencontre Edwige Le Douarin, sa cliente à l’époque, spécialiste, elle aussi dans le domaine scientifique et surtout solidement formée à l’administration. Edwige est implantée en Ille-et-Vilaine. La clientèle s’étend alors sur tout le territoire national, et notamment à 30 % en Ille-et-Vilaine qui s’avère être un marché à fort potentiel en ce qui concerne la clientèle particulière. Le développement étant encore entravé par la règlementation, le développement commercial de l’entreprise juvénile va s’appuyer sur l’entrée dans le dispositif Aquatiris d’Alain, lui-même client d’Edwige, spécialiste en organisation et modèle économique. Une construction en réseau, par affinité thématique et complémentarité fonctionnelle. Pour reprendre le propos de Martin, « le réseau s’est fait tout seul. Edwige et moi. Deux compétences qui s’associent. » En 2009, la règlementation tant attendue fait son apparition : désormais, les systèmes d’assainissement doivent non plus remplir une obligation de moyen, mais une obligation de résultat, quelle que soit la méthode employée. Cette première controverse a été levée, par de gros acteurs du marché de l’assainissement collectif. Mais pour se développer, Aquatiris va désormais devoir se distinguer des acteurs « anti-systèmes » agissant jusqu’alors en franc-tireurs (Massé, AUTEUR, AUTEUR2, 2006), acteurs qui se sont déployés en réseau sur le marché national. Pour ce faire, elle va s’appuyer sur une démarche d’influence par la crédibilité scientifique et une stratégie de communication « de pair à pair ».   2.2. Première controverse : expérimenter l’innovation et apporter les preuves de son efficacité pour crédibiliser le système de filtration planté La crédibilité de l’entreprise passait par la preuve scientifique que la filtration plantée était  efficace, tout en étant écologique et esthétique. A l’initiative des créateurs d’Aquatiris, un réseau d’actants s’est peu à peu créé : le Cémagref (aujourd’hui INRAE) en tant qu’organisme scientifique public reconnu et spécialiste des études en biodiversité et en impact environnemental, l’Agence Régionale de Santé, et l’ENGEES (Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg). Ensemble, avec le dispositif planté, ces actants ont travaillé durant un an sur 30 installations chez des particuliers, avec le soutien de quelques personnes au Ministère de l’Environnement - le dispositif n’étant pas encore homologué à l’époque. La sociologie de la traduction nous permet l’analyse de cette première controverse : •   La problématisation : le porteur de projet, Martin, est l’acteur qui va élaborer les grandes lignes du dispositif et identifier les acteurs qu’il doit réunir autour de ce projet afin de parvenir à la crédibilité et l’efficacité du filtre planté de l’entreprise. •   L’intéressement : Martin a rencontré alors chacun des protagonistes afin de présenter les grandes lignes de son projet et débuté un travail collaboratif autour de l’expérimentation de ce dispositif. •   L’enrôlement : chaque actant va peu à peu se voir affecter un rôle : Edwige, l’administration, Alain le développement de l’activité, Martin la R&D, le Cémagref les tests scientifiques, l’ENGEES la réflexion autour de l’efficacité attendue du dispositif, l’ARS un contrôle des résultats, le Ministère de l’Environnement une caution morale, les particuliers l’installation de ce dispositif sanitaire en phase expérimentale, et le filtre planté lui-même qui évolue. •   La mobilisation : le dispositif commence peu à peu à prendre forme jusqu’à l’apparition d’une nouvelle controverse, à savoir le besoin d’homologation et de défense face au lobbying étranger. Afin de comprendre les circonstances qui ont permis à ce projet de voir le jour, il convient d’examiner les proximités de ressources qui unissent ces actants : · Dans sa constitution, Aquatiris à fait appel à une proximité de ressources de coordination relationnelles dans la mesure où Martin connaissait Edwige, sa cliente, qui connaissait Alain, son client. Ce qui les a rapprochés professionnellement, c’est leur complémentarité. · Des ressources socio-économiques constituées de ressources attitudinales (intérêt scientifique) et matérielles (terrains d’expérimentation au travers des installations) vont permettre d’encastrer dans ce réseau naissant le Cémagref. · Des proximités spatiales vont être mobilisées pour enrôler des actants locaux tels que l’ARS d’Alsace et l’ENGEES de Strasbourg…. Le réseau se met en place peu à peu, par mécanisme d’encastrement, impulsé par le porteur de projet et les proximités spatiales et socio-économiques qu’il a su mobiliser. Avec l’évolution de la règlementation (actant périphérique de ce réseau naissant), Aquatiris va pouvoir entamer une démarche d’homologation afin de garantir son intégration dans ce que ses dirigeants nomment « le système », à savoir, le marché.   2.3. Deuxième controverse : entamer la démarche d’homologation du système de filtrage planté d’Aquatiris face au lobbying irlandais Cette controverse va nécessiter l’élargissement du réseau d’actants à des acteurs institutionnels tels que le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable ainsi que les principaux syndicats professionnels du secteur. Il s’agit alors d’un lobbying amateur pour contrer le lobbying professionnel exercé par des acteurs irlandais qui souhaitent infléchir la règlementation européenne en leur faveur. L’apparition d’un « ennemi commun » fédére ces actants au réseau mis en &oelig;uvre par Aquatiris. •   La problématisation : les porteurs de projet vont élaborer les grandes lignes de défense et identifier les acteurs institutionnels à réunir pour soutenir ce projet face au lobbying irlandais. •   L’intéressement : rencontre avec les protagonistes afin de présenter les grandes lignes du projet et début d’un travail collaboratif autour d’une ligne de défense. •   L’enrôlement : chaque actant va peu à peu se voir affecter un rôle. Le Ministère apporte son soutien à cet acteur valorisant la cause écologique du Gouvernement, sans présenter de risque face aux acteurs en place ; le syndicat professionnel des Bureaux d’Etudes, la Fédération des professionnels de l’Epuration VEgétalisée (FEVE) ainsi que Syndicat des Acteurs du Traitement des Eaux de la Parcelle (ATEP) soutiennent le modèle Aquatiris, dans la perspective de créer de nouveaux débouchés pour ses adhérents. •   La mobilisation : le dispositif commence peu à peu à prendre forme pour aboutir à jusqu’à l’apparition d’une nouvelle controverse, à savoir le besoin d’étendre le réseau géographiquement. Là encore, des proximités de ressources socio-économiques permettent de résoudre la controverse, à commencer par une proximité de ressources de coordination relationnelles dans la mesure où le dirigeant d’un des syndicats professionnels connaissait personnellement un des fondateurs d’Aquatiris, qu’il a pu faire bénéficier l’entreprise de son réseau relationnel, soutenu par des proximités de ressources attitudinales, notamment grâce à l’apparition d’un acteur extérieur, reconnu par chacun des actants comme un ennemi : le lobbying des professionnels irlandais, eux soutenus par leur Gouvernement, incitant le Ministère à soutenir ce petit acteur qu’est Aquatiris. Cela a permis à l’entreprise d’obtenir son agrément, une notoriété et une reconnaissance institutionnelle. A partir du moment où Aquatiris obtient l’agrément lui permettant de commercialiser son système de filtration plantée, l’administration soutient ouvertement l’entreprise dans ses démarches de lobbying sur le plan national et communautaire. Les appuis locaux permettent à l’entreprise de répondre à des appels à projet en collaboration avec l’INRAE pour financer les innovations à venir, notamment pour résoudre les questions règlementaires d’effluents d’eau de surface, eu égard aux risques de gites à moustiques et aux risques sanitaires. Une dernière controverse apparaît néanmoins afin de permettre la diffusion de l’innovation et accompagner le développement du réseau commercial d’Aquatiris : structurer l’organisation réticulaire de l’entreprise.   2.4. Troisième controverse : la structuration du réseau C’est lors de la résolution de cette dernière controverse qu’un phénomène de découplage apparaît, amenant les dirigeants d’Aquatiris à se séparer d’un des associés. Afin de capitaliser sur ce qui a fait la valeur ajoutée d’Aquatiris et développer son marché auprès des particuliers, l’entreprise décide de commercialiser son filtre planté par l’intermédiaire de bureaux d’études et d’acteurs de la filière plantée, implantés dans des zones dans lesquelles l’assainissement collectif est encore inexistant. Ce réseau de TPE permet d’offrir à la clientèle des particuliers, non seulement une solution écologique au travers d’un système de distribution implanté localement et dans tous les secteurs de la filière plantée, mais aussi, et surtout, un savoir-faire de plus de huit ans avec des prestataires formés et expérimentés. La force du réseau permet d’accroitre la robustesse et la compétitivité du système face à des concurrents étrangers, européens mais aussi asiatiques, qui tentent de pénétrer le marché avec des produits bons marché, comme c’est le cas de l’assainissement collectif qui est passé aux mains des industriels étrangers dans 80% des cas en 10 ans. •   La problématisation : cette fois, c’est un cabinet extérieur qui va avoir la charge de structurer l’entreprise pour l’aider à passer d’un modèle de gestion de type « start-up » à une structure plus fonctionnelle. •   L’intéressement : rencontre avec les protagonistes afin de présenter les grandes lignes du projet et travail collaboratif de structuration interne du siège social, du réseau commercial et des interactions entre les bureaux d’études, les acteurs de la filière plantée et le siège social. •   L’enrôlement : chaque actant va peu à peu se voir affecter un rôle. Á Martin la R&D et l’innovation, à Edwige l’administration et le commerce et à Alain l’organisation et la finance. Ce dernier, montrant des velléités hégémoniques, va cependant devoir quitter l’entreprise. Les autres acteurs du réseau vont accepter cette nouvelle organisation fonctionnelle de l’entreprise et de son réseau commercial s’appuyant sur 70 bureaux d’études et/ou acteurs de la filière plantée répartis sur tout l’hexagone et pays limitrophes. •   La mobilisation : Ce réseau de plus de 200 personnes atteint ainsi une taille critique légitimant d’autant plus la structure aux yeux des collectivités et de l’administration. A cette étape du projet, et pour lui permettre de se pérenniser, c’est un mécanisme de découplage (White, 1992) qui fait son apparition. Si la logique d’encastrement, à l’&oelig;uvre jusqu’ici, désigne un processus d’intégration, totale ou partielle, d’un environnement d’échanges et d’interactions entre actants, le découplage, quant à lui apparaît lorsqu’un actant atteint un certain niveau d’autonomie par rapport à l’ensemble du cercle constitué par le réseau. Le mécanisme d’autonomisation va peu à peu le marginaliser au sein du réseau, et l’amener à s’en séparer.   3. Un questionnement en termes d’influence par la logique de la stratégie-réseau « On peut être influent même sans moyens. Oui, si on est convaincu et si ce que l’on essaie de faire passer est valable. » Le cadre d’analyse en quatre étapes de la théorie de la traduction a fait ses preuves dans l’analyse de multiples situations d’innovation, parce qu’il s’appuie sur le concept fort d’actant et permet une analyse solide des mouvements qui s’opèrent et des phasages successifs en termes de controverses. Néanmoins, nous souhaitons le compléter d’un second cadre d’analyse - celui de la stratégie-réseau - afin de rendre compte des logiques d’influence réticulaires mises en &oelig;uvre.   3.1. Ce que stratégie-réseau signifie en termes d’influence La stratégie-réseau est le mode d’action stratégique qui consiste à développer et activer des liens relationnels au service d’un projet (AUTEUR & AUTEUR2, 2000). Démarche stratégique choisie par des acteurs dans tous types de contextes professionnels comme extra-professionnels, elle est particulièrement appropriée à la mise en &oelig;uvre de man&oelig;uvres d’influence : réseaux d’espionnage militaire ou civil pour influer sur les décisions des états ; réseaux d’affinité intellectuelle influant sur la création d’organisations syndicales, politiques, scientifiques ; réseaux de chefs d’entreprise engageant des actions de lobbying ; réseaux d’élus cherchant à influer sur l’orientation d’une politique nationale ; réseaux d’acteurs de la vie militante cherchant à faire évoluer les pratiques entrepreneuriales et sociétales… Manifestement, les acteurs ont pris acte depuis longtemps de l’efficacité de pratiques organisées en réseau et de l’effet de levier réticulaire (AUTEUR & AUTEUR2, 2018) qu’elles permettent,  qu’il s’agisse de mettre en &oelig;uvre par ce moyen des actions engagées au service d’une cause intéressée ou altruiste, des actions de véritable déstabilisation ou, à contrario, des tentatives de stabilisation d’environnements perturbés (AUTEUR, 2015) dans des contextes communément animés de tensions sociales, politiques, commerciales etc., caractérisées par une compétitivité ordinaire entre acteurs, une conflictualité, ou une véritable guerre économique (Harbulot, 2018). La stratégie-réseau apparait donc comme le substrat organisationnel et communicationnel de la mise en &oelig;uvre de stratégies d’influence en intelligence économique.   3.2. Une seconde lecture du cas Aquatiris au prisme de la stratégie-réseau Le corpus analysé accorde une place relativement discrète aux stratégies d’influence en réseau. Or celles-ci se devinent au fil des entretiens notamment, ce dont l’analyse par la théorie de la traduction rend peu compte. Heureusement, le guide d’entretien élaboré a permis de déceler la stratégie-réseau d’influence mise en &oelig;uvre. Une conférence filmée d’Alain L’Hostis<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[2]</a>, permet une lecture du cas susbtantiellement plus marquée par une logique de stratégie-réseau d’influence précoce qui s’appuie sur la logique de crédibilité choisie par les acteurs : « On était convaincu qu'il fallait avoir des données scientifiques donc un programme de recherche. Ensuite …, on en a fait la communication lors d’un salon : les assises nationales de l'assainissement non collectif […]. Forcément, on a eu une tribune gratuite. Il le fallait puisque qu’on n’avait pas les moyens de se payer un stand. Une centaine de personnes étaient à cette conférence.[…] On a récupéré les noms des personnes et ensuite, dans les couloirs du salon, je suis allé repérer les personnes clés pour me présenter, faire plus ample connaissance et simplement échanger nos cartes de visite. Puis nous leur avons proposé de venir nous visiter à Rennes, à 2h15 en TGV de Paris.  Une première personne puis une deuxième personne en lui proposant la même chose en disant que j'avais invité tel ou tel ou tel, etc. Au final, on a eu 10 personnes différentes : Ministère, DASS, CEMAGREF, etc. Ces gens se connaissaient, ce qui est allé dans le sens de notre crédibilité. Ils sont venus visiter une installation en novembre 2008 à Rennes et à partir de là, les verrous ont sauté ». Bien évidemment,  la force première d’Aquatiris résidait dans la crédibilité scientifique de son procédé. Mais sans une subtile et intentionnelle mise en &oelig;uvre de pratiques informationnelles et communicationnelles (conférence en salon), commerciales (collecte des noms), relationnelles (repérage de personnes clés, échange de cartes de visite), réticulaires (inviter une deuxième personne en disant que j’ai invité untel), dans une relation du faible au fort (les grandes entreprises d’assinissement et le ministère) Aquatiris aurait pu, malgré la pertinence de son innovation, s’épuiser. Cette seconde lecture met davantage en évidence le rôle de l’intention stratégique réticulaire, autrement dit, le choix, théorisé ou non par l’acteur, de mettre en &oelig;uvre une stratégie rélationnelle articulée, offensive, pour appuyer son avantage concurrentiel. Ici, un procédé innovant. Cette intention stratégique ressort également – mais plus discrètement - du récit de Martin, lorsque celui-ci confie : « Pour ce qui est du lobbying, au début, on va toquer aux portes, on tâtonne […] On ne calculait pas. Très rapidement, le ministère a posé des questions. Nous faisons un lobbying de présence et de contacts. On existait. On occupait la place. Maintenant, si quelque chose va à notre encontre, on va se mobiliser pour l’empêcher. […] On est quand même super diplomate. J’ai toujours l’intérêt général en amont. […]<s> </s>La première règle du lobbying pour se faire apprécier : ce que l’on fait est légitime, bien. […] Il existe une Fédération des professionnels de l’épuration végétalisée. Quand les Irlandais ont voulu interdire l’épuration végétalisée, on a fait un courrier pour lutter : on existe, vous n’avez pas le droit de nous tuer. Là, on a une veille, on fait attention qu’il n’y ait pas d’élément dangereux contre nous. En se faisant apprécier, on se fait un peu défendre. Il y a aussi un Syndicat des fabricants. Il fait du lobbying qui pourrait donner des orientations. Ce sont des industriels, ils ont besoin de visibilité et d’anticipation. Dans ce syndicat, j’ai beaucoup participé à la réintroduction des eaux dans le sanitaire. Si on est sérieux, respecté, apprécié, on peut influer.» Il apparait ici que l’influence en réseau peut parfaitement s’accomoder de, voire s’appuyer sur, une volonté forte d’être respecté car respectable. Celle-ci suscite adhésion et reconnaissance, ce qui enclenche l’effet réticulaire. Pour autant, l’acteur a clairement intégré dans son action le dispositif professionnel, politique, scientifique qui ordonne son domaine d’activité, et su s’y insérer pour agir. Aucune naïveté ; en revanche, une éthique de l’action.   Conclusion L’analyse du cas Aquatiris appelle deux observations en termes d’intelligence économique. La première est la confirmation que l’analyse par la théorie de la traduction permet une approche analytique solide de situations complexes, multi-actants, et la perception - au-delà de ce qui s’est effectivement réalisé - de logiques intentionnelles d’acteurs. A ce titre, nous suggérons qu’elle devrait être davantage mobilisée dans les travaux d’intelligence économique car, selon la revue de littérature que nous avons réalisée, elle demeure marginalement exploitée. La seconde observation est que la dimension conflictuelle, en termes d’affrontements d’acteurs, n’est pas un prisme privilégié par la théorie de la traduction et, par conséquent, que les logiques d’influence, quand elles apparaissent, y semblent en quelque sorte corrolaires ou incidentes. Nous suggérons donc que l’ajout d’une lecture en termes de stratégie-réseau est un complément opératoire pertinent dès lors qu’il s’agit spécifiquement de distinguer des stratégies d’influence dans les logiques conduites par les actants, lesquelles sont habituellement sous-tendues par des intentions, des procédés et des logiques réseau d’influence, induites par la conflictualité propre à l’action économique. En somme, un recours combiné à la théorie de l’acteur réseau d’une part, et à la stratégie-réseau d’autre part, ouvre de stimulantes perspectives d’analyse de situations d’intelligence économique réticulaires.       Annexe 1. Les dates clés du cas 1992 : Martin travaille à l’Atelier REEB, bureau d’études spécialisé en phytoépuration en assainissement collectif.  2001 : Martin répond aux demandes de phytoépuration pour les particuliers sous le nom association AQUAterre. 2005 : Edwige représente AQUAterre en Ille-et-Vilaine en créant une entreprise individuelle : AQUAterre Bretagne. C'est ainsi qu'elle est amenée à réaliser l'étude pour l’habitation d’Alain. 2006 : L’idée d’un réseau de bureaux d'études est exposée à Alain, alors conseiller en création d’entreprises. 2007 : AQUATIRIS est créée sous forme d’une franchise de bureaux d'études et d’un réseau d’installateurs. SARL au capital de 18000€. Trois actionnaires : Martin, Edwige et Alain 2010 : AQUATIRIS s’engage dans la validation de sa filière pour 5 Equivalents-Habitants (EH) sur la plateforme du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) à Nantes. 2011 : Décembre 2011 : agrément de la filière Jardi-Assainissement FV+FH 5 EH 2014 : Avril 2014 : extrapolation de l'agrément, désormais valable pour des installations de 3 à 20 EH 2016 : Janvier 2016 : extrapolation de l'agrément, désormais valable pour des installations de 2 à 20 EH     Bibliographie Akrich M., Callon M., Latour B., 1988, « A quoi tient le succès des innovations », Gérer et Comprendre Annales des mines, 11, pp. 4-17. Bouba-Olga O., Grossetti M., 2008, « Socio-économie de proximité », Revue d'Économie Régionale & Urbaine, n°3 – octobre, pp. 311-328. Callon M., 1986, « Eléments pour une sociologie de la traduction – La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs en baies de Saint-Brieuc », L’Année Sociologique, 36, pp. 169-208. Cochoy F., 2002, Une Sociologie du Packaging ou l'âne de Buridan face au marché, PUF. François L., Zerbib R. (dir.), 2015, Influentia, la référence des stratégies d’influence, Editions Lavauzelle. Granovetter M., 1985, « Economic action and social structure: the problem of embeddedness », American Journal of Sociology, Vol. 91, n°3, pp. 481-510. Grossetti M., 2006, « Réseaux sociaux et ressources de médiation dans l’activité Economique », Sciences de la Société, n° 73, pp. 83-103. HARBULOT C., 2018, L’art de la guerre économique, Editions VA, 144 p. AUTEUR, référence 1 auteur, auteur2, référence 2 auteur, auteur2, référence 3 Massé G., auteur, auteur2, référence 4 AUTEUR 3 Vinck D., 1999, « Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en compte des objets dans les dynamiques sociales », Revue Française de Sociologie, XL, n°2, pp. 385-414. White H., 2002, Market from networks. Socioeconomic models of production, Princeton. <div>  <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[1]</a> En particulier <a href="http://www.aquatiris.fr" style="color:#0563c1; text-decoration:underline">www.aquatiris.fr</a> </div> <div id="ftn2"> <a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[2]</a> « Comment une TPE peut-elle influencer la réglementation nationale sur l’assainissement », conférence d’Alain L’Hostis, 2010. </div> </div>