<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Considéré comme cancérigène probable depuis 2015, le glyphosate est un herbicide – principe actif du Roundup de Monsanto – au cœur d’une controverse scientifique durable (Rennes, 2016). Nonobstant, de nombreux acteurs – producteurs, utilisateurs de pesticides et leurs alliés – sont attachés à défendre le glyphosate à tout prix et contestent depuis longtemps les études et les chercheurs qui alertent sur sa toxicité. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à lancer, encourager voire manipuler de véritables polémiques – <i>guerres</i> au sens grec du terme (Amossy & Burger, 2011; Kerbrat-Orecchioni, 1980) – afin de prendre le contrôle sur l’information scientifique et par là influencer les médias, l’opinion publique et les décideurs politiques afin d’obtenir des autorisations commerciales ou faire taire les lanceurs d’alertes.</span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Dans cet article nous revenons sur plus d’une décennie de polémiques qui traduisent bien des guerres <i>par</i>, <i>pour</i> et <i>contre</i> l’information autour du glyphosate. En nous appuyant sur des travaux précédents et des études nouvelles, plusieurs cas feront l’objet d’une analyse spécifique permettant de bien comprendre le contexte agonistique et la nature des stratégies de désinformation, d’influence, de manipulation et de communication sur des sujets sensibles à l’œuvre ici.</span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Nous nous intéressons tout particulièrement aux « Monsanto Papers », véritable « mine » de documents qui révèlent la complexité des stratégies mobilisées par Monsanto. L’entreprise s’appuie sur les incertitudes de l’information scientifique en controverse pour mener une véritable guerre informationnelle jusqu’au cœur des revues scientifiques et des rapports des agences d’évaluation du risque. Cette <i>guerre par l’information</i> passe par l’utilisation de tout un réseau de chercheurs alliés et de stratégies de « ghostwriting » afin d’assurer que les discours et les savoirs qui circulent sur la molécule controversée ne tiennent compte que du seul cadre idéologique et paradigmatique choisi par la firme. Plus encore, certaines des stratégies observées s’inscrivent pleinement dans des <i>guerres contre l’information</i>. Qu’elles correspondent à des formes de manipulation de la connaissance qui relèvent de l’agnotologie et qu’il nous reviendra de qualifier (Foucart et al., 2020; Latour, 2012) ou qu’il s’agisse de tentatives de désinformation ayant pour but de semer le doute sur les intentions et la crédibilité des chercheurs et des lanceurs d’alerte, comme dans l’affaire des « Portier Papers » qui s’appuie sur la diffusion et la mise en scène de « fake news ».</span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Nous nous intéressons également aux conflits liés à l’accès aux données d’évaluation des risques et aux données scientifiques. Ainsi, depuis de nombreuses années, l’industrie qui transmet aux agences sanitaires européennes ses données d’homologation (études d’impact, études scientifiques de toxicité, composition des produits, etc.), refuse que celles-ci soient accessibles au grand public ou aux chercheurs sous prétexte qu’elles relèvent du secret des affaires. Or dans un contexte de suspicion généralisé sur les conflits d’intérêts qui lient autorités sanitaires, chercheurs et industriels, de nombreuses ONG demandent la transparence et l’accès à ces informations. Deux cas témoignent ici d’une <i>guerre pour l’information</i> manifeste : d’une part, le conflit qui a opposé Monsanto, l’EFSA et le chercheur français Gilles-Eric Séralini autour de la mise à disposition d’études « caviardées » et du secret des données du lanceur d’alerte ; d’autre part, le récent arrêt de la Cour de Justice Européenne renforçant le droit à l’information dans le cadre des procédures d’autorisation des pesticides. Au-delà d’une simple controverse sur une molécule, les conflits qu’on observe autour du glyphosate traduisent la complexité des acteurs et le tournant agonistique qui remet en cause les rapports entre information, science et communication dans la sphère publique en général. </span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Références :</span></span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Amossy, R., & Burger, M. (2011). Introduction : La polémique médiatisée. <i>Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours</i>, <i>31</i>, 7‑24.</span></span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Foucart, S., Horel, S., & Laurens, S. (2020). <i>Les gardiens de la raison : Enquête sur la désinformation scientifique</i>. La Découverte.</span></span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Kerbrat-Orecchioni, C. (Éd.). (1980). <i>Le discours polémique : Centre de recherches linguistiques et sémiologiques de Lyon ; [Catherine Kerbrat-Orecchioni u.a.]</i>. Pr. univ. de Lyon.</span></span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Latour, B. (2012). Que la bataille se livre au moins à armes égales. In <i>Controverses climatiques, sciences et politiques</i> (p. 7). Presses de Sciences Po.</span></span></span></p>
<p class="Bibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:200%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Rennes, J. (2016). Les controverses politiques et leurs frontières. <i>Etudes de communication</i>, <i>n° 47</i>(2), 21‑48.</span></span></span></p>