<p>Résumé</p>
<p>Depuis les soupçons d’ingérence russes dans la campagne présidentielle américaine (Cadwalladr, 2018; Isaak & Hanna, 2018), populations et États ont pris conscience du risque induit par les campagnes d'influence. Ces opérations multipliées ces dernières années (campagnes présidentielles française, allemande, taïwanaise, vote du Brexit, etc.) ont plusieurs objectifs. Si leur finalité première ne semble pas être économique, il est néanmoins pertinent de s’intéresser à l’effet collatéral qu’elles ont sur le tissu économique et l’équilibre des marchés des zones ciblées. Les exemples cités ici, bien que délicats à attribuer, font pour la plupart peser les soupçons sur la Fédération de Russie. Cependant, aucun n'inclut le continent africain qui n’est pas épargné par ces opérations. Au travers de campagnes à finalité géopolitique se jouent des enjeux économiques qui recoupent les piliers traditionnels de l’intelligence économique que sont la veille, la sécurité et l’influence (Marçon & Moinet, 2011), et du cyber souvent compté dans cette discipline (Dou, Juillet, Clerc, 2018). </p>
<p> </p>
<p>Cet article traitera du champ informationnel cyber et de ses conséquences économiques. Les campagnes informationnelles russes s’inscrivent dans des stratégies de longues dates. Si le propos n’est pas ici de reprendre les concepts de l’<i>agit prop</i> ou de la maskirovka (Mitrokhine, 2005; Dugoin-Clément, 2015), il n’en demeure pas moins que les architectures perdurent. En outre, ces dernières ont été modernisées dans la directive cadre de 2000, puis approfondies dans la refonte de la doctrine de sécurité informationnelle de 2016 suite aux opérations menées en Ukraine.</p>
<p> </p>
<p>Le continent africain est un point d’intérêt économique majeur au vu de ses ressources naturelles et de son potentiel de développement (Pezzini, 2019). Les perspectives de croissance de l’Afrique seront des plus intéressantes au monde entre 2020 et 2023 (Odusola, 2019), en faisant un marché à même d’aiguiser les appétits de nombreux secteurs industriels.</p>
<p>Nous présentons ici les architectures et finalités de deux types distincts de campagnes informationnelles russes au travers l’étude des cas du Sénégal et de Madagascar, partenaires commerciaux traditionnels de la France. Après avoir présenté les leviers et la dialectique utilisés, nous procéderons à une étude des indicateurs économiques et des analyses sectorielles récoltées concernant ces deux pays, avant d’observer si des corrélations apparaissent entre les campagnes menées et l’évolution des relations commerciales, notamment vis-à-vis de la France. Conscients de l’aspect potentiellement long termiste des campagnes d’influence, nous nous sommes interrogés sur de possibles effets de durcissement des négociations ou d’implantations plus délicates pouvant nécessiter des architectures plus lourdes et des investissements nouveaux pour les entreprises. Aussi l’analyse factuelle sera ensuite confrontée aux données qualitatives récoltées lors d’entretiens menés auprès d'acteurs de terrain (chefs d’entreprises, diplomates et patrons de syndicats professionnels), qui sont en prise directe avec les évolutions sociales et économiques dans ces deux pays. </p>
<p> </p>
<p>Les résultats obtenus sont innovants en ce qu’ils montrent un biais de perception sur l’impact des campagnes informationnelles en matière de relations commerciales avec la France. En outre, cette étude rappelle que le continent africain n’est pas une entité homogène et que les études menées dans certains pays ne peuvent être utilisées en l'état comme grille de lecture pour d’autres. Ce travail mériterait des études complémentaires, car des paris sur l’avenir en termes de géostratégie, de sécurité, de renseignement et de retombées économiques semblent être opérés.</p>