Hacking, l’opération spéciale permanente (titre provisoire) « CIA ». Confidentialité, Intégrité, Disponibilité (Availability) : tel est le triptyque d’airain de la cybersécurité. Face à cette posture de sûreté des systèmes d’information, le hacking, lato sensu : ensemble des techniques de détournement d’usage de dispositifs de tous ordres. On « hacke » des objets, des systèmes, des ordinateurs, des logiciels, la pensée, les foules. On parle de hackers éthiques, d’hacktivistes, de hackers noirs... Cette plasticité sémantique, bien qu’en partie liée à des effets mémétiques, illustre néanmoins l’hybridation de pratiques dont la ligne de crête entre légalité et illégalité est de plus en plus floue. Les cyberattaques connaissent aujourd’hui un essor exponentiel qui touchent tous les acteurs et tous les domaines : public, privé, politique, militaire, économique, social... Avec sa dimension et sa portée transversales, le cyberespace unifie dans une réalité augmentée les milieux de la stratégie. Ainsi, une guerre sans limites, greffant au monde physique un méta-territoire cybernétique, abolit des cloisons établies de longue date. Le hacking est par conséquent une composante centrale des guerres menées par, pour et contre l’information. Schématiquement séparé en trois couches, le cyberespace est en effet tout à la fois le support physique, logique et sémantique par et sur lequel vont être déployées des attaques protéiformes en vue de : <ul> <li class="MsoListParagraphCxSpFirst" style="text-align: justify; text-indent: -18pt; line-height: 150%;">        saboter, détruire, paralyser (couche matérielle, guerre contre l’information)</li> <li class="MsoListParagraphCxSpMiddle" style="text-align: justify; text-indent: -18pt; line-height: 150%;">        faire de l’espionnage, pirater, altérer (couche logique, guerre pour l’information)</li> <li class="MsoListParagraphCxSpLast" style="text-align: justify; text-indent: -18pt; line-height: 150%;">   faire du renseignement, désinformer, déstabiliser, subvertir (couche sociocognitive, guerre par/pour/contre l’information).</li> </ul> Depuis plusieurs années maintenant au fait de ces cybermenaces, comment expliquer que les acteurs politiques et économiques ou encore sanitaires soient toujours victimes de tels agissements ? S’agit-il de failles et manquements spécifiquement techniques ou organisationnels ? Comment appréhender, au regard de l’intelligence stratégique, cette apparente fatalité ? Pour tenter de répondre à cette question, nous soumettrons trois cas de hacking d’organisations à une triple grille de lecture. Du point de vue théorique, nous convoquerons ainsi, d’une part, la boucle OODA comme outil d’aide à la décision emprunté au monde militaire et transposé au domaine de l’intelligence économique. Cette matrice d’analyse tactico-stratégique n’a jamais fait ou presque l’objet d’une application au champ de la cybersécurité en France, et encore moins à la méthodologie du hacking. D’autre part, nous inscrivons notre analyse dans le concept de guerre économique systémique démocratisé par Christian Harbulot et selon lequel, à l’image de la thèse des généraux Qiao Liang et Wang Xiangsui sur la guerre hors limites, les rapports conflictuels empruntent des voies de moins en moins militaires mais à l’inverse des formes de plus en plus globales. Enfin, une dernière grille de lecture, celle de la guerre réseau-centrique (ou combat infocentré) issue du débat sur la Révolution dans les affaires militaires (RMA), nous permettra, en la « civilisant », de compléter notre approche. Du point de vue méthodologique, notre investigation de cas se fondera sur l’exploitation de sources secondaires (presse, analyses de spécialistes, témoignages indirects et directs de hackers). L’un considèrera l’étude d’une opération de sabotage qui a mis aux prises l’Iran et la compagnie nationale pétrolière Saudi Aramco (couches matérielle et logique). L’autre apportera un éclairage sur le piratage massif qui a récemment touché SolarWinds et ses dizaines de milliers de clients politiques et économiques, sur la base d’une altération de son logiciel Orion (couche logique). Enfin, un troisième cas traitera des man&oelig;uvres dites de guerre psychologique (PsyOps) et notamment l’astroturfing mis en &oelig;uvre dans l’affaire Cambridge Analytica (couche sociocognitive).