<p><br />
Introduction<br />
Contexte<br />
En l’espace de 30 ans, la révolution numérique a bouleversé nos pratiques de recherche d’informations. Entre les méthodes des années 90, date du rapport Martre, et les pratiques actuelles, il y a eu des changements majeurs. Ces changements sont caractérisés notamment par :<br />
- Une concentration extraordinaire des outils de recherche dans les mains de quelques acteurs de taille mondiale : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).<br />
- La fin de l’anonymat des recherches, et le suivi des internautes dans toutes leurs interactions numériques.<br />
- Des capacités inégalées d’influence.</p>
<p>Il est donc essentiel de réfléchir à ce que ces bouleversements vont entrainer.<br />
- Pour ce faire, nous allons nous concentrer sur un des acteurs majeurs de cette révolution : Alphabet / Google. S’il n’est pas le seul à profiter de cette concentration des pouvoirs informationnels, il est néanmoins un des plus présents dans les actions de recherche d’information des internautes. Dans cet article nous utiliserons par commodité la marque Google comme un synonyme d’Alphabet, le nom de l’entité qui coiffe l’ensemble des produits de la firme de Montain View.<br />
- Nous allons aussi nous concentrer sur un public cible : les professionnels de l’information : archivistes, documentalistes, veilleurs, professionnels de l’intelligence économique (IE). Si ces acteurs ont bien évidemment des métiers très différents, tous ont en commun d’avoir une vision très fine de l’importance de « l’information ». L’information est leur matière première, que ce soit pour l’archiver, la mettre à disposition, la surveiller, l’utiliser comme outil d’information ou la protéger.<br />
- Enfin, nous allons nous concentrer sur une partie des activités des professionnels de l’informations : les actions de recherche et de veille. Nous allons laisser de côté les actions qu’ils peuvent mener en termes d’influence, de sécurité informationnelle (deux piliers des activités d’IE), de documentation, d’archivage ou d’analyse.</p>
<p>Objectifs poursuivis<br />
En partant de l’observation des pratiques des professionnels de l’information sur les aspects recherche d’information et de veille, notre objectif est de comprendre la place de Google et d’analyser comment ils se positionnent face à ce géant du numérique.<br />
Notre hypothèse est que le caractère indispensable de Google dans les activités de recherche d’informations pose un problème fondamental d’autonomie informationnelle.</p>
<p>Méthode de collecte<br />
Nous avons mis en place deux méthodes de collecte.<br />
- Quantitative, avec un questionnaire en ligne qui a recueilli 306 réponses en date du 25 juin 2021. C’est sur cette base que le présent article a été écrit. A noter que le questionnaire sera disponible en ligne pendant plusieurs années pour disposer, à terme, de l’échantillon le plus large possible.<br />
- Qualitative, avec 30 entretiens semi-directifs menés avec des professionnels de l’information : directeurs et responsables veille ou IE, veilleurs, analystes, consultants, professeurs. Le choix de ces personnes s’est fait en fonction de deux critères :<br />
o Leur ancienneté dans le domaine de la gestion de l’information. Nous avons privilégié ceux ayant une longue expérience et donc une possibilité de comparaison avec le temps reculé où Google n’était pas aussi présent.<br />
o Leur activité. Nous avons privilégié les personnes ayant un poste qui leur permet d’avoir un recul critique sur les méthodes de recherche.</p>
<p>Les deux méthodes retenues impliquent évidemment un risque de biais d’échantillon(Bronner, 2013), dont nous avons essayé de nous affranchir comme suit :<br />
- D’abord au niveau du questionnaire : Pour éviter une surreprésentation des membres de notre réseau relationnel (Marcon & Moinet, 2000) de niveau 1 (contact direct) et de niveau 2 (contact de contact) nous avons mis en place deux actions :<br />
o Nous avons incité les répondants au questionnaire à le renseigner de manière anonyme. Ceci pour leur permettre une prise de parole la plus libre possible.<br />
o Nous avons demandé à des réseaux divers de relayer le questionnaire. Sa diffusion s’est ainsi faite au travers de multiples canaux, notamment : Associations d’anciens élèves (Via le Portail de l’IE, Cell’IE, Anciens du master IE de la Sorbonne, …). Les revues Archimag et Veille Magazine. L’espace de communication de l’ADBS. Le réseau Interdoc. Ainsi que des relais en pays francophones comme la Suisse, la Belgique, le Canada, ou le Maroc, … Certains relais ont très bien fonctionné, comme les relais en Suisse d’où 80 réponses sont parvenues.</p>
<p>- Ensuite au niveau des interviews orales, pour lesquelles le risque de biais d’échantillon était encore plus important.<br />
o Pour minimiser ce biais, nous avons rappelé en amont de l’interview l’importance d’un témoignage le plus libre possible, et souligné que l’utilisation des propos émis serait anonymisée.</p>
<p>Se pose dès lors la question de la représentativité des réponses. Quelle est le pourcentage de répondants par rapport à la cible totale, représentée par l’ensemble des professionnels de l’information ?</p>
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<p><img height="262" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144309-8.png" width="915" /></p>
<p>Tableau 1</p>
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<p><img height="277" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144335-9.png" width="879" /></p>
<p>Tableau 2</p>
<p>Nous nous sommes livrés à une estimation du nombre de profils Linkedin. Nous avons interrogé Google avec des opérateurs de recherche spécifiques. La requête ci-dessous visait à rechercher ceux qui mentionnaient dans le titre de leur profil un des mots suivants : archiviste, documentaliste, analyste veille, responsable veille, directeur veille, directrice veille, veille marketing, veille commerciale, veille concurrentielle, veille communication, veille technologique, veille normative, veille juridique, veille stratégique, intelligence économique, intelligence stratégique (les requêtes sur Google sont limitées à 32 mots).</p>
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<p><img height="242" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144411-10.png" width="1085" /></p>
<p>Tableau 3</p>
<p><br />
Nous sommes bien sûr conscients que cette estimation est imparfaite et comporte de nombreux biais :<br />
- Tous les professionnels de l’information n’ont pas un profil dans Linkedin.<br />
- Les profils des professionnels de l’information peuvent très bien ne pas comporter les mots clés recherchés, et peuvent par exemple être rédigés dans d’autres langues.<br />
- Ces profils ont pu être mal indexés par Google.<br />
- Les chiffres présentés par Google varient et ne sont pas fiables.<br />
- Le mot « veille » est polysémique (utilisé comme synonyme de gardiennage, il est aussi un patronyme) et ne peut être utilisé comme mot clé seul.</p>
<p>Néanmoins, à défaut d’un meilleur comptage, cela nous donne quand même une estimation grossière : 20 000 profils de professionnels de l’information francophones dans Linkedin. Après quelques échanges avec des personnes du secteur il semblerait que nous puissions doubler ce chiffre. Ce qui fait que nous aurions environ 0,8% du public cible (306/40 000)</p>
<p>Notre échantillon ne peut donc pas être considéré comme représentatif et l’ensemble des éléments présentés ci-dessous doit donc être interprété avec précaution. Nous avons placé un grand nombre de citations (verbatims), qui sont une des principales richesses de notre collecte. Dans les trois parties suivantes nous allons passer en revue les résultats obtenus en ce qui concerne l’utilisation, la perception et le positionnement face à Google.</p>
<p>Utilisation de Google<br />
Dans cette première partie, nous allons étudier l’utilisation de trois produits Google particulièrement utiles pour la recherche d’information et la veille : le navigateur, le moteur de recherche et l’outil d’alerte.</p>
<p>Navigateur Google Chrome<br />
Les professionnels de l’information utilisent à plus de 40% le navigateur Firefox. Cela est nettement supérieur à la moyenne en France qui était de moins de 20% au comptage Statista en 2018.<br />
Cela peut être interprété comme une volonté de diversification des outils numériques. On notera que cela place Firefox en première utilisation, devant Chrome. On notera aussi l’utilisation de Brave, Opera, Vivaldi ou Tor, qui témoigne d’une recherche de discrétion et d’anonymat (6% pour ces quatre navigateurs cumulés).<br />
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<p><img height="297" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144425-11.png" width="605" /><br />
Diagramme 1</p>
<p>Moteur de recherche<br />
La diversification est plus compliquée pour le choix du moteur de recherche où Google est choisi dans près de 70% des cas. Ce chiffre est impressionnant mais il est en dessous des statistiques nationales en France qui présentent Google comme le moteur de recherche par défaut sur ordinateur de plus de 83% des Français selon webrankinfo .<br />
</p>
<p><img height="379" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144435-12.png" width="605" /><br />
Diagramme 2</p>
<p>Dans le cadre des interviews, nous avons demandé les raisons de ce choix :<br />
- L’argument majeur est la qualité de l’indexation de Google, qui est très appréciée des professionnels, très naturellement exigeants en termes de pertinence des résultats.<br />
- Les biais de classement des résultats sont connus et acceptés.<br />
- Certains experts ont ajouté « l’habitude », voire « l’addiction » :<br />
o « Et il y a aussi l’habitude de l’environnement de Google. Je sais qu’il y a des biais avec des résultats en phase avec mes précédentes recherches, mais globalement, la place de Google dans la recherche est très forte. Il y a une véritable addiction ». (Itw 16 )<br />
o « Je me rappelle très bien ma première rencontre avec Google. (…) Il y avait à l’époque beaucoup d’outils, c’était surchargé. Ca clignotait de partout. Et là Google propose un écran blanc, la virginité. C’est pur, c’est presque divin. Google n’est pas une entreprise, c’est une Eglise. (…) Cela a dû jouer sur l’addiction. Car c’est une forme d’addiction. » (Itw 23)<br />
- L’utilisation de Google est souvent articulée avec d’autres outils, par exemple des bases de données professionnelles. Google intervenant par exemple pour des recherches sur des nouveaux sujets là où les bases existantes sont inopérantes :<br />
o « J’utilise Google pour un premier niveau de recherche quand je ne connais pas le sujet. J’utilise aussi Scholar. Parfois il y a des perles. » (Itw8 )<br />
- Les professionnels connaissent les solutions alternatives :<br />
o « Mais toutes les recherche que je fais ne passent pas forcément par Google. Selon le degré de confidentialité, si le sujet est très sensible, je passe par Duckduckgo via Tor ». (Itw 2)<br />
o « J’utilise extrêmement majoritairement Google. J’ai fait des tests avec d’autres moteurs pour des raisons presque idéologiques. Mais je reviens toujours à Google. » (Itw 26) .</p>
<p>L’utilisation du réseau relationnel est devenue le parent pauvre de la recherche comme le montre le graph suivant (Tableau 4 et Diagramme 3) :</p>
<p>Question : Quelle est votre méthodologie de recherche ?<br />
</p>
<p><img height="241" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144447-13.png" width="605" /><br />
Tableau 4<br />
</p>
<p><img height="400" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144457-14.png" width="605" /><br />
Diagramme 3</p>
<p><br />
Le reflexe est pour pratiquement tous les répondants de rechercher sur Google. Seul deux interviewés déplorent ouvertement l’obsession de la recherche par mot clé via les moteurs et l’abandon des sources :<br />
o « Avec les moteurs de recherche, on a tendance à abandonner la notion essentielle de « sources ». On va tout de suite sur un moteur de recherche, en négligeant la réflexion personnelle, préliminaire, et en négligeant de se poser cette question fondamentale : « qui a l’information ? ». L’abandon de Yahoo en tant que répertoire a été un signe précoce de l’abandon de la source. L’abandon de la maitrise de sources signifie de facto l’abandon de l’analyse de la source. » (Itw 14)</p>
<p><br />
Outil de veille<br />
Google offre un outil de surveillance appelé Google Alerte. Mais qui est très peu utilisé par les répondants.<br />
- Près de 50% des répondants n’en utilisent pas.<br />
- Près de 40% ont moins de 20% d’alertes Google dans leur veille.</p>
<p>Les interviews viennent éclairer cette pratique :<br />
- L’utilisation des Alertes Google est pratiquement nulle pour ceux qui ont une plateforme professionnelle ou des bases de données. Parfois les Alertes Google sont la survivance d’un ancien paramétrage avant la mise en place de solutions plus professionnelles :<br />
o « J’ai juste quelques alertes Google, mis en place il y a 7 ans, sur quelques sujets. » (Itw7)<br />
o « La part d’Alertes Google dans mon système de veille est pratiquement nulle. Actuellement il me reste 5 Google Alertes sur 1300 sources. La quasi-intégralité de mes sources sont des fils RSS et des sources Twitter. » (Itw 14)<br />
o « Je déteste les alertes Google, je ne trouve pas cela efficace. Je ne trouve pas cela pertinent. En outre au bout d’un moment il me semble que cela s’amenuise » (Itw8 )<br />
- Au mieux Google est utilisé pour trouver des sources. La suite du process de veille est donc indépendante de Google Alerte.<br />
o « Je fais des recherches avec Google. Je trouve des sources pertinentes. Puis je mets la source sous surveillance. »<br />
- Par contre, les veilleurs peuvent avoir du mal à convaincre leurs collègues qui pensent que Google constitue l’alpha et l’oméga de l’utilisation du web.<br />
- Certains veilleurs peuvent quand même avoir des Alertes Google pour trois raisons : Pour surveiller ce que leurs collègues obtiennent. Pour vérifier qu’ils n’ont rien oublié de flagrant. Pour surveiller les biais algorithmiques de Google dans sa sélection des actualités.<br />
- Pour finir ce tour d’horizon, il faut mentionner que les petites structures sont plus dépendantes des Alertes Google car les outils de veille professionnels et les bases de données sont onéreux.</p>
<p>En conclusion de cette partie sur les pratiques, nous pouvons retenir que :<br />
- La recherche est très liée à Google.<br />
- Le choix du navigateur est plus libre.<br />
- La veille ne passe pratiquement pas par Google.<br />
Qu’en est-il de la perception du géant de Montain View ?</p>
<p>Perception de Google<br />
Dans cette seconde partie, nous allons essayer de mesurer la perception de Google par les professionnels de l’information. Nous les avons interrogés sur l’efficacité des outils, leur sentiment de dépendance, d’influence, et leur vision de l’avenir.</p>
<p>Efficacité<br />
Pour mesurer l’efficacité et la satisfaction, nous avons posé une question dans l’enquête en ligne :<br />
- Globalement, avez-vous le sentiment que les solutions Google/Alphabet vous AIDENT significativement pour votre activité de gestion de l'information ?<br />
o Oui 62%<br />
o Non 22,3<br />
o Je ne sais pas 15,7</p>
<p>Tous les interviewés ont témoigné de l’efficacité perçue de Google :<br />
o « On a essayé de nous imposer Hedge / Bing en natif. On trouve tous Bing insupportable. On a testé sur les deux moteurs (Google / Bing). On a testé aussi Qwant. Google est le plus performant. » (Itw 17)</p>
<p>Dépendance<br />
Pour mesurer la dépendance dans la recherche, nous avons posé trois questions dans le questionnaire :<br />
- Est-ce que le changement de modèle économique de Google, et l’obligation de payer pour les outils Google, pourrait impacter votre système d’information professionnel ? Près de 60% ont déclaré que l’impact serait fort.<br />
- Est-ce que la disparition des produits Google pourrait impacter votre système d’information professionnel ? Près de 50% ont déclaré que l’impact serait fort.<br />
- Est-ce que vous vous sentez dépendant des produits Google ? 44% ont répondu oui.</p>
<p>Les interviews précisent ces positions :<br />
Il y a un sentiment de dépendance dans la recherche pour la majorité des répondants. Google a éclipsé chez pratiquement tous les interviewés les différents modes de recherche notamment l’appel au réseau relationnel.<br />
o « Avant on avait l’hégémonie du « gars qui savait tout ». On allait le voir. On a arrêté ce mode de recherche et on est passé à un tout Google avec ses dérives négatives. On ne se lève pas de sa chaise. On passe par un outil unique. On ne demande plus aux collèges. » (Itw 12)<br />
Google a aussi écrasé tous les moteurs concurrents. Comme vu plus haut, des expériences de changement d’un moteur de recherche par défaut permettent de mesurer la dépendance.<br />
o « Clairement il n’y a pas de sentiment de dépendance. Sauf que l’expérience du changement de moteur de recherche par défaut vers Lilo a quand même créé une levée de bouclier au départ. Beaucoup de collègues ont enlevé Lilo comme moteur par défaut pour remettre Google » (Itw7).<br />
o « Oui clairement, vu la puissance du moteur Google, s’il n’était plus là ce serait compliqué. De temps en temps je vais sur Bing. Mais je ne suis pas satisfait. Vu la précision des réponses et la taille de l’index de Google, je suis dépendant du moteur. Mais je suis encore plus dépendant de Gmail qui est devenu central pour moi. Il y a une vraie dépendance en outil de recherche. » (Itw 24)</p>
<p>Par contre il n’y a aucun sentiment de dépendance pour les activités de veille. Les Alertes étant très peu utilisées comme vu précédemment.</p>
<p>Influence<br />
Pour mesurer l’influence de Google dans la recherche, nous avons posé une question dans le questionnaire :<br />
- Est-ce que vous vous sentez influencé par Google ? 43,3% ont répondu « non ». 43% ont répondu « oui ». 13,7% ont répondu « Je ne sais pas »</p>
<p>Les avis émis durant les interviews sont très polarisés :<br />
- 43,3% ne se sentent pas influencés :<br />
o « Je pense que Google va continuer à se développer. Je n’ai pas une vision négative de Google, même s’il y a des exploitations de la data. Je ne suis pas naïve, je connais leurs pratiques, mais je ne me sens pas manipulée. Il y a un service de qualité. Ils mettent les moyens. Je ne vais pas utiliser d’autres moteurs moins pertinents juste pour une question de souveraineté. Je n’ai pas du tout cette approche. S’ils intègrent de nouvelles fonctionnalités, par exemple en intelligence artificielle, cela sera bénéfique pour l’utilisateur. Quand j’ai une recherche confidentielle je ne la fais pas par Google, tout simplement. » (Itw 15).<br />
o « Je ne me sens pas du tout influencé par Google. Par contre, la masse l’est certainement. Je fais des recherches sur des entités nommées et je ne perçois pas de risque d’influence. Par exemple je recherche dans Wikipedia ou Linkedin et Google me sert d’intermédiaire. Il n’y a pas d’influence là-dedans. » (Itw 25)<br />
- Pour 43% l’influence est évidente. Un interviewé soulève que les Américains ont leur propre système de valeur, qui peut les amener à faire disparaitre des éléments qui peuvent être pertinents, qui pourraient compléter notre vision et compréhension du monde. Ces filtres créent un biais dommageable.<br />
o « Sur la question des bulles de filtre, le fait qu’il y a une compréhension de plus en plus fine de notre recherche, c’est un souci pour les veilleurs que nous sommes car nous devons faire les requêtes les plus neutres possibles. » (Itw 11)<br />
o « La vision du monde est personnalisée. Ce que je trouve le plus gênant, c’est que Google soit devenu un moteur de résultat, puis de publicité, avec pour finir une vision « zéro clic ». C’est-à-dire que l’on doit tout avoir sur la page Google. Ainsi c’est vraiment la vision de Google qui s’impose. Par exemple on va taper « France Portugal » … et va avoir les résultats du match comme Google veut bien les afficher. Et l’internaute ne va pas aller sur d’autres sites pour avoir un autre accès à la source de l’information. Ces autres sites d’information vont s’appauvrir et dépérir. Google va organiser les résultats de la manière qui l’arrange sans que l’on s’en rende compte. » (Itw 24)<br />
- Près de 14% ne savent pas répondre. Lors des interviews nous avons mené le débat sur le possible formatage (mot qui va certes plus loin que l’influence) de notre vision du monde par Google. Le terme « formatage » a étonné plusieurs de nos interlocuteurs :<br />
o « J’avoue que je ne me suis pas posé la question. » (Itw 8 )<br />
o « Avant de recevoir l’enquête je ne m’étais même pas posé la question. Avec le numérique nous sommes en totale adaptation. Cette année je travaille différemment de l’année dernière et l’année prochaine sera pareil. On s’adapte en permanence. La seule chose qui pourrait être inquiétante serait la disparition des outils ou le passage au payant. » (Itw 10)</p>
<p>Prospective<br />
Nous avons essayé de mesurer la projection des professionnels de l’information dans l’avenir.</p>
<p>A la question : « Pensez-vous que votre activité professionnelle pourrait être mise en danger par Google dans les 3 à 5 ans ? » Les réponses se répartissent comme suit :<br />
- Non pour 52,3%<br />
- Je ne sais pas pour 24,5%<br />
- Oui pour 18,7%<br />
- Je ne comprends pas la question pour 4,5%</p>
<p>La encore les interviews viennent éclairer ces statistiques.<br />
52% envisagent une forme de statu quo. L’argument principal est que Google ne sera jamais présent dans le domaine de la veille car le marché n’est pas intéressant.<br />
o « Je suis assez confiante et je pense que Google ne sera jamais vraiment présent au niveau de la veille car les professionnels de l’information ne sont pas les cibles de Google. Je ne le vois pas se lancer dans cette dynamique. Par exemple Scholar pourrait être amélioré, leur moteur est mauvais. Et puis ils ont abandonné Google Reader ! Je ne pense donc pas que cela soit une piste de développement. Nous ne sommes pas assez nombreux. Et nous sommes trop critiques, trop exigeants. » (Itw8 )<br />
- Dans cette catégorie, rares sont ceux qui prévoient une chute de Google. Le témoignage qui suit fait exception :<br />
o « Oui bien sûr, c’est un formatage à vocation purement marchande avec une recherche d’hégémonie. Ce que je constate pour l’instant, c’est que cela marche plutôt bien pour lui, à une nuance : Google va subir le même mal que les autres supports : lassitude. Il n’échappera pas à la chute telle que définie par McLuhan concernant les médias (la presse écrite, la télévision). Google va passer par cette phase de pic puis de baisse. Il n’échappera pas à cette chute. » (Itw 22)<br />
Près de 25% ne savent pas :<br />
o « Jamais eu aucun message qui aille dans le sens d’une autonomie informationnelle. Je ne me suis jamais posé la question. Je ne sais pas. (…) Il y a probablement des choses à faire. Je ne sais pas. Le combat est plutôt légitime et intéressant. Mais est-ce que c’est encore rattrapable ? On s’interroge assez peu. » (Itw 10)<br />
Moins de 20% pensent que Google va être plus présent jusqu’à représenter un danger pour la profession. Même s’il y a un saut technologique, la vision est que le moteur Google en profitera et sera encore meilleur. Il indexera plus de données, on pourra l’interroger en langage naturel, et il sera encore plus sophistiqué. Il fera corps avec nous.<br />
o « La phase suivante est un Google intégré en soi. Un compagnon, un élément avec une porosité totale avec soi. » (Itw 13)<br />
o « Je crois aussi que Google a les compétences pour étendre et mailler son réseau et que sa puissance de gestion des informations, et d’interconnexion les objets et les humains est immense. » (Itw 26)<br />
o « Il aura une place monopolistique qui va tuer la diversité. Si je me mets sur les bases du libéralisme, Google est un Golem qui est en train de bouffer le système. Les GAFAM font des « killer acquisition », ils sont tellement puissants qu’ils achètent la concurrence pour les tuer dans l’œuf. Si on n’a pas cela en tête on va passer à côté de quelque chose très important. Les GAFAM ne vont pas s’arrêter au moteur de recherche, leur boulimie va être tout-azimut. C’est très dangereux pour l’économie et pour la démocratie. » (Itw 21)</p>
<p>En conclusion de cette partie, nous pouvons retenir que la perception de Google est positive pour la moitié des répondants, mais qu’un sentiment de dépendance et une perception d’un danger ne sont pas absents. Il est temps de définir les trois postures face à Google.<br />
Positionnement face à Google<br />
Dans cette dernière partie, nous allons essayer de déterminer les attitudes des professionnels de l’information. A priori, trois se détachent : les satisfaits, les pragmatiques, les résignés.</p>
<p>Satisfaction assumée<br />
Ce segment affiche une satisfaction assumée et utilisent Google sans état d’âme.<br />
o « Je suis un très gros dépendant de Google, même un peu limite. Je suis très favorable à Google. (…) Google joue le rôle d’un service public parfois même mieux qu’un service public ». (Itw 28).</p>
<p>Pragmatisme opportuniste<br />
Ce segment a une vision ambivalente mais ne veut pas changer de méthode.<br />
- « Je ne suis pas sûr que ce soit que Google qui soit le problème : il y a 7 ou 10 sociétés qui sont problématiques, et elles ne sont pas connues. Ce sont notamment les grands brookers d’informations. Google n’est qu’un des rouages. C’est un problème systémique. Google en tant que tel pourrait être problématique s’il diffuse une vision du monde et fait de la politique. » (Itw 25)</p>
<p>Résignation<br />
Ce segment voit dans Google une part de danger, mais utilise ses outils contraint et forcé.<br />
o « La monopolisation de la recherche par Google est embêtante, mais j’ai fait le deuil des alternatives. » (Itw 29)<br />
o « Non je ne vais pas abandonner Google, car même si l’entreprise est problématique, les services que j’utilise sont très performants. Après, j’ai un recul critique : quand je vois certains résultats, je sais que c’est affiché à leur manière, retravaillé. Mais je ne vois pas d’outils alternatifs qui me feraient abandonner leurs outils avec leur puissance de recherche. » (Itw 24)<br />
o « Finalement c’est une dépendance acceptée. (…) C’est une dépendance lucide et acceptée. (…) Je sais que les Américains regardent ce que l’on rentre dans Google. Il y a un équilibre entre bénéfices et risques. » (Itw 30)<br />
o « Cette question est très très dure pour moi. C’est très flippant pour moi. Je ne sais pas trop. Ce que je sais, c’est que le côté toile d’araignée de Google (je suis full Google, mon tel, maps, drive, …) le côté environnement où tout est connecté est flippant mais tellement pratique. Même si cela a des inconvénients en termes d’anonymat, on fait avec. » (Itw 17)</p>
<p>Mais ceci étant posé, une lecture fine des résultats révèle chez beaucoup des répondants une position paradoxale qui transcende les trois catégories présentées ci-dessus.</p>
<p>Paradoxes et dissonance cognitive<br />
Nous allons illustrer là encore cette idée avec une analyse des réponses au questionnaire et aux interviews. 68 répondants au questionnaire ont répondu oui à la question « Etes-vous dépendant ? » et « Etes-vous influencé ? » Sur la base de cet échantillon, nous avons extrait les réponses à la question sur la perception de Google. Presque la moitié ont néanmoins une vision positive et très positive.</p>
<p><br />
<img height="210" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144651-15.png" width="605" /><br />
Diagramme 4</p>
<p><br />
23 répondants ont dit être dépendant, influencé et pensent que leur activité professionnelle pourrait être mise en danger par Google dans les 3 à 5 ans. Néanmoins environ un tiers a encore une vision positive ou très positive de Google.<br />
<img height="195" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144703-16.png" width="605" /> <br />
Diagramme 5</p>
<p><br />
Une question permettait de détecter les personnes très sensibilisées à la souveraineté numérique. Sur ces 135 personnes, près de 30% ont une vision positive ou très positive de Google.<br />
<img height="250" src="https://www.numerev.com/img/ck_723_18_image-20210709144710-17.png" width="605" /> <br />
Diagramme 6</p>
<p>Une part significative voit donc Google positivement même s’ils se sentent dépendant, influencé et même en danger. Les interviews viennent compléter ce constat.</p>
<p>- On peut noter des contradictions régulières dans les propos tenus, parfois au sein d’une même phrase, bien illustrées avec ces verbatims :<br />
o « Effectivement, s’il est trop monopolistique, même si c’est le cas aujourd’hui, cela pourrait être problématique » (Itw1).<br />
o « Non je n’ai pas de sentiment de dépendance, je connais d’autres outils. (pause ) On atteint un niveau de dépendance très dangereux, voire même bientôt un point de non-retour. Les personnes, les entreprises, les pays seront bientôt dans une bulle virtuelle gérée par Google. » (Itw 20).<br />
o « J’ai des collègues dont l’esprit est très critique sur la confidentialité et qui pourtant continuent à utiliser les solutions Google et à enseigner leur utilisation. Cela ne les empêche pas de continuer à faire comme si de rien n’était. Je pense notamment à un collègue qui enseigne le droit de l’information, l’éthique, avec une très grande lucidité sur les questions informationnelles, mais qui utilise tout l’écosystème Alphabet. » (Itw 26)<br />
o En début d’entretien : « Je suis très favorable à Google ». En milieu d’entretien : « Cette dépendance me gêne. Je vis avec cette peur. » Et en fin d’entretien « On va avoir dans l’algorithme des éléments d’idéologie qui devient totalitaire. (…) Cela me rappelle le marxisme ou le fascisme. (…) Nous allons vers cette idéologie totalitaire. » (Itw 28)<br />
o « Est-ce qu’il y a un formatage des esprits ? pfff. Non, mais trois points de suspension . Car c’est vrai que c’est un outil, un service, un compagnon, que l’on utilise tous, c’est « big brother ». On sait bien en même temps qu’il utilise nos données … comment faire sans … il n’y a pas d’alternative, si ce n’est rester critique et lucide. Je laisse la question sans y répondre. » (Itw 30)<br />
- On peut noter aussi une forme de malaise illustré par ces propos. Comme si exprimer le danger potentiel de Google faisait tomber dans la théorie du complot.<br />
o « Je pense que Google est dangereux, même si je ne veux pas sombrer dans une forme de complotisme. » (Itw4)<br />
o « Dans la recherche il y a de faibles probabilités pour que Google perde du terrain. L’entreprise sera capable d’évoluer pour étendre son hégémonie, il rachètera d’autres outils, il tissera sa toile. Il est trop loin pour se faire distancer. Les amendes ne suffiront pas. Même un Etat n’a pas les moyens de rétablir notre souveraineté sur l’aspect recherche. Je suis limite complotiste sur ce sujet, à penser que Google a des plans que l’on ne connait pas pour nous encercler toujours plus. Google chercher à conquérir le territoire complet. » (Itw 16)<br />
- Certains revendiquent totalement le paradoxe de bien comprendre le danger mais de l’accepter. Un des meilleures traductions de ce positionnement est certainement ce verbatim particulièrement intéressant :<br />
o « Google n’est absolument pas problématique. Tout système issu d’un groupe d’Humain n’est pas un problème et fait partie de l’évolution. Je revendique d’être paradoxal : Si je disais que c’était un problème, c’est que je ne serai pas adapté, et que ce serait moi le problème. » (Itw 13)</p>
<p>L’analyse des résultats du questionnaire et encore plus des interviews montrent donc un décalage important entre la pratique (avec notamment une utilisation massive du moteur de recherche) et la perception de Google (vue comme un outil monopolistique, influent, voire dangereux, dont on est dépendant).<br />
Ce type décalage entre une perception et une pratique porte le nom de dissonance cognitive(Festinger, 1957). On peut lire dans Wikipedia « En psychologie sociale, la dissonance cognitive est la tension interne propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes (cognitions) d'une personne lorsque plusieurs d'entre elles entrent en contradiction l'une avec l'autre. Le terme désigne également la tension qu'une personne ressent lorsqu'un comportement entre en contradiction avec ses idées ou croyances. »</p>
<p>Une partie des professionnels de l’information interrogés semblent tout à fait dans ce cas. Il est néanmoins difficile de la quantifier pour l’instant.</p>
<p>Il y a trois techniques pour diminuer la dissonance :<br />
- Changer son comportement ou bien changer ses idées ou croyances : Nous avons vu certains verbatims où l’interviewé reconnaissait que le monopole de Google pouvait être un problème, mais statuait que ce monopole-là n’en était pas un.<br />
- Justifier un comportement ou ses idées, aménager la cognition conflictuelle : Pareillement, nous avons des témoignages qui affirment qu’ils utilisent Google, tout en sachant que les résultats peuvent être biaisés, pour voir ce que leurs collègues voient ou pour essayer de décrypter les biais de Google. Cela peut être vu comme une forme « d’aménagement ».<br />
- Justifier son comportement en ajoutant de nouvelles règles : dans ce dernier cas de figure, nous avons des professionnels qui avancent qu’ils n’ont tout simplement pas le choix. La nouvelle règle sera dans ce cas « l’obligation de performance ».</p>
<p>Conclusion<br />
Comment les professionnels de l’information appréhendent-ils les outils Google / Alphabet ? L’analyse des pratiques et de la perception d’Alphabet nous montre que les professionnels de l’information sont dans une situation difficile que l’on pourrait appeler un piège cognitif. Ils se doivent d’utiliser les meilleurs outils de recherche, et sont donc obligés de passer par Google. Dont ils connaissent par ailleurs la position monopolistique, le potentiel d’influence et de dangerosité. Ils doivent ainsi aménager une forme de dissonance cognitive.</p>
<p>On peut se demander si ces aménagements conscientisés ne sont pas dangereux pour les professionnels de l’information. Car leur rôle fondamental est de gérer les informations dans leur organisation, avoir un recul critique sur la révolution numérique en cours, former leurs collaborateurs, apporter du renseignement aux décideurs. Ils devraient donc logiquement être les garants d’une orthodoxie en matière de recul critique et d’analyse des situations. Chose qu’une partie d’entre eux semble avoir du mal à faire vis-à-vis de Google. Abraham Maslow(Maslow, 1966) affirmait que si le seul outil que nous avons est un marteau, nous tendrons à voir tout problème comme un clou ! Si Google devient notre unique marteau, notre approche du monde aura la forme d’un clou, ou pour dire les choses autrement, aura la forme que Google voudra bien lui donner.</p>
<p>Mais ce n’est pas Google qui en l’occurrence est problématique. C’est la pratique des professionnels de l’information. Il semble nécessaire de réinstaller une pluralité des modes de recherche d’information pour le plus grand bénéfice des professionnels qui, ce faisant, bénéficieront d’une baisse de cette tension cognitive. Les dynamiques de souveraineté numérique (Bellanger, 2014) vont justement dans ce sens. Laissons le mot de la fin à l’un des interviewés, pour qui « Google, c’est d’abord une solution. Mais cela pourrait devenir un problème » ! (Itw 30)</p>
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Bibliographie</p>
<p>Bellanger, P. La souveraineté numérique. Stock. (2014).<br />
Bronner, G. La démocratie des crédules. Presses Universitaires de France. (2013).<br />
Festinger, L. A Theory of Cognitive Dissonance. Stanford University Press. (1957).<br />
Marcon, C., & Moinet, N.. La stratégie-réseau : Essai de stratégie. 00h00 Editions. (2000)<br />
Maslow, A. H.. The Psychology of Science : A Reconnaissance. Harper & Row. (1966)<br />
Morozov, E. Pour tout résoudre, cliquez ici : L’aberration du solutionnisme technologique. FYP éditions. (2014).</p>
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