<p>Le développement durable engendre de profondes transformations organisationnelles, tant du point de vue de la prise en compte de nouvelles contraintes que de l’émergence de nouvelles parties prenantes. Ces transformations se traduisent par des changements de paradigmes qui remettent en cause les logiques établies, tant en termes de stratégie et d’organisation que de management de l’information et de la communication. Ainsi, les organisations s’engagent désormais dans un monde à la fois imprévisible et durable auquel elles s’adaptent mais qu’elles créent aussi, dans un paradoxe d’auto-engendrement (Barel, 1979). La transformation des organisations se comprend non seulement dans leur adaptation en vue de leur propre pérennité, mais encore dans l’émergence de nouvelles formes et pratiques organisationnelles qui contribuent à anticiper et à forger ce monde (Stevenson, 2006).</p>
<p>La prise en compte du long terme par le développement durable a conduit à ouvrir la sphère économique aux problématiques de la mondialisation et de la fragmentation des territoires, de la multiplicité des parties prenantes et du bien-être social. Ce faisant, la dépersonnalisation engendrée par la diffusion des normes ou l’application des lois entre en contradiction avec la personnalisation des activités que supposent le développement durable et les nombreux domaines d’activité qui lui sont associés, comme par exemple le commerce équitable (Ballet, Carimentrand, 2010), tandis que certaines transformations durables comme celles que promeut le concept de « smart city » peuvent apparaître comme des éléments de fiction (Ghorra-Gobin, 2018).</p>
<p>D’un point de vue organisationnel, s’observe à l’échelle transnationale une diffusion des normes au sens élargi d’objets exerçant une contrainte sur les acteurs, la norme étant alors comprise comme un objet constructiviste qui « traite des relations des hommes entre eux » et qui est « mise en œuvre par des personnes » (Savall, Zardet, Cappelletti, Pigé, 2015). Les normes et les mimétismes (Di Maggio, Powell, 1983) se diffusent à l’échelle internationale, conduisant à unifier les pratiques, à les rendre transparentes et à en rendre compte à des parties prenantes identifiées dans une logique de « bonne gouvernance » (Tonn, Scheb, Fitzgerald, Stiefel, 2012). Toutefois, ces processus peuvent dans le même temps conduire à gérer localement des situations « anormales », voire paradoxales (Brulhart, Grimand, Krohmer, Oiry, Ragaigne, 2018) dans les organisations concernées et qui doivent les gérer à court ainsi qu’à moyen et long terme.</p>
<p>Les articles qui composent ce numéro de la revue COSSI interrogent le devenir d’organisations au sens large (entreprises, institutions, collectivités, communautés, réseaux …), ainsi que leurs enjeux pour l’avenir, dans une perspective de développement durable. Dans « Transformations organisationnelles, développement durable et temporalités d'action, un cas d'adaptation au changement climatique », Sylvain Mondon aborde la problématique des transformations organisationnelles face au changement climatique et au risque de catastrophes qu’il engendre, sous l’angle de l’évolution des systèmes d’alerte. Avec « La résilience inclusive des villes », Bachir Kerroumi et Narcis Heraclide montrent, à partir d’une comparaison internationale entre les villes de San Francisco, Tokyo et Londres, l’importance de l’action des parties prenantes dans la mise en place d’une stratégie de résilience incluant efficacement les personnes en situation de handicap.</p>
<p>Le regard se concentre ensuite sur la tension digitalisation-mondialisation / territorialisation-recomposition des systèmes locaux avec l’article de Thibault Cuénoud : « Comment la digitalisation du don participatif vient transformer durablement la recomposition d’écosystèmes locaux ? ». Au lieu que la numérisation des relations entre donateurs et organisations engendre une perte de proximité socio-économique, la constitution d’une plateforme de finance participative locale et solidaire en Nouvelle-Aquitaine a fourni une opportunité de réappropriation citoyenne des dynamiques socio-économiques de proximité. La tension mondial-global/local-territorial est à nouveau examinée, cette fois sous l’angle du commerce équitable et du rôle essentiel que joue la communication dans son développement. Dans « Evaluer les capacités transformationnelles du commerce équitable. Le cas du territoire de l’arganier », Lahcen Benbihi, Anne Marchais-Roubelat et Khalid Bourma mettent en exergue la complexité des enjeux et des modalités de la communication sur l’évaluation de la contribution du commerce équitable aux changements qui se produisent sur un territoire.</p>
<p>C’est ensuite un débat sur cette question de l’ancrage territorial des organisations, plus particulièrement des entreprises, et du rôle que celui-ci joue dans leur devenir, que propose « La territorialisation comme condition de durabilité des organisations ». À une entreprise adaptable dont le réalisme de la communication réside dans le face-à-face avec les parties prenantes, face-à-face permis par l’incarnation dans un territoire, Benoît Pigé oppose une entreprise déterritorialisée et « fossilisée », qui fonde la représentation de son environnement sur des chiffres abstraits et reste tournée vers le passé. Enfin, dans la note de recherche : « Le rôle de l’entrepreneuriat coopératif dans l’inclusion socio-économique des femmes dans le secteur de la pêche : le cas de la coopérative féminine des produits de la mer de Douira « COFEPROMER » », Imane Bari et Salaheddine El Ayoubi abordent, avec la question de l’inclusion socio-économique des femmes, le thème du genre dans la problématique du développement durable et de la transformation organisationnelle.</p>
<p>Par leur diversité, ces articles témoignent des multiples tensions liées à la transformation des organisations qui constituent autant de perspectives de recherches futures. La prise en compte du changement climatique, la digitalisation des organisations, la recherche de stratégies inclusives, la territorialisation des entreprises ou le commerce équitable montrent ainsi les différentes facettes de la transformation des organisations. Ces travaux mettent en évidence des situations paradoxales qui conduisent à inclure ou à exclure certaines parties prenantes, à humaniser ou à déshumaniser les processus de décision, à territorialiser ou à déterritorialiser les stratégies. Ces tensions constituent autant de perspectives de recherches pour compléter les retours d’expérience proposés dans ce numéro de la revue Cossi en vue de donner aux parties prenantes des processus de décision et d’action les éléments tant théoriques que pratiques leur permettant d’évaluer la durabilité des transformations organisationnelles dans lesquelles elles sont engagées.</p>
<h2>RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES</h2>
<p>Ballet, J. & Carimentrand, A. (2010). Fair Trade and the Depersonalization of Ethics. <em>Journal of Business Ethics</em>, 92, 317-330.</p>
<p>Barel, Y. (1979). <em>Le paradoxe et le système, essai sur le fantastique social</em>. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.</p>
<p>Brulhart, F., Grimand, A., Krohmer, C., Oiry, E. & Ragaigne, A. (2018). Management des paradoxes. Compétences, performances et outils de gestion. <em>Revue Française de Gestion</em>, 270, 65-69.</p>
<p>Di Maggio, P.J. & Powell, W.W. (1983). The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields. <em>American Sociological Review</em>, 48, 147-160.</p>
<p>Ghorra-Gobin, C. (2018). Smart City : “fiction” et innovation stratégique. <em>Quaderni</em>, 96, 5-15.</p>
<p>Savall, H., Zardet, V., Cappelletti, L. & Pigé, B. (2015). Tétranormalisation : redonner une place centrale à l’homme et à son jugement. In Cretté O., Marchais-Roubelat A. (dir.), <em>Analyse critique de l’expertise et des normes : théorie et pratique</em>, 157-161.</p>
<p>Stevenson, T. (2006). Organising tomorrow. <em>Futures</em>, 38, 619-625.</p>
<p>Tonn, B., Scheb, J., Fitzgerald, M. & Stiefel, D. (2012). Future of governance workshop summary, <em>Futures</em>, 44, 773–777.</p>