<h5>INTRODUCTION</h5>
<p>Le sujet de cet article porte sur les enjeux de la représentation médiatique des altérités dans le discours du journalisme. Plus précisément, il s’agit d’une recherche sur les modalités de représentation journalistiques construites pour les groupes sociaux minoritaires. Nous voudrons examiner le journalisme comme un important constructeur de la réalité sociale qui exerce influence sur les expériences, sur les subjectivités et également sur les identités des individus. Ainsi, notre analyse sur la sous-représentation des minorités considère le rôle autoritaire du discours journalistique dans la conformation de la vie sociale. À notre avis, les minorités sont construites socialement dans le discours journalistique quotidien.</p>
<p>Nous travaillons à partir d’une visée pluridisciplinaire car malgré l’importance des études sur les médias et sur les spécificités du discours journalistique, il est essentiel d’articuler la problématique de cette étude dans une approche sociale et historique. Effectivement, cette recherche porte le défi de se construire dans le domaine des sciences de la communication tout en dialoguant avec certains concepts de la philosophie et de la psychologie sociale.</p>
<p>Nous tenons à souligner que l’objet de ce travail ouvre un terrain privilégié pour réfléchir sur l’importance du discours journalistique dans la construction sociale de stéréotypes sur les individus marginalisés. De plus, cette étude agit en faveur des modalités de représentations médiatiques plus plurielles et complexes pour les minorités.</p>
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<h5><a id="t2"></a>LE JOURNALISME ET LA RENCONTRE AVEC L’AUTRE</h5>
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<p>Raconter les événements du quotidien à partir de certaines méthodes narratives est la mission essentielle du journalisme. Le rôle du journalisme est de partager et de propager les expériences quotidiennes aux différents publics, afin d’encourager une pensée critique et relationnelle à propos des événements contemporains. Le journalisme nous proportionne également une rencontre avec l’altérité. Dans les textes journalistiques, l’Autre est dans toutes les rubriques. Il représente la différence, l’étrange, l’inattendu ou l’exotique. L’Autre est celui qui échappe à la norme. L’Autre est celui qui nous refusons.</p>
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<p>Dans cette étude, nous voudrons présenter le concept d’altérité de la philosophie d’Emmanuel Levinas (1972 ; 1990 ; 2010). Ce philosophe français-lituanien propose une manière distincte de penser l’Autre : non plus à partir de la centralité du « Je », mais à l’égard d’une subjectivité qui peut reconnaître l’Autre comme <i>infiniment</i> Autre, comme un <i>Autrui</i>. En premier lieu, selon Levinas (2010), il est possible d’établir un lien de solidarité naturel envers l’Autre lorsque la multiplicité humaine est comprise comme une totalité. Ainsi, « l’Autre » et « Je » sont des distincts éléments dans une unité. En bref, malgré les différences entre eux, ils ont un sentiment puissant d’appartenance à une totalité.</p>
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<p>Cependant, la philosophie de Levinas porte une question à propos de celui qui est complètement étranger, indésirable, indépendant de tout sentiment de reconnaissance préalable ou de toute possibilité de constituer avec lui une totalité. N’existe un sentiment d’appartenance commun parce que n’existe rien en commun. Il est <i>infiniment</i> Autre : l’Autrui. Comment pouvons-nous établir un élan de solidarité avec l’Autrui ? Si nous ne partageons rien avec lui. S’il est trop étrange à notre culture et à nos valeurs ? Selon le philosophe Emmanuel Levinas, il faut construire une éthique qui préconise la responsabilité avec l’Autrui sans symétrie ni réciprocité. Dans cette approche, l’humanité est liée à la capacité de reconnaître l’Autre et se responsabiliser pour lui sans rien demander. Cette éthique de responsabilité envers l’Autrui est le point de départ de la fraternité, de l’amour et encore de l’humanité. Devant le visage de l’Autrui, le « Je » obtient son intégralité comme être humain.</p>
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<p>Au premier abord, nous pouvons assurer que le journalisme sert d’outil de connexion entre le « Je » et « l’Autre ». L’altérité est un objet du discours journalistique parce qu’elle fait partie de la réalité. À partir des textes journalistiques, nous pouvons connaître l’Autre et peut-être nous reconnaître dans lui, de telle façon à nos engager à construire des relations plus solidaires. Par ailleurs, l’altérité peut être considérée comme un élément assez important dans la production journalistique, car elle porte des ingrédients exotiques, inattendus et souvent séducteurs qui attirent les publics. À savoir, actuellement, présenter l’Autre dans sa <i>différence</i> devient une clé pour construire l’intérêt du public lecteur.</p>
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<p>Toutefois, le journalisme non seulement <i>parle</i> de l’Autre. Il non seulement <i>représente </i>l’Autre. Ses méthodes de production de l’information sont également employées pour construire les altérités. Notamment, lorsque le discours journalistique représente l’altérité, il contribue à la sa construction dans les imaginaires sociaux. Selon Denise Jodelet (2005), il faut noter que l’altérité n’est pas un attribut inhérent à l’essence d’un individu. Il s’agit plutôt d’une qualification qui lui est attribuée de l’extérieur, dans une relation sociale et dans un contexte inégal de pouvoirs. L’altérité n’est pas une condition constante ou définitive ; à l’opposé, sa nature est fluide, contextuelle et questionnable. Pour son caractère fluide, l’altérité peut être définie par des agentes extérieures comme les médias. À notre avis, le journalisme joue un rôle capital dans la construction des altérités dans le monde contemporain, du fait que le journalisme est un constructeur de la réalité.</p>
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<p>Nous croyons que l’influence du journalisme sur notre compréhension de l’actualité est d’avantage plus puissante que les autres modalités de narration des événements, comme le cinéma, l’art ou l’histoire, parce que comme nous allons traiter ensuite, le discours journalistique est un discours d’autorité sur l’actualité. De plus, nous voudrons analyser les « valeurs-informatives » dans sa relation avec la couverture journalistique de l’altérité, afin de mieux comprendre comment ces critères organisent la production des articles de presse en orientant vers une approche négative et réductrice des altérités.</p>
<h5><a id="t3"></a>LE DISCOURS AUTORITAIRE DU JOURNALISME</h5>
<p>Notre hypothèse de recherche est que le journalisme construit des discours autoritaires sur les événements du quotidien qui influencent les imaginaires et les expériences des individus. L’autorité du discours journalistique réside dans sa prétention de reproduire comme « un miroir » les événements de l’actualité. Le discours du journalisme est lié à un régime de production discursive légitimé par des méthodes comme l’objectivité journalistique et la recherche de la vérité. Ainsi, différemment d’autres médias comme le cinéma, les talk-shows ou les télé-réalités, le journalisme est construit et vendu comme un propagateur de discours objectifs et vrais.</p>
<p>Les méthodes de production des nouvelles sont comprises comme des outils pour la reproduction de la réalité, de la sorte que la narrative journalistique, qui est forcément partielle et incomplète, est propagée comme une « photocopie » intégrale de l’événement. Les choix, les intentions et les intérêts impliqués dans la production de l’article de presse sont masqués au profit d’une conception équivoquée de la mission du journalisme.</p>
<p>Finalement, à qui sert l’idée du journalisme en tant que miroir de la réalité ? En outre, à qui sert propager le journalisme comme un diffuseur de la vérité des événements ? Si la vérité est comprise seulement de façon partielle, qui détermine quelles parties seront publiées et quelles parties seront cachées ? Il faut vérifier que dans les discours journalistiques sur les groupes minoritaires, par exemple, les thèmes négatifs sont souvent choisis au détriment des perspectives positives.</p>
<p>Le linguiste français Patrick Charaudeau (2005 ; 2012) définit la vérité comme étant pluriel et complexe. Selon cet auteur, les médias ne peuvent pas reproduire la vérité dû à sa complexité, alors, les journalistes ne construisent que des « effets de vérités ». Effectivement, dans le journalisme, ces effets de vérité sont confirmés à travers de codes de vraisemblance comme les photos, les sons de l’ambiance ou les images en vidéo. Dans ce sens, une nouvelle est plus vraisemblable plus elle est en conformité aux expectatives et aux références du publique qui reçoit l’information. Autrement dit, la vérité propagée par le journalisme est ancrée dans les expectatives et dans les références des journalistes et des lecteurs.</p>
<p>À la recherche de la vérité, le journalisme a établi l’objectivité comme la principale méthode dans le processus de construction des articles de presse. Cette influence positiviste trouve ses origines dans les années 1920 aux États-Unis et s’impose comme une règle générale pour le « journalisme sérieux». Nous pouvons observer que toutes les autres manières de raconter les événements de l’actualité sont considérées comme moins précises et ainsi le journalisme a pris distance d’autres méthodes d’écriture, tels que la littérature ou la philosophie, par exemple. En bref, l’objectivé devient la base de la structure de production des nouvelles.</p>
<p>Un nom important concernant l’étude de l’objectivité journalistique est celui de l’auteure nord-américaine Gaye Tuchman (1972 ; 1999 ; 2010). Tuchman a été la première à centrer son intérêt sur l’importance du principe de l’objectivité dans la construction d’articles de presse. Selon Tuchman, l’utilisation de la méthode de l’objectivité a configuré un « rituel stratégique » utilisé par les journalistes dans ses activités quotidiennes. Ce rituel leurs a permis de se protéger des risques de la profession, comme donner visibilité aux faux événements ou propager des nouvelles qui parlent partiellement de la réalité.</p>
<p> Néanmoins, cette méthode de production de textes n’est pas suffisante pour annuler ou cacher les préjugés, les sentiments, les peurs ou les convictions idéologiques des journalistes qui écrivent. La subjectivité est inhérente à toutes les formes d’écriture et, par conséquent, elle fait également partie du texte journalistique. En outre, indépendamment des envies des journalistes de produire des récits complètes et objectives sur la réalité, il est impossible la capturer dans toute sa complexité. La réalité est toujours une perspective individuelle ou collective et le journalisme ne peut la retenir que partiellement.</p>
<h5><a id="t4"></a>LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA REALITÉ</h5>
<p>Comme nous avons exposé, malgré les méthodes objectives d’écriture et l’envie de raconter que la vérité, le journalisme est incapable de décrire la réalité en toute sa complexité. Toutefois, cette inaptitude ne peut pas masquer le rôle du journalisme dans la construction de la réalité sociale. En d’autres termes, il va s’agir de montrer comment le journalisme participe de la construction du sens de réalité des sujets dans l’actualité à travers de ses discours sur le quotidien.</p>
<p>D’après les auteurs Thomas Berger et Peter Luckmann (1996), la construction de la réalité sociale est précédée de la construction symbolique de la réalité. En somme, les individus utilisent des différentes sources pour composer une notion de réalité, comme par exemple les expériences ou les échanges interpersonnels. Actuellement, les médias sont une importante source de références sur les événements de la réalité. En particulier, nous tenons à souligner l’influence des discours journalistiques dans la compréhension de la réalité étant donné son rôle privilégié de narrateur du temps présent.</p>
<p>Le chercheur portugais João Carlos Correia (2004) analyse la relation entre le journalisme et la construction sociale de la réalité. Selon Correia, le discours journalistique a tendance à reproduire seulement les informations socialement acceptées et prévues, parce que la construction des articles de presse est associée aux cadres journalistiques et aux expériences des professionnels de communication. Ainsi, la lecture journalistique d’un événement est limitée aux principes de la communauté et aux valeurs des journalistes ; c’est-à-dire, l’écriture d’un article de presse est liée aux sources que la société possède pour parler de soi-même. À cet égard, Correia mentionne les « conditions de possibilités d’énonciation » du journalisme.</p>
<p>De plus, João Carlos Correia affirme que le journalisme construit la réalité. Néanmoins, cette réalité construite ne présente pas de points de connexion avec la « réalité réel », une fois qu’une « réalité réel » n’existe pas. Selon cet auteur, la réalité est toujours une construction sociale ancrée sur des mondes symboliques. Par conséquent, le discours du journalisme doit être analysé en tant qu’un constructeur de réalités et non comme un miroir que reproduit la vérité.</p>
<p>L’auteur français Jean-Pierre Esquenazi (2013) souligne que le journalisme est responsable pour encadrer les événements de l’actualité de façon à les conférer du sens. La perspective de l’encadrement repère que la construction des nouvelles et des articles est une construction sociale réalisée à travers de choix successifs. Cet auteur ajoute que l’analyse du discours journalistique doit prendre en considération les conditions de production et de réception des articles de presse. En somme, Esquenazi nous propose une réflexion sur les influences des intérêts politiques et financiers, ainsi que sur les rôles développés par les convictions idéologiques du journal et du journaliste dans la production des articles de presse.</p>
<p>Patrick Charaudeau (2005 ; 2012) présente également une approche de la construction sociale de la réalité par le journalisme. Selon lui, il faut considérer que l’information n’est pas un objet du monde concret ; tout à fait le contraire, l’information est une construction humaine, elle n’existera pas sans l’action d’un narrateur. En résume, l’information est la « pure énonciation ». De cette manière, d’après Charaudeau, les médias ne peuvent pas être un miroir de la réalité, une fois qu’il s’agit d’un processus de construction de l’information journalistique et non seulement de sa reproduction.</p>
<p>Malgré des approches théoriques qui remettent en question la prétention journalistique de diffuser ses nouvelles comme des photocopies de la réalité, le journalisme conserve sa place privilégiée dans la narration des événements de l’actualité. Donc nous tenons à souligner le rôle autoritaire du journalisme, et surtout de la presse écrite, dans la construction de la réalité sociale. Cette autorité discursive influence plus fortement la représentation des groupes minoritaires, comme nous allons exposer ensuite.</p>
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<h5><a id="t5"></a>LES VALEURS-INFORMATIVES DU JOURNALISME ET L’ALTÉRITÉ</h5>
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<p>Les « valeurs-informatives » du journalisme sont les critères qui organisent la production des articles de presse. Ces valeurs aident à sélectionner les événements actuels qui seront l’objet d’un reportage ou d’un article de presse par opposition à une série d’autres faits qui ne seront pas propagés par les médias. Il faut garder à l’esprit que le journalisme travail uniquement avec une petite partie des faits quotidiennes et que il serait impossible saisir la réalité en toute sa totalité. En bref, les études à propos des « valeurs-informatives » sont importantes dans la réflexion sur les visibilités et sur les invisibilités dans les journaux.</p>
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<p>Les chercheurs norvégiens Johan Galtung et Mari Holmboe Ruge (1965) ont été pionniers dans l’étude des « valeurs-informatives » du journalisme. Cependant, nous tenons à noter les approches plus récentes du thème dans les œuvres des chercheurs Mauro Wolf (1999) et Nelson Traquina (2002). L’objectif de ces auteurs est d’analyser les facteurs qui exercent influence sur le flux d’information. À cet égard, il est possible de comprendre comment un événement peut devenir une nouvelle journalistique ainsi que les motivations qui peuvent justifier son invisibilité médiatique.</p>
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<p>Pour ce qui concerne l’étude des « valeurs-informatives » du journalisme, nous voudrons analyser particulièrement l’importance de certains de ces critères dans la représentation de l’altérité. Nous voudrons examiner les « valeurs-informatives » suivantes : la simplification, la pertinence, la personnification, la consonance et finalement la négativité. Ces valeurs déterminent non seulement la construction de l’information mais également les modalités de représentations des minorités sociales.</p>
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<p>Tout d’abord, la valeur de la simplification qui repose sur la réduction des champs cognitifs liés aux événements de façon à produire une information ancrée dans le sens commun. Notamment, dans la représentation des minorités, le critère de la simplification peut produire des structures stéréotypées et péjoratives. La simplification d’un événement complexe, où les minorités sont présentes, ne devrait pas être comprise comme une règle générale du journalisme ; la complexité devrait pouvoir être faire partie du discours journalistique.</p>
<p>La « valeur-informative » de la pertinence détermine que les événements choisis pour le journalisme doivent être ceux qui impliquent des personnes ou des nations considérées importantes. Cette logique de représentation exclut les minorités, une fois que ces groupes sont notamment caractérisés par l’absence de pouvoir. D’après le théoricien brésilien Muniz Sodré (2005), la minorité est une condition transitoire d’un groupe qui est soumis à une relation inégale de pouvoir. La minorité est caractérisée par sa vulnérabilité juridique sociale qui configure son invisibilité dans les structures sociales. Il faut encore noter que le critère de la pertinence journalistique produit une compréhension particulière de ce qui est important et de ce qui n’est pas important dans le monde contemporain.</p>
<p>La possibilité de personnification d’un fait est une autre « valeur-informative » dans la production de l’information. Cette valeur permet au journaliste de clarifier et d’exemplifier l’événement à partir de l’expérience réelle des individus, de façon à le faire plus compréhensible au public lecteur. Pour ce qui touche à la personnification, il faut observer que les minorités sont rarement choisies pour personnifier les faits quotidiens, c’est-à-dire, ses trajectoires de vie, ses expériences et ses demandes ne sont pas utilisées pour produire l’identification dans le journalisme.</p>
<p>La consonance, à son tour, est responsable pour organiser les événements dans une séquence compréhensible. Elle confirme et met en évidence les connexions négatives déjà fixées dans l’imaginaire social. Ainsi, la « valeur-informative » de la consonance peut agir de façon à réaffirmer les stéréotypes liés aux groupes minoritaires. Elle peut également conduire le lecteur à croire que le journalisme lui offre la compréhension totale des événements, de manière que les expériences divergentes et complexes ne soient pas considérées comme réelles. </p>
<p>Finalement, il faut analyser l’impact de la « valeur-informative » de la négativité dans la production des articles de presse. La phrase « <i>bad news is good news</i> » exemplifie la pertinence des événements négatifs dans le journalisme. Les crimes, les tragédies, les conflits ou la mort : le négatif obtient toujours avantage dans les pages principales des journaux. Quand le journaliste fait le choix pour écrire un article de presse à propos d’un événement négatif et/ou à partir d’une approche négative, il considère que le public est principalement intéressé aux faits hors-routine, aux événements impressionnants et imprévisibles. En même temps, les nouvelles négatives sont considérées les plus évidentes et consensuelles. Tout compte fait, la représentation des minorités est ancrée sur la valeur de la négativité, puisqu’elles gagnent de visibilité médiatique surtout dans la couverture des faits négatifs. Il est possible d’observer une constante association entre les minorités et la marginalité. En s’agissant particulièrement des sujets migrants, ils sont liés à la migration non régularisée, à la violence et aux trafics de drogues et de personnes.</p>
<p>L’analyse des « valeurs-informatives » met en évidence deux questions : avant tout, ces valeurs sont importantes dans la définition des visibilités et des invisibilités dans la production d’articles de presse. L’observation des « valeurs-informatives » employées nous permet de saisir quels événements seront représentés et comment ils seront présentés dans le discours journalistique. En seconde lieu, il faut souligner la naturalisation des critères qui organisent la production des articles de presse. Autrement dit, ces valeurs sont considérées « naturelles » à la production de nouvelles, ainsi n’existe pas une réflexion sur l’impact de ces critères dans les représentations, ou mieux, dans la construction des altérités. Au fond, l’observation des « valeurs-informatives » peut également signaler que la question de la sous-représentation de certains groupes minoritaires est d’avantage liée à la nature de la production journalistique.</p>
<h5><a id="t6"></a>LES ENJEUX DE LA REPRÉSENTATION DES ALTÉRITÉS</h5>
<p>Le discours journalistique exerce d’avantage influence sur la notion de réalité des publics en raison de la légitimité sociale obtenue par ses méthodes de production d’information. Comme nous avons exposé antérieurement, l’objectivité et la recherche de la vérité accordent notoriété au discours du journalisme. De plus, nous avons également présenté l’impact des « valeurs-informatives » dans le processus de production de l’information et, par conséquence, dans le processus de construction de visibilités dans les médias. À notre avis, le discours autoritaire du journalisme agit objectivement dans la constitution de la réalité et ainsi il collabore dans la construction sociale des altérités. Lorsque le journalisme représente l’altérité, il l’encadre socialement.</p>
<p>Tout d’abord, il faut clarifier le concept de « représentation ». La représentation sociale n’est pas un moyen transparent de parler sur l’Autre ; elle est liée aux systèmes de construction de la signification et elle est ancrée dans les relations de pouvoir. En effet, dans toutes les formes de représentation il y a un côté de violence du fait que représenter signifie une action de domination de l’Un sur l’Autre. Il s’agit du pouvoir de parler au nom d’un Autre et les conséquences de cette appropriation de son lieu de parole.</p>
<p>Denise Jodelet (2001 ; 2006) met l’accent sur les représentations comme des guides à nos façons d’appeler et d’analyser les divers aspects de la réalité. À son avis : « Ainsi, dans le monde d’évidence de la vie quotidienne, la signification pleine des choses est indissociable de leur représentation » (Jodelet, 2006 : 18). Selon Jodelet, la communication sociale est une chaîne de transmission de langage et des représentations sociales. En d’autres termes, le partage social des représentations est l’action primaire de la communication.</p>
<p>Le théoricien littéraire Edward Saïd (1993) est une référence dans les études sur les façons dans lesquelles les modalités de représentation d’un groupe ont servi comme des outils de domination sociale. Dans son ouvrage « Culture et impérialisme » (1993), Saïd explique que les représentations ont été utilisées comme des mécanismes de contrôle et de domination dans le contexte impérialiste. Les pays colonisateurs ont employé des discours culturels historiquement construits avec l’intention de conserver une position eurocentrique en regard des peuples colonisés. L’impérialisme culturel a établi une manière de domination qui s’effectue non seulement pour l’oppression physique (due à la force militaire ou à la présence du colonisateur), aussi bien que pour la force symbolique des représentations de « moi » et de « l’Autre » comme deux individus entièrement distincts.</p>
<p>Saïd donne comme exemple les représentations des Indiens dans la littérature anglaise et ensuite dans les médias depuis la domination coloniale anglaise. Tandis que les Indiens sont représentés comme primitifs, paresseux et insolents, les Anglais symbolisent l’intelligence, la culture et, finalement, l’idéal de la supériorité raciale. Les représentations littéraires ont collaboré à l’entretien de relations inégales de pouvoir dans la période coloniale parce qu’elles ont déterminé symboliquement une distinction entre le « je » et « l’Autre ». En d’autres termes, la domination culturelle employée dans la colonisation anglaise a été efficace parce qu’elle a réussi à encadrer l’altérité.</p>
<p>Par ailleurs des représentations disposées dans la littérature, c’est important d’analyser l’influence exercée par les représentations médiatiques dans la construction de l’Autre. Le concept de “<i>media culture</i>”, décrit par le chercheur canadien Douglas Kellner (2001), nous propose penser que les représentations sociales présentées dans les médias ont une grande importance dans les formations identitaires des individus. Ces représentations peuvent offrir aux publics des modèles identitaires avec influence en différents domaines de l’expérience et dans la constitution du <i>self.</i> La culture des médias fournis la base dans laquelle les personnes peuvent construire leurs références de classe, de race, d’ethnie, de nationalité ou de sexualité. La culture des médias maîtrise la compréhension qu’on a de nous-mêmes et également le regarde qu’on porte sur les Autres.</p>
<p>En ce qui concerne la représentation des altérités dans les médias et en particulier dans le discours journalistique, le théoricien hollandais Teun van Dijk (2010) formule une critique aux organisations internationales de médias du fait qu’elles ont construit un contexte de profonde homogénéisation des discours dans lequel les minorités ne trouvent pas facilement une ouverture à leurs expressions. Les personnes marginalisées, comme les réfugiés, les sans-papiers ou les sans-abri sont représentées dans les médias comme « l’Autre ». Ces modalités de représentation des altérités souvent stéréotypent les individus et leurs expériences.</p>
<p>Selon Teun van Dijk (2010), la représentation limitée des minorités repose sur les points suivants : en premier lieu, les minorités ont un accès plus restreint aux médias et, par conséquent, elles ont moins d’opportunités de s’exprimer à travers des médias de masse. Ensuite, elles sont rarement comprises comme des sources fiables et quotidiennes dans la production de l’information. Même quand elles font l’objet d’un article de presse, les minorités ne sont pas invitées à parler. En outre, leurs expressions culturelles sont méprisées, elles sont aperçues comme inferieures par rapport aux cultures européennes ou nord-américaines. Finalement, les sujets qui appartiennent aux groupes minoritaires sont souvent décrits comme des personnes qui ont besoin d’aide, ou bien de sources matérielles ou bien intellectuelles. </p>
<p>Nous croyons que les discours d’autorité du journalisme affectent plus directement les groupes minoritaires. Nous considérons que les stéréotypes propagés par le journalisme collaborent à une certaine compréhension de la réalité sociale. Comme les minorités ont moins d’ouverture à leurs expressions dans les médias et par définition elles détiennent un pouvoir politique réduit, leurs modalités de représentation sociales sont plus assujetties aux images et aux sens diffusés par les médias. Autrement dit, les discours stéréotypés dans le journalisme peuvent être l’une des seules sources d’information sur un groupe minoritaire ou sur une thématique reliée aux individus marginalisés ; conséquemment, ces discours peuvent imposer une version unique sur les sujets et sur les événements.</p>
<p>Finalement, une analyse sur la relation entre les minorités sociales et les médias devrait prendre en considération l’utilisation infatigable des stéréotypes. Dans les discours du journalisme, les stéréotypes sont nécessaires à la production des nouvelles du fait qu’ils simplifient le processus communicative. Les auteures Ruth Amossy et Anne Pierrot (2011) ont un intéressant travail sur la nature ambivalente des stéréotypes. Ils sont définis comme des structures représentatives fixes et stables indispensables à la compréhension du monde réel. Selon ces auteures, sans la médiation des stéréotypes, nous serions obligés d'examiner chaque information ou chaque objet dans leurs contextes. Néanmoins, ils sont également responsables de la simplification et de la réduction des individus et de leurs expériences à des formules préconstruites. En bref, Amossy et Pierrot nous ont présenté les stéréotypes comme des outils indispensables à la vie sociale et au même temps comme des structures dangereuses à la compréhension de la diversité.</p>
<p>La simplification du monde réel à travers de l’utilisation de stéréotypes favoriserait une vision déformée et schématique de tout qui échappe à la normativité. Sans pouvoir compter avec une diversité de représentations ou avec un lieu légitimé de parole, les groupes minoritaires sont encadrés socialement par le discours journalistique. Ainsi, la condition d’altérité, que nous avons mentionnée antérieurement dans l’approche de Denise Jodelet (2005), qui devrait avoir une nature transitoire et fluide, devient solide et stable. L’individu d’un groupe minoritaire sera « l’Autre » en toutes les circonstances de leur vie sociale. Il est réduit à sa condition d’altérité.</p>
<p>Dans le discours du journalisme, stéréotyper, réduire et simplifier sont les règles pour la construction de l’information. Ces règles ont forgé les lieux sociaux dirigés vers l’altérité. Nous croyons que le journalisme effectivement sous-représente les minorités. Néanmoins, il est également responsable pour les encadrer socialement dans une position marginale et inférieure. Bref, la sous-représentation des minorités se rapporte au contrôle social employé par le journalisme à travers de ses modalités représentatives.</p>
<h5><a id="t7"></a>CONCLUSION</h5>
<p>Dans cette étude, nous avons analysé le rôle joué par le discours du journalisme dans l’encadrement de l’altérité à partir d’une approche qui a considéré l’influence du journalisme dans la construction de la réalité sociale et dans la constitution des identités et des expériences. Nous avons présenté le discours d’autorité du journalisme et les enjeux de la représentation des groupes minoritaires. À notre avis, la sous-représentation des minorités est liée au contrôle social employé par le journalisme à travers de ses modalités représentatives.</p>
<p>Cependant, comme souligne Douglas Kellner (2001), il faut mentionner que les opportunités d’expression dans les médias sont disputées entre les différents groupes. Bien que nous croyons que les groupes minoritaires soient encadrent comme « altérités » dans le discours autoritaire du journalisme, il faut tenir en compte que les espaces médiatiques sont négociés. Autrement dit, la visibilité dans la culture des médias n’est pas une exclusivité des groupes de pouvoir hégémonique, puisque les groupes minoritaires sont dans ce « champ de batailles » même qu’ils ont moins des sources pour réussir. De plus, les groupes minoritaires ne sont pas confortables dans le cadre d’invisibilité et de négativité dessiné par les <i>mass medias</i>. Au contraire, ils cherchent des lieux de parole ailleurs et occupent particulièrement les chaînes de l’Internet. Ainsi, le YouTube, le Facebook et le Twitter devient des nouvelles plateformes sociales pour l’expression des minorités. La réponse au journalisme et à son structure de construction des altérités est dans le monde en ligne, où l’Autre se présente, se représente et construit un nouveau discours pour soi-même. </p>
<h5><a id="t8"></a>BIBLIOGRAPHIE </h5>
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