<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:right"><span style="font-size:12pt">Fanny martinez, – EA 4582, Université Paul-Valéry (Montpellier)</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:right"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>Introduction</strong></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Dans le cadre de ce colloque consacré à « La guerre et la paix dans les sociétés des Suds », nous allons nous pencher sur un récit qui occupe une place singulière au sein de l’œuvre écrite de Leonora Carrington : <em>En Bas</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span style="font-size:12.0pt">[1]</span></a>, un texte de 1943 qui se présente comme le récit de la crise psychiatrique dont souffrit la peintre et auteure en 1940 et qui conduisit à son enfermement dans un asile d’aliénés en Espagne pendant la Seconde Guerre Mondiale, alors qu’elle n’était âgée que de 23 ans. Leonora Carrington, née en Angleterre au début du xxème siècle (1917), est considérée comme l’une des figures majeures du surréalisme européen « <em>transterrado</em> » <a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span style="font-size:12.0pt">[2]</span></a> : après avoir vécu en France dans les années 1930, après avoir transité par l’Espagne puis par les États-Unis, elle finit par s’exiler au Mexique au début des années 1940 où nombre de critiques ont vu dans sa production les traces du surréalisme du Vieux Continent acclimaté aux Amériques<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><span style="font-size:12.0pt">[3]</span></a>. Surtout connue pour son œuvre plastique, empreinte de mystère et d’ésotérisme, Leonora Carrington possède néanmoins une œuvre écrite importante et variée, qui attira l’attention d’André Breton dès les années 1930 ; il reconnut chez elle « l’illuminisme de la folie lucide » et « la sublime puissance de la conception solitaire » <a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><span style="font-size:12.0pt">[4]</span></a> , deux dons que Michelet attribuait à la sorcière. C’est justement dans <em>En Bas</em> que se produit la rencontre (ou, du moins, une rencontre) entre cet « illuminisme de la folie lucide » et ce que l’on pourrait appeler « l’abîme de la folie aveugle », celui dans lequel sont plongés les hommes en temps de guerre. Dans <em>En Bas</em>, ces deux folies semblent se répondre, comme si le chaos et la violence intérieures faisaient écho à cette guerre du dehors, sans que l’on sache vraiment laquelle des deux a précédé l’autre.</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ce récit à la première personne se distingue des autres écrits de Leonora Carrington dans la mesure où il est le seul qui affirme l’adéquation du « <em>je</em> de l’énonciation » au « <em>je</em> de l’énoncé » <a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><span style="font-size:12.0pt">[5]</span></a> . Ces deux « <em>je</em> » se retrouvent unis dans (ou par) un récit rétrospectif où se mêlent dès les premières pages ce qui relève de l’Histoire (avec un grand H) et ce qui relève de l’intime. La narration s’ouvre sur l’internement de Max Ernst, alors compagnon de Leonora Carrington, dans un camp de la zone libre de la France (il est en effet allemand en territoire français) et se poursuit par la fuite de la protagoniste qui, cherchant à échapper à l’avancée nazie, abandonne Saint-Martin d’Ardèche, se rend en Andorre et finit par atteindre Madrid, tandis que les symptômes de sa crise s’accentuent (visions de cadavres, corps paralysé, comportements jugés antisociaux). Des contacts de ses parents parviendront finalement à l’anesthésier et à la droguer, au cours de ce qui se présentait comme une promenade, afin de la faire enfermer contre son gré sur ordre de sa famille. La narration revient donc sur l’épisode traumatique de la réclusion et des traitements reçus dans la « clinique » mais se veut, au-delà, traversée des miroirs, comme l’énonce l’ouverture programmatique du récit :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Il y a maintenant exactement trois ans, j’étais internée dans la clinique du Dr Moralès, à Santander (Espagne), considérée par le Dr Pardo, de Madrid, et le consul britannique, comme folle incurable. Depuis ma rencontre fortuite avec vous, que je considère comme le plus clairvoyant, je me suis mise, il y a une semaine, à réunir les fils qui auraient pu m’amener à traverser la première frontière de la connaissance. Je dois revivre cette expérience, parce que je crois vous être utile en le faisant, et je crois aussi que vous m’aiderez à voyager de l’autre côté de cette frontière en me conservant lucide, et en me permettant de mettre et de retirer à volonté le masque qui me préservera contre l’hostilité du conformisme. (EB, p. 17)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Plusieurs éléments attirent ici notre attention : on peut tout d’abord remarquer la présence d’un interlocuteur qui joue un rôle fondamental dans cette libération de la parole. En effet, Leonora Carrington dicta son récit en cinq jours à Jeanne Mégnen, qui fut la compagne de Pierre Mabille, appelé le « médecin des surréalistes », scientifique, anthropologue, également auteur de l’ouvrage <em>Le Miroir du merveilleux</em><em>. </em>Le texte fut ensuite remanié avant sa première publication en français en 1945<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><span style="font-size:12.0pt">[6]</span></a>. Ces circonstances sont particulièrement signifiantes, car qui mieux que ces deux allocutaires aurait pu aider à établir le lien entre l’univers médical et le monde du merveilleux, entre l’imaginaire et la folie clinique ? Par ailleurs, <em>En Bas</em> est conçu comme une expérience cathartique permettant à l’artiste d’engager « un terrible corps à corps avec les mots qui aura fini par ouvrir l’espace le plus improbable entre la folie et la non-folie » <a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><span style="font-size:12.0pt">[7]</span></a> , pour reprendre les termes d’Annie Lebrun, comme un récit autobiographique tendant vers l’expérience poétique et visionnaire, à la façon d’un Nerval ou d’un Artaud, au cœur duquel émerge la possibilité d’un « embryon de connaissance » (EB, p. 18). Mais quelle connaissance, connaissance de quoi ? De soi, puisque le choix de Leonora Carrington de « voyager <em>[à nouveau]</em><em> </em>de l’autre côté de cette frontière » doit lui permettre d’exorciser son passage par le monde de l’aliénation et par celui des asiles de fous. Mais aussi connaissance de soi dans son interaction avec le monde extérieur et, en l’occurrence, avec un contexte de violence permanente dans la France envahie par les nazis puis dans l’Espagne de l’après-guerre civile aux stigmates encore bien visibles.</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Les questions que suscite ce récit sont les suivantes : comment s’établit et se construit au cœur du texte cette dialectique entre l’intérieur et l’extérieur, ce brouillage entre l’intime et le général, entre le familial et le mondial ? Quelle peut être la validité d’une lecture irrationnelle de la guerre, d’une interprétation des évènements au prisme de ce que la psychanalyse appellerait le « sentiment de toute puissance » ou les « délires de persécution » ? Quelle est la place qu’y occupe le corps et de quoi cela peut-il être révélateur ? Nous tenterons de proposer des pistes de réponse à ces interrogations en rendant compte de la vision organique et magique de la guerre qui naît de la mise en mots effectuée par Leonora Carrington dans <em>En Bas </em>; face à la violence et à la barbarie extrêmes de 38-45, l’antirationalisme ne deviendrait-il pas, au final, un humanisme ? </span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>1. Guerre et complot maléfique</strong></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Comme nous le signalions, nous assistons dans <em>En Bas</em> à la dissolution des frontières conventionnellement établies entre le familial et le mondial, entre le politique et le métaphysique ; ces dichotomies s’abolissent dans la lecture antirationnelle, presque magique, qu’a Leonora du conflit qui embrase l’Europe. En effet, la protagoniste, en proie à des illuminations et visions, développe une théorie du complot, de la conspiration, qui se cristallise autour du personnage de Van Ghent, un citoyen hollandais rencontré à Madrid qu’elle met en lien avec le gouvernement nazi mais aussi avec l’<em>Imperial Chemicals</em>, l’entreprise dirigée par son propre père – avec lequel elle est en opposition totale –. Leonora se sent persécutée par ce père oppresseur qui cherche à la ramener en Angleterre pour la faire rentrer dans le droit chemin et la priver de sa liberté par le biais de Van Ghent, ensorceleur au pouvoir hypnotique lui-même envoyé par un Hitler maléfique… Ces trois figures masculines se superposent et les hiérarchies, les structures sur lesquelles se bâtit la raison, volent en éclat :</span></p>
<p style="margin-left:36.0pt"><span style="font-size:10.0pt">Van Ghent était mon père, mon ennemi et l’ennemi des hommes […].</span></p>
<p style="margin-left:36.0pt"><span style="font-size:10.0pt">La suite logique de cette pensée fut de mettre les autorités au courant de l’horrible domination de Van Ghent et de prendre des mesures pour libérer Madrid. […] Je me rendis donc à l’Ambassade d’Angleterre où je vis le consul. Je tâchai de convaincre celui-ci que la guerre mondiale était faite à base d’hypnotisme par un groupe de gens, Hitler et Cie, représentés en Espagne par Van Ghent, qu’il suffisait de prendre conscience de ce pouvoir hypnotique pour le vaincre, pour arrêter la guerre et délivrer le monde coincé […], qu’au lieu de se perdre dans des labyrinthes politiques et économiques, il fallait croire en cette force métaphysique, la distribuer à tous les humains qui se trouveraient ainsi délivrés. Ce bon bourgeois britannique constata immédiatement que j’étais folle et téléphona à un médecin nommé Martinez Alonzo, qui fut tout à fait d’accord avec lui lorsqu’il connut l’exposé de mes théories politiques. (EB, p. 32)</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Pour Leonora, nourrie de théories psychanalytiques, la libération personnelle comme celle de l’Europe passe par le fait de « tuer le père », le père qui est tout à la fois Monsieur Carrington, Van Ghent, Hitler et, plus tard, <span style="color:black">le Docteur Luis Moralès</span>, psychiatre qui s’occupera d’elle à l’asile. Non sans humour, Leonora nous expose, à nous lecteurs, la teneur de ses « théories politiques » du moment, dont elle fait part à divers diplomates en 1940 ; c’est en partie cela qui lui vaudra d’être internée et cataloguée comme souffrant d’une « psychose marginale de Kleist » <a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><span style="font-size:12.0pt">[8]</span></a> , pouvant inclure des manifestations paranoïaques à type de persécution et supposer des symptômes de déréalisation (à savoir que le patient a l’impression que les gens autour de lui sont robotisés). Et, effectivement, on peut lire un peu plus loin, alors que la protagoniste est déjà à la clinique :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Vers huit heures du matin, j’entendais de loin la sirène d’une usine et je savais qu’elle était le signal de Moralès et Van Ghent pour appeler au travail les <em>zombies</em> et aussi pour me réveiller, moi qui étais chargée de libérer le jour. (EB, p. 60)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">« Automates », « zombies », « hypnotisme », autant de termes qui nous renvoient à la psychose ou à la science-fiction. Et pourtant, quand la violence devient norme, quand le respect des règles conduit à être l’une des pièces consentantes d’un rouage meurtrier, quand la logique positiviste conduit à créer un nouvel ordre criminel, que signifie être fou ou folle ? <span style="color:black">Dès les années 1920, les surréalistes avaient mis l’accent sur les possibilités inouïes offertes par la folie<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="color:black">[9]</span></span></a> et avaient souligné qu’au cœur de l’antirationalisme peut se nicher la poésie brute et pure, l’expression alternative d’une vérité enterrée par les conventions ou la bienséance (d’où, d’ailleurs, la fascination de Breton et d’autres surréalistes pour </span><em>En Bas</em><span style="color:black">). Le cri du fou ne serait-il pas alors, et plus encore en temps de guerre, protestation, cri d’alarme face à l’aveuglement des hommes ? Sans chercher à inscrire son récit dans la tradition des écrits du poète à la fois fou et voyant, en se gardant aussi « d’esthétiser les gestes de la folie<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="color:black">[10]</span></span></a> », Leonora Carrington nous livre néanmoins un texte au sein duquel le cri de la malade se fait cri d’insoumission :</span></span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je sentais que l’esprit de don Luis me possédait, que sa domination s’enflait en moi comme un pneu géant et j’entendais son vaste et immense désir d’ÉCRASER l’univers. (EB, p. 50)</span></span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je lui criai : « Je n’accepte pas votre force, à tous, contre moi ; je veux ma liberté d’agir et de penser ; je hais et repousse vos forces hypnotiques. » (EB, p. 80)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">À la façon d’un être possédé, Leonora sent grandir en elle la force de domination psychique de son psychiatre, qui cherche à l’attirer vers des instincts de destruction absolue ; mais, de même que Van Ghent était son ennemi tout autant que celui de l’humanité, lutter contre l’autorité du psychiatre semble revenir à lutter contre tout un appareil qui nie à l’être humain son humanité. <span style="color:black">Leonora semble presque </span>exprimer ici de façon poétique et magique ce que des philosophes et théoriciens comme Hannah Arendt développeront quelques années plus tard, notamment le concept de « déresponsabilisation<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><span style="font-size:12.0pt">[11]</span></a> », soit l’absence de pensée des exécutants d’un système totalitaire qui, par sens du devoir, en bureaucrates exemplaires, en arrivent à commettre des crimes contre l’humanité. Face à ces « zombies », à ces « automates », Leonora cherche à réveiller les consciences : dans les rues de Madrid, puis dans la clinique pour aliénés de Santander, elle crie au danger, elle alerte contre les forces hypnotiques, elle aperçoit les montagnes de cadavres qui n’existent encore que dans les yeux de son esprit. Elle est persuadée de posséder une connaissance unique et d’avoir un rôle fondamental dans la propagation de cette vérité que personne ne veut voir : dans le fragment cité un peu plus haut, elle affirme bien que c’est elle qui est « chargée de libérer le jour ». Dans la logique du récit, c’est donc justement parce qu’elle s’oppose à ce nouvel ordre mortifère, parce qu’elle a « menacé la puissance de ce groupe » (EB, p. 50) qu’on l’enferme dans un asile qui prend vite des allures de camp de concentration, mêlant à nouveau la tragédie personnelle au destin des peuples européens.</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>2. « J’essayais comprendre où j’étais et pourquoi j’étais là. Hôpital ou camp de concentration ? » <a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><strong><span style="font-size:12.0pt">[12]</span></strong></a> </strong></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Bien que le jardin de l’hôpital et ses pavillons soignés s’écartent du décor macabre des camps de concentration, la seconde partie de la narration, à savoir l’enfermement qui fait suite à la fuite, marque pour Leonora l’entrée dans un univers clos et répressif qui l’amène à s’interroger sur la nature de cet endroit. Les « fils de fer barbelés » (EB, p. 47) n’entourent la clinique que dans les récits de rêves de l’artiste intégrés à la narration, mais ils se matérialisent néanmoins autour de ses poignets : Leonora sera en effet attachée, humiliée et recevra des traitements à base de Cardiazol (un traitement précurseur des électrochocs provoquant de terribles crises épileptiques). C’est parce qu’elle devient objet, livrée à la volonté d’autrui, victime d’une violence injustifiée, que s’établit au cœur du récit un lien entre clinique et camps, espaces qui, dans les deux cas, semblent échapper au temps et nient à l’individu sa condition de sujet en le réduisant à de la matière malléable. Ainsi, la première injection de Cardiazol correspond pour Leonora à la dissolution la plus absolue de son être :</span></p>
<p style="margin-left:36.0pt">Ils prirent chacun une partie de mon corps et je vis <em>le centre</em> de tous les yeux fixé sur moi dans un regard AFFREUX, AFFREUX. Les yeux de Don Luis lacéraient mon cerveau, et moi, je m’enfonçais, m’enfonçais, m’enfonçais, dans un puits… très loin… Le fond de ce puits était <em>l’arrêt</em>, un arrêt éternel dans le comble de l’angoisse. […]</p>
<p style="margin-left:36.0pt">Grâce à une étrange convulsion de mon centre vital, je remontai avec une rapidité vertigineuse à la surface. Je voyais à nouveau les yeux fixes, affreux, et je hurlais : « Je ne veux pas… je ne veux pas de cette force immonde. Je voudrais vous libérer mais je ne pourrai pas, parce que cette force astronomique me détruira si je ne vous écrase pas tous… tous… tous. Je dois vous détruire ainsi que le monde entier, parce que ça augmente… ça augmente… et l’univers n’est pas assez grand pour ce besoin de destruction. JE GRANDIS… JE GRANDIS… et j’ai peur, parce qu’il ne restera plus rien à détruire. » (EB, p. 57)</p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Si l’utilisation des majuscules, les effets de répétition et les hyperboles cherchent à retranscrire le caractère paroxystique de l’horreur provoquée par le produit épileptique, sorte de descente aux enfers infinie où le temps s’abolit, ce qui est particulièrement frappant est la façon dont les pronoms personnels se vident peu à peu de leur substance jusqu’à brouiller le référent auquel ils renvoient. Le « je » de « je m’enfonçais » est-il le même que celui de « je dois vous détruire » ? Le « vous » s’adresse-t-il aux peuples opprimés ou aux bourreaux de Leonora ? Ce « vous » ne finit-il pas par englober tout ce qui n’est pas « je » ? <span style="color:black">Il semble qu’à l’instar </span>des expériences de guerre vécues en dehors de l’asile, l’expérience de l’hôpital psychiatrique provoque une perte des repères identitaires et éthiques : les glissements référentiels observés dans ce paragraphe et la réversibilité des pronoms ne suggéreraient-ils pas que, dans ce contexte de violence, la distinction entre victime et tortionnaire n’a plus cours et que les frontières séparant bien et mal, résistance et barbarie sont si mouvantes qu’il est impossible de les discriminer ? L’épreuve de l’asile décrite par Leonora oscille donc entre expérience de l’essence de la douleur et du chaos intérieur, négation de son humanité, d’une part, et quête pour donner un sens à ces souffrances, d’autre part. C’est ainsi que l’hôpital devient le lieu d’une inversion historique où Leonora Carrington se voit comme un nouveau Christ, qui expie par les tourments endurés les injustices faites aux peuples tombés sous le joug du fascisme et du nazisme, Espagnols victimes de la guerre civile et du franquisme et Juifs persécutés avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je ne sais pas pendant combien de temps je restai attachée et nue. Plusieurs jours et plusieurs nuits, couchée dans mes propres immondices, urine et sueur ; torturée par les moustiques dont les morsures rendaient mon corps hideux, je croyais qu’ils étaient les esprits des Espagnols écrasés qui me reprochaient mon internement, mon manque d’intelligence et ma passivité. (EB, p. 45)</span></span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je les [Don Luis et Don Mariano, les médecins] croyais juifs et pensais que moi, aryenne, celtique et saxonne, je subissais ces souffrances pour venger les Juifs des persécutions qu’ils subissaient. (EB, p. 62)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Paradoxalement, si Leonora est persuadée d’avoir été enfermée parce qu’elle a osé s’opposer au groupe maléfique d’« Hitler et Cie », elle conçoit sa souffrance comme le résultat de la vengeance légitime des opprimés, faisant de son corps le lieu de la rédemption. Un écho subtil, un jeu de miroirs s’établit alors entre la description des douleurs vécues depuis le corps, à la visée purificatrice pour Leonora mais aussi pour le genre humain aveuglément plongé dans la barbarie de la guerre, et la narration elle-même conçue comme expérience cathartique. Le corps est ainsi le lieu privilégié au sein duquel se dissolvent les frontières, où s’opère le ballet incessant qui unit le grand et le petit, l’intime et l’historique, l’expérience personnelle et la guerre et même, au-delà, l’histoire de l’Univers.</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>3. Le corps miroir de la guerre, miroir du monde</strong></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Si nous nous appuyons sur les apports de la phénoménologie, il apparaît clairement que le corps se constitue en trait d’union entre intérieur et extérieur ; il est l’entité commune entre « moi » et « monde pour moi », ou encore « présence au monde de la vie psychique du sujet » tout autant que « véhicule de notre être au monde » <a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><span style="font-size:12.0pt">[13]</span></a>. C’est donc ce corps de chair, souffrant, malade, maltraité, qui va faire le lien entre « microscope » et « télescope » (EB, p. 35) – image utilisée dans le récit sur laquelle nous nous arrêterons plus en avant – et notamment l’estomac, poche oblongue qui devient, par analogie, œil, sphère, miroir, boule de cristal salie par l’angoisse et les horreurs de la guerre et devant être nettoyée. C’est pour cette raison que Leonora se provoque, après l’arrestation de Max, bien avant d’être internée dans l’asile, des vomissements vingt-quatre heures durant :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">J’espérais alors distraire ma souffrance par ces spasmes violents qui écartelaient mon estomac comme l’auraient fait des tremblements de terre. […] J’avais compris l’injustice de la société, je voulais d’abord me nettoyer et passer ensuite au-delà de sa brutale ineptie. Mon estomac était le siège de cette société, mais aussi le lieu dans lequel les éléments de la terre s’unissaient à moi. C’était, pour employer votre image, le <em>miroir</em> de la terre, dont la réflexion contient la même réalité que le reflété. (EB, p. 18-19)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Violence de la </span>guerre et angoisse profonde ne forment alors plus qu’un, dans une violence organique qui mêle politique et tellurisme, comme si c’était l’équilibre cosmique tout entier qui était menacé par les exactions et par le déchaînement des passions humaines. En ces temps sombres de l’humanité, le monde se voit réduit à une infâme bouillie qui viendrait, opaque, tâcher et obscurcir le miroir intérieur ayant besoin d’être « décrassé » par les vomissements et coliques, comme l’exprime Leonora à son arrivée en Espagne :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Dans la confusion politique et la chaleur terrible, je me convainquis que Madrid était l’estomac du monde et que moi j’étais chargée de guérir cet appareil digestif. [...] La dysenterie que j’eus par la suite n’était que la <em>maladie</em> de Madrid réalisée dans mon intestin. (EB, p. 28) </span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Loin d’être ici une métaphore filée, il faut comprendre ce jeu de miroirs, cette identification non comme une expérience poétique ou verbale mais comme une expérience vitale et mystique, littérale, qui, bien que considérée par un esprit rationnel comme un délire narcissique de toute-puissance, s’inscrit dans la droite ligne des théories du macrocosme et du microcosme qui culminèrent pendant la Renaissance et fascinèrent Leonora Carrington. <span style="color:black">Selon ces théories, « tout est dans tout » (ou « tout est tout ») et les structures du vivant (dans son</span> sens le plus large) se répètent à toutes les échelles – Leonora évoque ainsi au début du texte le « système solaire des microbes » (EB, p. 19) –. Le corps de Leonora serait donc, non pas seulement un reflet du monde extérieur manifestant, par un jeu de correspondances, l’absurdité de la guerre au travers des dysfonctionnements corporels internes, mais un modèle réduit de l’univers, dévasté lui aussi par le chaos<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><span style="font-size:12.0pt">[14]</span></a>. Dans la perspective dynamique héritée de Nicolas de Cues, penseur du XV<sup>ème</sup> siècle :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">la nature humaine est celle qui a été placée au-dessus de toutes les œuvres de Dieu et peu au-dessous des anges, elle qui enferme en elle la nature intellectuelle et la nature sensible et qui resserre en elle l’univers : elle est un microcosme, ou petit monde, comme l’appelaient les anciens avec juste raison. Elle est celle qui, élevée aÌ€ l’union avec la maximité, serait la plénitude de toutes les perfections universelles et particulières, de sorte que, dans l’humanité, tout fût élevé au degré suprême. <a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="color:black">[15]</span></span></a></span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">On comprend donc que, si le </span>corps est champ de bataille, il offre aussi la possibilité d’être lieu de la résolution du conflit, lieu où essayer de retrouver, de recréer la « plénitude ». Le corps est bien, comme nous l’avons déjà évoqué, conçu comme le media de la rédemption, justement parce qu’il est le premier à être attaqué et détruit en temps de guerre, parce qu’il est celui par lequel un individu peut perdre toute dignité ou toute éthique, celui qui peut faire d’une femme ou d’un homme autre chose qu’un être humain. Or, c’est l’existence même du corps comme autre chose qu’un bout de chair, comme trait d’union entre « moi » et « être au monde », que la guerre cherche à annihiler : le corps social, tout autant que le corps de l’artiste, subit un processus de désintégration, et le commentaire que fait Leonora suite à sa première injection de Cardiazol est particulièrement révélateur à ce sujet :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Il me semblait avoir laissé derrière moi le sordide et douloureux aspect de la matière et entrer dans un monde qui serait l’expression mathématique de la vie. […] Je prenais docilement ma nourriture et ne bougeais plus. (EB, p. 59)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Quel a été l’effet du Cardiazol </span>? Il semble l’avoir déconnectée de la matière, du corps, transformant la perception de la réalité en une abstraction et le sujet en un bœuf docile. Or, dans un moment historique où c’est l’ultra-rationalisation, la logique poussée à son extrême, qui amène à ne plus considérer l’humain que comme un matricule, un chiffre, voire un élément indésirable que l’on peut supprimer, revendiquer le corps, la place du corps, apparaît comme une façon de lutter contre la désincarnation du monde, de lutter contre le monde désincarné de la puissance scientifique et technique qui a conduit à l’élaboration d’un appareil d’extermination parfaitement organisé – Leonora ne connaît pas encore l’existence des camps d’extermination lorsqu’elle écrit ce texte, mais elle en a, pourrait-on dire, comme l’intuition –. <em>En Bas</em> devient donc (bien que ce ne soit sans doute pas son propos), depuis la lucidité retrouvée, un manifeste pour promouvoir une nouvelle raison qui les inclut toutes : </span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">La Raison <em>doit</em> connaître la raison du cœur et toutes les autres raisons senties de la pointe des cheveux jusqu’à l’extrémité des orteils, contre l’opinion de M. Pascal, « ver solitaire » de la philosophie. (EB, p. 49)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ces autres raisons, ce sont toutes celles qui touchent au non-rationnel : perceptions, intuitions, imagination, rêves, sentiments, autant d’antidotes à la barbarie qui rappellent que l’être humain est autre chose qu’un simple « cogito » cartésien. <span style="color:black">Quand le monde </span>se déchire, est scission, Leonora aspire à la réintégration, à la réunion, à l’harmonie. C’est son corps, au travers des danses et des rituels mystiques qu’elle exécute dans sa chambre à la clinique, qui devient le lieu de cette totalité retrouvée, puisque Leonora devient, dans son extase, la synthèse de l’homme et de la femme, du soleil et de la lune, du microcosme et du macrocosme :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">J’étais […] l’union de l’homme et de la femme avec Dieu et le Cosmos, tous égaux entre eux. La bosse de ma cuisse gauche semblait ne plus faire corps avec moi-même et devenait un soleil dans le côté gauche de la lune ; toutes mes danses et girations dans la chambre du Soleil prenaient cette bosse comme pivot. Elle cessa de me faire mal car je me sentais intégrée au soleil. Mes mains : Ève (la gauche), Adam (la droite), se comprenaient et leur habileté s’en trouvait décuplée. (EB, p. 62-63)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Leonora se plonge et nous plonge ici dans un moment de retour à une forme de poésie primitive conçue comme union du poète avec tout ce qui l’entoure ; elle proclame l’abolition des hiérarchies entre transcendance et immanence, entre les genres – au moment même où l’on affirme l’existence de races supérieures et où la vie sociale se conçoit comme un système pyramidal implacable –, suggérant que lutter contre les forces de destruction implique de rejeter la pensée dichotomique qui tend à séparer corps et intellect, bien et mal, intérieur et extérieur, Dieu et homme.</span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ainsi, on voit que dans la mise en mots de ce que les psychiatres cataloguèrent comme une psychose marginale de Kleist, point toutefois la possibilité d’une autre forme de connaissance, d’une autre approche du conflit mondial qui embrase l’Europe ; une connaissance qui se revendique comme non-lucide, non-rationnelle, comme une lecture historique erronée mais qui, dans un moment où la barbarie devient norme et où les repères moraux et éthiques sont renversés, peut avoir sa validité. Le récit semble donc pratiquer une forme de grand écart qui trouve néanmoins, dans la logique cosmique qui est développée en son sein, une forme de cohérence, figurée par le symbole de l’œuf alchimique :</span></p>
<p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je crains de me laisser aller à la fiction, véridique, mais incomplète, par manque de quelques détails qui ne me viennent pas aujourd’hui à la mémoire et qui devraient nous apporter plus de lumière. Ce matin, l’idée de l’œuf me hante et je pense l’employer comme un cristal où je verrais Madrid en juillet-août 1940 ; pourquoi ne reflèterait-il pas ma propre expérience aussi bien que l’histoire passée et future de l’Univers ? L’œuf est le macrocosme et le microcosme, la ligne de partage entre le Grand et le Petit, qui rend impossible la vision du tout. Posséder un télescope sans sa contrepartie essentielle – le microscope – me semble un symbole de la plus sombre incompréhension. Le devoir de l’œil droit est de plonger dans le télescope tandis que l’œil gauche interroge le microscope. (EB, p. 35)</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ce paragraphe semble </span>faire écho à l’image surréaliste de la dissection de l’œil recherchée par le poète – il suffit de repenser à la scène d’ouverture du <em>Chien andalou</em> de Buñuel –, à savoir la quête de l’artiste pour avoir un œil à la fois ouvert sur le monde, sur la réalité visible, et regardant en même temps vers la pensée, le rêve, l’au-delà, vers l’altérité. Cette sorte de schizophrénie poétique assumée et revendiquée, considérée ici comme véritable démarche existentielle, donne à penser l’union des contraires et leur dialogue comme clé pour appréhender le monde : le récit oscille ainsi entre plongée dans la folie (source de connaissances autres) et lucidité retrouvée de l’énonciation (l’« illuminisme de la folie lucide »), il oscille entre les souffrances intimes de l’auteure enfermée suite à ses bouffées délirantes (le microscope) et celles de l’Europe en guerre, elle-même inscrite dans un mouvement cosmique plus vaste (le télescope), entre la temporalité relative vécue par l’individu et la temporalité absolue qui réunit passé, présent et futur dans un globe en mouvement. Réintégrer la métaphysique et l’expérience personnelle à l’histoire, nous pousser aÌ€ nous interroger sur la ligne de démarcation entre folie et lucidité en temps de guerre, ou encore replacer la raison du corps et du cœur au centre de la pensée sur la violence, tels sont quelques-uns des apports indéniables de ce récit relativement inclassable qu’est <em>En Bas.</em></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"> </p>
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<hr />
<div id="ftn1">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span style="font-size:10.0pt">[1]</span></a> <span style="color:black"> L’édition à laquelle nous nous référons pour le présent article est la suivante : Leonora Carrington, <em>En Bas</em>, Montpellier, L’arachnoïde, coll. « Zakhor », 2013. Pour les citations tirées de cet ouvrage, la page sera indiquée entre parenthèses à la suite de la citation, précédée des initiales du récit (EB). </span></span></p>
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<div id="ftn2">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span style="font-size:10.0pt">[2]</span></a> <span style="color:black"> Ce terme, que l’on doit au philosophe José Gaos, a notamment été repris par Alberto Ruy Sánchez dans son article « El volcán del surrealismo transterrado » qui ouvre le numéro 64 de la revue de référence <em>Artes de México</em> (2003) dédié à la « Transfusión creativa » entre le surréalisme européen et le Mexique.</span></span></p>
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<div id="ftn3">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><span style="font-size:10.0pt">[3]</span></a> <span style="color:black"> Les liens de Leonora Carrington au surréalisme sont néanmoins ambigus et complexes : même si la fréquentation des surréalistes dans les années 1930 en France a constitué une étape de formation essentielle pour la jeune artiste, elle a déclaré dès son arrivée au Mexique s’être peu à peu éloignée du mouvement parisien. L’interview qu’elle accorda à Paul de Angelis en 1985, empreinte d’humour, en est assez révélatrice :</span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"> <span style="color:black">« <em>[P.A.:] – Algunos críticos de arte consideran que su primera etapa fue muy surrealista, pero que cuando llegó a México su obra cobró un carácter muy personal…</em></span></span></p>
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><em><span style="color:black"> [L.C.:] – No sé, quizás se volvió más individual, porque aunque estaba en contacto con Remedios [Varo], claro está, ya no tenía tanta relación con los “surrealistas </span></em><span style="color:black">kosher<em>”, por así decirlo. </em>» Interview publiée dans Whitney Chadwick, <em>Leonora Carrington: la realidad de la imaginación</em>, México, D.F., Era, CONACULTA, 1994, p. 153. </span></span></p>
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<div id="ftn4">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><span style="font-size:10.0pt">[4]</span></a> <span style="color:black"> C’est ainsi qu’André Breton présente Leonora Carrington dans son <em>Anthologie de l’humour noir </em>[1940 ; 1950 ; 1966], dans laquelle il choisira d’inclure à partir de 1950 un conte de Leonora Carrington, « La Débutante ». Voir André Breton, <em>Œuvres complètes</em>, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 1168.</span></span></p>
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<div id="ftn5">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><span style="font-size:10.0pt">[5]</span></a> Ce concept est utilisé tant par <span style="color:black">les théoriciens de l’autobiographie que par les psychanalystes (comme Jacques Lacan) ou les linguistes (tel Émile Benveniste).</span></span></p>
</div>
<div id="ftn6">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><span style="font-size:10.0pt">[6]</span></a> Le récit, dicté en français à Jeanne Mégnen, fut d’abord publieÌ en anglais dès février 1944 dans le numéro 4 de la revue <em>VVV</em>, puis en français dans la collection « L’Âge d’Or », dirigée par Henri Parisot (Paris, Fontaine, 1945).</span></p>
</div>
<div id="ftn7">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><span style="font-size:10.0pt">[7]</span></a> Annie Lebrun, « Dévoilé autant que possible », dans Leonora Carrington, <em>op. cit.</em>, p. 7.</span></p>
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<div id="ftn8">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><span style="font-size:10.0pt">[8]</span></a> La « psychose marginale de Kleist » est ce que l’on appellerait aujourd’hui un « trouble de la dépersonnalisation ». C’est la pathologie qu’évoque Luis Morales dans un article publié en 1993 dans <em>El País,</em> dans lequel il revient sur le cas de Leonora Carrington : « <em>La recuerdo perfectamente, tanto a ella como paciente, como si hoy, ante el progreso de la psiquiatría, me atreviera a pensar si era una enferma. </em><em>Por la ansiedad con que defendía su surrealismo podría haber sido calificada de asocial y candidata a una clínica psquiátrica de Santander. Médicos de prestigio, abogados, hombres de negocios y diplomáticos, por su anormal conducta, nos la confiaron para que Leonora recuperase un buen y bien vivir. […] Volvemos a insistir en que en 1941 Leonora era una paciente de un fácil diagnóstico de psicosis de Kleist o marginal; mas esta enfermedad podía ser sintomática, como protesta de su arte surrealista. </em>» Voir Luis Morales, « La enfermedad de Leonora », <em>El País</em>, 18 avril 1993 [http://elpais.com/diario/1993/04/18/cultura/735084002_850215.html], page consultée le 3 janvier 2017.</span></p>
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<div id="ftn9">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><span style="font-size:10.0pt">[9]</span></a> On peut, à ce propos, relire le <em>Manifeste du Surréalisme</em> (André Breton, 1924), <em>Nadja</em> (André Breton, 1928) ou consulter « Le Cinquantenaire de l’Hystérie » (Louis Aragon et André Breton, dans <em>La Révolution Surréaliste</em>, 1928). </span></p>
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<div id="ftn10">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><span style="font-size:10.0pt">[10]</span></a> Annie Lebrun, <em>op. cit.</em>, p. 9. </span></p>
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<div id="ftn11">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><span style="font-size:10.0pt">[11]</span></a> On peut notamment citer son rapport sur le Procès Eichmann, <em>Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal</em>, qui souleva de virulentes polémiques suite à sa parution en<em> </em>1963.</span></p>
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<div id="ftn12">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><span style="font-size:10.0pt">[12]</span></a> EB, p 39.</span></p>
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<div id="ftn13">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><span style="font-size:10.0pt">[13]</span></a> Voir notamment <em><span style="color:black">Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures</span></em><span style="color:black"> (Edmund Husserl, 1913) ou <em>Phénoménologie de la perception</em> (Maurice Merleau-Ponty, 1945).</span></span></p>
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<div id="ftn14">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><span style="font-size:10.0pt">[14]</span></a> « Je m’adorais à ce moment-là, je m’adorais parce que je me voyais complète – j’étais tout, tout était moi ; je me réjouissais de voir mes yeux devenus miraculeusement des systèmes solaires, illuminés par leur propre lumière […] ; mes intestins, qui vibraient en accord avec la douloureuse digestion de Madrid, me satisfaisaient tout autant » (EB, p. 37).</span></p>
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<div id="ftn15">
<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><span style="font-size:10.0pt">[15]</span></a> Nicolas De Cues, <em>De la docte ignorance</em>, III, Paris, Éd. De la Maisnie, P.U.F., 1930, p. 43.</span></p>
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