<h2>Prudentia. Sur la logique tactique soutenant les techniques d&rsquo;escrime de Fiore dei Liberi&hellip;</h2> <p>Qu&rsquo;elles soient modernes ou anciennes, les pratiques de combat &ndash; &agrave; main nue comme arm&eacute;es &ndash; connaissent la coexistence de diff&eacute;rents styles, propres &agrave; des ma&icirc;tres ou &agrave; des &eacute;coles. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne bien connu est &agrave; l&rsquo;origine d&rsquo;un d&eacute;bat fr&eacute;quent quant &agrave; la sup&eacute;riorit&eacute; des formes martiales les unes par rapport aux autres. Cependant, pour leur compr&eacute;hension comme pour leur ma&icirc;trise, il est souvent plus int&eacute;ressant d&rsquo;observer les contextes, les cadres, les r&egrave;gles dans lesquels celles-ci ont &eacute;t&eacute; th&eacute;oris&eacute;es et pratiqu&eacute;es. En ce qui concerne les Arts Martiaux Historiques Europ&eacute;ens (d&eacute;sormais AMHE), ces questions se doublent de celles des modalit&eacute;s de transmission et de la rupture qu&rsquo;ont subi ces formes martiales: les diff&eacute;rences constat&eacute;es dans les sources proviennent-elles de pratiques r&eacute;ellement dissemblables, ou bien sont-elles dues &agrave; des conceptualisations diff&eacute;rentes &agrave; l&rsquo;&eacute;crit de gestes pourtant proches ou identiques dans leur ex&eacute;cution&nbsp;?</p> <p>Cette d&eacute;licate question ne peut recevoir de r&eacute;ponse qu&rsquo;au cas par cas&hellip;</p> <p>L&rsquo;escrime &agrave; l&rsquo;&eacute;p&eacute;e &agrave; deux mains attribu&eacute;e au ma&icirc;tre d&rsquo;armes italien Fiore dei Liberi (v.&nbsp;1350-v.&nbsp;1420) appara&icirc;t dans cette configuration<sup>1</sup>. Un certain consensus &ndash; qu&rsquo;il serait difficile de contester, il faut le reconna&icirc;tre &ndash; reconna&icirc;t de v&eacute;ritables particularit&eacute;s &agrave; cette tradition par rapport &agrave; d&rsquo;autres &eacute;coles m&eacute;di&eacute;vales. Pour autant, les manques et diverses impr&eacute;cisions de l&rsquo;&oelig;uvre nomm&eacute;e <i>Fleur du combat</i> (<i>Fior di battaglia</i>), li&eacute;es essentiellement &agrave; son caract&egrave;re pr&eacute;coce, eurent parfois pour cons&eacute;quence de pousser les pratiquants &laquo;&nbsp;&agrave; combler les vides&nbsp;&raquo; au moyen d&rsquo;autres sources historiques, celles-l&agrave; m&ecirc;me qu&rsquo;on reconnaissait comme &eacute;trang&egrave;res au style du ma&icirc;tre frioulan&nbsp;! Parmi les diverses traditions utilis&eacute;es en secours &ndash; on devrait dire &laquo;&nbsp;en b&eacute;quille&nbsp;&raquo; &ndash;, ce fut celle attribu&eacute;e &agrave; Johannes Liechtenauer qui, du fait des nombreux t&eacute;moignages parvenus jusqu&rsquo;&agrave; nous, s&rsquo;est retrouv&eacute;e le plus souvent &eacute;voqu&eacute;e<sup>2</sup>. Cependant, la simple observation de quelques attitudes fondamentales contenues dans les &oelig;uvres respectives de Fiore dei Liberi et de Johannes Liechtenauer suffit &agrave; prouver que chaque syst&egrave;me repose sur des bases diff&eacute;rentes&nbsp;: par exemple, alors que la garde m&eacute;diane du ma&icirc;tre italien est r&eacute;solument au centre du corps (<i>posta breve</i>), celle du germain se prend lat&eacute;ralement (<i>pflug</i>)&nbsp;; de m&ecirc;me, la garde haute pointe en avant s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve beaucoup plus dans la tradition liechtenauerienne (<i>ochs</i>) que fioresque (<i>posta di finestra</i>) [Figure&nbsp;1]. Ces exemples ne sont pas choisis au hasard. En recourant trop souvent aux gardes &laquo;&nbsp;allemandes&nbsp;&raquo;, les pratiquants modernes de l&rsquo;escrime de Fiore dei Liberi se placent eux-m&ecirc;mes dans des situations o&ugrave; le reste du syst&egrave;me ne peut pas fonctionner, tout simplement car il n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; con&ccedil;u pour le faire au moyen de ces attitudes. Ce faisant, ils alt&egrave;rent encore un peu plus les gestuelles pr&eacute;sent&eacute;es dans l&rsquo;&oelig;uvre. Que ce soit donc pour la phase escrimale ou la phase au corps &agrave; corps qui en d&eacute;coule, ils d&eacute;voient ainsi le style du ma&icirc;tre italien de sa logique m&eacute;canique et tactique.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <img height="200" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 14.46.03.png" width="430" /></p> <p style="text-align: center;"><small>Figure&nbsp;1. Comparaison des gardes m&eacute;dianes et des gardes hautes pointe en avant entre le syst&egrave;me de Fiore dei Liberi et celui de Johannes Liechtenauer</small><small>[En haut&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folios&nbsp;26&nbsp;r.&nbsp;c et 25&nbsp;v. c [&copy;&nbsp;Getty Museum].</small></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <img height="355" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 14.48.58.png" width="328" /></p> <p style="text-align: center;"><small>[En bas&nbsp;:] &laquo;&nbsp;Codex Danzig&nbsp;&raquo;, attribu&eacute; &agrave; Peter von Danzig. Allemagne, 1452.<br /> Rome, Biblioteca dell&rsquo;Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana, Cod.44.A.8, folio&nbsp;1&nbsp;v. [&copy;&nbsp;Michael Chidester].</small></p> <p>Le pr&eacute;sent article a pour objet de faire le point sur certains &eacute;l&eacute;ments-cl&eacute;s intrins&egrave;ques &agrave; l&rsquo;escrime &agrave; l&rsquo;&eacute;p&eacute;e &agrave; deux mains de la tradition de Fiore dei Liberi. D&rsquo;apr&egrave;s nos observations et nos exp&eacute;rimentations, du respect de ces &eacute;l&eacute;ments d&eacute;coule une ad&eacute;quation avec les propos et les visuels contenus dans la Fleur du combat, sans palliatif ext&eacute;rieur. Deux grands principes les rassemblent&nbsp;: la progression de pointe et le contr&ocirc;le de la menace adverse. Avant d&rsquo;exposer ceux-ci en d&eacute;tail, il convient de rappeler quelques donn&eacute;es contextuelles sur la pratique de cette escrime, en particulier quant &agrave; la nature de l&rsquo;arme employ&eacute;e.</p> <h2>Pr&eacute;alables contextuels&nbsp;: une escrime pour la vie, &agrave; l&rsquo;arme r&eacute;elle</h2> <p>L&rsquo;escrime propos&eacute;e par Fiore dei Liberi se place r&eacute;solument dans le cadre du combat pour la vie. L&rsquo;&oelig;uvre ne laisse aucun doute &agrave; ce sujet. D&egrave;s son prologue, lorsqu&rsquo;il introduit la lutte, le ma&icirc;tre rapporte que les jeux (<em>zoghi</em>) &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire les compos&eacute;s technico-tactiques qui structurent et transmettent le savoir contenu dans l&rsquo;&oelig;uvre &ndash; se <em>font per la vita</em><i><sup>3</sup></i>. Plus sp&eacute;cifiquement, l&rsquo;&eacute;p&eacute;e est mentionn&eacute;e comme l&rsquo;arme du ma&icirc;tre &agrave; l&rsquo;occasion des combats men&eacute;s &ndash; en secret et sans armure &ndash; pour le maintien de son honneur et de son int&eacute;grit&eacute; physique<sup>4</sup>. Cette &eacute;p&eacute;e est donc une arme &laquo;&nbsp;r&eacute;elle&nbsp;&raquo;, affut&eacute;e et ac&eacute;r&eacute;e. En ce sens, la comparaison avec certaines formes d&rsquo;escrimes historiques d&eacute;volues aux pratiques ludiques, et pour ce faire pratiqu&eacute;es au moyen de lames s&eacute;curis&eacute;es de type federschwert, n&rsquo;est gu&egrave;re pertinente. Malgr&eacute; une certaine proximit&eacute; typologique des armes, un aspect propre &agrave; l&rsquo;arme r&eacute;elle manque&nbsp;: l&rsquo;accroche.</p> <p>Ce ph&eacute;nom&egrave;ne se produit lorsque deux armes affut&eacute;es entrent en contact sur leur tranchant. Cet aspect de l&rsquo;escrime m&eacute;di&eacute;vale est souvent m&eacute;connu, ou encore sous-estim&eacute;. Pourtant, il se constate bien avec des reproductions modernes d&rsquo;&eacute;p&eacute;es, et se trouve m&ecirc;me accentu&eacute; sur les mod&egrave;les historiques [Figure&nbsp;2]. La cause en revient &agrave; la qualit&eacute; de l&rsquo;acier m&eacute;di&eacute;val, moins pur, g&eacute;n&eacute;ralement plus tendre et d&rsquo;une r&eacute;partition manquant d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute;. De ce fait, lorsqu&rsquo;une &eacute;p&eacute;e ancienne accroche son homologue oppos&eacute;e, son tranchant &laquo;&nbsp;mord&nbsp;&raquo; relativement loin dans la lame.</p> <p style="text-align: center;"><img height="429" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.17.56.png" width="385" /><br /> <small>Figure&nbsp;2. Trace d&rsquo;impact d&rsquo;une autre arme sur une &eacute;p&eacute;e du xive&nbsp;si&egrave;cle<br /> &Eacute;p&eacute;e. Origine inconnue, xive&nbsp;si&egrave;cle.<br /> Saint-Omer, Mus&eacute;e de l&rsquo;H&ocirc;tel Sandelin, inv.&nbsp;3078 [&copy;&nbsp;auteur]</small></p> <p>Dans la Fleur du combat, l&rsquo;accroche est possiblement sugg&eacute;r&eacute;e lors de la &laquo;&nbsp;crois&eacute;e&nbsp;&raquo; (<em>incrosada</em>) des &eacute;p&eacute;es. Ce terme est souvent interpr&eacute;t&eacute; comme un engagement, un simple contact entre les lames. Cependant, lorsque l&rsquo;incrosada est mentionn&eacute;e, les illustrations des jeux montrent syst&eacute;matiquement les pointes des armes ne mena&ccedil;ant pas les combattants<sup>5</sup>. Or, si cet aspect peut s&rsquo;expliquer ais&eacute;ment pour la crois&eacute;e basse, car l&rsquo;un des protagonistes a &laquo;&nbsp;rabattu&nbsp;&raquo; (<em>rebatuda<sup>6</sup></em>) l&rsquo;&eacute;p&eacute;e adverse vers le sol, il est plus probl&eacute;matique pour une crois&eacute;e haute. Pour arriver pr&eacute;cis&eacute;ment dans cette situation et, par extension, pour placer les techniques associ&eacute;es de la fa&ccedil;on figur&eacute;e (c&rsquo;est-&agrave;-dire depuis des pointes orient&eacute;es vers le haut), la prise en consid&eacute;ration de l&rsquo;accroche apporte des alternatives &agrave; l&rsquo;engagement volontaire au fer<sup>7</sup>. Lors de frappes plus ou moins simultan&eacute;es, les &eacute;p&eacute;es &laquo;&nbsp;se mordent&nbsp;&raquo; mutuellement et, du fait de l&rsquo;avanc&eacute;e d&rsquo;au moins un des deux combattants, les pointes des lames accroch&eacute;es tendent &agrave; s&rsquo;&eacute;lever [Figure&nbsp;3].</p> <p style="text-align: center;"><img height="242" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.18.12.png" width="561" /><br /> <small>Figure&nbsp;3. La crois&eacute;e &agrave; la pointe de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e&nbsp;: th&eacute;orie et pratique<br /> [&Agrave; gauche&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folio&nbsp;27&nbsp;r.&nbsp;b [&copy;&nbsp;Getty Museum].<br /> [&Agrave; droite&nbsp;:] Extrait d&rsquo;assaut au simulateur crant&eacute; reproduisant l&rsquo;accroche des &eacute;p&eacute;es aiguis&eacute;es, par les membres de l&rsquo;Acad&eacute;mie d&rsquo;AMHE. Rochemaure, juillet 2019 [&copy;&nbsp;auteur]</small></p> <p>Cette interpr&eacute;tation met en lumi&egrave;re un nouvel aspect de l&rsquo;escrime de Fiore dei Liberi. L&rsquo;obtention d&rsquo;une crois&eacute;e haute, pointe &agrave; pointe (<em>a punta de spada</em>)<sup>8</sup> ou milieu de lame &agrave; milieu de lame (<em>a meza spada</em>)<sup>9</sup>, est possible principalement dans le cas d&rsquo;une action visant &agrave; ins&eacute;rer la pointe, soit une action de pr&eacute;paration. On touche l&agrave; au premier principe &eacute;voqu&eacute;&nbsp;: la progression de pointe&hellip;</p> <h2>Progression de pointe</h2> <p>En escrime, on d&eacute;signe par &laquo;&nbsp;progression de pointe&nbsp;&raquo; la fa&ccedil;on de faire &eacute;voluer l&rsquo;&eacute;p&eacute;e dans un mouvement continu afin d&rsquo;atteindre l&rsquo;adversaire de la pointe de l&rsquo;arme, les bras r&eacute;solument tendus vers l&rsquo;avant. Chez Fiore dei Liberi, cette derni&egrave;re attitude est d&eacute;nomm&eacute;e la &laquo;&nbsp;posture (ou garde) longue&nbsp;&raquo; (<em>posta longa</em>)<sup>10</sup>. Nombre de jeux se concluent effectivement ainsi. [Figure&nbsp;4] Une rapide comparaison historique laisse voir que cette logique se retrouve moins pour l&rsquo;escrime liechtenaurienne que, par exemple, pour la pratique de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e-bocle selon le ms.&nbsp;I.33, ou encore dans certaines formes de combat &agrave; la rapi&egrave;re, notamment la destreza<sup>11</sup>. En outre, elle constitue de nos jours le fondement de l&rsquo;&eacute;cole fran&ccedil;aise d&rsquo;&eacute;p&eacute;e sportive<sup>12</sup>.</p> <p style="text-align: center;"><img height="593" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.18.26.png" width="566" /><br /> <small>Figure&nbsp;4. La posta longa et son utilisation en aboutissement de certains jeux<br /> [&Agrave; gauche&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folios&nbsp;26&nbsp;r.&nbsp;a, 27&nbsp;r.&nbsp;c, 27&nbsp;v.&nbsp;b, 28&nbsp;r.&nbsp;c [&copy;&nbsp;Getty Museum]</small></p> <h3>Sup&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;estoc</h3> <p>La progression de pointe est donc corr&eacute;l&eacute;e &agrave; l&rsquo;estoc. Le paragraphe de l&rsquo;&oelig;uvre qui pr&eacute;sente ce type de coup renseigne doublement quant &agrave; ses usages&nbsp;:</p> <p style="text-align: center;"><img height="154" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.22.55.png" width="526" /></p> <p>Avant toute chose, il faut relever que cet extrait se place dans le d&eacute;bat historique &agrave; propos de la sup&eacute;riorit&eacute; de la taille sur l&rsquo;estoc, ou inversement. Au tournant des xive et xve&nbsp;si&egrave;cles, cette dispute n&rsquo;est pas nouvelle. D&eacute;j&agrave;, &agrave; la fin de l&rsquo;Antiquit&eacute;, V&eacute;g&egrave;ce regrettait l&rsquo;abandon du gladius, arme d&rsquo;estoc, pour la spatha, arme de taille. C&rsquo;est vers la fin du xiiie si&egrave;cle que ce d&eacute;bat ressurgit en Occident, &agrave; la faveur de la red&eacute;couverte de l&rsquo;auteur latin associ&eacute;e &agrave; la transformation de la forme des lames<sup>13</sup>. Fiore dei Liberi a choisi sa r&eacute;ponse&nbsp;: l&rsquo;estoc est plus meurtrier que la taille. En ce sens, l&rsquo;&eacute;p&eacute;e figur&eacute;e dans l&rsquo;&oelig;uvre &ndash; que les chercheurs reconnaissent comme une lame de type XVa [Figure&nbsp;5] &ndash; pr&eacute;sente des capacit&eacute;s de perforation manifestes.</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><img height="160" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.18.41.png" width="559" /></p> <p style="text-align: center;"><small>Figure&nbsp;5. &Eacute;p&eacute;e de type XVa et ad&eacute;quation avec les repr&eacute;sentations de l&rsquo;&oelig;uvre</small><small>[En haut&nbsp;:] &Eacute;p&eacute;e dite &laquo;&nbsp;du Lac Constance&nbsp;&raquo;. Allemagne, milieu du xive&nbsp;si&egrave;cle.<br /> Londres, Royal Armouries, inv.&nbsp;IX.1106 [&copy;&nbsp;Royal Armouries].</small></p> <p style="text-align: center;"><img height="279" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.18.47.png" width="565" /><br /> <br /> <small>[En bas&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folio&nbsp;26&nbsp;r.&nbsp;a/b [&copy;&nbsp;Getty Museum]</small></p> <p>Dans les deux derniers vers, le ma&icirc;tre italien indique de surcroit que l&rsquo;estoc a la capacit&eacute; d&rsquo;emp&ecirc;cher l&rsquo;ex&eacute;cution des coups de taille. De fait, pour une m&ecirc;me allonge, l&rsquo;estoc touche toujours un peu plus loin que la taille. Aussi, en se pla&ccedil;ant de mani&egrave;re &agrave; pouvoir d&eacute;livrer un estoc bras tendus, le combattant fioriste cherche &agrave; gagner l&rsquo;affrontement, d&egrave;s la phase de pr&eacute;paration, par la ma&icirc;trise de la distance.</p> <h3>Typologie des estocs</h3> <p>Cette attitude convient quel que soit le type d&rsquo;estoc utilis&eacute;. Fiore en donne cinq&nbsp;: deux sup&eacute;rieurs et deux inf&eacute;rieurs pour chaque c&ocirc;t&eacute;, plus un central<sup>14</sup>. &Agrave; notre sens, les estocs de dessus, non illustr&eacute;s dans l&rsquo;&oelig;uvre, ont trop souvent &eacute;t&eacute; vus comme le t&eacute;moignage de l&rsquo;utilisation des gardes &laquo;&nbsp;germaniques&nbsp;&raquo; nomm&eacute;es ochs, ex&eacute;cut&eacute;es les bras relativement fl&eacute;chis. Or, en plus de l&rsquo;absence d&rsquo;un t&eacute;moignage visuel clair et irr&eacute;futable, cette interpr&eacute;tation contrarie la logique de la garde &laquo;&nbsp;italienne&nbsp;&raquo; approchante (<em>la posta di finestra</em>), pr&eacute;sent&eacute;e comme une posture instable (<em>instabile</em>) [voir figure&nbsp;1]. En outre, il faut observer que le paragraphe sur les estocs d&eacute;finit les cinq attitudes comme &eacute;tant leurs &laquo;&nbsp;raisons&nbsp;&raquo; (<em>rasone</em>). Le sens de ce dernier terme est obscur. L&rsquo;interpr&eacute;tation liechtenaurienne revient &agrave; y voir une provenance des coups (depuis le haut ou depuis le bas). Or, la trajectoire, par le milieu du corps (<em>per mezo lo corpo)</em>, est d&eacute;crite plus haut dans le texte. Aussi, il pourrait plut&ocirc;t s&rsquo;agir des zones o&ugrave; un estoc arrive. En excluant l&rsquo;estoc central, ils auraient donc un lien avec les quatre lignes (ou, pour reprendre un concept liechtenaurien, avec les quatre ouvertures) qui seraient alors ferm&eacute;es. Ainsi, la logique de progression de pointe n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement, les bras pouvant toujours &eacute;voluer vers l&rsquo;avant.</p> <p>D&eacute;coulant de cet aspect, les coups pr&eacute;sent&eacute;s comme des tailles pourraient &eacute;galement s&rsquo;achever en estoquant. C&rsquo;est l&agrave; la logique du jeu nomm&eacute; &laquo;&nbsp;&eacute;change de pointe&nbsp;&raquo; (<em>scambiar de punta)</em><sup>15</sup> &ndash; lequel vise &agrave; intercepter l&rsquo;estoc adverse pour le remplacer par le sien &ndash;, ceci m&ecirc;me si le texte ne d&eacute;crit pas sp&eacute;cifiquement les types d&rsquo;attaque possibles (sans doute car tous le sont). Pour la technique en partie comparable du &laquo;&nbsp;rompre la pointe&nbsp;&raquo; (<em>rompere de punta</em>), le texte indique d&rsquo;ailleurs que le joueur tentant l&rsquo;estoc se voit &laquo;&nbsp;prendre le fendant&nbsp;&raquo; (<em>piglia lo fendente</em>), ce qui constituerait un nouvel exemple de coups destin&eacute;s &agrave; s&rsquo;achever en estoc<sup>16</sup>. L&rsquo;indice le plus probant de cet usage se trouve toutefois contenu dans la pr&eacute;sentation du coup m&eacute;dian (<em>colpo mezano</em>) donn&eacute; du c&ocirc;t&eacute; revers (riverso). Son texte pr&eacute;cise que celui-ci doit aller &laquo;&nbsp;avec le faux tranchant&nbsp;&raquo; (cum lo falso taglio)<sup>17</sup>. Or, cette indication manque de sens pour une attaque directe, car cela am&egrave;nerait souvent son ex&eacute;cutant &agrave; se d&eacute;couvrir, ph&eacute;nom&egrave;ne qui serait m&ecirc;me accentu&eacute; en tentant d&rsquo;achever le geste dans une posta di finestra faite &agrave; l&rsquo;image d&rsquo;un zwerchau germanique. En revanche, l&rsquo;usage du falso au revers sur la lame adverse conduit &agrave; une prise d&rsquo;ascendant sur cette derni&egrave;re, tout en maintenant une couverture. &Agrave; nouveau, il y a l&agrave; une action permettant un placement de la pointe, et constituant donc une pr&eacute;paration. De cette pratique d&eacute;coule le second principe-cl&eacute; de l&rsquo;escrime de Fiore dei Liberi&nbsp;: le contr&ocirc;le du fer&hellip;</p> <h2>Contr&ocirc;le de la menace adverse</h2> <p>Ce contr&ocirc;le du fer trouve un &eacute;cho plus large dans le syst&egrave;me martial de Fiore dei Liberi &agrave; travers la ma&icirc;trise syst&eacute;matique de la menace averse. En effet, quelle que soit l&rsquo;arme employ&eacute;e, le ma&icirc;tre enseigne g&eacute;n&eacute;ralement de neutraliser d&rsquo;abord le moyen d&rsquo;agression de l&rsquo;opposant, avant de s&rsquo;occuper de celui-ci. L&agrave; encore, des comparaisons avec d&rsquo;autres traditions martiales historiques sont possibles, notamment avec le ms. I.33 ou la destreza. En revanche, le rapprochement avec l&rsquo;escrime sportive contemporaine n&rsquo;est plus pertinent, car les r&egrave;gles de priorit&eacute; ou de simultan&eacute;it&eacute; ne permettent pas une expression de ce principe. Plus largement, la nature des simulateurs employ&eacute;s a ici une importance capitale pour l&rsquo;expression de ce principe.</p> <h3>Placement de la lame</h3> <p>Il a &eacute;t&eacute; dit pr&eacute;c&eacute;demment que d&rsquo;armes aiguis&eacute;es pouvait r&eacute;sulter un ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;accroche, lequel se retrouverait &ndash; logiquement, il nous semble &ndash; lors des jeux faisant &eacute;tat de l&rsquo;incrosada, en particulier pour les crois&eacute;es hautes. Il faut maintenant pr&eacute;ciser que ces jeux se placent comme les premiers de la partie sur l&rsquo;&eacute;p&eacute;e &agrave; deux mains. &Agrave; l&rsquo;instar des autres armes de l&rsquo;&oelig;uvre, cette position inaugurale t&eacute;moigne de leur importance fondamentale pour le syst&egrave;me du ma&icirc;tre. Par extension, ils constitueraient un indice de la fr&eacute;quence des accroches dans un combat &agrave; l&rsquo;arme r&eacute;elle, en particulier durant la phase pr&eacute;paratoire.</p> <p>L&rsquo;accroche ne finalise toutefois pas l&rsquo;ex&eacute;cution d&rsquo;une technique, mais n&rsquo;en est qu&rsquo;une &eacute;tape&nbsp;: une fois les lames li&eacute;es entre-elles, il convient de d&eacute;crocher du fer &agrave; son avantage. Plus largement, elle n&rsquo;est pas non plus syst&eacute;matique&nbsp;: &agrave; l&rsquo;occasion de contact mutuel des plats des lames, quand le tranchant frappe un plat, ou bien lorsque les tranchants se retrouvent trop parall&egrave;les l&rsquo;un de l&rsquo;autre, les lames glissent et poursuivent leur progression, comme le feraient des mod&egrave;les non-affut&eacute;s. Pour se pr&eacute;munir, et m&ecirc;me tirer profit de ces situations, le ma&icirc;tre use d&rsquo;un principe m&eacute;canique&nbsp;: l&rsquo;avantage de la position sup&eacute;rieure.</p> <p>Ce principe veut que, lors de l&rsquo;interaction des armes et &agrave; posture &eacute;quivalente, la lame situ&eacute;e au-dessus soit plus forte que celle en position inf&eacute;rieure. D&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, les pratiquants de l&rsquo;escrime liechtenaurienne connaissent ce concept, notamment par l&rsquo;ex&eacute;cution des coups horizontaux (zwerchau et d&eacute;riv&eacute;s). En levant les bras au-dessus de la t&ecirc;te, ils tendent &agrave; emp&ecirc;cher la prise d&rsquo;ascendant sur leur lame, tout en se positionnant fermement eux-m&ecirc;mes. Dans les sources, ces actions font appels &agrave; la garde ochs, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; une position avec les bras courts [voir Figure&nbsp;1]. L&rsquo;ex&eacute;cution tactique correcte implique en parall&egrave;le un raccourcissement de la distance, sans toutefois en venir au corps &agrave; corps&nbsp;: il s&rsquo;agit l&agrave; du krieg, le &laquo;&nbsp;c&oelig;ur du combat&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est &agrave; travers cette distance que les Liechtenaueriens entrent dans des rapports de jeux de lame fort sur faible, ou vice-versa.</p> <p>Or, comme il a &eacute;t&eacute; dit, cette garde et cette distance &laquo;&nbsp;interm&eacute;diaire&nbsp;&raquo; ne se retrouvent pas r&eacute;ellement chez Fiore dei Liberi, pas plus que ce type de crois&eacute;es in&eacute;gales. La prise d&rsquo;ascendant sur la lame adverse doit donc maintenir une mesure plus importante. Cette derni&egrave;re permet un travail sur le fer diff&eacute;rent, mais pas inexistant.</p> <p>En effet, Fiore n&rsquo;ignore pas le sentiment du fer (le fameux fuelhen de l&rsquo;escrime liechtenaurienne), m&ecirc;me s&rsquo;il ne l&rsquo;a pas conceptualis&eacute; de la m&ecirc;me mani&egrave;re que l&rsquo;escrimeur germanique, ni &ndash; il faut l&rsquo;avouer &ndash; avec la m&ecirc;me pr&eacute;cision. Son texte &eacute;nonce bien que &laquo;&nbsp;l&rsquo;art [de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e] est de tourner et de lier&nbsp;&raquo; (mia arte si &egrave; rotare e ligadure)<sup>18</sup>. Les crois&eacute;es constituent les formes principales de ce sentiment du fer. Or, celles-ci sont toujours pr&eacute;sent&eacute;es, du moins initialement, sur des rapports d&rsquo;interaction identiques. Pour assurer la prise d&rsquo;ascendant, le placement du tranchant sur le plat de la lame adverse semble le proc&eacute;d&eacute; utilis&eacute;. Ce dernier fait appel &agrave; une autre m&eacute;canique escrimale&nbsp;: &agrave; rapport de force &eacute;gal, le tranchant est plus fort que le plat, car l&rsquo;un concentre l&rsquo;&eacute;nergie sur une faible surface, alors que l&rsquo;autre la disperse. C&rsquo;est donc en recherchant une position ascendante par le placement de la lame (et non par celui du corps), tout en privil&eacute;giant l&rsquo;usage du tranchant sans changement de crois&eacute;e que Fiore dei Liberi enseigne la ma&icirc;trise du fer adverse.</p> <h3>Gestion du centre</h3> <p>La bonne ex&eacute;cution de ces proc&eacute;d&eacute;s est &eacute;troitement corr&eacute;l&eacute;e au placement du centre du corps. La posta longa &ndash; utilis&eacute;e tant pour la progression de pointe que pour le contr&ocirc;le de la menace adverse &ndash; poss&egrave;de, sous bien des aspects, une structure corporelle puissante, notamment parce que les bras peuvent &ecirc;tre &laquo;&nbsp;verrouill&eacute;s&nbsp;&raquo;. Mais cette attitude peut aussi se r&eacute;v&eacute;ler plus faible au contact du fer, puisque le levier pr&eacute;sent&eacute; y est important. Pour tirer avantage de cette position en limitant les risques, il faut donc agir lorsque l&rsquo;adversaire a les bras tendus ou en train de se tendre, tout en se servant id&eacute;alement du temps d&rsquo;extension de ses propres bras pour neutraliser le fer adverse. Afin de gagner la position sup&eacute;rieure, il convient alors d&rsquo;orienter sensiblement sa pointe vers le c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;arme adverse. Imm&eacute;diatement, les jambes r&eacute;ajustent la structure corporelle du combattant, action manifest&eacute;e par &laquo;&nbsp;l&rsquo;avanc&eacute; hors de la route&nbsp;&raquo; (acressere fora di strada), probablement un petit pas gliss&eacute; ouvrant. Pour l&rsquo;ensemble de ces gestes, le combattant oriente son centre sur l&rsquo;arme adverse et, ce faisant, ne menace plus tout &agrave; fait son adversaire. Le respect de la mesure est alors crucial afin d&rsquo;emp&ecirc;cher son opposant d&rsquo;entrer trop ais&eacute;ment au corps &agrave; corps le temps de la recr&eacute;ation de ligne.</p> <p>Nombre de jeux se concluent, en effet, par un dernier d&eacute;placement. Quelques fois, il s&rsquo;agit d&rsquo;un &eacute;loignement, lequel est destin&eacute; &agrave; &eacute;liminer toute menace directe de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e adverse. Ce faisant, le fer est temporairement rel&acirc;ch&eacute; pour permettre la frappe. En plus d&rsquo;atteindre l&rsquo;ennemi, cette derni&egrave;re doit aussi pr&eacute;munir d&rsquo;une &eacute;ventuelle r&eacute;action, selon l&rsquo;id&eacute;e maintes fois exprim&eacute;e dans l&rsquo;&oelig;uvre de &laquo;&nbsp;faire des couvertures&nbsp;&raquo; (fare de coverte)<sup>19</sup>. Le jeu surnomm&eacute; &laquo;&nbsp;le coup du vilain&nbsp;&raquo; (lo colpo di vilano) illustre clairement ces attitudes [Figure 6].</p> <p style="text-align: center;"><img height="197" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.18.58.png" width="567" /></p> <p style="text-align: center;"><small>Figure 6. Le &laquo;&nbsp;coup du vilain&nbsp;&raquo;&nbsp;: rel&acirc;chement du fer et frappe finale<br /> [&Agrave; gauche&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folio&nbsp;28&nbsp;r.&nbsp;a/b [&copy;&nbsp;Getty Museum].</small></p> <p>Toutefois, le plus souvent, le d&eacute;placement final est un rapprochement. Durant cette r&eacute;duction de la mesure, la menace adverse reste alors contr&ocirc;l&eacute;e&nbsp;: soit le contact avec le fer est maintenu&nbsp;; soit, si l&rsquo;usage de sa propre &eacute;p&eacute;e n&rsquo;est plus possible, un geste du corps s&rsquo;y substitue (via une saisie de lame, un contr&ocirc;le des bras, un &eacute;crasement de la lame adverse avec le pied&hellip;). L&rsquo;&eacute;change de pointe constitue un exemple parlant de ces possibilit&eacute;s techniques et tactiques entre le &laquo;&nbsp;jeu large&nbsp;&raquo; (zogho largo) &agrave; distance d&rsquo;&eacute;p&eacute;e et le &laquo;&nbsp;jeu court&nbsp;&raquo; (zogho stretto) au corps &agrave; corps [Figure&nbsp;8]. Ces derniers doivent d&eacute;couler naturellement (!) du travail pr&eacute;c&eacute;dent&nbsp;; mais, puisqu&rsquo;ils font appel &agrave; des notions de lutte, ils sortent du pr&eacute;sent propos qui se veut uniquement escrimal.</p> <p style="text-align: center;"><br /> &nbsp;<img height="211" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.19.23.png" width="555" /></p> <p style="text-align: center;"><small>Figure 7. L&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;change de pointe&nbsp;&raquo;&nbsp;: contr&ocirc;le du fer et entr&eacute;e au corps &agrave; corps<br /> [&Agrave; gauche&nbsp;:] Fior di battaglia, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie du nord, 1390-1400 env.<br /> Los&nbsp;Angeles, Getty Museum, ms.&nbsp;Ludwig&nbsp;XV&nbsp;13, folio&nbsp;28&nbsp;v.&nbsp;a/b [&copy;&nbsp;Getty Museum]</small></p> <p><br /> Si cette courte analyse ne saurait bien &eacute;videment conclure sur l&rsquo;art de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e &agrave; deux mains d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi, elle permet n&eacute;anmoins d&rsquo;en mettre (ou remettre) en &eacute;vidence quelques aspects.</p> <p>Le cadre d&rsquo;un combat pour la vie n&rsquo;est pas le moindre et explique la plupart d&rsquo;entre eux. Les attitudes visant &agrave; faire progresser la pointe au maximum de l&rsquo;allonge, tout en contr&ocirc;lant syst&eacute;matiquement la menace adverse par l&rsquo;&eacute;p&eacute;e ou par le corps sont engendr&eacute;es par la n&eacute;cessaire sauvegarde de l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; physique face au danger d&rsquo;une &eacute;p&eacute;e affut&eacute;e et ac&eacute;r&eacute;e. Le soin apport&eacute; &agrave; th&eacute;oriser l&rsquo;affrontement depuis les situations de crois&eacute;e rend compte de l&rsquo;importance vitale de l&rsquo;&eacute;tape pr&eacute;paratoire. La r&eacute;currence des m&eacute;caniques gestuelles tend &agrave; r&eacute;v&eacute;ler des habitudes faites pour fonctionner en situation de stress. En somme, tout &ndash; de la mani&egrave;re de saisir l&rsquo;&eacute;p&eacute;e et de se d&eacute;placer, jusqu&rsquo;aux techniques de corps &agrave; corps et de finalisation &ndash; est con&ccedil;u pour fonctionner en coh&eacute;rence.</p> <p>Si l&rsquo;on devait r&eacute;sumer cette coh&eacute;rence en n&rsquo;exprimant qu&rsquo;une seule notion, il nous semble que devrait primer celle de distance. Ici encore, le spectre du combat pour la vie se devine. &Agrave; de nombreuses reprises, la gestion de la distance explique la forme particuli&egrave;re des jeux pr&eacute;sent&eacute;s dans l&rsquo;&oelig;uvre. Cette derni&egrave;re l&rsquo;associe d&rsquo;ailleurs &agrave; l&rsquo;une des quatre qualit&eacute;s majeures du combattant&nbsp;: la prudence (prudentia ou avisamento). &Agrave; travers la repr&eacute;sentation d&rsquo;un lynx, d&rsquo;un compas ou la juxtaposition aux yeux, le segno sch&eacute;matise le lien entre la vertu Prudentia et le respect de la misura [Figure 8].</p> <p style="text-align: center;"><img height="502" src="https://www.numerev.com/img/ck_2614_3_Capture d’écran 2023-07-24 à 15.19.37.png" width="475" /></p> <p style="text-align: center;"><small>Figure 8. Prudentia<br /> Florius de Arte luctandi, d&rsquo;apr&egrave;s Fiore dei Liberi. Italie ou France, 1410-1420 env.<br /> Paris, Biblioth&egrave;que nationale de France, ms.&nbsp;lat.&nbsp;11269, folio&nbsp;1&nbsp;v. (d&eacute;tail) [&copy;&nbsp;BnF].</small></p> <p>L&rsquo;escrime du ma&icirc;tre italien poss&egrave;de donc bien une logique syst&eacute;mique. Celle-ci diff&egrave;re de celle d&rsquo;autres traditions martiales m&eacute;di&eacute;vales, en particulier de l&rsquo;&eacute;cole liechtenaurienne &agrave; laquelle on la compare souvent. Les raisons de ces dissemblances techniques et tactiques peuvent &ecirc;tre nombreuses. L&rsquo;&eacute;tat du savoir des deux ma&icirc;tres respectifs eut certainement un r&ocirc;le. Le cadre de la pratique put &eacute;galement avoir une influence, une part importante des &oelig;uvres germaniques &eacute;tant d&eacute;volues &agrave; l&rsquo;escrime de salle. Tout ceci, sans m&ecirc;me compter sur les disparit&eacute;s de m&oelig;urs et de coutumes entre peuples, comme en t&eacute;moigne Pietro Monte &agrave; l&rsquo;aube de la Renaissance<sup>20</sup>. Il faut admettre que certaines facettes des escrimes m&eacute;di&eacute;vales conserveront toujours leurs myst&egrave;res&hellip;</p> <h2>Bibliographie</h2> <ul> <li>Bas, P.-H. (2015). Le combat &agrave; la fin du Moyen &Acirc;ge et dans la premi&egrave;re modernit&eacute;&nbsp;: th&eacute;ories et pratiques. Th&egrave;se de doctorat sous la direction de M. Bertrand Schnerb, Universit&eacute; Lille&nbsp;3 [dactyl.]</li> <li>Chaize, P.-A. (2015). Les arts martiaux de l&rsquo;Occident m&eacute;di&eacute;val&nbsp;: comment s&rsquo;&eacute;crit et se transmet un savoir gestuel &agrave; la fin du Moyen-Age. Th&egrave;se de doctorat sous la direction de M. Bruno Laurioux, Universit&eacute; Paris-Saclay [dactyl.]</li> <li>Cognot, F. (&eacute;d.) (2006). Ma&icirc;tres et techniques de combat &agrave; la fin du Moyen &Acirc;ge et au d&eacute;but de la Renaissance. Paris&nbsp;: A.E.D.E.H.&nbsp;; Id. (&eacute;d.) (2011). Arts de combat. Th&eacute;orie et pratique en Europe &ndash; xive-xxe&nbsp;si&egrave;cle. Paris&nbsp;: A.E.D.E.H.</li> <li>Cognot, F. (2013). L&rsquo;armement m&eacute;di&eacute;val. Les armes blanches dans les collections bourguignonnes, xe-xve&nbsp;si&egrave;cles. Th&egrave;se de doctorat sous la direction de M. Paul Benoit, Universit&eacute; Paris 1 Panth&eacute;on-Sorbonne [dactyl.]</li> <li>Jaquet, D. (2013). Combattre en armure &agrave; la fin du Moyen &Acirc;ge et au d&eacute;but de la Renaissance d&rsquo;apr&egrave;s les livres de combat. Th&egrave;se de doctorat sous la direction de M. Franco Morenzoni, Universit&eacute; de Gen&egrave;ve [dactyl.]</li> <li>Jaquet, D. (2012). L&rsquo;art chevaleresque du combat. Le maniement des armes &agrave; travers les livres de combat (xive-xvie&nbsp;si&egrave;cles), Neuch&acirc;tel, &eacute;ditions Alphil-Presses universitaires suisses&nbsp;; Id. (2017). Combattre au Moyen &Acirc;ge. Une histoire des arts martiaux en Occident, xive-xvie. Paris&nbsp;: &Eacute;ditions Arch&ecirc;. Mentionnons enfin les th&egrave;ses de doctorat soutenues cette derni&egrave;re d&eacute;cennie sur ce th&egrave;me</li> <li>Martinez, G. (2018). Des gestes pour combattre. Recherches et exp&eacute;rimentations sur le combat chevaleresque &agrave; l&rsquo;&eacute;poque f&eacute;odale&nbsp;: l&rsquo;exemple du Roman de Jaufr&eacute; (Paris, BnF, ms. fr. 2164). Th&egrave;se de doctorat sous la direction de MM. Daniel Le Bl&eacute;vec et Martin Alvira Cabrer, Montpellier&nbsp;: Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier 3 [dactyl.].</li> <li>Sydney Anglo (2000) (The Martial Arts of Renaissance Europe, New Haven et Londres&nbsp;: Yale University Press), citons &eacute;galement&nbsp;: Id. (2011). L&rsquo;escrime, la danse et l&rsquo;art de la guerre. Le livre et la repr&eacute;sentation du mouvement. Paris&nbsp;: BnF</li> </ul> <h2>Notes</h2> <p><sup>1</sup> Sur l&rsquo;&oelig;uvre de Fiore dei Liberi, voir notamment&nbsp;: Novati,<i> </i>F. (1902).<i> </i>&laquo;&nbsp;Flos duellatorum in armis, sine armis, equester, pedester&nbsp;&raquo;. Il <i>Fior di Battaglia di Maestro Fiore dei Liberi da Premariacco</i>. Bergamo&nbsp;: Istituto italiano d&#39;arti grafiche&nbsp;; Malipiero, M. (2006). Il <i>Fior di battaglia di Fiore dei Liberi da Cividale</i>. Il Codice Ludwig XV 13 del J. Paul Getty Museum. S. l.&nbsp;: Ribis. Martinez, G. (2012). &laquo;&nbsp;La Fleur des guerriers&nbsp;: m&eacute;tier des armes et art martial chez Fiore dei Liberi&nbsp;&raquo;. In&nbsp;: Jaquet, D. (dir.), <i>L&#39;art chevaleresque du combat</i>&hellip;, 63-80&nbsp;; Baudet, E. (2013). &Eacute;dition du <i>Florius de arte luctandi</i>, BNF lat.&nbsp;11269. M&eacute;moire de Master 2 sous la direction de M<sup>me</sup> Jo&euml;lle Ducos, Universit&eacute; Paris&nbsp;IV Sorbonne [dactyl.].</p> <p><sup>2</sup> Sur Johannes Liechtenauer et l&rsquo;&oelig;uvre qui lui est attribu&eacute;e, voir&nbsp;: Hils, H.-P. (1985). <i>Meister Johann Liechtenauers Kunst des langen Schwertes</i>. Francfort et New York&nbsp;: Peter Lang&nbsp;; Chaize, P.-A. (2015), <i>op. cit.</i></p> <p><i><sup>3</sup></i> Malipiero, M. (2006). Il <i>Fior di battaglia di Fiore dei Liberi da Cividale</i>. Il Codice Ludwig XV 13 del J. Paul Getty Museum. Page 428, lignes 95-99</p> <p><sup>4</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;427, l.&nbsp;50-53.</p> <p><sup>5</sup> Folios 25&nbsp;r.&nbsp;b et 25&nbsp;v.&nbsp;a.</p> <p><sup>6</sup> Malipiero, M. (2006)&nbsp;: p.&nbsp;465-466, &sect;&nbsp;162-163.</p> <p><sup>7</sup> Ce dernier n&rsquo;est pas impossible en combat, mais suppose que les duellistes aient, en m&ecirc;me temps, la m&ecirc;me volont&eacute; de rechercher le fer adverse. Cela appara&icirc;t comme trop sp&eacute;cifique pour justifier la construction enti&egrave;re du syst&egrave;me du ma&icirc;tre sur ce principe.</p> <p><sup>8</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;463, &sect;&nbsp;150.</p> <p><sup>9</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;463, &sect;&nbsp;152.</p> <p><sup>10</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;460, &sect;&nbsp;141.</p> <p><sup>11</sup> Sur le ms.&nbsp;I.33&nbsp;: Cinato, F., Surprenant A. (2009). Le Livre de l&rsquo;art du combat (<i>Liber de arte dimicatoria</i>). &Eacute;dition critique du Royal Armouries MS. I.33. Paris&nbsp;: CNRS &Eacute;ditions. Sur la destreza&nbsp;: Romagnan S. (2013). Destreza. Manuel d&rsquo;escrime. s. l.</p> <p><sup>12</sup> Thirioux, P. (1970). Escrime moderne. Paris&nbsp;: &Eacute;ditions Amphora.</p> <p><sup>13</sup> Richardot, P. (1998). V&eacute;g&egrave;ce et la culture militaire au Moyen &Acirc;ge (v<sup>e</sup>-xv<sup>e</sup> si&egrave;cles). Paris&nbsp;: &Eacute;conomica, 117-119.</p> <p><sup>14</sup> Malipiero, M. (2006)&nbsp;: p.&nbsp;458, &sect;&nbsp;136.</p> <p><sup>15</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;465, &sect;&nbsp;160-161.</p> <p><sup>16</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;465-466, &sect;&nbsp;162.</p> <p><sup>17</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;459, &sect;&nbsp;135.</p> <p><sup>18</sup> <i>Id.</i>, p.&nbsp;462, &sect;&nbsp;149.</p> <p><sup>19</sup> Par exemple&nbsp;: <i>id.</i>, p.&nbsp;462, &sect;&nbsp;149.</p> <p><sup>20</sup> Forgeng, J. L. (2018). Pietro Monte&rsquo;s<i> Collectanea</i>. The Arms, Armour and Fighting Techniques of a Fifteenth-Century Soldier. Woodbridge&nbsp;: The Boydell Press.</p>