Résumé détaillé de l’article   Titre de l’article : La méthode de la complexité pour comprendre la plurisémiocité des discours numériques : de l’efficacité de TikTok   Mots-clés : TikTok, discours numériques, pensée complexe, plurisémiocité.   Keywords : TikTok, digital discourses, complex thought, plurisemicity.     1. Introduction   Notre article vise à exposer une analyse linguistique et sémiotique des vidéos créées sur la plateforme TikTok en nous appuyant sur la « méthode de la complexité » de Morin. A partir d’une analyse précise, sur corpus, nous entendons montrer la manière dont les discours numériques nous invitent à interroger l’épistémologie des Sciences du langage.   2. Problématique et problèmes de l’analyse des discours numériques   Le foisonnement des formes nouvelles de discours numériques change indubitablement les manières de communiquer, de penser, d’agir. Il ouvre de ce fait de nouveaux champs de recherche qui semblent infinis, à la mesure de la somme inédite de discours produits, pour la plupart des disciplines des Sciences humaines. Les discours numériques posent aussi des problèmes quant à leur appréhension par les notions, outils et concepts de ces disciplines. Cette question de l’adaptation ou de la rupture épistémologie est particulièrement prégnante pour les Sciences de l’information et de la communication (Marcoccia, 2016) et dans les Sciences du langage. Merzeau parle ainsi de « transformation environnementale, qui affecte les structures et les relations » et qui ce faisant « remet en question les modèles conceptuels qui servent à les formaliser » (2009 : 23). S’inscrivant dans la continuité de Boullier pour la sociologie (Boullier, 2015), Paveau prend acte du décrochage des Sciences humaines face aux GAFA, et travaille à l’élaboration d’un nouvel ensemble conceptuel pour équiper l’analyse des discours numériques (Paveau, 2017). Cet ensemble conceptuel remet alors en cause un certain nombre de frontières sémiotiques, allant jusqu’à interroger l’épistémologie des Sciences du langage : homme/machine, oral/écrit, texte/image. Déjà Aniss (1999) décrivait avec la notion de « parlécrit » l’interpénétration de l’oral et de l’écrit dans les conversations en ligne. La très populaire application mobile de partage de vidéos et de réseautage chinoise TikTok en est un exemple très pertinent.   3. Tiktok et la plurisémiocité des discours numériques   La particularité de TikTok réside dans la brièveté des vidéos partagées (180 secondes maximum) et le rôle prépondérant de l’algorithme qui cerne les goûts de l’utilisateur principalement selon son comportement, comme cela a été mis en valeur par une vaste enquête du Wall Street Journal (2021). Le dispositif technologique de l’application et les technodiscours qu’elle permet de générer sont éminemment plurisémiotiques comme l’a déjà montré Lacaze qui s’est intéressé aux lives de l’application et aux interactions simultanées via le chat (Lacaze, 2022). Notre souhaitons pour notre part décrire le fonctionnement discursif et sémiotique du contenu principal de TikTok, les courtes vidéos que les utilisateurs, scrollant d’une production à l’autre, consomment en abondance. Pour ce faire, la « méthode de la complexité. » (Morin, 2008) nous semble être d’un appui essentiel. En effet, les productions de TikTok, du fait de leur brièveté, de leur amateurisme et du fait qu’elles étaient, à l’origine, principalement plébiscitées par les adolescents, n’ont pas été décrites dans toute la profondeur, leur complexité, et surtout l’efficacité de leur agencement plurisémiotique. L’étude de cet agencement nécessite un croisement d’approches et d’outils qui d’une part ne peut se limiter aux seules Sciences du langage, et qui d’autre part appelle à une adaptation épistémologique de ses dernières. Les productions vidéos sur TikTok peuvent être de différents types, que nous détaillerons brièvement, à partir d’un riche corpus constitué de captations d’écran, dont nous représentons pour cet abstract un échantillon : <img height="493" src="https://www.numerev.com/img/ck_2990_26_image-20230307180107-1.jpeg" width="222" /> Figure 1 : captation d’une vidéo TikTok de Louis Boyard (11/11/2022)       Il s’agit d’une vidéo TikTok du député de la NUPES Louis Boyard qu’il est possible de décomposer de la sorte : - Un filtre vidéo qui laisse apparaître le visage du député, et qui s’apparente à un mème dans la mesure où il est repris dans un nombre important de vidéo et surtout qu’il est porteur de sens. En l’occurrence, il s’agit d’échapper à quelqu’un ou à quelque chose. - Un extrait de musique, ici « Psycho killer », associé au filtre, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous pouvons, là aussi, le qualifier de mème - Le visage du député, qui communique par ses mimiques - Un texte qui est incrusté sur la vidéo Le mème sonore et animé est donc personnalisé, défigé par les mimiques et un court écrit. Bien que nous décomposons les différentes composantes de cette vidéo, ce qui nous intéressera sera donc avant tout ce qui les lie, la manière dont l’affordance permet à la plurisémiocité de faire instantanément sens et d’être efficace. Cette vidéo a ainsi été likée plus de 700 000 fois. Cela nous amènera à nous interroger aussi, à l’aune de l’inventivité des créateurs de TikTok, sur les limites du concept d’affordance (Ghliss et al., 2109) et la part de liberté créatrice de l’énonciateur.     4. Pensée complexe et discours numérique   Pourquoi convoquer la pensée de Morin pour analyser les discours numériques ? Les nouveaux territoires que constituent les discours numériques rejoignent selon nous les impératifs développés dans La Méthode, et en particulier le « refus d’une connaissance qui simplifie par réduction et disjonction » pour une démarche « relier les connaissances disjointes par la méthode de la simplification » (Fortin, 2000 : 10). L’intégration de la plurisémiocité dans les discours numériques, et en particulier sur TikTok, interroge la transdisciplinarité des humanités numériques (Sauvage & Nourrit, 2022) et modifie de ce fait l’appréhension de la langue et des discours, fussent-ils numériques ou non. Le dernier mouvement de notre article visera donc à montrer la manière dont l’analyse du fonctionnement discursif de TikTok permet de réhabiliter le rôle de l’image dans les Sciences du langage, à la suite des travaux de Christin (2012).   Bibliographie indicative   Aniss, J. (1999). Internet, communication et langue française. Paris : Hermès science. Christin, A.-M. (2012). De l’image à l’écriture. In Christin, A.-M. [dir.], Histoire de l’écriture. De l’idéogramme au multimédia. Paris : Flammarion. Fortin, R. (2000). Comprendre la complexité. Introduction à La Méthode d’Edgar Morin. Paris : L’Harmattan. Ghliss, Y. et al. (2019). Introduction : Les affordances langagières, levier d’une réflexion postdualiste du discours numérique ? Corela. Cognition, représentation, langage. HS-28. Lacaze, G. (2022). L’exploitation de la plurisémiocité et des affordances numériques dans les interactions verbales des lives TikTok. SHS Web of Conferences, 138, 01013. Maingueneau, D. (2021). Discours et analyse du discours. Paris : Armand Colin. Marcoccia, M. (2016). Analyser la communication écrite. Paris : Armand Colin. Merzeau, L. (2009). Du signe à la trace, ou l’information sur mesure. Hermès, 53, p. 23-31. Morin, E. (2008). La Méthode. Paris : Le Seuil. Paveau, M.-A. (2017). L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques. Paris : Hermann. Sauvage, J. & Nourrit, D. (2022). Humanités numériques et pensée complexe. L’HUMAIN, 1, p. 1-21. Wall Street Journal, Investigation : how Tik-Tok’s algorithm figures out your deepest desires. 21/07/2021.