<h2>Introduction</h2> <p>Au cours des ann&eacute;es 60, le climat &eacute;merge comme probl&egrave;me public. Depuis, il n&rsquo;a cess&eacute; de mobiliser et a fait l&rsquo;objet d&rsquo;une attention politique et m&eacute;diatique croissante. Le public est confront&eacute; &agrave; une multiplication des discours sur l&rsquo;&eacute;cologie et plus particuli&egrave;rement des discours pessimistes appuy&eacute;s par des &eacute;tudes scientifiques alarmantes questionnant l&rsquo;avenir de la biodiversit&eacute; et la survie de l&rsquo;esp&egrave;ce humaine. &laquo; Crise &eacute;cologique &raquo;, &laquo; urgence climatique et environnementale &raquo; sont d&eacute;sormais des formules r&eacute;pandues dans notre langage quotidien (Pascual Espuny, 2022 ; Allard-Huver et Simon, 2022 ; Catellani, 2022). Si le probl&egrave;me est visible et reconnu&nbsp;politiquement et m&eacute;diatiquement, il fait pourtant majoritairement l&rsquo;objet d&rsquo;un cadrage individualis&eacute; et d&eacute;politis&eacute;, les responsabilit&eacute;s et solutions pesant sur les individus plut&ocirc;t que sur une remise en cause de la structure sociale capitaliste dans son ensemble (Comby, 2015).</p> <p>Qu&rsquo;en est-il de la place de l&rsquo;&eacute;cologie dans l&rsquo;art ? En consid&eacute;rant l&rsquo;art comme une ar&egrave;ne o&ugrave; se discutent les probl&egrave;mes publics (Fraser, 1990), les artistes peuvent &ecirc;tre partie prenante de la publicisation de certains probl&egrave;mes, et ce, quelles que soient les attentes sociales sur les r&ocirc;les et fonctions de l&rsquo;art. Ils participent, &agrave; travers leurs &oelig;uvres et les dispositifs dans lesquels elles s&rsquo;ins&egrave;rent, &agrave; la m&eacute;diation des enjeux &eacute;cologiques. Si d&rsquo;ordinaire, les expositions mus&eacute;ales portent un regard sur le pass&eacute; et s&#39;appuient sur des faits, les expositions li&eacute;es aux th&eacute;matiques environnementales exigent une inscription dans le pr&eacute;sent et une prise de position (Davallon, 1998). L&rsquo;&eacute;volution des espaces de cr&eacute;ation et des espaces de partage (Garraud, 1993 ; Fel, 2009 ; Blanc &amp; Ramos, 2010 ; Ardenne, 2018 ; Ramade, 2022) t&eacute;moigne des mutations des repr&eacute;sentations de la nature, de l&rsquo;environnement et des enjeux &eacute;cologiques jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;exposition inaugurale Fragile Ecologies en 1992, puis The Greenhouse Effect en 2000, Beyond Green : Towards a Sustainable Art en 2005, Art&amp;Ecologie en 2005, Greenwashing en 2008, Acclimatation en 2008, pour ne citer qu&rsquo;elles. Dans le cadre d&rsquo;expositions artistiques, les &oelig;uvres touchant &agrave; la nature rendent visibles ou sensibles les enjeux &eacute;cologiques et cherchent le regard du public dans l&rsquo;espoir de d&eacute;clencher une prise de conscience et une action. Elles expriment aussi des pr&eacute;occupations, le v&eacute;cu de situations probl&eacute;matiques (Dewey, 1927 ; Cefa&iuml;, 2016) et participent &agrave; construire les cadres de l&#39;exp&eacute;rience (Goffman, 1974).</p> <p>Lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de parler d&rsquo;environnement, de fortes attentes soci&eacute;tales p&egrave;sent sur les entreprises. Ainsi, les enjeux &eacute;cologiques deviennent porteurs d&rsquo;enjeux communicationnels pour elles, au risque d&rsquo;&ecirc;tre accus&eacute;es de greenwashing (Libaert, 2020). La Fondation EDF, cr&eacute;&eacute;e et gouvern&eacute;e par le groupe EDF, semble &ecirc;tre une forme de r&eacute;ponse &agrave; ces attentes. Ainsi, elle soutient dans le monde entier des initiatives en faveur de la lutte contre le changement climatique et la pr&eacute;servation de la biodiversit&eacute;. Elle dispose &eacute;galement d&rsquo;un espace &agrave; Paris accueillant des expositions, des conf&eacute;rences, des d&eacute;bats et des ateliers. Le financement des expositions et des artistes soul&egrave;ve de nombreux paradoxes, lesquels sont d&eacute;nonc&eacute;s par les artistes les plus militants oppos&eacute;s aux m&eacute;c&egrave;nes et aux initiatives cr&eacute;&eacute;es par les industries p&eacute;troli&egrave;res. Nous pouvons citer &agrave; titre d&rsquo;exemple la coalition <i>Art But Not Oil</i> dont le slogan est &laquo; <i>For creativity, climate justice and an end to fossil-fuelled sponsorship of the arts</i> &raquo;<i>.</i></p> <p>Comment les expositions font-elles m&eacute;diation des enjeux &eacute;cologiques ? Comment les institutions et les organisations construisent-elles un discours sur des engagements &eacute;cologiques &agrave; travers des &oelig;uvres d&rsquo;art o&ugrave; il est question de notre lien &agrave; la nature ? Nous proposons une &eacute;tude de cas sur deux expositions de la Fondation EDF : tout d&#39;abord l&rsquo;exposition Climats artificiels, tenue du 4 octobre 2015 au 28 f&eacute;vrier 2016, en r&eacute;sonance &agrave; la 21<sup>e </sup>Conf&eacute;rence des Parties sur le changement climatique de 2015 (COP21), ensuite l&rsquo;exposition Courants verts, tenue du 16 septembre 2020 au 31 janvier 2021, avec l&rsquo;intention de r&eacute;unir des artistes engag&eacute;s qui cr&eacute;ent &laquo; pour l&rsquo;environnement &raquo;. En mobilisant les discours sur les expositions et sur les &oelig;uvres dans les dossiers de presse produits par la Fondation et une analyse qualitative et quantitative centr&eacute;e sur les th&eacute;matiques des 55 &oelig;uvres les composant, nous montrerons dans un premier temps que les parcours construits proposent un chemin de r&eacute;demption aux visiteurs. Nous nous int&eacute;resserons ensuite &agrave; la fa&ccedil;on dont les enjeux &eacute;cologiques sont abord&eacute;s &agrave; travers les &oelig;uvres s&eacute;lectionn&eacute;es et nous conclurons enfin sur le r&ocirc;le des artistes, tel qu&rsquo;il appara&icirc;t dans le discours de la Fondation.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Proposer un parcours de r&eacute;demption : enfer, purgatoire, paradis</h2> <p>Au sein des expositions Climats artificiels et Courants verts cohabitent plusieurs r&eacute;cits et repr&eacute;sentations des enjeux &eacute;cologiques, avec n&eacute;anmoins un point commun : tout s&rsquo;apparente &agrave; une mise en sc&egrave;ne o&ugrave; le public est conduit &agrave; un cheminement : enfer, purgatoire, paradis.</p> <p>Climats artificiels propose trois axes : &laquo; Catastrophes ordinaires &raquo;, &laquo; &Eacute;tats transitoires, &eacute;quilibre pr&eacute;caire &raquo; et &laquo; &Eacute;tats du ciel &raquo;. Les &oelig;uvres pr&eacute;sentes dans l&rsquo;axe &laquo; Catastrophes ordinaires &raquo; insistent sur le caract&egrave;re cauchemardesque d&rsquo;une catastrophe naturelle ou artificielle, accidentelle ou intentionnelle. La partie &laquo; &Eacute;tats transitoires, &eacute;quilibre pr&eacute;caire &raquo; souligne le caract&egrave;re mouvant et dynamique de l&rsquo;environnement &agrave; travers des &oelig;uvres &eacute;voquant les changements des &eacute;tats de la mati&egrave;re, l&rsquo;&eacute;quilibre des fluides. Elles marquent l&rsquo;instant suspendu dans un devenir incertain, font l&rsquo;&eacute;loge du mouvement, voire une ode &agrave; la temporalit&eacute; des ph&eacute;nom&egrave;nes naturels. Dans &laquo; &Eacute;tats du ciel &raquo;, le public est invit&eacute; &agrave; contempler et interagir avec les &oelig;uvres. En opposition avec l&rsquo;enfer d&rsquo;une catastrophe, le dispositif met en avant des dimensions ludiques et oniriques. Ainsi, le public oscille entre des &oelig;uvres <i>&laquo; </i>utopistes, inqui&eacute;tantes, dr&ocirc;les ou &eacute;mouvantes<i> &raquo; </i>(CA, p. 3). Dans le dossier de presse, le discours, centr&eacute; sur le lien &agrave; la nature et au climat, met en avant la fa&ccedil;on dont les artistes <i>&laquo;</i> questionnent l&rsquo;essence de la nature, la remettent en cause, voire la d&eacute;tournent<i>&raquo;</i> (CA, p. 8), et insiste sur la volont&eacute; des artistes de reproduire, de capter, voire de manipuler le climat, sugg&eacute;rant ainsi l&rsquo;id&eacute;e illusoire que nous pourrons un jour ma&icirc;triser l&rsquo;environnement.</p> <p>Courants verts propose aussi trois axes : &laquo; Avertir &raquo;, &laquo; Agir &raquo; et &laquo; R&ecirc;ver &raquo;. De mani&egrave;re plus dialectique, cette exposition retrace ainsi le m&ecirc;me cheminement (enfer, purgatoire, paradis) en construisant les r&eacute;cits d&rsquo;une &laquo; crise &raquo;, en incitant &agrave; l&rsquo;action pour la combattre, et en invitant &agrave; r&ecirc;ver et imaginer un autre monde. Le sous-titre de l&rsquo;exposition, &laquo; Cr&eacute;er pour l&rsquo;environnement &raquo;, pr&eacute;suppose une injonction, celle de cr&eacute;er &laquo; pour &raquo;, et les parcours des axes d&eacute;clinent aussi des imp&eacute;ratifs. Le discours accompagnant l&rsquo;axe &laquo; Avertir &raquo; insiste sur le caract&egrave;re urgent de la situation &eacute;cologique. Les repr&eacute;sentations des paysages naturels n&rsquo;ont ainsi pas seulement une vis&eacute;e esth&eacute;tique ou m&eacute;taphorique. Il s&rsquo;agit de rendre compte d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute;. Le dispositif de l&rsquo;exposition positionne ici les artistes comme des lanceurs d&rsquo;alerte, d&eacute;tenteurs d&rsquo;un savoir &agrave; transmettre. C&rsquo;est le cas de Janet Biggs qui, dans son film <i>Fade to White</i> (2010), documente l&rsquo;exp&eacute;dition d&rsquo;un sp&eacute;cialiste du r&eacute;chauffement climatique. Le dossier de presse en fait une description qui articule l&rsquo;angoisse et l&rsquo;apaisement, l&rsquo;espoir et la d&eacute;sillusion. Quant &agrave; l&rsquo;axe &laquo; Agir &raquo;, il pr&eacute;sente des &oelig;uvres qui transforment l&rsquo;environnement avec une vis&eacute;e m&eacute;liorative. R&ecirc;ver d&rsquo;un monde meilleur et d&rsquo;une meilleure version de nous-m&ecirc;me - selon le paradigme m&eacute;lioriste de la philosophie am&eacute;ricaine - comme certains ont r&ecirc;v&eacute; d&rsquo;un retour &agrave; la nature sauvage et &agrave; une forme de vie plus authentique, est-ce fantasmer quelque chose d&rsquo;illusoire ? L&rsquo;axe &laquo; R&ecirc;ver &raquo; exprime l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;au lieu de sauver et restaurer le monde, les artistes impulsent une direction pour que nous adoptions des comportements vertueux envers la nature.</p> <p>Ces cheminements r&eacute;v&egrave;lent les rapports entre &eacute;motions et morale qui sous-tendent notre lien et nos actions &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de l&rsquo;environnement.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Paradoxes d&#39;une &quot;crise&quot; : entre catastrophisme et ode &agrave; la nature, r&eacute;el et imaginaire</h2> <p>Climats artificiels et Courants verts proposent un r&eacute;cit de l&rsquo;anthropoc&egrave;ne et d&eacute;crivent le monde dans lequel nous vivons en rendant compte des tensions qui persistent face au devenir incertain de l&rsquo;humanit&eacute;. Elles rendent compte des causes, pointent des responsables (ici les &Eacute;tats et les industriels), projettent des cons&eacute;quences et des solutions. Les deux expositions abordent ainsi le changement climatique en insistant sur l&rsquo;id&eacute;e du combat, de la lutte, du d&eacute;fi qu&rsquo;il faut affronter. Le caract&egrave;re d&eacute;sastreux, catastrophique et urgent de la situation est ainsi rappel&eacute; &agrave; de nombreuses reprises (&laquo; urgence environnementale &raquo;, &laquo; une situation devenue scandaleuse ou insoutenable &raquo; (CV, p. 8), etc.). La menace imminente d&rsquo;un monde sans l&rsquo;homme semble devoir susciter un effet d&rsquo;effroi chez le public, un sentiment de stupeur face au c&ocirc;t&eacute; spectaculaire des paysages postapocalyptiques (&laquo; son devenir calamiteux &raquo;, &laquo; duret&eacute; devenue inhumaine de la zone &raquo;, &laquo; univers ass&eacute;ch&eacute; d&rsquo;o&ugrave; a &eacute;t&eacute; chass&eacute;e toute vie humaine &raquo; (CV, p. 7), etc.). Parmi les th&egrave;mes les plus &eacute;voqu&eacute;s dans les &oelig;uvres, il y a l&rsquo;&eacute;cocide (extinction des esp&egrave;ces, d&eacute;forestation, r&eacute;duction de la biodiversit&eacute;) et l&#39;impact des pratiques de surexploitation agricole et de la pollution chimique sur l&#39;environnement. Paradoxalement, en parlant de &laquo; notre actuel d&eacute;sastre environnemental &raquo; (CV, p. 8), la Fondation fait en outre de ce d&eacute;sastre quelque chose d&rsquo;admis et d&rsquo;ordinaire qui peut participer &agrave; une forme de banalisation (Arendt, 2002). Si la situation actuelle est abord&eacute;e de fa&ccedil;on dramatique, la nature est quant &agrave; elle lou&eacute;e. Dans la description des &oelig;uvres, la Fondation met en avant de fa&ccedil;on pr&eacute;gnante le rapport &agrave; la nature (&laquo; se reconnecter &agrave; la nature &raquo;, &laquo; r&eacute;tablir le naturel &raquo;, &laquo; remet&hellip;une couche de mati&egrave;re sauvage originelle &raquo;, &laquo; ode &agrave; la vie sauvage &raquo;, &laquo; restaurer, avec l&rsquo;aide des artistes, notre lien intime au vivant &raquo; (CV, p. 16), etc.). L&rsquo;analyse des th&egrave;mes des &oelig;uvres permet d&rsquo;en d&eacute;gager la diversit&eacute; des &eacute;l&eacute;ments naturels et des paysages (lacs, for&ecirc;ts, oc&eacute;ans, fleuves, nuages) repr&eacute;sent&eacute;s, pour les rendre sensibles et en faire l&rsquo;&eacute;loge dans un rapport parfois nostalgique. Des &oelig;uvres expriment les forces de la nature pour elles-m&ecirc;mes sans que les artistes ne d&eacute;clarent d&rsquo;intention de sensibilisation &eacute;cologique : <i>La Mer </i>(1991-2014) d&rsquo;Ange Leccia explore le mouvement des vagues, <i>Sky TV</i> (1966) de Yoko Ono enregistre l&rsquo;&eacute;tat du ciel, ou l&rsquo;installation de Tetsuo Kondo, <i>Cloudscapes </i>(2010), qui immerge physiologiquement le public dans un nuage.</p> <p>Les deux cadrages des expositions diff&egrave;rent dans leurs fa&ccedil;ons de mobiliser les &oelig;uvres pour sensibiliser aux enjeux &eacute;cologiques. Dans Climats artificiels, toute contestation frontale est mise &agrave; distance (&laquo; L&rsquo;exposition privil&eacute;gie des &oelig;uvres d&rsquo;artistes pour lesquels le climat [...] est un outil de travail et non le support d&rsquo;une contestation litt&eacute;rale &raquo; (CA, p. 2)) au profit d&rsquo;une approche sensible, po&eacute;tique et m&eacute;taphorique. La d&eacute;politisation par le po&eacute;tique est ainsi manifeste et annonc&eacute;e (&laquo; l&rsquo;exposition sera po&eacute;tique plut&ocirc;t que politique &raquo; (CA, p. 3)). Le recours &agrave; la nature et la mise en avant du rapport au sensible, s&rsquo;ils invitent &agrave; repenser notre rapport au monde, participent &eacute;galement &agrave; la neutralisation du potentiel politique des &oelig;uvres et &agrave; la contention de l&rsquo;engagement artistique. &Agrave; contrario, Courants verts revendique l&rsquo;engagement artistique (<b>&laquo; </b>des artistes internationaux engag&eacute;s dans le combat &eacute;cologique &raquo;, &laquo; tous r&eacute;solument engag&eacute;s &raquo; (CA, p. 3)).</p> <p style="text-align:justify; margin-top:13px; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Dans Courants verts, la p&eacute;riode que nous vivons est d&eacute;sign&eacute;e comme une mutation n&eacute;cessitant une adaptation. La transition en cours est pr&eacute;sent&eacute;e comme un &eacute;v&eacute;nement qui advient avec peu d&rsquo;interrogations sur les responsabilit&eacute;s. L&rsquo;impact de l&rsquo;activit&eacute; humaine est &eacute;voqu&eacute; de fa&ccedil;on distante. Dans Climats artificiels, avec l&rsquo;affirmation &laquo;&nbsp;La lutte contre le changement climatique est un combat qui nous concerne tous&nbsp;&raquo; (CA, p. 3), la Fondation se positionne comme un acteur partageant une responsabilit&eacute; &eacute;quivalente &agrave; celle du public. Implicitement, ce discours met en avant une situation partag&eacute;e par tous et unifie les exp&eacute;riences. </span></span></span></p> <pdans courants="" verts=""> <p>Au-del&agrave; des constats dramatiques de la &laquo; crise &raquo;, d&rsquo;autres &oelig;uvres permettent d&#39;ouvrir l&rsquo;horizon des possibles, parmi lesquelles les initiatives artistiques et citoyennes de pr&eacute;servation de la biodiversit&eacute;. Par exemple, dans l&rsquo;axe &laquo; Agir &raquo;, plusieurs performances consistent &agrave; rev&eacute;g&eacute;taliser des espaces urbains : Joseph Beuys qui, aid&eacute; de volontaires, avait plant&eacute; 7000 ch&ecirc;nes en 1982, ou Thierry Boutonnier qui, dans le cadre d&rsquo;une commande de la Fondation EDF, recueillait en 2020 des pousses de v&eacute;g&eacute;taux lors de ses marches urbaines dans des friches de Paris pour les transplanter. D&rsquo;autres &oelig;uvres illustrent la d&eacute;ch&eacute;ance d&rsquo;un monde et proposent l&rsquo;utopie d&rsquo;un monde anticonformiste en interrogeant le rapport &agrave; la civilisation et &agrave; la technologie. Elles proposent des mondes o&ugrave; la nature reprendrait ses droits tant au niveau spatial (villes vertes) que temporel (rythmes de vie naturels). C&rsquo;est le cas de <i>Shared Propulsion Car</i> (2007), voiture r&eacute;volutionnaire cr&eacute;e par Michel de Broin o&ugrave; le moteur est remplac&eacute; par un syst&egrave;me &agrave; p&eacute;dale, qui dans l&rsquo;axe &laquo; R&ecirc;ver &raquo; est d&eacute;crite comme semblant &laquo; en appeler &agrave; un retour &agrave; la force motrice humaine, contre l&rsquo;&eacute;nergie d&rsquo;origine thermique, hautement pollueuse &raquo; (CV, p. 13).</p> <p>Enfin, d&rsquo;autres &oelig;uvres construisent un rapport plus m&eacute;taphorique aux inqui&eacute;tudes &eacute;cologiques en ayant recours aux dimensions imaginaires de la mati&egrave;re (Bachelard, 1992). La contemplation et l&rsquo;invitation &agrave; la r&ecirc;verie peuvent participer alors &agrave; d&eacute;politiser les enjeux. L&rsquo;installation <i>When the Bark of the Birchtree is Singing</i> de Nathan Grimes propose par exemple de faire chanter les arbres tandis que les robes v&eacute;g&eacute;tales de Nicole Dextras font l&rsquo;&eacute;loge du printemps et de la nature.</p> <p>Le classement des &oelig;uvres par axes impacte le regard sur les initiatives men&eacute;es : d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, dans &laquo; Agir &raquo;, la Fondation livre l&rsquo;impression d&rsquo;une avanc&eacute;e concr&egrave;te, de l&rsquo;autre, dans &laquo; R&ecirc;ver &raquo;, elle place les initiatives artistiques dans le champ de ce qui est souhait&eacute;, imagin&eacute;, mais qui potentiellement n&rsquo;advient pas. Rappelons que le r&ecirc;veur est tout autant &laquo; celui, celle qui d&eacute;passe la r&eacute;alit&eacute;, qui transforme le r&eacute;el par son imaginaire propre, qui cr&eacute;e, invente un monde &raquo; que &laquo; celui, celle qui vit ailleurs, d&eacute;cal&eacute; par rapport au r&eacute;el &raquo; (CNRTL).</p> <p>Ces expositions articulent des discours et &oelig;uvres qui cherchent &agrave; terrifier puis apaiser voire &eacute;merveiller tout en mettant en suspens la question des responsabilit&eacute;s de chacun. La Fondation affirme &laquo; Observer attentivement c&rsquo;est d&eacute;j&agrave; changer le monde &raquo; et invite ainsi les visiteurs &agrave; se placer dans une posture d&rsquo;observation et de contemplation, r&eacute;confortante en un sens, loin des actions et des remises en question. Les &oelig;uvres choisies, peu interactives, requi&egrave;rent peu d&rsquo;actions du public. Les discours des expositions expriment trois intentions paradoxales : la volont&eacute; de ne pas dissimuler et &eacute;dulcorer la situation (&laquo; Un focus sans anesth&eacute;sie sur les principaux pollueurs &raquo; (CV, p. 5)), celle de ne pas la rendre plus dramatique (&laquo; sans pessimisme &raquo; (CV, p. 2)), et celle de rassurer le public en insistant sur la douceur et l&#39;apaisement procur&eacute;s par certaines &oelig;uvres (<b>&laquo; </b>Avec douceur, et pour nous m&eacute;nager sans doute &raquo; (CV, p. 5)). Parmi les autres proc&eacute;d&eacute;s utilis&eacute;s, nous observons une mise en sc&egrave;ne du doute sur l&rsquo;issue de la &laquo; crise &raquo; maintenant le public dans un &eacute;tat de tension (&laquo; une voix apaisante semble nous dire que la beaut&eacute; est encore de ce monde, et qu&rsquo;il convient sans doute de ne pas d&eacute;sesp&eacute;rer. Mais est-ce s&ucirc;r ? &raquo; (CV, p. 5))<i>.</i> Pour le public, l&rsquo;image, par sa dimension mim&eacute;tique et son pouvoir de repr&eacute;sentation des vices et des vertus, a une dimension politique au regard de ce qu&rsquo;elle provoque en culpabilit&eacute; dans son regard (Ranci&egrave;re, 2008). Montrer le d&eacute;sastre, c&rsquo;est aussi exhiber une v&eacute;rit&eacute; - qui peut para&icirc;tre insoutenable - et faire &eacute;prouver au public un sentiment d&rsquo;impuissance. C&rsquo;est r&eacute;v&eacute;ler l&rsquo;inertie, tant dans les actions individuelles qui paraissent minimes face &agrave; l&rsquo;ampleur de la &laquo; crise &raquo; d&eacute;crite, que dans les actions collectives.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Le r&ocirc;le des artistes face aux enjeux &eacute;cologiques</h2> <p>Dans les dossiers de presse, les organisateurs de Climats artificiels et Courants verts produisent un discours assertif sur le r&ocirc;le des artistes face aux enjeux &eacute;cologiques : l&rsquo;artiste est tout d&rsquo;abord le t&eacute;moin, l&rsquo;observateur d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute;. Il participe &agrave; son enregistrement, &agrave; sa captation<b> (</b><i>&laquo; &oelig;uvre-t&eacute;moin &raquo;, &laquo; travail scrutateur &raquo;</i> (CV, p. 5) etc.). Une fois cette r&eacute;alit&eacute; enregistr&eacute;e, son r&ocirc;le est de la communiquer, la raconter, la mettre en r&eacute;cit, tant&ocirc;t en la c&eacute;l&eacute;brant (&laquo; artiste soucieuse de c&eacute;l&eacute;brer les splendeurs de la nature [&hellip;] c&eacute;l&eacute;bration physique de la beaut&eacute; et de la richesse environnementale &raquo; (CV, p. 6)) tant&ocirc;t en la d&eacute;non&ccedil;ant pour attirer l&rsquo;attention, porter un message et avertir (&laquo; l&rsquo;un des premiers r&eacute;flexes de l&rsquo;artiste est d&rsquo;avertir. L&rsquo;exposition donne &agrave; voir cette position de l&rsquo;artiste, celle de sentinelle et de lanceur d&rsquo;alerte &raquo; (CV, p. 4)). Cette communication passe par le partage de sa propre exp&eacute;rience du changement climatique, de son ressenti, de ses pr&eacute;occupations (&laquo; De nombreux artistes contemporains se soucient en effet de la menace d&rsquo;un changement de climat et en font directement &eacute;tat dans leur travail &raquo; (CA, p. 3), &laquo; communique sans mot sa propre anxi&eacute;t&eacute; &raquo; (CV, p. 5)). Les dossiers de presse entretiennent &eacute;galement le mythe de l&rsquo;artiste sauveur portant la responsabilit&eacute; d&rsquo;&eacute;veiller la conscience (&laquo; l&rsquo;expression artistique contribue &agrave; &eacute;veiller les esprits &raquo; (CV, p. 3)), proposant des solutions, et r&eacute;sistant (&laquo; La pulsion qui consiste &agrave; avertir induit que l&rsquo;on agisse, que l&rsquo;on ne demeure pas inerte &raquo; (CV, p. 8)).</p> <p>Si le discours des expositions participe &agrave; d&eacute;finir le r&ocirc;le des artistes, il passe en revanche sous silence celui des entreprises comme EDF. Le cas d&rsquo;EDF nous permet plus largement de nous interroger sur le r&ocirc;le des entreprises et leurs int&eacute;r&ecirc;ts &agrave; encourager des d&eacute;marches artistiques. Au-del&agrave; de ce qu&rsquo;elles v&eacute;hiculent, ces &oelig;uvres sont pr&eacute;sent&eacute;es au sein d&rsquo;expositions qui r&eacute;pondent &agrave; des intentions strat&eacute;giques. Parmi elles, celle de travailler son image autour des enjeux &eacute;cologiques, d&eacute;montrer son engagement &agrave; travers le recours &agrave; l&rsquo;art tout en construisant un rapport optimiste &agrave; l&rsquo;environnement et un rapport moral &agrave; l&rsquo;&eacute;ducation. Organiser ces expositions, s&rsquo;associer &agrave; des artistes reconnus, financer leur engagement, ne sont-ils pas &eacute;galement des moyens de &laquo; faire du bruit sans faire de vague &raquo; (Comby, 2013) ?</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Climats artificiels et Courants verts : un regard d&eacute;politis&eacute; et optimiste sur les enjeux &eacute;cologiques ?</h2> <p>Pour conclure, dans ces expositions, plusieurs &eacute;l&eacute;ments participent &agrave; la d&eacute;politisation et au lissage d&rsquo;&oelig;uvres au potentiel subversif ou, &agrave; l&rsquo;inverse, attribuent un engagement &agrave; des artistes et pr&eacute;supposent des effets &agrave; la r&eacute;ception de certaines &oelig;uvres. Ces expositions reposent sur le postulat selon lequel l&rsquo;art permet de sensibiliser gr&acirc;ce au sensible. Elles attribuent &agrave; l&rsquo;art non seulement un r&ocirc;le et une efficience (changer les mentalit&eacute;s, les habitudes du public, etc.) mais aussi l&rsquo;injonction &agrave; &ecirc;tre le fruit d&rsquo;une exp&eacute;rience sensible et po&eacute;tique. &Agrave; travers des parcours dialectiques, elles cr&eacute;ent des cheminements p&eacute;dagogiques (s&rsquo;informer, comprendre, ressentir, agir) dont les rouages d&eacute;terminent des effets et des affects (stupeur, effroi, culpabilit&eacute;, rage, fureur, contemplation, &eacute;merveillement). Elles partent du principe qu&rsquo;il y a un effet politique, que le public n&rsquo;est pas un spectateur passif et qu&rsquo;il se sent concern&eacute; par la responsabilit&eacute; environnementale. Cependant, critiquer la r&eacute;alit&eacute; n&rsquo;induit pas n&eacute;cessairement une r&eacute;action (Ranci&egrave;re, 2008). Finalement, ces dispositifs sugg&egrave;rent un parcours qui invisibilise certaines r&eacute;flexions et propose des grilles de perception et interpr&eacute;tations encourageant &agrave; une forme de r&eacute;demption. Les &oelig;uvres expos&eacute;es, peu interactives, favorisent un rapport contemplatif du public qui pourra malgr&eacute; tout interpr&eacute;ter politiquement le sens de ces &oelig;uvres lors de leur r&eacute;ception, et ce, quel que soit l&rsquo;engagement artistique.</p> <p>L&rsquo;analyse de Climats artificiels et Courants verts montre la capacit&eacute; des dispositifs mus&eacute;ographiques &agrave; s&rsquo;approprier des pratiques artistiques et construire un discours autour de l&rsquo;engagement artistique au profit d&rsquo;enjeux d&rsquo;image et de responsabilit&eacute; sociale pour EDF. Que cela concerne le public ou les artistes, le discours de la Fondation EDF construit une invitation voire une injonction &agrave; l&rsquo;engagement dans une expression contenue, &eacute;loign&eacute;e de toute radicalit&eacute;. La volont&eacute; d&rsquo;un dialogue avec la soci&eacute;t&eacute; civile est ainsi instaur&eacute;e de fa&ccedil;on artificielle et normative. L&rsquo;analyse des enjeux &eacute;cologiques dans ces expositions cristallise finalement de nombreux paradoxes, et pour reprendre l&rsquo;image de Rachel Carson, ce que nous pouvons ressentir au regard de la situation climatique : aussi bien l&rsquo;effroi que l&rsquo;&eacute;merveillement de vivre un printemps &agrave; l&rsquo;automne.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Bibliographie</h2> <p><em>Climats artificiels</em>, Dossier de presse de l&#39;Espace Fondation EDF, Commissariat : Camille Morineau, 2015. (Abr&eacute;g&eacute; CA dans le texte)</p> <p><i>Courants verts. Cr&eacute;er pour l&rsquo;environnement</i>, Dossier de presse, Fondation EDF, Commissariat : Paul Ardenne, 2021. (Abr&eacute;g&eacute; CV dans le texte)</p> <p>Allard-Huver, F., &amp; Simon, J. (2022). Communication et humanit&eacute;s face aux d&eacute;fis environnementaux. <i>Questions de communication,</i> 41, 187-196.</p> <p>Ardenne, P. (2018). <i>Un art &eacute;cologique : Cr&eacute;ation plasticienne et anthropoc&egrave;ne</i> (Illustrated &eacute;dition). Bordeaux : Le Bord de l&rsquo;Eau.</p> <p>Arendt, H. (2002). <i>Condition de l&rsquo;homme moderne</i> (G. Fradier, Trad.). Paris : Pocket.</p> <p>Bachelard, G. (1992). <i>L&rsquo;air et les songes : Essai sur l&rsquo;imagination du mouvement</i>. Paris : Le Livre de Poche.</p> <p>Blanc, N., &amp; Ramos, J. (2010). &Eacute;coplasties. <i>Art et Environnement. </i>Paris : Manuella &Eacute;ditions.</p> <p>Catellani, A. (2022). Signes, sens et environnement. <i>Questions de communication</i>, 41, 197-210. <a href="https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.28863"><u> </u></a></p> <p>Cefa&iuml;, D. (2016). Publics, probl&egrave;mes publics, ar&egrave;nes publiques &hellip;Que nous apprend le pragmatisme ? <i>Questions de communication</i>, 30, 25-64.</p> <p>Comby, J. B. (2013). Faire du bruit sans faire de vagues. Une analyse sociologique de la communication de l&rsquo;&Eacute;tat sur les questions climatiques. <i>Communication. Information m&eacute;dias th&eacute;ories pratiques</i>, 31.</p> <p>Comby, J. B. (2015). <em>La question climatique : gen&egrave;se et d&eacute;politisation d&rsquo;un probl&egrave;me public. </em>Paris : Raisons d&rsquo;agir.</p> <p>Davallon, J. (1998). <i>L&rsquo;environnement entre au mus&eacute;e</i>. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.</p> <p>Dewey, J. (2010, 1e &eacute;d. 1927) (trad. de l&rsquo;am&eacute;ricain par J. Zask). <i>Le Public et ses probl&egrave;mes</i>. Paris : Gallimard.</p> <p>Fel, L. (2009). <i>L&rsquo;Esth&eacute;tique verte : De la repr&eacute;sentation &agrave; la pr&eacute;sentation de la nature</i>. Seyssel : Champ Vallon.</p> <p>Fraser, N. (1990). Rethinking the Public Sphere : A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy. <em>Social Text</em>, 25/26, 56-80.</p> <p>Garraud, C. (1993). <i>L&rsquo;id&eacute;e de nature dans l&rsquo;art contemporain</i>. Paris : Flammarion.</p> <p>Goffman, E. (1974). <i>Frame analysis : An essay on the organization of experience</i>. Harvard : Harvard University Press.</p> <p>Libaert, T. (2020). <i>Des vents porteurs : Comment mobiliser (enfin) pour la plan&egrave;te</i>. Paris : Ed. Le Pommier.</p> <p>Pascual Espuny, C. (2022). La communication environnementale, au c&oelig;ur des humanit&eacute;s environnementales. <i>Questions de communication</i>, 41, 211-222. <a href="https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.28993"><u> </u></a></p> <p>Ramade, B. (2022). <i>Vers un art anthropoc&egrave;ne : L&rsquo;art &eacute;cologique am&eacute;ricain pour prototype</i>. Dijon : Les Presses du r&eacute;el.</p> <p>Ranci&egrave;re, J. (2008). <i>Le spectateur &eacute;mancip&eacute;</i>. Paris : La fabrique &eacute;ditions.</p> </pdans>