<p style="text-align:justify"> </p>
<h2 style="text-align:justify; margin-top:24px; margin-bottom:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_nm72v1s43p2g"></a></span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Avons-nous besoin de l’art pour penser notre devenir et croire au possible d’une autre réalité ? Au cours des années 60, le climat émerge comme problème public. Dans les médias, l’attention s'accroît autour du problème du climat dans les années 2000 et les discours se multiplient. Depuis, la publication d’études scientifiques alarmantes très médiatisées laissent entrevoir des scénarios pessimistes sur le réchauffement climatique et questionnent la survie de l’espèce humaine. « <i>crise écologique</i> », « <i>urgence climatique</i> <i>et</i> <i>environnementale</i> » sont désormais des formules répandues dans notre langage quotidien. Si le problème est visible et reconnu, il fait pourtant l’objet d’un cadrage individualisé et dépolitisé, les responsabilités et solutions pesant sur les individus plutôt que sur une remise en cause de la structure sociale capitaliste dans son ensemble (Comby, 2015). </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Quelle est la place de l’art dans ces échanges et circulations d’idées ? Des paysages naturels du Land Art aux récits de la crise écologique en passant par des pratiques artistiques où la nature est perçue en réalité virtuelle, l’expression d’engagements pluriels pour l’avenir du vivant témoigne de plusieurs rôles et fonctions de l’art, ainsi que de l’évolution des espaces de création et de partage. <span style="background:white">Les récits écologiques invitent à repenser notre rapport collectif à la nature. En considérant l’art comme une arène où se discutent les problèmes publics (Fraser, 1990), les artistes peuvent être partie prenante de la publicisation de certains problèmes. Ils participent à travers leurs œuvres et les dispositifs dans lesquelles elles s’insèrent à la médiation des enjeux clima</span>tiques. Si d’ordinaire, les expositions muséales portent un regard sur le passé et s'appuient sur des faits, les expositions liées aux thématiques environnementales exigent une inscription dans le présent et une prise de position (Davallon, 1998). Nous pouvons mentionner l’exposition inaugurale <i>Fragile Ecologies</i> en 1992, puis The Greenhouse Effect en 2000, Beyond Green : Towards a Sustainable Art en 2005, Art & Ecologie en 2005, Greenwashing en 2008, Acclimatation en 2008, pour ne citer qu’elles. Dans le cadre d’expositions artistiques, les œuvres touchant à l’écologie rendent visible ou sensible les enjeux écologiques et cherchent le regard du public dans l’espoir de déclencher une prise de conscience et une action. Elles expriment aussi des préoccupations, le vécu de situations problématiques (Dewey, 1927 ; Cefaï, 2016) et participent à construire les cadres de l'expérience (Goffman, 1974). </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Comment les expositions font-elles médiation des enjeux écologiques ? Comment les institutions et les organisations s’approprient-elles des œuvres d’art où il est question de notre lien à la nature ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur deux expositions interrogeant les changements climatiques et ayant eu lieu à la Fondation EDF : tout d'abord l’exposition <i>Climats artificiels</i>, tenue du 4 octobre 2015 au 28 février 2016, en résonance à la 21<sup>e </sup>Conférence des Parties sur le changement climatique de 2015 (COP21), et l’exposition <i>Courants verts</i>, tenue du 16 septembre 2020 au 31 janvier 2021, avec l’intention de réunir des artistes engagés qui créent « pour l’environnement ».</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Les enjeux écologiques sont aussi porteurs d’enjeux communicationnels pour les entreprises, au risque d’être accusées de greenwashing. Plus spécifiquement dans le monde de l’art, les artistes les plus militants s’opposent aux mécènes et contestent certaines initiatives créées par les industries pétrolières. Nous pouvons citer à titre d’exemple la coalition <i>Art But Not Oil</i> dont le slogan est « <i>For creativity, climate justice and an end to fossil-fuelled sponsorship of the arts ».</i> De fortes attentes sociétales pèsent envers des groupes comme EDF lorsqu’il s’agit de parler d’environnement et d’écologie. La Fondation semble être une forme de réponse à ces attentes. Ainsi, elle soutient dans le monde entier des initiatives en faveur de la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Cet espace est un lieu parisien gratuit accueillant des expositions, des conférences, des débats et des ateliers. À travers l’analyse des expositions <i>Climats artificiels </i>et <i>Courants verts</i> (discours et dispositifs) ainsi que d’une analyse thématique des 55 œuvres les composant, nous montrerons dans un premier temps que les parcours proposés proposent un chemin de rédemption aux visiteurs. Nous nous intéresserons ensuite à la façon dont les enjeux écologiques sont abordés à travers les œuvres sélectionnées et nous conclurons enfin sur le rôle des artistes, tel qu’il apparaît dans le discours de la Fondation.</span></span></span></p>
<h2 style="text-align: justify; margin-top: 24px; margin-bottom: 8px;"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_rrqi2sw4ohc4"></a>Proposer un parcours de rédemption : enfer, purgatoire, paradis</span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Au sein de <i>Climats artificiels </i>et <i>Courants verts</i> cohabitent plusieurs récits et représentations des enjeux écologiques, avec néanmoins un point commun : tout s’apparente à une mise en scène où le spectateur est conduit à un cheminement : enfer, purgatoire, paradis. </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i>Climats artificiels</i> propose trois axes : « Catastrophes ordinaires », « États transitoires, équilibre précaire » et « États du ciel ». Les œuvres présentes dans l’axe « Catastrophes ordinaires » insistent sur le caractère cauchemardesque d’une catastrophe naturelle ou artificielle, accidentelle ou intentionnelle. La partie « États transitoires, équilibre précaire » souligne le caractère mouvant et dynamique de l’environnement à travers des œuvres évoquant les changements des états de la matière, l’équilibre des fluides. Elles marquent l’instant suspendu dans un devenir incertain, font l’éloge du mouvement, voire une ode à la temporalité des phénomènes naturels. Dans « États du ciel », le spectateur est invité à contempler et interagir avec les œuvres. En opposition avec l’enfer d’une catastrophe, le dispositif met en avant des dimensions ludiques et oniriques. Ainsi le public oscille entre des œuvres « <i>utopistes, inquiétantes, drôles ou émouvantes</i> »<sup> </sup><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">(Dossier de presse <i>Climats artificiels</i>, abrégé CA, p 3)</span></span>. Dans le dossier de presse, le discours, centré sur le lien à la nature et au climat, met en avant comment les artistes <i>« </i><i><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">questionnent l’essence de la nature, la remettent en</span></span> </i><i><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">cause, voire la détournent »</span></span></i><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%"> <u>(</u>CA, p 8)</span></span><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%"> et </span></span>insiste sur la volonté des artistes de reproduire, de capter voire de manipuler le climat, suggérant ainsi l’idée illusoire que nous pourrons un jour maîtriser la crise.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i>Courants verts</i> propose aussi trois axes : « Avertir », « Agir » et « Rêver ». De manière plus dialectique, cette exposition retrace ainsi le même cheminement (enfer, purgatoire, paradis) en construisant les récits d’une crise, en incitant à l’action pour la combattre, et en invitant à rêver et imaginer un autre monde. Le sous-titre de l’exposition, « Créer pour l’environnement », présuppose une injonction, celle de créer « pour », tandis que les parcours des axes déclinent aussi des impératifs. Le discours accompagnant l’axe « Avertir » insiste sur le caractère urgent de la situation écologique. Les représentations des paysages naturels n’ont ainsi pas seulement une visée esthétique ou métaphorique. Il s’agit de rendre compte d’une réalité. Le dispositif de l’exposition positionne ici les artistes comme lanceurs d’alerte, détenteurs d’un savoir à transmettre (par exemple Janet Biggs qui, dans son film <i>Fade to White</i> (2010), documente l’expédition d’un spécialiste du réchauffement climatique. Le dossier de presse en fait une description qui articule l’angoisse et l’apaisement, l’espoir et la désillusion. L’axe « Agir » présente des œuvres qui transforment l’environnement avec une visée méliorative. Rêver d’un monde meilleur et d’une meilleure version de nous-même - selon le paradigme mélioriste de la philosophie américaine - comme certains ont rêvé d’un retour à la nature sauvage et à une forme de vie plus authentique, est-ce fantasmer quelque chose d’illusoire ? L’axe « Rêver » exprime l’idée qu’au lieu de sauver et restaurer le monde, les artistes impulsent une direction pour que nous adoptions des comportements vertueux envers la nature. </span></span></span></p>
<h2 style="text-align:justify; margin-top:24px; margin-bottom:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_uij54wprxef4"></a>Paradoxes d’une crise : entre catastrophisme et ode à la nature, réel et imaginaire</span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i>Climats artificiels </i>et <i>Courants verts </i>proposent un récit de l’anthropocène et décrivent le monde dans lequel nous vivons en rendant compte des tensions qui persistent face au devenir incertain de l’humanité. Elles rendent compte des causes, des responsables (les États et les industriels), des conséquences et des solutions Les deux expositions abordent ainsi le changement climatique en insistant sur l’idée du combat, de la lutte, du défi qu’il faut affronter. Le caractère désastreux, catastrophique et urgent de la situation est ainsi rappelé à de nombreuses reprises (<i>« urgence environnementale », « une situation devenue scandaleuse ou insoutenable »</i><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, Dossier de presse </span></span><i>Courants verts</i><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, abrégé CV, p 8)</span></span>. La menace imminente d’un monde sans l’homme semble devoir susciter un effet d’effroi chez le public, un sentiment de stupeur face au côté spectaculaire des paysages post-apocalyptiques (« <i>son devenir calamiteux</i> », <i>« dureté devenue inhumaine de la zone</i> », « <i>univers asséché d’où a été chassée toute vie humaine </i>» <span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">(CV, p 7</span></span>). Parmi les thèmes les plus évoqués dans les œuvres, il y a l’écocide (extinction des espèces, déforestation, réduction de la biodiversité) et l'impact des pratiques de surexploitation agricole et de la pollution chimique sur l'environnement. Paradoxalement, en parlant de « <i>notre actuel désastre environnemental</i>» <span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">(CV, p 7)</span></span>, la Fondation fait en outre de ce désastre quelque chose d’admis et d’ordinaire qui peut participer à une forme de banalisation. Si la situation actuelle est abordée de façon dramatique, la nature est quant à elle louée. Dans la description des œuvres, la Fondation met en avant de façon prégnante le rapport à la nature (« <i>se reconnecter à la nature</i> », « <i>rétablir le naturel</i> », « <i>remet…une couche de matière sauvage originelle</i> », « <i>ode à la vie sauvage</i> », « <i>restaurer, avec l’aide des artistes, notre lien intime au vivant </i>»<span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 16</span></span>). L’analyse des thèmes des œuvres permet d’en dégager la diversité des éléments naturels et des paysages (lacs, forêts, océans, fleuves, nuages) représentés, pour les rendre sensibles et en faire l’éloge dans un rapport parfois nostalgique. Des œuvres expriment les forces de la nature pour elles-mêmes sans que les artistes ne déclarent d’intention de sensibilisation écologique : <i>La Mer </i>(1991-2014) d’Ange Leccia explore le mouvement des vagues, <i>Sky TV</i> (1966) de Yoko Ono, enregistre l’état du ciel, ou l’installation de Tetsuo Kondo, <i>Cloudscapes </i>(2010), qui immerge physiologiquement le spectateur dans un nuage.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">Les deux cadrages des expositions diffèrent dans leurs façons de mobiliser les œuvres pour sensibiliser aux enjeux écologiques. Dans <i>Climats artificiels</i>, toute contestation frontale est mise à distance (« <i>L’exposition privilégie des œuvres d’artistes pour lesquels le climat [...] est un outil de travail et non le support d’une contestation littérale </i>»</span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CA, p 2</span></span><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">) au profit d’une approche sensible, poétique et métaphorique. L</span></span>a dépolitisation par le poétique est ainsi manifeste et annoncée (<i><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">« l’exposition sera poétique plutôt que politique »</span></span></i>, <span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CA, p 3). </span></span>Le recours à la nature et la mise en avant du rapport au sensible, s’ils invitent à repenser notre rapport au monde, participent également à la neutralisation du potentiel politique des œuvres et à la contention de l’engagement artistique. <span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">A contrario, <i>Courants verts</i> revendique l’engagement artistique (</span></span><b><i>« </i></b><i>des artistes internationaux engagés dans le combat écologique », « tous résolument engagés »</i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CA, p 3</span></span>). </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Dans <i>Courants verts</i>, la période que nous vivons est désignée comme une mutation nécessitant une adaptation. La transition en cours est présentée comme un événement qui advient avec peu d’interrogations des responsabilités. L’impact de l’activité humaine est évoqué de façon distante.<i> </i>Dans <i>Climats artificiels</i>, dans affirmation<i> « La lutte contre le changement climatique est un combat qui nous concerne tous </i>», <span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CA, p 3) </span></span>la Fondation se positionne comme un acteur partageant une responsabilité équivalente à celle du spectateur. Implicitement, ce discours met en avant une situation partagée par tous et unifie les expériences de la crise. </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white">Au-delà des constats dramatiques de la crise, d’autres œuvres permettent d'ouvrir l’horizon des </span>possibles, parmi lesquelles les initiatives artistiques et citoyennes de préservation de la biodiversité. Par exemple, dans l’axe « Agir », plusieurs performances consistent à revégétaliser des espaces urbains : Joseph Beuys qui, aidé de volontaires, avait planté 7000 chênes en 1982, ou Thierry Boutonnier qui, dans le cadre d’une commande de la Fondation EDF, recueillait en 2020 des pousses de végétaux lors de ses marches urbaines dans des friches de Paris pour les transplanter. D’autres œuvres i<span style="background:white"><span style="color:#202122">llustrent la déchéance d’un monde et proposent l’utopie d’un monde anticonformiste en interrog</span></span><span style="background:white">eant le rapport à la civilisation et à la technologie. Elles </span>proposent des mondes où la nature reprendrait ses droits tant au niveau spatial (villes vertes) que temporel (rythmes de vie naturels). C’est le cas de <i>Shared Propulsion Car</i> (2007) voiture révolutionnaire crée par Michel de Broin où le moteur est remplacé par un système à pédale, qui<span style="background:white"> dans l’axe « rêver » est décrite comme semblant<i> « en appeler à un retour à la force motrice humaine, contre l’énergie d’origine thermique, hautement pollueuse »</i></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 13).</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Enfin, d’autres œuvres construisent un rapport plus métaphorique aux inquiétudes écologiques en ayant recours aux dimensions imaginaires de la matière (Bachelard, 1992). La contemplation et l’invitation à la rêverie participent alors à dépolitiser les enjeux. L’installation <i>When the Bark of the Birchtree is Singing</i> de Nathan Grimes propose par exemple de faire chanter les arbres tandis que les robes végétales de <span style="background:white">Nicole Dextras font l’éloge du printemps et de la nature.</span> </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white">Le classement des oeuvres par axe impacte le regard sur les initiatives menées : d’un côté, dans « agir », la Fondation livre l’impression d’une avancée concrète, de l’autre, dans « réver », elle place les initiatives artistiques dans le champs de ce qui est souhaité, imaginé, mais qui potentiellement n’advient pas. Rappelons que le rêveur est tout autant « <i>celui, celle qui dépasse la réalité, qui transforme le réel par son imaginaire propre, qui crée, invente un mond</i>e » que « <i>celu</i>i, c<i>elle qui vit ailleurs, décalé par rapport au réel</i>" (CNRTL).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Ces expositions articulent des discours et œuvres qui terrifient puis apaisent tout en mettant en suspens la question des responsabilités de chacun. La Fondation affirme « <i>Observer attentivement c’est déjà changer le monde </i>» et invite ainsi les visiteurs à se placer dans une posture d’observation et de contemplation, réconfortante en un sens, loin des actions et des remises en question. Les œuvres choisies, peu interactives, requièrent peu d’actions du public. Avec franchise, <span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">le discours des expositions exprime </span></span>la volonté de ne pas dissimuler et édulcorer la situation (« <i>Un focus sans anesthésie sur les principaux pollueurs </i>»<span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 5</span></span>) ni de la rendre plus dramatique (« <i>sans pessimisme »</i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 2</span></span>), ce qui <span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">tend paradoxalement à affirmer la volonté de rassurer et apaise le spectateur en insistant sur la douceur et l'apaisement procuré par certaines œuvres (</span></span><b><i>« </i></b><i>Avec douceur, et pour nous ménager sans doute »</i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 2)</span></span><i>. </i>Parmi les autres procédés utilisés, nous observons une mise en scène du doute sur l’issue de la crise maintenant le public dans un état de tension (<i>« une voix apaisante semble nous dire que la beauté est encore de ce monde, et qu’il convient sans doute de ne pas désespérer. Mais est-ce sûr ?»</i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 5).</span></span> Pour le spectateur, l’image, par sa dimension mimétique et son pouvoir de représentation des vices et des vertus, a une dimension politique au regard de ce qu’elle provoque en culpabilité dans son regard (Rancière, 2008). Montrer le désastre, c’est aussi exhiber une vérité -qui peut paraître insoutenable- et faire éprouver au public un sentiment d’impuissance. C’est révéler l’inertie, tant dans les actions individuelles qui paraissent minimes face à l’ampleur de la crise, que dans les actions collectives<span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="line-height:115%">.</span></span></span></span></span></p>
<h2 style="text-align:justify; margin-top:24px; margin-bottom:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_eotiwpdvetp5"></a>Le rôle des artistes face aux enjeux climatiques </span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white">Dans les dossiers de presse, les organisateurs de </span><i>Climats artificiels </i>et <i>Courants verts</i> <span style="background:white"> produisent un discours assertif sur le rôle des artistes face aux enjeux écologiques : l’artiste est tout d’abord le témoin, l’observateur d’une réalité. Il participe à son enregistrement, à sa captation<b> (</b><i>« œuvre-témoin », « travail scrutateur »</i></span><i><sup> </sup><span lang="fr" style="background:white"> etc.</span></i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 5</span></span><i><span lang="fr" style="background:white">)</span></i><i><span lang="fr" style="font-size:11.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">. </span></span></span></i><span lang="fr" style="background:white">Une fois cette réalité enregistrée, son rôle est de la communiquer, la raconter, la mettre en récit, tantôt en la célébrant (<b> </b></span><i><span lang="fr" style="font-size:11.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">« artiste soucieuse de célébrer les splendeurs de la nature […]</span></span></span></i><span lang="fr" style="font-size:11.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%"> <i>célébration physique de la beauté et de la richesse environnementale </i>»</span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CV, p 6</span></span><span lang="fr" style="font-size:11.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">) tantôt en la dénonçant pour </span></span></span><span lang="fr" style="background:white">attirer l’attention, porter un message et avertir (<b> </b><i>« l’un des premiers réflexes de l’artiste est d’avertir. L’exposition donne à voir cette position de l’artiste, celle de sentinelle et de lanceur d’alerte »</i></span><i>, </i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CV, p 4). </span></span><span lang="fr" style="background:white">Cette communication passe par le partage de sa propre expérience du changement climatique, de son ressenti, de ses préoccupations (</span><i><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">« De nombreux artistes contemporains se soucient en effet de la menace d’un changement de climat et en font directement état dans leur travail »</span></span></span></i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">, CA, p 3</span></span><i><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">, </span></span></span><span lang="fr" style="background:white">« communique sans mot sa propre anxiété »</span>, </i><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CV, p 5). </span></span><span lang="fr" style="background:white">Les dossiers de presse entretiennent également le mythe de l’artiste sauveur portant la responsabilité d’éveiller la conscience (</span><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">« <i>l’expression artistique contribue à éveiller les esprits</i> », </span></span></span><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CA, p 3</span></span><span lang="fr" style="background:white">)</span><span lang="fr" style="font-size:10.5pt"><span style="background:white"><span style="line-height:115%">, </span></span></span><span lang="fr" style="background:white">proposant des solutions, et résistant (<i>« La pulsion qui consiste à avertir induit que l’on agisse, que l’on ne demeure pas inerte »</i></span><i>, </i><span lang="fr" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:115%">CA, p 8).</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Si le discours des expositions participe à définir le rôle des artistes, il passe en revanche sous silence celui des entreprises comme EDF. Le cas d’EDF nous permet plus largement de nous interroger sur le rôle des entreprises et leurs intérêts à encourager des démarches artistiques. Au-delà de ce qu’elles véhiculent, ces œuvres sont présentées au sein d’expositions qui répondent à des intentions stratégiques. Parmi elles, celle de travailler son image autour des enjeux écologiques, démontrer son engagement à travers le recours à l’art tout en construisant un rapport optimiste à l’écologie. Organiser ces expositions, s’associer à des artistes reconnus, financer leur engagement, ne sont-ils pas également des moyens de « <i>faire du bruit sans faire de vague</i> » (Comby, 2013) ?</span></span></span></p>
<h2 style="text-align:justify; margin-top:24px; margin-bottom:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_l6hb7ararlog"></a><span lang="fr" style="font-size:14.0pt"><span style="line-height:115%">Climats artificiels et Courants verts : un regard dépolitisé et optimiste sur les enjeux climatiques ?</span></span></span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Pour conclure, dans ces expositions, plusieurs éléments participent à la dépolitisation et au lissage d’œuvres au potentiel subversif ou à l’inverse attribuent un engagement à des œuvres dépolitisées. Ces expositions reposent sur le postulat selon lequel l’art permet de sensibiliser grâce au sensible. Elles attribuent à l’art non seulement un rôle et une efficience (changer les mentalités, les habitudes du public etc.) mais aussi l’injonction à être le fruit d’une expérience sensible et poétique. À travers des parcours dialectiques, elles créent des cheminements pédagogiques (s’informer, comprendre, ressentir, agir) dont les rouages déterminent des effets et des affects (stupeur, effroi, culpabilité, rage, fureur, contemplation, émerveillement). Elles partent du principe qu’il y a un effet politique, que le public n’est pas un spectateur passif et qu’il se sent concerné par la responsabilité environnementale. Critiquer la réalité n’induit pas nécessairement une réaction. Finalement, ces dispositifs suggèrent un parcours qui invisibilise certaines réflexions et proposent des grilles de perception et interprétations encourageant à une forme de rédemption. Les œuvres exposées, peu interactives, favorisent un rapport contemplatif du spectateur qui malgré tout pourra se saisir de la dimension politique de ces œuvres lors de leur réception.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">L’analyse de <i>Climats artificiels </i>et <i>Courants verts</i> montre la capacité des dispositifs muséographiques à s’approprier des pratiques artistiques et construire un discours autour de l’engagement artistique au profit d’enjeux d’image et de responsabilité sociale pour EDF. Si les artistes sont des vecteurs de prise de conscience écologique, l’analyse d’enjeux écologiques dans ces expositions cristallise des paradoxes entre le collectif et l’individuel, et pour reprendre l’image de Rachel Carson, ce que nous pouvons ressentir au regard de la situation climatique : aussi bien l’effroi que l’émerveillement de vivre un printemps à l’automne.</span></span></span></p>
<h2 style="text-align:justify; margin-top:24px; margin-bottom:8px"><span style="font-size:13pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#e44d84"><a name="_lm1mbrb1qjuw"></a>BIBLIOGRAPHIE</span></span></span></span></span></h2>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i>Climats artificiels</i>, Dossier de presse, Fondation EDF, Commissariat : Camille Morineau, 2015.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i>Courants verts. Créer pour l’environnement</i>, Dossier de presse, Fondation EDF, Commissariat : Paul Ardenne, 2021.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Bachelard, G. (1992). <i>L’air et les songes : Essai sur l’imagination du mouvement</i>. Le Livre de Poche.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white"><span style="color:#222222">Blanc, N., & Ramos, J. (2010). Écoplasties. </span></span><i>Art et Environnement. Paris: Manuella Editions</i>.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">Cefaï, D. (2016). Publics, problèmes publics, arènes publiques…Que nous apprend le pragmatisme ? <i>Questions de communication</i>, <i>30</i>, pp. 25-64.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white"><span style="color:#222222">Comby, J. B. (2013). Faire du bruit sans faire de vagues. Une analyse sociologique de la communication de l’État sur les questions climatiques. <i>Communication. Information médias théories pratiques</i>, 31.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white"><span style="color:#222222">Comby, J. B. (2015). La question climatique. <i>Genèse et dépolitisation d’un problème public, Paris, Raisons d’agir</i>.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="color:#323232">Dewey, J.(1927). <i>Le Public et ses problèmes</i>, trad. de l’américain par J. Zask, Paris, Gallimard, 2010.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="EN-US" style="color:#323232">Fraser, N. (1990<i>)</i>. « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », <i>Social Text</i>, 25-26, pp. 56-80.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="EN-US" style="background:white"><span style="color:#222222">Goffman, E. (1974). </span></span><i>Frame analysis: An essay on the organization of experience</i>. <span lang="fr" style="background:white"><span style="color:#222222">Harvard University Press.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="fr" style="background:white"><span style="color:#222222">Rancière, J. (2008). <i>Le spectateur émancipé</i>. La fabrique éditions.</span></span></span></span></span></p>