<h2>L&rsquo;Anthropoc&egrave;ne nous embarque et nous affecte</h2> <p>Comme le soutiennent les humanit&eacute;s environnementales, la prise en compte de la mat&eacute;rialit&eacute; du monde (ou du &laquo;&nbsp;tiers-nature&nbsp;&raquo;) exige de transformer nos mani&egrave;res de produire du savoir et des connaissances (Blanc et al., 2017). En effet, c&rsquo;est toute l&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie moderne qui est boulevers&eacute;e et, avec elle, ses oppositions fondatrices&nbsp;: la division sujet-objet, humain-nature, physique-ph&eacute;nom&eacute;nal, raison-&eacute;motion, cognitif-affectif. On peut ainsi se demander ce que la remise en question de ces cat&eacute;gories provoque existentiellement et identitairement chez les chercheurs en humanit&eacute;s environnementales, dont on attend qu&rsquo;ils investissent et se relient diff&eacute;remment &agrave; leur sujet de recherche.</p> <p>S&rsquo;il est admis que nos m&eacute;thodes influencent ce que l&rsquo;on per&ccedil;oit et ce que l&rsquo;on capte de ce que l&rsquo;on &eacute;tudie, l&rsquo;impact qu&rsquo;ont les m&eacute;thodes sur nous en tant que sujet sentient reste absent de la litt&eacute;rature. Georges Devereux avait pourtant d&eacute;j&agrave; pos&eacute; des bases en 1980, avec son ouvrage <i>De l&rsquo;Angoisse &agrave; la M&eacute;thode </i>(2012)<i>, </i>dans lequel il oppose deux modalit&eacute;s d&rsquo;utilisation des m&eacute;thodes&nbsp;: la modalit&eacute; d&eacute;fensive, qui utilise le dispositif de recherche pour cr&eacute;er une barri&egrave;re protectrice (objectivante) entre le sujet et l&rsquo;objet, ou alors, la modalit&eacute; sublimatoire<i>, </i>dans laquelle l&rsquo;&eacute;motionnel, les angoisses, et plus g&eacute;n&eacute;ralement tout le bagage individuel et socioculturel que le sujet porte en lui est converti en potentiel heuristique gr&acirc;ce au dispositif de recherche. Plus r&eacute;cemment, et plus directement en lien avec les probl&eacute;matiques des humanit&eacute;s environnementales, Lucas Brunet (2000) montre que l&rsquo;engagement &eacute;pist&eacute;mique est proprement &eacute;thique et politique. Il a, de cette perspective, explor&eacute; les strat&eacute;gies mises en place individuellement par des chercheurs en sciences de l&rsquo;environnement pour parvenir &agrave; g&eacute;rer la charge &eacute;motionnelle et potentiellement angoissante du contenu scientifique produit et/ou enseign&eacute;.</p> <p>C&rsquo;est de ces r&eacute;sultats qu&rsquo;ont &eacute;merg&eacute; nos besoins de d&eacute;signer, de qualifier, et par l&agrave;, d&rsquo;assumer ce que provoque l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne sur celles et ceux qui l&rsquo;&eacute;tudient et l&rsquo;enseignent. Nous nous sommes alors int&eacute;ress&eacute;es &agrave; la figure de militant existentiel propos&eacute;e par Christian Arnsperger (Arnsperger, 2009). Notre contribution vise, &agrave; travers cette figure, &agrave; donner &agrave; voir comment certains dispositifs m&eacute;thodologiques se r&eacute;v&egrave;lent simultan&eacute;ment heuristiques <i>et</i> cathartiques, et permettent d&rsquo;accompagner le corollaire &eacute;motionnel d&rsquo;une prise de conscience de la porosit&eacute; entre sujet et objet, et, dans le cas particulier des humanit&eacute;s environnementales, entre les scientifiques humains et leurs milieux plus qu&rsquo;humains. Nous proposons, plus transversalement, d&rsquo;apporter des &eacute;l&eacute;ments de r&eacute;ponse &agrave; une des grandes questions qui nous occupent : quelles r&eacute;sonances entre effondrement de soi et effondrement des milieux&nbsp;? Autrement dit, qu&rsquo;est-ce qui s&rsquo;effondre en soi lorsque l&rsquo;on s&rsquo;int&eacute;resse, par sa recherche et ses enseignements, &agrave; des milieux qui s&rsquo;effondrent ou menacent de s&rsquo;effondrer&nbsp;? Comment se laisser affecter d&rsquo;une mani&egrave;re qui soit heuristique, c&rsquo;est-&agrave;-dire qui exacerbe notre perspicacit&eacute; et la finesse de nos analyses&nbsp;? Si cette pr&eacute;occupation de la &laquo;&nbsp;juste distance&nbsp;&raquo; (Favret-Saada, 1977), est transversale &agrave; de nombreux chercheurs confront&eacute;s par leur travail &agrave; des marginalit&eacute;s et/ou des violences par lesquelles ils sont possiblement eux-m&ecirc;mes touch&eacute;s, l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne a cela de sp&eacute;cifique qu&rsquo;il promet de nous affecter t&ocirc;t ou tard,&nbsp;m&ecirc;me si &agrave; des degr&eacute;s divers, que nous l&rsquo;&eacute;tudions ou non, et que nous ma&icirc;trisions ou non sa multivocalit&eacute; et ses d&eacute;signations alternatives (Capitaloc&egrave;ne&nbsp;; Chthuluc&egrave;ne&nbsp;; Androc&egrave;ne&nbsp;; Plantationoc&egrave;ne). Ce faisant, il requestionne simultan&eacute;ment la juste place des humains <i>et </i>la juste place des sciences face aux menaces et vuln&eacute;rabilit&eacute;s qu&rsquo;elles s&rsquo;&eacute;vertuent &agrave; &eacute;tudier.</p> <p>Dans cet article, nous explorons le potentiel heuristique de la prise en compte de la dimension existentielle des bouleversements &eacute;cologiques et &eacute;pist&eacute;miques &agrave; travers le concept de militantisme existentiel. Nous revenons, dans un premier temps, sur ce concept et les ajustements que nous avons r&eacute;alis&eacute;s afin de le rendre op&eacute;rationnel pour les humanit&eacute;s environnementales. Dans un second temps, nous explicitons chacune la mani&egrave;re dont ce concept r&eacute;sonne avec nos cheminements acad&eacute;mico-existentiels. Nous terminons ensuite par une ouverture sur quelques-unes des pistes possibles afin que les recherches et enseignements en humanit&eacute;s environnementales deviennent non plus sources d&rsquo;&eacute;co-anxi&eacute;t&eacute;, mais d&rsquo;espoir constructif, dans la lign&eacute;e de l&rsquo;&eacute;copsychologie de Joanna Macy (2012).</p> <h2>Le militantisme existentiel, &agrave; la crois&eacute;e entre engagement &eacute;pist&eacute;mique et &eacute;cologique</h2> <p>Le militantisme existentiel se r&eacute;f&egrave;re &agrave; une disposition particuli&egrave;re de soi face &agrave; l&rsquo;omnipr&eacute;sence du capitalisme non seulement dans nos &eacute;conomies, mais aussi dans le fonctionnement des syst&egrave;mes sociaux, politiques, axiologiques et &eacute;cologiques contemporains. Le concept est d&eacute;velopp&eacute; par l&rsquo;&eacute;conomiste &eacute;cologique Christian Arnsperger dans son ouvrage <i>&Eacute;thique de l&rsquo;existence post-capitaliste, pour un militantisme existentiel </i>(2009). Il sugg&egrave;re, non pas de suppl&eacute;er les formes traditionnelles de militantisme, mais d&rsquo;accompagner d&rsquo;une r&eacute;flexivit&eacute; existentielle tout &eacute;lan militant, afin que ce dernier soit tout autant source de transformations collectives que d&rsquo;&eacute;mancipation individuelle. Il d&eacute;cline cette r&eacute;flexivit&eacute; en un double exercice de pens&eacute;e&nbsp;: celui de la lucidit&eacute; existentielle et celui de l&rsquo;acceptation critique. La lucidit&eacute; existentielle a rapport &agrave; la capacit&eacute; de percevoir comment les axiomes sociaux dominants (capitalistes, dans le cas de notre soci&eacute;t&eacute; occidentale contemporaine) structurent nos modes d&rsquo;existence et nos mani&egrave;res de consid&eacute;rer nos limites&nbsp;: les limites individuelles (vuln&eacute;rabilit&eacute; et mortalit&eacute;) et les limites collectives (sociales, &eacute;cologiques, politiques). Cette lucidit&eacute; devrait ouvrir sur la posture ambivalente qu&rsquo;il nomme &laquo;&nbsp;acceptation critique&nbsp;&raquo;, qui couple &agrave; la reconnaissance de notre complicit&eacute; plus ou moins consciente et volontaire avec le syst&egrave;me en place le d&eacute;ploiement d&rsquo;une pens&eacute;e critique lib&eacute;ratrice. L&rsquo;acceptation critique est ainsi proche de la &laquo;&nbsp;d&eacute;colonisation des imaginaires&nbsp;&raquo; &agrave; laquelle nous invite Serge Latouche (2011) face &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;conomie de l&rsquo;absurde&nbsp;&raquo;. Cette honn&ecirc;tet&eacute; existentielle et &eacute;pist&eacute;mique est particuli&egrave;rement pertinente &agrave; mobiliser dans les humanit&eacute;s environnementales, car elle motive une attitude fluide, permettant de se laisser traverser et affecter par le contexte d&rsquo;&eacute;tude, tout en s&rsquo;autorisant &agrave; s&rsquo;en distancier, afin de pouvoir participer &agrave; son d&eacute;passement et/ou son am&eacute;lioration.</p> <p>Si la sociologie de l&rsquo;engagement militant a renouvel&eacute; ses approches, typiquement &agrave; travers le paradigme interactionniste (Sawicki &amp; Sim&eacute;ant, 2009), elle n&rsquo;aborde que marginalement les interactions entre sociologie et militantisme, et le floutage de ces cat&eacute;gories par l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;un &laquo;&nbsp;militantisme acad&eacute;mique&nbsp;&raquo; (Salomon Cavin <i>et al.</i>, 2021). La notion de militantisme existentiel gagnerait en cela &agrave; &ecirc;tre diffus&eacute;e, afin d&rsquo;ouvrir des espaces de d&eacute;bats et d&rsquo;expression sur la diversification des formes d&rsquo;engagement que l&rsquo;on observe aujourd&rsquo;hui chez les chercheurs dont les pratiques scientifiques s&rsquo;entrem&ecirc;lent avec des engagements aupr&egrave;s des mouvements environnementaux, altermondialistes et pacifistes. La sociologue &Eacute;meline de Bouver (2015&nbsp;; 2016) a ainsi utilis&eacute; le militantisme existentiel, non seulement pour conceptualiser une vision plurielle de l&rsquo;engagement et r&eacute;concilier l&rsquo;intime et le politique, mais &eacute;galement pour d&eacute;velopper une r&eacute;flexivit&eacute; par rapport &agrave; sa mani&egrave;re propre d&rsquo;investir le politique par ses recherches et son mode de vie. Certains penseurs de l&rsquo;&eacute;cologie ont d&rsquo;ailleurs &oelig;uvr&eacute; &agrave; mettre en lumi&egrave;re le potentiel de r&eacute;sistance pr&eacute;sent dans l&rsquo;espace domestique et du caract&egrave;re politique de certaines modalit&eacute;s de subsistance (Pruvost, 2021&nbsp;; Vrignon, 2017). Le sociologue des mouvements sociaux Geoffroy Pleyers (2017) a &eacute;tudi&eacute; des formes d&rsquo;engagement contemporaines qui n&rsquo;exigent plus de l&rsquo;individu qu&rsquo;il se sacrifie pour le collectif, mais qui deviennent, au contraire, sources de subjectivation. Un risque est alors que le militantisme ne devienne plus que &ccedil;a, comme a pu le d&eacute;noncer l&rsquo;&eacute;cologiste libertaire am&eacute;ricain Murray Bookchin (1995) face aux d&eacute;rives d&rsquo;une partie de la gauche de l&rsquo;&eacute;poque r&eacute;duisant na&iuml;vement les enjeux des luttes &agrave; un ajustement de modes de vie, et n&rsquo;amor&ccedil;ant, ce faisant, qu&rsquo;une d&eacute;marche &eacute;gotique, moins motrice de transformation sociale que de repli sur soi. La penseuse f&eacute;ministe d&eacute;coloniale Gloria Anzald&ugrave;a a, elle, conceptualis&eacute; la n&eacute;cessaire r&eacute;conciliation entre &eacute;mancipation de soi et engagement pour d&rsquo;autres que soi. Son &laquo;&nbsp;militantisme spirituel&nbsp;&raquo; invite au m&eacute;tissage et au d&eacute;ploiement d&rsquo;identit&eacute;s multiples comme tactiques politiques, permettant de naviguer la multiplicit&eacute; des oppressions et d&rsquo;enclencher des processus de gu&eacute;rison (Anzald&ugrave;a in Pitts, 2021). Par ailleurs, il apparait que l&rsquo;engagement collectif exige lui-m&ecirc;me, sous bien des aspects, un processus de transformation identitaire, <i>a fortiori</i> si la dimension collective d&eacute;passe les fronti&egrave;res des soci&eacute;t&eacute;s humaines pour int&eacute;grer les milieux plus qu&rsquo;humains. Le &laquo;&nbsp;soi m&eacute;sologique&nbsp;&raquo; conceptualis&eacute;e par Leila Chakroun propose justement de saisir cette forme d&rsquo;engagement qui passe par de nouvelles porosit&eacute;s au non-humains et des alliances multiesp&egrave;ces, et qui engendre, de ce fait, des transformations somatiques et paysag&egrave;res (Chakroun &amp; Linder, 2018&nbsp;; Chakroun &amp; Droz, 2020&nbsp;; Chakroun, 2023).</p> <p>Nous proposons alors de concevoir l&rsquo;engagement des humanit&eacute;s environnementales face &agrave; leurs objets de recherche dans une logique it&eacute;rative semblable entre l&rsquo;individu et le collectif, et entre la lutte contre un syst&egrave;me de valeurs et le soin par la diffusion de valeurs alternatives. Sans sous-entendre que les humanit&eacute;s environnementales devraient adopter l&rsquo;ensemble des dispositifs militants (occuper l&rsquo;espace public, soutenir des id&eacute;es en politique, se coaliser), nous d&eacute;fendons qu&rsquo;elles gagneraient &agrave; expliciter les ressorts identitaires et existentielles que comportent le d&eacute;passement de l&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie moderne et une positionnalit&eacute; nouvellement assum&eacute;e.</p> <p>Si le concept de &laquo;&nbsp;militantisme existentiel&nbsp;&raquo; a &eacute;t&eacute; originellement d&eacute;velopp&eacute; hors du champ des sciences environnementales, Christian Arnsperger l&rsquo;a, ensuite, revisit&eacute; dans son ouvrage<i> L&rsquo;existence &eacute;cologique</i> (2023) pour expliciter les soubassements existentiels de la probl&eacute;matique &eacute;cologique.&nbsp;Dans cette lign&eacute;e, nous proposons de mettre en lumi&egrave;re les r&eacute;sonances et convergences possibles entre les postulats des humanit&eacute;s environnementales et l&rsquo;attitude du militantisme existentiel. Tandis que le militantisme existentiel permet de faire le lien entre crise &eacute;cologique et r&eacute;engagement existentiel, les humanit&eacute;s environnementales adressent, elles, le lien entre crise &eacute;cologique et r&eacute;engagement &eacute;pist&eacute;mique.&nbsp;Il nous semble, alors, indispensable de mettre en lumi&egrave;re les liens entre la triple crise, &eacute;cologique, &eacute;pist&eacute;mique et existentielle, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment de t&eacute;moigner des mani&egrave;res dont l&rsquo;engagement &eacute;pist&eacute;mique, engendr&eacute; par la prise en compte de la mat&eacute;rialit&eacute; du monde, suppose un engagement existentiel non anodin qui gagne &agrave; &ecirc;tre rendu conscient et transparent.&nbsp;</p> <p>Dans les paragraphes qui suivent, nous revenons chacune sur nos relations &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;te et nos relations d&rsquo;enqu&ecirc;te, de mani&egrave;re &agrave; mettre en lumi&egrave;re les r&eacute;sonances que nous percevons entre nos sujets de recherche et nos engagements pluriels au prisme du militantisme existentiel.</p> <h2>R&eacute;sonance du militantisme existentiel avec nos engagements pluriels</h2> <p>Nous sommes deux chercheuses en humanit&eacute;s environnementales dont les sujets de recherche ont en commun leur focalisation sur les trajectoires de vie et les luttes qui imaginent et exp&eacute;rimentent d&rsquo;autres futurs possibles que celui que trace le mod&egrave;le agro-alimentaire industriel et &eacute;cocidaire. Leila Chakroun s&rsquo;est int&eacute;ress&eacute;e au mouvement de la permaculture en Suisse et au Japon et met en lumi&egrave;re les modalit&eacute;s de subjectivation interesp&egrave;ces et d&rsquo;engagement paysager qui s&rsquo;y exp&eacute;rimentent. Mathilde Vandaele se penche sur les parcours et projets de n&eacute;opaysan.ne.x.s<a href="#_ftn1"><sup><u>[1]</u></sup></a> en Suisse romande, et sur les enjeux d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; la terre et de transformation des identit&eacute;s agricoles provoqu&eacute;e par leurs pr&eacute;sences. Ainsi, nous avons choisi d&rsquo;engager avec les personnes enqu&ecirc;t&eacute;es des relations multiples, qui d&eacute;passent le cadre de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Certaines d&rsquo;entre elles nous sont m&ecirc;me devenues indispensables, au sens o&ugrave; elles performent et font vivre, par leurs gestes quotidiens, des luttes que nous soutenons, mais aussi parce qu&rsquo;elles contribuent &agrave; produire les paysages et la nourriture qui donnent sens et consistance &agrave; nos existences. Dans ce sens, nous avons tiss&eacute; avec elles une relation d&rsquo;interd&eacute;pendance existentielle et corporelle. Nous d&eacute;fendons que, bien que les relations d&rsquo;enqu&ecirc;te se d&eacute;finissent toujours de mani&egrave;re idiosyncrasique, en fonction des personnalit&eacute;s, de relations intersubjectives ou de th&eacute;matiques de recherche, l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne semble symptomatiquement exacerber ces interd&eacute;pendances et nous invite &agrave; les assumer, voire &agrave; les d&eacute;multiplier.</p> <h3>Faire milieu ensemble &ndash; enqu&ecirc;te dans le mouvement de la permaculture par Leila Chakroun</h3> <p>Le concept de militantisme existentiel m&rsquo;a permis de conceptualiser la mani&egrave;re dont je me suis engag&eacute;e, dans le cadre de ma th&egrave;se de doctorat (soutenue en 2023), aux c&ocirc;t&eacute;s des permaculteur.ice.s, et d&rsquo;assumer que ces personnes n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; de simples interlocutrices, mais aussi &laquo; compagnonnes de route &raquo; et parfois m&ecirc;me des sources d&rsquo;inspiration existentielle.</p> <p>Mon engagement &eacute;pist&eacute;mique s&rsquo;est fait par le choix d&rsquo;un cadre conceptuel fondamentalement non-dualiste&nbsp;: la m&eacute;sologie d&rsquo;Augustin Berque (2010). Les concepts qu&rsquo;il d&eacute;veloppe pallient le manque de vocabulaire symptomatique de la modernit&eacute;, et son incapacit&eacute; &agrave; penser et analyser le relationnel, le contextuel, la subtilit&eacute; des entre-deux. Ses concepts-phares sont le milieu, la m&eacute;diance et la trajectivit&eacute;. Le milieu ne se confond pas avec une vision d&eacute;terministe d&rsquo;une sorte de niche &eacute;cologique pour humains&nbsp;; il englobe la totalit&eacute; de nos relations &agrave; la Terre&nbsp;: &eacute;cologiques (gravitaires, physiologiques, nourrici&egrave;res, techniques (par la m&eacute;diation de nos relations &agrave; la Terre par l&rsquo;outil et les machines) et symboliques (par la m&eacute;diation de nos relations &agrave; la Terre par les sch&egrave;mes perceptifs culturels). La trajectivit&eacute;, c&rsquo;est la posture alternative entre objectivit&eacute; et subjectivit&eacute;, qui permet de penser une it&eacute;ration et une coconstitution du sujet et de l&rsquo;objet dans la relation &eacute;pist&eacute;mologique. La m&eacute;diance est, elle, le sens toujours singulier qui &eacute;merge au travers de la relation (trajective) entre une soci&eacute;t&eacute; et son milieu. Au-del&agrave; de l&rsquo;apparence jargonnesque, les mots de la m&eacute;sologie renouvellent nos lunettes et nous permettent enfin de voir et ressentir autre chose et de s&rsquo;impliquer autrement dans nos milieux, par nos recherches.</p> <p>J&rsquo;ai adopt&eacute; la logique de la m&eacute;sologie non seulement comme cadre analytique, mais comme inspiration &eacute;pist&eacute;mologique et m&eacute;thodologique. Le d&eacute;fi n&rsquo;&eacute;tait pas simplement d&rsquo;&eacute;tudier le mouvement de la permaculture comme &laquo;&nbsp;objet&nbsp;&raquo;, mais de mettre sur pied des mani&egrave;res de &laquo;&nbsp;faire milieu ensemble&nbsp;&raquo;, et donc de transformer une partie de mon identit&eacute; pour devenir, entre autres choses, permacultrice. J&rsquo;ai propos&eacute; l&rsquo;expression du &laquo;&nbsp;soi m&eacute;sologique&nbsp;&raquo; pour saisir cette porosit&eacute; intentionnellement recherch&eacute;e et la transformation progressive et trajective de sujet par et pour les milieux pour lesquels il s&rsquo;engage (voir Chakroun, 2023). L&rsquo;incarner a exig&eacute; de ma part une multiplicit&eacute; d&rsquo;engagements, parfois difficile &agrave; concilier, car mon terrain a pris la forme d&rsquo;une implication qui d&eacute;passe les exigences heuristiques li&eacute;es &agrave; une r&eacute;colte de donn&eacute;es. J&rsquo;avais originellement adopt&eacute; une approche par l&rsquo;observation participante aupr&egrave;s des praticien.ne.s ayant certains des projets-phare de permaculture en Suisse et au Japon. Mais, en Suisse romande surtout, ma proximit&eacute; avec les acteur.ice.s du mouvement s&rsquo;est rapidement transform&eacute;e en participation observante, voire en &laquo;&nbsp;participation participante&nbsp;&raquo; &ndash; &eacute;tant tellement affair&eacute;e que je ne pouvais plus observer d&rsquo;autres choses que mon propre affairement. Parmi mes implications, j&rsquo;ai&nbsp;: donn&eacute; de mon temps pour les comit&eacute;s d&rsquo;association, dans lesquels les praticien.ne.s peinent &agrave; s&rsquo;investir car trop accapar&eacute;s par leurs multiples projets&nbsp;; donn&eacute; de l&rsquo;argent, aussi, &agrave; l&rsquo;occasion de campagnes de financement, par exemple pour aider un permaculteur souhaitant acqu&eacute;rir un s&eacute;choir solaire pour commercialiser ses fruits tout au long de l&rsquo;ann&eacute;e, ou encore, en allant faire mes courses au march&eacute;, sur le stand d&rsquo;une ferme en permaculture de la r&eacute;gion lausannoise ; particip&eacute; &agrave; des tables rondes, lors de foires agricoles r&eacute;gionales typiquement, et (tenter d&rsquo;) offrir une vision transversale de la permaculture de mani&egrave;re &agrave; convaincre les agriculteur.ice.s professionnel.le.s de sa pertinence. En restant consciente de la disproportion entre leur engagement (&agrave; temps plein) et le mien (qui, reste tout de m&ecirc;me contraint par mes activit&eacute;s de recherche et d&rsquo;enseignement), c&rsquo;est aujourd&rsquo;hui de nos &eacute;nergies communes qu&rsquo;&eacute;merge le sens que la permaculture a pris dans la r&eacute;gion aujourd&rsquo;hui.</p> <p>En contrepoint, il s&rsquo;agit, &agrave; travers les enqu&ecirc;tes, de rejouer la hi&eacute;rarchie entre savoirs scientifiques et savoirs exp&eacute;rientiels et de consid&eacute;rer les permaculteur.ice.s comme v&eacute;ritables pair.e.s et valoriser leur expertise particuli&egrave;re de la question (agro)&eacute;cologique et leur &laquo;&nbsp;sagesse&nbsp;&raquo; par rapport aux enjeux existentiels que pose cette derni&egrave;re. &Agrave; travers leur parcours, leur discours et leurs pratiques, j&rsquo;ai obtenu des r&eacute;ponses &agrave; mes questions de recherche, mais &eacute;galement &agrave; mes questionnements existentiels. Du fait que ces personnes sont, pour la plupart, critiques du syst&egrave;me de valeurs capitalistes et qu&rsquo;elles &oelig;uvrent &agrave; s&rsquo;en d&eacute;tacher au quotidien gr&acirc;ce &agrave; une lucidit&eacute; existentielle exacerb&eacute;e, elles me sont apparues elles-m&ecirc;mes comme militantes existentielles. Elles semblent ainsi partager la m&ecirc;me volont&eacute; de d&eacute;passement des dualismes modernes que les humanit&eacute;s environnementales, bien que faisant face &agrave; des enjeux quotidiens diff&eacute;rents, et mobilisant, pour cela d&rsquo;autres &laquo;&nbsp;outils&nbsp;&raquo; que moi pour y r&eacute;pondre. Enqu&ecirc;ter en Anthropoc&egrave;ne dans une vision m&eacute;sologique a n&eacute;cessit&eacute; de ma part un double militantisme existentiel, au sens d&rsquo;une injonction &agrave; adopter la position &agrave; la fois d&eacute;tach&eacute;e et complice de l&rsquo;acception critique, tant par rapport &agrave; mon terrain que par rapport au syst&egrave;me capitaliste. Cette recherche a non seulement exig&eacute; que je reste lucide par rapport la mani&egrave;re dont mes valeurs ont pu fa&ccedil;onner les relations aux personnes enqu&ecirc;t&eacute;es, mais aussi que je leur reconnaisse la l&eacute;gitimit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre, elles-m&ecirc;mes, critiques face &agrave; mon positionnement et mes questionnements parfois &eacute;loign&eacute;es de leur r&eacute;alit&eacute; et d&rsquo;ainsi me faire douter et avancer.</p> <h3>La polyphonie des retours &agrave; la terre - le mouvement n&eacute;opaysan suisse par Mathilde Vandaele</h3> <p>Le concept de militantisme existentiel s&rsquo;incarne dans les entrelacements pluriels entre des trajectoires de recherche emprunt&eacute;es et des questionnements personnels qui d&eacute;passent la sph&egrave;re acad&eacute;mique. Bioing&eacute;nieure de formation, j&#39;ai &eacute;t&eacute; sensibilis&eacute;e aux enjeux techniques de l&#39;agriculture, bien avant de prendre conscience, par des enqu&ecirc;tes aupr&egrave;s des praticien.ne.s, de ses enjeux identitaires et sociaux &ndash; alors m&ecirc;me que ceux-ci se r&eacute;v&egrave;lent parfois plus structurants dans la forme que prend l&rsquo;entreprise agricole. Ma double attache, au milieu agricole par ma famille paysanne belge, et &agrave; mon quotidien toutefois urbain, m&#39;a permis de faire l&#39;exp&eacute;rience de la complexit&eacute; des tensions et repr&eacute;sentations mutuelles qui existent entre ces deux &laquo;&nbsp;mondes&nbsp;&raquo;. Elle m&#39;a fait r&eacute;aliser l&#39;importance d&#39;enqu&ecirc;ter sur des profils hybrides, permettant de plonger de mani&egrave;re moins duale dans la compr&eacute;hension de l&rsquo;&eacute;volution des identit&eacute;s agricoles, des appartenances aux territoires et des liens aux enjeux environnementaux. C&#39;est ainsi que j&#39;en suis arriv&eacute;e &agrave; centrer mes recherches sur la notion plurielle de&nbsp;&laquo;&nbsp;retours &agrave; la terre&nbsp;&raquo;, sur la base des trajectoires existentielles et g&eacute;ographiques qui fondent le mouvement n&eacute;opaysan&nbsp;: une terre aux dimensions multiples, &eacute;tant &agrave; la fois un territoire de vie, un milieu vivant partag&eacute;, un sol nourricier, un terroir, une ressource fonci&egrave;re politique et un &eacute;cosyst&egrave;me plan&eacute;taire (Vandaele, 2024). Le mouvement n&eacute;opaysan, dans la d&eacute;finition que je lui donne, me permet de creuser cette multiplicit&eacute; aupr&egrave;s de personnes non issues de parents eux-m&ecirc;mes agriculteur.rice.s et recherchant dans l&rsquo;agriculture un projet de vie, sans &ecirc;tre li&eacute;es &agrave; un h&eacute;ritage agricole familial&nbsp;direct, qu&rsquo;il soit d&rsquo;ordre mat&eacute;riel, foncier, &eacute;pist&eacute;mique ou identitaire.</p> <p>Questionnant des notions d&rsquo;identification, de territorialit&eacute;, de transmission et de cohabitation, cette recherche est n&eacute;e d&rsquo;une premi&egrave;re phase autor&eacute;flexive sur la pluralit&eacute; de nos liens &agrave; la terre, et leurs potentiels de r&eacute;activation, ainsi que sur l&rsquo;existence contemporaine de diverses formes d&rsquo;ancrages, ou de &laquo;&nbsp;r&eacute;-ancrages&nbsp;&raquo;, aux territoires et aux temporalit&eacute;s agricoles. La posture de l&rsquo;acceptation critique a ainsi boulevers&eacute; mon approche m&eacute;thodologique au point de m&rsquo;amener, dans un r&eacute;ajustement m&eacute;thodologique, &agrave; documenter les perceptions des fermes voisines, facilitant, freinant ou s&rsquo;opposant &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e de n&eacute;opaysan.ne.x.s, en partie en raison de leurs d&eacute;marches de critique en actes du syst&egrave;me agro-industriel capitaliste. En parall&egrave;le &agrave; mes recherches et mon engagement aupr&egrave;s du mouvement n&eacute;opaysan, j&rsquo;ai donc conduit des entretiens aupr&egrave;s de personnes qui partagent ou partageaient le m&ecirc;me territoire, tout en pr&eacute;sentant des profils et parcours transg&eacute;n&eacute;rationnels et souvent plus &laquo;&nbsp;traditionnels&nbsp;&raquo;. Par la r&eacute;v&eacute;lation de clivages entre imaginaires urbains, ruraux et agricoles &agrave; propos de th&eacute;matiques &eacute;cologiques<a href="#_ftn2"><sup><u>[2]</u></sup></a>, je m&rsquo;interroge, avec les participant.e.x.s de recherche, sur les fa&ccedil;ons dont ces imaginaires de &laquo;&nbsp;retours &agrave; la terre&nbsp;&raquo; nous affectent, jonchent notre histoire au travers de multiples g&eacute;n&eacute;rations, et transparaissent dans les discours qui nous bercent, nous rassemblent et nous &eacute;loignent.</p> <p>Une auto-r&eacute;flexion d&rsquo;inspiration &eacute;copsychologique m&rsquo;a permis d&rsquo;entrevoir diff&eacute;remment ma th&eacute;matique de recherche et mes choix m&eacute;thodologiques. J&rsquo;ai, en effet, choisi consciemment de porter mon attention sur les n&eacute;opaysan.ne.x.s, non seulement car ils sont un ph&eacute;nom&egrave;ne soci&eacute;tale pertinent &agrave; &eacute;tudier face &agrave; la diminution de la population agricole active, mais aussi parce qu&rsquo;ils me permettent de nourrir d&rsquo;autres imaginaires, plus complexes que celui d&rsquo;un effondrement brutal. Le concept d&rsquo;espoir constructif m&rsquo;a amen&eacute; &agrave; explorer <i>avec</i> les participant.e.x.s de recherche, les dimensions &eacute;motionnelles, identitaires et existentielles de ces imaginaires et de nos vies en Anthropoc&egrave;ne. Par l&rsquo;organisation d&rsquo;entretiens collectifs, je contribue &ndash; m&ecirc;me si modestement &ndash; &agrave; la mise en place d&rsquo;espaces de dialogues sur le sens de nos engagements, nos responsabilit&eacute;s et transmissions, nos espoirs et d&eacute;sespoirs, que ce soit au sein du mouvement n&eacute;opaysan ou avec le reste du milieu agricole, en acceptant de me faire embarquer dans ces voyages existentiels et de les nourrir de mon v&eacute;cu.</p> <p>En parall&egrave;le, l&rsquo;acceptation et la valorisation de la porosit&eacute; entre les dimensions &eacute;pist&eacute;mique et existentielle au contact de la crise &eacute;cologique, s&rsquo;est traduite par la multiplicit&eacute; des liens qui se tissent avec les participant.e.x.s. Ces entrelacements prennent la forme d&rsquo;amiti&eacute;s, d&rsquo;&eacute;changes plus que d&rsquo;entretiens unidirectionnels, et de collaborations pour d&rsquo;autres projets acad&eacute;miques ou professionnels. Ils s&rsquo;incarnent concr&egrave;tement dans mon quotidien, par exemple en accueillant les moutons d&rsquo;un n&eacute;opaysan en estivage dans mon jardin, en contribuant &agrave; l&rsquo;&eacute;quipe &eacute;ditoriale d&rsquo;un journal d&rsquo;&eacute;cologie politique pour des th&egrave;mes agricoles, ou encore, en cor&eacute;alisant un documentaire sur la trajectoire d&rsquo;un n&eacute;opaysan et ses d&eacute;marches de recherche d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; la terre. Ces formes alternatives d&rsquo;&eacute;criture, ou d&rsquo;&eacute;critures multivocale et multimodale, sont un des biais qui me permettent de mettre en acte mes interd&eacute;pendances &eacute;pist&eacute;miques et existentielles, en m&rsquo;offrant la possibilit&eacute; de raconter et de donner voix &agrave; des acteurs et actrices du milieu paysan.</p> <h2>Le militantisme existentiel, vers une multiplicit&eacute; de l&rsquo;engagement, de la recherche &agrave; l&rsquo;enseignement</h2> <h3>Assumer la dimension existentielle des humanit&eacute;s environnementales</h3> <p>Le militantisme existentiel a &eacute;t&eacute; pens&eacute; comme une modalit&eacute; d&rsquo;engagement de soi face au rejet des valeurs du syst&egrave;me capitaliste dont nous faisons cependant tous partie. Nous avons ici propos&eacute; de l&rsquo;appliquer non seulement &agrave; un positionnement critique face &agrave; un syst&egrave;me &eacute;conomique qui nous leurre avec un imaginaire d&rsquo;infinitude et d&rsquo;immortalit&eacute;, mais de l&rsquo;interpr&eacute;ter comme une injonction &agrave; adopter cette m&ecirc;me &laquo;&nbsp;acceptation critique&nbsp;&raquo; dans notre positionnement de recherche et nos choix m&eacute;thodologiques. L&rsquo;objectif &eacute;tait d&rsquo;expliciter la dimension &eacute;pist&eacute;mique et &eacute;cologique du militantisme existentiel, <i>et </i>de d&eacute;velopper la dimension existentielle des humanit&eacute;s environnementales. Les imbrications entre enjeux &eacute;cologiques, enjeux &eacute;pist&eacute;miques et enjeux existentiels sont complexes et le militantisme existentiel offre, d&rsquo;apr&egrave;s&nbsp;nous, un outil pertinent pour ouvrir un espace d&rsquo;expression sur le potentiel heuristique, mais aussi sur les &eacute;cueils possibles, d&rsquo;int&eacute;grer ce que Glenn Albrecht nomme les &laquo;&nbsp;&eacute;motions de la Terre&nbsp;&raquo; dans la formulation de nos questions de recherche et le choix de nos approches m&eacute;thodologiques.</p> <p>Cette r&eacute;flexion peut d&rsquo;ailleurs possiblement servir de guide &agrave; celles et ceux qui re&ccedil;oivent les enseignements de ces chercheurs en humanit&eacute;s environnementales&nbsp;: les &eacute;tudiant.e.x.s. En effet, l&rsquo;&eacute;co-anxi&eacute;t&eacute;, l&rsquo;&eacute;co-indignation et l&rsquo;&eacute;co-paralysie sont en augmentation parmi les &eacute;tudiant.e.x.s, et <i>a fortiori</i> les &eacute;tudiant.e.x.s en environnement, au point que l&rsquo;Universit&eacute; de Lausanne ait r&eacute;cemment mis sur pied l&rsquo;<i>Espace Transitions</i>, sorte de cellule de crise s&rsquo;offrant aux personnes souhaitant partager leurs questionnements, tensions, d&eacute;sespoirs en lien avec les enjeux socio&eacute;cologiques de l&rsquo;Anthropoc&egrave;ne. Le milieu acad&eacute;mique peut s&rsquo;offrir comme espace privil&eacute;gi&eacute; pour verbaliser les dimensions existentielle et &eacute;motionnelle de la crise environnementale.</p> <p>Il y a aujourd&rsquo;hui urgence &agrave; faire &eacute;merger d&rsquo;autres formes, moins violentes et moins paralysantes, de (co)production et transmission de savoirs en Anthropoc&egrave;ne. C&rsquo;est ce que proposent certaines recherches sur la diffusion d&rsquo;une forme d&rsquo;espoir dit &laquo;&nbsp;constructif&nbsp;&raquo;, dans le sens d&rsquo;un espoir r&eacute;siduel &agrave; cultiver collectivement, de mani&egrave;re &agrave; potentialiser une r&eacute;flexivit&eacute; &eacute;motionnelle et des formes d&rsquo;engagement soutenable et multidimensionnel (Vandaele &amp; St&aring;lhammar, 2022). L&rsquo;espoir constructif permet, ainsi, de traduire &laquo;&nbsp;en corps&nbsp;&raquo; l&rsquo;attitude ambivalente de l&rsquo;acceptation critique et de d&eacute;velopper une lucidit&eacute; existentielle et &eacute;motionnelle suffisante &agrave; accepter l&rsquo;abandon de certaines postures &eacute;pist&eacute;miques p&eacute;rim&eacute;es, voire &agrave; se r&eacute;jouir du bouleversement des cat&eacute;gories de pens&eacute;e qu&rsquo;exigent les humanit&eacute;s environnementales.</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>Albrecht, G. (2019). <i>Earth emotions: New Words for a New World</i>. Cornell University Press.</p> <p>Arnsperger, C. (2009). <i>&Eacute;thique de l&rsquo;existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel</i>. Paris : Cerf.</p> <p>Arnsperger, C. (2023). <i>L&rsquo;Existence &eacute;cologique : Critique existentielle de la croissance et anthropologie de l&rsquo;apr&egrave;s-croissance</i>. Paris : Seuil.</p> <p>Berque, A. (2010). Des fondements ontologiques de la crise, et de l&rsquo;&ecirc;tre qui pourrait la d&eacute;passer. <i>VertigO - la revue &eacute;lectronique en sciences de l&rsquo;environnement</i>, <i>10</i>(1). https://doi.org/10.4000/vertigo.9384</p> <p>Blanc, G., Demeulenaere, &Eacute;., &amp;. Feuerhahn, W. (&Eacute;ds.). (2017). <i>Humanit&eacute;s environnementales : Enqu&ecirc;tes et contre-enqu&ecirc;tes</i>. Paris : &Eacute;d. de la Sorbonne.</p> <p>Bookchin, M. (1995). <i>Social Anarchism or Lifestyle Anarchism. </i><i>An Unbridgeable Chasm.</i> Chico (Californie): AK Press.</p> <p>Brunet, L. (2020). Face &agrave; l&rsquo;angoisse &eacute;cologique : Strat&eacute;gies &eacute;motionnelles et engagements &eacute;pist&eacute;miques en sciences de l&rsquo;environnement. <i>Trac&eacute;s. Revue de Sciences humaines</i>, <i>38</i>, Article 38. <u><a href="https://doi.org/10.4000/traces.11342">https://doi.org/10.4000/traces.11342</a></u></p> <p>Chakroun, L. (2023). En qu&ecirc;te d&rsquo;autres milieux. La permaculture au prisme de la m&eacute;sologie en Suisse et au Japon. [Th&egrave;se, Universit&eacute; de Lausanne].</p> <p>Chakroun L. &amp; Droz, L. (2020). Sustainability through landscapes: natural parks, satoyama, and permaculture in Japan, <i>Ecosystems and People</i>, vol.16(1), 369-383. <u><a href="https://doi.org/10.1080/26395916.2020.1837244">https://doi.org/10.1080/26395916.2020.1837244</a></u></p> <p>Chakroun L. &amp; Linder, L. (2018). La permaculture comme foyer d&#39;&eacute;mergence d&#39;un soi m&eacute;sologique. In Augendre M., Llored, J.-P. &amp; Nussaume, Y. (&Eacute;ds.), <i>La m&eacute;sologie, un autre paradigme pour l&rsquo;anthropoc&egrave;ne ? </i>(p.&nbsp;283-291). Paris: Hermann. <u><a href="https://doi.org/10.3917/herm.augen.2018.01.0283">https://doi.org/10.3917/herm.augen.2018.01.0283</a></u></p> <p>De Bouver, E. (2015). <i>L&rsquo;existentiel est politique : Enqu&ecirc;te de sociologie politique sur le renouveau du militantisme : les cas des simplicitaires et des coaches alternatifs</i> [Th&egrave;se, Universit&eacute; Catholique de Louvain]. <u><a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:165589">https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:165589</a></u></p> <p>De Bouver, E. (2016). &Eacute;l&eacute;ments pour une vision plurielle de l&rsquo;engagement politique : Le militantisme existentiel. <i>Agora debats/jeunesses</i>, <i>N&deg; 73</i>(2), 91‑104.</p> <p>Devereux, G. (2012). <i>De l&rsquo;angoisse &agrave; la m&eacute;thode dans les sciences du comportement</i>. Paris : Flammarion.</p> <p>Favret-Saada, J. (1977). <em>Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, </em>Paris&nbsp;: Gallimard.</p> <p>Latouche, S. (2011). <i>D&eacute;coloniser l&rsquo;imaginaire : La pens&eacute;e cr&eacute;ative contre l&rsquo;&eacute;conomie de l&rsquo;absurde</i>. Parangon.</p> <p>Macy, J., &amp; Johnstone, C. (2012). <i>Active Hope : How to Face the Mess We&rsquo;re in without Going Crazy</i>. Novato : New World Library.</p> <p>Pitts, A. J. (2021). <i>Nos/Otras : Gloria E. Anzald&uacute;a, Multiplicitous Agency, and Resistance</i>. Albany : Suny Press.</p> <p>Pleyers, G. (2017). De la subjectivation &agrave; l&rsquo;action. Le cas des jeunes alter-activistes. In G. Pleyers &amp; B. Capitaine (&Eacute;ds.), <i>Mouvements sociaux : Quand le sujet devient acteur</i> (p. 27‑47). Paris : &Eacute;d. de la Maison des sciences de l&rsquo;homme. http://books.openedition.org/editionsmsh/9897</p> <p>Pruvost, G. (2021). <i>Quotidien politique : F&eacute;minisme, &eacute;cologie, subsistance</i>. Paris : La D&eacute;couverte.</p> <p>Salomon Cavin, J., Boisvert, V., Ranocchiari, S., Dusserre-Bresson, Q. &amp; Poulot, M. (2021). L&rsquo;engagement militant dans la recherche en agriculture urbaine. R&eacute;flexions sur le contexte fran&ccedil;ais au miroir du <i>scholar activism</i> nord-am&eacute;ricain. <i>Natures Sciences Soci&eacute;t&eacute;s</i>, 29, 288-298. <u><a href="https://doi.org/10.1051/nss/2021058">https://doi.org/10.1051/nss/2021058</a></u></p> <p>Sawicki, F., &amp; Sim&eacute;ant, J. (2009). D&eacute;cloisonner la sociologie de l&rsquo;engagement militant. Note critique sur quelques tendances r&eacute;centes des travaux fran&ccedil;ais. <i>Sociologie du travail</i>, <i>51</i>(1), <u><a href="https://doi.org/10.4000/sdt.16032">https://doi.org/10.4000/sdt.16032</a></u></p> <p>Vandaele, M., &amp; St&aring;lhammar, S. (2022). &ldquo;Hope dies, action begins?&rdquo; The role of hope for proactive sustainability engagement among university students. <i>International Journal of Sustainability in Higher Education</i>, <i>23</i>(8), 272‑289. https://doi.org/10.1108/IJSHE-11-2021-0463</p> <p>Vandaele, M. 2024 (&agrave; paraitre). Le mouvement de retour &agrave; la Terre en Suisse romande : quelles possibles co&eacute;volutions entre monde agricole et mouvement n&eacute;opaysan ? In : Granchamp, L. &amp; Muramatsu, K. Retours &agrave;/de la Terre: Vues d&rsquo;Europe et du Japon. Qu&eacute;bec City: &Eacute;dition Septentrion.</p> <p>Vrignon, A. (2017). <i>Chapitre IV. Penser la soci&eacute;t&eacute; &eacute;cologique &agrave; venir</i>. Rennes : Presses universitaires de Rennes. https://books.openedition.org/pur/​https://books.openedition.org/pur/154777</p> <p>&nbsp;</p> <p><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><u>[1]</u></sup></a> Nous utilisons l&rsquo;&eacute;criture inclusive pour visibiliser la diversit&eacute; des profils existant aujourd&rsquo;hui dans le monde agricole et &oelig;uvrer &agrave; le &laquo;&nbsp;d&eacute;-masculiniser&nbsp;&raquo;.</p> <p><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><u>[2]</u></sup></a>Telles que les m&eacute;thodes de culture, la place de l&rsquo;&eacute;levage, le partage des terres, le r&ocirc;le et l&rsquo;avenir des professions agricoles.</p>