<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Interdépendances existentielle et corporelle dans nos relations d’enquête</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Nous sommes deux doctorantes en humanités environnementales et nos sujets de thèse ont un commun leurs focalisations sur les enjeux agroécologiques de l’Anthropocène à partir (entre autres) d’enquêtes en Suisse romande (entre autres). Leila Chakroun s’est focalisée sur les milieux de la permaculture en Suisse et au Japon et met en lumière la manière dont de nouvelles modalités de subjectivation et d’engagement s’y expérimentent. Mathilde Vandaele se focalise sur les parcours et projets de néopaysan.ne.x.s<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CH" style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">[1]</span></span></span></span></span></a> en Suisse romande, et sur les enjeux humains et sociaux d’accès à la terre et de transformation des identités agricoles provoquée par leurs présences. Nous avons toutes deux opté pour une méthodologie similaire : des enquêtes socio-anthropologiques, basées sur de longues périodes d’observation participante et des entretiens approfondis. Si cela n’est pas radicalement nouveau, il n’en reste que nous enquêtons auprès de personnes qui produisent la nourriture que nous consommons ensuite, et qui, également, prennent soin des paysages dans lesquels nous évoluons. Dans ce sens, nous sommes connectées aux personnes enquêtées, non seulement par notre projet doctoral, mais par une relation d’interdépendance existentielle et corporelle. Nous défendons que, bien que les relations d’enquête se définissent toujours de manière idiosyncratique, en fonction des personnalités, de relations intersubjectives, ou encore, de thématiques de recherche, l’Anthropocène semble symptomatiquement exacerber ces interdépendances et nous invite à les assumer, et à les potentialiser.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">L’Anthropocène nous embarque et nous affecte</span></span></span></b> </span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Que nous l’étudions ou pas, que nous maîtrisions la multivocalité du concept ou que nous en fassions l’expérience sans la conceptualiser comme telle, l’Anthropocène nous embarque toutes et tous et promet de nous affecter tôt ou tard. Comme le soutiennent les humanités environnementales, la prise en compte de la matérialité du monde (ou du « tiers-nature ») empêche de continuer à produire des savoirs et des connaissances de la même manière </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(Blanc et al., 2017)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">. En effet, c’est toute l’épistémologie moderne qui est bouleversée et, avec elle, ses oppositions fondatrices : la division sujet-objet, humain-nature, physique-phénoménal, rationnel-émotionnel, cognitif/affectif. On peut ainsi se demander ce que la remise en question de ces catégories provoque existentiellement et identitairement sur les chercheur.euse.s des humanités environnementales, dont on attend qu’elles investissent et se relient différemment à leur “objet” de recherche. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">S’il est admis que nos méthodes influencent ce que l’on perçoit et ce que l’on capte de ce que l’on étudie, l’impact qu’on les méthodes sur nous en tant que sujet sentient reste absent de la littérature. Georges Devereux avait pourtant déjà posé des bases en 1980, avec son ouvrage <i>De l’Angoisse à la Méthode </i></span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(2012)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black"><i>, </i>dans lequel il oppose deux modalités d’utilisation des méthodes : la modalité <i>défensive, </i>qui utilise le dispositif de recherche pour créer une barrière protectrice (objectivante) entre le sujet et l’objet, ou alors, la modalité <i>sublimatoire, </i>dans laquelle l’émotionnel, les angoisses, et plus généralement tout le bagage individuel et socio-culturel que le sujet porte en lui est converti en potentiel heuristique grâce au dispositif de recherche. Plus récemment et plus directement en lien avec les problématiques des humanités environnementales, Lucas Brunet montre qu’en sciences de l’environnement, l’engagement épistémique est vécu comme proprement éthique et politique. Il a, de cette perspective, explorer les stratégies mises, individuellement, en place par des chercheur.euse.s en sciences de l’environnement pour parvenir à gérer la charge émotionnelle et potentiellement angoissante du contenu scientifique produit et/ou enseigné </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(Brunet, 2020)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">C’est de ces résultats qu’a émergé notre besoin de désigner, de qualifier, et par-là, d’assumer ce que provoque l’Anthropocène sur celles et ceux qui l’étudient et l’enseignent, et que nous nous sommes intéressées à la figure de militant existentiel proposé par Christian Arnsperger </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(Arnsperger, 2009)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">. Notre contribution vise, à travers cette figure, à donner à voir comment certains dispositifs méthodologiques se révèlent simultanément heuristiques <i>et</i> cathartiques, et permettent d’accompagner le corollaire émotionnel d’une prise de conscience de la porosité entre sujet et objet, et, dans le cas particulier des humanités environnementales, entre humains et environnement(s). Nous proposons plus transversalement d’apporter des éléments de réponse à une des grandes questions qui nous occupent : <i>Comment ne pas s’effondrer lorsqu’on fait des limites du système dominant et de l’effondrement du monde ses sujets d’investigation et/ou d’enseignement ?</i></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Dans un premier temps, nous revenons sur le concept de militantisme existentiel et exposons les ajustements que nous proposons afin de le rendre opérationnel. Dans un second temps, nous explicitons respectivement la manière dont ce concept résonne avec nos cheminements académico-existentiels. Nous terminons ensuite par une ouverture sur les voies possibles afin que les recherches et enseignements en humanités environnementales deviennent non plus génératrices d’éco-anxiété mais d’ espoir <i>constructif </i>– un concept inspiré de l’écopsychologie de Joanna Macy </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(2012)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b> </b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Le militantisme existentiel, à la croisée entre engagement épistémique et écologique</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Le militantisme existentiel se réfère à une disposition particulière de soi face à l’omniprésence du capitalisme dans le fonctionnement du système socio-écologique contemporain et de sa prégnance dans les manières de (se) penser. Le concept est développé par l’économiste hétérodoxe Christian Arnsperger dans son ouvrage <i>Éthique de l’existence post-capitaliste, pour un militantisme existentiel </i></span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(2009)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">. </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Il n’implique pas de suppléer les formes traditionnelles de militantisme, mais suggère l’adoption d’une attitude et d’une posture qui devraient sous-tendre tout acte militant. L’attitude en question est celle de la lucidité existentielle et la posture celle de l’acceptation critique. La lucidité existentielle a rapport à une capacité à percevoir la manière dont les axiomes sociaux structurants (capitalistes, dans le cas de notre société occidentale contemporaine) structurent nos systèmes et modèlent nos personnalités et manières d’être. Cette lucidité peut ouvrir sur une acceptation critique, c’est-à-dire de reconnaître notre complicité, plus ou moins consciente et volontaire,<i> </i>avec le système en place, tout en s’autorisant à ne pas s’y identifier complètement, afin de pouvoir, par le déploiement d’une pensée critique, s’en extraire et, participer de son dépassement. Ce regard éclairé sur la manière dont le système économique dominant nous influence fait écho à ce que Serge Latouche nomme « économie de l’absurde » et contre laquelle il suggère une « décolonisation de nos imaginaires » </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(2011)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Sans exiger que tous chercheurs en humanités environnementales aillent militer à la manière que nous évoque aujourd’hui ce concept : se rendre sur l’espace public, défendre et débattre des idées en politique, se coaliser, se confronter…, nous proposons de concevoir l’engagement des humanités environnementales face à leur(s) « objet(s) » de recherche comme une forme d’engagement qui est toujours non seulement épistémologique mais toujours aussi de l’ordre du militantisme existentiel, et politique en ce sens. Si le concept de « militantisme existentiel » a été développé hors du champ des sciences environnementales à l’origine, Christian Arnsperger l’a, ensuite, revisité dans son ouvrage l’<i>existence écologique,</i> dans lequel il aborde explicitement les soubassements existentiels de la question écologique. Dans cette lignée, nous proposons une convergence de l’attitude du militantisme existentiel avec les postulats des humanités environnementales. Tandis que le militantisme existentiel permet de faire le lien entre crise écologique et réengagement existentiel, les humanités environnementales adressent, elles, le lien entre crise écologique et réengagement épistémique. Il nous semble, en effet, indispensable de mettre en lumière les liens entre la triple crise, écologique, épistémique et existentielle, et plus précisément de témoigner des manières dont l’engagement épistémique qu’engendre la prise en compte de la matérialité du monde suppose un engagement existentiel non anodin, qui gagnerait à être conscientisé et rendu transparent. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Aussi, nous proposons de mettre en lumière les résonances que nous percevons entre cette figure militante et nos engagements pluriels. Dans les prochains paragraphes, nous revenons chacune sur nos enquêtes et nos perspectives de « militantes existentielles » en devenir.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Résonance du militantisme existentiel avec nos engagements pluriels</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><i><span lang="FR-CH" style="font-size:13.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Faire milieu ensemble – enquête en milieu permaculturel par Leila Chakroun</span></span></span></i></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Dans mon parcours, le concept de militantisme existentiel résonne avec la manière dont je me suis engagée aux côtés des permaculteur.ice.s, en les considérant non seulement comme interlocuteurs mais aussi en tant que « compagnons de route » et parfois même comme sources d’inspiration existentielle.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Mon engagement épistémique s’est fait par le choix d’un cadre conceptuel fondamentalement non-dualiste : la mésologie d’Augustin Berque </span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(2010)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">. Les concepts qu’il développe pallient le manque de vocabulaire symptomatique de la modernité, et son incapacité à penser et analyser le relationnel, le contextuel, les entre-deux. Ses concepts-phares sont le milieu, la médiance et la trajectivité. Le milieu ne se confond pas avec une vision déterministe d’une sorte de niche écologique pour humains ; il émerge des relations entre dimensions écologiques (physiologique, climatiques, pédologiques, ...), techniques (par la médiation de nos relations à la Terre par l’outil et les machines) et symboliques (par la médiation de nos relations à la Terre par les schèmes perceptifs culturels). La trajectivité c’est la posture alternative entre objectivité et subjectivité, qui permet de penser une itération et une co-constitution du sujet et de l’objet dans la relation épistémologique. La médiance est, elle, le sens toujours singulier qui émerge au travers de la relation (trajective) entre des individus et un milieu. Au-delà de l’apparence jargonnesque, les mots de la mésologie renouvellent nos lunettes et nous permettent enfin de voir autre chose et de s’impliquer autrement dans nos recherches et dans le monde.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Mon engagement existentiel et politique a pris la forme d’une implication dans le milieu suisse de la permaculture, à un degré qui dépasse les exigences heuristiques liées à une récolte de données. J’avais originellement adopté une approche par l’observation participante auprès des praticien.ne.s ayant certains des projets-phare de permaculture en Suisse et au Japon. Mais, en Suisse romande surtout, ma proximité avec les acteur.ice.s de ce milieu s’est rapidement transformée en « participation observante » voire en participation participante. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Le challenge est de ne pas simplement étudier le milieu de la permaculture, mais de faire milieu ensemble : donner de mon temps pour les comités d’association, dans lesquels les praticien.ne.s peinent à s’investir car trop accaparés par leurs multiples projets ; donner de l’argent, aussi, à l’occasion de campagnes de financement, par exemple pour aider un permaculteur souhaitant acquérir un séchoir solaire pour commercialiser ses fruits tout au long de l’année, ou encore, en allant faire mes courses au marché, sur le stand d’une ferme en permaculture de la région lausannoise; participer à des tables rondes, lors de foires agricoles régionales typiquement, et (tenter d’) offrir une vision transversale de la permaculture. En restant consciente de la disproportion entre leur engagement (à temps plein) et le mien (qui, reste tout de même occupée par ma recherche et mes tâches d’assistanat), c’est aujourd’hui de nos énergies communes qu’émerge le milieu de la permaculture et sa médiance actuelle. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">En contrepoint, il s’agit, à travers les enquêtes, de rejouer la hiérarchie entre savoirs scientifiques et savoirs expérientiels et de considérer les personnes du milieu de la permaculture comme véritables pairs et valoriser leur expertise particulière de la question écologique. C’est-à-dire, non seulement se permettre de rester critique par rapport à ce que l’on observe et ce dont on fait l’expérience, mais aussi octroyer aux personnes du terrain la légitimité d’être elles-mêmes critiques et de nous faire douter, et avancer. « Enquêter au milieu » dans une vision mésologique nécessite, en ce sens, un véritable militantisme existentiel par une multiplicité d’engagements : épistémique, conceptuel, mais aussi corporel et parfois frontalement politique (même si je ne suis personnellement pas allé jusque-là).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b> </b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><i><span lang="FR-CH" style="font-size:13.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Quête d’indigénéité – Mathilde Vandale en milieu néopaysan</span></span></i></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Le concept de militantisme existentiel s’incarne par les entrelacements pluriels entre les directions de recherche qui s’offrent à moi et des questionnements personnels qui dépassent la sphère académique. <span style="background:white">Agronome de formation, j'ai d'abord été sensibilisée aux enjeux techniques de l'agriculture, pour ensuite prendre conscience ensuite par des enquêtes plus longues et plus proches des praticien.ne.x.s que les enjeux identitaires étaient en fait presque plus structurants dans le choix des modes d’agriculture. Ma double attache familiale, au milieu agricole par ma famille paysanne belge et au milieu urbain par mon enfance, m'a permis de faire l'expérience des tensions et stéréotypes qui existent entre ces deux milieux. Elle m'a fait réaliser l'importance d'enquêter sur des profils hybrides, permettant de plonger de manière moins duale dans la compréhension de l’évolution des identités agricoles, des appartenances aux territoires et des liens aux enjeux environnementaux. C'est ainsi que j'en suis arrivée à centrer mes recherches sur </span>la notion de ré-indigénisation aux territoires agricoles, illustrée par le parcours d’acteurs et actrices du<span style="background:white"> mouvement néopaysan, constitué de personnes non-issues de parents eux-mêmes agriculteur.rice.x.s et recherchant dans l’agriculture un complément d’activité ou un projet de vie.</span> Questionnant des notions d’identité, d’identification, de territorialité et de ré-indigénisation, cette recherche est née d’une première phase autoréflexive sur notre propre indigénéité perdue et ses potentiels de réactivation, ainsi que sur divers ancrages aux territoires et aux temporalités du monde agricole. Par la révélation de clivages entre imaginaires urbains, ruraux et agricoles à propos de thématiques écologiques<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CH" style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">[2]</span></span></span></span></span></a>, je m’interroge, avec les participant.e.x.s de recherche, sur les façons dont ces imaginaires nous affectent, jonchent notre histoire au travers de multiples générations, et transparaissent dans les discours qui nous bercent, nous rassemblent et nous éloignent. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Une autre piste d’interprétation et d’expérimentation épistémique de la figure du militant existentiel découle d’une approche méthodologique enrichie par les perspectives d’auteurs et autrices du courant d’<i>indigenous methodologies</i>. Ces perspectives soutiennent l’importance d’accorder une attention et une visibilité aux réflexions ontologiques, épistémologiques et axiologiques qui entourent et co-évaluent avec nos recherches, au travers d’outils tels que la tenue de carnet de rêves, d’histoires, de discussions partagées quant au positionnement de chercheuse et rôle de la recherche. Loin de cantonner ces dimensions collatérales à une réflexion épistémique seule, les <i>indigenous methodologies</i> m’ont invité à explorer avec les participant.e.x.s de recherche, et non pas autour, ces dimensions et leurs retombées existentielles, ces frustrations parfois. De manière intuitive, l’acceptation et la valorisation de la porosité entre les dimensions épistémique et existentielle au contact de la crise écologique, se traduisent par la multiplicité des liens qui se tissent avec les participant.e.x.s. Ces entrecroisements prennent la forme d’amitiés, d’échanges plus que d’entretiens unidirectionnels, et de collaborations pour d’autres projets académiques ou professionnels. Quelques incarnations concrètes de ces entrelacements sont à trouver dans la présence de moutons en estivage dans mon jardin, d’un collectif néopaysan, ou par mon engagement dans l’équipe éditoriale d’un journal d’écologie politique de décroissance, et les possibilités de donner la plume à des acteurs et actrices du milieu paysan. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">L’espoir constructif : fondateur d’un militantisme existentiel durable ?</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Afin que les bouleversements écologiques et épistémiques ne soient pas uniquement gérés (ou ingérés) individuellement, nous suggérons de rendre centrale cette figure du militantisme existentiel dans le milieu académique, des humanités environnementales en particulier. Typiquement, l’éco-anxiété, l’éco-indignation et l’éco-paralysie sont en augmentation, en particulier parmi les étudiant.e.x.s, et a fortiori les étudiant.e.x.s en environnement, au point que l’Université de Lausanne ait récemment mis sur pied l’<i>Espace transition</i>, sorte de cellule de crise s’offrant aux personnes souhaitant partager leurs questionnements, tensions, désespoirs… Le milieu universitaire, et particulièrement, celui des humanités environnementales, offre une réelle opportunité et nécessité de verbaliser les liens entre la dimension existentielle et la crise environnementale, dans un contexte où la projection d’un futur devient de plus en plus difficile. Mais l’éco-anxiété est-elle nécessaire et la preuve d’une sensibilité différente ou pouvons-nous donner d’autres formes, moins violentes et moins paralysantes, aux émotions que nous provoquent la connaissance de ce qui va nous arriver ? C’est ce que proposent certaines recherches sur la promotion d’une forme d’espoir constructif </span></span><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">(Vandaele & Stålhammar, 2022)</span></span><span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">, défini comme une forme d’espoir menant à une stabilité émotionnelle sur le long-terme et un militantisme soutenable et multidimensionnel. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span lang="FR-CH" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Références</span></span></span></b></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Arnsperger, C. (2009). <i>Éthique de l’existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel</i> (CERF edition). CERF.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Berque, A. (2010). Des fondements ontologiques de la crise, et de l’être qui pourrait la dépasser. <i>VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement</i>, <i>10</i>(1). https://doi.org/10.4000/vertigo.9384</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Blanc, G., Demeulenaere, É., & Feuerhahn, W. (Éds.). (2017). <i>Humanités environnementales : Enquêtes et contre-enquêtes</i>. ED SORBONNE.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Brunet, L. (2020). Face à l’angoisse écologique : Stratégies émotionnelles et engagements épistémiques en sciences de l’environnement. <i>Tracés. Revue de Sciences humaines</i>, <i>38</i>, Art. 38. https://doi.org/10.4000/traces.11342</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Devereux, G. (2012). <i>De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement</i>. Flammarion.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Latouche, S. (2011). <i>Décoloniser l’imaginaire : La pensée créative contre l’économie de l’absurde</i>. Parangon.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Macy, J., & Johnstone, C. (2012). <i>Active Hope : How to Face the Mess We’re in without Going Crazy</i> (58069th edition). New World Library.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Vandaele, M., & Stålhammar, S. (2022). “Hope dies, action begins?” The role of hope for proactive sustainability engagement among university students. <i>International Journal of Sustainability in Higher Education</i>, <i>23</i>(8), 272‑289. https://doi.org/10.1108/IJSHE-11-2021-0463</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<div>
<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:"Calibri",sans-serif">[1]</span></span></span></span></a> Nous utilisons l’écriture inclusive pour visibiliser la diversité des profils existant aujourd’hui dans le monde agricole et œuvrer à le « dé-masculiniser ».</span></span></p>
</div>
<div id="ftn2">
<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:"Calibri",sans-serif">[2]</span></span></span></span></a> <span lang="FR-CH" style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black">Telles que les méthodes de culture, la place de l’élevage, le partage des terres, le rôle et l’avenir des professions agricoles.</span></span></span></span></p>
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