<h2>1. Introduction</h2>
<p>L’arabe dialectal marocain ou la Darija était généralement considéré comme une langue exclusivement orale utilisée pour communiquer oralement dans des contextes informels. Cependant, depuis les années 2000 et surtout avec l’avènement du web interactif 2.0, l’écriture en Darija est devenue courante et largement pratiquée sur les espaces numériques. Ce passage à l’écriture est considéré comme étant <q>informel</q> (Caubet 2017 : 116) dans le sens où premièrement, il a lieu dans des contextes informels et, deuxièmement, il est pratiqué en dehors du contrôle ou intervention de l’État.</p>
<p>En effet, en l’absence d’une standardisation officielle, des habitudes conscientes ou inconscientes d’écriture de l’arabe dialectal marocain se sont développées sur ces plateformes numériques (réseaux sociaux, WhatsApp, forums, revues électroniques…), produisant deux tendances d’écriture. L’une, utilisant la graphie arabe, cherche une adéquation aux nomes de l’arabe standard et veut ainsi s’en rapprocher. L’autre, purement phonétique, échappe à toutes normes, adopte deux types de graphie latine et arabe ainsi que des chiffres à force d’un usage répété.</p>
<p>Ces deux tendances d’écriture se développent d’une manière individuelle et spontanée et aboutissent à une « conventionnalisation » par la force de l’échange et de l’usage répété. En ce sens, Dominique Caubet (2017 : 3) parle d’un <q>apprentissage collectif, non-institutionnel</q> qui relève du Do It Yourself et le décrit comme <q>une action spontanée et collective d’acquisition de la lecture et de l’écriture d’une langue non-codifiée</q> (<em>ibid</em>.). Cependant, s’il semble y avoir une « conventionnalisation » dans certaines pratiques, l’analyse des habitudes orthographiques réelles adoptées par les auteurs montre qu’ils ne partagent pas toujours les mêmes normes orthographiques et les divergences sont assez saillantes.</p>
<p>À cet égard, plusieurs questions s’imposent : Existe-t-il des normes qui structurent les comportements orthographiques des usagers de l’arabe dialectal marocain sur les environnements numériques ? Assiste-t-on à une fabrication des normes linguistiques sur ces plateformes numériques ? Ou s’agit-il d’une entreprise individuelle libre et atypique ?</p>
<h2>2. Objectif et méthode</h2>
<p>Notre objectif dans cette étude est d’analyser les pratiques et les habitudes orthographiques réelles observées dans la graphie latine et la graphie arabe de l’arabe dialectal marocain sur les environnements numériques, en mettant en exergue les normes adoptées dites non institutionnelles instaurées par l’usage répété.</p>
<p>Le cadre théorique que nous avons adopté s’apparente à la relation entre norme et usage. En effet, nous faisons référence dans cette contribution aux deux acceptions du mot « norme » telles qu’évoquées par Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt (2007 : X).</p>
<blockquote>
<p>La plus ancienne (…) est celle de « règle, loi d’après laquelle on doit se diriger » (Littré, 1877, article « Norme ») ; la seconde (…) (issue de la sociologie), norme signifie « état habituel, régulier, conforme à la majorité des cas » (Robert historique, 1992, article « Norme »)</p>
</blockquote>
<p>En pratique, ces deux acceptions de norme marquent leur présence dans l’écriture de l’arabe dialectal marocain sur les espaces numériques : (1) <q>norme objective, observable, […] qui renvoie à l’idée de fréquence ou tendance</q> (ibid.), c’est-à-dire à l’usage répété. Et, (2) <q>norme subjective, système de valeurs historiquement situé … </q>, (Françoise Gadet 2003 :19) dans la mesure où, en empruntant à l’arabe standard et/ou au français des normes déjà historiquement établies. Reste à savoir si les deux normes s'appuient l'une sur l'autre (Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt 2007 : X), pour former cette orthographe qui semble en construction pour l'arabe dialectal marocain écrit, ou si les divergences sont si importantes que cette entreprise semble bien lointaine.</p>
<p>Quant à la démarche empruntée, elle est descriptive dans le sens où elle nous conduit à décrire les habitudes et les comportements adoptés dans l’écriture de l’arabe marocain ; elle est aussi comparative dans la mesure où elle évoque des phénomènes d’écriture semblables ou divergents par comparaison avec une autre variété de l’arabe, à savoir l’arabe standard.</p>
<p>Les exemples choisis pour cette contribution sont issus de plusieurs supports numériques, à savoir, un recueil des articles rédigés en arabe dialectal marocain dans deux journaux électroniques connus pour leur utilisation de la darija, « goud.ma » et « kifache.com », une collection des publications en arabe marocain sur les réseaux sociaux numériques, notamment Facebook, ainsi que plusieurs interactions numériques d’un groupe d’étudiants marocains sur WhatsApp.</p>
<h2>3. Bref Rappel du paysage linguistique marocain</h2>
<p>Le paysage linguistique marocain est marqué par la coexistence de plusieurs langues et variétés linguistiques : outre les deux langues officielles, l'arabe et l'amazigh, il y a l'arabe marocain ou darija, qui existe en plusieurs variétés, l'amazigh, qui existe également en plusieurs variétés, et le français et l'espagnol, qui sont deux langues héritées de la période coloniale.</p>
<p>Ces différentes langues ont chacune leur histoire, leur système, leur statut et leurs fonctions. En ce qui concerne l’arabe dialectal marocain (Darija), objet de notre contribution, il est considéré comme une langue orale non standard, sans statut officiel. Malgré cela, il tire sa force d’une <q>une mouvance sociale qui la porte, le poids de sa masse parlante, la vastitude de son répertoire et la vitalité de la culture qu’elle véhicule </q> (Boukous 2021 :121). En ce sens, les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les statistiques du Haut-Commissariat au Plan, il est la première langue maternelle de 72% de la population du Maroc et est parlé par 90% de la population, car il joue également le rôle de langue véhiculaire entre arabophones et berbérophones.</p>
<h2>4. Le passage à l’écrit de l’arabe dialectal marocain et standardisation</h2>
<p>L’écriture en arabe marocain dialectal n’est pas un fait nouveau, en réalité, son utilisation à l’écrit remonte à des écrits anciens de la littérature et de l’art populaires associés à l’oralité tels que les poèmes de Malhoun et de Zajal et le théâtre populaire. Ensuite, comme l’ont souligné plusieurs chercheurs marocains et étrangers, depuis les années 2000, on assiste à une augmentation intéressante de l’usage écrit de l’arabe dialectal marocain dans différents domaines, la presse écrite notamment le magazine Nichan et le journal Al Massae (Aguadé 2006, 2012, Miller 2012), la publicité (Miller 2012, 2015, 2017), le Code de la route (Messaoudi 2002), l’internet (Atifi 2003, Berjaoui 2001, Caubet 2016, Moscoso 2009, Berjaoui 2002), les SMS (Benítez-Fernández 2003, Caubet 2004) et enfin les réseaux sociaux (Caubet 2012, 2013) qui ont donné à l’écriture de l’arabe dialectal marocain un élan très important.</p>
<p>À propos de ce passage à l’écrit de la darija sur les environnements numériques, Dominique Caubet parle d’une <q>littératie numérique</q> qui se développe par <q>le biais d’un apprentissage collectif, non institutionnel</q> (Caubet 2017 : 391). Catherine Miller va jusqu’à dire qu’il s’agit d’une <q>standardisation et d’une institutionnalisation par les usagers</q> (Miller 2017 :109) d’une darija écrite contemporaine. À l’inverse, Gunvor Mejdell évoque une <q>dé-standardisation</q> (Gunvor 2017 : 68) de la langue arabe produite par l’avènement de la communication numérique et l’écriture de l’arabe vernaculaire et mixte.</p>
<p>Or, s’il semble y avoir une « littératie numérique », une « standardisation » ou encore une « dé-standardisation », l’observation des pratiques orthographiques réelles des usagers sur les espaces numériques montre qu’il y a certes une « normalisation » de l’usage de la darija écrite, mais la « normativisation » de cette langue semble être un long chemin à parcourir. En d'autres termes, si l'utilisation de l'écriture de cette langue est devenue un fait normal dans la communication numérique, l'établissement de normes orthographiques spécifiques à cette langue semble être une entreprise délicate, car d'une part les divergences observées dans les pratiques d'écriture sont très présentes, d'autre part parce que la question des normes linguistiques est controversée dans le contexte sociolinguistique marocain, compte tenu du profil des utilisateurs, de leurs intentions et de leurs idéologies. Ainsi, on peut s'interroger sur la légitimité de qualifier en termes de déviances ou de transgressions les divergences observées dans les pratiques orthographiques des utilisateurs de l'arabe dialectal marocain à l'écrit, d'autant plus qu'il n'y a pas d'accord sur ce qui constitue les normes orthographiques de la darija.</p>
<h2>5. Normes et pratiques de l’arabe marocain écrit sur les espaces numériques</h2>
<p>Au début, l’écriture de l’arabe dialectal se limitait à la graphie latine sur les claviers français, faute de ne pas pouvoir avoir l’accès aux claviers arabes. La graphie arabe a commencé à arriver au Maroc en 2009 avec la généralisation des claviers arabes et l’interface arabe de Facebook. Et à partir de 2014-2015, avec l’arrivée des claviers téléchargeables sur les smartphones, l’utilisation des claviers arabes est devenue plus courante.</p>
<p>Nous allons dans un premier temps décrire et analyser les habitudes orthographiques constatées dans la graphie arabe, puis dans un second temps nous aborderons la graphie latine.</p>
<h3>5.1. Analyse des habitudes orthographiques dans la graphie arabe</h3>
<p>En adoptant une démarche comparative, nous tenterons de comparer l’écriture de l’arabe dialectal marocain avec une autre variété de l’arabe, à savoir l’arabe standard. L’objectif est d’évoquer des phénomènes d’écriture semblables ou divergents.</p>
<h4>5.1.1. Les interdentales : notées, bien que non-réalisées à l’oral</h4>
<p>Les interdentales, ṯ, ḏ et ḏ̣ de l’arabe standard qui sont généralement passées aux dentales avoisinantes à savoir t, d, et ḍ et donc non réalisées en arabe dialectale marocain, on les retrouve souvent transcrites.</p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Exemples :</span></span></span></span></span></span></p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(1) <b>ظروف</b> معنكشة (<i>ḏ̣urūf mʔankša </i>« des conditions difficiles »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(2) لحماق <b>هذا</b> (<i>l-ḥmāq haḍa</i>̄ « c’est la folie »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(3) ربعين درهم <b>وكثر</b> (<i>rbʔīn dərham w kṯ̣ar </i>« quarante dirhams et plus »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(4) خاصو <b>كثر</b> من <b>ثمن</b> السلعة (<i>xāṣū kṯ̣ar mən ṯ̣aman s-səlʔa </i>« il doit augmenter le prix de la marchandise ».</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>Cependant, elles sont peu écrites dans les déictiques et les conjonctions.</p>
<p>Exemples :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(5) <b>هاد</b> الأحداث ( <i>hād l-ʔaḥdāṯ </i>« ces événements »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(6) <b>داك</b> الشي (<i>dāk š-šī </i>« c’est ça »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(7) ديال <b>هاد</b> الوقت (<i>dyāl hād l-waqt </i>« de ce temps »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(8) <b>ودوك</b> الملايرية (<i>w dūk l-mlayriyya </i>« et ces milliardaires »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>Ainsi, l’existence de l’écriture de ces interdentales peut être justifiée par la recherche de régularité en s’approchant le plus possible des normes de l’écriture de l’arabe standard.</p>
<h4>5.1.2. Assimilations et aphérèses : présence de deux comportements orthographiques</h4>
<p>Pour les assimilations et les aphérèses, on note deux comportements orthographiques dans leur notation :</p>
<p>Certains usagers suivent les normes de l’écriture de l’arabe standard en ne marquant pas les assimilations et les aphérèses comme le prescrit la norme de cette langue. D’autres ont tendance à écrire <strong>phonétiquement</strong>, en fondant parfois les formes des mots, comme dans l’exemple (9) <em>fin mālqa raṣu</em>, écrit <em>fimālqa raṣu</em>, avec une assimilation de la dernière consonne de la préposition fin à la particule ma-. De même, l’indice de personne <em><strong>n-</strong></em> assimilé par la consonne initiale <em><strong>r </strong></em>du verbe, disparaît dans la graphie (10) <em>bġitu-na n-rәžʕu l-lūr, </em>écrit<em> bġitu-na rәžʕu l-lū</em>r. Enfin dans l’expression (11) <em>bāš yqdər yxdəm ʔawtani</em>, le mot <em>ʔawdtani </em>prononcé <em>ʔawtani</em> avec aphérèse de <strong><em>d</em></strong>. on le trouve écrit comme il se prononce.</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(9) </span></span></span></b><b><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">فمالقى</span></span></span></b><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> راسو</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> ( <b><i>fin mālqa </i></b><i>raṣu </i>« où il se trouve », écrit <b><i>fimālqa </i></b><i>raṣu</i>)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(10) <b>رجعو</b> لل</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ور</span></span></span> <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">بغتونا</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> ( <i>bġitu-na <b>n-rәžʕu</b> l-lūr </i>« vous voulez que nous retournions en arrière, écrit <i>bġitu-na <b>rәžʕu</b> l-lūr </i>)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(11) باش يقدر يخدم <b>عاوتان</b> (<i>bāš yqdər yxdəm <b>ʔawdtani</b> </i>« pour qu’il puisse travailler encore », écrit <i>bāš yqdər yxdəm <b>ʔawtani</b> </i>) </span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<h4 style="margin-top: 3px; margin-left: 48px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span style="break-after:avoid"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-weight:bold">5.1.3. Les voyelles longues : un problème récurrent dans l’arabe marocain ayant des répercussions sur son écriture</span></span></span></span></span></h4>
<p>La question des voyelles longues en parlers de l’arabe marocain est discutable. Le problème phonologique de savoir si telle voyelle est effectivement réalisée longue, ou seulement moyenne est souvent posé par les linguistes. Ce problème a évidemment des répercussions sur l’orthographe de l’arabe marocain dialectal. En effet, on remarque des différences d’un usager à l’autre et parfois chez le même usager.</p>
<p>Par exemple, à la conjugaison suffixale, dans l’indice de personnes à la 2ème pers. du singulier -ti, la voyelle est brève. Mais on peut la trouver écrite avec une longue :<em> kūntī, bqitī, ymšī</em></p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(12) كنتي</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> (<i>kūntī </i>« tu étais »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(13) <b>بقيتي</b> تما ( <i>bqitī təma </i>« tu es resté là »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(14) <b>يمشي</b> لبلادو (<i>ymšī l-blādu</i>̄ « qu’il parte à son pays »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>Il en est de même des pronoms affixes de la 3e personne du masculin singulier, réalisés [u] en arabe dialectal ; ils sont très majoritairement écrits ū : <em>sləʔtū, l-blādū.</em></p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(15) سلعتو</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> (<i>sləʔtū </i>« sa marchandise »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(16) يمشي <b>لبلادو</b> (<i>ymšī l-blādū </i>« qu’il parte à son pays »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>On trouve des allongements également dans des mots qui n’en contiennent pas par exemple : <em>mūškīl, mūškīla.</em></p>
<ul>
<li style="margin-left: 40px;">(17) <strong>موشكيل</strong> (<em>mūškīl</em> « problème »)</li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(18) <b>موشكيلة</b> حقيقية هادي (<i>mūškīla ḥaqīqiyya hādi</i>̄ « une vraie problématique celle-là »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<h4>5.1.4. La négation</h4>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px">La particule de négation <em><strong>ma </strong></em>pose également problème dans sa notation. Deux questions se posent, la première concerne sa longueur, la deuxième est son rattachement ou pas à la forme verbale. En effet, on trouve une forme longue qui n’est pas rattachée à la forme verbale ماقبلتيهاش مابغيتيش ; comme on peut trouver une forme brève, attachée à la forme verbale : <span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">مكيفوتوش</span></span></span></span></span></span></p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(19)ماقبلتيهاش</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> (<i>māqbəltīhāš </i>« tu ne l’as pas acceptée »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(20) </span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">مابغيتيش</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> (<i>mābġītīš </i>« tu n’as pas voulu ») ou une forme brève </span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">مكيفوتوش</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> (<i>makayfūtūš </i>« ils ne dépassent pas »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>Les pluriels des verbes sont majoritairement écrits « <strong>و </strong>» ou parfois « <strong>وا </strong>» comme en arabe standard :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(21)قادو</span></span></span></b><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> لينا</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> ( <i>qādd<b>ū</b> līna </i>« faites-nous »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(22) نبيعو نشريو ( <i>nbīʔū nšrīw </i>« nous vendons et nous achetons »)</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(23) نسمعو</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ا</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> ليها </span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> ( <i>nsmʔū līha </i>« on l’écoute »)</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>De manière générale, deux tendances d’écriture en caractères arabes peuvent être observées dans les comportements orthographiques des usagers de l’arabe dialectal marocain sur les environnements numériques :</p>
<p style="margin-left: 40px;">- La première tend à être la plus régulière possible en respectant autant que faire se peut les normes de l’arabe standard. On la trouve surtout sur les sites web des journaux électroniques.</p>
<p style="margin-left: 40px;">- La seconde est irrégulière, divergente purement phonétique, relâchée, échappant à toutes normes, pratiquée notamment sur les réseaux sociaux numériques.</p>
<h3>5.2. Analyse des habitudes orthographiques dans la graphie latine</h3>
<p>Les habitudes d’écriture en graphie latine sont apparues à partir des années 2000 avec l’apparition des téléphones portables pour envoyer des SMS. À cette époque, les claviers arabes n’étaient pas disponibles, on cherchait donc à adapter des phonèmes marocains à la graphie latine en recourant notamment aux chiffres pour transcrire les graphèmes manquants. Par ailleurs, les normes de l’orthographe française sont bien présentes dans ces habitudes d’écriture.</p>
<h4>5.2.1. Utilisation des chiffres pour des graphèmes manquants</h4>
<p>Les chiffres 9, 7, 5 et 3 sont utilisés, par ressemblances avec les lettres arabes (<span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">ق</span>, ح, <span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt">خ</span>, ع), pour transcrire respectivement les phonèmes /q/, /ḥ/, /x/, /ʔ/ inexistants dans le système phonétique français :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(24) Le 9 pour le /q/ </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(par ressemblance à la lettre qaf ق de l’arabe) : <i>matwaf9ich</i> « n’accepte pas », <i>b9a</i> « reste », <i>tri9ek</i> « ta route »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(25) Le 7 pour le /ḥ/ </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(par ressemblance à la lettre ḥa </span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ح</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> de l’arabe) : <i>7yatek</i> « ta vie », <i>7a9ou</i> « son droit »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(26) Le 5 pour le /x</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">/ (par ressemblance à la lettre kha</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">خ </span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(très rare)) : <i>5ay</i> « mon frère »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(27) Le 3 pour le /ʔ/ </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(par ressemblance à la lettre ʔayn </span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-MA" style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ع</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> de l’arabe) : <i>y3tewak</i> « ils te donnent », <i>ba3da</i> « quand-même », <i>rja3t</i> « je suis retourné »</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p>Il est à noter que les doublets (gh/r, ḥ/h,kh/5) sont très fréquents ce qui crée des confusions, mais il semble que cela n’affecte pas la compréhension grâce au travail de reconstruction du sens par le déchiffrage et la lecture (Caubet 2017).</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(28) Le /ġ/ est transcrit gh ou r, </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">avec un risque de confusion avec le phonème /r/ : <i>ratb9a</i> / <i>ghatb9a</i> « tu resteras »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(29) Le /ḥ/ et le /h / </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">: <i>yferhek ou yfer7ek </i>« te rend heureux », <i>hyatek</i>, <i>7yatek</i> « ta vie »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(30) Le /x/ est transcrit kh, x ou 5 </span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">: <i>khouya</i> /<i>xouya</i>/ <i>5ouya</i> « mon frère » </span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<h4>5.2.2. Influence des normes de l’orthographe française</h4>
<p>Dans la graphie latine, l’influence des normes de l’orthographe française est importante ; on trouve par exemple :</p>
<p style="margin-left: 40px;">-<strong> Les digrammes</strong> : groupe de deux lettres représentant un seul phonème.</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(31) gh</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> <b>pour le ghayn [ġ] </b>: <i>lmaghrib</i> « le Maroc », <i>sghir</i> « petit », <i>ghali</i> « cher »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(32) ss</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> <b>pour [s] </b>: <i>nnass</i> « les gens », <i>ybouss li rassi </i>« il m’embrasse la tête »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(33) ch</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> <b>pour [š] </b>: <i>3ayech</i> « il vit », <i>makayench</i> « il n’y a pas », <i>3lach</i> « pourquoi »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(34) kh</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> <b>pour [x]: </b><i>lkhout</i> « les frères », <i>wakha</i> « d’accord », <i>khdma</i> « travail »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(35) ou</span></span></span></b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> <b>pour [u] </b>: <i>douk</i> « ceux », <i>bedlihoum</i> « change les », <i>walou</i> « rien »</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p style="margin-left: 40px;">-<strong> </strong><strong>Le e muet du français</strong> qui apparait souvent en fin de mot :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(36) <i>kifache</i> « comment »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(37) <i>nichane</i> « direct »</span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p style="margin-left: 40px;"><strong>- Le ə, voyelle d’aperture moyenne</strong> de l’arabe marocain se trouve noté e (voyelle du français) :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(38) <i>3ayech</i> « il vit »</span></span></span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(39) <i>gales</i> « assis » </span></span></span></span></span></span></li>
</ul>
<p style="text-align:justify; text-indent:-18pt; margin-bottom:11px; margin-left:48px"><strong><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">-</span></span></span></span></span></span> La gémination </strong>est parfois marquée par une double consonne parfois n’est pas marquée bien qu’elle existe à l’oral.</p>
<ul>
<li style="margin-left: 80px;">(40) bzzaf / bzaf « beaucoup »</li>
</ul>
<p>En général, plusieurs procédés sont adoptés, mais il n’y a pas des régularités. Cette écriture est principalement phonétique, relâchée, pratiquée surtout sur des espaces informels notamment les réseaux sociaux.</p>
<p>Par ailleurs, le choix du clavier latin permet une alternance codique arabe marocain/français très fluide. Ainsi tous les éléments de cette alternance jouissent d’un statut égal et se fusionnent au point de produire une langue difficilement dissociable comme dans extrait ci-dessous où il est presque impossible de distinguer les deux langues :</p>
<ul>
<li style="text-align: justify; margin-bottom: 11px; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(41) « La femme arabe est (…) la seule et l’unique fautive <i>tsbar otskot</i>. Ben oui <i>ach daha</i> <i>t3ich</i> avec son temps, <i>tdkhol lfacebook, ach daha tdir</i> une photo de profil <i>halal 3leikom</i> <i>wa haram 3aleyna</i> = skyzophrénie »</span></span></span><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></span></span></span></span></a></span></span></span></li>
</ul>
<h2>6. Discussion des résultats<span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-weight:bold"> </span></span></span></h2>
<p>Les similitudes et les divergences présentées ci-avant sont loin d’être exhaustives, mais elles nous donnent une vision générale sur les habitudes orthographiques des usagers de l’arabe dialectal à l’écrit sur les environnements numériques.</p>
<p>Qu’il s’agisse des habitudes inconscientes ou des décisions conscientes, <q>la manière d’écrire n’est jamais neutre</q> (Miller 2017 : 91) ; ces choix orthographiques sont à considérer comme des phénomènes métalinguistiques, socialement conditionnés, qui mettent en lumière les attitudes des usagers à l'égard de l’utilisation écrite de l’arabe dialectale marocain et la relation qu’ils entretiennent avec l’arabe dialectal et l’arabe standard. « Veulent-ils s’approcher de l’arabe standard ? Ou, au contraire veulent-ils marquer une rupture entre l’arabe dialectal et le standard ? ». À titre d’exemple, un locuteur dont l’idéologie linguistique est pro-arabe penche pour suivre les normes de l’arabe standard dans l’écriture de l’arabe dialectal marocain afin d’être plus adéquat avec cette langue.</p>
<p>Dans ce sens, il faut souligner que le rapport de la darija à l’arabe standard est très discutable au Maroc ; d’un point de vue diglossique (si on se base sur la définition classique de la diglossie faite par Ferguson en 1959), l’arabe standard est considéré comme la variété haute (H), jouit généralement d'un grand prestige, remplit des fonctions formelles et il est utilisé pour tous les usages écrits. En revanche, l’arabe dialectal (Darija), la variété basse (L), est utilisé dans la communication orale et informelle, il n'a pas d'orthographe officielle standard. Son écriture tolère, par la force de l’écrit, une certaine influence des normes historiques de l’arabe standard lors de l’utilisation de la graphie arabe ou du français lors de l’utilisation de la graphie latine vu que cette dernière jouit, elle aussi, d’un grand prestige auprès des locuteurs marocains. En somme, le mode écrit tire dans certaine mesure les usagers vers des formes standards, par la force des conventions d’écriture.</p>
<p>Ces comportements orthographiques dépendent également du profil des utilisateurs ainsi que de leur prononciation liée à leurs différents contextes régionaux et culturels (Boukous, 1995). Ainsi, pour un même mot, différentes orthographes sont utilisées. Par exemple, le mot <em>muhim</em> « important » a plusieurs translittérations différentes : <em>mohim, mouhim, mohime,mouhime, moheme, mouheme, mohem, mouhem</em>…. Par ailleurs, un locuteur plutôt francophone ou ayant reçu son enseignement en langue française au cours de son parcours scolaire ou professionnel, et donc plus à l’aise avec le clavier latin, utilisera ce clavier pour transcrire l’arabe dialectal marocain. En revanche, un locuteur plus arabophone, dont la scolarisation est faite majoritairement en langue arabe standard, recourt évidemment à l’utilisation du clavier arabe.</p>
<h2>7. Conclusion</h2>
<p>Pour conclure, peut-on dire donc que l’arabe dialectal marocain, langue qui n’a pas de normes orthographiques, est en train d’en fabriquer dans la pratique sur les espaces numériques ?</p>
<p>D’une part, d’après notre analyse, que ce soit en graphie arabe ou en graphie latine, il semble qu’on assiste à la mise en place des formes nouvelles d’orthographe et des régularités en construction. En effet, nous avons pu identifier deux tendances dans l’écriture de l’arabe dialectal marocain : la première cherche à être la plus régulière possible en respectant les normes de l’arabe standard et en voulant ainsi s’en rapprocher, et l’autre, à caractère plutôt phonétique, très influencée par l’orthographe française, adopte des symboles et des chiffres par l’usage répété. D’autre part, il paraît qu’en absence d’un aménagement officiel, les divergences sont bien présentes plus que les régularités. Ces divergences sont liées à plusieurs facteurs, d’une part, aux profils des usagers (leur scolarisation, leurs idéologies linguistiques, s’ils sont plutôt arabophones ou bilingues, la variété de l’arabe marocain qu’ils parlent…), aux contextes des écrits (presses électroniques, forums, réseaux sociaux…); d’autre part, elles sont d’ordre linguistique relatives à des phénomènes linguistiques connexes à la structure interne de l’arabe marocain à savoir la question des voyelles longues, les interdentales, le problème délicat du schwa, les assimilations, etc., ainsi que le rapport de la Darija à l’arabe standard.</p>
<p>Finalement, il faut souligner que le fait de rester « hors-normes » permet une certaine créativité et liberté d’expression. Il ne semble pas y avoir de contraintes tangibles sur la manière d’écrire puisque la notion de faute n’existe pas et chaque utilisateur improvise sa propre orthographe et est donc plus libre de s’exprimer.</p>
<h2>Références bibliographiques</h2>
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<p>Atifi, H. (2003). « La variation culturelle dans les communications en ligne : analyse ethnographique des forums de discussions marocains ».<em> Langage et Société</em> 104: 57– 82.</p>
<p>Benítez Fernández, M. (2003). «Transcripción al árabe marroquí de mensajes de teléfono móvil». <em>EDNA </em>7: 153–163.</p>
<p>Berjaoui, N. (2001). «Aspects of the Moroccan Arabic Orthography with Preliminary Insights from the Moroccan Computer-Mediated Communication». 431–468 in <em>Chat-Kommunikation: Sprache, Interaktion, Sozialität & Identität in synchroner computervermittelter Kommunikation</em>, edited by M. Beißwenger. Stuttgart : Bidem-Verlag.</p>
<p>Boukous, A. (1995). <em>Société, langue et culture au Maroc</em>. Rabat. Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines.</p>
<p>Boukous, A. (2021). "Langues, utopies et idéologies : le cas du Maroc". <em>Circula</em>, (13-14), 119–134. <a href="https://doi.org/10.17118/11143/19255">https://doi.org/10.17118/11143/19255</a></p>
<p>Caubet, D. (2004). « L’intrusion des téléphones portables et des SMS dans l’arabe marocain en 2002–2003 ». 247–270 in <em>Parlers Jeunes ici et là-bas, pratiques et représentations</em>, edited by Dominique Caubet et als. Paris : l’Harmattan.</p>
<p>Caubet, D. (2012). « Apparition massive de la dārija à l’écrit à partir de 2008–2009 : sur le papier et sur la toile : quelle graphie ? Quelles régularités?». 377–402 in <em>De los manuscritos medievales a internet: la presencia del arabe vernaculo en las fuentes escritas</em>, edited by Mohamed Meouak, Pablo Sanchez & Angela Vicente. Zaragoza: Universidad de Zaragoza.</p>
<p>Caubet, D. (2013). « Maroc 2011 – Messagerie instantanée sur l’internet marocain : Facebook, dārija et parlers jeunes ». 207–220 in <em>Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du xxième siècle </em>edited by Montserrat Benítez Fernández, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter, & Yousef Tamer. Paris: l’Harmattan.</p>
<p>Caubet, D. (2017). «Morocco: An Informal Passage to Literacy in Darija (Moroccan Arabic) », Høigilt, Jacob & Mejdell, Gunvor (eds.), <em>The Politics of Written Language in the Arab World - Writing Change</em>, Leiden: Brill. 116-141.</p>
<p>Caubet, D. (2019). « Vers une littératie numérique pour la darija au Maroc, une démarche collective ». In <em>Studies on Arabic Dialectology and Sociolinguistics. Proceedings of the 12th International Conference of AIDA held in Marseille from 30th May- 2nd June 2017</em>. Catherine Miller, Alexandrine Barontini, Marie-Aimée Germanos, Jairo Guerrero et Christophe Pereira (dir), Livres de l’IREMAM.</p>
<p>Ferguson, C. (1959). Diglossia. <em>Word </em>15. 325-340.</p>
<p>Mejdell, G. (2017). «Changing Norms, Concepts and Practices of Written Arabic: A ‘Long Distance’ Perspective», Høigilt, Jacob & Mejdell, Gunvor (eds.), <em>The Politics of Written Language in the Arab World - Writing Change</em>, Brill. 68-89.</p>
<p>Messaoudi, L. (2002). « Les technolectes et les ressources linguistiques. L’exemple du code de la route au Maroc ».<em> Langage et Société 99</em> : 53–75.</p>
<p>Miller, C. (2012). « Observations concernant la présence de l’arabe marocain dans la presse marocaine arabophone des années 2009–2010 ». 419–440 in D<em>e los manuscritos medievales a internet: la presencia del arabe vernaculo en las fuentes escritas</em>; edited by Mohamed Meouak, Pablo Sanchez & Angela Vicente. Zaragoza: Universidad de Zaragoza.</p>
<p>Miller, C. (2017). « Contemporary Dārija Writings in Morocco: Ideology and Practices », Høigilt, Jacob & Mejdell, Gunvor (eds.), <em>The Politics of Written Language in the Arab World - Writing Chang</em>e, Brill. 90-115.</p>
<p>Moscoso Garciá, F. (2009). «Comunidad lingüistica marroqui en los foros y chats. Expresion escrita, norma o anarquia?». <em>Al-Andalus-Maghreb 16</em>: 209–226.</p>
<p>Siouffi, G., & Steuckardt, A. (éds). (2007). <em>Les linguistes et la norme</em>. Berne: Peter Lang.</p>
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<hr align="left" size="1" width="33%" />
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<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">[1</span></span></span></span></span></a></span></span><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">]</a> Extrait d’une publication sur Facebook montrant l’intrication du français et de l’arabe marocain au point de ne former qu’une seule langue</p>
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