<h3>Abstract</h3> <p>Part of the originality of Chlo&eacute; Delaume&#39;s work lies in her desire to vary the media in which she creates. It was this question that, under the title &quot;S&#39;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&quot; (Writing beyond paper), was the focus of the study day on 5 November 2014 organised by RIRRA 21 at the Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry-Montpellier 3 [1]. It was part of a series of meetings between researchers and writers of the extreme contemporary with the aim of reflecting on the use that the latter make of new media, the original practices that arise from them and the necessary redefinition, in this context, of the notions of work and author.</p> <p>It seemed to us that Chlo&eacute; Delaume&#39;s hybridisation of media was closely associated with her autofictional practice and, more broadly, with her identity as a writer. For the purposes of this dossier, we therefore felt it desirable to add more recent articles that would allow us to explore in greater depth the question of the choice of autofiction and perhaps also to incorporate the idea of a move away from this mode of writing.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;originalit&eacute; du travail de Chlo&eacute; Delaume r&eacute;side en partie dans son d&eacute;sir de varier les supports de cr&eacute;ation. C&rsquo;est cette question qui, sous le titre de &laquo;&nbsp;S&rsquo;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&nbsp;&raquo; a &eacute;t&eacute; au centre de la journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude du 5 novembre 2014 organis&eacute;e par le RIRRA 21 &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry-Montpellier 3&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Elle s&rsquo;inscrivait dans un cycle de rencontres entre chercheurs et &eacute;crivains de l&rsquo;extr&ecirc;me contemporain dans le but de r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; l&rsquo;utilisation que ces derniers font des nouveaux medias, aux pratiques originales qui en d&eacute;coulent et &agrave; la n&eacute;cessaire red&eacute;finition, dans ce contexte, des notions d&rsquo;<em>&oelig;uvre</em>&nbsp;et d&rsquo;<em>auteur</em>.</p> <p>L&rsquo;hybridation des supports nous a sembl&eacute; &ecirc;tre &eacute;troitement associ&eacute;e chez Chlo&eacute; Delaume &agrave; sa pratique autofictionnelle et, de fa&ccedil;on plus large, &agrave; son identit&eacute; d&rsquo;&eacute;crivaine. Il nous est donc apparu souhaitable, pour la publication de ce dossier, d&rsquo;ajouter des articles plus r&eacute;cents qui permettent d&rsquo;approfondir cette question du choix de l&rsquo;autofiction et peut-&ecirc;tre aussi d&rsquo;int&eacute;grer l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un &eacute;loignement de ce mode d&rsquo;&eacute;criture.</p> <h2><strong>Na&icirc;tre de la litt&eacute;rature</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Chlo&eacute; Delaume, de son vrai nom Nathalie Dalain, d&rsquo;origine franco-libanaise est n&eacute;e &agrave; Versailles le 10 mars 1973. &Agrave; l&rsquo;&acirc;ge de dix ans, elle est t&eacute;moin du meurtre de sa m&egrave;re par son p&egrave;re et du suicide de celui-ci. Marqu&eacute;e par ce drame familial, elle a commenc&eacute; &agrave; &eacute;crire pour ma&icirc;triser sa propre histoire et a pratiqu&eacute; l&rsquo;autofiction exp&eacute;rimentale aux antipodes des productions culturelles de masse.</p> <p>Son nom d&rsquo;&eacute;crivaine est bien plus qu&rsquo;un simple pseudonyme&nbsp;: Chlo&eacute; Delaume est n&eacute;e de la litt&eacute;rature puisqu&rsquo;elle porte le pr&eacute;nom de l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne de&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;cume des jours</em>&nbsp;de Boris Vian et que son patronyme est emprunt&eacute; &agrave; Antonin Artaud, qui, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; il &eacute;tait hospitalis&eacute; &agrave; Rodez, a traduit le 6<sup>e</sup>&nbsp;chapitre de&nbsp;<em>La Travers&eacute;e du miroir</em>&nbsp;de Lewis Carroll, sous le titre &laquo;&nbsp;L&rsquo;arve et l&rsquo;aume&nbsp;&raquo;.</p> <p>Quand Chlo&eacute; parle de ce que d&rsquo;autres appelleraient son&nbsp;<em>&oelig;uvre</em>, elle utilise les termes&nbsp;<em>laboratoire</em>,&nbsp;<em>chantier</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>exp&eacute;riences</em>. Ses productions artistiques constituent un ensemble dont on ne peut que constater l&rsquo;ouverture, la pluralit&eacute;, le caract&egrave;re polymorphe. Ces textes, ces productions artistiques t&eacute;moignent volontairement d&rsquo;un travail, d&rsquo;une d&eacute;marche, plus encore que de son aboutissement. &laquo;&nbsp;Je fais des tentatives, je ne suis pas dans l&rsquo;&oelig;uvre, juste dans la recherche&nbsp;&raquo;, lit-on dans le bref essai&nbsp;<em>S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi&nbsp;</em><a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Une place y est souvent laiss&eacute;e pour le lecteur et une place grandissante dans les plus r&eacute;cents chantiers. Des pans entiers du travail de Chlo&eacute; Delaume &agrave; travers les performances, les diff&eacute;rentes versions de son site, les interventions de chroniqueuse, le travail li&eacute; aux m&eacute;dias officiels comme alternatifs, ne se laissent pas assigner une place. Il y a toujours quelque chose de l&rsquo;ordre de la profusion, du d&eacute;bordement m&ecirc;me si tout est reli&eacute;, si tout prend sens, mais d&rsquo;une fa&ccedil;on radicalement contemporaine, selon des &eacute;chos, des rhizomes. &laquo;&nbsp;Seuls m&rsquo;importent processus, tuyauteries, protocoles. J&rsquo;explore un point c&rsquo;est tout&nbsp;&raquo;, a-t-elle d&eacute;clar&eacute; dans le m&ecirc;me texte&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> <p>Par ailleurs, elle n&rsquo;est pas seulement &eacute;crivaine et artiste, mais aussi &eacute;ditrice et journaliste. Elle a &eacute;t&eacute; longtemps directrice de la collection &laquo;&nbsp;extraction&nbsp;&raquo; chez Joca Seria. Elle a travaill&eacute; quelques ann&eacute;es comme journaliste litt&eacute;raire pour&nbsp;<em>Le Matricule des Anges</em>, &eacute;crit dans diff&eacute;rentes revues litt&eacute;raires et politiques. Elle est aussi chroniqueuse. Depuis peu, elle anime des ateliers d&rsquo;&eacute;criture, des cercles de lecture et d&eacute;veloppe en 2017 un projet th&eacute;&acirc;tral collectif&nbsp;: &laquo;&nbsp;Libert&eacute;-parit&eacute;-sororit&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p>Depuis novembre 2003, elle a un site internet, o&ugrave; elle utilise largement les liens hypertextuels et toutes les possibilit&eacute;s du lien texte/image. Ce site a &eacute;t&eacute; plusieurs fois reconstruit, en accord avec l&rsquo;&eacute;volution de ses pratiques litt&eacute;raires.</p> <h2><strong>S&rsquo;&eacute;crire dans des livres</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Chlo&eacute; Delaume est aujourd&rsquo;hui l&rsquo;auteur d&rsquo;un peu plus de vingt livres. Son premier ouvrage&nbsp;<em>Les Mouflettes d&rsquo;Atropos&nbsp;</em>a &eacute;t&eacute; publi&eacute; chez Leo Scheer en 2000 mais c&rsquo;est le second,&nbsp;<em>Le Cri du Sablier</em>, publi&eacute; en 2001 chez le m&ecirc;me &eacute;diteur, couronn&eacute; par le prix D&eacute;cembre qui l&rsquo;a fait conna&icirc;tre &agrave; un large public. Ce r&eacute;cit fait largement r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement traumatique survenu lorsqu&rsquo;elle avait 10 ans. Dans un entretien avec Thierry Guichard publi&eacute; dans le n&ordm;100 de la revue&nbsp;<em>Le Matricule des Anges&nbsp;</em>(2009), l&rsquo;&eacute;crivaine s&rsquo;interrogeait sur d&rsquo;&eacute;ventuels malentendus de lecture, li&eacute;s &agrave; une prise en compte exclusive de l&rsquo;histoire racont&eacute;e, alors que son projet d&rsquo;&eacute;criture principal est dans le recours &agrave; une prose exp&eacute;rimentale, proche de la po&eacute;sie.&nbsp;<em>Le Cri du Sablier</em>&nbsp;est un texte hybride qui associe la violence de ce qui est narr&eacute; &agrave; une &eacute;criture po&eacute;tique riche en suppressions d&rsquo;articles, ruptures de construction, appositions, vers blancs, mots rares etc. (&laquo;&nbsp;syntaxe ecchymos&eacute;e&nbsp;&raquo;, selon l&rsquo;expression de l&rsquo;auteur).</p> <p>D&rsquo;autres livres ont suivi, toujours fond&eacute;s sur un travail rigoureux du style et de la forme. Sur le site internet de l&rsquo;&eacute;crivaine &ndash;&nbsp;o&ugrave; figurent pour chaque ouvrage des indications g&eacute;n&eacute;riques&nbsp;&ndash; le mot<em>&nbsp;autofiction&nbsp;</em>revient fr&eacute;quemment. Chlo&eacute; Delaume indique &ecirc;tre l&rsquo;auteur de &laquo;&nbsp;roman(s) autofiction(s)&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;r&eacute;cit(s) autofiction(s)&nbsp;&raquo; et aussi de &laquo;&nbsp;po&eacute;sie autofiction&nbsp;&raquo;. Quelques rares livres &eacute;chappent &agrave; cette classification, notamment celui qui a &eacute;t&eacute; publi&eacute; en 2016,&nbsp;<em>Les Sorci&egrave;res de la R&eacute;publique</em>.</p> <p><em>J&rsquo;habite dans la t&eacute;l&eacute;vision</em>, publi&eacute; en 2006, est le compte rendu d&rsquo;une exp&eacute;rience, celle de l&rsquo;exposition &agrave; haute dose &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision durant vingt-deux mois, texte d&eacute;velopp&eacute; &agrave; partir de performances et de chroniques pour la revue&nbsp;<em>Le Matricule des Anges</em>.</p> <p>En 2007, Chlo&eacute; Delaume publie un livre-jeu&nbsp;<em>La Nuit je suis Buffy Summers</em>, qui emprunte sa forme aux &laquo;&nbsp;Livres dont vous &ecirc;tes le h&eacute;ros&nbsp;&raquo;, et son personnage &agrave; la s&eacute;rie t&eacute;l&eacute;vis&eacute;e am&eacute;ricaine&nbsp;:&nbsp;<em>Buffy The Vampire Slayer</em>. Elle y joue habilement avec les codes de la &laquo;&nbsp;fan-fiction&nbsp;&raquo; tout en les traitant au second degr&eacute; et les associant &agrave; un questionnement sur les encha&icirc;nements narratifs et l&rsquo;activit&eacute; du lecteur.</p> <p>Avec&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, en 2009, appara&icirc;t une nouvelle notion jusque l&agrave; implicite, celle de l&rsquo;&eacute;criture performative. La narratrice dit vouloir que ses textes aient un effet dans le r&eacute;el. Avec ce livre-ci elle aimerait tuer sa grand-m&egrave;re, qui lui a r&eacute;cemment fait transmettre l&rsquo;information selon laquelle l&rsquo;auteur du double crime de 1983 n&rsquo;est pas son v&eacute;ritable p&egrave;re, affirmation qui vient remettre en question son identit&eacute; personnelle et son identit&eacute; d&rsquo;&eacute;crivaine difficilement construite.</p> <p>Elle est l&rsquo;auteur de trois pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre. L&rsquo;une d&rsquo;entre elles &ndash;&nbsp;<em>Eden matin midi et soir</em>&nbsp;&ndash; est un monologue lors duquel une jeune femme d&eacute;crit le mal dont elle souffre (baptis&eacute; thanatopathie) qui la pousse &agrave; choisir la mort et le suicide. Cette pi&egrave;ce a &eacute;t&eacute; mise en sc&egrave;ne en 2009 au th&eacute;&acirc;tre de la M&eacute;nagerie de verre.</p> <p>En 2010, elle publie,&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je</em>, essai th&eacute;orique sur l&rsquo;autofiction dans lequel elle prend position sur sa mani&egrave;re personnelle de la pratiquer.</p> <p>En 2013, elle se lance dans une nouvelle exp&eacute;rience, celle de l&rsquo;&eacute;criture &agrave; quatre main &agrave; travers la publication, avec son compagnon le journaliste Daniel Schneidermann de&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>, roman et autofiction (si l&rsquo;on en croit son site) narrant un voyage au Liban en qu&ecirc;te d&rsquo;un contact avec sa famille paternelle et des souvenirs de sa petite enfance. Apparaissent dans ce livre de nombreuses r&eacute;f&eacute;rences aux engagements politiques de ses oncles paternels dont l&rsquo;un, Georges Ibrahim Abdallah, a &eacute;t&eacute; &agrave; l&rsquo;origine du FARL (Fraction arm&eacute;e r&eacute;volutionnaire libanaise) et condamn&eacute; dans les ann&eacute;es 80 &agrave; la prison &agrave; perp&eacute;tuit&eacute;.</p> <p>Enfin&nbsp;<em>Les Sorci&egrave;res de la R&eacute;publique,</em>&nbsp;livre publi&eacute; en 2016, n&rsquo;est plus sous-titr&eacute; autofiction, ni sur sa couverture ni dans la pr&eacute;sentation sur le site de l&rsquo;auteur. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un roman situ&eacute; en 2062, dans un univers dystopique, o&ugrave; dieux et d&eacute;esses tentent vainement d&rsquo;intervenir dans le devenir de l&rsquo;humanit&eacute;. On y retrouve, dans un style toujours aussi &eacute;labor&eacute; et dans le registre de l&rsquo;humour d&eacute;capant, les th&egrave;mes des &oelig;uvres pr&eacute;c&eacute;dentes (critique sociale, critique de la manipulation des individus par les m&eacute;dias dominants, apologie des valeurs de solidarit&eacute; f&eacute;minine etc.) mais sans r&eacute;f&eacute;rence &agrave; son histoire personnelle et familiale.</p> <p>Plusieurs de ses livres enfin ont &eacute;t&eacute; &eacute;crits en collaboration avec des artistes visuels. La dimension d&rsquo;ouverture &agrave; la fois vers d&rsquo;autres modes d&rsquo;expression et d&rsquo;autres cr&eacute;ateurs est importante dans sa pratique.</p> <h2><strong>&laquo;&nbsp;Par-del&agrave; le papier&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4"><strong>[4]</strong></a>&nbsp;&raquo;</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Le choix syst&eacute;matique de l&rsquo;hybridation d&eacute;j&agrave; pratiqu&eacute; par Chlo&eacute; Delaume au sein des livres, &agrave; travers le m&eacute;lange des genres ou l&rsquo;&eacute;criture &agrave; quatre mains, donne &eacute;galement lieu &agrave; des croisements de supports. Le son, l&rsquo;image vid&eacute;o, les possibilit&eacute;s offertes par l&rsquo;&eacute;criture num&eacute;rique ou la pr&eacute;sence r&eacute;elle sur sc&egrave;ne sont autant d&rsquo;espaces m&eacute;diatiques, qu&rsquo;elle investit, les associant tout en explorant leurs sp&eacute;cificit&eacute;s.</p> <p>Dans le domaine du son et de la musique, elle investit son &eacute;poque sans complexe, assumant d&rsquo;&ecirc;tre fan du groupe de rock fran&ccedil;ais Indochine. &Agrave; son go&ucirc;t pour ce groupe elle a consacr&eacute; un roman en 2007 (<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>) et sign&eacute; les paroles d&rsquo;une de leurs chansons&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les aubes sont mortes&nbsp;&raquo;. Elle a &eacute;galement &eacute;t&eacute; paroli&egrave;re pour d&rsquo;autres musiciens. On peut aussi mentionner ses cr&eacute;ations sonores pour la radio. Elle a con&ccedil;u un&nbsp;<em>Atelier de cr&eacute;ation radiophonique</em>&nbsp;diffus&eacute; en 2004&nbsp;par France Culture : &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai le souffle trop court pour 31 bougies&nbsp;&raquo;, essai sonore associ&eacute; &agrave; une composition musicale de Julien Loquet et Dorine_Muraille sur le th&egrave;me de la solitude. Ses pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre ont toutes &eacute;t&eacute; diffus&eacute;es &agrave; la radio et l&rsquo;une d&rsquo;elles (<em>Transhumances</em>) a &eacute;t&eacute; r&eacute;dig&eacute;e suite &agrave; une commande de fiction radiophonique par France Culture. Parmi ses travaux personnels ou collaborations li&eacute;s &agrave; la musique, on peut signaler le fait qu&rsquo;une bande-son est associ&eacute;e au livre&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>&nbsp;et qu&rsquo;une playlist est disponible sur des sites d&rsquo;&eacute;coute de musique en ligne en relation avec&nbsp;<em>La derni&egrave;re fille avant la guerre</em>.</p> <p>Le jeu vid&eacute;o est &eacute;galement int&eacute;gr&eacute; &agrave; ses cr&eacute;ations. Elle a utilis&eacute; le jeu de simulation de vie des Sims, dans lequel elle s&rsquo;est cr&eacute;&eacute; un avatar t&eacute;l&eacute;chargeable et utilisable par d&rsquo;autres joueurs. Elle-m&ecirc;me s&rsquo;en est servie &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de performances. Sur son site, elle &eacute;crit qu&rsquo;elle devient &laquo;&nbsp;un petit personnage de jeu vid&eacute;o format&eacute;, soumis &agrave; des r&egrave;gles diff&eacute;rentes du monde r&eacute;el&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;elle con&ccedil;oit le jeu comme &laquo;&nbsp;territoire d&rsquo;investigation po&eacute;tique&nbsp;&raquo;, comme &laquo;&nbsp;g&eacute;n&eacute;rateur de fiction doubl&eacute; d&rsquo;un outil technique singulier&nbsp;&raquo;. De cette exp&eacute;rience t&eacute;moigne le livre&nbsp;<em>Corpus simsi,</em>&nbsp;(&laquo;&nbsp;jeu vid&eacute;o autofiction&nbsp;&raquo;) constitu&eacute; de documents divers, captures d&rsquo;&eacute;cran, journal de jeu etc.</p> <p>En 2015, elle s&rsquo;engage dans l&rsquo;&eacute;criture num&eacute;rique et publie avec le vid&eacute;aste Franck Dion,&nbsp;<em>Alienare</em>, application num&eacute;rique disponible en ligne, constitu&eacute;e de textes, son et vid&eacute;o. &Agrave; propos de cette exp&eacute;rience elle d&eacute;clare&nbsp;: &laquo;&nbsp;avec l&rsquo;hybridit&eacute;, on peut soudain toucher &agrave; quelque chose qui est une forme d&rsquo;art total.&nbsp;&raquo;</p> <p>Elle a aussi r&eacute;alis&eacute; un film, un court-m&eacute;trage,&nbsp;<em>La Contribution,&nbsp;</em>pr&eacute;sent&eacute; &agrave; Cannes en 2015.</p> <p>Enfin, elle est performeuse. Ses performances se d&eacute;veloppent en relation avec l&rsquo;&eacute;criture de ses livres en amont ou en aval de la publication. Lors de ces repr&eacute;sentations elle a recours &agrave; la musique &eacute;lectronique, &agrave; la vid&eacute;o et &agrave; la projection d&rsquo;images informatiques. Ce sont souvent des cr&eacute;ations collectives, auxquelles elle a associ&eacute;, avec les rencontres du&nbsp;<em>Parti du cercle,</em>&nbsp;une dimension de c&eacute;r&eacute;monie et une r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la magie.</p> <h2><strong>Autofiction</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Un terme utilis&eacute; depuis quelques d&eacute;cennies dans la critique litt&eacute;raire et journalistique se voit donc utilis&eacute; de fa&ccedil;on r&eacute;currente par Chlo&eacute; Delaume&nbsp;: celui&nbsp;<em>d&rsquo;autofiction</em>. &laquo;&nbsp;Voil&agrave; maintenant dix ans que mon laboratoire affiche Autofiction r&eacute;sidence principale&nbsp;&raquo;, lit-on dans&nbsp;<em>La R&egrave;gle du jeu</em>, l&rsquo;essai qu&rsquo;elle a consacr&eacute; &agrave; cette s&eacute;rie litt&eacute;raire. Comme pour Serge Doubrovsky, cr&eacute;ateur du n&eacute;ologisme, on peut dire que pour Chlo&eacute; Delaume, deux mani&egrave;res diff&eacute;rentes de d&eacute;finir l&rsquo;autofiction se compl&egrave;tent et s&rsquo;&eacute;clairent mutuellement.</p> <p>La premi&egrave;re s&rsquo;oriente vers l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;entre-deux. L&rsquo;autofiction est un genre ambigu, &agrave; la fois autobiographique (respect du principe de l&rsquo;homonymat auteur/narrateur/personnage principal) et fictionnel (mention roman ou distorsions &eacute;videntes par rapport &agrave; la r&eacute;alit&eacute;). Ainsi pens&eacute;e, cette s&eacute;rie litt&eacute;raire entretient des liens avec l<em>&lsquo;hybridation</em>, l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute;, l&rsquo;entre-deux, domaines dans lesquels se situent ind&eacute;niablement les chantiers de Chlo&eacute; Delaume</p> <p>Selon une seconde approche, l&rsquo;autofiction reposerait sur l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un &eacute;change, d&rsquo;une inversion du lien entre la vie r&eacute;elle et l&rsquo;univers de la cr&eacute;ation, voire d&rsquo;une indistinction entre les notions de personne et de personnage. Selon ce point de vue, la vie se mod&egrave;le par anticipation sur son devenir artistique et l&rsquo;&oelig;uvre devient plus vraie que l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue. Serge Doubrovsky parlait d&eacute;j&agrave; de &laquo;&nbsp;confier le langage d&rsquo;une aventure &agrave; l&rsquo;aventure du langage.&nbsp;&raquo; Cette seconde d&eacute;finition de l&rsquo;autofiction s&rsquo;applique &agrave; Chlo&eacute; Delaume, qui se d&eacute;finit de fa&ccedil;on r&eacute;currente comme &laquo;&nbsp;personnage de fiction&nbsp;&raquo; et dont les travaux sont toujours fond&eacute;s sur une d&eacute;marche de recherche identitaire, qui s&rsquo;origine non dans la vie r&eacute;elle mais dans le langage et dans la litt&eacute;rature. &laquo;&nbsp;Faire de sa vie une &oelig;uvre d&rsquo;art, et d&rsquo;une &oelig;uvre d&rsquo;art sa vie&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;, lit-on dans&nbsp;<em>S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi.</em></p> <p>Sa sp&eacute;cificit&eacute; au sein de l&rsquo;autofiction est &agrave; la fois d&rsquo;avoir pleinement pris au mot le projet de Serge Doubrovsky, mais aussi de lui donner un sens politique. En des temps o&ugrave; la notion d&rsquo;autofiction est fr&eacute;quemment utilis&eacute;e par les journalistes sans contenu r&eacute;el ou mise au service de l&rsquo;&eacute;talage de l&rsquo;intimit&eacute; et des r&egrave;glements de comptes personnels, Chlo&eacute; Delaume a adopt&eacute; un &eacute;thos qui met cette pratique au service de la lib&eacute;ration des personnes. Chez elle, l&rsquo;autofiction se fait subversive, devient un geste politique d&eacute;non&ccedil;ant l&rsquo;uniformisation galopante et l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une fiction collective ali&eacute;nante engendr&eacute;e par les m&eacute;dias de masse. Sa r&eacute;flexion et sa pratique prennent pleinement en compte celle des sociologues, autour de l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle l&rsquo;identit&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la modernit&eacute; avanc&eacute;e serait d&eacute;finie par des mod&egrave;les biographiques ext&eacute;rieurs &agrave; l&rsquo;individu. Elle se situe dans la perspective du livre de Christian Salmon&nbsp;:&nbsp;<em>Storytelling</em>, selon lequel nos vies sont &eacute;crites &agrave; notre insu de fa&ccedil;on normative, visant en partie &agrave; modeler nos comportements et nos choix. Elle &eacute;crit dans&nbsp;<em>La R&egrave;gle du je</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Vivre son &eacute;criture, ne pas vivre pour &eacute;crire. &Eacute;crire non pour d&eacute;crire, mais bien pour modifier, corriger, fa&ccedil;onner, transformer le r&eacute;el dans lequel s&rsquo;inscrit sa vie&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Du r&eacute;el effectuer une modification. C&rsquo;est &agrave; &ccedil;a que &ccedil;a sert, aussi, l&rsquo;autofiction. Imposer le temps interne &agrave; l&rsquo;horloge du dehors. Agir, avoir une prise, forcer les &eacute;v&eacute;nements&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>.&nbsp;&raquo; Chlo&eacute; Delaume &eacute;crit pour changer le r&eacute;el, pour se r&eacute;approprier sa vie.</p> <h2><strong>Hybridation et bifurcations</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Une autre notion peut servir de fil conducteur &agrave; l&rsquo;approche du travail de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;: celle&nbsp;<em>d&rsquo;hybridation</em>&nbsp;(et par voie de cons&eacute;quence&nbsp;<em>bifurcation</em>). Par ces termes, il faut non seulement comprendre l&rsquo;hybridation des supports (ou des modes d&rsquo;expression), mais aussi l&rsquo;usage au sein d&rsquo;un support donn&eacute; de processus qui rel&egrave;vent d&rsquo;un autre domaine. Cette id&eacute;e nous semble &ecirc;tre commune aux trois premiers articles de ce dossier&nbsp;: ceux d&rsquo;Ana&iuml;s Guilet, d&rsquo;Anne Roche et de Marika Piva.</p> <p>Ana&iuml;s Guilet &eacute;tudie les performances de Chlo&eacute; Delaume (des premi&egrave;res lectures des&nbsp;<em>Mouflettes d&rsquo;Atropos</em>&nbsp;aux performances multim&eacute;dia de&nbsp;<em>Corpus Simsi</em>&nbsp;et jusqu&rsquo;aux r&eacute;centes rencontres du&nbsp;<em>Parti du cercle</em>) et constate qu&rsquo;elle sont &agrave; la fois une m&eacute;diation du litt&eacute;raire (car elles se d&eacute;veloppent &agrave; partir de lectures publiques), mais aussi une d&eacute;territorialisation du litt&eacute;raire dans le sens o&ugrave; cette notion n&rsquo;est plus pour elle (comme pour un certain nombre de ses contemporains tels Fran&ccedil;ois Bon, Pierre Guyotat ou &Eacute;ric Chevillard) exclusivement li&eacute;e au livre. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment le lien entre livre et litt&eacute;rature que Chlo&eacute; Delaume, tout en restant dans une primaut&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture et de la parole, souhaite d&eacute;passer. Cette d&eacute;marche est en relation directe avec le projet central d&rsquo;&eacute;criture autofictionnelle, car l&rsquo;utilisation de sa propre personne permet &agrave; Chlo&eacute; Delaume de prendre possession d&rsquo;un corps qu&rsquo;elle ne ressent pas pleinement comme sien. Sa pr&eacute;sence r&eacute;elle sur une sc&egrave;ne met en &oelig;uvre pleinement la dimension performative de la litt&eacute;rature pr&eacute;sente dans ses livres et qui trouve ainsi un aboutissement.</p> <p>Anne Roche &eacute;tudie dans son article un autre mode de d&eacute;passement du livre sous sa forme traditionnelle&nbsp;: le roman interactif, avec&nbsp;<em>La nuit je suis Buffy Summers</em>. L&rsquo;interm&eacute;dialit&eacute; en est constitu&eacute;e par le fait que les choix op&eacute;r&eacute;s par les lecteurs rappellent ceux de la litt&eacute;rature num&eacute;rique et que le personnage de Buffy est issu d&rsquo;une s&eacute;rie t&eacute;l&eacute;vis&eacute;e. La figure intertextuelle et interm&eacute;diatique du vampire sert de fil conducteur &agrave; cet article, dans lequel est largement prise en compte la dimension performative des livres de Chlo&eacute; Delaume. Selon Anne Roche, l&rsquo;&eacute;crivaine se fait vampire au sens o&ugrave; elle utilise, recycle, enterre un vaste mat&eacute;riau issu d&rsquo;&oelig;uvres ant&eacute;rieures et de tous types d&rsquo;&oelig;uvres&nbsp;: s&eacute;ries t&eacute;l&eacute;vis&eacute;es, fantasy, science-fiction, cin&eacute;ma.</p> <p>Si la notion de bifurcation jouait un r&ocirc;le important dans l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;Anne Roche, il se trouve repris et amplifi&eacute; dans l&rsquo;article de Marika Piva, qui montre qu&rsquo;au sein des livres de Chlo&eacute; Delaume sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre des processus qui viennent subvertir une pratique litt&eacute;raire traditionnelle, processus qui sont ceux de l&rsquo;expression artistique hors des livres. Chlo&eacute; Delaume importe, au sein d&rsquo;une pratique de l&rsquo;&eacute;criture narrative, des processus qui la font &eacute;clater, la transforment en kal&eacute;idoscope, la pratiquant en des modes qui la poussent vers ses limites. Elle ne respecte pas la limite entre univers romanesque et monde r&eacute;el, pas plus que la fronti&egrave;re entre r&eacute;cit et r&eacute;flexion, utilisant largement le vocabulaire des sciences humaines dans des textes narratifs. En unissant des &eacute;l&eacute;ments h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes, elle dynamite les formes traditionnelles. M&ecirc;me chose au niveau de la phrase dont elle fait exploser la syntaxe. Elle utilise abondamment une intertextualit&eacute; qui emprunte &agrave; tous les genres et m&eacute;dias possibles et implique le lecteur en le mettant face &agrave; des choix</p> <h2><strong>L&rsquo;identit&eacute; d&rsquo;&eacute;crivaine</strong><br /> &nbsp;</h2> <p>Les trois articles de Dawn Cornelio, Annie Pibarot et Florence Th&eacute;rond explorent la question de l&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;auteur Chlo&eacute; Delaume.</p> <p>Le point de d&eacute;part de l&rsquo;&eacute;tude de Dawn Cornelio est la question du lien entre Chlo&eacute; Delaume et Nathalie Dalain, lien qui ne saurait consister simplement en une opposition personne r&eacute;elle/ &ecirc;tre de papier ou nom d&rsquo;&eacute;tat civil/pseudonyme. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;&eacute;tude de Dawn Cornelio est d&rsquo;utiliser la biographie, non pour mettre en &eacute;vidence des d&eacute;formations op&eacute;r&eacute;es par la fiction mais pour &eacute;clairer le processus de cr&eacute;ation. Dawn Cornelio pour la premi&egrave;re fois dans la critique universitaire sur Chlo&eacute; Delaume s&rsquo;appuie sur des documents d&rsquo;&eacute;tat civil et des articles de journaux qui attestent d&eacute;finitivement de la v&eacute;racit&eacute; du double crime paternel en dehors des &eacute;crits litt&eacute;raires. L&rsquo;aspect le plus nouveau de cette &eacute;tude est la r&eacute;v&eacute;lation de l&rsquo;existence d&rsquo;un fr&egrave;re de Nathalie Dalain &acirc;g&eacute; de trois ans lors du crime et pr&eacute;sent ce jour-l&agrave;, d&eacute;tail ignor&eacute; jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent par les critiques, montrant clairement la diff&eacute;rence entre Chlo&eacute; Delaume fille unique et Nathalie Dalain dot&eacute;e d&rsquo;un petit fr&egrave;re. Ainsi est &eacute;clair&eacute; le processus de constitution d&rsquo;une nouvelle identit&eacute; fond&eacute;e sur le rejet et l&rsquo;oubli de la premi&egrave;re.</p> <p>Annie Pibarot suit au sein des livres de Chlo&eacute; Delaume un double itin&eacute;raire. Le premier parcours est celui de la relation &agrave; l&rsquo;origine&nbsp;: la m&egrave;re, le p&egrave;re, l&rsquo;enfance, la filiation libanaise et les engagements politiques du clan paternel. Le second est celui de l&rsquo;&eacute;thos de l&rsquo;&eacute;crivaine, son identit&eacute; d&rsquo;auteur et sa relation &agrave; l&rsquo;autofiction. Les deux fils sont de toute &eacute;vidence li&eacute;s. L&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;auteur constitu&eacute;e d&rsquo;abord &agrave; partir de la haine du p&egrave;re est ensuite remise en question par le vide r&eacute;v&eacute;l&eacute; lors de la confidence familiale, avant d&rsquo;&eacute;voluer vers une qu&ecirc;te de sens dans le r&eacute;el, d&eacute;j&agrave; plus autobiographique qu&rsquo;autofictionnelle. En lien avec cette &eacute;volution en est effectu&eacute;e une autre&nbsp;: celle de l&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;auteur, de la d&eacute;finition du projet d&rsquo;&eacute;criture. Celui-ci, apr&egrave;s &ecirc;tre majoritairement rest&eacute; dans la sph&egrave;re de l&rsquo;autofiction et l&rsquo;entre-deux qui la sous-tend, semble s&rsquo;orienter vers un choix entre l&rsquo;&eacute;criture du r&eacute;el (avec&nbsp;<em>O&ugrave; le sang nous appelle</em>) et la fiction narrative (avec&nbsp;<em>Les sorci&egrave;res de la R&eacute;publique</em>).</p> <p>Dans son article consacr&eacute; &agrave; la pi&egrave;ce&nbsp;<em>Eden&nbsp;matin midi et soir</em>, Florence Th&eacute;rond montre que, malgr&eacute; un certain &eacute;loignement de l&rsquo;autofiction, Chlo&eacute; Delaume poursuit, avec le personnage d&rsquo;Ad&egrave;le, son propre travail de construction identitaire. Cet &laquo;&nbsp;ouvrage sur le refus de vivre&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;, &eacute;crit en m&ecirc;me temps que&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, pourrait bien avoir une valeur cathartique : il fallait traverser la mort pour faire le choix de la vie, &laquo;&nbsp;mettre les mains dans la mort&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;&raquo;, examiner minutieusement les ravages de la thanatopathie sur l&rsquo;esprit et le corps, pour parvenir &agrave; reprendre le contr&ocirc;le et se ressaisir de sa vie en litt&eacute;rature. Par ailleurs cette pi&egrave;ce, la seule dans l&rsquo;&oelig;uvre de Chlo&eacute; Delaume &agrave; avoir &eacute;t&eacute; pens&eacute;e directement pour le th&eacute;&acirc;tre, pour la voix et le corps d&rsquo;une com&eacute;dienne en particulier, est embl&eacute;matique de sa conception de l&rsquo;&eacute;criture comme prise de parole hors du livre. Les extraits ici publi&eacute;s de l&rsquo;entretien du 5 novembre 2014 entre Thierry Guichard et Chlo&eacute; Delaume&nbsp;viennent confirmer le souci chez elle d&rsquo;accoucher d&rsquo;une langue qui soit la sienne (elle qui a v&eacute;cu plusieurs mois d&rsquo;aphasie apr&egrave;s la mort des parents), de la mettre en mouvement et d&rsquo;en faire un &laquo;&nbsp;outil guerrier&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;, en particulier au th&eacute;&acirc;tre, lieu de l&rsquo;&eacute;motion productrice supposant la pr&eacute;sence du spectateur. Les lectures propos&eacute;es par l&rsquo;auteur lors de la journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude du 5 novembre 2014 et pr&eacute;sent&eacute;es dans ce dossier (le chapitre 17&nbsp;<em>d&rsquo;Une femme avec personne dedans</em>, les incipits du&nbsp;<em>Cri du sablier</em>&nbsp;et de&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, le d&eacute;but d&rsquo;<em>Eden&nbsp;matin midi et soir&nbsp;</em>et un texte pr&eacute;paratoire &agrave; l&rsquo;&eacute;criture des&nbsp;<em>Sorci&egrave;res de la R&eacute;publique</em>) viennent confirmer la dramaticit&eacute; des textes de Chlo&eacute; Delaume.</p> <p>D&rsquo;autres &eacute;chos peuvent &ecirc;tre per&ccedil;us entre ces derniers articles et l&rsquo;entretien avec Thierry Guichard&nbsp;: Chlo&eacute; se plaint par exemple du fait que l&rsquo;id&eacute;e a &eacute;t&eacute; avanc&eacute;e sur des r&eacute;seaux sociaux selon laquelle le crime de son p&egrave;re aurait &eacute;t&eacute; invent&eacute;. Des preuves sont ici donn&eacute;es par Dawn Cornelio. Thierry Guichard attire l&rsquo;attention sur l&rsquo;importance de l&rsquo;ant&eacute;biographie, celle de Nathalie Dalain avant m&ecirc;me la naissance de Chlo&eacute; Delaume comme auteur et personnage de fiction. Cette ant&eacute;biographie est largement prise en compte dans les deux articles de Dawn Cornelio et Annie Pibarot, &agrave; travers les r&eacute;f&eacute;rences &agrave; l&rsquo;enfance libanaise, au p&egrave;re et &agrave; la nomination avant m&ecirc;me le crime. Ces deux articles et l&rsquo;entretien convergent vers un essai pour dire la situation paradoxale de na&icirc;tre dans la fiction, d&rsquo;&ecirc;tre un personnage de roman mais aussi une &eacute;crivaine dot&eacute;e d&rsquo;un corps bien r&eacute;el, une jeune femme active dans des projets politiques et collectifs, pratiquant les performances, animant des ateliers d&rsquo;&eacute;criture.</p> <p>Les diff&eacute;rents travaux ici pr&eacute;sent&eacute;s montrent tous &agrave; quel point la pratique de la litt&eacute;rature chez Chlo&eacute; Delaume est nouvelle et originale. Chez elle l&rsquo;authenticit&eacute; rejoint l&rsquo;exp&eacute;rimentation et ne recule devant aucune nouvelle piste. Tout est susceptible d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;pass&eacute;, renvers&eacute;, selon une conception de l&rsquo;&eacute;criture comme exploration incessante de tous les possibles, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un genre, d&rsquo;un support ou en les croisant, int&eacute;grant l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, la collectivit&eacute;, l&rsquo;humour.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;&ldquo;S&rsquo;&eacute;crire par-del&agrave; le papier&rdquo;&nbsp;: hybridation des formes et des supports dans l&rsquo;&oelig;uvre autofictionnelle de Chlo&eacute; Delaume&nbsp;&raquo;, journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude organis&eacute;e le 5 novembre 2014, en pr&eacute;sence de Chlo&eacute; Delaume, par le RIRRA21, Annie Pibarot et Florence Th&eacute;rond (programme &laquo;&nbsp;La litt&eacute;rature &agrave; l&rsquo;heure du num&eacute;rique&nbsp;&raquo;), Universit&eacute; Montpellier 3.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi</em>, document t&eacute;l&eacute;chargeable, Publie.net, 2008, p.&nbsp;4.</p> <p><a href="#_ftn3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;<em>Id.</em></p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Expression utilis&eacute;e par Chlo&eacute; Delaume dans&nbsp;<em>S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p.&nbsp;25.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;<em>S&rsquo;&eacute;crire mode d&rsquo;emploi</em>,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>La R&egrave;gle du Je</em>, Paris, PUF, 2010, p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;73.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, &laquo;&nbsp;Points&nbsp;&raquo;, 2012, p.&nbsp;69.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Chlo&eacute; Delaume,&nbsp;<em>Dans ma maison sous terre</em>, Paris, Seuil, 2009, p.&nbsp;189.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Une femme avec personne dedans</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 72&nbsp;: &laquo; [&hellip;] modifier le r&eacute;el, la fiction et la langue sont des outils guerriers. Guerriers, oui, parfaitement.&nbsp;&raquo;</p>