<h3>Abstract</h3> <p>The&nbsp;<em>Entretiens</em>&nbsp;of Georges Charbonnier with Audiberti (1963) and Adamov (1964) testify to Charbonnier&rsquo;s supreme knowledge of their respective &oelig;uvres and, in particular, of the specificities of their dramatic and novelistic practice. This is evident from the precision and the pertinence of the, obviously well-researched, questions asked in the interviews. Charbonnier positions himself as the great instigator who steers the discussions in the direction he has envisaged and who manages to answer the questions posed to him without swerving from his path. His aim is to deliver the two writers of their poetics which makes the interviews, far from merely anecdotic texts, into important theoretical texts.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>poetry, Jacques Audiberti, Arthur Adamov, dramatic writing, novel writing, radio interviews</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Introduction<br /> &nbsp;</h2> <p>Georges Charbonnier (1921-1990), qui fut &agrave; la fois enseignant &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paris-Sorbonne, critique d&rsquo;art et producteur d&eacute;l&eacute;gu&eacute; &agrave; France Culture, s&rsquo;est r&eacute;guli&egrave;rement entretenu avec des &eacute;crivains comme Nathalie Sarraute, Audiberti, Ionesco, Queneau, Butor, Borg&egrave;s, Richard Wright, etc., des artistes, compositeurs comme Edgar Var&egrave;se, peintres comme Georges Braque, Jacques Villon, Jean Bazaine, Miro, Prassinos, Picabia, Soulages, Giacometti, Chagall, Tal Coat, Salvador Dali, Viera da Silva, Rouault, Dunoyer de Segonzac, Buffet, Fernand L&eacute;ger, Marcel Duchamp, etc., des philosophes comme Merleau-Ponty ou L&eacute;vi-Strauss, etc. Ses entretiens avec Jacques Audiberti et Arthur Adamov &ndash;&nbsp;entretiens avec deux &eacute;crivains dont l&rsquo;&oelig;uvre est quasi achev&eacute;e&nbsp;&ndash; que je vais analyser ici t&eacute;moignent d&rsquo;une connaissance magistrale de leurs deux &oelig;uvres et plus largement des sp&eacute;cificit&eacute;s de l&rsquo;&eacute;criture dramatique et de l&rsquo;&eacute;criture romanesque, comme le prouvent la pr&eacute;cision et la pertinence des questions pos&eacute;es aux deux &eacute;crivains, ce qui laisse &agrave; penser qu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; minutieusement pr&eacute;par&eacute;s, comme le montre &eacute;galement le plan qui se d&eacute;gage de l&rsquo;ensemble de ces questions, tr&egrave;s certainement pour la plupart pr&eacute;vues dans leur d&eacute;roulement avant le d&eacute;but des entretiens. Charbonnier s&rsquo;affirme comme le ma&icirc;tre d&rsquo;&oelig;uvre qui oriente les discussions dans la voie qu&rsquo;il a pr&eacute;alablement con&ccedil;ue, m&ecirc;me s&rsquo;il est lui-m&ecirc;me soumis par les deux &eacute;crivains &agrave; des questions auxquelles il r&eacute;pond sans pour autant d&eacute;vier de sa route. Tandis qu&rsquo;Audiberti, surtout connu pour son th&eacute;&acirc;tre, a aussi une longue pratique de l&rsquo;&eacute;criture po&eacute;tique et romanesque, Adamov, lui, s&rsquo;il n&rsquo;a &oelig;uvr&eacute; que pour la sc&egrave;ne, a tout de m&ecirc;me touch&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;criture romanesque puisqu&rsquo;il a r&eacute;&eacute;crit, &agrave; la demande de Planchon,&nbsp;<em>Les &Acirc;mes mortes</em>&nbsp;de Gogol&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. C&rsquo;est pour cette raison que, si dans l&rsquo;entretien avec Adamov les questions sont le plus souvent centr&eacute;es sur le th&eacute;&acirc;tre, elles portent aussi, en ce qui concerne Audiberti, sur les probl&egrave;mes du roman et de la po&eacute;sie. Le but que poursuit Charbonnier est de faire accoucher les deux &eacute;crivains d&rsquo;une po&eacute;tique, c&rsquo;est ce que je vais essayer de d&eacute;montrer, si bien que ces deux entretiens, loin d&rsquo;&ecirc;tre anecdotiques, constituent des textes th&eacute;oriques majeurs.</p> <p>Chacun de ces entretiens, diffus&eacute;s &agrave; un an d&rsquo;intervalle &agrave; peine, est divis&eacute; en une s&eacute;rie d&rsquo;enregistrements d&rsquo;une dur&eacute;e &agrave; peu pr&egrave;s identique qui commencent tous par une question de Georges Charbonnier, question qui s&rsquo;ouvre par le nom de son interlocuteur, nom repris maintes fois au cours de l&rsquo;entretien afin que l&rsquo;auditeur, surtout s&rsquo;il n&rsquo;a pas entendu le d&eacute;but, sache bien qui est &agrave; l&rsquo;antenne.</p> <h2>1.&nbsp;Entretiens avec Audiberti<br /> &nbsp;</h2> <p>Radiodiffus&eacute;s &agrave; l&rsquo;automne 1963, deux ans &agrave; peine avant la mort de l&rsquo;auteur, les dix&nbsp;<em>Entretiens&nbsp;</em>avec Jacques Audiberti sont publi&eacute;s chez Gallimard en 1965 o&ugrave; ils sont divis&eacute;s en dix chapitres dot&eacute;s chacun d&rsquo;un titre. Ils traitent de trois points essentiels&nbsp;: la d&eacute;finition de l&rsquo;&eacute;crivain et de son r&ocirc;le, l&rsquo;explicitation de certains points, g&eacute;n&eacute;tiques notamment, de l&rsquo;&oelig;uvre personnelle et, ce qui en constitue la partie la plus importante, une topologie des trois grands genres.</p> <p>Pour d&eacute;finir, &agrave; la demande de Charbonnier, l&rsquo;&eacute;crivain, ce qui est le but du premier et du quatri&egrave;me chapitre intitul&eacute;s respectivement &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;&raquo;, et &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;crivain dans la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;, Audiberti oppose celui qu&rsquo;il appelle l&rsquo;&eacute;crivain &laquo;&nbsp;en soi&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo; &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;criveur&nbsp;&raquo; et &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;crivant&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;crivain est celui qui &laquo;&nbsp;poss&egrave;de le langage&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>&nbsp;&raquo;, qui a parti li&eacute;e &laquo;&nbsp;d&rsquo;une mani&egrave;re r&eacute;galienne&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo; avec le langage, comme Baudelaire, &laquo;&nbsp;encore mieux, en tout cas tout autant&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;, Victor Hugo, ou encore Claudel, m&ecirc;me si Audiberti confie n&rsquo;avoir gu&egrave;re de sympathie pour l&rsquo;homme. Quant aux &laquo;&nbsp;&eacute;criveurs&nbsp;&raquo;, ces &laquo;&nbsp;r&eacute;dacteurs &eacute;rudits, attentifs et abondants, d&rsquo;encyclop&eacute;dies ou d&rsquo;articles techniques&nbsp;&raquo; qui composent des trait&eacute;s, &oelig;uvres philosophiques, psychiatriques, etc., le langage n&rsquo;est pour eux qu&rsquo;un instrument. Audiberti cite, &agrave; titre d&rsquo;exemple, le g&eacute;ographe &Eacute;lys&eacute;e Reclus&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>&nbsp;ou l&rsquo;anthropologue L&eacute;vy Br&uuml;hl&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Quant aux &laquo;&nbsp;&eacute;crivants&nbsp;&raquo;, qui &eacute;crivent des romans, des articles, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est-&agrave;-dire le tout-venant journalistique, l&rsquo;&eacute;chotier, le dialoguiste, le sc&eacute;nariste, et ainsi de suite&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;, ils ne &laquo;&nbsp;visent pas haut&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>&nbsp;&raquo;, ce ne sont pas des &laquo;&nbsp;&eacute;crivains absolus&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>&nbsp;&raquo;. Ils manquent du &laquo;&nbsp;s&eacute;rieux fondamental des &eacute;crivains&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>&nbsp;&raquo;. Ces derniers, eux, utilisent le langage pour tenter d&rsquo;aborder les rapports de l&rsquo;homme &laquo;&nbsp;avec ce qui est au-del&agrave; ou au-dessus de l&rsquo;homme, avec Dieu, avec la mort et avec l&rsquo;amour&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est dans le sillage du rhapsode qu&rsquo;Audiberti, d&eacute;sireux de mettre en acte la parole po&eacute;tique, se situe volontairement.</p> <blockquote> <p>En ce qui concerne donc la masse des choses que j&rsquo;&eacute;crivis, si on met bout &agrave; bout romans, po&egrave;mes, et presque toutes mes pi&egrave;ces de th&eacute;&acirc;tre, je crois en effet que c&rsquo;est le mot &laquo;&nbsp;&eacute;pop&eacute;e&nbsp;&raquo; qui correspondrait &agrave; cela, car les termes y sont sommaires, peu nombreux, insistants&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>.</p> </blockquote> <p>De cette d&eacute;finition de l&rsquo;&eacute;crivain d&eacute;coule la conception n&eacute;oromantique de son r&ocirc;le, abord&eacute;e, &agrave; la demande de Charbonnier, dans les chapitres 4, 5 et 10, intitul&eacute;s &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;crivain dans la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Mages et langage&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Le z&eacute;ro plein&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;crivain, selon Audiberti qui pourrait reprendre &agrave; son compte l&rsquo;assertion c&eacute;l&egrave;bre de Terence &laquo;&nbsp;<em>homo sum et humani nihil a me alienum puto&nbsp;&raquo;</em>, se doit de clamer tout ce qui est de l&rsquo;homme, &laquo;&nbsp;[&hellip;] c&rsquo;est celui qui est capable de formuler par &eacute;crit la masse disons po&eacute;tique qui tra&icirc;ne dans la t&ecirc;te et dans le c&oelig;ur des hommes quelconques&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;&raquo;. Son regret, c&rsquo;est qu&rsquo;il n&rsquo;est plus possible qu&rsquo;il y ait des mages comme l&rsquo;&eacute;taient, dans le pass&eacute;, Hugo, Tolsto&iuml; ou Zola. Le mage moderne devrait pouvoir rendre compte non seulement de l&rsquo;homme mais de l&rsquo;univers des machines.</p> <blockquote> <p>Est-ce qu&rsquo;il est possible pour une litt&eacute;rature de mage, actuellement, de raconter des &eacute;pop&eacute;es qui ne seraient pas stendhaliennes, o&ugrave; l&rsquo;on ne verrait pas toujours l&rsquo;homme au centre de ce qui l&rsquo;entoure, mais o&ugrave;, sur le m&ecirc;me plan, l&rsquo;homme, les objets, les machines et les engins participeraient &agrave; un ch&oelig;ur unanime, o&ugrave; l&rsquo;homme ne se distingue pas de ce qui l&rsquo;entoure et o&ugrave; ce qui entoure l&rsquo;homme est rempli d&rsquo;une dilution d&rsquo;homme&nbsp;? Je veux dire&nbsp;: le mage abhumaniste, le mage nouveau, celui qui rassemblerait autour de son &oelig;uvre tous les publics, doit-il &ecirc;tre &agrave; la fois dans l&rsquo;&acirc;me humaine et en m&ecirc;me temps dans l&rsquo;&acirc;me des machines&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>&nbsp;?</p> </blockquote> <p>Cet &eacute;crivain qui r&ecirc;ve, par la richesse de la langue, d&rsquo;embrasser le monde, ne doit pas entrer dans l&rsquo;ar&egrave;ne mais se retrancher &laquo;&nbsp;dans sa tour d&rsquo;ivoire&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo; pour se consacrer &agrave; son &oelig;uvre, loin de tout engagement, de toutes d&eacute;rives fanatiques.</p> <blockquote> <p>[&hellip;] s&rsquo;il est question d&rsquo;un marxiste, ou d&rsquo;un catholique, ou d&rsquo;un ing&eacute;nieur, ou d&rsquo;un occultiste, ou d&rsquo;un artiste, non seulement avec attention, mais avec respect, je m&rsquo;efforcerai de comprendre, et, de toute fa&ccedil;on, j&rsquo;aimerai, et j&rsquo;aime chacune de ces m&eacute;thodes ou de ces attitudes tendant &agrave; expliquer le monde.</p> <p>Ce que je n&rsquo;aime pas, et ce que je repousse de toutes mes forces [&hellip;], c&rsquo;est la tentation de l&rsquo;une ou l&rsquo;autre de ces sectes ou, comme on dit, de ces disciplines &agrave; recouvrir l&rsquo;ensemble du monde &agrave; expliquer. J&rsquo;aime le marxisme, j&rsquo;aime le catholicisme, je l&rsquo;aime d&rsquo;ailleurs sp&eacute;cialement, j&rsquo;aime les arts, j&rsquo;aime l&rsquo;occultisme, mais que l&rsquo;une de ces tendances l&egrave;ve la t&ecirc;te et dise &laquo;&nbsp;c&rsquo;est moi qui recouvre tout&nbsp;&raquo;, alors je cesse de l&rsquo;aimer, alors je pense aux autres&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.</p> </blockquote> <p>Refusant tout engagement politique partisan, plein de m&eacute;fiance face aux id&eacute;ologies, comme bon nombre de ceux qui, li&eacute;s &agrave; la NRF, gravitent autour de Jean Paulhan, il prend &eacute;galement position contre Brecht en 1957, ce qui lui vaut d&egrave;s lors les foudres de&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre populaire</em>&nbsp;qui, auparavant, soutenait ses pi&egrave;ces. C&rsquo;est une telle position de neutralit&eacute; au sein de l&rsquo;&oelig;uvre qu&rsquo;Audiberti qualifie de &laquo;&nbsp;z&eacute;ro plein&nbsp;&raquo;, un z&eacute;ro positif par opposition &agrave; un z&eacute;ro vide, &agrave; un z&eacute;ro synonyme de n&eacute;ant, un &laquo;&nbsp;z&eacute;ro plein&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&eacute;barrass&eacute; de tout fanatisme dans un monde pacifi&eacute; o&ugrave; les hommes, malgr&eacute; des points de vue diff&eacute;rents, sont susceptibles de s&rsquo;accorder car ils ne croient pas que leur seule conviction soit la juste.</p> <p>Ayant fait &eacute;noncer par Audiberti sa conception de l&rsquo;&eacute;crivain, c&rsquo;est par un simple mot&nbsp;: &laquo;&nbsp;Images&nbsp;&raquo;, qui ouvre le chapitre VII que Georges Charbonnier l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; s&rsquo;expliquer sur les myst&egrave;res de la cr&eacute;ation, sur la fa&ccedil;on dont certaines pi&egrave;ces se sont impos&eacute;es &agrave; lui, comme&nbsp;<em>Le Mal court</em>, son chef-d&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je l&rsquo;ai &eacute;crit en &eacute;tat de transe, comme si&nbsp;<em>Le Mal court</em>&nbsp;avait &eacute;t&eacute; &eacute;crit quelque part dans l&rsquo;espace et que je n&rsquo;eusse qu&rsquo;&agrave; recopier ce qui &eacute;tait devant moi et au-del&agrave; de moi. J&rsquo;ai d&ucirc; l&rsquo;&eacute;crire en deux heures&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Alors qu&rsquo;Audiberti va pour d&eacute;vier sur un autre sujet, Charbonnier le ram&egrave;ne au moment de l&rsquo;&eacute;criture en lui demandant &laquo;&nbsp;combien d&rsquo;autres pi&egrave;ces sont n&eacute;es sur une impulsion&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>&nbsp;&raquo;. Audiberti s&rsquo;explique alors sur l&rsquo;origine de&nbsp;<em>L&rsquo;Amp&eacute;lour</em>, &laquo;&nbsp;une histoire qui met en sc&egrave;ne Napol&eacute;on le Grand, [&hellip;] l&rsquo;Amp&eacute;lour&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>&nbsp;&raquo;, histoire qui lui est venue d&rsquo;un souvenir d&rsquo;enfance&nbsp;:</p> <blockquote> <p>On me racontait des histoires qui avaient trait &agrave; notre vieille histoire de France et, entre ces histoires, il y avait la m&eacute;saventure de deux Antibois [&hellip;] qui avaient &eacute;t&eacute; pris dans la retraite de Russie. Vous imaginez ces Antibois &agrave; la B&eacute;r&eacute;sina&nbsp;! C&rsquo;&eacute;tait tr&egrave;s dur, il faisait tr&egrave;s froid, et l&rsquo;un disait &agrave; l&rsquo;autre, en langue proven&ccedil;ale&nbsp;: &laquo;&nbsp;Aie du courage, fais-toi courage&nbsp;&raquo; [&hellip;] Donc, l&rsquo;id&eacute;e de ces deux Antibois perdus dans les neiges de la B&eacute;r&eacute;sina, je ne sais pas exactement comment, a abouti &agrave; me faire &eacute;crire cette histoire,&nbsp;<em>L&rsquo;Amp&eacute;lour</em>, qui est aussi un mot proven&ccedil;al, qui veut dire, en notre langue d&rsquo;oc, l&rsquo;Empereur. Voyez-vous&nbsp;? C&rsquo;est parti de la m&eacute;saventure de ces deux Antibois perdus dans les neiges b&eacute;r&eacute;sinesques, et de fil en aiguille, je ne sais trop comment, cela est arriv&eacute; &agrave; faire cette pi&egrave;ce, l&rsquo;histoire de Napol&eacute;on Premier qui revient&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>[&hellip;].</p> </blockquote> <p>Comme la pens&eacute;e mythique, &laquo;&nbsp;cette bricoleuse&nbsp;&raquo; qu&rsquo;a si bien analys&eacute;e L&eacute;vi-Strauss, celle de l&rsquo;&eacute;crivain combine, de fa&ccedil;on souvent impr&eacute;visible pour l&rsquo;artiste lui-m&ecirc;me, des mat&eacute;riaux h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes, ce qui est le cas, comme le d&eacute;clare Audiberti pour l&rsquo;origine de deux de ses pi&egrave;ces,&nbsp;<em>Quoat-Quoat</em>&nbsp;et&nbsp;<em>La Fourmi dans le corps</em>.</p> <blockquote> <p>Je me rappelle, par exemple, que, dans un cabinet dentaire, le dentiste [&hellip;] me parlait d&rsquo;un sien oncle qui avait &eacute;t&eacute; au Mexique. De ces quelques mots &laquo;&nbsp;oncle&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Mexique&nbsp;&raquo;, est n&eacute;e la pi&egrave;ce qui s&rsquo;appelle&nbsp;<em>Quoat-Quoat</em>, qui fut la premi&egrave;re de mes pi&egrave;ces. Ce cabinet dentaire, qui se situait rue de Rivoli, &eacute;tait tapiss&eacute; de bois, de bois lisse, de bois blond,&nbsp;de bois clair, et ce bois [&hellip;] m&rsquo;a sugg&eacute;r&eacute; une cabine de navire. Donc, nous avons re&ccedil;u &laquo;&nbsp;oncle&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Mexique&nbsp;&raquo;, ensuite le bois clair de ce cabinet de dentiste, cabinet de navire&hellip; C&rsquo;est parti de l&agrave;.</p> <p>Plus tard [&hellip;], chez des gens, j&rsquo;ai vu un petit enfant, un gosse, [&hellip;] assez insistant, assez important physiquement, et c&rsquo;est &agrave; partir de cette vision que naquit dans mon esprit l&rsquo;&eacute;bauche de la pi&egrave;ce qui devait s&rsquo;appeler un jour&nbsp;<em>La Fourmi dans le corps&nbsp;</em><a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</p> </blockquote> <p>Charbonnier l&rsquo;interroge aussi sur la gen&egrave;se de ses romans,&nbsp;<em>Le Ma&icirc;tre</em>&nbsp;<em>de Milan</em>&nbsp;(chapitre VIII), &laquo;&nbsp;un roman &agrave; cl&eacute;s&nbsp;&raquo;, et&nbsp;<em>Les Jardins et les fleuves</em>&nbsp;(chapitre IX), &oelig;uvre dans laquelle Audiberti se peint sous les traits de l&rsquo;&eacute;crivain fictif, Alain Godde&nbsp;; il justifie ses interrogations ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;Chaque fois que je lis un roman, il y a une chose qui m&rsquo;int&eacute;resse. Je me demande &agrave; quelle tentation v&eacute;ritable a c&eacute;d&eacute; l&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.&nbsp;&raquo; Aussi en vient-il &agrave; une question plus directe&nbsp;: &laquo;&nbsp;pourquoi avez-vous &eacute;crit&nbsp;<em>Le Ma&icirc;tre de</em>&nbsp;<em>Milan&nbsp;?,</em>&nbsp;&agrave; quoi Audiberti r&eacute;pond&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Il se pourrait qu&rsquo;au second degr&eacute;, par cons&eacute;quent, tel le Ma&icirc;tre de Milan, j&rsquo;ai &eacute;crit ce roman pour quelqu&rsquo;un &agrave; qui j&rsquo;aurais, comme le Ma&icirc;tre de Milan, essay&eacute; de raconter, par un tournant consid&eacute;rable, &agrave; la faveur d&rsquo;un livre, une histoire qu&rsquo;il me co&ucirc;tait de raconter de plain-pied et de vive voix&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.</p> </blockquote> <p>Charbonnier proc&egrave;de de m&ecirc;me pour&nbsp;<em>Les Jardins et les fleuves</em>, l&rsquo;interrogeant sur &laquo;&nbsp;la tentation de l&rsquo;inceste&nbsp;&raquo; qui ne va pas jusqu&rsquo;au bout, roman d&eacute;dicac&eacute; &agrave; Moli&egrave;re &laquo;&nbsp;qui fut plus ou moins le mari d&rsquo;une personne qui &eacute;tait plus ou moins sa fille&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>C&rsquo;est la question des genres qui est essentielle dans ces entretiens. Charbonnier l&rsquo;aborde d&egrave;s le deuxi&egrave;me chapitre intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Roman et po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, en questionnant Audiberti sur&nbsp;<em>La Beaut&eacute; de l&rsquo;amour</em>&nbsp;qui est un &laquo;&nbsp;roman en vers&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;indique le sous-titre, sous-titre dans lequel Carbonnier lit l&rsquo;expression d&rsquo;un paradoxe. Frapp&eacute; par le d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t croissant des lecteurs face &agrave; la po&eacute;sie, &laquo;&nbsp;art illustre et inutile&nbsp;&raquo;, Audiberti dit l&rsquo;avoir compos&eacute; dans l&rsquo;espoir de r&eacute;int&eacute;grer la po&eacute;sie &laquo;&nbsp;dans une s&eacute;rie d&rsquo;activit&eacute;s humaines normales et utiles&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>&nbsp;&raquo;. &Agrave; la demande de Charbonnier, il date la mort de la po&eacute;sie des lendemains de la derni&egrave;re guerre, lorsqu&rsquo;elle a abandonn&eacute; la forme fixe et le sujet. &laquo;&nbsp;Elle devenait pur langage aberrant. Elle devenait expression vague, floue, illimit&eacute;e, et d&rsquo;une facilit&eacute; insupportable&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>.&nbsp;&raquo; Elle est r&eacute;apparue avec des chanteurs comme L&eacute;o Ferr&eacute; ou Brassens, ces &laquo;&nbsp;troubadours&nbsp;&raquo; dont les textes sont souvent rim&eacute;s. Les h&eacute;ritiers de Dante ou de Hugo qui voulaient raconter le monde dans la po&eacute;sie, ce sont, depuis la derni&egrave;re guerre, des romanciers en prose, comme Giono ou C&eacute;line, tandis que les po&egrave;tes r&eacute;cents ne sont que des &laquo;&nbsp;ciseleur(s) partiel(s) des aspects de ce monde&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>&nbsp;&raquo;. S&rsquo;il est si difficile &agrave; la po&eacute;sie de survivre, si elle n&rsquo;est plus en phase avec le monde, c&rsquo;est que celui-ci est entr&eacute; dans l&rsquo;&egrave;re industrielle, c&rsquo;est qu&rsquo;il est boulevers&eacute; par les grands progr&egrave;s techniques&nbsp;: &laquo;&nbsp;Qui donc aurait le courage ou l&rsquo;id&eacute;e saugrenue de chanter en alexandrins le vrombissement des h&eacute;lices ou le froissement imperceptible des espaces sid&eacute;raux par les fus&eacute;es pr&eacute;sentes et par celles de demain&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo; La po&eacute;sie n&rsquo;est plus capable de chanter le monde moderne, de dire &laquo;&nbsp;la Chanson de Roland des protons&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>&nbsp;&raquo;.</p> <p>&nbsp;Quand vient le tour de la d&eacute;finition du th&eacute;&acirc;tre, d&egrave;s l&rsquo;ouverture du sixi&egrave;me entretien, Georges Charbonnier pose &agrave; Audiberti directement la question&nbsp;: &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que le th&eacute;&acirc;tre&nbsp;?&nbsp;&raquo; Pour Audiberti, il est &laquo;&nbsp;vraiment le propre de l&rsquo;homme, [&hellip;] il constitue un des traits les plus remarquables de l&rsquo;&eacute;tat civil de l&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>&nbsp;&raquo;. La d&eacute;finition qu&rsquo;il donne du plaisir du spectateur est &agrave; la fois tr&egrave;s juste, c&rsquo;est celle de la catharsis aristot&eacute;licienne, et d&rsquo;une extr&ecirc;me banalit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>C&rsquo;est assez extraordinaire que des gens viennent chaque soir, dans des salles, pour regarder d&rsquo;autres gens, b&acirc;tis &agrave; leur image, ex&eacute;cuter d&rsquo;une mani&egrave;re platonique les gestes de l&rsquo;amour et de la violence, comme si c&rsquo;&eacute;tait le plus grand divertissement et la plus grande source d&rsquo;une certaine angoisse que de se voir soi-m&ecirc;me, par personne interpos&eacute;e, en train de courir des risques faux, et d&rsquo;exprimer de factices sentiments&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>.</p> </blockquote> <p>Quand Charbonnier lui demande ce qui distingue le th&eacute;&acirc;tre du roman, Audiberti h&eacute;site. En effet, pas plus que Duras lorsqu&rsquo;elle &eacute;crit&nbsp;<em>Le Square</em>, il ne per&ccedil;oit pas, quand il compose&nbsp;<em>Quoat-Quoat</em>, les potentialit&eacute;s sc&eacute;niques du texte que seule lui r&eacute;v&eacute;lera la mise en sc&egrave;ne de Catherine Toth et d&rsquo;Andr&eacute; Reybaz.</p> <blockquote> <p>[&hellip;] quand j&rsquo;&eacute;crivis&nbsp;<em>Quoat-Quoat</em>, [&hellip;] je ne distinguais pas le th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;un genre litt&eacute;raire tel que, par exemple, le sonnet. J&rsquo;&eacute;crivais un dialogue, comme j&rsquo;aurais &eacute;crit une nouvelle ou comme j&rsquo;aurais &eacute;crit un po&egrave;me. L&rsquo;id&eacute;e que cela devait &ecirc;tre jou&eacute; un jour, sur une sc&egrave;ne, ne m&rsquo;a, je peux le dire en toute sinc&eacute;rit&eacute;, jamais effleur&eacute;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>.</p> </blockquote> <p>C&rsquo;est ce qui lui a fait sans doute d&eacute;clarer lors d&rsquo;une interview dans&nbsp;<em>Arts</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je suis venu au th&eacute;&acirc;tre par la litt&eacute;rature&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>&nbsp;&raquo;. Charbonnier insiste pour &eacute;tablir des traits distinctifs entre les deux genres qu&rsquo;Audiberti ne parvient pas &agrave; formuler m&ecirc;me s&rsquo;il a bien conscience que le dialogue est le propre de l&rsquo;&eacute;criture dramatique, que c&rsquo;est l&rsquo;&eacute;change de paroles hautement prof&eacute;r&eacute;es qui conf&egrave;re au th&eacute;&acirc;tre sa sp&eacute;cificit&eacute;. Tandis que &laquo;&nbsp;le roman permet &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain de faire intervenir dans son histoire, qui est vraiment une histoire, les grands groupes impersonnels de l&rsquo;univers, le temps, le temps qui passe et le temps qu&rsquo;il fait, les v&eacute;g&eacute;taux, les animaux, les pierres, le d&eacute;cor de la vie, [&hellip;] au th&eacute;&acirc;tre, ce n&rsquo;est que la cr&eacute;ature humaine qui prend la parole ; il n&rsquo;y a qu&rsquo;elle. [&hellip;] Le roman donne la parole &agrave; tout [&hellip;]. Le th&eacute;&acirc;tre, les hommes y parlent. Le roman, le monde y parle&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>&nbsp;&raquo;. Audiberti est un po&egrave;te de la sc&egrave;ne au sens plein du terme. &Agrave; la diff&eacute;rence d&rsquo;Artaud pour qui les objets peuvent jouer seuls, pour lui ils ont valeur de symboles.</p> <blockquote> <p>Les accessoires qui sont l&agrave; [au th&eacute;&acirc;tre] ne jouent pas &agrave; titre personnel. Ils permettent &agrave; l&rsquo;homme d&rsquo;appuyer son &acirc;me sur des objets familiers qui sont ou dociles ou r&eacute;volt&eacute;s, mais ce n&rsquo;est pas un th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;objets [&hellip;]&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>.</p> </blockquote> <p>Si les m&ecirc;mes sujets, on vient de le voir, reviennent dans des chapitres diff&eacute;rents, c&rsquo;est qu&rsquo;Audiberti, bien souvent, d&eacute;vie dans une direction autre que celle qui avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;vue, ce qui oblige Georges Charbonnier &agrave; reprendre dans un chapitre ult&eacute;rieur la question &agrave; laquelle l&rsquo;&eacute;crivain n&rsquo;a pas compl&egrave;tement r&eacute;pondu. Qui plus est, Audiberti ne se soumet pas toujours au plan de Charbonnier. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;il ouvre lui-m&ecirc;me, &agrave; la place de Charbonnier, le troisi&egrave;me entretien, &laquo;&nbsp;Devenir de la po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, qui fait suite &agrave; l&rsquo;entretien intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Roman et po&eacute;sie&nbsp;&raquo;, par une question pour bien montrer l&rsquo;importance qu&rsquo;il attache au sujet, ainsi que sa volont&eacute; de continuer &agrave; en disputer et de s&rsquo;affirmer comme le meneur de jeu, r&ocirc;le d&eacute;volu en principe &agrave; Charbonnier. Son discours est alors ponctu&eacute; deux fois par l&rsquo;interrogation&nbsp;: &laquo;&nbsp;n&rsquo;est-ce pas&nbsp;?&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>&nbsp;&raquo;, interrogation que formule habituellement Charbonnier.</p> <h2>2. Entretiens avec Adamov<br /> &nbsp;</h2> <p>Il n&rsquo;en va pas de m&ecirc;me dans les entretiens avec Arthur Adamov. Radiodiffus&eacute;s en f&eacute;vrier 1964, six ans avant sa mort, sous la forme de six entretiens qui se d&eacute;roulent en deux heures et sept minutes, conserv&eacute;s &agrave; l&rsquo;Ina, les&nbsp;<em>Entretiens</em>&nbsp;<em>avec Arthur Adamov</em>&nbsp;sont &eacute;dit&eacute;s par Andr&eacute; Dimanche en 1997 sur deux CD aux c&ocirc;t&eacute;s de deux autres qui contiennent ses pi&egrave;ces radiophoniques. &Eacute;tant donn&eacute; qu&rsquo;ils ne sont pas retouch&eacute;s pour donner lieu &agrave; un ouvrage, &agrave; l&rsquo;inverse des entretiens avec Audiberti, ils ne portent pas de titre, c&rsquo;est la question inaugurale de Charbonnier, toujours tr&egrave;s br&egrave;ve, qui en tient lieu. Comme il l&rsquo;a fait l&rsquo;ann&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente avec Audiberti, Georges Charbonnier interroge Arthur Adamov sur trois points essentiels, sa conception de la dramaturgie &ndash;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;action au th&eacute;&acirc;tre&nbsp;?&nbsp;&ndash;, le but qu&rsquo;il assigne &agrave; la sc&egrave;ne &ndash;&nbsp;la sc&egrave;ne doit-elle &ecirc;tre une tribune&nbsp;?&nbsp;&ndash; sa vision de l&rsquo;essence du th&eacute;&acirc;tre&nbsp;&ndash;. Le th&eacute;&acirc;tre doit-il &ecirc;tre total ou non&nbsp;? Est-ce qu&rsquo;une &oelig;uvre qui m&eacute;lange les genres appartient au th&eacute;&acirc;tre total&nbsp;? Le th&eacute;&acirc;tre doit-il &ecirc;tre expressionniste ou non&nbsp;? Le th&eacute;&acirc;tre doit-il &ecirc;tre r&eacute;aliste ou non&nbsp;?</p> <p>Dans le premier entretien, Charbonnier am&egrave;ne Adamov &agrave; d&eacute;finir l&rsquo;action au th&eacute;&acirc;tre par une s&eacute;rie de questions dont je retiens ici les plus importantes. Il lui demande d&rsquo;abord une d&eacute;finition &ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;Comment pourrait-on d&eacute;finir l&rsquo;action au th&eacute;&acirc;tre&nbsp;?&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;, ce qu&rsquo;il fera au tout d&eacute;but de chacun des entretiens suivants. Adamov explique qu&rsquo;il pensait &laquo;&nbsp;jadis que le th&eacute;&acirc;tre doit &ecirc;tre le lieu de l&rsquo;action&nbsp;&raquo;, mais qu&rsquo;il ne croit plus, comme ce fut le cas lors de la cr&eacute;ation de ses premi&egrave;res pi&egrave;ces, qu&rsquo;il faut qu&rsquo;il y ait une image qui commande l&rsquo;action. &Agrave; ce terme d&rsquo;image, p&eacute;joratif pour Adamov, Charbonnier demande si l&rsquo;on ne peut pas substituer une vision premi&egrave;re, conception que r&eacute;fute encore Adamov. Il critique sa premi&egrave;re pi&egrave;ce&nbsp;<em>La Parodie</em>&nbsp;dans laquelle tout est bas&eacute; sur &laquo;&nbsp;un effet visuel unique&nbsp;: un homme masochiste est couch&eacute;, un homme qui n&rsquo;est pas masochiste bouge tout le temps&nbsp;&raquo;. Il oppose&nbsp;<em>Les Chaises</em>&nbsp;de Ionesco, pi&egrave;ce dans laquelle &eacute;galement une image visuelle unique montre l&rsquo;action &ndash;&nbsp;ce qui lui appara&icirc;t simpliste&nbsp;&ndash;, aux pi&egrave;ces de Tchekhov et de Shakespeare dans lesquelles il n&rsquo;y a jamais d&rsquo;action unique mais une longue suite de p&eacute;rip&eacute;ties, pi&egrave;ces qu&rsquo;il propose comme mod&egrave;les. Charbonnier lui d&eacute;clare alors&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce que vous venez de dire implique que dans votre esprit une pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre doit se d&eacute;rouler sur un temps tr&egrave;s long, est-ce bien cela&nbsp;?&nbsp;&raquo; Adamov lui r&eacute;pond que &laquo;&nbsp;cela pose toute la diff&eacute;rence entre ce qu&rsquo;on appelle le th&eacute;&acirc;tre &eacute;pique et le th&eacute;&acirc;tre dramatique&nbsp;&raquo;. Selon lui, le th&eacute;&acirc;tre doit raconter une longue histoire, un peu &agrave; la mani&egrave;re de&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, ce qui l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; critiquer l&rsquo;avant-garde des ann&eacute;es cinquante, celle de Beckett, Ionesco, etc. &ndash;&nbsp;&agrave; laquelle il est bien conscient d&rsquo;avoir lui-m&ecirc;me particip&eacute;&nbsp;&ndash;, avant-garde qui, dit-il, revient &laquo;&nbsp;de mani&egrave;re un peu camoufl&eacute;e au th&eacute;&acirc;tre fran&ccedil;ais du xvii<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, avec ses unit&eacute;s&nbsp;&raquo;. Charbonnier se charge alors de faire la synth&egrave;se de ce d&eacute;but d&rsquo;entretien en d&eacute;clarant que donc, &laquo;&nbsp;pour que l&rsquo;action soit, il faut du temps, une p&eacute;riode de temps longue, ce qui n&eacute;cessite une diversification des lieux&nbsp;&raquo;, comme s&rsquo;il voulait s&rsquo;assurer que les choses soient claires pour l&rsquo;auditeur, mais aussi pour permettre &agrave; celui qui prendrait l&rsquo;enregistrement en cours de route de suivre l&rsquo;argumentation. Nouvelle question&nbsp;: puisqu&rsquo;il convient d&rsquo;abandonner les unit&eacute;s de temps et de lieu, faut-il rompre aussi l&rsquo;unit&eacute; d&rsquo;action&nbsp;? Adamov, qui dit ne plus aimer Strindberg qui l&rsquo;a beaucoup influenc&eacute; &agrave; ses d&eacute;buts, admire toujours profond&eacute;ment&nbsp;<em>Le Songe</em>, pi&egrave;ce dans laquelle l&rsquo;action est &eacute;clat&eacute;e. Il d&eacute;clare que le th&eacute;&acirc;tre doit montrer les faits capitaux d&rsquo;une vie humaine et de la soci&eacute;t&eacute; environnante, offrant toujours comme mod&egrave;le l&rsquo;&oelig;uvre de Tchekhov qui a peint des individus en m&ecirc;me temps que la fin d&rsquo;une classe, l&rsquo;effondrement d&rsquo;un monde. Enfin, derni&egrave;re question, quand il s&rsquo;agit de savoir quel est le support principal de l&rsquo;action, le langage ou la combinaison des images, Adamov est cat&eacute;gorique. Il avoue que pour lui le plus grand &eacute;crivain de th&eacute;&acirc;tre, c&rsquo;est Marivaux chez qui le langage est en permanence le pivot de l&rsquo;action. Et il confie son admiration pour Planchon qui, lorsqu&rsquo;il monte Marivaux, fonde sa mise en sc&egrave;ne sur le langage tout en usant d&rsquo;un objet sc&eacute;nique, le miroir, comme image qui vient dupliquer le langage.</p> <p>Dans le deuxi&egrave;me entretien, o&ugrave; il s&rsquo;agit de savoir si la sc&egrave;ne doit &ecirc;tre une tribune ou non, Adamov d&eacute;clare qu&rsquo;elle peut l&rsquo;&ecirc;tre, mais pas n&eacute;cessairement, que borner la sc&egrave;ne &agrave; n&rsquo;&ecirc;tre qu&rsquo;une tribune serait une erreur. Lorsque Charbonnier lui demande si une id&eacute;e simple d&rsquo;ordre pol&eacute;mique peut donner lieu &agrave; une pi&egrave;ce, il r&eacute;pond par l&rsquo;affirmative, proposant comme exemple le th&eacute;&acirc;tre de Brecht, celui de O&rsquo;Casey, celui de John Arden, citant &eacute;galement sa propre pi&egrave;ce&nbsp;<em>Paolo Paoli</em>. Suffit-il de montrer pour d&eacute;montrer&nbsp;? interroge Charbonnier. Selon Adamov, dire que montrer est le contraire de d&eacute;montrer, c&rsquo;est une fausse contradiction id&eacute;aliste. L&rsquo;auteur dramatique &eacute;vitera la d&eacute;monstration s&rsquo;il montre po&eacute;tiquement, s&rsquo;il choisit une image po&eacute;tique solide. On peut parfois d&eacute;montrer au th&eacute;&acirc;tre, ce qui est le cas dans&nbsp;<em>L&rsquo;Exception et la r&egrave;gle</em>&nbsp;de Brecht, pi&egrave;ce o&ugrave; il y a une v&eacute;ritable d&eacute;monstration, li&eacute;e &agrave; la lutte des classes, une d&eacute;monstration fine, intelligente. &Agrave; l&rsquo;objection de Charbonnier qui craint que la pi&egrave;ce ne devienne &oelig;uvre de propagande, Adamov r&eacute;pond que le th&eacute;&acirc;tre apolitique est lui-m&ecirc;me &oelig;uvre de propagande, il n&rsquo;est que jeu d&rsquo;anarchistes petit-bourgeois. Si le th&eacute;&acirc;tre moderne doit &ecirc;tre une tribune po&eacute;tique, le th&eacute;&acirc;tre ancien est-il une tribune, qu&rsquo;en est-il de Claudel, de Brecht, de Victor Hugo, comment les classer&nbsp;? interroge Georges Charbonnier. Claudel, selon Adamov, s&rsquo;appuie sur le christianisme, Brecht sur le marxisme, tandis que Hugo, lui, n&rsquo;a pas d&rsquo;armes. Dans son th&eacute;&acirc;tre, qu&rsquo;Adamov juge mauvais, il lui manque un syst&egrave;me. Mais, dit Charbonnier, est-il bon qu&rsquo;un homme de th&eacute;&acirc;tre s&rsquo;appuie sur un syst&egrave;me de pens&eacute;e&nbsp;? Qu&rsquo;en est-il de Shakespeare&nbsp;? Shakespeare, aux dires d&rsquo;Adamov, avait une connaissance alchimique du monde, une connaissance &eacute;galement de l&rsquo;histoire de l&rsquo;Angleterre, si bien qu&rsquo;il pr&eacute;sente dans ses chroniques une lutte de classes, il montre comment une classe veut prendre le pouvoir, comment ce passage du pouvoir s&rsquo;effectue d&rsquo;une classe &agrave; l&rsquo;autre. Adamov souhaite-t-il, comme Shakespeare, disposer lui aussi d&rsquo;un terrain solide&nbsp;? L&rsquo;&eacute;crivain se montre embarrass&eacute; pour r&eacute;pondre, d&eacute;clarant que, s&rsquo;il se fonde en partie sur le marxisme, il veut surtout arriver &agrave; trouver le rapport entre le cas individuel et la vie sociale.</p> <p>Les entretiens suivants ont tous trait d&rsquo;une mani&egrave;re ou d&rsquo;une autre &agrave; l&rsquo;essence du th&eacute;&acirc;tre puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit toujours de savoir ce qu&rsquo;il doit &ecirc;tre ou ne pas &ecirc;tre. Georges Charbonnier demande d&rsquo;abord &agrave; Adamov si le th&eacute;&acirc;tre doit &ecirc;tre total ou non et ce que signifie le terme de total en mati&egrave;re de th&eacute;&acirc;tre. Faut-il le prendre au sens que lui conf&egrave;re Antonin Artaud, &eacute;crivain que Charbonnier tient en haute estime, &agrave; qui il a consacr&eacute; un ouvrage, c&rsquo;est-&agrave;-dire un th&eacute;&acirc;tre dans lequel pr&eacute;domine le cri, la musique, etc. Quoique tr&egrave;s admiratif d&rsquo;Artaud, Adamov h&eacute;site car, pour lui, il est impossible d&rsquo;&eacute;luder le texte. S&rsquo;il approuve l&rsquo;utilisation de projections dans la mise en sc&egrave;ne de&nbsp;<em>La M&egrave;re</em>&nbsp;de Brecht d&rsquo;apr&egrave;s Gorki ou dans sa propre pi&egrave;ce&nbsp;<em>Paolo Paoli</em>, il estime que ces projections doivent &ecirc;tre motiv&eacute;es, sinon elles sont d&eacute;pourvues de sens. &Agrave; Charbonnier qui insiste pour savoir si le texte doit avoir la premi&egrave;re place, si la lecture n&rsquo;est qu&rsquo;une approche partielle de la pi&egrave;ce ou si elle est totale, Adamov r&eacute;plique de fa&ccedil;on cat&eacute;gorique, affirmant que le texte reste primordial et que l&rsquo;on peut atteindre &agrave; l&rsquo;essence du texte par la seule lecture. En mati&egrave;re d&rsquo;improvisations, il estime qu&rsquo;il ne convient d&rsquo;y recourir que lorsqu&rsquo;il y a une tradition de canevas, comme en Italie par exemple pour la&nbsp;<em>commedia dell&rsquo;arte</em>, mais qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui des improvisations ne peuvent donner lieu qu&rsquo;&agrave; un psychodrame dans le but de d&eacute;celer des cas cliniques, autrement elles n&rsquo;ont aucun int&eacute;r&ecirc;t. Adamov en vient donc &agrave; formuler sa d&eacute;finition du th&eacute;&acirc;tre total comme un th&eacute;&acirc;tre qui repr&eacute;senterait la vie onirique de l&rsquo;homme, sa peur de la mort, en m&ecirc;me temps que la n&eacute;cessit&eacute; du combat politique, une pi&egrave;ce o&ugrave; aucun aspect de l&rsquo;&ecirc;tre humain ne serait n&eacute;glig&eacute; o&ugrave; comique et path&eacute;tique coexisteraient. Il aime pourtant&nbsp;<em>La trag&eacute;die optimiste</em>&nbsp;de Vichnievski o&ugrave; seul existe le path&eacute;tique, pi&egrave;ce qui repr&eacute;sente la lutte des communistes oblig&eacute;s de tuer des anarchistes qui compromettent la r&eacute;volution. Afin de l&rsquo;amener &agrave; pr&eacute;ciser son point de vue, dans le but de clarifier les choses pour l&rsquo;auditeur, Charbonnier lui demande si un th&eacute;&acirc;tre peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme total lorsqu&rsquo;il m&eacute;lange les genres, &agrave; quoi Adamov r&eacute;pond par l&rsquo;affirmative.</p> <p>Conscient que le sujet est d&rsquo;importance, Charbonnier ouvre l&rsquo;entretien suivant en reformulant la m&ecirc;me question. Adamov r&eacute;pond en prenant l&rsquo;exemple de Shakespeare, que l&rsquo;on aime aujourd&rsquo;hui beaucoup plus que Racine, parce que chez Shakespeare il y a toujours le roi et le bouffon, c&rsquo;est-&agrave;-dire un personnage li&eacute; au registre tragique et un personnage comique. Il aime plus encore&nbsp;<em>Woyzeck</em>&nbsp;de B&uuml;chner qui est pour lui la premi&egrave;re pi&egrave;ce moderne car c&rsquo;est la premi&egrave;re fois qu&rsquo;un personnage est &agrave; la fois roi, &laquo;&nbsp;roi de ses pens&eacute;es&nbsp;&raquo;, pr&eacute;cise-t-il, et bouffon. Le comique et le tragique y coexistent chez le m&ecirc;me personnage. Quant &agrave; Ghelderode, qu&rsquo;Adamov appr&eacute;cie pourtant, il en est rest&eacute; &agrave; la conception shakespearienne o&ugrave; il y a d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; les rois et de l&rsquo;autre les bouffons, alors qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui ce sont les m&ecirc;mes qui sont les rois et les bouffons.</p> <p>Dans l&rsquo;entretien suivant, &agrave; la demande de Charbonnier, qui veut savoir si le th&eacute;&acirc;tre doit &ecirc;tre expressionniste ou non et ce que signifie exactement le terme, Adamov r&eacute;pond en rappelant que ce dernier vient de Strindberg, puis s&rsquo;est install&eacute; en Allemagne dans l&rsquo;entre-deux-guerres avec Piscator, avant l&rsquo;hitl&eacute;risme, jusqu&rsquo;en 1932. Si, au d&eacute;but, l&rsquo;expressionnisme, qui luttait contre le r&eacute;alisme, qui essayait de rendre compte des troubles psychiatriques, de l&rsquo;&eacute;rotisme, tout en pr&eacute;parant un th&eacute;&acirc;tre politique, avait une dimension positive, il est devenu &laquo;&nbsp;imbuvable en tant que tel&nbsp;&raquo;, ce qui explique que Bertolt Brecht s&rsquo;en soit rapidement d&eacute;tach&eacute;. Comme Adamov ajoute que ce th&eacute;&acirc;tre soulignait les gestes, les mouvements, Charbonnier demande s&rsquo;il n&rsquo;y a pas alors le danger d&rsquo;une mise en retrait du texte, ce que conteste Adamov qui pr&eacute;cise qu&rsquo;il y a simplement remaniement, le metteur en sc&egrave;ne mettant l&rsquo;accent sur des aspects de l&rsquo;&oelig;uvre qui ne sont pas forc&eacute;ment centraux, qu&rsquo;il y a un irrespect voulu, tel par exemple celui d&rsquo;Artaud dans sa mise en sc&egrave;ne du&nbsp;<em>Songe</em>. Ce qu&rsquo;Adamov reproche aux expressionnistes et notamment &agrave; Strindberg, c&rsquo;est que leurs personnages n&rsquo;ont pas d&rsquo;&eacute;tat civil&nbsp;; ils sont le p&egrave;re, la servante, la prostitu&eacute;e, etc., &ndash;&nbsp;pi&egrave;ge dans lequel il est tomb&eacute; lui-m&ecirc;me &agrave; ses d&eacute;buts, comme il l&rsquo;avoue&nbsp;&ndash;, si bien que ce th&eacute;&acirc;tre ne repr&eacute;sente pas des &ecirc;tres vivants, mais seulement des arch&eacute;types. &Agrave; Charbonnier qui lui demande si les th&eacute;ories expressionnistes ont influenc&eacute; Artaud, Adamov r&eacute;pond que si l&rsquo;influence n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; directe, Strindberg, avec&nbsp;<em>Le Songe</em>, l&rsquo;a influenc&eacute;, ainsi que&nbsp;<em>Woyzeck</em>&nbsp;qu&rsquo;il aurait voulu monter.</p> <p>Apr&egrave;s la question de l&rsquo;expressionnisme, c&rsquo;est celle du r&eacute;alisme au th&eacute;&acirc;tre, terme que Charbonnier demande &agrave; Adamov de d&eacute;finir. Ce dernier rappelle le sens m&eacute;di&eacute;val o&ugrave; le r&eacute;alisme (<em>res</em>, la chose) s&rsquo;oppose au nominalisme, puis il en vient au sens que prend le terme au xix<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle avec l&rsquo;apparition du grand roman r&eacute;aliste et naturaliste et enfin au r&eacute;alisme socialiste du xx<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Pour lui,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>&nbsp;qui repr&eacute;sente des &ecirc;tres &laquo;&nbsp;absolument vivants&nbsp;&raquo; est un mod&egrave;le de r&eacute;alisme. Dans le but de clarifier les choses pour l&rsquo;auditeur, Charbonnier synth&eacute;tise ce tour d&rsquo;horizon bross&eacute; par Adamov en distinguant les deux sens du r&eacute;alisme&nbsp;: la restitution st&eacute;nographique de la vie de la rue ou la reconstruction du r&eacute;el. Adamov critique le th&eacute;&acirc;tre de Gorki dans lequel les actions repr&eacute;sent&eacute;es sur sc&egrave;ne se jouent dans le m&ecirc;me temps que dans la vie alors que l&rsquo;art est un &laquo;&nbsp;merveilleux truquage de la r&eacute;alit&eacute; et de la non r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;. Un r&eacute;alisme n&rsquo;est grand, selon lui, que s&rsquo;il repose sur une solide documentation, il peut devenir fantastique comme dans certains romans de Zola. En conclusion Adamov affirme qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas de r&egrave;gles pour d&eacute;finir le th&eacute;&acirc;tre mais qu&rsquo;une pi&egrave;ce passe &agrave; la post&eacute;rit&eacute; quand elle est large, quand elle englobe diff&eacute;rents aspects humains&nbsp;: psychologique, social, politique et que, selon les &eacute;poques, c&rsquo;est-&agrave;-dire selon le contexte politico social, les metteurs en sc&egrave;ne mettent l&rsquo;accent sur un de ses aspects et en laissent d&rsquo;autres dans l&rsquo;ombre.</p> <p>Charbonnier, on vient de le voir, proc&egrave;de toujours de la m&ecirc;me fa&ccedil;on avec Adamov, lui posant une question lapidaire au d&eacute;but de chaque entretien afin d&rsquo;&eacute;noncer le sujet qui va y &ecirc;tre abord&eacute;, et lui demandant de d&eacute;finir en premier lieu le terme cl&eacute; de la question, ceci non seulement pour &ecirc;tre s&ucirc;r de le prendre dans la m&ecirc;me acception que lui, mais &eacute;galement pour &eacute;clairer l&rsquo;auditeur sur le sens d&rsquo;un concept complexe qu&rsquo;il ne ma&icirc;trise pas forc&eacute;ment. Ensuite, c&rsquo;est par une s&eacute;rie de questions de plus en plus pr&eacute;cises et par certaines objections, qu&rsquo;il l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; formuler sa pens&eacute;e.</p> <h2>3. Conclusion<br /> &nbsp;</h2> <p>D&rsquo;un point de vue m&eacute;thodologique, le type d&rsquo;entretien qui vient d&rsquo;&ecirc;tre analys&eacute; ici est tr&egrave;s proche du dialogue philosophique, des dialogues platoniciens dans lesquels Socrate, par la ma&iuml;eutique, am&egrave;ne son interlocuteur &agrave; accoucher de ses id&eacute;es. Si le philosophe, dans<em>&nbsp;Menon&nbsp;</em>par exemple, permet &agrave; l&rsquo;esclave de retrouver un savoir qu&rsquo;il &eacute;tait cens&eacute; poss&eacute;der dans une vie ant&eacute;rieure, Charbonnier guide les deux &eacute;crivains gr&acirc;ce &agrave; des questions d&rsquo;une grande pertinence et les am&egrave;ne &agrave; d&eacute;finir leur po&eacute;tique. Ces deux entretiens sont tr&egrave;s pr&eacute;cieux dans la mesure o&ugrave; ils livrent &agrave; l&rsquo;auditeur la conception que se fait Audiberti de la litt&eacute;rature, lui qui a &oelig;uvr&eacute; pour les trois genres, celle d&rsquo;Adamov en mati&egrave;re de th&eacute;&acirc;tre. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t majeur de ces entretiens, c&rsquo;est que l&rsquo;auditeur a le sentiment d&rsquo;assister &agrave; une pens&eacute;e en acte, comme s&rsquo;il p&eacute;n&eacute;trait dans leur esprit, percevait les &eacute;tapes de leur r&eacute;flexion. La diff&eacute;rence entre les deux entretiens est li&eacute;e aux personnalit&eacute;s des deux artistes. Tandis que dans l&rsquo;entretien avec Audiberti, &eacute;crivain dont le verbe est foisonnant, la pens&eacute;e d&eacute;vie en permanence sans que Charbonnier puisse le remettre imm&eacute;diatement sur les rails, dans l&rsquo;entretien avec Adamov, elle va d&rsquo;un point &agrave; un autre, selon une construction logique parfaitement ma&icirc;tris&eacute;e par Charbonnier car Adamov r&eacute;pond toujours &agrave; la question pos&eacute;e sans partir dans une autre direction. Tandis qu&rsquo;Audiberti, &eacute;crivain n&eacute;oromantique qui, par certains points, appartient encore au xix<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, s&rsquo;exprime surtout sur le myst&egrave;re de la cr&eacute;ation qu&rsquo;il ne parvient pas toujours &agrave; comprendre, Adamov, lui, s&rsquo;affirme comme un th&eacute;oricien du th&eacute;&acirc;tre. Ce sont donc l&agrave; deux po&eacute;tiques diff&eacute;rentes, l&rsquo;une propre &agrave; son auteur, dict&eacute;e par des convictions toutes personnelles, l&rsquo;autre qui se veut beaucoup plus g&eacute;n&eacute;rale.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Voir Annick Asso, &laquo;&nbsp;<em>Les &Acirc;mes mortes</em>&nbsp;ou la mise en sc&egrave;ne de la folie par Adamov&nbsp;&raquo;, dans Marie-Claude Hubert (dir.),&nbsp;<em>Les Formes de la</em>&nbsp;<em>r&eacute;&eacute;criture au th&eacute;&acirc;tre</em>, Publications de l&rsquo;Universit&eacute; de Provence, 2006, &laquo;&nbsp;Textuelles th&eacute;&acirc;tre&nbsp;&raquo;, p.&nbsp;223-232.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Jacques Audiberti,&nbsp;<em>Entretiens avec Georges Charbonnier</em>, Gallimard, &laquo;&nbsp;Blanche&nbsp;&raquo;, 1965, p.&nbsp;52.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;9.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;<em>I</em><em>bid.</em></p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;54.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;52.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;10.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;10.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;52.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;12.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;55.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;61.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;71-72.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;154.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;159.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;<em>Ibid.,&nbsp;</em>p.&nbsp;104.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;107.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;107-108.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;90-91.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;117.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;120-121.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;127.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;22.</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;23.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;26</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;27-28.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;28.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;87-88.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;88.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em>, p.&nbsp;93.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;<em>Arts</em>, n&deg;728, 24-30 juin 1959.</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;<em>Entretiens avec Georges Charbonnier</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;97.</p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;<em>Ibid.,</em>&nbsp;p.&nbsp;36-39.</p> <h3>Auteur</h3> <p><strong>Marie-Claude Hubert</strong>&nbsp;est professeur &eacute;m&eacute;rite de Litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; Aix-Marseille Universit&eacute;. Sp&eacute;cialiste du th&eacute;&acirc;tre fran&ccedil;ais du XXe si&egrave;cle, elle a publi&eacute; de nombreux ouvrages sur le th&eacute;&acirc;tre, notamment<em>&nbsp;Langage et corps fantasm&eacute; dans le th&eacute;&acirc;tre des ann&eacute;es 50 : Beckett, Ionesco, Adamov</em>, (Jos&eacute; Corti, 1987), &eacute;dit&eacute; pour Gallimard Folio/Th&eacute;&acirc;tre plusieurs pi&egrave;ces. Avec une &eacute;quipe compos&eacute;e de chercheurs fran&ccedil;ais et &eacute;trangers, elle a dirig&eacute; le&nbsp;<em>Dictionnaire Beckett</em>&nbsp;(Honor&eacute; Champion, 2011) et le&nbsp;<em>Dictionnaire Jean Genet</em>&nbsp;(Honor&eacute; Champion, 2014). Elle a r&eacute;cemment publi&eacute; chez Honor&eacute; Champion&nbsp;<em>Les Confessions d&rsquo;un auteur dramatique</em>&nbsp;de H-Ren&eacute; Lenormand, dont elle pr&eacute;pare le&nbsp; Th&eacute;&acirc;tre choisi.</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>