<p>J’ai choisi, dans cet article, de prendre un objet d’étude bien délimité : la correspondance de Cocteau durant son séjour à Grasse du 30 décembre 1917 au 9 février 1918 dans la villa des Croisset, soit un petit mois et demi, et de voir ce qu’on peut en dire de deux points de vue : l’édition et la posture d’auteur. Combien de lettres, à qui et de qui ? Lesquelles éditées, depuis quand et comment, lesquelles inédites ? Que nous apprennent-elles de Cocteau et de sa stratégie d’auteur à ce moment ? Parmi les lettres reçues, deux sont de Cendrars et encadrent la rencontre des deux poètes à Nice lundi 28 janvier 1918 qui met en route la collaboration de Cocteau aux éditions de la Sirène. Mais il est loin d’être le seul correspondant : Cocteau est de ceux qui ne peuvent vivre sans conversation et que l’éloignement de Paris stimule à écrire des lettres de longueur variable et surtout nombreuses à de multiples destinataires (et d’abord à sa mère), comme pour maintenir par ce flux de correspondance le crépitement vivifiant des conversations interrompues et le tempo des projets en cours. À distance aussi, le travail et les affaires continuent, le besoin de plaire mais aussi de séduire, d’<em>entreprendre</em> vrais amis et relations utiles du milieu artistique parisien pour faire avancer ses projets, toujours dans le même sens, assez exactement exprimé quand même par Gide dans <em>Les Faux-Monnayeurs</em> : passer devant. Car Cocteau après <em>Parade</em>, est habité d’un besoin de parvenir (mot qu’il prendrait comme une insulte) et d’être traité de pair à pair par les grands hommes du moment. De là une posture d’auteur en adaptation permanente et jamais vraiment détachée de son image publique, jusque dans sa correspondance la plus amicale.</p>