<div class="entry-content"> <h3>Abstract</h3> <p>Apollinaire&#39;s correspondence is something of a paradox. Published in installments from the late 1940s onwards, it currently comprises more than twenty volumes. In 2015, the general correspondence in five volumes, edited by Victor-Martin Schmets, numbered over two thousand letters. As for BnF, it holds nineteen volumes of letters received, representing thousands of folios, from the simplest tire to the most copious missives. The collection, moreover, remains incomplete: some limited or incomplete sets are kept in other libraries, such as the letters to Georgette Catelain in the Ad&eacute;ma collection of the Biblioth&egrave;que Historique de la Ville de Paris. And we have lost track of most of the women&#39;s letters (including Lou and Madeleine), which were sold at public auction over twenty years ago.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">La correspondance d&rsquo;Apollinaire tient du paradoxe. Publi&eacute;e par pans &agrave; partir de la fin des ann&eacute;es 1940, elle repr&eacute;sente actuellement plus d&rsquo;une vingtaine de volumes. En 2015, la correspondance g&eacute;n&eacute;rale en cinq tomes, &eacute;dit&eacute;e par Victor-Martin Schmets, d&eacute;nombre plus de deux mille lettres&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. La BnF, quant &agrave; elle, conserve dix-neuf volumes de lettres re&ccedil;ues, soit des milliers de folios, du simple pneu aux missives les plus copieuses. Le fonds, d&rsquo;ailleurs, demeure incomplet&nbsp;: certains ensembles restreints ou lacunaires sont conserv&eacute;s dans d&rsquo;autres biblioth&egrave;ques, comme les lettres &agrave; Georgette Catelain du fonds Ad&eacute;ma de la Biblioth&egrave;que Historique de la Ville de Paris. Et l&rsquo;on a perdu la trace de la plupart des lettres de femmes (dont Lou et Madeleine), pass&eacute;es en vente publique il y a plus de vingt ans&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Malgr&eacute; cette ampleur exceptionnelle, Apollinaire n&rsquo;est pas un &laquo;&nbsp;grand&nbsp;&raquo; &eacute;pistolier au sens o&ugrave; peuvent l&rsquo;&ecirc;tre les membres du groupe de la NRF, Gide, Schlumberger, Rivi&egrave;re, Alain-Fournier, lesquels vivent la plume &agrave; la main et, selon la belle expression de Brigitte Diaz, &laquo;&nbsp;dans les plis des livres&nbsp;&raquo;. Le po&egrave;te n&rsquo;a rien non plus de commun avec un Jo&euml; Bousquet, que sa blessure condamne &agrave; l&rsquo;immobilit&eacute; et qui fait de l&rsquo;&eacute;criture, partant &eacute;pistolaire, un prolongement, un &eacute;largissement de sa vie. Apollinaire ne proc&egrave;de pas non plus comme Cendrars, qui a des correspondances suivies avec plusieurs interlocuteurs (Jacques-Henry L&eacute;vesque, Henry Miller), dont la vie et les voyages l&rsquo;&eacute;loignent, et qu&rsquo;il entretient de son travail d&rsquo;&eacute;crivain.</p> <p style="text-align: justify;">Le paysage &eacute;pistolaire d&rsquo;Apollinaire est tout autre, dans ses formes comme dans sa teneur.</p> <p style="text-align: justify;">On conna&icirc;t les grands massifs amoureux que sont ses lettres &agrave; Lou et &agrave; Madeleine&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Ils se sont form&eacute;s gr&acirc;ce &agrave; la distance et aux conditions impos&eacute;es par la guerre. Conserv&eacute;es par les destinatrices, les lettres du po&egrave;te ont fait l&rsquo;objet de publications relativement pr&eacute;coces&nbsp;; au lieu d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;membr&eacute; par les ventes sauvages et les h&eacute;ritages, l&rsquo;ensemble re&ccedil;u par Madeleine a &eacute;t&eacute; c&eacute;d&eacute; &agrave; la Biblioth&egrave;que nationale qui en a pr&eacute;serv&eacute; l&rsquo;int&eacute;grit&eacute;. La quantit&eacute;, la qualit&eacute;, la coh&eacute;rence et la th&eacute;matique sentimentale de ces deux correspondances ont toujours eu les faveurs du public, que s&eacute;duit la vogue des transpositions sc&eacute;niques de la litt&eacute;rature (spectacles, lectures, mises en musique, festivals des correspondances de Manosque et de Grignan).</p> <p style="text-align: justify;">Dans ce paysage se trouvent aussi des collections plus modestes, fragmentaires, comme les lettres &eacute;parses cit&eacute;es dans les r&eacute;cits des amis et t&eacute;moins&nbsp;(Toussaint-Luca, Andr&eacute; Billy, Eug&egrave;ne Montfort, Andr&eacute; Rouveyre, Louise Faure-Favier) ainsi que dans les travaux des chercheurs, publi&eacute;s en revue, en album ou en volume&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. Ces lettres sont tant&ocirc;t donn&eacute;es pour elles-m&ecirc;mes, sans gu&egrave;re de pr&eacute;cision, tant&ocirc;t pour supports de d&eacute;veloppements critiques ou biographiques. L&rsquo;&eacute;dition scientifique proprement dite des correspondances prend son essor &agrave; partir du moment o&ugrave; Apollinaire entre dans la collection de la Pl&eacute;iade et, plus pr&eacute;cis&eacute;ment, dans le sillage des tomes II et III des <em>&OElig;uvres en prose&nbsp;</em><a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. De fait, la correspondance int&egrave;gre vraiment l&rsquo;&oelig;uvre en m&ecirc;me temps que la critique d&rsquo;art, les chroniques et les &eacute;crits journalistiques du po&egrave;te. Enfin, le passage de l&rsquo;&eacute;crivain dans le domaine public en 2013 a fait grossir le flux des publications &eacute;pistolaires.</p> <p style="text-align: justify;">Plus qu&rsquo;un paysage, la correspondance d&rsquo;Apollinaire forme une constellation, ou un kal&eacute;idoscope, &agrave; l&rsquo;image de sa personnalit&eacute; et de sa po&eacute;sie. Aux yeux du chercheur, elle est un espace &agrave; cartographier ou un puzzle &agrave; reconstituer. Gr&acirc;ce aux &eacute;changes amicaux et professionnels, on peut rep&eacute;rer les r&eacute;seaux de sociabilit&eacute;, la fabrique des r&eacute;putations et les strat&eacute;gies de reconnaissance. Gr&acirc;ce &agrave; la correspondance amoureuse, on en sait plus sur les relations du po&egrave;te avec les femmes et sur la figure de mal aim&eacute; que l&rsquo;int&eacute;ress&eacute; s&rsquo;est lui-m&ecirc;me construite. Mais il est rare que l&rsquo;&eacute;crivain se livre &agrave; la confidence&nbsp;et plus rare encore qu&rsquo;il le fasse contin&ucirc;ment &agrave; un m&ecirc;me destinataire. Sa capacit&eacute; d&rsquo;adaptation, voire son mim&eacute;tisme, et son d&eacute;sir constant de s&eacute;duction le rendent bien souvent ondoyant, sinon insaisissable.</p> <p style="text-align: justify;">C&rsquo;est un personnage prot&eacute;iforme aux relations multiples. De m&ecirc;me qu&rsquo;il compose ses textes par collage, recyclage et marqueterie, de m&ecirc;me se pr&eacute;sente-t-il aux autres en mouvement, n&rsquo;h&eacute;sitant pas &agrave; cloisonner ses relations et &agrave; moduler sa pens&eacute;e en fonction de son interlocuteur. Voici qui le distingue de Cendrars, caract&egrave;re plus entier, anim&eacute; par la passion, la rage de l&rsquo;&eacute;criture. Mais sans &ecirc;tre &agrave; proprement parler un graphomane, Apollinaire n&rsquo;en construit pas moins son identit&eacute; par l&rsquo;&eacute;criture, quelque forme qu&rsquo;elle prenne. Sa correspondance occupe donc une place l&eacute;gitime dans son &oelig;uvre et dans la connaissance qu&rsquo;on peut en avoir.</p> <p style="text-align: justify;">Certes, l&rsquo;&eacute;pistolier s&rsquo;attarde assez peu sur son esth&eacute;tique et sa po&eacute;tique. Quand il le fait, c&rsquo;est avant tout pour r&eacute;pondre &agrave; des critiques, par exemple quand on lui fait reproche de ses calligrammes&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Intuitif, r&eacute;fractaire aux syst&egrave;mes intellectuels, peu enclin &agrave; la r&eacute;flexivit&eacute;, il agit plus qu&rsquo;il n&rsquo;analyse. Si l&rsquo;on peut suivre l&rsquo;&eacute;laboration mat&eacute;rielle du recueil <em>Case d&rsquo;armons </em>et les aventures de sa diffusion, il faut lire entre les lignes, confronter les bribes et les sources, pour en approcher les arcanes cr&eacute;ateurs. Dans ses lettres &agrave; Lou, Apollinaire passe avec aisance de la prose au vers, de l&rsquo;&eacute;criture au dessin, sans justifier, encore moins th&eacute;oriser son geste. La lettre n&rsquo;est pas pour lui un laboratoire ou un &laquo;&nbsp;arri&egrave;re-pays&nbsp;&raquo; (B. Diaz) de la cr&eacute;ation. Elle en est un lieu m&ecirc;me. &Agrave; une &eacute;poque o&ugrave; le cubisme se saisit des objets quotidiens, o&ugrave; les hi&eacute;rarchies et les fronti&egrave;res s&rsquo;effacent, o&ugrave; l&rsquo;on exp&eacute;rimente toutes sortes de supports et de mat&eacute;riaux po&eacute;tiques et plastiques, Apollinaire op&egrave;re des translations intuitives audacieuses. Ainsi, le fragment (r&eacute;el ou reconstitu&eacute;) d&rsquo;une lettre &agrave; son fr&egrave;re Albert au Mexique devient-il la mati&egrave;re premi&egrave;re du po&egrave;me calligrammatique &laquo;&nbsp;Lettre-Oc&eacute;an&nbsp;&raquo;. Dans un double mouvement centrifuge et centrip&egrave;te, la lettre se fait vecteur d&rsquo;une r&eacute;novation radicale des codes de communication. La forme et la pratique &eacute;pistolaires classiques (une missive &eacute;crite sur papier et post&eacute;e) &eacute;clatent en cercles tournoyants sous l&rsquo;influence de la communication sans fil et de la transposition g&eacute;n&eacute;rique.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;<a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Laurence Campa_Doc 1a" class="alignnone size-medium wp-image-2212" height="300" loading="lazy" sizes="(max-width: 212px) 100vw, 212px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1a-212x300.png" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1a-212x300.png 212w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1a.png 554w" width="212" /><img alt="Laurence Campa_Doc 1b" class="alignnone size-medium wp-image-2213" height="300" loading="lazy" sizes="(max-width: 212px) 100vw, 212px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1b-212x300.png" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1b-212x300.png 212w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-1b.png 554w" width="212" /></a></p> <p style="text-align: justify;"><small>Doc. 1 ‒ Guillaume Apollinaire, &laquo;&nbsp;Lettre-Oc&eacute;an&nbsp;&raquo;, <em>Soir&eacute;es de Paris</em>, n&deg; 25, juin 1914.</small></p> <p style="text-align: justify;">Comment respecter et valoriser toutes ces caract&eacute;ristiques dans l&rsquo;&eacute;dition&nbsp;? Quels sont le r&ocirc;le et la place de l&rsquo;&eacute;diteur scientifique dans cette &eacute;laboration ?</p> <p style="text-align: justify;">Dans le cas des lettres &agrave; Lou et &agrave; Madeleine, j&rsquo;ai choisi de montrer la mat&eacute;rialit&eacute; des lettres par le recours aux fac-simil&eacute;s, qui permettent au lecteur de saisir dans un m&ecirc;me mouvement le double geste &eacute;pistolaire et cr&eacute;ateur du po&egrave;te&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. Pour sa premi&egrave;re &eacute;dition des lettres &agrave; Madeleine, Pierre-Marcel Ad&eacute;ma avait pris le parti de retoucher la disposition des lettres afin de r&eacute;pondre aux crit&egrave;res &eacute;ditoriaux de son temps (ajout d&rsquo;alin&eacute;as, suppression des dessins marginaux). Press&eacute; de recopier les manuscrits, il a laiss&eacute; plusieurs erreurs de transcription. &Agrave; la demande de Madeleine, il a soustrait certains passages qui impliquaient des personnes encore vivantes ou livraient une image du soldat peu conforme aux attentes du public et &agrave; la m&eacute;moire combattante des ann&eacute;es 1950. Enfin, le choix du titre, <em>Tendre comme le souvenir</em>, tir&eacute; d&rsquo;un des po&egrave;mes, donnait au recueil une tonalit&eacute; sentimentale et m&eacute;lancolique, r&eacute;elle mais partielle. En choisissant de r&eacute;intituler l&rsquo;ensemble, j&rsquo;ai voulu simultan&eacute;ment adopter une forme de neutralit&eacute; et faire pendant aux <em>Lettres &agrave; Lou</em>, dont la notori&eacute;t&eacute; et la popularit&eacute; &eacute;taient alors plus grandes. Mais j&rsquo;ai conserv&eacute; l&rsquo;ancien titre comme sous-titre pour prolonger la tradition &eacute;ditoriale. Plus fid&egrave;le &agrave; la lettre des textes, plus conforme aux crit&egrave;res actuels d&rsquo;authenticit&eacute; et aux &eacute;volutions historiographiques sur la Grande Guerre, la r&eacute;&eacute;dition entend renouveler la lecture et la place que ces lettres occupent dans l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;Apollinaire.</p> <p style="text-align: justify;"><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Laurence Campa_Doc 3" class="alignnone size-medium wp-image-2195" height="238" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-3-300x238.png" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-3-300x238.png 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-3.png 422w" width="300" /></a></p> <p><small>Doc. 2 ‒ D&eacute;dicace d&rsquo;Apollinaire &agrave; Lou sur un exemplaire de <em>L&rsquo;H&eacute;r&eacute;siarque et Cie </em>&nbsp;(1910), fin octobre &ndash; d&eacute;but novembre 1914 (coll. part.).</small></p> <p><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Laurence Campa_Doc 4" class="alignnone size-medium wp-image-2196" height="300" loading="lazy" sizes="(max-width: 181px) 100vw, 181px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-4-181x300.png" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-4-181x300.png 181w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-4.png 337w" width="181" /></a></p> <p><small>Doc. 3 ‒ Po&egrave;me &agrave; Lou du 9 f&eacute;vrier 1915 (coll. part.).</small></p> <p><a class="fancybox image" href="#_ftn"><img alt="Laurence Campa_Doc 5" class="alignnone size-medium wp-image-2197" height="234" loading="lazy" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" src="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-5-300x234.png" srcset="https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-5-300x234.png 300w, https://komodo21.fr/wp-content/uploads/2018/12/Laurence-Campa_Doc-5.png 430w" width="300" /></a></p> <p><small>Doc. 4 ‒ Po&egrave;me &agrave; Lou du 11 mars 1915, verso (coll. part.).</small></p> <p style="text-align: justify;">La correspondance du po&egrave;te avec les artistes r&eacute;unit tous les &eacute;changes crois&eacute;s qui ont pu &ecirc;tre retrouv&eacute;s. Sa dimension textuelle s&rsquo;assortit d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments graphiques et iconographiques de premi&egrave;re importance et valoris&eacute;s comme tels. Picasso, Delaunay et Picabia ont adress&eacute; au po&egrave;te des cartes et des lettres illustr&eacute;es, reproduites dans l&rsquo;&eacute;dition. Moyens d&rsquo;expression &agrave; part enti&egrave;re, &eacute;l&eacute;ments de dialogue avec l&rsquo;&eacute;crit, elles viennent enrichir l&rsquo;&oelig;uvre de chacun et donner tout leur sens aux &eacute;changes. Elles sont compl&eacute;t&eacute;es par la reproduction de certains rectos de cartes postales particuli&egrave;rement significatifs. Dans cette perspective, les images ne sont pas de simples illustrations mais de v&eacute;ritables composantes de la correspondance.</p> <p style="text-align: justify;">Il y avait plusieurs mani&egrave;res de pr&eacute;senter les &eacute;changes. Plut&ocirc;t qu&rsquo;une organisation classique, par destinataire ou par ordre chronologique, nous avons, avec Peter Read, &eacute;labor&eacute; une structure complexe par ordre d&rsquo;&laquo;&nbsp;entr&eacute;e en sc&egrave;ne&nbsp;&raquo;. Le premier correspondant d&rsquo;Apollinaire, Carl-Edvard Diriks, est aussi le premier ami artiste du jeune po&egrave;te&nbsp;; suivent Paul-Napol&eacute;on Roinard, Henri Frick, Max Jacob, Picasso, Edmonde-Marie Poullain, etc. Certes, l&rsquo;&eacute;tat des archives ne correspond pas toujours aux donn&eacute;es biographiques. Les &eacute;changes retrouv&eacute;s entre Apollinaire et Van Dongen datent de 1918 alors que les deux hommes se connaissent depuis plusieurs ann&eacute;es. Mais le premier ayant peu de go&ucirc;t pour l&rsquo;art du second, il n&rsquo;est pas &eacute;tonnant que les traces &eacute;pistolaires soient tardives et correspondent au rapprochement d&ucirc; &agrave; l&rsquo;exposition Van Dongen de mars 1918 chez Paul Guillaume, le marchand pour lequel Apollinaire travaille &agrave; ce moment-l&agrave;. Quant aux &eacute;changes avec Duchamp, ils ont tous disparu si bien que l&rsquo;artiste n&rsquo;appara&icirc;t pas dans le volume alors qu&rsquo;on conna&icirc;t bien la nature de sa proximit&eacute; avec Apollinaire &agrave; partir de 1912. Quoi qu&rsquo;il en soit, la double structure, nominative et chronologique, propose une image globalement fid&egrave;le des relations d&rsquo;Apollinaire avec les artistes, le nombre des correspondants augmentant avec le temps et la renomm&eacute;e croissante du critique d&rsquo;art. Une telle architecture interpr&egrave;te le corpus et en oriente la lecture.</p> <p style="text-align: justify;">Le cas des correspondants &eacute;trangers &eacute;tait probl&eacute;matique. Si la plupart s&rsquo;expriment en un fran&ccedil;ais correct, relev&eacute; de l&rsquo;accent singulier qui fait leur charme, certains ma&icirc;trisent mal la langue. Nous avons respect&eacute; l&rsquo;orthographe, la ponctuation et la syntaxe de chacun et ne les avons retouch&eacute;es que si elles nous semblaient relever de l&rsquo;inadvertance ou quand, trop erratiques, elles contredisaient nettement les lois de l&rsquo;&eacute;crit et mettaient en p&eacute;ril la lisibilit&eacute; des textes. Autrement dit, nous avons choisi de rester fid&egrave;les aux idiosyncrasies tout en sachant que les retouches formelles tenaient de la reconstruction et proposaient une convention fond&eacute;e sur quelque artifice.</p> <p style="text-align: justify;">Mais au fond, faut-il tout publier le plus fid&egrave;lement possible&nbsp;? Pour la correspondance avec les artistes, nous avons voulu pr&eacute;senter le moindre billet, f&ucirc;t-il anecdotique ou par trop t&eacute;nu. &Agrave; partir du moment o&ugrave; l&rsquo;on tient compte de la valeur archivistique et documentaire de la correspondance, aucune date, aucun lien, aucun signe ne saurait &ecirc;tre n&eacute;glig&eacute;, m&ecirc;me si la densit&eacute; et l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t du <em>continuum</em> &eacute;pistolaire peuvent s&rsquo;en trouver amoindris.</p> <p style="text-align: justify;">Plusieurs &eacute;ditions de la correspondance d&rsquo;Apollinaire sont des monodies. Si elles font souvent de n&eacute;cessit&eacute; vertu &ndash; impossibilit&eacute; de retrouver ou d&rsquo;&eacute;diter l&rsquo;autre versant des &eacute;changes &ndash;, elles privil&eacute;gient <em>de facto</em> la voix de l&rsquo;auteur ; d&egrave;s lors, elles en d&eacute;terminent la lecture. Or une telle pratique correspond de moins en moins &agrave; la demande du public actuel qui, se projetant dans l&rsquo;&eacute;change, cherche la sensation de la r&eacute;alit&eacute; et demande de combler les lacunes du monologue, d&rsquo;&eacute;clairer la nature de la relation. Cependant, le passage au duo ne va pas de soi. D&egrave;s lors qu&rsquo;on livre la parole du destinataire, ce dernier devient auteur &agrave; part enti&egrave;re, change le statut et l&rsquo;image de l&rsquo;&oelig;uvre, de m&ecirc;me que le r&eacute;gime de lecture. La nouvelle correspondance est une autre &oelig;uvre qui d&eacute;borde les &oelig;uvres compl&egrave;tes de l&rsquo;&eacute;crivain. Si les <em>Lettres &agrave; Madeleine</em> sont encore lues comme une &oelig;uvre litt&eacute;raire d&rsquo;Apollinaire, elles vont retourner dans le champ sp&eacute;cifique de la correspondance si les lettres de Madeleine sont publi&eacute;es. Se posent alors d&rsquo;autres probl&egrave;mes, car ces derni&egrave;res n&rsquo;ont pas toutes &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;es si bien que de nouvelles br&egrave;ches s&rsquo;introduisent dans l&rsquo;ensemble ainsi constitu&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">&Agrave; n&rsquo;en pas douter, la correspondance g&eacute;n&eacute;rale crois&eacute;e correspond &agrave; un fantasme encyclop&eacute;dique pour le moins s&eacute;duisant. Mais un tel ensemble formerait-il un livre&nbsp;? Dans le cas d&rsquo;Apollinaire, ce n&rsquo;est pas certain. La quantit&eacute; incommensurable des &eacute;changes, leur h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute;, leurs fr&eacute;quentes lacunes produiraient davantage une cacophonie qu&rsquo;un ch&oelig;ur. En d&eacute;finitive, il s&rsquo;agirait plut&ocirc;t d&rsquo;une base documentaire, &agrave; laquelle une formalisation et une diffusion num&eacute;riques donneraient tout son sens et toute son efficacit&eacute;. Aujourd&rsquo;hui, l&rsquo;&eacute;diteur scientifique a plus que jamais le choix&nbsp;; ses responsabilit&eacute;s intellectuelles et esth&eacute;tiques s&rsquo;en trouvent accrues.</p> <h2 style="text-align: justify;"><strong>Annexe 1</strong><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Chronologie des volumes de correspondances d&rsquo;Apollinaire</strong></h3> <p style="text-align: justify;"><em>Lettres &agrave; sa marraine</em>, 1948</p> <p style="text-align: justify;"><em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, t. IV, Balland &amp; Lecat, 1965-1966</p> <p style="text-align: justify;"><em>Letere a F.-T Marinetti, </em>1975</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Andr&eacute; Level, 1976</p> <p style="text-align: justify;">Lettres aux po&egrave;tes naturistes, 1982</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec sa m&egrave;re et son fr&egrave;re, 1987</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Cocteau et Jean Le Roy, 1991</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec les Italiens, 1991 &amp; 1992</p> <p style="text-align: justify;"><em>Index de la correspondance d&rsquo;Apollinaire</em>, 1992</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Pablo Picasso, 1992</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Jules Romains, 1992</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Fa&iuml; Beg Konitza, 1998</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Riciotto Canudo, 1999</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Mireille Havet, 2001</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec Herwarth Walden, 2007</p> <p style="text-align: justify;">Correspondance avec les artistes, 2009</p> <p style="text-align: justify;">Lettres &agrave; Andr&eacute; Dupont, 2014</p> <p style="text-align: justify;"><em>Correspondance g&eacute;n&eacute;rale, </em>5 vol., 2015</p> <p style="text-align: justify;">Lettres &agrave; Georgette Catelain, 2016 Correspondance avec Paul Guillaume, 2016</p> <h2 style="text-align: justify;"><strong>Annexe 2</strong><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Chronologies des &eacute;ditions des lettres et po&egrave;mes &agrave; Lou</strong></h3> <p style="text-align: justify;"><em>Ombre de mon amour</em>, 1947</p> <p style="text-align: justify;"><em>Po&egrave;mes &agrave; Lou</em>, 1955</p> <p style="text-align: justify;"><em>Lettres &agrave; Lou </em>(fac-simil&eacute;), 1956</p> <p style="text-align: justify;"><em>Po&egrave;mes &agrave; Lou</em>, 1957</p> <p style="text-align: justify;">dans <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, Balland &amp; Lecat, 1965-1966</p> <p style="text-align: justify;">dans <em>&OElig;uvres po&eacute;tiques</em>, La Pl&eacute;iade, 1956 &amp; 1965</p> <p style="text-align: justify;"><em>Lettres &agrave; Lou</em>, 1969</p> <p style="text-align: justify;"><em>Je pense &agrave; toi mon Lou</em>, 2007</p> <p style="text-align: justify;"><em>Lettres &agrave; Lou</em>, 2010</p> <h2 style="text-align: justify;"><strong>Annexe 3</strong><br /> &nbsp;</h2> <h3 style="text-align: justify;"><strong>Chronologie des &eacute;ditions des lettres &agrave; Madeleine</strong></h3> <p style="text-align: justify;"><em>Tendre comme le souvenir</em>, 1952</p> <p style="text-align: justify;">dans <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, Balland &amp; Lecat, 1965-1966</p> <p style="text-align: justify;"><em>Lettres &agrave; Madeleine. Tendre comme le souvenir</em>, 2005 et 2006</p> <h3 style="text-align: justify;">Notes<br /> &nbsp;</h3> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Voir l&rsquo;annexe 1 &agrave; la fin de cet article.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Une synth&egrave;se a &eacute;t&eacute; faite avant la vente par Pierre Caizergues, &laquo;&nbsp;Wilhelm de Kostrowitzky, le tr&egrave;s aim&eacute;&nbsp;: inventaire de la correspondance sentimentale d&rsquo;Apollinaire &ndash; Documents in&eacute;dits&nbsp;&raquo;, <em>La Quinzaine litt&eacute;raire</em>, n&deg; &nbsp;276, 1<sup>er</sup> novembre 1997, repris dans Pierre Caizergues, <em>Apollinaire &amp; Cie</em>, Montpellier, PULM, 2018.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> Voir les annexes 2 et 3.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Citons les travaux du premier biographe d&rsquo;Apollinaire, Pierre-Marcel Ad&eacute;ma et les documents publi&eacute;s dans sa revue <em>Le Fl&acirc;neur des deux rives</em> et dans l&rsquo;album <em>Apollinaire</em> de la Pl&eacute;iade. Pensons &eacute;galement aux nombreuses publications de Michel D&eacute;caudin et aux recensions minutieuses de Victor Martin-Schmets.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> <em>&OElig;uvres en prose compl&egrave;tes</em>, t. II et III, Pierre Caizergues et Michel D&eacute;caudin (&eacute;d.), Gallimard, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade&nbsp;&raquo;, 1990 et 1991. La convergence de dates se per&ccedil;oit nettement dans l&rsquo;annexe 1.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Voir ses r&eacute;ponses &agrave; Fagus du 22 juillet 1918 et &agrave; Billy du 29 juillet 1918 (<em>Claude Debon commente </em>Calligrammes<em> de Guillaume Apollinaire</em>, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folioth&egrave;que&nbsp;&raquo;, 2004, p. 185-189) ainsi que sa lettre ouverte &agrave; Maurras du 15 mars 1918 (<em>&OElig;uvres en prose compl&egrave;tes</em>, t. II, <em>op. cit.</em>, p. 996-1000).</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> Ainsi dans <em>Je pense &agrave; toi mon Lou</em>, Textuel, 2007, qui s&rsquo;inspire en la renouvelant de la premi&egrave;re &eacute;dition inaboutie des <em>Lettres &agrave; Lou </em>entreprise en Suisse par Pierre Cailler en 1956. Voir &eacute;galement les reproductions incluses dans les <em>Lettres &agrave; Madeleine. Tendre comme le souvenir</em>, Gallimard, &laquo;&nbsp;Blanche&nbsp;&raquo;, 2005 et &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 2006.</p> <h3 style="text-align: justify;">Auteur</h3> <p style="text-align: justify;"><strong>Laurence Campa</strong> est professeur de litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; Paris Nanterre. Elle consacre ses travaux &agrave; Guillaume Apollinaire et &agrave; la po&eacute;sie de la premi&egrave;re moiti&eacute; du XX<sup>e </sup>si&egrave;cle dans ses rapports aux arts plastiques, &agrave; l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;Histoire et &agrave; la Premi&egrave;re Guerre mondiale en particulier. Elle a &eacute;dit&eacute; plusieurs volumes de correspondance d&rsquo;Apollinaire (<em>Correspondance avec les artistes (1903-1918)</em>, avec Peter Read, Gallimard, 2009). Elle est auteur de l&rsquo;<em>Album Cendrars </em>dans la collection de la Pl&eacute;iade (Gallimard, 2013). Dernier ouvrage paru en octobre 2018&nbsp;: <em>Tout terriblement</em>, anthologie illustr&eacute;e de po&egrave;me d&rsquo;Apollinaire en <em>Po&eacute;sie</em> / Gallimard.</p> <h3 style="text-align: justify;">Copyright</h3> <p style="text-align: justify;">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p> </div>