<p>En août 1914, Victor Segalen, Jean Lartigue et Auguste Gilbert de Voisins, après avoir terminé leur fructueuse mission archéologique, exploraient la grande boucle du Yangzi, « un joli blanc sur la carte du Yunnan », au Sud-Ouest de la Chine, près de la frontière tibétaine. Tandis que ses deux compagnons effectuaient des relevés topographiques le long du fleuve, Segalen a emprunté, seul avec le gros de la caravane, un chemin déjà connu, par les montagnes. Il marchait en pleines futaies de pins, « hautes d’altitude et de sève », accueilli le soir par des Mossos « aux gestes doux » (5/8/1914, 515). À l’étape, au calme, il se consacrait à ses manuscrits et à sa correspondance. Il était heureux. Le jour de la mobilisation générale, le 1er août, il écrit à son fils Yvon : « Mon cher petit Yvon, Nous ne sommes plus dans un vrai pays chinois, mais dans un pays habité par des gens que les chinois appellent des sauvages, et qui ne sont pas sauvages du tout. Ce sont les Lolos et les Mossos. » (1/8/1914, 509) « Tout bien » ­—­ tels sont les derniers mots de son télégramme à Yvonne du 7 août (516) — pour lui, à cette date, la guerre n’a pas commencé.</p>