<h3>Abstract</h3> <p>As a result of technical progress, the development of knowledge and social transformations, the 19<sup>th</sup>&nbsp;century is confronted to an increasing remoteness of the past, whose meaning and validity become less and less visible. Experienced by what Reinhart Koselleck calls the simultaneity of the non-simultanous, the distance between past and present transforms itself into a question for which at least two answers are possible: the maintenance of a connection, or oblivion. With the examples of how Balzac and Flaubert both represent the remoteness of the past under the guise of two very old characters appearing in the middle of a ball, at the Lanty&rsquo;s in&nbsp;<em>Sarrasine</em>, and the Vaubyessard in&nbsp;<em>Madame Bovary</em>, this paper aims to show how, from one writer to the other, the link between past and present has diminished.</p> <p><strong>Keywords</strong><br /> &nbsp;</p> <p>memory, Flaubert, past, Balzac, discontinuity</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>On conna&icirc;t la fa&ccedil;on dont Stendhal, dans&nbsp;<em>Racine et Shakespeare</em>, distingue le romantisme du classicisme&nbsp;: alors que le premier, dit-il, est &laquo;&nbsp;l&rsquo;art de pr&eacute;senter aux peuples les &oelig;uvres litt&eacute;raires qui, dans l&rsquo;&eacute;tat actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible&nbsp;&raquo;, le second &laquo;&nbsp;leur pr&eacute;sente la litt&eacute;rature qui donnait le plus grand plaisir possible &agrave; leurs arri&egrave;re-grands-p&egrave;res&nbsp;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>.&nbsp;&raquo; L&rsquo;&eacute;cart de g&eacute;n&eacute;ration choisi par Stendhal fait mouche, bien s&ucirc;r, parce qu&rsquo;il est grand. Il se justifie historiquement (plus d&rsquo;un si&egrave;cle s&eacute;pare le public romantique de celui de Racine) et strat&eacute;giquement (il s&rsquo;agit de peindre les adversaires de l&rsquo;art nouveau en individus tr&egrave;s largement d&eacute;pass&eacute;s et de donner leur pleine l&eacute;gitimit&eacute; aux &oelig;uvres actuelles), mais au-del&agrave; de l&rsquo;ironie dont il est tr&egrave;s clairement teint&eacute;, il comporte un autre avantage, plus subtil, qui est de laisser dans l&rsquo;ombre, par son &eacute;tendue m&ecirc;me, la question d&eacute;licate de la saisie de l&rsquo;&eacute;loignement. Car si des bisa&iuml;euls aux arri&egrave;re-petits-enfants la distance est assez grande pour que s&rsquo;exprime une distinction, qu&rsquo;en est-il des grands-p&egrave;res aux petits-enfants et des p&egrave;res aux enfants ? &Agrave; partir de quel moment, de quel intervalle, les uns et les autres cessent-ils d&rsquo;habiter un temps partag&eacute;, leurs mani&egrave;res de se transmettre, leurs &oelig;uvres de dialoguer, leurs go&ucirc;ts de se communiquer ? Dans un si&egrave;cle o&ugrave; les transformations de tous ordres vont sans cesse croissant et o&ugrave; chacun est amen&eacute; &agrave; se voir d&eacute;pass&eacute; sur un plan ou sur un autre, et souvent sur plusieurs plans, la r&eacute;ponse apport&eacute;e &agrave; ces questions est au c&oelig;ur de la&nbsp;<em>mesure</em>&nbsp;du temps pr&eacute;sent.</p> <h2>1. La simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute; : une fronti&egrave;re entre les temps<br /> &nbsp;</h2> <p>En cela, ce n&rsquo;est pas un hasard si Stendhal calcule en termes de g&eacute;n&eacute;rations la distance qui s&eacute;pare son &eacute;poque de celle du classicisme. La d&eacute;limitation des g&eacute;n&eacute;rations, on le sait, est l&rsquo;une des obsessions du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle et cela presque dans sa fondation, si l&rsquo;on peut s&rsquo;exprimer ainsi, l&rsquo;article 28 de la Constitution de 1793 pr&eacute;voyant que ce sera &agrave; cette aune &ndash; ou au sein de cette matrice &ndash; que se d&eacute;cidera la caducit&eacute; des lois et des choses : &laquo; Un peuple a toujours le droit de revoir, de r&eacute;former et de changer sa Constitution. Une g&eacute;n&eacute;ration ne peut assujettir &agrave; ses lois les g&eacute;n&eacute;rations futures. &raquo; Au-del&agrave; de cette inscription g&eacute;n&eacute;rale, chacun comprend tr&egrave;s vite qu&rsquo;avec la g&eacute;n&eacute;ration se joue la distribution concr&egrave;te des places et des chances, se dessinent les d&eacute;lin&eacute;aments de l&rsquo;histoire, s&rsquo;observent les marques du progr&egrave;s (ou du progr&egrave;s apparent), s&rsquo;&eacute;dicte la t&acirc;che d&rsquo;&eacute;tablir ce qui est actuel ou digne d&rsquo;oubli, pertinent ou obsol&egrave;te, temporellement proche ou &eacute;loign&eacute;. Cette t&acirc;che, sans doute, a toujours exist&eacute;, mais elle prend avec le d&eacute;veloppement de la modernit&eacute; une ampleur in&eacute;dite, non seulement parce que la vitesse de transformation des savoirs, des m&oelig;urs, des esth&eacute;tiques et des sensibilit&eacute;s s&rsquo;accro&icirc;t de fa&ccedil;on notable, mais aussi parce que cet accroissement devient en soi un objet d&rsquo;interrogation et de pens&eacute;e.</p> <p>Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, la g&eacute;n&eacute;ration est un des moyens les plus imm&eacute;diats d&rsquo;&eacute;prouver cette exp&eacute;rience d&eacute;finitoire de la modernit&eacute; que constituent la pr&eacute;sence dans le m&ecirc;me espace de choses anciennes et de choses nouvelles, la coexistence d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments dont l&rsquo;&eacute;volution n&rsquo;a pas suivi le m&ecirc;me chemin ou ne s&rsquo;est pas produite au m&ecirc;me rythme, bref, ce que l&rsquo;historien Reinhart Koselleck a appel&eacute; &laquo;&nbsp;la simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&nbsp;&raquo;. Car nous avons beau concevoir que le progr&egrave;s varie selon les lieux, les d&eacute;mographies et les soci&eacute;t&eacute;s, c&rsquo;est lorsque l&rsquo;asym&eacute;trie des avanc&eacute;es se manifeste au sein de l&rsquo;existence, lorsqu&rsquo;elle trace des lignes de partage entre les trajectoires et les destins, entre les possibilit&eacute;s offertes et les voies refus&eacute;es, lorsqu&rsquo;elle cr&eacute;e des mani&egrave;res diff&eacute;rentes d&rsquo;habiter le monde qu&rsquo;elle nous appara&icirc;t dans sa r&eacute;alit&eacute;. Dans ses r&eacute;flexions sur le d&eacute;veloppement asynchrone des classes sociales aux XIX<sup>e</sup>&nbsp;et XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles, Ernst Bloch a bien r&eacute;sum&eacute; la fa&ccedil;on dont la simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute;, malgr&eacute; sa dimension collective, est une exp&eacute;rience de la conscience individuelle, que c&rsquo;est &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle d&rsquo;une vie concr&egrave;tement v&eacute;cue que s&rsquo;&eacute;prouve la diff&eacute;rence des temps&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Tous ne sont pas pr&eacute;sents dans le m&ecirc;me temps pr&eacute;sent. Ils n&rsquo;y sont qu&rsquo;ext&eacute;rieurement, parce qu&rsquo;on peut les voir aujourd&rsquo;hui. Mais ce n&rsquo;est pas pour cela qu&rsquo;ils vivent en m&ecirc;me temps que les autres. Ils portent au contraire avec eux un pass&eacute; qui s&rsquo;immisce. L&rsquo;&eacute;poque d&rsquo;un homme d&eacute;pend de l&rsquo;endroit o&ugrave; il se trouve en chair et en os et surtout de la classe &agrave; laquelle il appartient. Des temps plus anciens que ceux d&rsquo;aujourd&rsquo;hui continuent &agrave; vivre dans des couches plus anciennes. On retourne facilement, on r&ecirc;ve qu&rsquo;on retourne, dans l&rsquo;ancien temps&nbsp;<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>.</p> </blockquote> <p>Les romanciers du XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle se sont doublement saisis de cette exp&eacute;rience intime du temps. Ils ont d&rsquo;abord tr&egrave;s vite per&ccedil;u combien la fa&ccedil;on de perdre ou de gagner &agrave; la distribution temporelle des chances constituait un objet de r&eacute;cit, et m&ecirc;me de p&eacute;rip&eacute;ties, &agrave; la fois &eacute;minemment actuel et &eacute;minemment adapt&eacute; &agrave; l&rsquo;instance esth&eacute;tique que constitue le personnage (on pense bien s&ucirc;r ici au th&egrave;me du h&eacute;ros n&eacute; trop t&ocirc;t ou trop tard ou propuls&eacute; dans un milieu plus avanc&eacute; que celui dont il est issu). Il y a dans les temps discordants, dans les aventures et les r&eacute;flexions qu&rsquo;ils entra&icirc;nent, dans leurs ironies et leurs quiproquos, dans leur m&eacute;lancolie une mati&egrave;re &laquo;&nbsp;romanesque&nbsp;&raquo; quasiment infinie. Mais les romanciers, et c&rsquo;est ce qui m&rsquo;int&eacute;resse ici, ont &eacute;galement per&ccedil;u que le gain allait plus loin encore, qu&rsquo;au-del&agrave; des r&eacute;cits qu&rsquo;ils pouvaient tirer des rythmes disjoints de la modernit&eacute;, le roman constituait, par sa forme m&ecirc;me, un moyen &agrave; la fois d&rsquo;&eacute;valuer et de repr&eacute;senter la vitesse &agrave; laquelle le pass&eacute; s&rsquo;&eacute;loignait.</p> <p>Les &oelig;uvres de Balzac et Flaubert peuvent servir ici d&rsquo;exemples, car elles illustrent de fa&ccedil;on particuli&egrave;rement frappante comment, en l&rsquo;espace de deux ou trois d&eacute;cennies, se creuse cette distance qui, s&rsquo;accroissant, entra&icirc;ne la cr&eacute;ation de nouveaux modes de repr&eacute;sentation du pr&eacute;sent et du r&eacute;el. En guise d&rsquo;amorce &agrave; la saisie de cette &eacute;volution, on peut convoquer les deux sc&egrave;nes tr&egrave;s semblables dans leurs &laquo;&nbsp;donn&eacute;es&nbsp;&raquo; que constituent, chez Balzac, l&rsquo;apparition du grand-oncle de Marianina, qui effraie tant Mme de Rochefide, au bal des Lanty dans&nbsp;<em>Sarrasine</em>, et, chez Flaubert, l&rsquo;observation curieuse par Emma du vieux duc de Laverdi&egrave;re, au bal de la Vaubyessard. Sans doute ces deux sc&egrave;nes ne sont-elles pas &eacute;gales, puisque la premi&egrave;re, qui se d&eacute;roule sur plusieurs pages, sert d&rsquo;introduction &agrave; tout un r&eacute;cit, tandis que la seconde, qui tient en un bref paragraphe, marque &agrave; peine une pause dans le d&eacute;roulement du bal auquel a &eacute;t&eacute; invit&eacute; le couple Bovary. Mais outre que cette in&eacute;galit&eacute; m&ecirc;me est significative en soi, ce qui rapproche ces deux sc&egrave;nes est moins leur longueur ou leur d&eacute;veloppement (ou leur non-d&eacute;veloppement) que la situation qu&rsquo;elles se trouvent &agrave; traiter&nbsp;: celle de la pr&eacute;sence de vieillards au milieu d&rsquo;une f&ecirc;te et du heurt, voire de l&rsquo;anomalie que constitue la ruine de leur corps dans l&rsquo;instant &eacute;lectrique des danses et des conversations galantes.</p> <p>D&rsquo;entr&eacute;e de jeu, celui qui fut jadis la Zambinella nous est pr&eacute;sent&eacute; comme issu d&rsquo;un monde irr&eacute;el, surgissant &agrave; intervalles r&eacute;guliers devant les siens tel &laquo;&nbsp;une personne enchant&eacute;e&nbsp;<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>&nbsp;&raquo; pouss&eacute;e &laquo;&nbsp;par quelque m&eacute;canisme de th&eacute;&acirc;tre&nbsp;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cach&eacute; pendant des mois entiers au fond d&rsquo;un sanctuaire inconnu, ce g&eacute;nie familier en sortait tout &agrave; coup comme furtivement, sans &ecirc;tre attendu, et apparaissait au milieu des salons comme ces f&eacute;es d&rsquo;autrefois qui descendaient de leurs dragons volants pour venir troubler les solennit&eacute;s auxquelles elles n&rsquo;avaient pas &eacute;t&eacute; convi&eacute;es&nbsp;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>.&nbsp;&raquo; Si ces survenues cr&eacute;ent habituellement, dans la famille du vieillard, &laquo;&nbsp;une grande sensation&nbsp;<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>&nbsp;&raquo;, l&rsquo;&eacute;moi se transforme, au c&oelig;ur de la f&ecirc;te, en &laquo;&nbsp;terreur&nbsp;<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>&nbsp;&raquo;, tant les Lanty craignent que le corps quasi fantomatique de leur grand-oncle ne s&rsquo;ab&icirc;me tout entier au contact des danseurs. Au moindre risque d&rsquo;effleurement par un invit&eacute;, la comtesse ou un de ses enfants se pr&eacute;cipite&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Filippo s&rsquo;&eacute;lan&ccedil;ait en se glissant &agrave; travers la foule, pour le joindre, et restait aupr&egrave;s de lui, tendre et attentif, comme si le contact des hommes ou le moindre souffle d&ucirc;t briser cette cr&eacute;ature bizarre. La comtesse t&acirc;chait de s&rsquo;en approcher, sans para&icirc;tre avoir eu l&rsquo;intention de le rejoindre ; puis, en prenant des mani&egrave;res et une physionomie autant empreintes de servilit&eacute; que de tendresse, de soumission que de despotisme, elle disait deux ou trois mots auxquels d&eacute;f&eacute;rait presque toujours le vieillard, il disparaissait emmen&eacute;, ou, pour mieux dire, emport&eacute; par elle&nbsp;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.</p> </blockquote> <p>L&rsquo;ancienne Zambinella s&rsquo;incruste, cependant, et lorsque le vieillard &eacute;gay&eacute; vient s&rsquo;asseoir &agrave; c&ocirc;t&eacute; de Mme de Rochefide, celle-ci, d&eacute;j&agrave; troubl&eacute;e par les airs d&rsquo;outre-tombe de la sid&eacute;rante cr&eacute;ature, presse tr&egrave;s vite la main de son amant, &laquo;&nbsp;comme si elle e&ucirc;t cherch&eacute; &agrave; se garantir d&rsquo;un pr&eacute;cipice&nbsp;<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Emma Bovary n&rsquo;a pas tant de crainte quand, au moment du d&icirc;ner &agrave; la Vaubyessard, elle aper&ccedil;oit, assis seul au haut bout de la table, le vieux duc de Laverdi&egrave;re &laquo; courb&eacute; sur son assiette remplie, la serviette nou&eacute;e dans le dos comme un enfant &raquo;, &laquo; laissant tomber de sa bouche des gouttes de sauce &raquo; en mangeant les plats qu&rsquo;il &laquo; d&eacute;sign[e] du doigt en b&eacute;gayant &raquo; et qu&rsquo;un &laquo; domestique, derri&egrave;re sa chaise, lui nomm[e] tout haut, dans l&rsquo;oreille&nbsp;<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. &raquo; Mais si elle est moins spectaculaire que celle de l&rsquo;ancienne Zambinella au bal des Lanty, l&rsquo;apparition du vieux duc chez le marquis d&rsquo;Andervilliers constitue elle aussi une forme d&rsquo;entr&eacute;e dans un autre monde : le beau-p&egrave;re du marquis fut jadis le favori du comte d&rsquo;Artois et, selon la rumeur, l&rsquo;un des amants de Marie-Antoinette ; pour Emma, il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une vision prodigieuse et alors m&ecirc;me que le bal constitue d&eacute;j&agrave; en soi, aux yeux de la jeune femme, une forme de r&ecirc;ve, l&rsquo;image de ce vieillard venu d&rsquo;un autre si&egrave;cle la propulse dans un espace-temps encore plus saisissant et plus improbable : &laquo; sans cesse [s]es yeux [&hellip;] revenaient d&rsquo;eux-m&ecirc;mes sur ce vieil homme &agrave; l&egrave;vres pendantes, comme sur quelque chose d&rsquo;extraordinaire et d&rsquo;auguste. Il avait v&eacute;cu &agrave; la Cour et couch&eacute; dans le lit des reines&nbsp;<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p> <p>Ce qui frappe, dans ces deux sc&egrave;nes, c&rsquo;est le soin mis par chacun des romanciers &agrave; repr&eacute;senter une distance temporelle maximale. Sans doute n&rsquo;&eacute;tonne-t-elle pas de la part de Balzac, qui d&eacute;peint souvent la vieillesse sous des traits spectraux et fantastiques, comme si celui qui en &eacute;tait le porteur habitait d&eacute;j&agrave; un autre monde. Le p&egrave;re Goriot, par exemple, a les cheveux verd&acirc;tres et sa silhouette, au fil des ann&eacute;es, se d&eacute;charne pour ne plus laisser place qu&rsquo;&agrave; un &ecirc;tre flottant et cadav&eacute;rique&nbsp;: &laquo;&nbsp;ses mollets tomb&egrave;rent ; sa figure, bouffie par le contentement d&rsquo;un bonheur bourgeois, se vida d&eacute;mesur&eacute;ment&nbsp;<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>&nbsp;&raquo;. On pense aussi &agrave; Porbus, dans&nbsp;<em>Le</em>&nbsp;<em>Chef-d&rsquo;&oelig;uvre inconnu,</em>&nbsp;dont le &laquo;&nbsp;corps fluet et d&eacute;bile&nbsp;&raquo; laisse &eacute;chapper &laquo;&nbsp;quelque chose de diabolique&nbsp;<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>&nbsp;&raquo; ou encore au colonel Chabert, litt&eacute;ralement, lui, revenu de la mort et qui en porte partout les signes sur son visage &laquo;&nbsp;livide&nbsp;&raquo; aux &laquo;&nbsp;rides blanches&nbsp;&raquo;, aux &laquo;&nbsp;sinuosit&eacute;s froides&nbsp;&raquo; et aux &laquo;&nbsp;yeux couverts d&rsquo;une taie transparente&nbsp;<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>.&nbsp;&raquo; Mais l&rsquo;ancienne Zambinella semble venir d&rsquo;une r&eacute;gion encore plus &eacute;loign&eacute;e, au point de ressembler &agrave; &laquo;&nbsp;une cr&eacute;ation artificielle&nbsp;<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a>&nbsp;&raquo;. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, le duc de Laverdi&egrave;re rel&egrave;ve d&rsquo;un temps si recul&eacute; que le vieillard g&acirc;teux appara&icirc;t &agrave; Emma telle une relique. Cette distance pouss&eacute;e au plus loin s&rsquo;explique bien s&ucirc;r, dans les deux cas, par les besoins de l&rsquo;intrigue&nbsp;: le grand-oncle de Marianina doit se pr&eacute;senter comme une &eacute;nigme terrifiante aux yeux de Mme de Rochefide pour qu&rsquo;op&egrave;re tout le plaisir du conte qui va suivre, et le bal &agrave; la Vaubyessard ne constituerait pas un si grand &eacute;v&eacute;nement dans la vie d&rsquo;Emma si elle n&rsquo;y &eacute;tait expos&eacute;e &agrave; ce qui se trouve au plus loin de sa condition et de son milieu.</p> <h2>2. R&eacute;soudre l&rsquo;&eacute;loignement<br /> &nbsp;</h2> <p>Mais la question qui se pose ici ne concerne pas tant le r&ocirc;le jou&eacute; par ces figures dans la psych&eacute; des personnages que la fa&ccedil;on dont leur &eacute;loignement est trait&eacute;&nbsp;<em>en soi</em>, pour constituer en lui-m&ecirc;me, en tant que&nbsp;<em>fait</em>&nbsp;en propre, un objet du r&eacute;cit. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment&nbsp;: comment, une fois pr&eacute;sent&eacute;e comme plus ou moins fabuleuse la rencontre de ces temps disjoints que constituent la vivacit&eacute; de la f&ecirc;te et l&rsquo;apparition du pass&eacute; sous les traits d&rsquo;un tr&egrave;s grand vieillard, les deux romanciers r&eacute;solvent-ils la simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute; qu&rsquo;ils viennent de mettre en sc&egrave;ne?</p> <p>Balzac, de fa&ccedil;on tr&egrave;s claire, &eacute;tablit une connexion. D&egrave;s la distance &eacute;nonc&eacute;e, il travaille &agrave; la combattre et &agrave; la r&eacute;duire. Le r&eacute;cit qui suit l&rsquo;apparition du grand-oncle de Marianina nous r&eacute;v&egrave;le non seulement l&rsquo;histoire et l&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;inqui&eacute;tant vieillard, mais &eacute;galement la fa&ccedil;on dont son pass&eacute; de castrat se poursuit dans le pr&eacute;sent par la fortune que son art a permis d&rsquo;amasser et dont la famille de Lanty est aujourd&rsquo;hui l&rsquo;h&eacute;riti&egrave;re. Une telle r&eacute;solution est fr&eacute;quente dans&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, dont la dramaturgie repose souvent sur la permutation des places&nbsp;: le plus &eacute;lev&eacute; devient le plus bas, le plus pauvre le plus riche, le plus c&eacute;l&eacute;br&eacute; le plus honni, le plus secret le plus notoire, le plus ancien le plus actif. Dans la soci&eacute;t&eacute; en pleine mutation que Balzac s&rsquo;est donn&eacute; pour projet de d&eacute;crire, aucune position ni aucune existence ne sont &laquo;&nbsp;arr&ecirc;t&eacute;es&nbsp;&raquo;, aucun moment n&rsquo;est d&eacute;finitif, et si aucun avenir n&rsquo;est jamais totalement compromis aucun pass&eacute; n&rsquo;est jamais totalement liquid&eacute;. Ces d&eacute;placements sont &eacute;troitement li&eacute;s au fait que le temps de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, ainsi que l&rsquo;&eacute;crit Fran&ccedil;ois Hartog, &laquo;&nbsp;n&rsquo;est pas lin&eacute;aire mais fragment&eacute; en &eacute;pisodes, discontinu. On monte et on descend du train, et le voyageur se fait observateur du simultan&eacute; du non-simultan&eacute;, de ces temporalit&eacute;s d&eacute;saccord&eacute;es, de ces personnages qui partagent les m&ecirc;mes espaces mais ne vivent pas dans le m&ecirc;me temps&nbsp;<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Cette discontinuit&eacute; est bien s&ucirc;r voulue par Balzac, qui y fait reposer la structure de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>&nbsp;en ce qu&rsquo;elle lui donne les moyens de se mouvoir indiff&eacute;remment d&rsquo;une &eacute;poque &agrave; l&rsquo;autre de la vie de ses personnages. Mais il me semble possible de voir dans ces temporalit&eacute;s d&eacute;saccord&eacute;es non seulement ce que le romancier accueille et m&ecirc;me recherche, mais aussi ce qu&rsquo;il combat, voire s&rsquo;efforce de r&eacute;parer. Si l&rsquo;&eacute;nergie peu commune qu&rsquo;il d&eacute;ploie partout dans son &oelig;uvre pour relier entre eux les faits du pass&eacute; et ceux du pr&eacute;sent montre que ces liens ne vont plus de soi, qu&rsquo;ils ont cess&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre clairs et &eacute;vidents et m&ecirc;me se sont rompus, elle indique &eacute;galement la possibilit&eacute; de les renouer et, plus encore, le souhait de les retrouver. C&rsquo;est l&agrave; d&rsquo;ailleurs un aspect oubli&eacute; de la fameuse&nbsp;<em>causalit&eacute;</em>&nbsp;balzacienne et qui invite &agrave; revoir la mani&egrave;re dont elle a &eacute;t&eacute; g&eacute;n&eacute;ralement per&ccedil;ue tout au long du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, &agrave; savoir comme une forme d&rsquo;abus de pouvoir de la part du romancier ou comme une logique trop carr&eacute;e et trop d&eacute;miurgique&nbsp;: l&rsquo;ardeur et l&rsquo;extravagance de moyens que Balzac d&eacute;ploie pour faire valoir ces liens (recours aux d&eacute;tours et aux secrets, &agrave; l&rsquo;officieux et au cach&eacute;, &agrave; l&rsquo;effrayant et &agrave; l&rsquo;impressionnant, etc.) ne seraient pas, en effet, l&rsquo;indice de la puissance de ces derniers mais, tout au contraire, celui de leur&nbsp;<em>fragilit&eacute;</em>. De moins en moins &eacute;vidents, de plus en plus subtils ou rendus aux derni&egrave;res limites de leur existence, ces liens exigeraient, pour &ecirc;tre vus et compris, un effort soutenu d&rsquo;attention, l&rsquo;&eacute;laboration de r&eacute;cits complexes et sinueux, la construction, pour les renforcer, de dispositifs improbables, comme celui qui consiste &agrave; faire appara&icirc;tre au milieu d&rsquo;une f&ecirc;te un &ecirc;tre quasi surnaturel.</p> <p>L&rsquo;avant-propos de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>&nbsp;pointe vers l&rsquo;ext&eacute;nuation de ces liens et cela par le projet m&ecirc;me que Balzac y pr&eacute;sente de se faire l&rsquo;<em>historien</em>&nbsp;de sa soci&eacute;t&eacute;. Les limites que le romancier donne &agrave; cette entit&eacute; sont relativement circonscrites, puisque c&rsquo;est l&rsquo;empan d&rsquo;une g&eacute;n&eacute;ration qui en d&eacute;termine la dimension et, du fait m&ecirc;me, la cl&ocirc;ture&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce n&rsquo;[est] pas une petite t&acirc;che que de peindre les deux ou trois mille figures saillantes d&rsquo;une &eacute;poque, car telle est, en d&eacute;finitif, la somme des types que pr&eacute;sente chaque g&eacute;n&eacute;ration et que&nbsp;<em>La Com&eacute;die Humaine</em>&nbsp;comportera&nbsp;<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>.&nbsp;&raquo; Dans sa r&eacute;ponse &agrave; Hippolyte Castille &ndash; qui reprochait au romancier, dans un article d&rsquo;octobre 1845, de cr&eacute;er trop peu de personnages &eacute;difiants &ndash;, Balzac est encore plus explicite&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai entrepris l&rsquo;histoire de toute la soci&eacute;t&eacute;. J&rsquo;ai exprim&eacute; souvent mon plan dans cette seule phrase&nbsp;: &ldquo;Une g&eacute;n&eacute;ration est un drame &agrave; quatre ou cinq mille personnages saillants.&rdquo; Ce drame, c&rsquo;est mon livre&nbsp;<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>.&nbsp;&raquo; Mais si la dur&eacute;e d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; est relativement courte, celle de l&rsquo;histoire, par d&eacute;finition, est longue ou, &agrave; tout le moins, libre de toutes bornes. Pour articuler l&rsquo;une &agrave; l&rsquo;autre, Balzac doit donc inscrire le pr&eacute;sent dans un temps &eacute;largi. Ce temps &eacute;largi, c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs pr&eacute;cis&eacute;ment ce qu&rsquo;il trouve et admire chez les grands personnages de roman que sont, par exemple, Don Quichotte, Manon Lescaut, Clarisse, Lovelace, Robinson Cruso&eacute;, Gil Blas, Ossian, Julie d&rsquo;&Eacute;tanges, Werther, Ren&eacute;, Corinne, Adolphe, Paul et Virginie, et qui ont en commun que leur &laquo;&nbsp;existence devient plus longue, plus authentique que celle des g&eacute;n&eacute;rations au milieu desquelles on les fait na&icirc;tre.&nbsp;&raquo; Ces personnages, ajoute-t-il, &laquo; ne vivent qu&rsquo;&agrave; la condition d&rsquo;&ecirc;tre une grande image du pr&eacute;sent. Con&ccedil;us dans les entrailles de leur si&egrave;cle, tout le c&oelig;ur humain se remue sous leur enveloppe, il s&rsquo;y cache souvent toute une philosophie&nbsp;<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>.&nbsp;&raquo; &Ecirc;tre une grande image du pr&eacute;sent, c&rsquo;est, bien s&ucirc;r, le repr&eacute;senter tout particuli&egrave;rement ou fortement, mais c&rsquo;est aussi le donner &agrave; voir depuis un temps &eacute;tendu, ce qui peut se faire de fa&ccedil;on verticale, par universalit&eacute; transcendante (&laquo;&nbsp;tout le c&oelig;ur humain&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;toute une philosophie&nbsp;&raquo;) ou par exploration des profondeurs (les &laquo;&nbsp;entrailles&nbsp;&raquo; du si&egrave;cle), mais aussi de fa&ccedil;on horizontale ou r&eacute;ticulaire, en multipliant les liens, les passerelles et les relais qui rattachent entre eux des individus et des &eacute;v&eacute;nements a priori distants les uns des autres. C&rsquo;est cette horizontalit&eacute;, &eacute;crit Balzac, qui a manqu&eacute; &agrave; Walter Scott pour que son &oelig;uvre r&eacute;alise la pleine t&acirc;che historienne qui sera celle de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine&nbsp;</em>: il &laquo;&nbsp;n&rsquo;avait pas song&eacute; &agrave; relier ses compositions l&rsquo;une &agrave; l&rsquo;autre de mani&egrave;re &agrave; coordonner une histoire compl&egrave;te, dont chaque chapitre e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un roman, et chaque roman une &eacute;poque. En apercevant ce d&eacute;faut de liaison, qui d&rsquo;ailleurs ne rend pas l&rsquo;&Eacute;cossais moins grand, je vis &agrave; la fois le syst&egrave;me favorable &agrave; l&rsquo;ex&eacute;cution de mon ouvrage et la possibilit&eacute; de l&rsquo;ex&eacute;cuter&nbsp;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>.&nbsp;&raquo; Or la force de ce syst&egrave;me ne tient pas seulement &agrave; son principe, c&rsquo;est-&agrave;-dire au&nbsp;<em>fait</em>&nbsp;qu&rsquo;en rattachant le pr&eacute;sent au pass&eacute; (et vice-versa) Balzac les agrandit l&rsquo;un et l&rsquo;autre, rendant ainsi l&rsquo;histoire du pr&eacute;sent plus vaste que sa simple actualit&eacute;. La force du syst&egrave;me tient aussi, comme le montre l&rsquo;exemple de&nbsp;<em>Sarrasine</em>, &agrave; ce qu&rsquo;il pousse au plus loin la tension que constitue la contemporan&eacute;it&eacute; du non-contemporain, qu&rsquo;il la porte presque au point de rupture ou, &agrave; tout le moins, &agrave; un point spectaculaire. Par sa nature tr&egrave;s dynamique (et tr&egrave;s dramatique), mais aussi parce que la mesure du temps loge au c&oelig;ur de toute son esth&eacute;tique et de toute sa r&eacute;flexion, cette tension au sein des liaisons entre des temps disjoints est l&rsquo;une des assises les plus importantes de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>.</p> <p>Chez Flaubert aussi le simultan&eacute; du non-simultan&eacute; est une assise, mais d&rsquo;une tout autre fa&ccedil;on que chez Balzac. L&rsquo;auteur de&nbsp;<em>Madame Bovary</em>, en effet, n&rsquo;&eacute;tablit aucune connexion entre le pass&eacute; et le pr&eacute;sent. M&ecirc;me s&rsquo;il a &eacute;t&eacute;, selon ce qu&rsquo;on en rapporte, l&rsquo;amant de Marie-Antoinette, le duc de Laverdi&egrave;re reste dans la solitude de son b&eacute;gaiement, de sa surdit&eacute; et des gouttes de sauce qu&rsquo;il laisse tomber en mangeant. Tandis que l&rsquo;ancien castrat risque &agrave; tout moment de perturber l&rsquo;ordre et la bonne marche du bal des Lanty o&ugrave; il est remarqu&eacute;, sinon scrut&eacute;, par tous les convives, il n&rsquo;y a qu&rsquo;Emma pour porter son regard sur le vieux duc, dont la pr&eacute;sence au sein de la f&ecirc;te est parfaitement inoffensive. Et ce regard lui-m&ecirc;me ne s&rsquo;attarde pas. Contrairement &agrave; Mme de Rochefide qui veut tout savoir du grand-oncle de Marianina, Emma n&rsquo;exige aucun r&eacute;cit de la vie pass&eacute;e du vieillard et aucun r&eacute;cit ne nous en est donn&eacute;, sinon les quelques informations qui permettent &agrave; la jeune femme d&rsquo;&ecirc;tre un instant &eacute;merveill&eacute;e par l&rsquo;&laquo; auguste &raquo; personnage avant qu&rsquo;elle ne tourne son attention vers le champagne glac&eacute; et les fruits servis comme dessert : &laquo; Elle n&rsquo;avait jamais vu de grenades ni mang&eacute; d&rsquo;ananas. Le sucre en poudre m&ecirc;me lui parut plus blanc et plus fin qu&rsquo;ailleurs&nbsp;<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>Le duc de Laverdi&egrave;re n&rsquo;est pas, dans l&rsquo;&oelig;uvre de Flaubert, la seule figure du pass&eacute; qui dispara&icirc;t presque aussit&ocirc;t nomm&eacute;e. Au couvent d&rsquo;Emma, la vieille ling&egrave;re &laquo; appartenant &agrave; une ancienne famille de gentilshommes ruin&eacute;s sous la R&eacute;volution&nbsp;<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>&nbsp;&raquo; et qui apporte en cachette aux jeunes pensionnaires les romans &agrave; l&rsquo;eau de rose dont elles sont si friandes ne survit pas, elle non plus, &agrave; la bri&egrave;vet&eacute; de son apparition. Dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, la duchesse que Mme Dambreuse accueille avec &laquo;&nbsp;bonheur&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;une de ses soir&eacute;es existe de fa&ccedil;on encore plus &eacute;ph&eacute;m&egrave;re&nbsp;: &laquo; [Mme Dambreuse] s&rsquo;avan&ccedil;a jusqu&rsquo;&agrave; la porte, au-devant d&rsquo;une vieille petite dame, qui avait une robe de taffetas carm&eacute;lite et un bonnet de guipure, &agrave; longues pattes. Fille d&rsquo;un compagnon d&rsquo;exil du comte d&rsquo;Artois et veuve d&rsquo;un mar&eacute;chal de l&rsquo;Empire cr&eacute;&eacute; pair de France en 1830, elle tenait &agrave; l&rsquo;ancienne cour comme &agrave; la nouvelle et pouvait obtenir beaucoup de choses. Ceux qui causaient debout s&rsquo;&eacute;cart&egrave;rent, puis reprirent leur discussion&nbsp;<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>.&nbsp;&raquo; Le &laquo;&nbsp;vieillard en habit noir sur un cheval blanc, &agrave; selle de velours &raquo;, tenant d&rsquo;une main &laquo;&nbsp;un rameau vert, de l&rsquo;autre un papier&nbsp;<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a>&nbsp;&raquo; qu&rsquo;aper&ccedil;oit Fr&eacute;d&eacute;ric au milieu de la foule lors de l&rsquo;insurrection de 1848 dispara&icirc;t encore plus vite, puisqu&rsquo;il n&rsquo;a m&ecirc;me pas droit &agrave; l&rsquo;&eacute;nonciation de ses qualit&eacute;s. Il s&rsquo;agit pourtant d&rsquo;une figure historique bien r&eacute;elle&nbsp;: le mar&eacute;chal &Eacute;tienne Maurice G&eacute;rard, g&eacute;n&eacute;ral d&rsquo;Empire et ancien ministre de la Guerre sous la Monarchie de Juillet, charg&eacute; par Louis-Philippe de parlementer avec les insurg&eacute;s&nbsp;<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>. Mais au milieu de cette foule dont, &laquo;&nbsp;d&eacute;sesp&eacute;rant de se faire entendre,&nbsp;il se retir[e]&nbsp;&raquo;, son identit&eacute; se perd, autant pour Fr&eacute;d&eacute;ric, qui ne reconna&icirc;t pas le mar&eacute;chal (ou n&rsquo;a pas les moyens de le reconna&icirc;tre), que pour le roman, qui laisse aller sans la nommer cette figure insolite et &agrave; la fois repr&eacute;sentative, par son isolement et par son d&eacute;s&oelig;uvrement, des personnages qui, chez Flaubert, n&rsquo;appartiennent pas au pr&eacute;sent. Sur tous les plans, en effet, le vieux mar&eacute;chal est hors-jeu et &agrave; contretemps&nbsp;: dans sa mission d&rsquo;abord, puisqu&rsquo;il ne parvient pas &agrave; s&rsquo;int&eacute;grer au temps de l&rsquo;insurrection ; au sein de l&rsquo;histoire ensuite, puisque malgr&eacute; ses faits d&rsquo;armes, il n&rsquo;est plus l&rsquo;homme de la situation ; dans le roman enfin, o&ugrave; aucune instance ne se souvient de lui et o&ugrave; sa silhouette saugrenue, surnum&eacute;raire, surgie de nulle part et aussit&ocirc;t &eacute;vanouie s&rsquo;en va rejoindre tous les &ecirc;tres excentriques et inexpliqu&eacute;s que Fr&eacute;d&eacute;ric voit d&eacute;filer dans la cohue, &agrave; l&rsquo;instar du &laquo;&nbsp;grand jeune homme p&acirc;le, dont les cheveux noirs flottaient sur les &eacute;paules, prises dans une esp&egrave;ce de maillot &agrave; pois de couleur&nbsp;<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a>&nbsp;&raquo;, crois&eacute; rue Saint-Honor&eacute;, et de la &laquo;&nbsp;fille publique, en statue de la Libert&eacute;, &ndash; immobile, les yeux grands ouverts, effrayante&nbsp;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>&nbsp;&raquo;, qui se tient au beau milieu de la foule lors du saccage du ch&acirc;teau des Tuileries.</p> <h2>3. Une esth&eacute;tique du temps v&eacute;cu<br /> &nbsp;</h2> <p>Autant Balzac retrace, exhume et reconstitue le pass&eacute; afin de le rattacher au pr&eacute;sent, autant Flaubert l&rsquo;abandonne &agrave; la disparition et &agrave; l&rsquo;oubli. En apercevant dans le jardin de la Vaubyessard le visage des paysans attir&eacute;s par les lumi&egrave;res du bal, Emma se revoit un instant aux Bertaux, &agrave; la ferme de son p&egrave;re, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave;, jeune fille, elle &eacute;cr&eacute;mait les terrines de lait. Mais, l&agrave; encore, l&rsquo;image s&rsquo;efface presque aussit&ocirc;t, comme si face au pr&eacute;sent le pass&eacute; n&rsquo;avait pas la force de tenir&nbsp;: &laquo;&nbsp;aux fulgurations de l&rsquo;heure pr&eacute;sente, sa vie pass&eacute;e, si nette jusqu&rsquo;alors, s&rsquo;&eacute;vanouissait tout enti&egrave;re, et elle doutait presque de l&rsquo;avoir v&eacute;cue&nbsp;<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a>.&nbsp;&raquo; D&egrave;s le retour &agrave; Tostes, c&rsquo;est le souvenir du bal qui s&rsquo;estompe&nbsp;: &laquo;&nbsp;peu &agrave; peu, les physionomies se confondirent dans sa m&eacute;moire, elle oublia l&rsquo;air des contredanses, elle ne vit plus si nettement les livr&eacute;es et les appartements ; quelques d&eacute;tails s&rsquo;en all&egrave;rent, mais le regret lui resta&nbsp;<a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a>.&nbsp;&raquo; Le seul objet qui lui permettrait de se souvenir du bal, le porte-cigares retrouv&eacute; sur la route du retour et dont Emma est convaincue qu&rsquo;il appartient au vicomte avec qui elle a si d&eacute;licieusement vals&eacute;, ne la ram&egrave;ne pas vers la f&ecirc;te. Si la jeune femme conserve pr&eacute;cieusement dans son armoire l&rsquo;&eacute;tui de soie verte et le palpe de temps en temps, ce n&rsquo;est pas pour se reporter en esprit &agrave; cette soir&eacute;e qui s&rsquo;&eacute;loigne de plus en plus, mais pour s&rsquo;inventer des r&eacute;cits, se projeter des images de vie romanesque qu&rsquo;elle cr&eacute;e de toutes pi&egrave;ces &agrave; partir du tout venant de ses lectures.</p> <p>L&rsquo;oubli des choses pass&eacute;es, l&rsquo;&eacute;loignement sans retour de tout ce qui, une fois sa vie consum&eacute;e, est vers&eacute; dans la colonne de ce qui a disparu est au c&oelig;ur de l&rsquo;esth&eacute;tique flaubertienne de la m&ecirc;me fa&ccedil;on que la liaison entre les &eacute;v&eacute;nements, les &eacute;poques et les &ecirc;tres, si lointains soient-ils, est au c&oelig;ur de l&rsquo;esth&eacute;tique balzacienne. Si j&rsquo;utilise le terme d&rsquo;esth&eacute;tique, c&rsquo;est parce que la diff&eacute;rence dans la conception du temps et de l&rsquo;histoire, entre les deux auteurs, n&rsquo;est pas que d&rsquo;ordre conceptuel, mais &eacute;galement technique et formel&nbsp;: l&agrave; o&ugrave; le principe de causalit&eacute; gouverne de part en part la composition de&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, la nature &eacute;vasive, pour ne pas dire &eacute;vanescente, des liens entre le pass&eacute; et le pr&eacute;sent est au c&oelig;ur de celle des romans de Flaubert. On sait combien, chez lui, l&rsquo;&eacute;criture est fond&eacute;e sur la parataxe et la coordination, et laisse &agrave; la supposition du lecteur l&rsquo;id&eacute;e que tel &eacute;v&eacute;nement puisse expliquer tel autre (comme dans cet exemple, au sujet de la d&eacute;gradation physique de F&eacute;licit&eacute; dans&nbsp;<em>Un c&oelig;ur simple&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;Par suite d&rsquo;un refroidissement, il lui vint une angine&nbsp;; peu de temps apr&egrave;s, un mal d&rsquo;oreilles. Trois ans plus tard, elle &eacute;tait sourde&nbsp;<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a>.&nbsp;&raquo;) Ce mode de composition peut certes s&rsquo;interpr&eacute;ter par le refus bien connu du romancier de &laquo;&nbsp;conclure&nbsp;&raquo;, tel qu&rsquo;il l&rsquo;exprime notamment &agrave; Louis Bouilhet&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oui, la b&ecirc;tise consiste &agrave; vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. [&hellip;] Quel est l&rsquo;esprit un peu fort qui ait conclu, &agrave; commencer par Hom&egrave;re&nbsp;? Contentons-nous du tableau, c&rsquo;est ainsi, bon&nbsp;<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>&nbsp;&raquo;&nbsp;; ou encore par son d&eacute;sir de ne montrer que le milieu des choses, c&rsquo;est-&agrave;-dire leur part visible et objective, d&eacute;tach&eacute;e de toute sp&eacute;culation sur ce qu&rsquo;elles ont pu &ecirc;tre ou sur ce qu&rsquo;elles deviendront&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il y aurait, &eacute;crit-il &agrave; Louise Colet, un beau livre &agrave; faire sur la litt&eacute;rature probante. &ndash; Du moment que vous prouvez, vous mentez. Dieu sait le commencement et la fin&nbsp;; l&rsquo;homme le milieu&nbsp;<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a>.&nbsp;&raquo; Il me semble cependant possible d&rsquo;envisager une autre explication encore &agrave; la faiblesse des liens causaux &ndash; et donc temporels &ndash; qui est la fa&ccedil;on dont Flaubert envisage la dur&eacute;e de ce &laquo;&nbsp;milieu&nbsp;&raquo;. Car l&rsquo;absence de pont entre le pr&eacute;sent et le pass&eacute; ne se manifeste pas seulement chez lui lorsque leur distance est grande, mais aussi lorsque l&rsquo;&eacute;cart est mince, voire t&eacute;nu. Dans&nbsp;<em>Madame Bovary</em>&nbsp;et&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, notamment, ce qui est survenu quelques mois, quelques semaines, parfois seulement quelques jours plus t&ocirc;t perd autant en force et en action qu&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement tr&egrave;s ancien. Cette perte est parfois per&ccedil;ue comme telle par les personnages, ainsi que le montre l&rsquo;exemple du bal &agrave; la Vaubyessard dont Emma oublie rapidement les d&eacute;tails, mais, le plus souvent, c&rsquo;est la narration qui la produit, en ne liant pas ni ne rendant n&eacute;cessaires l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre les &eacute;l&eacute;ments que la chronologie pourtant rapproche. Les &eacute;v&eacute;nements d&eacute;filent, s&rsquo;ajoutent les uns aux autres, se succ&egrave;dent, mais, contrairement &agrave; l&rsquo;explication offerte par Charles &agrave; la mort d&rsquo;Emma, rien, dans l&rsquo;intrigue, n&rsquo;est jamais le r&eacute;sultat de la moindre &laquo;&nbsp;fatalit&eacute;&nbsp;<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>&nbsp;&raquo;. &Agrave; chaque moment, les personnages pourraient, sans beaucoup d&rsquo;effort ni m&ecirc;me de r&eacute;flexion, opter pour une autre d&eacute;cision ou une autre entreprise tant ils ne sont que superficiellement ou temporairement contraints par leurs actions pr&eacute;c&eacute;dentes. Sans doute&nbsp;<em>Madame Bovary</em>&nbsp;repose-t-il sur un encha&icirc;nement de faits conduisant Emma de sa vie de jeune fille jusqu&rsquo;&agrave; son suicide, mais la composition des chapitres et le grain du texte &ndash; faits d&rsquo;ellipses jamais combl&eacute;es, d&rsquo;&eacute;pisodes ou de d&eacute;tails sur lesquels on ne revient pas, de r&eacute;p&eacute;titions qui brouillent les s&eacute;quences, de juxtapositions et d&rsquo;&eacute;num&eacute;rations &ndash; ne cessent de travailler contre cet encha&icirc;nement et de le rendre secondaire, d&rsquo;en faire lui-m&ecirc;me un d&eacute;tail au sein de tout ce qui compose le pr&eacute;sent, les perceptions et les sentiments.</p> <p>Par ailleurs, il n&rsquo;y a pas que les &eacute;v&eacute;nements qui soient &laquo;&nbsp;isol&eacute;s&nbsp;&raquo; dans&nbsp;<em>Madame Bovary</em>&nbsp;et dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>. Les personnages aussi, que ce soit Charles, Homais, Rodolphe, Fr&eacute;d&eacute;ric, Marie Arnoux, Deslauriers ou Mme Dambreuse, existent chacun dans leur temps propre, en dehors de toute dur&eacute;e commune ou collectivement &eacute;prouv&eacute;e. Leur rencontre s&rsquo;effectue essentiellement sous la forme de la co&iuml;ncidence ou de la co-spatialit&eacute;, comme le montre la sc&egrave;ne des comices agricoles (qui n&rsquo;est pas seulement divis&eacute;e en deux, avec Rodolphe et Emma d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; et les villageois de l&rsquo;autre, mais o&ugrave; chacun &ndash; Rodolphe, Emma, les messieurs sur l&rsquo;estrade, la vieille Catherine Leroux toute perdue &ndash; vit dans son propre monde, avec ses propres rep&egrave;res et ses propres envies) ou comme le donnent &agrave; sentir, dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale,</em>&nbsp;les innombrables rencontres produites par le hasard des d&eacute;placements, des courses, des d&eacute;ambulations et des rendez-vous. C&rsquo;est dans ce roman, post&eacute;rieur d&rsquo;une douzaine d&rsquo;ann&eacute;es &agrave;&nbsp;<em>Madame Bovary</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire plus tardif dans le si&egrave;cle, que Flaubert pousse au plus loin la s&eacute;paration des temps, le r&eacute;cit y progressant, comme l&rsquo;a montr&eacute; entre autres Marie-Astrid Charlier, par r&eacute;p&eacute;titions et par &eacute;chos&nbsp;<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>, et le lien entre le pr&eacute;sent et le pass&eacute;, m&ecirc;me le plus proche, se donnant d&rsquo;entr&eacute;e de jeu comme perdu, us&eacute;, accessible uniquement par un effort de rem&eacute;moration ou par les restes d&rsquo;un vague souvenir. Rosanette illustre ironiquement mais aussi embl&eacute;matiquement cette r&eacute;duction et cet &eacute;videment du souvenir quand, au ch&acirc;teau de Fontainebleau, qu&rsquo;elle visite avec Fr&eacute;d&eacute;ric, elle ne trouve rien &agrave; dire sur les tableaux, les statues et les tapisseries, dont tout ce qu&rsquo;elle saisit est qu&rsquo;ils sont d&rsquo;un autre temps :</p> <blockquote> <p>Son mutisme prouvait clairement qu&rsquo;elle ne savait rien, ne comprenait pas, si bien que par complaisance [Fr&eacute;d&eacute;ric] lui dit : &ndash; &laquo; Tu t&rsquo;ennuies peut-&ecirc;tre ? &raquo; &ndash; &laquo; Non, non, au contraire ! &raquo; Et, le menton lev&eacute;, tout en promenant &agrave; l&rsquo;entour un regard des plus vagues, Rosanette l&acirc;cha ce mot : &ndash; &laquo;&nbsp;&Ccedil;a rappelle des souvenirs&nbsp;<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a>&nbsp;! &raquo;</p> </blockquote> <p>&nbsp;</p> <p>Que conclure de ces mani&egrave;res diff&eacute;rentes qu&rsquo;ont Balzac et Flaubert de traiter la rencontre du pr&eacute;sent et du pass&eacute; et la simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute; ? Deux r&eacute;ponses me semblent possibles, selon qu&rsquo;on adopte un point de vue externe ou interne au roman. D&rsquo;un point de vue externe, qu&rsquo;on pourrait qualifier d&rsquo;historique ou de sociologique, la diff&eacute;rence de traitement de l&rsquo;asynchronie, chez les deux auteurs, sugg&egrave;re le creusement, au fil du temps, de la rupture qui, pour Stendhal en 1823, s&rsquo;&eacute;non&ccedil;ait par l&rsquo;&eacute;cart s&eacute;parant des g&eacute;n&eacute;rations qui, concr&egrave;tement, ne pouvaient pas se rencontrer. En 1830, c&rsquo;est un pass&eacute; un peu plus proche &ndash; de grand-oncle &agrave; petits-neveux &ndash; qui commence &agrave; s&rsquo;&eacute;loigner, mais dont la communication avec le pr&eacute;sent est encore possible. L&rsquo;ancienne Zambinella peut encore &ecirc;tre comprise par la jeune Mme de Rochefide, qui r&eacute;clame d&rsquo;ailleurs que lui soit fait le r&eacute;cit de sa vie. Vingt-cinq ans plus tard, la communication a pris fin, et Mme Bovary, apr&egrave;s avoir observ&eacute; pendant quelques instants le vieux duc de Laverdi&egrave;re, abandonne le vieillard &agrave; sa d&eacute;cr&eacute;pitude pour se tourner vers les stimulations scintillantes du pr&eacute;sent. On remarque par ailleurs que, pour Flaubert, la g&eacute;n&eacute;ration n&rsquo;est plus un &eacute;l&eacute;ment d&eacute;terminant ni m&ecirc;me de r&eacute;flexion. On oublie vite l&rsquo;&acirc;ge que peuvent avoir Emma et Fr&eacute;d&eacute;ric &ndash; nous savons objectivement qu&rsquo;ils sont jeunes, mais la jeunesse n&rsquo;est pas un trait qui les caract&eacute;rise ou qui d&eacute;finit leurs entreprises &ndash; et le calcul des ans qui permettrait de situer leurs actions est constamment brouill&eacute; ou laiss&eacute; dans les limbes de la narration&nbsp;<a href="#_ftn37" name="_ftnref37">[37]</a>. Cette absence de &laquo;&nbsp;datation&nbsp;&raquo; explique en grande partie pourquoi l&rsquo;&oelig;uvre de Flaubert est si soluble dans le temps long de la r&eacute;ception, l&agrave; o&ugrave; celle de Balzac, en d&eacute;pit de toute sa vivacit&eacute; et de la p&eacute;rennit&eacute; de sa psychologie, reste, sur le plan de la repr&eacute;sentation du temps, rattach&eacute;e &agrave; un moment de transition. Car m&ecirc;me si Flaubert a dit vouloir faire, avec&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, &laquo;&nbsp;l&rsquo;histoire morale des hommes de [s]a g&eacute;n&eacute;ration&nbsp;<a href="#_ftn38" name="_ftnref38">[38]</a>&nbsp;&raquo;, cette histoire n&rsquo;est pas sp&eacute;cifique &agrave; une seule g&eacute;n&eacute;ration. Ou, si l&rsquo;on pr&eacute;f&egrave;re, elle est sp&eacute;cifique &agrave; toutes les g&eacute;n&eacute;rations&nbsp;<em>depuis</em>&nbsp;celle de Flaubert, qui ne pouvait pas pr&eacute;voir, quand il pensait se faire l&rsquo;historien de son &eacute;poque, que l&rsquo;&eacute;loignement du pass&eacute; dont son &oelig;uvre prenait acte et l&rsquo;irr&eacute;solution de la simultan&eacute;it&eacute; du non-simultan&eacute; sur laquelle il avait fond&eacute; son esth&eacute;tique allaient devenir la condition persistante de la modernit&eacute;.</p> <p>Mais les mani&egrave;res diff&eacute;rentes qu&rsquo;ont les deux romanciers d&rsquo;aborder le simultan&eacute; du non-simultan&eacute; ne font pas que nous renseigner sur la fa&ccedil;on dont se transforment le rythme et la mesure du temps au XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. D&rsquo;un point de vue interne au roman, elles nous disent aussi combien, &agrave; cet instant de son histoire, ce rythme et cette mesure ont jou&eacute; un r&ocirc;le dans le d&eacute;veloppement de l&rsquo;art romanesque, qui, en s&rsquo;y trouvant confront&eacute;, a &eacute;t&eacute; amen&eacute; &agrave; inventer de nouveaux modes de composition et de structuration, de liaison et de d&eacute;liaison. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, sur la d&eacute;cision de combattre ou non l&rsquo;asynchronie des &ecirc;tres et des consciences amen&eacute;e par ce moment o&ugrave; le d&eacute;saccord du temps est devenu une exp&eacute;rience centrale de l&rsquo;existence, s&rsquo;est jou&eacute;e l&rsquo;invention de formes, r&eacute;ticulaires et parataxiques, dont nous sommes encore et toujours &ndash; et cela non sans ironie &ndash; les h&eacute;ritiers.</p> <h3><strong>Notes</strong><br /> &nbsp;</h3> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Stendhal,&nbsp;<em>Racine et Shakespeare</em>, Paris, Hatier, 1927, p.&nbsp;23.</p> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a>&nbsp;Reinhart Koselleck,&nbsp;<em>Le futur pass&eacute;. Contribution &agrave; la s&eacute;mantique des temps historiques</em>, traduit de l&rsquo;allemand par Jochen Hoock et Marie-Claire Hoock, Paris, &Eacute;ditions EHESS, 2016, p.&nbsp;151. Dans ses travaux sur l&rsquo;&laquo;&nbsp;acc&eacute;l&eacute;ration sociale&nbsp;&raquo;, le sociologue Hartmut Rosa fait lui aussi de la rencontre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments issus de temps diff&eacute;rents le moyen d&rsquo;une saisie particuli&egrave;rement forte de la condition moderne, puisque c&rsquo;est toujours par&nbsp;<em>comparaison</em>&nbsp;que la modernit&eacute; s&rsquo;exprime, par la copr&eacute;sence de ce qui n&rsquo;a plus cours (ou ne devrait plus avoir cours) et de ce qui est per&ccedil;u comme plus avanc&eacute; que chacun d&eacute;finit sa place dans le temps. Voir&nbsp;<em>Acc&eacute;l&eacute;ration. Une critique sociale du temps</em>, traduit de l&rsquo;allemand par Didier Renault, Paris, La D&eacute;couverte, 2013 [2011], p.&nbsp;100 sq.</p> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Ernst Bloch,&nbsp;<em>H&eacute;ritage de ce temps</em>, traduit de l&rsquo;allemand par Jean Lacoste, Paris, Payot, 1978, p.&nbsp;95.</p> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Sarrasine</em>, dans&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, t. VI, &eacute;d. de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1977, p. 1048.</p> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;1050.</p> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;1048.</p> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;1048-1049.</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;1051.</p> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11">[11]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>Madame Bovary</em>, &eacute;d. de Jacques Neefs, Paris, Le Livre de Poche, 2019, p.&nbsp;118.</p> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12">[12]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Le P&egrave;re Goriot</em>, dans&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, t. III, &eacute;d. de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1976, p. 72.</p> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14">[14]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Le Chef-d&rsquo;&oelig;uvre inconnu</em>, dans&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, t. IX, &eacute;d. de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1979, p.&nbsp;415, p. 414.</p> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15">[15]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Le Colonel Chabert</em>, dans&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine</em>, t. III,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;321.</p> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16">[16]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Sarrasine</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;1052.</p> <p><a href="#_ftnref17" name="_ftn17">[17]</a>&nbsp;Fran&ccedil;ois Hartog,&nbsp;<em>Croire en l&rsquo;histoire</em>, Paris, Flammarion, 2013, p.&nbsp;171.</p> <p><a href="#_ftnref18" name="_ftn18">[18]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac, &laquo;&nbsp;Avant-propos &agrave;&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine&nbsp;</em>&raquo;, dans St&eacute;phane Vachon (&eacute;d.),&nbsp;<em>&Eacute;crits sur le roman</em>, Paris, Le Livre de poche, 2000, p.&nbsp;302.</p> <p><a href="#_ftnref19" name="_ftn19">[19]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac, &laquo;&nbsp;Lettre &agrave; Hyppolite [sic] Castille, l&rsquo;un des r&eacute;dacteurs de&nbsp;<em>La Semaine</em>&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;<em>ibid</em>., p.&nbsp;313-314. Cette lettre para&icirc;t dans l&rsquo;&eacute;dition du 11 octobre 1845 du m&ecirc;me journal.</p> <p><a href="#_ftnref20" name="_ftn20">[20]</a>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac, &laquo;&nbsp;Avant-propos &agrave;&nbsp;<em>La Com&eacute;die humaine&nbsp;</em>&raquo;,&nbsp;<em>loc. cit</em>., p.&nbsp;285.</p> <p><a href="#_ftnref21" name="_ftn21">[21]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;286.</p> <p><a href="#_ftnref22" name="_ftn22">[22]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>Madame Bovary, op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;118.</p> <p><a href="#_ftnref23" name="_ftn23">[23]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;103.</p> <p><a href="#_ftnref24" name="_ftn24">[24]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>, &eacute;d. de St&eacute;phanie Dord-Crousl&eacute;, Paris, Garnier-Flammarion, 2013, p.&nbsp;327.</p> <p><a href="#_ftnref25" name="_ftn25">[25]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;387-388.</p> <p><a href="#_ftnref26" name="_ftn26">[26]</a>&nbsp;Les sc&eacute;narios de&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>&nbsp;permettent d&rsquo;identifier ce vieillard. Voir Anne Herschberg-Pierrot, &laquo;&nbsp;Le cavalier en habit noir&nbsp;: gen&egrave;se d&rsquo;une image&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Flaubert. Revue critique et g&eacute;n&eacute;tique</em>, n<sup>o</sup>&nbsp;15 (2016)&nbsp;:&nbsp;<a href="http://journals.openedition.org/flaubert/2543" target="_blank">http://journals.openedition.org/flaubert/2543</a>. Par ailleurs, le r&eacute;cit fait par Maxime Du Camp des journ&eacute;es de 1848, dont il a &eacute;t&eacute; t&eacute;moin avec Flaubert, correspond fortement &agrave; la vision qu&rsquo;a Fr&eacute;d&eacute;ric de l&rsquo;&eacute;trange cavalier&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tout &agrave; coup nous v&icirc;mes appara&icirc;tre dans la rue de Rohan un homme, un vieillard, v&ecirc;tu d&rsquo;un habit noir et mont&eacute; sur un cheval blanc&nbsp;; d&rsquo;une main il agitait un papier et de l&rsquo;autre une branche d&rsquo;arbre&nbsp;; c&rsquo;&eacute;tait le mar&eacute;chal G&eacute;rard, qui faisait un effort pour p&eacute;n&eacute;trer sur la place&nbsp;; un trompette le pr&eacute;c&eacute;dait qui ne s&rsquo;empressa pas de sonner au parlementaire&nbsp;; deux personnes conduisaient le cheval par la bride en criant &ldquo;Laissez passer&nbsp;! Laissez passer&nbsp;!&rdquo; Le cort&egrave;ge pacifique n&rsquo;alla pas loin&nbsp;; il ne d&eacute;passa point la derni&egrave;re maison de la rue Saint-Honor&eacute;, avant le palais, et il s&rsquo;en d&eacute;tourna comme il &eacute;tait venu.&nbsp;&raquo; (<em>Souvenirs de 1848,&nbsp;</em>Paris, Hachette, 1876, r&eacute;&eacute;d. Paris-Gen&egrave;ve, Slatkine, &laquo;&nbsp;Ressources &raquo;, 1979, p. 87.)</p> <p><a href="#_ftnref27" name="_ftn27">[27]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale, op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;385.</p> <p><a href="#_ftnref28" name="_ftn28">[28]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;391.</p> <p><a href="#_ftnref29" name="_ftn29">[29]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>Madame Bovary, op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;122.</p> <p><a href="#_ftnref30" name="_ftn30">[30]</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p.&nbsp;127.</p> <p><a href="#_ftnref31" name="_ftn31">[31]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>Trois contes</em>, &eacute;d. de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Garnier-Flammarion, 1986, p.&nbsp;69.</p> <p><a href="#_ftnref32" name="_ftn32">[32]</a>&nbsp;Gustave Flaubert, Lettre &agrave; Louis Bouilhet, 4 septembre 1850,&nbsp;<em>Correspondance</em>, t. I, &eacute;d. de Jean Bruneau, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1973, p. 680.</p> <p><a href="#_ftnref33" name="_ftn33">[33]</a>&nbsp;Gustave Flaubert, Lettre &agrave; Louise Colet, 27 mars 1852,&nbsp;<em>Correspondance</em>, t. II,&nbsp;<em>ibid</em>., 1980, p.&nbsp;62.</p> <p><a href="#_ftnref34" name="_ftn34">[34]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>Madame Bovary, op.&nbsp;cit</em>., p. 487.</p> <p><a href="#_ftnref35" name="_ftn35">[35]</a>&nbsp;Voir, notamment, Marie-Astrid Charlier, &laquo;&nbsp;Vertiges et vestiges. Histoire, r&eacute;cit, m&eacute;moire dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Flaubert. Revue critique et g&eacute;n&eacute;tique</em>, n<sup>o&nbsp;</sup>19 (2018)&nbsp;:&nbsp;<a href="http://journals.openedition.org/flaubert/2847" target="_blank">http://journals.openedition.org/flaubert/2847</a>&nbsp;; et Guillaume Perrier, &laquo;&nbsp;Notes sur la m&eacute;moire du lecteur de&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Flaubert. Revue critique et g&eacute;n&eacute;tique</em>, n<sup>o</sup>&nbsp;22 (2019)&nbsp;:&nbsp;<a href="http://journals.openedition.org/flaubert/3921" target="_blank">http://journals.openedition.org/flaubert/3921</a>.</p> <p><a href="#_ftnref36" name="_ftn36">[36]</a>&nbsp;Gustave Flaubert,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;ducation sentimentale</em>,<em>&nbsp;op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;429.</p> <p><a href="#_ftnref37" name="_ftn37">[37]</a>&nbsp;Sur le brouillage et les d&eacute;sordres du temps chez Flaubert, voir Claudine Gothot-Mersch, &laquo; Aspects de la temporalit&eacute; dans les romans de Flaubert &raquo;, dans Peter Michael Wetherill&nbsp;(dir.),&nbsp;<em>Flaubert&nbsp;: la dimension du</em>&nbsp;<em>texte</em>, Manchester, Manchester University Press, 1982, p.&nbsp;6-55.</p> <p><a href="#_ftnref38" name="_ftn38">[38]</a>&nbsp;Gustave Flaubert, Lettre &agrave; Mlle Leroyer de Chantepie, 6 octobre 1864,&nbsp;<em>Correspondance</em>, t. III, &eacute;d. de Jean Bruneau, Paris, Gallimard, &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1991, p. 409.</p> <h3>Autrice</h3> <p><strong>Isabelle Daunais</strong>&nbsp;est professeure de litt&eacute;rature fran&ccedil;aise &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; McGill o&ugrave; elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l&rsquo;esth&eacute;tique et l&rsquo;art du roman. Sp&eacute;cialiste de Flaubert, elle a publi&eacute; plusieurs &eacute;tudes sur le roman moderne&nbsp;:&nbsp;<em>Le roman sans aventure</em>&nbsp;(Bor&eacute;al, 2015),&nbsp;<em>Les Grandes Disparitions. Essai sur la m&eacute;moire du roman</em>&nbsp;(PUV, 2008) et&nbsp;<em>Fronti&egrave;re du roman. Le personnage r&eacute;aliste et ses fictions</em>&nbsp;(PUM et PUV, 2002).</p> <p><strong>Copyright</strong></p> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>