<p>Le beau documentaire existe, il a un pouvoir &eacute;nigmatique, comme le chat dans&nbsp;<em>Alice au Pays de merveilles</em>&nbsp;il appara&icirc;t et dispara&icirc;t, n&rsquo;est pas toujours l&agrave; o&ugrave; il devrait. Pourtant, tel le ph&oelig;nix, il r&eacute;siste aux turbulences et demeure d&eacute;sirable. Je laisse aux participantes et participants de ce num&eacute;ro le soin de l&rsquo;aborder frontalement.</p> <p>Le documentaire, je l&rsquo;ai d&eacute;couvert &agrave; France Culture. Il semble qu&rsquo;en France il ait longtemps v&eacute;cu en vase clos, cultiv&eacute; et prot&eacute;g&eacute; par un service public qui a f&eacute;cond&eacute; maintes exp&eacute;riences sonores en grande libert&eacute;. Quand la st&eacute;r&eacute;o appara&icirc;t, Jos&eacute; Pivin fait dire au directeur de France Culture, Yves Jaigu, que le son spectacle est n&eacute;. Je cite&nbsp;: &laquo;&nbsp;La diff&eacute;rence entre la st&eacute;r&eacute;o et la mono est aussi grande qu&rsquo;un poisson au march&eacute; et un poisson dans l&rsquo;eau.&nbsp;&raquo; Aujourd&rsquo;hui il dirait peut-&ecirc;tre qu&rsquo;avec le son spatialis&eacute; nous nageons avec les poissons.</p> <p>Quand je suis arriv&eacute;e &agrave; France Culture en 1983, le cinqui&egrave;me &eacute;tage de la Maison de la Radio &eacute;tait le centre de la fabrique du documentaire. Nous recevions de l&rsquo;argent en liquide quand nous partions en mission et tout pouvait se n&eacute;gocier, que ce soit une journ&eacute;e de plus, la location d&rsquo;un h&eacute;licopt&egrave;re ou (comme a fait&nbsp;<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks-14-15/france-culture-50-ans-14-rene-jentet-une-vie-de-radio" target="_blank">Ren&eacute; Jentet</a>) la garde r&eacute;publicaine. Mais je ne vais pas retracer l&rsquo;histoire de l&rsquo;ACR ou des&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;en ces temps o&ugrave; M&eacute;diam&eacute;trie ne cr&eacute;ait pas l&rsquo;effervescence.</p> <p>Quand je fus nomm&eacute;e&nbsp;<a href="https://www.franceculture.fr/medias/nominations-france-culture" target="_blank">conseill&egrave;re de programmes</a>, une forme d&rsquo;industrialisation &eacute;tait d&eacute;j&agrave; organis&eacute;e : des dossiers de production pr&eacute;voyaient une normalisation des moyens : pour une heure d&rsquo;antenne, x jours d&rsquo;enregistrement, x jours de montage, x&nbsp;heures de mixage. Pour des raisons financi&egrave;res sont arriv&eacute;es ensuite des rediffusions obligatoires ; pour essayer de contourner cela je me suis appuy&eacute;e sur l&rsquo;offre d&rsquo;&eacute;change avec la Belgique et la Suisse baptis&eacute;e&nbsp;<em>pink offer</em>, concernant les radios de service public francophones&nbsp;; le Canada &eacute;tait aussi associ&eacute; mais tr&egrave;s vite il n&rsquo;a plus eu de documentaire &agrave; proposer. Comme dans nos radios de service public l&rsquo;argent &eacute;tait de moins en moins fl&eacute;ch&eacute; vers le documentaire, avec Pascale Tison (<em>Par Ou&iuml;e dire&nbsp;</em>/ RTBF) et David Collin (<em>le labo&nbsp;</em>/ RTS) nous avons mis en place des coproductions.</p> <p>En parall&egrave;le la belle endormie du monde sonore se r&eacute;veillait. Avec la diminution du co&ucirc;t des appareils d&rsquo;enregistrement d&eacute;marrait un fort engouement pour la prise de son et le sonore. Longueur d&rsquo;ondes est cr&eacute;&eacute; en 2002, Addor en 2009, ann&eacute;e o&ugrave; le festival de Mellionec dans les C&ocirc;tes d&rsquo;Armor inventait la yourte &agrave; sons. Les mus&eacute;es diffusaient des &oelig;uvres produites par France Culture, le design sonore prenait ses lettres de noblesse. Au m&ecirc;me moment je recevais beaucoup de demandes d&rsquo;&eacute;coutes en public ou d&rsquo;extraits de documentaires pour la fabrication de DVD (car apr&egrave;s la cassette et avant le podcast il y a eu la p&eacute;riode DVD).</p> <p>Puis en 2010, avec&nbsp;<em>Prison Valley</em>, le webdoc a fait son entr&eacute;e. En 2011,&nbsp;<em>&Agrave; l&rsquo;abri de rien</em>, une enqu&ecirc;te sur le mal-logement en France r&eacute;alis&eacute;e par Samuel Bollendorff et Mehdi Ahoudig, obtient le prix Europa dans la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;documentaire&nbsp;<em>radio</em><em>&nbsp;&raquo;</em>. Radio France ouvre un portail du<a href="http://webdocu.fr/web-documentaire" target="_blank">&nbsp;web-documentaire</a>.</p> <p>La suite, vous la connaissez. &Agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur de la &laquo; maison ronde &raquo; aujourd&rsquo;hui, la fabrique du documentaire se fait avec de nouvelles structures, de nouveaux acteurs. Un article r&eacute;cent de&nbsp;<a href="https://www.mediapart.fr/journal/dossier/economie/dans-le-far-west-de-l-industrie-du-podcast" target="_blank">Mediapart</a>&nbsp;indique que les conditions de travail ne sont peut-&ecirc;tre pas celles qu&rsquo;on esp&egrave;re pour un documentaire de cr&eacute;ation. Une forme de b&ecirc;tise conduit &agrave; demander &agrave; des cr&eacute;ateurs ou producteurs ou artisans sonores ou encore&nbsp;<em>&oelig;uvriers du son</em>&nbsp;&ndash; comme disent&nbsp;<a href="https://sons-federes.org/" target="_blank">Les Sons F&eacute;d&eacute;r&eacute;s</a>&nbsp;&ndash; le plan, le synopsis, le d&eacute;roul&eacute; du documentaire &agrave; venir. Comme si les paroles pouvaient se pr&eacute;voir, les &eacute;motions s&rsquo;organiser, les paysages sonores s&rsquo;anticiper, comme si nous devions renoncer &agrave; d&eacute;couvrir ce qui va surgir au cours d&rsquo;une alchimie longue et exigeante.</p> <p>La soci&eacute;t&eacute; du spectacle est vorace et demande sa p&acirc;ture quotidienne. le talent s&rsquo;estime au nombre de clicks. Les soci&eacute;t&eacute;s de droits d&rsquo;auteur pourraient en tenir compte pour des r&eacute;partitions concernant le d&eacute;lin&eacute;aris&eacute; qui ne tiendront plus compte du genre. Autant dire que le label&nbsp;<em>beau documentaire</em>&nbsp;n&rsquo;y a pas sa place.</p> <p>MAIS PEUT- &Ecirc;TRE FAUT IL NE PAS S&rsquo;INQUI&Eacute;TER ?</p> <p>Pour finir sur une touche plus heureuse en ce qui concerne le documentaire de cr&eacute;ation, j&rsquo;ai pu observer comment la diffusion en multicanal a ouvert un nouveau champ. Sous le titre &laquo;&nbsp;Cin&eacute;ma pour vos oreilles&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est au studio 105 sp&eacute;cialement &eacute;quip&eacute; &agrave; demeure qu&rsquo;ont &eacute;t&eacute; diffus&eacute;es des cr&eacute;ations documentaires sp&eacute;cialement travaill&eacute;es pour ce support. Le 24 octobre 2005, la Maison de la Radio proposait dans le cadre de la FIAC Hors les Murs,&nbsp;<a href="https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/evenement-exceptionnel/du-cinema-pour-vos-oreilles" target="_blank">en son immersif</a>,&nbsp;<em>Douze millions d&rsquo;ann&eacute;es-lumi&egrave;re d&rsquo;ici</em>&nbsp;de Bernard Moninot,&nbsp;<em>Blue blue electric blue&nbsp;</em>de Romain Kronenberg,&nbsp;<em>Drive in</em>&nbsp;d&rsquo;Olivier Cadiot et&nbsp;<em>Madeleine d&rsquo;entre les morts</em>&nbsp;de Bertrand Bonnello. Ces exp&eacute;rimentations bas&eacute;es sur la technologie Sonic Emotion ont permis par la suite de nombreuses &eacute;coutes &agrave; la Maison de la Radio, jusqu&rsquo;&agrave; la fermeture pour travaux du studio 105. Ce multicanal et ce qu&rsquo;il permet en termes de cr&eacute;ation et de partage, nous l&rsquo;avons exp&eacute;riment&eacute; avec Benoit Bories et St&eacute;phane Marin lors du colloque de Montpellier d&rsquo;o&ugrave; a &eacute;t&eacute; tir&eacute; ce num&eacute;ro.</p> <p>Pour conclure, tout comme Rimbaud parlant du po&egrave;te, je crois que le documentariste se doit d&rsquo;&ecirc;tre un voleur de feu. &laquo;&nbsp;Il est charg&eacute; de l&rsquo;humanit&eacute;, des animaux m&ecirc;me, il devra faire sentir, palper, &eacute;couter ses inventions&nbsp;; si ce qu&rsquo;il rapporte de l&agrave;-bas a forme il donne forme, si c&rsquo;est informe il donne de l&rsquo;informe.&nbsp;&raquo; Il doit trouver une langue.</p> <h3><strong>Autrice</strong></h3> <p>Entr&eacute;e &agrave; Radio France en 1982,&nbsp;<strong>Ir&egrave;ne Om&eacute;lianenko</strong>&nbsp;rejoint les&nbsp;<em>Nuits magn&eacute;tiques</em>&nbsp;en 1983 et y reste fid&egrave;le jusqu&rsquo;en 1998. Co-productrice avec Jean Couturier de&nbsp;<em>Clair de nuit</em>&nbsp;sur France Culture (1986-1997 ; 1999-2001), puis productrice de<em>&nbsp;L&rsquo;Atelier de la cr&eacute;ation</em>&nbsp;(2011-2015) et de&nbsp;<em>Sur les docks</em>&nbsp;(2011-2016), elle est nomm&eacute;e en 2011 conseill&egrave;re de programmes au documentaire et &agrave; la cr&eacute;ation radiophonique. Elle est conduite &agrave; prendre sa retraite en 2018. Membre de nombreux jurys (Italia, Europa, Creadoc, Scam, Phonurgia Nova, Longueur d&rsquo;ondes&hellip;), elle a co-fond&eacute; en 2009 l&rsquo;Association pour le d&eacute;veloppement du documentaire radiophonique (Addor).</p> <h3><strong>Copyright</strong></h3> <p>Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>