<p>Croiser les approches disciplinaires pour tenter de mieux comprendre un sujet d&rsquo;observation et d&rsquo;&eacute;tude n&rsquo;a rien de r&eacute;volutionnaire aujourd&rsquo;hui m&ecirc;me si dans le champ acad&eacute;mique ces convergences d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts demeurent encore si peu fr&eacute;quentes qu&rsquo;on tient imp&eacute;rativement et justement &agrave; en louer l&rsquo;initiative et les r&eacute;sultats lorsqu&rsquo;elles d&eacute;bouchent sur des travaux officiels<a href="#nbp1" name="liennbp1">1</a>. Bien souvent pareilles initiatives d&eacute;coulent de relations personnelles entretenues par des individus d&rsquo;horizons divers que leur curiosit&eacute; intellectuelle et leurs recherches conduisent &agrave; converser d&rsquo;abord puis, chemin faisant, &agrave; &eacute;laborer des projets de r&eacute;flexion communs. C&rsquo;est dans ce sillage d&ucirc;ment identifi&eacute; que nous nous inscrivons. L&rsquo;un vient du monde de la science et plus pr&eacute;cis&eacute;ment de la m&eacute;canique des fluides qu&rsquo;il enseigne ; l&rsquo;autre de l&rsquo;histoire de l&rsquo;art qui l&rsquo;a men&eacute; &agrave; la profession qu&rsquo;il exerce.</p> <p>L&rsquo;immense plaisir de ces heures pass&eacute;es &agrave; discuter pourrait en soi constituer un &eacute;l&eacute;ment tangible de satisfaction intellectuelle. Mais cela ne nous aurait pas conduits &agrave; pr&eacute;senter cette intervention. En r&eacute;alit&eacute;, si la chasse appara&icirc;t parfois plus divertissante que la prise, il faut aussi savoir ramener de temps &agrave; autre quelques pi&egrave;ces de gibier<a href="#nbp2" name="liennbp2">2</a>. Les interminables t&ecirc;te-&agrave;-t&ecirc;te s&rsquo;effectuent irr&eacute;guli&egrave;rement sans que la distance g&eacute;ographique en interrompe le cours. Ils donnent lieu &agrave; des brouillons d&rsquo;id&eacute;es, creus&eacute;s puis &eacute;tay&eacute;s ou bien abandonn&eacute;s, peut-&ecirc;tre provisoirement, que l&rsquo;on couche au fil de l&rsquo;eau sur le papier (figure 1).</p> <figure><em>Figure 1. Exemple de brouillon commun. On notera la place &eacute;quilibr&eacute;e entre l&rsquo;image (graphiques, sch&eacute;mas&hellip;) et le texte. </em><em>&copy; Mosseron-Ribert</em></figure> <p>Bien que les domaines diff&egrave;rent notablement, les rapports entre l&rsquo;art et la science entendus au sens large ont fait l&rsquo;objet d&rsquo;innombrables publications. Dans le champ de r&eacute;flexion qui nous occupe relativement &agrave; l&rsquo;art, nous limiterons d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment notre propos &agrave; l&rsquo;art figuratif, dont t&eacute;moignent les &oelig;uvres d&rsquo;appui qui serviront &agrave; l&rsquo;analyse comparative crois&eacute;e. Consid&eacute;rant ce contexte sp&eacute;cifique, un point commun ind&eacute;fectible relie les deux sph&egrave;res : il s&rsquo;agit de l&rsquo;image. L&rsquo;image <em>produite</em> par l&rsquo;artiste, et que l&rsquo;historien de l&rsquo;art a pour charge d&rsquo;&eacute;tudier. L&rsquo;image produite par le scientifique comme outil non seulement de vulgarisation mais aussi, surtout et d&rsquo;abord comme outil heuristique lui permettant de faire avancer et d&rsquo;expliciter ses recherches, et sur laquelle l&rsquo;historien de l&rsquo;art peut aussi avoir quelque chose &agrave; dire, parce qu&rsquo;elle traduit &eacute;galement un point de vue sp&eacute;cifique port&eacute; sur le monde. Si les statuts de l&rsquo;image dans l&rsquo;un et l&rsquo;autre domaine diff&egrave;rent, si les regards port&eacute;s sur l&rsquo;image par l&rsquo;artiste et le scientifique, &agrave; d&eacute;faut de s&rsquo;opposer toujours, ont tendance &agrave; s&rsquo;&eacute;viter parce qu&rsquo;ils reposent sur des codes et des modes de lecture le plus souvent distincts, les points de comparaison voire de convergence existent. C&rsquo;est ce que nous proposons de mettre en exergue en confrontant &agrave; partir d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne physique relevant de la m&eacute;canique des fluides, &agrave; savoir l&rsquo;&eacute;coulement turbulent, deux artistes &ndash; L&eacute;onard de Vinci et Frits Thaulow &ndash; qui ont vou&eacute; une partie importante de leur &oelig;uvre &agrave; la repr&eacute;sentation de l&rsquo;eau en mouvement. Il s&rsquo;agit donc d&rsquo;une &eacute;tude comparative de cas pass&eacute;e au filtre de la physique et de l&rsquo;ex&eacute;g&egrave;se artistique. Nous montrerons comment travaille la notion de filtre, comment elle constitue un &eacute;l&eacute;ment fondamental pour l&rsquo;un et l&rsquo;autre champ, tant sur le plan de l&rsquo;observation du sujet que de la production et de l&rsquo;analyse de l&rsquo;image r&eacute;sultante consid&eacute;r&eacute;e. Et que son application permet de tendre, sans y parvenir compl&egrave;tement, &agrave; l&rsquo;effacement ponctuel des fronti&egrave;res disciplinaires<a href="#nbp3" name="liennbp3">3</a>. L&rsquo;analyse prendra en compte la notion d&rsquo;intentionnalit&eacute; de l&rsquo;artiste, m&ecirc;me si elle demeure toujours sujette &agrave; caution, &agrave; plus forte raison lorsqu&rsquo;elle fait intervenir une lecture tierce, celle de l&rsquo;observateur. Michael Baxandall l&rsquo;a fort bien expos&eacute; : on n&rsquo;&eacute;puise pas les sens d&rsquo;une &oelig;uvre, l&rsquo;interpr&eacute;tation est toujours partiale, tributaire du point de vue qu&rsquo;on lui surimpose et qui conditionne les termes choisis donc la construction intellectuelle de cette lecture verbalis&eacute;e<a href="#nbp4" name="liennbp4">4</a>. Nous assumons &eacute;galement une approche quelque peu d&eacute;s&eacute;quilibr&eacute;e &ndash; ce qui assure dans les faits une interpr&eacute;tation <em>dynamique</em> &ndash; dans la mesure o&ugrave; c&rsquo;est d&rsquo;abord avec le regard du scientifique que les &oelig;uvres de L&eacute;onard et de Thaulow seront consid&eacute;r&eacute;es, m&ecirc;me si leur nature artistique, &eacute;videmment, ne saurait en aucun cas &ecirc;tre occult&eacute;e, puisqu&rsquo;elle leur est consubstantielle.</p> <h2>1.<strong> &laquo;&nbsp;Mani&egrave;res de faire des mondes&nbsp;&raquo; : retranscrire le r&eacute;el dans l&rsquo;art et dans la science</strong></h2> <h3>1.1. Nommer l&rsquo;objet, le repr&eacute;senter : le concept &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du r&eacute;el et de ses d&eacute;clinaisons figuratives</h3> <p>Consid&eacute;rons quatre images de cheval. Chacune repr&eacute;sente &agrave; sa fa&ccedil;on, et de mani&egrave;re parfaitement reconnaissable, un &eacute;quid&eacute;. Du sch&eacute;matisme le plus grossier au v&eacute;risme le plus exigeant, de l&rsquo;esquisse lacunaire au tableau achev&eacute;, l&rsquo;observateur identifie imm&eacute;diatement le r&eacute;f&eacute;rent r&eacute;el. Car chacune de ces quatre figures pr&eacute;sente les &eacute;l&eacute;ments n&eacute;cessaires et suffisants &agrave; une identification certaine du concept &laquo;&nbsp;cheval&nbsp;&raquo;. La d&eacute;notation ne souffre pas la discussion. La contextualisation de l&rsquo;&oelig;uvre ou de l&rsquo;objet soumis &agrave; l&rsquo;observation, l&rsquo;analyse stylistique, le statut du support utilis&eacute; entre autres aspects permettent toutefois d&rsquo;approfondir l&rsquo;appr&eacute;hension de ces diff&eacute;rentes propositions.</p> <p>La premi&egrave;re repr&eacute;sentation fait r&eacute;f&eacute;rence au jeu d&rsquo;enfant, dans lequel l&rsquo;imagination tient un r&ocirc;le central. Enfourcher le manche d&rsquo;un balai, affubl&eacute; parfois et sans que cela soit indispensable d&rsquo;une t&ecirc;te de cheval pour accr&eacute;diter la fonction mim&eacute;tique de l&rsquo;objet, suffit &agrave; transformer un morceau de bois en animal mythique, symbole de fougue, de libert&eacute;, mais aussi codifi&eacute; comme &eacute;tant la plus belle conqu&ecirc;te de l&rsquo;homme, prolongement du cow-boy ou plus encore du chevalier et de la noble geste qui l&rsquo;accompagne<a href="#nbp5" name="liennbp5">5</a>.</p> <p>Nous retrouvons le caract&egrave;re imp&eacute;tueux et sauvage de l&rsquo;&eacute;quid&eacute; dans le dessin de L&eacute;onard<a href="#nbp6" name="liennbp6">6</a> : le statut de l&rsquo;esquisse autorise l&rsquo;exercice virtuose, le trembl&eacute; de la sanguine et surtout le parti pris artistique d&rsquo;un rendu dynamique propre &agrave; restituer la plastique du mouvement animal. La surabondance de membres et plus encore l&rsquo;indistinction fondue de la t&ecirc;te &ndash; qui contrebalance dans la m&ecirc;me image la masse immobile des flancs puissants &ndash; traduisent admirablement la force brute secou&eacute;e d&rsquo;un &eacute;lan irr&eacute;pressible qu&rsquo;un arr&ecirc;t sur image aurait &eacute;chou&eacute; &agrave; illustrer aussi &eacute;loquemment. L&eacute;onard nous donne &agrave; voir plusieurs moments et &eacute;tats de l&rsquo;animal sur la m&ecirc;me feuille pour mieux d&eacute;finir sa nature vivace. La fonction de l&rsquo;esquisse, mouvante, ind&eacute;cise, capricieuse, qui ne prend sens que comme &eacute;l&eacute;ment d&rsquo;un ensemble, t&eacute;moigne de ce caract&egrave;re indomptable, si complexe &agrave; cerner.</p> <p>Le chef-d&rsquo;&oelig;uvre de Stubbs, <em>Whistlejacket</em>, peint en 1762, a d&rsquo;autres atouts &agrave; faire valoir<a href="#nbp7" name="liennbp7">7</a> : le peintre, &agrave; travers la pose devenue topique du cheval cabr&eacute;, reprend le mod&egrave;le de la statue &eacute;questre repr&eacute;sentant le h&eacute;ros victorieux. L&rsquo;interminable queue elle-m&ecirc;me semble servir de point d&rsquo;appui assurant l&rsquo;&eacute;quilibre pond&eacute;r&eacute; de la figure, et faire basculer la r&eacute;f&eacute;rence de la peinture &agrave; la sculpture. &Agrave; ceci pr&egrave;s que Stubbs s&rsquo;affranchit ici du type pour dresser le portrait d&rsquo;un cheval de course l&eacute;gendaire, Whistlejacket, d&eacute;barrass&eacute; de son cavalier devenu surcharge inutile, car le cheval m&eacute;rite en soi d&rsquo;&ecirc;tre fid&egrave;lement figur&eacute; : il se suffit &agrave; lui-m&ecirc;me et on doit en sus le reconna&icirc;tre pour ce qu&rsquo;il est, non pas comme simple repr&eacute;sentant anonyme de la race &eacute;quine, mais insigne personnage qui fit la gloire de son heureux propri&eacute;taire. D&rsquo;o&ugrave; la pr&eacute;cision du trait et le soin m&eacute;ticuleux accord&eacute; &agrave; la t&ecirc;te, qu&rsquo;animent des yeux fi&eacute;vreux t&eacute;moins de la puret&eacute; de sa race (il s&rsquo;agit d&rsquo;un pur-sang arabe). D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;honneur de la toile peinte pour un portrait grandeur nature<a href="#nbp8" name="liennbp8">8</a>.</p> <p>Quant au sch&eacute;matique cheval antique<a href="#nbp9" name="liennbp9">9</a>, son hi&eacute;ratisme s&rsquo;explique par sa nature m&ecirc;me : il s&rsquo;agit d&rsquo;un cheval de Troie, statue-pi&egrave;ge cens&eacute;e &ecirc;tre une statue de bois, hommage des Grecs quittant le si&egrave;ge de la ville d&rsquo;Asie mineure, et en r&eacute;alit&eacute; mystification accueillant dans ses flancs creux l&rsquo;&eacute;lite des soldats grecs pr&ecirc;ts &agrave; s&rsquo;emparer de la cit&eacute; une fois entr&eacute;s dans les murs ennemis.</p> <p>Quatre propositions, quatre images de chevaux. Or, l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t ne r&eacute;side pas dans l&rsquo;identification imm&eacute;diate du sujet, mais dans la mise en &oelig;uvre du sujet par l&rsquo;artiste et dans l&rsquo;analyse du contexte qui permettent d&rsquo;expliquer les partis pris du cr&eacute;ateur. Il en va de m&ecirc;me pour la repr&eacute;sentation des &eacute;coulements turbulents chez L&eacute;onard de Vinci et Frits Thaulow. La libert&eacute; de l&rsquo;artiste rejoint une volont&eacute; de restituer des ph&eacute;nom&egrave;nes naturels &agrave; diff&eacute;rentes &eacute;chelles, artificiellement isol&eacute;s, extraits de leur contexte ou au contraire int&eacute;gr&eacute;s dans une focale plus grande qui peut prendre la dimension du paysage. En regard, l&rsquo;image scientifique est la r&eacute;sultante d&rsquo;une s&eacute;rie de filtres &eacute;labor&eacute;s selon des crit&egrave;res pr&eacute;&eacute;tablis n&eacute;cessaires &agrave; la bonne repr&eacute;sentation visuelle du ph&eacute;nom&egrave;ne que l&rsquo;on souhaite mettre en valeur. La notion de filtre int&eacute;resse &agrave; la fois l&rsquo;artiste et le scientifique. Le point de d&eacute;part r&eacute;side dans un double mouvement d&rsquo;enregistrement et de restitution, mais une diff&eacute;rence essentielle oppose les deux approches. L&rsquo;artiste, pense-t-on spontan&eacute;ment, a pour vocation de repr&eacute;senter la nature en restant &agrave; la surface des choses car son &oelig;il ne lui permet pas <em>a priori</em> d&rsquo;aller en-de&ccedil;&agrave; du r&eacute;el directement observ&eacute;<a href="#nbp10" name="liennbp10">10</a> le scientifique, second&eacute; ou non par la technologie, cherche <em>in fine</em> &agrave; comprendre comment celle-ci fonctionne et selon quels ressorts : il faut pour cela sonder le r&eacute;el et le d&eacute;cortiquer afin d&rsquo;en faire &eacute;merger les composantes et leur m&eacute;canique interne. Surtout, il convient d&rsquo;appliquer des mod&egrave;les bas&eacute;s sur des grilles de lecture, c&rsquo;est-&agrave;-dire des filtres plus ou moins fins, qui donneront des r&eacute;sultats variables, donc des images variables, en fonction du degr&eacute; de pr&eacute;cision des mesures adopt&eacute;es.</p> <p>Pour l&rsquo;un et l&rsquo;autre toutefois, la production des images est bas&eacute;e sur des grilles de lecture, c&rsquo;est-&agrave;-dire des filtres, plus ou moins fins, qui donneront des r&eacute;sultats variables, donc des repr&eacute;sentations variables, en fonction du degr&eacute; de pr&eacute;cision des mesures adopt&eacute;es &ndash; pour le scientifique ‒ ou des intentions de l&rsquo;artiste. La formule &laquo;&nbsp;grille de lecture&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas une coquille vide. Elle traduit, dans le cadre qui nous occupe, une fa&ccedil;on de d&eacute;crypter le monde environnant, &agrave; travers un prisme double. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une part des codes propres &agrave; la sph&egrave;re consid&eacute;r&eacute;e, et qui trahissent l&rsquo;inscription dans un syst&egrave;me donn&eacute;, historique, culturel et formel, comme Michael Baxandall l&rsquo;a bien analys&eacute; dans son ouvrage <em>Formes de l&rsquo;intention</em><a href="#nbp11" name="liennbp11">11</a>. Pour un peintre italien, il appara&icirc;t impensable, par exemple, de ne pas appr&eacute;hender le monde sans se r&eacute;f&eacute;rer et recourir soi-m&ecirc;me &agrave; l&rsquo;outil math&eacute;matique de la perspective monofocale centr&eacute;e, &agrave; partir du second quart du XVe si&egrave;cle. Et d&egrave;s ce moment inaugural, toute la peinture occidentale, jusqu&rsquo;au tournant du XXe si&egrave;cle, n&rsquo;a pu en faire l&rsquo;&eacute;conomie, ne serait-ce que pour s&rsquo;opposer &agrave; cette m&eacute;thode de construction figur&eacute;e de l&rsquo;espace. Il demeure toujours en toile de fond durant l&rsquo;intervalle. Voil&agrave; un mod&egrave;le de &laquo;&nbsp;grille de lecture&nbsp;&raquo;. Il en existe une infinit&eacute; d&rsquo;autres, qui ressortent, selon que l&rsquo;on soit h&eacute;g&eacute;lien, de l&rsquo;esprit du temps &ndash; le fameux <em>Zeitgeist</em> ‒, ou bien popp&eacute;rien, de la logique de la situation &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;une adaptation et donc d&rsquo;une r&eacute;ponse raisonnable, gr&acirc;ce &agrave; des outils disponibles et identifiables, &agrave; un probl&egrave;me donn&eacute;, &agrave; un moment donn&eacute;. Il faut conserver &agrave; l&rsquo;esprit le principe de la &laquo;&nbsp;grille de lecture&nbsp;&raquo; si l&rsquo;on souhaite &eacute;viter des interpr&eacute;tations erron&eacute;es car ne disposant pas des bonnes clefs de d&eacute;cryptage, pour autant qu&rsquo;on puisse au moins partiellement en avoir connaissance et les comprendre apr&egrave;s coup. D&rsquo;autre part, et cumulativement, il existe ce qu&rsquo;il convient d&rsquo;appeler la libert&eacute; de l&rsquo;artiste, son regard particulier pos&eacute; sur le monde. Qu&rsquo;elle soit limit&eacute;e ou non, cette propension, qui prend souvent la forme d&rsquo;une &laquo;&nbsp;trace&nbsp;&raquo; sinon d&rsquo;un <em>style</em> ‒ car il existe des styles collectifs et ancr&eacute;s dans le temps qui les a vus chacun se manifester ‒, permet de d&eacute;finir la marque d&rsquo;un artiste, au m&ecirc;me titre qu&rsquo;un scientifique proc&egrave;de selon un &laquo;&nbsp;esprit&nbsp;&raquo; propre, r&eacute;current et reconnaissable dans la fa&ccedil;on d&rsquo;appr&eacute;hender et de traiter les sujets qu&rsquo;il aborde<a href="#nbp12" name="liennbp12">12</a>. Dans un cas comme dans l&rsquo;autre, il y a donc bien interpr&eacute;tation par filtrage, mais les objectifs diff&egrave;rent.</p> <h3>1.2. La notion d&rsquo;&eacute;chelles et de r&eacute;gimes d&rsquo;&eacute;coulement : math&eacute;matiser le r&eacute;el pour mieux se le figurer</h3> <p>La notion d&rsquo;&eacute;chelles est cruciale en science car elle permet de faire la distinction entre des ph&eacute;nom&egrave;nes ayant une influence sur une courte distance et d&rsquo;autres sur une plus longue. On parle alors d&rsquo;&eacute;chelles caract&eacute;ristiques, de grandes ou de petites &eacute;chelles. Ainsi, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;une flamme de bougie longue de <em>L</em> = 2 cm, des r&eacute;actions chimiques tr&egrave;s rapides ont lieu sur une distance de quelques microm&egrave;tres. Il en est de m&ecirc;me pour l&rsquo;&eacute;coulement d&rsquo;une rivi&egrave;re. Entre les deux piles d&rsquo;un pont (espac&eacute;es par exemple de <em>L</em> = 2 m) on peut observer diff&eacute;rentes tailles de tourbillons, depuis la plus grande jusqu&rsquo;&agrave; la plus petite des &eacute;chelles. Le cas du tourbillon est int&eacute;ressant car celui-ci est une structure canonique souvent &eacute;voqu&eacute;e pour expliquer la notion de &laquo;&nbsp;cascade &eacute;nerg&eacute;tique&nbsp;&raquo; de Kolmogorov pour les &eacute;coulements turbulents. En effet, si on suit un tourbillon de taille <em>L</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire grand, au cours du temps, on remarque que celui-ci devient de plus en plus petit et ce, de fa&ccedil;on continue. Il passe de la taille <em>L</em> &agrave; la taille <em>&eta;</em>, &eacute;chelle dite de Kolmogorov et qui correspond &agrave; la plus petite structure identifiable de l&rsquo;&eacute;coulement. <em>&eta;</em> peut &ecirc;tre calcul&eacute; <em>a priori</em> &agrave; partir de consid&eacute;rations th&eacute;oriques : <img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="35" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve/files/equation1.png" /> avec <em>&nu;</em>, la viscosit&eacute; du fluide et <em>&epsilon;</em>, la dissipation &eacute;nerg&eacute;tique. Dans l&rsquo;&eacute;quation,&nbsp;<img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="30" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve/files/equation2.png" /> o&ugrave; <img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="20" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve/files/equation3.png" /> repr&eacute;sente l&rsquo;&eacute;nergie cin&eacute;tique au niveau des fluctuations de vitesse du tourbillon, et <em>&tau;</em>, un temps caract&eacute;ristique pris comme &eacute;gal au temps de retournement du tourbillon. Tout comme L, la valeur de <em>&eta;</em> varie donc avec la configuration &eacute;tudi&eacute;e et peut atteindre des valeurs microm&eacute;triques dans le cadre d&rsquo;un &eacute;coulement fluvial.</p> <p>L&rsquo;aspect multi-&eacute;chelles (spatiale et temporelle) de la m&eacute;canique des fluides est un point limitant de la recherche scientifique. Or, tenter de reproduire le fonctionnement d&rsquo;un syst&egrave;me constitue un des objectifs de la science, et la simulation num&eacute;rique<a href="#nbp13" name="liennbp13">13</a> est certainement le seul outil capable d&rsquo;y parvenir. R&eacute;aliser une simulation num&eacute;rique en m&eacute;canique des fluides, c&rsquo;est conna&icirc;tre en tout point et &agrave; tout instant plusieurs grandeurs physiques comme la temp&eacute;rature, la vitesse, <em>etc</em>. Ces grandeurs macroscopiques sont li&eacute;es par des &eacute;quations, g&eacute;n&eacute;ralement aux d&eacute;riv&eacute;es partielles, qui traduisent des lois physiques comme la conservation de la masse, de la quantit&eacute; de mouvement (ou de la vitesse dans le cadre des &eacute;coulements &agrave; densit&eacute; constante) ou de l&rsquo;&eacute;nergie. On parle d&rsquo;&eacute;quations de Navier-Stokes, et la pr&eacute;sente &eacute;tude se situe dans le cadre strict de la m&eacute;canique des milieux continus. Ces lois fondamentales &eacute;tant continues, elles impliquent un nombre infini de points rendant l&rsquo;objectif initial inaccessible. Cependant, en ne consid&eacute;rant qu&rsquo;un nombre fini de points, tout devient r&eacute;alisable gr&acirc;ce aux ordinateurs, aux supercalculateurs dirions-nous aujourd&rsquo;hui. On passe donc d&rsquo;un espace continu, infini, &agrave; un espace discret, fini, par op&eacute;ration de discr&eacute;tisation, dans le cas d&rsquo;une m&eacute;thode d&eacute;terministe. Les points de discr&eacute;tisation forment un maillage, lequel constitue un point cl&eacute; de la simulation car il fait le lien avec les &eacute;chelles caract&eacute;ristiques de l&rsquo;objet &eacute;tudi&eacute;. Sur la figure 2, l&rsquo;objet d&rsquo;&eacute;tude est l&rsquo;&eacute;coulement d&rsquo;un fluide autour d&rsquo;un cylindre (une pile de pont par exemple).</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve/files/Mosseron-figure-2.png" width="600" /> <figcaption><em>Figure 2. Maillage cart&eacute;sien autour d&rsquo;un cylindre (deux dimensions). &copy; Mosseron-Ribert</em></figcaption> </figure> <p>Un maillage est r&eacute;alis&eacute; et dans chaque volume &eacute;l&eacute;mentaire du maillage (ici des petits carr&eacute;s) les lois de conservation sont respect&eacute;es. Suivant les conditions aux limites sp&eacute;cifi&eacute;es, on observera un comportement du fluide diff&eacute;rent : apparition d&rsquo;une bulle de recirculation derri&egrave;re le cylindre ou un l&acirc;ch&eacute; altern&eacute; de tourbillons par exemple. On parle ici de r&eacute;gimes d&rsquo;&eacute;coulement. Dans le cas d&rsquo;un r&eacute;gime laminaire, les caract&eacute;ristiques de l&rsquo;&eacute;coulement sont des fonctions d&eacute;terministes de l&rsquo;espace et du temps<a href="#nbp14" name="liennbp14">14</a> et il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire de recourir &agrave; un mod&egrave;le. Dans le cas d&rsquo;un r&eacute;gime turbulent, ceci n&rsquo;est plus vrai et un effort de mod&eacute;lisation devient n&eacute;cessaire suivant le degr&eacute; de r&eacute;solution de l&rsquo;&eacute;coulement. Plus il y a d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments de maillage (on parle de maille) et plus ces ph&eacute;nom&egrave;nes sont d&eacute;crits finement. Quand la taille de la maille devient plus fine que la taille du plus petit &eacute;l&eacute;ment physique de l&rsquo;&eacute;coulement (<em>&eta;</em> dans le cas d&rsquo;un fluide), le nombre fini de points de discr&eacute;tisation est assez grand pour repr&eacute;senter le syst&egrave;me r&eacute;el, c&rsquo;est-&agrave;-dire sa continuit&eacute;. Dans le cas de la m&eacute;canique des fluides, on parle de Simulation Num&eacute;rique Directe (SND, ou DNS en anglais pour <em>Direct Numerical Simulation</em>). Cette approche n&rsquo;est aujourd&rsquo;hui applicable que pour de simples objets d&rsquo;&eacute;tude car le co&ucirc;t en temps de calculs devient tr&egrave;s vite prohibitif. Pour appr&eacute;hender des syst&egrave;mes plus importants (comme la chambre de combustion d&rsquo;un turbor&eacute;acteur, ou en m&eacute;t&eacute;orologie), deux m&eacute;thodes se sont d&eacute;velopp&eacute;es en parall&egrave;le. La premi&egrave;re consiste &agrave; ne s&rsquo;int&eacute;resser qu&rsquo;aux grandeurs moyennes et fluctuantes d&eacute;crivant l&rsquo;&eacute;tat du fluide. En effet, n&rsquo;importe quelle grandeur (vitesse, temp&eacute;rature, <em>etc</em>.) <em>Q</em> peut se d&eacute;composer en une partie moyenne (&lt;<em>Q</em>&gt;) et une partie fluctuante (<em>Q&rsquo;</em>) autour de la moyenne : <em>Q</em>=&lt;<em>Q</em>&gt;+<em>Q^&rsquo;</em> (figure 3). Les lois de conservation sont alors r&eacute;&eacute;crites pour les grandeurs moyennes avec un recours &agrave; des mod&egrave;les pour les fluctuations. On parle de m&eacute;thode RANS (<em>Reynolds Average Navier-Stokes</em>).</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve/files/Moserron-figure-3.png" width="600" /> <figcaption><em>Figure 3. D&eacute;composition d&rsquo;une variable Q [la ligne bris&eacute;e] en moyenne (</em>˂Q˃<em>) et fluctuation (</em>Q&rsquo;<em>). &copy; Mosseron-Ribert<br /> NB : </em>˂Q˃ <em>est repr&eacute;sent&eacute;e en pointill&eacute;s et </em>Q&rsquo;= Q &ndash; ˂Q˃<em> (c&rsquo;est la fluctuation, autrement dit l&rsquo;&eacute;cart entre la variable </em>Q <em>et la moyenne </em>˂Q˃<em>).</em></figcaption> </figure> <p>La deuxi&egrave;me approche consiste &agrave; appliquer un filtre aux &eacute;quations de conservation r&eacute;solues. De ce fait, l&rsquo;approche SGE (Simulation aux Grandes Echelles, ou LES en anglais pour <em>Large-Eddy Simulation</em>) est caract&eacute;ris&eacute;e par une &eacute;chelle de coupure qui diff&eacute;rencie les &eacute;chelles &agrave; r&eacute;soudre (les gros tourbillons) des &eacute;chelles &agrave; mod&eacute;liser (les petits tourbillons).</p> <p>La taille du filtre varie avec la taille du maillage associ&eacute;. Plus le maillage est fin et plus l&rsquo;&eacute;chelle de coupure est grande, c&rsquo;est-&agrave;-dire plus les petites structures sont r&eacute;solues. Ainsi, plus l&rsquo;&eacute;coulement est r&eacute;solu (DNS), et plus on distingue de structures&nbsp;: l&rsquo;&eacute;coulement est d&eacute;crit tr&egrave;s pr&eacute;cis&eacute;ment et s&rsquo;approche du champ exp&eacute;rimental, c&rsquo;est-&agrave;-dire du r&eacute;el. Moins l&rsquo;&eacute;coulement est r&eacute;solu (RANS), et plus la taille de maille est grossi&egrave;re, donc le champ obtenu moyen<a href="#nbp15" name="liennbp15">15</a>. Contrairement au RANS qui d&eacute;livre ainsi une image moyenne de l&rsquo;&eacute;coulement, les m&eacute;thodes LES et DNS rendent compte des effets instationnaires ou al&eacute;atoires de l&rsquo;&eacute;coulement. Le cumul de plusieurs images instantan&eacute;es sur un temps assez long permet alors de retrouver le champ moyen. Dans le cas de la LES, des mod&egrave;les sont utilis&eacute;s pour d&eacute;crire des ph&eacute;nom&egrave;nes ayant une &eacute;chelle plus petite que la taille de maille. On parle d&rsquo;une description de sous-maille. En m&eacute;canique des fluides, on constate un comportement quasi-universel des petites structures de sous-maille. Le comportement d&rsquo;un tourbillon passant, par exemple, de l&rsquo;&eacute;chelle <em>5&eta; &agrave; &eta;</em> est le m&ecirc;me que l&rsquo;on &eacute;tudie un &eacute;coulement fluvial, le vent ou l&rsquo;admission d&rsquo;air dans une voiture. Les choses diff&egrave;rent dans le cas d&rsquo;&eacute;coulements avec obstacle. La cons&eacute;quence imm&eacute;diate est que plusieurs mod&egrave;les existent, toujours un peu plus complexes, afin de rendre compte de ces diff&eacute;rents comportements. Le non-emploi de tels mod&egrave;les conduit, dans le cas d&rsquo;&eacute;coulements turbulents, &agrave; une solution grossi&egrave;re voire erron&eacute;e du probl&egrave;me.</p> <h3>1.3. La notion de &laquo;&nbsp;filtre&nbsp;&raquo; en art et en science</h3> <p>Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;un filtre en art et en science ? C&rsquo;est un dispositif s&eacute;miologique qui impose une lecture m&eacute;di&eacute;e du r&eacute;el<a href="#nbp16" name="liennbp16">16</a>. Le terme se d&eacute;cline en plusieurs cat&eacute;gories. Nous en avons d&eacute;fini trois. La premi&egrave;re rel&egrave;ve du filtre inconscient, inh&eacute;rent &agrave; tout observateur. Ce qui vaut pour le scientifique vaut pour l&rsquo;artiste, qui sont d&rsquo;abord tous deux des sujets <em>filtrants</em>. Toutefois le scientifique au travail, dans une d&eacute;marche heuristique, cherche &agrave; int&eacute;grer cette donn&eacute;e et &agrave; identifier son impact sur le protocole de l&rsquo;enqu&ecirc;te, pour mieux en limiter la port&eacute;e d&rsquo;embl&eacute;e, autant que possible.</p> <p>Cette lecture n&rsquo;est pas neuve, et a suscit&eacute; de nombreux commentaires, notamment chez les historiens, th&eacute;oriciens et les philosophes de l&rsquo;art, ainsi Ernst Gombrich dans son c&eacute;l&egrave;bre ouvrage <em>L&rsquo;art et l&rsquo;illusion</em> ou Nelson Goodman dans son non moins fameux <em>Langages de l&rsquo;art</em><a href="#nbp17" name="liennbp17">17</a>. Goodman d&eacute;crit pr&eacute;cis&eacute;ment le m&eacute;canisme d&rsquo;enregistrement du monde ext&eacute;rieur par l&rsquo;organe oculaire :</p> <p><q>C&rsquo;est toujours vieilli que l&rsquo;&oelig;il aborde son activit&eacute;, obs&eacute;d&eacute; par son propre pass&eacute; et par les insinuations anciennes et r&eacute;centes de l&rsquo;oreille, du nez, de la langue, des doigts, du c&oelig;ur et du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et dot&eacute; de sa propre &eacute;nergie, mais comme un membre soumis d&rsquo;un organisme complexe et capricieux. Besoins et pr&eacute;jug&eacute;s ne gouvernent pas seulement sa mani&egrave;re de voir mais aussi le contenu de ce qu&rsquo;il voit<a href="#nbp18" name="liennbp18">18</a>.</q></p> <p>Heinrich W&ouml;lfflin apporte un &eacute;clairage artistique pratique &agrave; ce point de vue lorsqu&rsquo;il relate l&rsquo;anecdote suivante :</p> <p><q>Ludwig Richter raconte dans ses <em>Souvenirs</em> que, durant son s&eacute;jour &agrave; Tivoli, il entreprit avec trois camarades de peindre un fragment de paysage, tous quatre ayant d&eacute;cid&eacute; de ne pas s&rsquo;&eacute;carter d&rsquo;un cheveu de la nature. Ils choisirent le m&ecirc;me mod&egrave;le ; chaque peintre, d&rsquo;ailleurs honorablement dou&eacute;, s&rsquo;appliqua &agrave; repr&eacute;senter exactement ce que voyaient ses yeux ; une fois achev&eacute;s, n&eacute;anmoins, les tableaux furent aussi diff&eacute;rents que l&rsquo;&eacute;tait la personnalit&eacute; des quatre jeunes gens. Le narrateur en conclut qu&rsquo;il n&rsquo;existe pas de vision objective des choses et que chaque artiste saisit la forme et la couleur suivant son temp&eacute;rament<a href="#nbp19" name="liennbp19">19</a>.</q></p> <p>Gaston Bachelard ne dit pas autre chose, mais il souhaite d&eacute;passer le constat pour connoter n&eacute;gativement cette cat&eacute;gorie de filtre. Elle implique des pr&eacute;jug&eacute;s dont doit s&rsquo;affranchir l&rsquo;esprit aspirant &agrave; la connaissance scientifique :</p> <p><q>Face au r&eacute;el, ce qu&rsquo;on croit savoir clairement offusque ce qu&rsquo;on devrait savoir. Quand il se pr&eacute;sente &agrave; la culture scientifique, l&rsquo;esprit n&rsquo;est jamais jeune. Il est m&ecirc;me tr&egrave;s vieux, car il a l&rsquo;&acirc;ge de ses pr&eacute;jug&eacute;s. Acc&eacute;der &agrave; la science, c&rsquo;est, spirituellement rajeunir, c&rsquo;est accepter une mutation brusque qui doit contredire un pass&eacute;<a href="#nbp20" name="liennbp20">20</a>.</q></p> <p>La psychologie de la perception, &agrave; travers des &eacute;tudes de cas, a &eacute;galement d&eacute;montr&eacute; que notre appr&eacute;hension du monde est toujours m&eacute;di&eacute;e. Le regard neutre n&rsquo;existe pas. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;imp&eacute;rieuse n&eacute;cessit&eacute; de pr&eacute;ciser les conditions de l&rsquo;enqu&ecirc;te, et les outils sp&eacute;cifiquement requis pour l&rsquo;analyse, qui fondent la valeur scientifique de l&rsquo;&eacute;tude. Car les r&eacute;sultats sont fonction des pr&eacute;suppos&eacute;s d&eacute;finis au pr&eacute;alable. Les crit&egrave;res de recherche d&eacute;terminent leur nature. Et l&rsquo;on doit pouvoir, avec d&rsquo;autres outils, d&rsquo;autres hypoth&egrave;ses de travail, confirmer, infirmer ou compl&eacute;ter ce que l&rsquo;on aura pu trouver par d&rsquo;autres biais. Le scientifique tente de conscientiser cette premi&egrave;re cat&eacute;gorie de filtre, non pour l&rsquo;&eacute;radiquer, mais pour la circonscrire, en contrer les effets et de ce fait fonder scientifiquement ses recherches selon une vis&eacute;e objective<a href="#nbp21" name="liennbp21">21</a>.</p> <p>La seconde cat&eacute;gorie de filtre est d&rsquo;ordre ontologique. Propre &agrave; la nature m&ecirc;me de l&rsquo;art et de la science, elle oppose le v&eacute;risme sensible au v&eacute;risme scientifique.</p> <p>On s&rsquo;autorise &agrave; omettre certaines donn&eacute;es dans la prise en compte d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne physique et donc dans sa restitution visuelle, soit parce qu&rsquo;on consid&egrave;re qu&rsquo;elles sont quantit&eacute; n&eacute;gligeable, insuffisantes &agrave; fausser la pertinence de l&rsquo;exp&eacute;rience, soit parce qu&rsquo;on ne dispose pas encore de mod&egrave;le math&eacute;matique valid&eacute; donc fiable. Proc&eacute;der &agrave; des choix s&rsquo;av&egrave;re par cons&eacute;quent &agrave; la fois in&eacute;vitable et n&eacute;cessaire (dans la repr&eacute;sentation de mod&egrave;les physiques, en s&rsquo;interdisant de recourir &agrave; certains termes&hellip;), mais toujours de fa&ccedil;on motiv&eacute;e et justifiable. En art, le filtre op&egrave;re immanquablement, li&eacute; au caract&egrave;re ind&eacute;finissable de la libert&eacute; artistique qui ressort du <em>style</em>, lequel &eacute;chappe &agrave; toute v&eacute;rification &agrave; grande &eacute;chelle, sauf &agrave; restreindre la port&eacute;e d&rsquo;un propos g&eacute;n&eacute;ralisant et lui faire pr&ecirc;ter le flanc aux critiques. Le style peut d&rsquo;ailleurs aussi &eacute;chapper &agrave; la volont&eacute; du cr&eacute;ateur lui-m&ecirc;me, comme l&rsquo;&eacute;nonce Roland Barthes<a href="#nbp22" name="liennbp22">22</a>. Et, ajouterons-nous, le style ainsi pris en compte demeure ind&eacute;pendant de la facult&eacute; d&rsquo;observation filtrante d&eacute;crite dans la premi&egrave;re cat&eacute;gorie ci-dessus. Il se d&eacute;marque en produisant ses propres indices visuels. L&rsquo;historien de l&rsquo;art Meyer Shapiro, dans son analyse de la notion de style, &eacute;tablit avec p&eacute;n&eacute;tration sinon l&rsquo;incoh&eacute;rence du moins le caract&egrave;re insatisfaisant de l&rsquo;entreprise intellectuelle qui cherche &agrave; associer la qualification d&rsquo;un style artistique &agrave; la d&eacute;marche scientifique. Les natures respectives demeurent irr&eacute;ductibles et le <em>style</em> (entendu comme entit&eacute; g&eacute;n&eacute;rique alors qu&rsquo;il est potentiellement aussi vari&eacute; qu&rsquo;il existe de cr&eacute;ateurs voire de cr&eacute;ations) refuse la rigueur math&eacute;matique<a href="#nbp23" name="liennbp23">23</a>, sauf &agrave; jouer sur les mots et l&rsquo;analogie, ce qui constitue une d&eacute;rive critiquable, car les comparants respectifs ne peuvent &ecirc;tre mis sur le m&ecirc;me plan, dans la mesure o&ugrave; ils appartiennent &agrave; des domaines diff&eacute;rents<a href="#nbp24" name="liennbp24">24</a>. Quand bien m&ecirc;me les &eacute;l&eacute;ments g&eacute;n&eacute;raux constitutifs d&rsquo;un style peuvent &ecirc;tre identifi&eacute;s et d&eacute;clin&eacute;s, il ne s&rsquo;agit l&agrave; que d&rsquo;une formulation limit&eacute;e. En pratique, la restitution des multiples applications, combinaisons et nuances &eacute;tablies par les artistes gr&egrave;ve la port&eacute;e d&rsquo;une proposition d&rsquo;ensemble. D&eacute;finir un style consiste &agrave; d&eacute;crire ce dernier &agrave; travers l&rsquo;&eacute;num&eacute;ration du corpus artistique aff&eacute;rent, ce qui contrevient &agrave; toute mise en &eacute;quation globalisante : &laquo;&nbsp;bien que certains auteurs con&ccedil;oivent le style comme une sorte de syntaxe ou de sch&eacute;ma de composition que l&rsquo;on peut analyser math&eacute;matiquement, personne n&rsquo;a &eacute;t&eacute; en pratique capable de le faire sans recourir au langage vague des qualit&eacute;s dans la description des styles<a href="#nbp25" name="liennbp25">25</a>.&nbsp;&raquo;.</p> <p>La troisi&egrave;me cat&eacute;gorie ressort du filtre pratique, li&eacute;e &agrave; des consid&eacute;rations techniques de restitution du r&eacute;el.</p> <p>La restitution visuelle ne permet pas de tout repr&eacute;senter. Le scientifique se heurte &agrave; la complexit&eacute; du r&eacute;el qui induit une situation inextricable : plus il visera la finesse, plus le nombre de variables et d&rsquo;&eacute;quations n&eacute;cessaires &agrave; la prise en compte th&eacute;orique de l&rsquo;&eacute;tude du r&eacute;el entra&icirc;nera de difficult&eacute;s pratiques. Il convient donc de strictement conditionner et limiter les champs d&rsquo;interrogation du r&eacute;el, de d&eacute;finir des choix de lecture, en somme de prendre parti. Car comme l&rsquo;affirme Gaston Bachelard :</p> <p><q>Avant tout, il faut savoir poser des probl&egrave;mes. Et quoi qu&rsquo;on en dise, dans la vie scientifique, les probl&egrave;mes ne se posent pas d&rsquo;eux-m&ecirc;mes. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment ce sens du probl&egrave;me qui donne la marque du v&eacute;ritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une r&eacute;ponse &agrave; une question. S&rsquo;il n&rsquo;y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n&rsquo;est donn&eacute;. Tout est construit<a href="#nbp26" name="liennbp26">26</a>.</q></p> <p>En science, on parle de <em>mod&egrave;les &eacute;pist&eacute;miques</em> &agrave; partir desquels &eacute;laborer une restitution exploitable par sch&eacute;ma ou simulation, et selon le degr&eacute; de finesse souhait&eacute;. Or ces mod&egrave;les sont forc&eacute;ment r&eacute;ductionnistes par rapport &agrave; la complexit&eacute; du r&eacute;el. Dans le domaine artistique, on parlera plus volontiers de &laquo;&nbsp;coup de pinceau&nbsp;&raquo;, formule g&eacute;n&eacute;rique et vague car &eacute;chappant &agrave; toute cat&eacute;gorisation, conditionn&eacute;e non seulement par l&rsquo;impossibilit&eacute; de proposer une lecture enti&egrave;rement fid&egrave;le du sujet observ&eacute; mais surtout par la volont&eacute; technique de restituer artistiquement le r&eacute;el par le biais d&rsquo;un m&eacute;dium choisi pr&eacute;cis&eacute;ment en fonction des contraintes et des possibilit&eacute;s qu&rsquo;il offre.</p> <h2>2. <strong>Le corpus consid&eacute;r&eacute; : Frits Thaulow / L&eacute;onard de Vinci et la repr&eacute;sentation des &eacute;coulements turbulents</strong></h2> <h3>2.1. Repr&eacute;senter, observer, interpr&eacute;ter : doubles regards</h3> <p>Observons &agrave; pr&eacute;sent la toile de Thaulow (1846-1906) intitul&eacute;e <em>Le moulin &agrave; eau</em> (<em>Water Mill</em>) peinte en 1892 <a href="#nbp27" name="liennbp27">27</a>. Le sujet, comme son titre l&rsquo;indique d&rsquo;ailleurs, est la repr&eacute;sentation d&rsquo;un moulin dont le m&eacute;canisme est aliment&eacute; par l&rsquo;eau d&rsquo;un canal d&rsquo;amen&eacute;e qui se jette dans une large rivi&egrave;re. Pourtant, &agrave; y regarder de plus pr&egrave;s &ndash; et c&rsquo;est une constante chez Thaulow &ndash; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t premier r&eacute;side dans la repr&eacute;sentation de l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment liquide<a href="#nbp28" name="liennbp28">28</a>. Le cadrage en t&eacute;moigne, qui fait la part belle au cours d&rsquo;eau, coupant volontairement en hauteur les b&acirc;timents qui le bordent. Finalement, ce qui importe &agrave; l&rsquo;artiste n&rsquo;est pas le moulin en soi, ou l&rsquo;activit&eacute; meuni&egrave;re qu&rsquo;il d&eacute;signe, mais ce qui autorise son existence : l&rsquo;eau mouvante. Pas vraiment un <em>parergon</em> au sens que lui attribue Kant dans sa <em>Critique de la facult&eacute; de juger</em> (&sect;14) et que th&eacute;orisera plus tard Derrida en esth&eacute;tique<a href="#nbp29" name="liennbp29">29</a> : l&rsquo;eau n&rsquo;est pas dans cette &oelig;uvre de l&rsquo;ordre de l&rsquo;accessoire ext&eacute;rieur pr&eacute;judiciable &agrave; ce que le philosophe appelle la &laquo;&nbsp;belle forme&nbsp;&raquo;, mais un motif pictural mis en valeur, exhauss&eacute; par un d&eacute;placement de l&rsquo;ordre traditionnellement convenu dans le r&eacute;gime figuratif. Le peintre a visiblement fait le choix de baisser sa fen&ecirc;tre de vision pour encadrer un motif suppos&eacute; annexe. En effet, l&rsquo;eau occupe les trois quarts de la toile<a href="#nbp30" name="liennbp30">30</a>. Ce faisant, Thaulow rel&egrave;gue les b&acirc;timents pour se focaliser sur le premier plan : la repr&eacute;sentation des turbulences occasionn&eacute;es, au loin, par la chute d&rsquo;eau qui alimente la roue du moulin. Et ce faisant, l&rsquo;artiste prend le parti de ne pas se concentrer sur la petite cascade provenant du canal d&rsquo;amen&eacute;e, qui provoque une perturbation complexe lorsqu&rsquo;elle entre au contact d&rsquo;une autre surface elle-m&ecirc;me en mouvement. Il s&rsquo;int&eacute;resse davantage aux cons&eacute;quences estomp&eacute;es de cette agitation, alors que les tourbillons t&eacute;moignent encore de la perturbation mais qu&rsquo;ils tendent &agrave; se fondre dans l&rsquo;&eacute;coulement naturel de la rivi&egrave;re. Thaulow parvient &agrave; sugg&eacute;rer par un arr&ecirc;t sur image la continuit&eacute; d&rsquo;un &eacute;coulement turbulent d&rsquo;eau. Il op&egrave;re cependant un choix quant au r&eacute;el, privil&eacute;giant la partie la moins agit&eacute;e du ph&eacute;nom&egrave;ne, celle qui tend vers le r&eacute;gime laminaire, c&rsquo;est-&agrave;-dire pr&eacute;dictif. Aussi cette focalisation seule peut-elle apparemment pr&eacute;tendre au statut d&rsquo;image &laquo;&nbsp;fid&egrave;le&nbsp;&raquo;, le reste requ&eacute;rant davantage le recours &agrave; l&rsquo;imagination et &agrave; la m&eacute;moire visuelle du spectateur qui reconstruit le processus physique dans son entier &agrave; partir de son exp&eacute;rience. Nous revenons ici au r&ocirc;le de l&rsquo;image comme m&eacute;taphore visuelle illustrant un ph&eacute;nom&egrave;ne ou un concept identifi&eacute; : &laquo;&nbsp;cheval&nbsp;&raquo; ou bien ici &laquo;&nbsp;&eacute;coulement turbulent&nbsp;&raquo;. Au final, le peintre nous donne &agrave; voir une image virtuose o&ugrave; la qualit&eacute; picturale, le geste de l&rsquo;artiste l&rsquo;emportent sur toute autre consid&eacute;ration.</p> <p>Portons maintenant notre attention sur la feuille dessin&eacute;e par L&eacute;onard de Vinci (1452-1519), et plus particuli&egrave;rement sur le motif de tourbillons de l&rsquo;eau dans la partie basse provoqu&eacute;s par l&rsquo;impact de l&rsquo;eau sur l&rsquo;eau<a href="#nbp31" name="liennbp31">31</a>. Plusieurs &eacute;l&eacute;ments semblent conf&eacute;rer au dessin une port&eacute;e scientifique : le m&eacute;dium utilis&eacute;, le statut du dessin (sur une feuille comportant d&rsquo;autres &eacute;tudes), le motif m&ecirc;me, inhabituel et qu&rsquo;on ne trouve gu&egrave;re dans les autres travaux d&rsquo;artistes, la pr&eacute;cision m&eacute;ticuleuse dans le rendu. Mais apr&egrave;s tout, ces caract&eacute;ristiques ne suffisent pas &agrave; qualifier compl&egrave;tement la r&eacute;alisation de L&eacute;onard : &oelig;uvre d&rsquo;artiste ou de scientifique ? Des indices suppl&eacute;mentaires font plus clairement pencher la balance, au moins au travers des intentions de L&eacute;onard. On les trouve notamment dans les <em>parerga</em>, au sens propre cette fois, autrement dit dans les commentaires manuscrits accompagnant la repr&eacute;sentation sous le dessin. Mot et image sont ici indissociables pour analyser la feuille du Florentin :</p> <p><q>Les mouvements de l&rsquo;eau qui tombe apr&egrave;s &ecirc;tre entr&eacute;e dans le bassin sont de trois sortes, et il faut en ajouter un quatri&egrave;me, qui est le mouvement de l&rsquo;air aspir&eacute; dans l&rsquo;eau par l&rsquo;eau. Et celui-l&agrave; est le premier : qu&rsquo;il soit donc repr&eacute;sent&eacute; en premier. Que le deuxi&egrave;me soit celui de l&rsquo;air introduit dans l&rsquo;eau, et le troisi&egrave;me le mouvement des eaux renvoy&eacute;es apr&egrave;s avoir lib&eacute;r&eacute; l&rsquo;air comprim&eacute; dans l&rsquo;atmosph&egrave;re. Quand l&rsquo;eau est soulev&eacute;e en grosses bulles, elle p&egrave;se dans l&rsquo;air et retombe sur la surface, qu&rsquo;elle traverse pour aller jusqu&rsquo;au fond. Le quatri&egrave;me mouvement est le tourbillon &agrave; la surface du bassin quand l&rsquo;eau revient &agrave; son lieu d&rsquo;impact, car il se trouve &agrave; un niveau inf&eacute;rieur, entre l&rsquo;eau qui tombe et celle qui est renvoy&eacute;e. Il faut consid&eacute;rer en outre un cinqui&egrave;me mouvement appel&eacute; rejaillissement, lequel est celui de l&rsquo;eau renvoy&eacute;e quand elle rapporte &agrave; la surface l&rsquo;air qui a &eacute;t&eacute; submerg&eacute; avec elle<a href="#nbp32" name="liennbp32">32</a>.</q></p> <p>Autre &eacute;l&eacute;ment &agrave; porter au dossier, fondamental : le contexte. L&eacute;onard se consid&eacute;rait autant voire davantage ing&eacute;nieur qu&rsquo;artiste (c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs sous ce qualificatif qu&rsquo;il proposa une offre de services au duc de Milan Ludovic le More) et sa vie durant il remplit des carnets d&rsquo;&eacute;tudes, d&rsquo;observations et de r&eacute;flexions de nature essentiellement scientifique, quoique reli&eacute;es &agrave; son activit&eacute; artistique. Le cloisonnement des diff&eacute;rentes branches de savoir n&rsquo;&eacute;tait pas encore de mise &agrave; l&rsquo;&eacute;poque. Le Florentin n&rsquo;&eacute;tait pas un scientifique au sens o&ugrave; on l&rsquo;entend aujourd&rsquo;hui. Mais il participait d&rsquo;un milieu intellectuel identifi&eacute;. Ainsi n&rsquo;a-t-il pas lu les ouvrages et travaux du math&eacute;maticien contemporain Nicolas de Cues, mais il en a eu tr&egrave;s vraisemblablement connaissance<a href="#nbp33" name="liennbp33">33</a>. M&ecirc;me pour l&rsquo;&eacute;poque, sa relation &agrave; la science rel&egrave;ve de ce que l&rsquo;historien de l&rsquo;art Daniel Arasse paraphrasant Claude L&eacute;vi-Strauss appelle une science &laquo;&nbsp;&agrave; l&rsquo;&eacute;tat sauvage&nbsp;&raquo;, tenant du bricolage, dans laquelle l&rsquo;exp&eacute;rience se m&ecirc;le &agrave; des r&eacute;f&eacute;rences de scientifiques av&eacute;r&eacute;es mais lues et dig&eacute;r&eacute;es de mani&egrave;re fragmentaire<a href="#nbp34" name="liennbp34">34</a>.</p> <h3>2.2. L&eacute;onard de Vinci et le dessin scientifique</h3> <p>Que voit-on dans l&rsquo;&eacute;tude de L&eacute;onard ? Elle refl&egrave;te une conception aristot&eacute;licienne encore fermement r&eacute;pandue au XVe si&egrave;cle bas&eacute;e sur un principe simple : la connaissance d&eacute;coule de l&rsquo;observation empirique du monde ; elle doit &ecirc;tre ordonn&eacute;e et class&eacute;e sous la forme de l&rsquo;atlas<a href="#nbp35" name="liennbp35">35</a>. L&eacute;onard ne compila pas ses travaux dans des atlas mais ses &eacute;tudes et ses <em>Carnets</em> t&eacute;moignent d&rsquo;une d&eacute;marche intellectuelle ancr&eacute;e dans cette perspective. Les &eacute;tudes li&eacute;es aux mouvements de l&rsquo;eau n&rsquo;y d&eacute;rogent pas<a href="#nbp36" name="liennbp36">36</a>. D&rsquo;o&ugrave; une attention exemplaire &agrave; chaque &eacute;tape d&eacute;crite dans son commentaire, repr&eacute;sent&eacute;e aussi pr&eacute;cis&eacute;ment que possible : les cinq phases de l&rsquo;&eacute;coulement turbulent sont reconnaissables. Au final nous est donn&eacute;e &agrave; voir l&rsquo;int&eacute;gralit&eacute; de la s&eacute;quence narrative concentr&eacute;e en un m&ecirc;me dessin. L&eacute;onard s&rsquo;inscrit dans un mod&egrave;le figuratif m&eacute;di&eacute;val et cumulatif privil&eacute;giant dans l&rsquo;image, pour des raisons p&eacute;dagogiques de clart&eacute; de la narration, la succession simultan&eacute;e. Celle-ci avait presque enti&egrave;rement disparu au tournant du XVIe si&egrave;cle, chass&eacute;e par le mod&egrave;le d&rsquo;organisation fond&eacute; sur la perspective monofocale servant &agrave; harmoniser l&rsquo;espace et le temps en un cadre unifi&eacute; de repr&eacute;sentation. En d&rsquo;autres termes, &agrave; un lieu doit correspondre un &eacute;pisode unique pour la coh&eacute;rence et la cr&eacute;dibilit&eacute; intellectuelle du discours mis en images. Car la perspective math&eacute;matique th&eacute;oris&eacute;e par Alberti dans son <em>De Pictura</em> (r&eacute;dig&eacute; en 1435) rel&egrave;ve de l&rsquo;ordre de l&rsquo;&eacute;nonciation, comme l&rsquo;ont bien analys&eacute; Thomas Golsenne et Bertrand Pr&eacute;vost<a href="#nbp37" name="liennbp37">37</a>. Elle est l&rsquo;instrument permettant de structurer la composition logique de l&rsquo;<em>istoria</em> pour distinguer les &eacute;v&eacute;nements qui s&rsquo;y d&eacute;roulent et non pas de cr&eacute;er un espace illusionniste en soi<a href="#nbp38" name="liennbp38">38</a>. On trouvait cependant encore chez quelques &eacute;minents repr&eacute;sentants comme Botticelli, Filippino Lippi ou m&ecirc;me encore au XVIe si&egrave;cle, chez V&eacute;ron&egrave;se notamment<a href="#nbp39" name="liennbp39">39</a>, des adeptes occasionnels de la m&eacute;thode ancienne.&nbsp;L&rsquo;illustration scientifique en revanche s&rsquo;est historiquement appuy&eacute;e de plus en plus sur le principe de la conjonction temporelle ou de la simultan&eacute;it&eacute; dans une m&ecirc;me image de moments chronologiquement inconciliables. En effet la compr&eacute;hension d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne ou d&rsquo;un &eacute;tat n&eacute;cessitait, dans les branches aussi diverses que la botanique, la biologie, la chimie ou la physique, la prise en compte et donc la repr&eacute;sentation graphique de l&rsquo;espace, bien s&ucirc;r, mais &eacute;galement du temps. D&rsquo;o&ugrave; la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;&eacute;laborer un s&eacute;quen&ccedil;age propre &agrave; restituer le processus observ&eacute; dans sa dur&eacute;e, pour mieux comprendre son &eacute;volution. En effet il s&rsquo;agit de ne pas cantonner l&rsquo;&eacute;tude &agrave; un instantan&eacute; isol&eacute; du reste de la cha&icirc;ne &eacute;v&eacute;nementielle dans son entier, ce qui hypoth&egrave;querait la connaissance du ph&eacute;nom&egrave;ne global<a href="#nbp40" name="liennbp40">40</a>. Pour des raisons heuristiques de coh&eacute;rence visuelle, il faut cependant extraire ladite s&eacute;quence de son contexte d&rsquo;observation : trop de d&eacute;tails adventices nuisent &agrave; la claire appr&eacute;hension de l&rsquo;objet analys&eacute;. Ainsi convient-il, dans le dessin &agrave; vocation scientifique, d&rsquo;envisager une portion temporelle suffisamment longue pour &ecirc;tre fiable, et simultan&eacute;ment de d&eacute;tacher cette succession ph&eacute;nom&eacute;nale d&rsquo;un environnement dirimant car porteur dans cette optique d&rsquo;informations inutiles voire dommageables &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire superflues. Le dessin de L&eacute;onard t&eacute;moigne parfaitement de cette approche de nature scientifique. Il y a bien lecture filtr&eacute;e, focalisation exclusive sur un aspect pr&eacute;d&eacute;fini comme objet de l&rsquo;&eacute;tude &agrave; mener : les cons&eacute;quences de l&rsquo;impact d&rsquo;un &eacute;coulement d&rsquo;eau sur un bassin rempli d&rsquo;eau.</p> <p>L&rsquo;illustration scientifique facilite la compr&eacute;hension de l&rsquo;explicitation verbale pr&eacute;dominante, puisque l&rsquo;image, dans la tradition occidentale, a depuis la condamnation &eacute;nonc&eacute;e par Platon dans la <em>R&eacute;publique</em>, toujours occup&eacute; une position sinon subalterne du moins fragile et secondaire relativement au discours. L&rsquo;image a donc longtemps &eacute;t&eacute; r&eacute;duite &agrave; illustrer un propos<a href="#nbp41" name="liennbp41">41</a>. Et cela m&ecirc;me apr&egrave;s que l&rsquo;empirisme aristot&eacute;licien ne vint modifier quelque peu la donne en renversant la perspective platonicienne<a href="#nbp42" name="liennbp42">42</a>. Ce que L&eacute;onard donne &agrave; voir dans sa feuille d&rsquo;&eacute;tude, c&rsquo;est sinon un retournement du paradigme platonicien, du moins un r&eacute;&eacute;quilibrage au sein duquel l&rsquo;image prime, o&ugrave; le commentaire intervient apr&egrave;s-coup pour mieux expliciter la pertinence d&rsquo;une feuille qui t&eacute;moigne de l&rsquo;acuit&eacute; d&rsquo;un &oelig;il averti.</p> <h2>3. <strong>Thaulow/Vinci : approches oppos&eacute;es et compl&eacute;mentaires, entre art et science</strong></h2> <h3>3.1. Le point de vue scientifique</h3> <p>Si le dessin de L&eacute;onard r&eacute;duit consid&eacute;rablement la s&eacute;quence par rapport &agrave; l&rsquo;illustration de Thaulow &ndash; il s&rsquo;agit de l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;un &eacute;coulement turbulent limit&eacute; dans l&rsquo;espace et le temps l&agrave; o&ugrave; l&rsquo;artiste norv&eacute;gien envisageait une fen&ecirc;tre beaucoup plus large &ndash;, il est bien plus attentif aux d&eacute;tails du processus justement parce que la s&eacute;quence retenue l&rsquo;autorise &agrave; &ecirc;tre analytique. Thaulow propose un instantan&eacute;, un arr&ecirc;t sur image virtuose dans la mesure o&ugrave; sa repr&eacute;sentation fige le temps, donc le mouvement, sans chercher &agrave; &eacute;tudier le processus reproduit, ni dissocier les diff&eacute;rents moments du ph&eacute;nom&egrave;ne. L&eacute;onard quant &agrave; lui vise la moyenne d&rsquo;une s&eacute;quence, &agrave; la fois plus laborieuse mais aussi plus scientifique et complexe dans son &eacute;laboration, dans la m&eacute;thode qui guide la main au travail. Quand l&rsquo;un observe et retranscrit artistiquement, l&rsquo;autre observe et cherche &agrave; comprendre la complexit&eacute; du m&eacute;canisme pour mieux le restituer dans ses &eacute;chelles spatiales et temporelles. D&rsquo;o&ugrave;, au-del&agrave; de la ma&icirc;trise extraordinaire, la volont&eacute; de traduire, au sein du processus, les diff&eacute;rentes phases qui le composent : &agrave; travers la synth&egrave;se l&rsquo;analyse des cinq &laquo;&nbsp;mouvements&nbsp;&raquo; reste clairement perceptible. En un mot, L&eacute;onard produit d&rsquo;abord une image d&rsquo;ing&eacute;nieur : la technique ne cherche pas &agrave; faire gratuitement illusion, elle constitue un outil d&rsquo;enregistrement du r&eacute;el. Si le dessin est beau, c&rsquo;est <em>par accident</em>. L&agrave; n&rsquo;est pas sa finalit&eacute; <em>a priori</em>. Et pourtant&hellip;</p> <p>En science nous retrouvons les conditions d&rsquo;observation d&eacute;crites par L&eacute;onard, mais selon des lois physiques solidement &eacute;prouv&eacute;es. Il s&rsquo;agit d&rsquo;aller bien en-de&ccedil;&agrave; de ce que l&rsquo;&oelig;il humain peut discerner. Le d&eacute;chiffrement du r&eacute;el ne peut se limiter &agrave; la seule observation oculaire directe et sans instrument. Vu sous cet angle, le dessin si scrupuleux et d&eacute;taill&eacute; du Florentin appara&icirc;t en r&eacute;alit&eacute; <em>approximatif</em> mais <em>cr&eacute;dible</em> car visuellement homog&egrave;ne, traduisant une lecture d&rsquo;ensemble du ph&eacute;nom&egrave;ne. Face &agrave; ce qui &eacute;chappe parce qu&rsquo;en partie <em>invisible</em>, notamment en ce qui concerne les phases transitionnelles &ndash;ces zones d&rsquo;ombre &ndash;, L&eacute;onard recourt aux outils &agrave; sa disposition. Il fait le choix de la coh&eacute;rence, et int&egrave;gre dans sa proposition graphique et &laquo;&nbsp;scientifique&nbsp;&raquo; l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment d&eacute;coratif qui <em>lisse</em> son image, qui assure son unit&eacute;<a href="#nbp43" name="liennbp43">43</a>. Le registre d&eacute;coratif <em>compense</em> le manque. Il le d&eacute;signe mais en m&ecirc;me temps le rend acceptable parce qu&rsquo;il autorise par ailleurs la production d&rsquo;un dessin analysable pour L&eacute;onard sur le plan scientifique, un dessin qui appuie tout en l&rsquo;assurant sa compr&eacute;hension du ph&eacute;nom&egrave;ne. C&rsquo;est ce qu&rsquo;il est convenu d&rsquo;appeler la &laquo;&nbsp;trace de l&rsquo;artiste&nbsp;&raquo;, qui correspond, toutes proportions gard&eacute;es, au mod&egrave;le du scientifique, qui lui aussi repose toujours sur un filtrage du r&eacute;el, mais selon un protocole d&ucirc;ment &eacute;tabli. Car la recherche de la pr&eacute;cision absolue peut brouiller le message par un exc&egrave;s d&rsquo;informations. Aussi convient-il de trouver les bons filtres, c&rsquo;est-&agrave;-dire les filtres suffisants pour comprendre les m&eacute;canismes d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne sans que l&rsquo;analyse ne soit perturb&eacute;e par un afflux intempestif de donn&eacute;es secondaires qui tendraient &agrave; masquer le mouvement essentiel et repr&eacute;sentatif.</p> <p>Les repr&eacute;sentations de L&eacute;onard et Thaulow peuvent se rapporter &agrave; deux types d&rsquo;images scientifiques, qualifi&eacute;es d&rsquo;image instantan&eacute;e et d&rsquo;image moyenne. L&rsquo;illustration du norv&eacute;gien ressort de la premi&egrave;re cat&eacute;gorie ; celle du Florentin de la seconde. Thaulow propose une lecture imm&eacute;diate d&rsquo;un &eacute;coulement turbulent, que l&rsquo;&oelig;il compl&egrave;te. Les remous de l&rsquo;eau apparaissent fig&eacute;s, atemporels en quelque sorte, puisque pour les tableaux o&ugrave; l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment liquide occupe la place principale, o&ugrave; il constitue <em>le</em> v&eacute;ritable sujet, on observe les m&ecirc;mes motifs tourbillonnants : une sorte de glissement subtil du pinceau &agrave; la surface de la toile pour sugg&eacute;rer l&rsquo;agitation de l&rsquo;onde. La technique est la m&ecirc;me, cantonn&eacute;e &agrave; l&rsquo;illustration d&rsquo;une eau peu perturb&eacute;e. Si l&rsquo;on devait comparer ces &oelig;uvres &agrave; ce qui existe en imagerie scientifique, le mouvement de l&rsquo;eau recevrait d&rsquo;ailleurs le qualificatif de transitionnel (glissant vers le laminaire)<a href="#nbp44" name="liennbp44">44</a>. En effet, Thaulow se limite la plupart du temps &agrave; peindre des &eacute;coulements simples, peu violents. Lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de repr&eacute;senter un &eacute;coulement rapide, rencontrant des obstacles et par cons&eacute;quent entra&icirc;nant des remous complexes, subitement la touche fluide, fondue et lisse s&rsquo;efface devant un traitement par touches juxtapos&eacute;es proche de la touche fractionn&eacute;e caract&eacute;ristique du courant impressionniste. De sorte que l&rsquo;illusionnisme c&egrave;de la place &agrave; l&rsquo;&eacute;vocation d&rsquo;une atmosph&egrave;re qui ne leurre pas l&rsquo;&oelig;il. La technique de Thaulow satisfaisant &agrave; la repr&eacute;sentation d&rsquo;un mouvement laminaire ou transitionnel ne convient plus &agrave; celle d&rsquo;un mouvement complexe, turbulent. Il lui faut donc changer de syst&egrave;me pictural. Le tableau du moulin &agrave; eau rassemble ces deux syst&egrave;mes de repr&eacute;sentation. La cascade, le choc r&eacute;sultant de la rencontre entre les deux sources d&rsquo;eau en mouvement et les remous occasionn&eacute;s &agrave; cette occasion sont trait&eacute;s par accumulation de touches blanches charg&eacute;es en pigment sugg&eacute;rant l&rsquo;&eacute;cume, donc la forte agitation. L&rsquo;illusionnisme n&rsquo;est pas de mise. Thaulow, tr&egrave;s habilement, repousse ce motif au fond de sa toile pour privil&eacute;gier celui qui t&eacute;moignera davantage de sa virtuosit&eacute; : le r&eacute;gime transitionnel, assagi, du premier plan, plus propice &agrave; susciter l&rsquo;admiration du public devant une technique s&ucirc;re et &eacute;prouv&eacute;e rivalisant avec la photographie qui peine encore &agrave; cette &eacute;poque &agrave; fixer le mouvement dans l&rsquo;espace de fa&ccedil;on parfaitement convaincante, temps de pose oblige. Il y a donc bien d&eacute;monstration d&rsquo;un savoir-faire. Lequel ne r&eacute;siste plus lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de restituer des &eacute;coulements plus complexes.</p> <p>L&eacute;onard quant &agrave; lui, avec sa volont&eacute; de retranscrire les diff&eacute;rentes phases d&rsquo;un &eacute;coulement turbulent, en propose une s&eacute;quence-type. Certes, le v&eacute;risme apparent de sa restitution semble t&eacute;moigner d&rsquo;une lecture empirique &agrave; partir du r&eacute;el, comme le serait un enregistrement int&eacute;grant le facteur temporel. Mais en v&eacute;rit&eacute; ce qu&rsquo;il montre rel&egrave;ve bien plus de ce que les scientifiques appellent une image moyenne. D&rsquo;ailleurs, la pr&eacute;cision absolue n&rsquo;aurait su &ecirc;tre de mise, du simple fait de l&rsquo;impossibilit&eacute; pour l&rsquo;&eacute;poque de d&eacute;composer int&eacute;gralement les composantes du processus, les cinq mouvements d&eacute;termin&eacute;s par L&eacute;onard. Si le Florentin a r&eacute;ussi &agrave; d&eacute;gager cinq phases, tant leur repr&eacute;sentation en tant que telle que les transitions entre chacune de ces phases illustrent une vision d&rsquo;ensemble. Il n&rsquo;est pas question de sch&eacute;matisme car la pr&eacute;cision interdit de faire entrer la repr&eacute;sentation dans cette cat&eacute;gorie. Pourtant, l&rsquo;entreprise intellectuelle n&rsquo;exclut pas l&rsquo;analogie. De fait, la fa&ccedil;on qu&rsquo;a L&eacute;onard de repr&eacute;senter les tourbillons &agrave; partir du motif it&eacute;ratif de la spirale sur un mod&egrave;le identique acceptant quelques variantes (bouclette, volute) notamment en termes d&rsquo;&eacute;chelles pour composer chaque mouvement du processus physique prouve une interpr&eacute;tation filtr&eacute;e<a href="#nbp45" name="liennbp45">45</a>. Le dessin atteste d&rsquo;une double probl&eacute;matique : histoire de l&rsquo;art et science interviennent dans cette r&eacute;alisation. En effet, en s&rsquo;appuyant non pas seulement sur l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue mais sur l&rsquo;id&eacute;e de ce que pouvait &ecirc;tre la r&eacute;alit&eacute; puisque celle-ci restait alors en partie inaccessible &agrave; l&rsquo;&oelig;il humain, L&eacute;onard adopte une d&eacute;marche scientifique, que Kant dans la <em>Critique de la raison pure</em> a d&eacute;finie plus tard par les termes suivants : <em>Anschaulichkeit</em> pour le visualisable et <em>Anschauung</em> pour le visible. La premi&egrave;re rel&egrave;ve de ce que l&rsquo;on peut percevoir directement. Le visible rel&egrave;ve en revanche de ce qui doit &ecirc;tre projet&eacute; intellectuellement, parce qu&rsquo;on suppose que cela existe alors m&ecirc;me qu&rsquo;on ne peut le voir.</p> <h3>3.2. Le filtre scientifique n&rsquo;&eacute;puise pas l&rsquo;&oelig;uvre, il contribue &agrave; l&rsquo;&eacute;clairer : rendre compte du r&eacute;el, mais artistiquement</h3> <p>L&rsquo;histoire de l&rsquo;art n&rsquo;a pas m&eacute;connu la d&eacute;marche de L&eacute;onard. Ernst Gombrich a insist&eacute; sur l&rsquo;acuit&eacute; prodigieuse du Florentin, mais il l&rsquo;a assortie d&rsquo;un facteur compl&eacute;mentaire essentiel et sans doute premier : l&rsquo;environnement philosophico-scientifique sp&eacute;cifique, notamment bas&eacute; sur l&rsquo;empirisme aristot&eacute;licien qui incite L&eacute;onard &agrave; accompagner ses observations d&rsquo;une approche d&eacute;ductive d&eacute;tach&eacute;e d&rsquo;un r&eacute;el trop complexe pour &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute; directement. Le filtre joue par cons&eacute;quent &agrave; plein et sur deux niveaux : la transcription directe du monde d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; et une interpr&eacute;tation conditionn&eacute;e par un cadre mental et culturel de l&rsquo;autre qui assimile l&rsquo;entreprise de Vinci &agrave; celle d&rsquo;un v&eacute;ritable scientifique de son temps<a href="#nbp46" name="liennbp46">46</a>. Autrement dit le dessin de L&eacute;onard voudrait pr&eacute;senter une image moyenne, reflet d&rsquo;un cas de figure &laquo;&nbsp;id&eacute;al&nbsp;&raquo; propre &agrave; illustrer le ph&eacute;nom&egrave;ne de l&rsquo;&eacute;coulement turbulent d&rsquo;un point de vue g&eacute;n&eacute;rique et non particulier. L&rsquo;image qu&rsquo;il propose n&rsquo;est cependant pas converg&eacute;e statistiquement. Elle traduit en effet des observations successives incompl&egrave;tes, un &eacute;chantillonnage des donn&eacute;es trop restreint. La masse critique des informations demeure insuffisante en nombre pour autoriser une mesure statistique s&ucirc;re donc une proposition graphique recevable. En cons&eacute;quence, l&rsquo;image moyenne de L&eacute;onard n&rsquo;est pas fiable sur le plan des standards scientifiques.</p> <p>David Rosand pour sa part privil&eacute;gie une interpr&eacute;tation fond&eacute;e sur la libert&eacute; d&rsquo;un artiste qui envisage &laquo;&nbsp;l&rsquo;univers comme un syst&egrave;me de lignes graphiques<a href="#nbp47" name="liennbp47">47</a> &raquo;. Mais en &eacute;non&ccedil;ant ce principe, Rosand met l&rsquo;accent sur la part pr&eacute;pond&eacute;rante de la main en tant qu&rsquo;instrument pensant, au sens o&ugrave; selon l&rsquo;artiste le dessin, la peinture, &eacute;taient <em>cosa mentale</em>. Plus que la d&eacute;marche scientifique, l&rsquo;historien de l&rsquo;art fait valoir le caract&egrave;re fondamental du dess(e)in, de la plume comme outil heuristique et artistique. Et de pr&eacute;ciser : &laquo;&nbsp;au moment m&ecirc;me o&ugrave; il [L&eacute;onard] &eacute;crit, il pense tout naturellement en termes graphiques<a href="#nbp48" name="liennbp48">48</a> &raquo;. La libert&eacute; de l&rsquo;artiste intervient dans une restitution esth&eacute;tis&eacute;e et d&eacute;corative pour signifier l&rsquo;&eacute;coulement turbulent et les transitions qui relient dans le temps et dans l&rsquo;espace, et dans une s&eacute;quence narrative unifi&eacute;e, les phases entre elles. Il suffit de regarder le dessin qui nous occupe avec d&rsquo;autres illustrant des sujets sans rapport aucun entre eux <em>a priori</em> pour identifier une signature iconique r&eacute;currente. Cette signature montre qu&rsquo;au-del&agrave; du sujet abord&eacute;, L&eacute;onard se d&eacute;finit par un style anim&eacute; d&rsquo;une croyance en l&rsquo;analogie notamment formelle : Un style au service d&rsquo;une intention, au sens que lui donne Michael Baxandall, et cette fois contre l&rsquo;interpr&eacute;tation de Roland Barthes, &agrave; savoir : comment donner forme &agrave; une intention cr&eacute;ative, par le biais d&rsquo;un style propre ? Alors m&ecirc;me qu&rsquo;il souhaite offrir une lecture &laquo;&nbsp;scientifique&nbsp;&raquo;, l&rsquo;artiste r&eacute;alise aussi un dessin fantaisiste. Bien s&ucirc;r, cette lecture tranch&eacute;e trahit un anachronisme grossier<a href="#nbp49" name="liennbp49">49</a>. Car au XVe si&egrave;cle les disciplines n&rsquo;&eacute;taient pas cloisonn&eacute;es comme aux &eacute;poques moderne et contemporaine. Quoi qu&rsquo;il en soit, le motif curviligne constitue l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment principal dans des compositions aussi vari&eacute;es dans leur sujet que la repr&eacute;sentation du d&eacute;luge, d&rsquo;une chevelure, d&rsquo;une plante, du vol d&rsquo;un oiseau ou encore, nous l&rsquo;avons vu, d&rsquo;un &eacute;coulement turbulent<a href="#nbp50" name="liennbp50">50</a>. Il ne faut pas s&rsquo;en &eacute;tonner : L&eacute;onard recourait fr&eacute;quemment &agrave; l&rsquo;analogie ; il croyait aussi fermement aux liens entre l&rsquo;homme (le microcosme) et l&rsquo;univers (le macrocosme). Ainsi en 1510 accompagne-t-il un dessin de tourbillons d&rsquo;eau du commentaire suivant : &laquo;&nbsp;Observe le mouvement de l&rsquo;eau &agrave; sa surface, comme il ressemble &agrave; celui d&rsquo;une chevelure<a href="#nbp51" name="liennbp51">51</a> &raquo;. Pour lui, au bout du compte, il n&rsquo;y avait gu&egrave;re de diff&eacute;rence. Du moins s&rsquo;autorisait-il &agrave; extrapoler graphiquement ce motif plus directement appr&eacute;hendable &ndash; les cheveux en mouvement ‒ pour repr&eacute;senter par comparaison les tourbillons de l&rsquo;eau. David Rosand en fait l&rsquo;observation &agrave; partir d&rsquo;une lecture artistique de l&rsquo;&oelig;uvre de L&eacute;onard. La lecture du scientifique permet &eacute;galement d&rsquo;y parvenir, par un autre biais. La premi&egrave;re est positive : elle d&eacute;signe l&rsquo;existence d&rsquo;un &eacute;l&eacute;ment it&eacute;ratif propre &agrave; construire une composition. La seconde est n&eacute;gative : la finesse d&rsquo;une comparaison avec l&rsquo;imagerie scientifique conduit &agrave; conclure au manque de rigueur descriptive et donc de compr&eacute;hension du ph&eacute;nom&egrave;ne physique de l&rsquo;&eacute;coulement turbulent. L&rsquo;image moyenne que nous offre L&eacute;onard est finalement erron&eacute;e malgr&eacute; l&rsquo;impression de v&eacute;risme. Mais la d&eacute;marche d&rsquo;ensemble est pertinente et fructueuse et constitue un t&eacute;moignage scientifique pour le XVe si&egrave;cle, avec ses audaces et ses limites, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;un t&eacute;moignage artistique. Les deux aspects coexistent chez L&eacute;onard et il est utile que l&rsquo;histoire de l&rsquo;art comme la science &ndash; entendue &agrave; travers les probl&eacute;matiques de l&rsquo;imagerie scientifique de restitution d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne physique &ndash; les prennent en consid&eacute;ration dans leur appr&eacute;hension respective de son &oelig;uvre. L&rsquo;analyse vaut &eacute;galement pour Thaulow, m&ecirc;me si chez ce dernier la science n&rsquo;entre pas directement en ligne de compte. Le regard du scientifique apporte des compl&eacute;ments de lecture pr&eacute;cieux. <em>Le moulin &agrave; eau</em> int&eacute;resse aussi ce champ disciplinaire et le recours &agrave; l&rsquo;image qui en d&eacute;coule.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Pour ne citer que cette initiative lire Thierry Dufr&ecirc;ne et Anne-Christine Taylor [dir.], <em>Cannibalismes disciplinaires. Quand l&rsquo;histoire de l&rsquo;art et l&rsquo;anthropologie se rencontrent</em>, actes du colloque &laquo;&nbsp;Histoire de l&rsquo;art et anthropologie&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;est tenu du 21 au 23 juin 2007, Paris, Institut national d&rsquo;histoire de l&rsquo;art/INHA, Mus&eacute;e du Quai Branly, 2009.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Consulter ainsi Maxence Mosseron et Guillaume Ribert, &laquo;&nbsp;La science des nuages : entre repr&eacute;sentation artistique et ph&eacute;nom&egrave;ne m&eacute;t&eacute;orologique&nbsp;&raquo;, <em>Histoire de l&rsquo;art</em>, n&deg; 67, 2010, pp. 19-32.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Sur les diff&eacute;rences de nature irr&eacute;ductibles, on lira avec int&eacute;r&ecirc;t Jean-Marc L&eacute;vy-Leblond, <em>La science n&rsquo;est pas l&rsquo;art. Br&egrave;ves rencontres&hellip;</em>, Paris, Hermann, 2010.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Michael Baxandall, <em>Formes de l&rsquo;intention. Sur l&rsquo;explication historique des tableaux</em>, N&icirc;mes, Jacqueline Chambon, coll. &laquo;&nbsp;Rayon art&nbsp;&raquo;, 1991, notamment l&rsquo;introduction intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Langage et explication&nbsp;&raquo;, pp. 21-36.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Voir &agrave; ce propos le texte fondamental d&rsquo;Ernst H. Gombrich, &laquo;&nbsp;M&eacute;ditations sur un cheval de bois ou les origines de la forme artistique&nbsp;&raquo;, dans <em>M&eacute;ditations sur un cheval de bois et autres essais sur la th&eacute;orie de l&rsquo;art</em>, M&acirc;con, &eacute;ditions W, 1986, pp. 15-32.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a><em> &Eacute;tude d&rsquo;un cheval cabr&eacute;</em>, sanguine sur papier avec quelques traces d&rsquo;encre brune, 15,3 x 14,2 cm. Royal Library, Windsor Castle, feuille 12336r. Toutes les &oelig;uvres de L&eacute;onard de Vinci mentionn&eacute;es dans le texte, sauf cas contraire indiqu&eacute;, sont visualisables sur le site du <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/</a> [Site consult&eacute; le 13 f&eacute;vrier 2014]. Pour cette feuille, consulter pr&eacute;cis&eacute;ment le lien <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912336/a-rearing-horse" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912336/a-rearing-horse</a>.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a>La peinture est visible sur le site internet de la <em>National Gallery of Art de Londres</em> [en ligne],<a href="http://www.nationalgallery.org.uk/paintings/george-stubbs-whistlejacket" target="_blank"> http://www.nationalgallery.org.uk/paintings/george-stubbs-whistlejacket</a> [Site consult&eacute; le 9 f&eacute;vrier 2014].</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> Sur l&rsquo;histoire de ce tableau, et de son acquisition par la National Gallery of Art de Londres, lire Neil MacGregor, &laquo;&nbsp;Chef-d&rsquo;&oelig;uvre : valeur s&ucirc;re ?&nbsp;&raquo;, dans Hans Belting, Arthur Danto, Jean Galard et <em>al.</em>,<em> Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;un chef-d&rsquo;&oelig;uvre</em> <em>?</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Art et artistes&nbsp;&raquo;, 2000, pp. 70-75.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Voir par exemple le pithos &agrave; relief en terre cuite du mus&eacute;e arch&eacute;ologique de Mykonos, vers 670 av. J.-C., inv. 2240, repr&eacute;sentant le Cheval de Troie. L&rsquo;&oelig;uvre est accessible sur <em>Wikim&eacute;dia Commons</em> [en ligne], <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mykonos_vase.jpg" target="_blank">http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mykonos_vase.jpg</a> [Site consult&eacute; le 9 f&eacute;vrier 2014].</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10 </a>Voir ci-dessous la note 14.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Michael Baxandall, <em>Formes de l&rsquo;intention&hellip;</em>, <em>op. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Dans son r&eacute;cent ouvrage <em>Th&eacute;or&egrave;me vivant</em>, Paris, Grasset et Fasquelle, 2012, C&eacute;dric Villani trace, au long du r&eacute;cit de l&rsquo;&eacute;laboration du th&eacute;or&egrave;me qui lui permit de se voir attribuer la prestigieuse m&eacute;daille Fields en 2010, les portraits des grands math&eacute;maticiens qui ont marqu&eacute; et continuent de marquer la discipline. Chacun &oelig;uvre selon un style propre.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13 </a>Ce seul champ d&rsquo;investigation sera abord&eacute; dans la pr&eacute;sente &eacute;tude.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14 </a>Voir ainsi Patrick Chassaing, <em>Turbulence en m&eacute;canique des fluides</em>, Toulouse, C&eacute;padu&egrave;s-&Eacute;ditions, coll. &laquo;&nbsp;Polytech&nbsp;&raquo;, 2000, p. 8.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> L&rsquo;exp&eacute;rience est visible sur <em>Projet-Simba </em>[en ligne],<a href="http://www.project-simba.eu/pdf/event2/6-Simulations_Normes_Soufflerie-Cenaero-CSTC-ULg-LTAS.pdf" target="_blank"> http://www.project-simba.eu/pdf/event2/6-Simulations_Normes_Soufflerie-Cenaero-CSTC-ULg-LTAS.pdf</a>&nbsp; [Site consult&eacute; le 15 avril 2014]. Les trois m&eacute;thodes de simulation num&eacute;rique, DNS, LES et RANS, sont compar&eacute;es dans le cadre d&rsquo;un jet de fluide dans une atmosph&egrave;re au repos. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une m&ecirc;me configuration simul&eacute;e par trois m&eacute;thodes plus ou moins fines pour d&eacute;crire le d&eacute;tail de l&rsquo;&eacute;coulement.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Nous nous pla&ccedil;ons dans le strict cadre de l&rsquo;art figuratif ou iconique &agrave; l&rsquo;exclusion de l&rsquo;art abstrait ou an-iconique (comme pr&eacute;cis&eacute; d&eacute;j&agrave; en introduction), c&rsquo;est-&agrave;-dire dans le cas de figure de la restitution d&rsquo;une exp&eacute;rience sensible du monde naturel pris comme sujet, &agrave; travers les exemples de L&eacute;onard de Vinci et Frits Thaulow.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Ernst H. Gombrich, <em>L&rsquo;art et l&rsquo;illusion. Psychologie de la repr&eacute;sentation picturale</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;ques des sciences humaines&nbsp;&raquo;, 1971 ; Nelson Goodman, <em>Langages de l&rsquo;art. Une approche de la th&eacute;orie des symboles</em>, N&icirc;mes, Jacqueline Chambon, 1990. Sur ce point lire aussi Otto P&auml;cht, &laquo;&nbsp;Pas de regard sans pr&eacute;suppos&eacute;&nbsp;&raquo; dans <em>Questions de m&eacute;thode en histoire de l&rsquo;art</em>, Paris, Macula, coll. &laquo;&nbsp;La litt&eacute;rature artistique&nbsp;&raquo;, 1994, pp. 84-89 et surtout p. 86.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> Nelson Goodman, <em>ibidem</em>, p. 36.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Heinrich W&ouml;lfflin, &laquo;&nbsp;Introduction I. La double origine du style&nbsp;&raquo;, dans <em>Principes fondamentaux de l&rsquo;histoire de l&rsquo;art</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Id&eacute;es/Art&nbsp;&raquo;, 1966, p. 5. Voir un autre exemple de ce type entre Monet et Renoir pour la repr&eacute;sentation le 25 septembre 1869 du lieu-dit la Grenouill&egrave;re, qui a donn&eacute; son titre aux deux toiles peintes. L&rsquo;&laquo;&nbsp;&oelig;il subjectif&nbsp;&raquo; propre &agrave; chaque artiste entra&icirc;ne un &laquo;&nbsp;<em>&eacute;quivalent diff&eacute;rent</em> du m&ecirc;me spectacle&nbsp;&raquo;, observ&eacute; &laquo;&nbsp;le m&ecirc;me jour, &agrave; la m&ecirc;me heure&nbsp;&raquo; d&rsquo;apr&egrave;s les termes de Bernard Lamblin dans <em>Peinture et temps</em>, t. 3, 2e &eacute;d. revue et corrig&eacute;e, Paris, M&eacute;ridiens Klincksieck/Publications de la Sorbonne, coll. &laquo;&nbsp;Histoire de l&rsquo;art&nbsp;&raquo;, 1987, pp. 456-458.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Gaston Bachelard, <em>La formation de l&rsquo;esprit scientifique. Contribution &agrave; une psychanalyse de la connaissance objective</em>, Paris, Vrin, 1934, p. 14.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Sur la question de l&rsquo;objectivit&eacute; et des usages scientifiques de l&rsquo;image &agrave; l&rsquo;&eacute;poque moderne, lire l&rsquo;ouvrage fondamental de Lorraine Daston et Peter Galison, <em>Objectivity</em>, Paris, Les Presses du r&eacute;el, 2012.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Voir Roland Barthes, &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;&eacute;criture ?&nbsp;&raquo;, dans <em>Le degr&eacute; z&eacute;ro de l&rsquo;&eacute;criture. Suivi de Nouveaux essais critiques</em>, Paris, Seuil, coll. &laquo;&nbsp;Points&nbsp;&raquo;, 1972, p. 12 : &laquo;&nbsp;Ainsi sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secr&egrave;te de l&rsquo;auteur, dans cette hypophysique de la parole, o&ugrave; se forme le premier couple des mots et des choses, o&ugrave; s&rsquo;installent une fois pour toutes les grands th&egrave;mes verbaux de son existence. Quel que soit son raffinement, le style a toujours quelque chose de brut : il est une forme sans destination, il est le produit d&rsquo;une pouss&eacute;e, non d&rsquo;une intention, il est comme une dimension verticale et solitaire de la pens&eacute;e. Ses r&eacute;f&eacute;rences sont au niveau d&rsquo;une biologie ou d&rsquo;un pass&eacute;, non d&rsquo;une Histoire : il est la &laquo;&nbsp;chose&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&eacute;crivain, sa splendeur et sa prison&nbsp;&raquo;. D&eacute;j&agrave; le critique d&rsquo;art italien Giovanni Morelli, &agrave; la fin du XIXe si&egrave;cle, avait bien mis en pratique &agrave; travers son activit&eacute; de <em>connoisseurship</em> une th&eacute;orie relative au style des artistes qu&rsquo;il avait &eacute;tudi&eacute;s, et qui rejoint pour partie la lecture propos&eacute;e par Barthes. C&rsquo;est &agrave; travers des &laquo;&nbsp;tics&nbsp;&raquo; iconographiques propres tellement visc&eacute;raux qu&rsquo;ils en deviennent non intentionnels chez les peintres, qu&rsquo;il a pu &eacute;laborer son syst&egrave;me attributionniste : forme des lobes d&rsquo;oreille, des ailes du nez, des doigts ou encore des commissures des l&egrave;vres, chaque artiste reproduirait d&rsquo;&oelig;uvre en &oelig;uvre ces marqueurs &laquo;&nbsp;g&eacute;n&eacute;tiques&nbsp;&raquo; de son activit&eacute;, se trahissant lui-m&ecirc;me.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23 </a>Ainsi de l&rsquo;historien de l&rsquo;art John Shearman qui dans son c&eacute;l&egrave;bre livre <em>Mannerism</em>, Harmondsworth, Penguin, 1967, d&eacute;finit le mani&eacute;risme italien comme un &laquo;&nbsp;stylish style&nbsp;&raquo;, soit un &laquo;&nbsp;style styl&eacute;&nbsp;&raquo;. Bien que les d&eacute;veloppements permettent de clarifier le caract&egrave;re abscons de la formulation, on voit bien dans ce cas pr&eacute;cis, et pour analyser un style partag&eacute; par une communaut&eacute; d&rsquo;artistes, les limites de la formulation. Si cette derni&egrave;re tente de ramasser comme le ferait un th&eacute;or&egrave;me, la &laquo;&nbsp;v&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo; d&rsquo;un style, elle n&eacute;cessite une explicitation, car d&rsquo;autres &eacute;l&eacute;ments interviennent pour d&eacute;terminer, interpr&eacute;ter et d&eacute;cliner les &eacute;quations qui le composent : axiomes, hypoth&egrave;ses, lemmes, corollaires&hellip; La comparaison s&rsquo;arr&ecirc;te l&agrave; car la logique et le caract&egrave;re v&eacute;rifiable du raisonnement math&eacute;matique ne peuvent entrer en compte dans ce qui ressortit de la cr&eacute;ation individuelle et non reproductible au-del&agrave; de l&rsquo;&eacute;chelle un &ndash; celle de l&rsquo;&oelig;uvre sp&eacute;cifique &eacute;tudi&eacute;e &ndash; sauf &agrave; sch&eacute;matiser &agrave; outrance.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Sur ce point, on lira avec profit l&rsquo;analyse f&eacute;conde men&eacute;e par Jacques Bouveresse dans <em>Prodiges et vertiges de l&rsquo;analogie : de l&rsquo;abus des belles-lettres dans la pens&eacute;e</em>, Paris, Raisons d&rsquo;agir, 1999.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Meyer Shapiro, &laquo;&nbsp;La notion de style&nbsp;&raquo;, dans <em>Style, artiste et soci&eacute;t&eacute;</em>, Paris, nrf Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que des sciences humaines&nbsp;&raquo;, 1982, p. 40. Voir aussi la bibliographie propos&eacute;e en fin d&rsquo;essai, p. 84-85. Sur cette question du style, consulter &eacute;galement l&rsquo;article de James S. Ackerman, &laquo;&nbsp;Style&nbsp;&raquo;, dans <em>Distance Points. Essays in Theory and Renaissance Art and Architecture</em>, Cambridge and London, The MIT Press, 1991, pp. 3-22, avec la bibliographie, p. 22.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Gaston Bachelard, <em>La formation de l&rsquo;esprit scientifique&hellip;</em>, <em>op. cit.</em>, p. 14.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> L&rsquo;&oelig;uvre est accessible avec ses r&eacute;f&eacute;rences sur le site du <em>Philadelphia Museum of Art</em> [en ligne], <a href="http://www.philamuseum.org/collections/permanent/101776.html?mulR=1415057707|1">http://www.philamuseum.org/collections/permanent/101776.html?mulR=14150&hellip;</a> [Site consult&eacute; le 8 f&eacute;vrier 2014].</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28 </a>Parmi de tr&egrave;s nombreux autres exemples repr&eacute;sentatifs de cette dilection chez Thaulow, une &oelig;uvre conserv&eacute;e au mus&eacute;e de l&rsquo;Ermitage de Saint-P&eacute;tersbourg intitul&eacute;e Rivi&egrave;re, huile sur toile, 60 x 80 cm, vers 1883, visualisable sur le site de l&rsquo;<em>Ermitage</em> [en ligne], <a href="http://www.arthermitage.org/Frits-Thaulow/River.html" target="_blank">http://www.arthermitage.org/Frits-Thaulow/River.html</a> [Site consult&eacute; le 13 f&eacute;vrier 2014].</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Jacques Derrida, <em>La v&eacute;rit&eacute; en peinture</em>, Paris, Flammarion, coll. &laquo;&nbsp;Champs Essais&nbsp;&raquo;, 2010, pp. 44-94.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Il existe d&rsquo;autres exemples de ce type dans la peinture de paysage, notamment chez les hollandais au XVIIe si&egrave;cle tels que Van Goyen. Dans ce cas, c&rsquo;est le ciel qui devient le sujet v&eacute;ritable de la repr&eacute;sentation.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a><em> Tourbillons de l&rsquo;eau</em>, encre brune sur papier avec traces de pierre noire, 29,8 x 20,7 cm. Royal Library, Windsor Castle, feuille 12660v, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912660/recto-studies-of-flowing-water-with-notes-verso-studies-of-flowing" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912660/recto-studies-of-flowing-water-with-notes-verso-studies-of-flowing</a>.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> Martin Kemp dans <em>Leonardo da Vinci</em>, New Haven et Londres, Yale University Press, catalogue d&rsquo;exposition, 1989, cat. 61. Extrait cit&eacute; dans David Rosand, <em>La trace de l&rsquo;artiste. L&eacute;onard et Titien</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Art et Artistes&nbsp;&raquo;, 1993, p. 49. Texte d&rsquo;origine, tel que transcrit de mani&egrave;re pal&eacute;ographique par Kenneth Clark et Carlo Pedretti : &laquo;&nbsp;Li moti delle chadute dellacque (<em>dentr</em>) poi chella e dentro assuo pelagho sono dj tre spetie (<em>de</em>) e acquestj / se ne agiugnie il quarto che e quel dellaria chessi somergie in sie [= insieme] chollacquae cquesto e il p&deg; inatto effia il p&deg; / che sara djfinjto il 2&deg; fia quello dessa aria somersa el 3&deg; e quel cheffano esse acque refresse poiche / lan rēduta la inpremutata aria allaltra aria laquale poi chettale acqua essurta infigura dj grossi / bollorj acqujsta peso infrallaria e dj quella richade nella superfitie dellacqua penetrēdo (<em>q</em>) la insino al fōdo e (<em>que</em>) e esso fondo percote e chonsuma il 4&deg; e il moto (<em>che</em>) revertiginoso fatto nella pelle del pelagho / dellacqua che ritorna indjrieto allocho della sua chaduta chome (<em>locho</em>) sito piu basso che ssinterpong/ha in fra lacqua refressa ellacqua incidēte. agivnjerasi il quito moto detto moto rivellant/te (<em>e</em>) il quale e il moto cheffa lacqua refressa (<em>ch</em>) quandella riporta lari ache collej si somerse alla su/perfitie dellacqua.&nbsp;&raquo; Cit&eacute; dans Ernst Gombrich, &laquo;&nbsp;Leonardo da Vinci&rsquo;s Method of Analysis and Permutation&hellip;&nbsp;&raquo;, <em>op. cit.</em>, note 46, p. 141.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Daniel Arasse, <em>L&eacute;onard de Vinci. Le rythme du monde</em>, Paris, Hazan, 2011, p. 63.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a><em> Ibidem</em>, pp. 87-88.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> La bibliographie relative aux rapports qu&rsquo;entretenait L&eacute;onard avec la science de son temps est innombrable. Nous nous contentons d&rsquo;indiquer trois r&eacute;f&eacute;rences : Ernst H. Gombrich, &laquo;&nbsp;Leonardo da Vinci&rsquo;s Method of Analysis and Permutation : The Form of Movement in Water and Air&nbsp;&raquo;, dans <em>Gombrich On the Renaissance. The Heritage of Apelles</em>, vol. 3, London, Phaidon Press Limited, 1993, pp. 39-56; Daniel Arasse, &laquo;&nbsp;Une science en mouvement&nbsp;&raquo;, dans <em>L&eacute;onard de Vinci. Le rythme du monde</em>, <em>op. cit.</em>, pp. 67-89 ; James S. Ackerman, &laquo;&nbsp;Art and Science in the Drawings of Leonardo da Vinci&nbsp;&raquo;, dans <em>Origins, Imitation, Conventions. Representation in the Visual Arts</em>, Cambridge and London, The MIT Press, 2002, pp. 144-173.</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Voir ainsi Ernst H. Gombrich, &laquo;&nbsp;Leonardo da Vinci&rsquo;s Method of Analysis and Permutation&hellip;&raquo;, <em>op. cit.</em>, p. 44 <em>sq</em>.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> &laquo;&nbsp;Cette &laquo;&nbsp;profondeur&nbsp;&raquo; [permise par la perspective] n&rsquo;est pas spatiale (elle n&rsquo;est pas le lieu o&ugrave; se d&eacute;roule l&rsquo;action) ; elle concerne la forme pure et <em>a priori</em> d&rsquo;une &eacute;nonciation, commune aux ordres du discours et de la peinture&nbsp;&raquo;, Thomas Golsenne, Bertrand Pr&eacute;vost, &laquo;&nbsp;Introduction&nbsp;&raquo;, dans <em>Leon Battista Alberti, La Peinture</em>, Paris, Seuil, 2004, p. 24.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38 </a>Ainsi que le rappelle Jean K. Cadogan mentionnant John Pope-Hennessy dans son <em>Domenico Ghirlandaio. Artiste et artisan</em>, Paris, Flammarion, 2002, p. 82.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Cette question th&eacute;orique et pratique d&rsquo;importance est notamment trait&eacute;e par Bernard Lamblin,<em> Peinture et Temps</em>, <em>op. cit.</em>, pp. 161-174 ; Lew Andrews, <em>Story and Space in Renaissance Art. The Rebirth of Continuous Narrative</em>, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; et Bertrand Roug&eacute;, &laquo;&nbsp;Les deux r&eacute;cits du tableau : histoire et configuration narrative en peinture&nbsp;&raquo;, <em>Litt&eacute;rature</em>, n&deg; 106, 1997, pp. 6-20. En ce qui concerne V&eacute;ron&egrave;se et pour ne citer que lui, voir par exemple sa c&eacute;l&egrave;bre toile intitul&eacute;e <em>L&rsquo;Enl&egrave;vement d&rsquo;Europe</em>, Venise, palais des Doges, vers 1575.</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40 </a>Voir Alberto Cambrosio, Daniel Jacobi et Peter Keating, &laquo;&nbsp;Intertextualit&eacute; et archi-iconicit&eacute; : le cas des repr&eacute;sentations scientifiques de la r&eacute;action antig&egrave;ne-anticorps&nbsp;&raquo;, <em>&Eacute;tudes de communication</em>, n&deg; 27, 2004, pp. 7-8, [en ligne],<a href="http://edc.revues.org/161" target="_blank"> http://edc.revues.org/161</a> [Site consult&eacute; le 20 d&eacute;cembre 2013].</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a> Ana Garcia Varas, &laquo;&nbsp;Cat&eacute;gorisation visuelle : le r&ocirc;le des illustrations dans la d&eacute;termination de la botanique&nbsp;&raquo;, dans Anne Lafont [dir.], <em>L&rsquo;artiste savant &agrave; la conqu&ecirc;te du monde moderne</em>, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, coll. &laquo;&nbsp;Formes et savoirs&nbsp;&raquo;, 2010, p. 191, r&eacute;sume ainsi la situation : &laquo;&nbsp;Pendant des si&egrave;cles, la seule conception de la fonction des images dans la science &eacute;tait celle d&rsquo;une simple illustration du texte scientifique, d&rsquo;un compl&eacute;ment de la description verbale. Elles pouvaient &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;es comme des d&eacute;corations de livres ou comme des instruments heuristiques qui aideraient l&rsquo;imagination &agrave; suivre facilement quelque chose d&eacute;j&agrave; r&eacute;v&eacute;l&eacute; verbalement. Mais aucun raisonnement visuel n&rsquo;&eacute;tait pris en consid&eacute;ration, aucune disposition visuelle, aucune inf&eacute;rence visuelle, ni aucun argument visuel en particulier&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42</a> Voir &agrave; ce propos Xavier Carteret, &laquo;&nbsp;L&rsquo;illustration en mycologie : sch&eacute;matisme ou r&eacute;alisme ? Le retour du conflit entre l&rsquo;essentialisme et le nominalisme&nbsp;&raquo;, dans <em>L&rsquo;artiste savant &agrave; la conqu&ecirc;te du monde moderne</em>, <em>ibidem</em>, pp. 177-188, et surtout pp. 181-184. Sur les r&eacute;ticences tardives quant au r&ocirc;le essentiel de l&rsquo;image dans la recherche scientifique, on lira avec un int&eacute;r&ecirc;t particulier l&rsquo;article co&eacute;crit par Alberto Cambrosio, Daniel Jacobi et Peter Keating, &laquo;&nbsp;Image et controverse scientifique dans les premi&egrave;res th&eacute;ories immunologiques&nbsp;&raquo;, dans St&eacute;phane Michaud, Jean-Yves Mollier et Nicole Savy [dir.], <em>Usages de l&rsquo;image au XIXe si&egrave;cle</em>, Paris, &Eacute;ditions Cr&eacute;aphis, 1992, pp. 167-180.</p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43</a> Nous y reviendrons plus bas.</p> <p><a href="#liennbp44" name="nbp44">44</a> En m&eacute;canique des fluides, l&rsquo;&eacute;coulement turbulent est dit : soit stochastique ou al&eacute;atoire (tr&egrave;s difficile voire impossible &agrave; pr&eacute;voir) ; laminaire ou pr&eacute;dictif (pr&eacute;visible) ; transitionnel quand le r&eacute;gime de l&rsquo;&eacute;coulement m&egrave;ne de l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre &eacute;tat. L&rsquo;extr&ecirc;me complexit&eacute; du maillage math&eacute;matique et donc de la simulation scientifique visant &agrave; repr&eacute;senter l&rsquo;&eacute;coulement turbulent trouve une analogie avec celle visant &agrave; figurer le ph&eacute;nom&egrave;ne artistiquement. &Agrave; l&rsquo;inverse, les choses sont beaucoup plus ais&eacute;es dans le cas d&rsquo;un &eacute;coulement de type laminaire.</p> <p><a href="#liennbp45" name="nbp45">45</a> Voir notamment la feuille intitul&eacute;e <em>&Eacute;tudes d&rsquo;eau</em>, sanguine et encre brune sur papier, 21,5 x 16,1 cm, Royal Library, Windsor Castle, feuille 12663r, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912663/recto-studies-of-flowing-water-with-notes-verso-the-head-of-a-woman" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912663/recto-studies-of-flowing-water-with-notes-verso-the-head-of-a-woman</a>.</p> <p><a href="#liennbp46" name="nbp46">46 </a>&laquo;&nbsp;Leonardo could not know the friction caused by the current thus created. But, this very attempt to construct an ideal situation of what we would call an &laquo;&nbsp;ideal fluid&nbsp;&raquo; testifies much more to his scientific genius than would the alleged accuracy of his eye&nbsp;&raquo;. Ernst H. Gombrich, &laquo;&nbsp;Leonardo da Vinci&rsquo;s Method of Analysis and Permutation&hellip;&nbsp;&raquo;, <em>op. cit.</em>, pp. 44-45.</p> <p><a href="#liennbp47" name="nbp47">47</a> David Rosand, <em>La trace de l&rsquo;artiste&hellip;</em>, <em>op. cit.</em>, pp. 49-50 et p. 53.</p> <p><a href="#liennbp48" name="nbp48">48</a><em> Ibidem</em>, p. 55.</p> <p><a href="#liennbp49" name="nbp49">49</a> Toutefois, comme l&rsquo;a bien pr&eacute;sent&eacute; Nancy Struever, dont les travaux portent notamment sur la formulation rh&eacute;torique du discours sur l&rsquo;histoire, en introduction, &laquo;&nbsp;The Uses of the Present&nbsp;&raquo;, dans <em>Theory as Practice. Ethical Inquiry in the Renaissance</em>, Chicago &amp; London, The University of Chicago Press, 1992, pp. IX-XIII. L&rsquo;historien, relativement &agrave; son objet d&rsquo;&eacute;tude, ne peut &eacute;chapper &agrave; un anachronisme conscient et ma&icirc;tris&eacute;, ce qui ne disqualifie pas pour autant son analyse.</p> <p><a href="#liennbp50" name="nbp50">50</a> Voir ainsi et respectivement les &oelig;uvres suivantes, conserv&eacute;es &agrave; la Royal Library, Windsor Castle pour les trois premi&egrave;res : <em>Le D&eacute;luge</em>, pierre noire et encres noire et jaune sur papier, 16,2 x 20,3 cm, feuille 12380, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912380/a-deluge">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912380/a-deluge</a> ; <em>Profil de jeune homme</em>, sanguine soulign&eacute;e de pierre noire sur papier pr&eacute;par&eacute; rouge, 21,7 x 15,3 cm, feuille 12554, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912554/the-head-of-a-youth-in-profile" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912554/the-head-of-a-youth-in-profile</a> ; <em>Dames-d&rsquo;onze-heures et autres plantes</em>, sanguine et encre brune sur papier, 19,8 x 16 cm, feuille 12424, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912424/star-of-bethlehem-ornithogalum-umbellatum-wood-anemone-anemone" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912424/star-of-bethlehem-ornithogalum-umbellatum-wood-anemone-anemone</a> ; <em>&Eacute;tudes du vol des oiseaux</em>, <em>Codex Atlanticus</em>, fol. 845r, Biblioteca Ambrosiana, Milan (l&rsquo;&oelig;uvre est visualisable sur le site de la <em>Biblioth&egrave;que Ambrosienne</em> [en ligne], <a href="http://www.ambrosiana.eu/" target="_blank">http://www.ambrosiana.eu/</a> [Site consult&eacute; le 13 f&eacute;vrier 2014].</p> <p><a href="#liennbp51" name="nbp51">51</a> La citation compl&egrave;te en bas du dessin peut se traduire ainsi : &laquo;&nbsp;Observe le mouvement de l&rsquo;eau &agrave; sa surface, comme il ressemble &agrave; celui d&rsquo;une chevelure dont un mouvement du poids du cheveu et l&rsquo;autre l&rsquo;orientation des boucles ; ainsi, l&rsquo;eau forme des tourbillons dus, en partie, &agrave; l&rsquo;impulsion du courant principal et en partie aux mouvements incidents du retour&nbsp;&raquo; (&laquo;&nbsp;Nota il moto del livello dell&rsquo;acqua, il quale fa a uso de&rsquo;capelli, che anno due moti, de&rsquo;qualil&rsquo;uno attende al peso del vello, l&rsquo;altro al liniamento delle volte ; cosi l&rsquo;acque a le sue volte revertiginose, delle quali una parte attende al inpeto del corso principale, l&rsquo;altro attende al moto incidente e reflesso&nbsp;&raquo;. Ernst Gombrich, <em>op. cit.</em>, note 39, pp. 139-140. Elle commente une feuille dessin&eacute;e comprenant aussi un vieil homme assis en regard des &eacute;coulements turbulents. R&eacute;f&eacute;rences du dessin : <em>Vieil homme m&eacute;ditant et &eacute;tudes d&rsquo;eau</em>, plume et encre brune sur papier, 15,2 x 21,3 cm. Windsor Castle, Royal Library, 12579r, <em>Royal Collection Trust</em> [en ligne], <a href="http://www.royalcollection.org.uk/collection/912579/recto-a-seated-old-man-and-studies-and-notes-on-the-movement-of-water" target="_blank">http://www.royalcollection.org.uk/collection/912579/recto-a-seated-old-man-and-studies-and-notes-on-the-movement-of-water</a>.</p>