<p>Qu&rsquo;est-ce que la m&eacute;moire&nbsp;? Qu&rsquo;est-ce que le manque&nbsp;? Selon les dictionnaires, le terme de m&eacute;moire renvoie &agrave; &laquo; la fonction psychique consistant dans la reproduction d&rsquo;un &eacute;tat de conscience pass&eacute; avec ce caract&egrave;re qu&rsquo;il est reconnu pour tel par le sujet<a href="#nbp1" name="liennbp1">1</a> &raquo;. Aussi d&eacute;signe-t-il &agrave; la fois l&rsquo;&laquo;&nbsp;aptitude &agrave; se souvenir&nbsp;&raquo; et l&rsquo;&laquo;&nbsp;ensemble des souvenirs<a href="#nbp2" name="liennbp2">2</a> &raquo;. Quant au terme de manque, qu&rsquo;il soit nom, adjectif ou verbe, il traduit l&rsquo;id&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale de privation, de d&eacute;faut, d&rsquo;absence<a href="#nbp3" name="liennbp3">3</a>. Il s&rsquo;entend comme &laquo;&nbsp;ce qui n&rsquo;est pas pr&eacute;sent, ce qui a disparu<a href="#nbp4" name="liennbp4">4</a> &raquo;.</p> <p>&Agrave; l&rsquo;intersection de ces r&eacute;sonances s&eacute;mantiques, on peut se poser la question suivante&nbsp;: la m&eacute;moire ou cette part de pass&eacute; de nous-m&ecirc;mes ne se comprend-t-elle pas comme un monde absent et par cons&eacute;quent un monde qui nous manque&nbsp;? Notre travail traitera la probl&eacute;matique de la m&eacute;moire comme ce qui de nous-m&ecirc;mes se manifeste sans cesse dans le langage de l&rsquo;&eacute;nigme.</p> <p>Mais &laquo;&nbsp;penser le manque&nbsp;&raquo; est d&eacute;j&agrave; une question blanchotienne et ameisienne. Quand l&rsquo;un dit que &laquo; [p]enser, c&rsquo;est toujours apprendre &agrave; penser le manque qu&rsquo;est aussi la pens&eacute;e, et, parlant, &agrave; pr&eacute;server ce manque en l&rsquo;amenant &agrave; la parole<a href="#nbp5" name="liennbp5">5</a> &raquo;, l&rsquo;autre estime que&nbsp;&laquo;&nbsp;[n]ous sommes faits de m&eacute;moire. De l&rsquo;empreinte en nous de ce qui a disparu [&hellip;]. Et avant de construire, nous reconstruisons [&hellip;]. Nous nous rapproprions ce qui nous a &eacute;t&eacute; transmis et dont nous &eacute;prouvons le manque<a href="#nbp6" name="liennbp6">6</a> &raquo;. Dans le m&ecirc;me cheminement, en suivant la trajectoire du personnage-narrateur de Kossi Efoui<a href="#nbp7" name="liennbp7">7</a>, nous souhaitons envisager le manque comme la trace qui donne &agrave; penser, et plus encore, comme le lieu o&ugrave; le vivant habite, mais aussi o&ugrave; il est absent. Cela revient &agrave; poser le probl&egrave;me de la m&eacute;moire non seulement comme ce qui manque, mais aussi comme ce qui, dans les termes d&rsquo;une herm&eacute;neutique du soi, conduit &agrave; une r&eacute;flexion ontologique, &eacute;thique et politique de la souvenance.</p> <p>Notre curseur analytique ouvrira trois fen&ecirc;tres&nbsp;: la premi&egrave;re&nbsp;&laquo;Penser le manque&nbsp;&raquo; autour de la &laquo;&nbsp;revenance&nbsp;&raquo; examinera les souvenirs individuels et collectifs en explicitant comment ils peuvent t&eacute;moigner du pass&eacute; et de l&rsquo;histoire face &agrave; un &Eacute;tat-pouvoir qui s&rsquo;arroge le droit de gouverner les m&eacute;moires. La seconde fen&ecirc;tre &laquo;&nbsp;Dire le manque. Entre m&eacute;moire et narrativit&eacute;&nbsp;&raquo; montrera comment l&rsquo;intelligence des formes et des structures travaille la question de la discontinuit&eacute; de la m&eacute;moire &agrave; la fois comme reconstruction du manque et d&eacute;construction de la m&eacute;moire dominante. Enfin la derni&egrave;re fen&ecirc;tre &laquo; Penser le manque&nbsp;&raquo;. Entre m&eacute;moire et r&eacute;flexivit&eacute;&nbsp;&raquo; posera le travail de la m&eacute;moire comme la production d&rsquo;un discours critique et &eacute;thique visant la lib&eacute;ration de la m&eacute;moire individuelle et collective du joug des politiques officielles de la m&eacute;moire. Notre hypoth&egrave;se est que consid&eacute;rer la m&eacute;moire comme aventure narrative et herm&eacute;neutique de ce qui manque, c&rsquo;est inventer, dans la reconstruction du pass&eacute;, un souvenir &agrave; venir. On soutiendra que la m&eacute;moire ouvre un espace, celui du pr&eacute;sent, et un temps, celui de l&rsquo;avenir.</p> <h2>1. <strong>&laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo; autour de la &laquo;&nbsp;revenance&nbsp;&raquo;</strong></h2> <p>Nous savons que la m&eacute;moire est faite d&rsquo;histoires tout comme l&rsquo;histoire traverse la m&eacute;moire. Il est donc ind&eacute;niable que l&rsquo;homme qui a un pass&eacute; a de la sorte des souvenirs. La m&eacute;moire renferme quelque chose, et ce quelque chose nous l&rsquo;appelons avec Jean-Fran&ccedil;ois Hamel &laquo;&nbsp;revenances<a href="#nbp8" name="liennbp8">8</a> &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le pass&eacute; qui resurgit &agrave; la surface de la m&eacute;moire priv&eacute;e, collective ou officielle. Les souvenirs li&eacute;s &agrave; l&rsquo;enfance peuvent ainsi forger l&rsquo;identit&eacute; d&rsquo;un sujet. C&rsquo;est pourquoi le cadre familial ou communautaire est souvent le lieu des premi&egrave;res identifications et orientations, et de la confiance en soi. Cependant la relation que l&rsquo;individu entretient avec son pass&eacute; n&rsquo;est pas seulement un rapport de sollicitude ; il peut &ecirc;tre aussi un rapport de distanciation et de d&eacute;saffection. C&rsquo;est dans cette autre perspective que Kossi Efoui interroge la m&eacute;moire comme ce qui manque.</p> <p>Les figures du manque sont d&rsquo;abord celles de la m&eacute;moire du personnage-narrateur. Parmi elles, on rel&egrave;ve la pr&eacute;sence <em>in absentia</em> du <em>pater</em> et de la <em>mater</em>. En effet, la voix du p&egrave;re rate la rencontre avec le fils. Elle n&rsquo;&laquo;&nbsp;app&egrave;te plus le langage<a href="#nbp9" name="liennbp9">9</a> &raquo;. Elle se signale par le manque ainsi que nous le fait savoir le narrateur&nbsp;:</p> <p><q>Mon attention &eacute;tait occup&eacute;e &agrave; traquer le souvenir de cette voix [&hellip;]. Et rien dans mon souvenir n&rsquo;a ramen&eacute; l&rsquo;empreinte de sa voix [&hellip;]. Vingt et un ans aujourd&rsquo;hui, et la seule image qui me revient, c&rsquo;est un angle mort o&ugrave; dispara&icirc;t un homme &agrave; mon image, un homme &agrave; la ressemblance de mon p&egrave;re<a href="#nbp10" name="liennbp10">10</a>.</q></p> <p>Quant &agrave; la figure maternelle, elle se donne &agrave; lire aussi comme la &laquo;&nbsp;part manquante qui laisse irr&eacute;m&eacute;diablement seul<a href="#nbp11" name="liennbp11">11</a> &raquo;. L&rsquo;image de la <em>mater</em> ne vient au langage que pour constater et dire son absence. La m&eacute;moire de l&rsquo;orateur appara&icirc;t ainsi comme une m&eacute;moire d&eacute;ficitaire. Ce qu&rsquo;elle retient, c&rsquo;est l&rsquo;image d&rsquo;un corps d&eacute;sarticul&eacute;. Ce qu&rsquo;elle &eacute;voque, c&rsquo;est la voix inaudible et malade de la m&egrave;re, une voix &agrave; la &laquo; parole d&eacute;faite et ab&icirc;m&eacute;e<a href="#nbp12" name="liennbp12">12</a> &raquo;. La m&eacute;moire du narrateur serait une m&eacute;moire o&ugrave; r&egrave;gne l&rsquo;incompl&eacute;tude. &laquo;&nbsp;La m&eacute;moire s&rsquo;&eacute;nonce alors presque par d&eacute;faut, la m&eacute;moire dit un d&eacute;faut de m&eacute;moire, le d&eacute;faut de ne pas se souvenir<a href="#nbp13" name="liennbp13">13</a> &raquo; du royaume de l&rsquo;enfance dans son pur jaillissement ou sa pure pr&eacute;sence. Toutefois, &agrave; la recherche d&rsquo;une compr&eacute;hension du soi, d&rsquo;un soi qui ne semble pas se dire dans la m&eacute;moire &eacute;gologique ou familiale, le narrateur va devoir compter sur les autres. La m&eacute;moire, semble-t-il, est &agrave; la fois collective et individuelle, car on ne se souvient jamais seul, on se souvient toujours de soi-m&ecirc;me avec les autres<a href="#nbp14" name="liennbp14">14</a>. Les autres dont on se souvient ou qui se souviennent de nous sont d&rsquo;un secours m&eacute;moriel inestimable. Ainsi, des figures assaillent la m&eacute;moire par rappel conscient, mais tr&egrave;s souvent de mani&egrave;re involontaire. On note &agrave; cet effet les multiples micro-r&eacute;cits inh&eacute;rents &agrave; la bouleversante et path&eacute;tique histoire des enfants orphelins qu&rsquo;&eacute;voque le narrateur :</p> <p><q>Le vent fouettant ma face &eacute;tait une gifle bienveillante qui me for&ccedil;ait &agrave; me souvenir que ce n&rsquo;&eacute;tait pas un r&ecirc;ve, le vent &eacute;tait bruissant d&rsquo;histoires, que je connaissais bien, des histoires o&ugrave; il &eacute;tait question d&rsquo;enfants s&rsquo;&eacute;tant retrouv&eacute;s seuls apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;loignement des parents, qui &eacute;taient adopt&eacute;s de force en haut lieu par des couples distingu&eacute;s qui avaient besoin de jouets. Ou alors ils &eacute;taient plac&eacute;s dans des institutions sp&eacute;cialis&eacute;es o&ugrave;, selon les dires, on leur apprenait &agrave; ha&iuml;r leurs parents<a href="#nbp15" name="liennbp15">15</a>.</q></p> <p>Dans la m&eacute;moire du personnage, &eacute;mergent d&rsquo;autres figures&nbsp;: celle de Maman Ma&iuml;s &ndash; femme qui se chargeait de recueillir les orphelins et qui, pour les nourrir, se prostituait en &eacute;change &laquo;&nbsp; d&rsquo;une galette de ma&iuml;s<a href="#nbp16" name="liennbp16">16</a> &raquo; &ndash; ; celle d&rsquo;Axis K&eacute;mal &ndash; personnage &eacute;nigmatique, ami et surtout mentor et pr&eacute;cepteur de fortune de l&rsquo;orateur. Il sera celui-l&agrave; m&ecirc;me qui l&rsquo;aidera &agrave; fuir &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;preuve de la fronti&egrave;re<a href="#nbp17" name="liennbp17">17</a> &raquo;. Les souvenirs sont frapp&eacute;s d&rsquo;ombre et le sujet est sans cesse confront&eacute; &agrave; l&rsquo;inconsistance. Mais d&rsquo;o&ugrave; vient une telle inconsistance?</p> <p>Pour Kossi Efoui, si la m&eacute;moire singuli&egrave;re, et davantage, la m&eacute;moire plurielle &eacute;chouent dans l&rsquo;&eacute;vocation du pass&eacute; et de l&rsquo;histoire, c&rsquo;est &agrave; cause de l&rsquo;ing&eacute;rence du pouvoir. Le probl&egrave;me est celui des rapports complexes que le pouvoir entretient avec la m&eacute;moire. Kossi Efoui pense que le politique, en investissant l&rsquo;espace de la m&eacute;moire individuelle et collective, cr&eacute;e les conditions de disparition, d&rsquo;effacement et d&rsquo;oubli de la m&eacute;moire et de l&rsquo;histoire. La guerre ou le &laquo;&nbsp;temps de l&rsquo;effraction&nbsp;&raquo; est un de ces moyens. Le narrateur dit&nbsp;:</p> <p><q>Bient&ocirc;t vingt et un ans que je suis n&eacute;. Et mon enfance, il faut dire qu&rsquo;elle ne fut pas sans histoires. Mais, dit l&rsquo;orateur, une enfance qui ne fut pas sans histoires, ce n&rsquo;&eacute;tait pas chose rare pour les enfants de ma g&eacute;n&eacute;ration. En raison des circonstances d&rsquo;une &eacute;poque appel&eacute;e les temps de l&rsquo;Annexion, ce qui guettait les enfants aux ports de la vie, c&rsquo;&eacute;taient les couvre-feux, la multiplication des barrages, la d&eacute;pr&eacute;dation des demeures, la rar&eacute;faction des hommes, la d&eacute;pr&eacute;ciation de la vie et, pour finir, la disparition des proches&nbsp;: la rel&eacute;gation des milliers d&rsquo;hommes en un lieu qu&rsquo;on conna&icirc;tra plus tard sous le nom de La Plantation<a href="#nbp18" name="liennbp18">18</a>.</q></p> <p>Le texte efouien laisse entendre que l&rsquo;impossibilit&eacute; de raconter l&rsquo;histoire, de faire m&eacute;moire, vient des man&oelig;uvres que le pouvoir met en place pour r&eacute;guler le corps social. Il s&rsquo;agit des proc&eacute;dures de contr&ocirc;le, de ch&acirc;timents et d&rsquo;intimidation &agrave; savoir&nbsp;: la police, les milices, les &eacute;coles, les orphelinats, les institutions de redressement. On pense notamment &agrave; l&rsquo;invention des lieux comme, &laquo;&nbsp;l&rsquo;institution Fer de Lance&nbsp;&raquo;, &agrave; l&rsquo;&eacute;dification des centres d&rsquo;isolement des personnes jug&eacute;es hors esprit communautaire, aux sites d&rsquo;esclavage comme &laquo;&nbsp;La Plantation&nbsp;&raquo;. Mais la violence la plus exerc&eacute;e sur la m&eacute;moire consiste en l&rsquo;effacement d&eacute;finitif des traces. Les tyrannies politiques qui s&rsquo;arrogent le droit de contr&ocirc;ler le pr&eacute;sent en dominant le pass&eacute; tentent toujours de stopper la transmission en faisant dispara&icirc;tre les objets mat&eacute;riels et les passeurs de m&eacute;moire. C&rsquo;est ce qu&rsquo;on peut apprendre de ce passage&nbsp;:</p> <p><q>&laquo;&nbsp;En raison des circonstances, pr&eacute;parez-vous &agrave; &ecirc;tre momentan&eacute;ment &eacute;loign&eacute; de vos proches&nbsp;&raquo;. Ainsi parlaient, en peu de mots, ceux qui accomplissaient, aux temps de l&rsquo;annexion, l&rsquo;&oelig;uvre de la disparition [&hellip;]. &laquo;&nbsp;En raison des circonstances, pr&eacute;parez-vous &agrave; &ecirc;tre momentan&eacute;ment &eacute;loign&eacute; de vos proches&nbsp;&raquo;, une qualit&eacute; de parole aussi forte qu&rsquo;un sort qu&rsquo;on te jette, et celui qui avait pouvoir d&rsquo;en user pour te frapper l&rsquo;oreille avait aussi le pouvoir de s&eacute;parer les corps de deux amis devisant sur le trottoir, l&rsquo;un &eacute;tait enlev&eacute; et l&rsquo;autre laiss&eacute; seul, de deux amants s&rsquo;&eacute;tirant sur une couche, l&rsquo;un &eacute;tait enlev&eacute; et l&rsquo;autre, rien, une formule laiss&eacute;e derri&egrave;re, &laquo;&nbsp;En raison des circonstances, pr&eacute;parez-vous &agrave; &ecirc;tre momentan&eacute;ment &eacute;loign&eacute; de vos proches&nbsp;&raquo;, une formule qui escamote les formes humaines jusque sur les images photographiques extirp&eacute;es des cadres que les agents de la disparition arrachaient des murs et brisaient au sol dans un bruit de talon et de verre m&eacute;lang&eacute;, avant de s&rsquo;en aller avec un ou plusieurs occupants vers une destination dont on avait pas id&eacute;e<a href="#nbp19" name="liennbp19">19</a>.</q></p> <p>&Agrave; cette violence s&rsquo;ajoute la codification de la parole<a href="#nbp20" name="liennbp20">20</a>. Ainsi, certains &eacute;v&eacute;nements, mots et sujets sont jug&eacute;s tabous. Tout ne se dit point. Tout ne s&rsquo;&eacute;crit pas. La parole n&rsquo;est gu&egrave;re du c&ocirc;t&eacute; du sujet, mais du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;institution. Le pouvoir n&rsquo;interdit pas seulement certaines formes de discours, il les manipule aussi. Dans le texte, certains mots ou expressions (territoire, pays, paix, guerre, solidarit&eacute;, v&eacute;rit&eacute;, temps d&rsquo;annexion, temps de la r&eacute;appropriation, fronti&egrave;re, histoire, peuple, etc.) sont sans cesse d&eacute;tourn&eacute;s, remani&eacute;s et corrompus :</p> <p><q>Les choses allaient ainsi, en ces temps-l&agrave;, selon des dispositions sans cesse revues, corrig&eacute;es et abondamment augment&eacute;es, touchant &agrave; l&rsquo;heure du lever, &agrave; l&rsquo;heure du coucher, &agrave; la circulation des hommes, aux sonorit&eacute;s de certains noms dont les listes &eacute;taient rendues publiques, aux m&eacute;dicaments, au lait, au sel, au sucre, &agrave; l&rsquo;habillement, au commerce de la parole, &agrave; la langue m&ecirc;me qui convenait<a href="#nbp21" name="liennbp21">21</a>.</q></p> <p>La mod&eacute;lisation du verbe ou la confiscation de la parole appara&icirc;t ainsi comme proc&eacute;dure de contr&ocirc;le de la m&eacute;moire. Le pouvoir canalise le discours et l&rsquo;oriente selon ses multiples convenances et aspirations. Le discours est rythm&eacute; par une fallacieuse organisation s&eacute;miotique des signes. Les mots subissent des troncations, des restrictions et des m&eacute;sinterpr&eacute;tations qui n&rsquo;en finissent pas de d&eacute;tourner leurs sens v&eacute;ritables. Il faut dire que le rapport du pouvoir avec la m&eacute;moire est pr&eacute;cis&eacute;ment un rapport h&eacute;g&eacute;monique. Le pouvoir surveille la m&eacute;moire et punit tous ceux qui la d&eacute;fendent.</p> <p>Le probl&egrave;me de la m&eacute;moire s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute; comme la part manquante du pass&eacute;. Mais il est apparu que cette part qui, souvent fait d&eacute;faut &agrave; la m&eacute;moire singuli&egrave;re, peut n&eacute;anmoins &ecirc;tre rappel&eacute;e par la m&eacute;moire des autres. Le souvenir est &agrave; la fois individuel et collectif. Toutefois, cette collaboration entre les m&eacute;moires est menac&eacute;e par la politique des m&eacute;moires officielles. Ainsi, la premi&egrave;re section de notre travail, en analysant le manque comme la revenance probl&eacute;matique du pass&eacute; et de l&rsquo;histoire, a consist&eacute; &agrave; expliciter la th&eacute;matique de la r&eacute;cusation de la gouvernance des m&eacute;moires dans l&rsquo;&oelig;uvre de Kossi Efoui. Il serait maintenant int&eacute;ressant de voir comment l&rsquo;intelligence narrative des structures du r&eacute;cit en instruit le proc&egrave;s. Dans le point qui va suivre, on montrera comment les techniques d&rsquo;&eacute;criture de la discontinuit&eacute; m&eacute;morielle annoncent d&eacute;j&agrave; le travail r&eacute;flexif de la m&eacute;moire critique comme reconstruction du manque et d&eacute;construction des politiques d&rsquo;instrumentalisation de la m&eacute;moire.</p> <h2>2.<strong> Dire le manque. entre m&eacute;moire et narrativit&eacute;</strong></h2> <p>Dans cette section, deux choses pr&eacute;alables sont &agrave; mettre au jour pour comprendre le proc&egrave;s esth&eacute;tique de la m&eacute;moire discontinue comme critique des politiques de la m&eacute;moire dominante. Il s&rsquo;agit en 1 de l&rsquo;ouverture et en 2 de la cl&ocirc;ture du roman&nbsp;:</p> <p>1-&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Entr&eacute;e romanesque&nbsp;:</p> <p><q>Les ombres ont rapidement pris la place des murs. Le plafond, mit&eacute; par les t&eacute;n&egrave;bres, est le couvercle d&rsquo;un trou [&hellip;]. &laquo;&nbsp;Il n&rsquo;y a pas de meilleures cachettes qu&rsquo;une cachette peupl&eacute;e&nbsp;&raquo;, m&rsquo;avait dit l&rsquo;h&ocirc;tesse, quand je suis arriv&eacute; ici, le 13 ou le 15 mai, je ne sais plus. Peut-&ecirc;tre quatre ou cinq jours que je suis en alerte dans cette cachette et le temps se d&eacute;forme [&hellip;]. Dans quel livre apprend-on ce que je me pr&eacute;pare &agrave; faire&nbsp;? [&hellip;]. Le destin qui m&rsquo;attire d&eacute;sormais loin d&rsquo;ici s&rsquo;appelle encore une vie, mais il faut avouer qu&rsquo;elle est semblable &agrave; un saut dans le vide<a href="#nbp22" name="liennbp22">22</a>.</q></p> <p>2-&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Clausule narrative :</p> <p><q>&laquo;&nbsp;Il n&rsquo;y a pas de meilleures cachettes qu&rsquo;une cachette peupl&eacute;e&nbsp;&raquo; [&hellip;]. Elle m&rsquo;a install&eacute; dans cette pi&egrave;ce. Un lit de bois [&hellip;]. Quel livre apprend-on ce que je me pr&eacute;pare &agrave; faire ? Embrasser une route o&ugrave; marcher n&rsquo;est pas faire un pas apr&egrave;s l&rsquo;autre mais faire un saut apr&egrave;s l&rsquo;autre [&hellip;] dans une fuite qui est un saut dans le vide<a href="#nbp23" name="liennbp23">23</a>.</q></p> <p>Selon les techniques de la discontinuit&eacute; m&eacute;morielle, il appert que l&rsquo;<em>excipit</em> soit aussi l&rsquo;<em>incipit</em>. Le r&eacute;cit commence par la fin. Il d&eacute;bute &agrave; partir d&rsquo;un lieu qui, dans l&rsquo;ordre chronologique des &eacute;v&eacute;nements, constituerait la derni&egrave;re s&eacute;quence de l&rsquo;histoire&nbsp;: celle de l&rsquo;&eacute;vasion. La disposition des faits dans le r&eacute;cit ne suit pas l&rsquo;ordre de d&eacute;roulement dans la di&eacute;g&egrave;se. De fait, on comprend que c&rsquo;est &agrave; partir de cette distorsion que la voix du narrateur-personnage jaillira du fond de la cellule pour raconter en douze segmentations chapitrales (<em>premi&egrave;rement</em>, <em>deuxi&egrave;mement</em>&hellip;<em>douzi&egrave;mement</em>) les fragments de sa m&eacute;moire ab&icirc;m&eacute;e et d&eacute;structur&eacute;e par les tyrannies politiques de la m&eacute;moire. Ainsi, le r&eacute;cit de la m&eacute;moire avance et ne cesse de revenir sur lui-m&ecirc;me au rythme d&rsquo;un &eacute;ternel va-et-vient di&eacute;g&eacute;tique et temporel entre les segments d&rsquo;histoires qui la composent. On a, par exemple, les &eacute;v&eacute;nements du &laquo;&nbsp;temps de l&rsquo;annexion&nbsp;&raquo; qui se relaient et se contrastent avec les &eacute;v&eacute;nements du &laquo;&nbsp;temps de la r&eacute;appropriation du territoire&nbsp;&raquo; ou encore la rencontre des r&eacute;cits familiaux du narrateur avec les r&eacute;cits des enfants orphelins ou des hommes-crocodiles, etc.</p> <p>De plus, cette discontinuit&eacute; et ce t&eacute;lescopage narratifs travaillent le r&eacute;cit de la m&eacute;moire selon un balancement anachronique (<em>prolepse</em> et <em>analepse</em>), c&rsquo;est-&agrave;-dire entre le temps de l&rsquo;histoire et le temps du r&eacute;cit, entre le &laquo;&nbsp;je narrant&nbsp;&raquo; et le &laquo;&nbsp;je narr&eacute;&nbsp;&raquo; selon la terminologie de Spitzer. Pour en marquer l&rsquo;organisation, la voix narrative<a href="#nbp24" name="liennbp24">24</a> ruse ici avec l&rsquo;histoire, en &laquo;&nbsp;monnayant un temps dans un autre temps<a href="#nbp25" name="liennbp25">25</a> &raquo;, en juxtaposant et en imbriquant plusieurs histoires au seuil d&rsquo;une double temporalit&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire au sein de l&rsquo;aperture dynamique entre &laquo;&nbsp;le temps de la chose racont&eacute;e et le temps du r&eacute;cit qui sont aussi le temps du signifi&eacute; et le temps du signifiant<a href="#nbp26" name="liennbp26">26</a> &raquo;. On note l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; narratorial suivant&nbsp;:</p> <p><q>Moi, c&rsquo;est par paquets de mots m&ecirc;l&eacute;s, ces mots qui <em>empruntent</em> ma voix ce soir sur le mode du chuchotement, que se dissipe la vie qui m&rsquo;<em>a men&eacute;</em> jusqu&rsquo;ici [&hellip;]. Il ne faut pas trop se pr&eacute;occuper de qui &eacute;coute quand on <em>veut</em> garder sa parole intacte et nue, comme savent le faire <u>certains authentiques ivrognes</u> que j&rsquo;<em>ai vus</em> en compagnie de mon p&egrave;re, les ivrognes qui <em>&eacute;taient</em> ses seuls amis, lui qui<em> ne buvait</em> jamais et qui acceptait pourtant de cotiser dans le panier o&ugrave; ses amis mettaient en commun de quoi boire toute la semaine [&hellip;]. Sinon comment expliquer que lui qui ne buvait pas, quand il arrivait avec <u>sa troupe de gueules de bois</u> &agrave; l&rsquo;institut Fer de lance, l&rsquo;institution d&rsquo;&eacute;lite o&ugrave; j&rsquo;avais &eacute;t&eacute; admis &agrave; douze ans, comment expliquer <u>cette d&eacute;marche qu&rsquo;il avait &agrave; l&rsquo;oblique et de guingois</u>, qu&rsquo;il empruntait avec joie &agrave; <u>ses camarades de la perp&eacute;tuelle so&ucirc;lerie&nbsp;</u>? Mais pardon, dit l&rsquo;orateur, je devance ma parole, reprenons<a href="#nbp27" name="liennbp27">27</a>.</q></p> <p>On comprend ainsi que le narrateur n&rsquo;a point commenc&eacute; par le commencement, que d&eacute;j&agrave; son discours relate par anticipation des actions &agrave; venir &agrave; l&rsquo;instar de la <em>prolepse r&eacute;p&eacute;titive</em> (d&eacute;part narratif) informant d&eacute;j&agrave; sur &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui sera en son temps racont&eacute; tout au long<a href="#nbp28" name="liennbp28">28</a> &raquo;&nbsp;: c&rsquo;est l&rsquo;action finale de l&rsquo;histoire annonc&eacute;e au d&eacute;but, r&eacute;p&eacute;t&eacute;e, et racont&eacute;e. On comprend aussi que l&rsquo;ensemble des techniques de la discontinuit&eacute; m&eacute;morielle (les retours en arri&egrave;re, les arr&ecirc;ts et les reprises de l&rsquo;histoire ainsi que les digressions, les ellipses, les interpellations du narrateur &agrave; l&rsquo;adresse du narrataire, et m&ecirc;me les commentaires sur son propre discours et sur l&rsquo;histoire) insiste sur la non lin&eacute;arit&eacute; du r&eacute;cit de la m&eacute;moire et par cons&eacute;quent souligne son intermittence et sa variabilit&eacute;. On rel&egrave;ve par exemple des modalit&eacute;s d&rsquo;&eacute;nonciation comme l&rsquo;interrogation (les questions que se pose le narrateur-orateur au sujet de l&rsquo;attitude de son p&egrave;re) et des modalit&eacute;s d&rsquo;&eacute;nonc&eacute; comme les adjectifs appr&eacute;ciatifs (cf. les &eacute;l&eacute;ments soulign&eacute;s dans la citation). Tout cela s&rsquo;instaure parce que le r&eacute;cit, virtuellement &agrave; la premi&egrave;re personne, donne la possibilit&eacute; au narrateur d&rsquo;intervenir &agrave; tout moment.</p> <p>En outre, au regard des temps verbaux (cf. les verbes en italique dans la citation), il est &eacute;vident que la narration doit pouvoir varier si elle veut approcher la m&eacute;moire sans toutefois l&rsquo;atteindre en sa substantialit&eacute;. L&rsquo;expression de la complexit&eacute; des souvenirs et de l&rsquo;histoire se trouve ainsi dans le chevauchement des temps verbaux, c&rsquo;est-&agrave;-dire dans le passage des temps de l&rsquo;histoire aux temps de la narration. Le pass&eacute; simple, le pass&eacute; compos&eacute; et l&rsquo;imparfait cohabitent avec un pr&eacute;sent &agrave; la fois d&rsquo;actualisation de l&rsquo;histoire et de figuration de l&rsquo;instance narratoriale. Une fluctuation ambidextre se cr&eacute;e ainsi dans le &laquo;&nbsp;raconter&nbsp;&raquo; et le r&eacute;cit de la m&eacute;moire &eacute;volue dans une contraction temporelle qui fait en sorte que la m&eacute;moire du narrateur c&ocirc;toie son &laquo;&nbsp;maintenant&nbsp;&raquo; et son &laquo;&nbsp;autrefois&nbsp;&raquo; dans le surgissement et la fabrique tremblante des souvenirs. La variabilit&eacute; temporelle se con&ccedil;oit alors comme la n&eacute;cessit&eacute; plurielle de questionner la m&eacute;moire contre l&rsquo;ordre unitaire institu&eacute; par les politiques de la m&eacute;moire.</p> <p>Aussi la stylistique actantielle participe-t-elle &agrave; la complexification et &agrave; l&rsquo;appel de la m&eacute;moire plurielle. Nous savons que la po&eacute;tique de la d&eacute;construction et de la reconstruction du manque ou de la m&eacute;moire implique les d&eacute;chirements du temps &agrave; travers un &laquo;&nbsp;raconter&nbsp;&raquo; de l&rsquo;histoire diss&eacute;min&eacute; en micro-narration selon les m&eacute;tamorphoses de l&rsquo;instance narratoriale en plusieurs narrateurs. Ainsi, les indices de la pr&eacute;sence du narrateur principal &laquo;&nbsp;je, me, moi, ma, mon, mes,&nbsp;&raquo; c&egrave;dent souvent le pas aux indices de signalisation des autres narrateurs individuels et collectifs &laquo;&nbsp;on, il,&nbsp;&raquo;. Le r&eacute;cit de la m&eacute;moire est alors travers&eacute; par une voix narrative, mais celle-ci est tram&eacute;e d&rsquo;autres voix qui prennent elles aussi en charge l&rsquo;histoire (Ikko, Axis K&eacute;mal). Le texte se donne alors &agrave; lire comme une communaut&eacute; de paroles narratoriales, h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes, disparates et diss&eacute;min&eacute;es.</p> <p>De plus, le tissage sc&eacute;nographique renforce cette id&eacute;e de m&eacute;moire discontinue et de m&eacute;moire autre. L&rsquo;espace typographique de <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em> semble &ecirc;tre une sorte d&rsquo;&eacute;chapp&eacute;e structurale avec maints retours &agrave; la ligne et maints morceaux de texte resserr&eacute;s au milieu des pages comme un point noir sur un fond blanc. Et parlant du blanc, il faut dire que c&rsquo;est, d&rsquo;une part, ce qui tisse le texte en liant les mots entre eux, en montrant l&rsquo;espace, en indiquant la temporalit&eacute;, en agen&ccedil;ant les faits, en mettant en relation les personnages et en faisant dialoguer les pens&eacute;es. Et d&rsquo;autre part, c&rsquo;est ce qui confronte, disjoint et relance l&rsquo;appareillage textuel. Le blanc, c&rsquo;est en quelque sorte le lieu qui s&eacute;pare le pass&eacute; de l&rsquo;avenir, ou le passage &agrave; travers lequel les souvenirs surgissent ou viennent &agrave; manquer. Par ailleurs, le blanc est aussi un espace d&rsquo;opacit&eacute; et de lumi&egrave;re. Il alterne entre le visible et l&rsquo;invisible, entre la nuit et le jour. C&rsquo;est ce th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;ombres et de masques que nous donne &agrave; voir l&rsquo;exorde du texte :</p> <p><q>Les ombres ont rapidement pris la place des murs. Le plafond, mit&eacute; par les t&eacute;n&egrave;bres, est le couvercle d&rsquo;un trou. Le sol aurait enti&egrave;rement disparu s&rsquo;il n&rsquo;y avait pas la d&eacute;coupe en carr&eacute; d&rsquo;un clair de lune qui jette de la lumi&egrave;re sur les rudiments du d&eacute;cor&nbsp;: la bassine avec son p&ecirc;le-m&ecirc;le de carnets aux feuilles arrach&eacute;es, la bouteille encore pleine aux trois-quarts, couleur brune mac&eacute;r&eacute;e, les pieds du tabouret<a href="#nbp29" name="liennbp29">29</a>.</q></p> <p>Le blanc chez Kossi Efoui interroge ce qui manque ou qui advient dans l&rsquo;avancement diff&eacute;rentiel et discontinu de la trame m&eacute;morielle. Le blanc permet aux choses de se d&eacute;rober. Il agit en dehors du temps, au-dedans et au-del&agrave; de la lin&eacute;arit&eacute;, et renonce &agrave; toute forme de pouvoir en l&rsquo;occurrence le pouvoir des m&eacute;moires officielles.</p> <p>Par ailleurs, le texte de la m&eacute;moire s&rsquo;ouvre sur une exp&eacute;rience du multiple. Il absorbe plusieurs formes de repr&eacute;sentation du discours et de l&rsquo;image, comme en t&eacute;moigne l&rsquo;<em>incipit</em> avec, d&rsquo;une part, le c&ocirc;t&eacute; dramaturgique, notamment avec une th&eacute;&acirc;tralisation du r&eacute;el marqu&eacute;e par une tonalit&eacute; &laquo;&nbsp;didascalique&nbsp;&raquo;, un d&eacute;cor aux multiples objets et couleurs et des personnages divers, et d&rsquo;autre part, cin&eacute;matographique, avec un d&eacute;placement esth&eacute;tique d&rsquo;unit&eacute;s par gros et petit plans, par cadrage et balayage d&rsquo;images. Dans le texte, le visible d&eacute;borde le &laquo;&nbsp;scriptible&nbsp;&raquo;. Cela est pouss&eacute; &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me par la narrativisation photographique qui met en sc&egrave;ne des images, des lieux, des couleurs, des personnes, des temps, des histoires se superposant et se comp&eacute;n&eacute;trant dans un mouvement de relance et de retardement de l&rsquo;histoire du roman&nbsp;:</p> <p><q>&ndash; Ton p&egrave;re. Mets-toi sur la photo avec ton p&egrave;re [&hellip;]. Nous voici donc sur la photo. Et s&rsquo;il n&rsquo;y a pas l&rsquo;ombre d&rsquo;une joie sur ma face, mais ce voile de pr&eacute;occupation, ce n&rsquo;est pas &agrave; l&rsquo;&eacute;clairage de la lune. C&rsquo;est que mon attention &eacute;tait ailleurs, je ne savais pas ce que les ouvriers de la disparition avaient fait de la voix de mon p&egrave;re, mon attention &eacute;tait occup&eacute;e &agrave; traquer le souvenir de cette voix [&hellip;]. &Agrave; la main gauche de mon p&egrave;re, encombr&eacute;e par la housse de saxophone, on voit un autre gar&ccedil;on. C&rsquo;est Ikko qui s&rsquo;&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute; au dernier moment pour jeter sur la photo son visage ouvert, tout sourire dehors, la main lev&eacute;e dans le mouvement d&rsquo;une joie compr&eacute;hensible de lui seul<a href="#nbp30" name="liennbp30">30</a>.</q></p> <p>De m&ecirc;me que le visible exc&egrave;de le &laquo;&nbsp;scriptible&nbsp;&raquo;, de m&ecirc;me l&rsquo;auditif d&eacute;borde le lisible. L&rsquo;histoire n&rsquo;est pas seulement per&ccedil;ue d&rsquo;un point de vue scripturaire ou visuel, elle s&rsquo;entend aussi. Le texte &eacute;volue alors dans une narrativit&eacute; acoustique plurielle&nbsp;: celle des voix et des sons. Les &eacute;manations radiophoniques (les bruits, les battements de mains, les sons humains, les cris d&rsquo;oiseaux, le vacarme des foules, les feux d&rsquo;artifice, la pr&eacute;sence d&rsquo;instruments de musique) disent cette vibration sonore et multiple du r&eacute;cit de la m&eacute;moire comme l&rsquo;indique ce passage :</p> <p><q>&laquo;&nbsp;Les momentan&eacute;ment &eacute;loign&eacute;s&nbsp;&raquo;. Une expression fig&eacute;e qu&rsquo;on reprenait telle quelle, comme on emprunte une locution &eacute;trang&egrave;re, intraduisible, aussi intraduisible que les mots de la radio internationale lorsque l&rsquo;on entendait parler &laquo;&nbsp;des secousses qui touchent am&egrave;rement le territoire<a href="#nbp31" name="liennbp31">31</a> &raquo; [&hellip;]. Grande la multitude du peuple dont les mains ne suffisaient plus pour saluer la bravoure b&eacute;n&eacute;vole de ses maigres idoles, la multitude assortie de gongs, cuvettes, casseroles, tout un attirail d&rsquo;ustensiles de cuisine empoign&eacute;s par des hommes, femmes et enfants battant le fer blanc contre le fer blanc, encourag&eacute;s par la radio qui avait improvis&eacute; une comp&eacute;tition des quartiers les plus riches en bruits<a href="#nbp32" name="liennbp32">32</a>.</q></p> <p>De plus, on note une interaction de voix qui r&eacute;sonnent et se r&eacute;pondent en &eacute;cho de mani&egrave;re ench&acirc;ss&eacute;e dans un mouvement d&rsquo;interpellation entre la conscience monologique parlante du narrateur et celle du narrataire et d&rsquo;autres personnages. Avec Bakhtine, on parlera de dialogisme et de polyphonie<a href="#nbp33" name="liennbp33">33</a> comme des formes de pr&eacute;sence d&rsquo;autrui dans le discours &agrave; travers les genres de discours, les formes de discours rapport&eacute;s, les narrations dialogu&eacute;es et les discours narrativis&eacute;s. Ainsi, entre la narration, le monologue, les conversations du narrateur et d&rsquo;Axis K&eacute;mal, et les paroles du second rapport&eacute;es par le premier, &laquo;&nbsp;se tisse donc [une sorte d&rsquo;] improbable communaut&eacute; de paroles qui rel&egrave;ve d&rsquo;une affectation th&eacute;&acirc;trale des voix<a href="#nbp34" name="liennbp34">34</a> &raquo;. Du discours indirect<a href="#nbp35" name="liennbp35">35</a> au discours indirect libre<a href="#nbp36" name="liennbp36">36</a>, ponctu&eacute;s par le discours direct<a href="#nbp37" name="liennbp37">37</a>, les voix se pluralisent et s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent comme l&rsquo;atteste cet extrait&nbsp;:</p> <p><q>Axis K&eacute;mal &eacute;tait revenu deux ans apr&egrave;s la Lib&eacute;ration, deux ans pendant lesquels personne ne savait qu&rsquo;il &eacute;tait encore vivant, et il n&rsquo;avait pas cherch&eacute;, &agrave; son retour, &agrave; savoir ce qu&rsquo;&eacute;tait devenu ce p&egrave;re avec qui, de toute fa&ccedil;on, il n&rsquo;avait jamais parl&eacute; qu&rsquo;&agrave; toute allure. Et c&rsquo;&eacute;tait mieux ainsi, disait-il. Quelque chose pour lui s&rsquo;&eacute;tait apais&eacute; dans une relation o&ugrave;, pendant longtemps et sans raison, il s&rsquo;&eacute;tait cru forc&eacute; de se maintenir, jusqu&rsquo;au jour o&ugrave; il avait pris les sentiers du maquis.</q></p> <p><q>Il tenait une librairie, <em>Le Quai des livres anciens</em> [&hellip;]. Il m&rsquo;a racont&eacute; qu&rsquo;il avait &laquo;&nbsp;contract&eacute;&nbsp;&raquo; la foi chr&eacute;tienne, jud&eacute;o-protestante, suite &agrave; un grave accident de bicyclette. Il avait &agrave; cette &eacute;poque lu la Bible de part en part, avec fr&eacute;n&eacute;sie et dans au moins deux versions diff&eacute;rentes, puis il s&rsquo;&eacute;tait brusquement arr&ecirc;t&eacute; sur le chemin de Dieu, suite &agrave; une r&eacute;v&eacute;lation qui lui avait fait perdre la foi.</q></p> <p><q>-Quoi&nbsp;?</q></p> <p><q>&ndash; Une chose terrible. Imagine &ccedil;a&nbsp;: de la premi&egrave;re &agrave; la derni&egrave;re page, le Dieu de la Bible ne rit pas. Pas une seule fois.</q></p> <p><q>-Et alors&nbsp;?</q></p> <p><q>-Alors, je ne suis pas &agrave; son image&nbsp;?</q></p> <p><q>Je ne comprenais pas. J&rsquo;avais toujours cru qu&rsquo;il &eacute;tait normal qu&rsquo;un Dieu soit terrible.</q></p> <p><q>-Imagine &ccedil;a&nbsp;: un Dieu cr&eacute;ateur qui ne conna&icirc;t pas la joie.</q></p> <p><q>Ses r&eacute;ponses &agrave; mes questions &eacute;taient des lumi&egrave;res qui n&rsquo;&eacute;clairaient en moi que de nouvelles interrogations, jusque-l&agrave; insoup&ccedil;onn&eacute;es.<a href="#nbp38" name="liennbp38">38</a></q></p> <p>Dans cet extrait, le texte se signale par sa capacit&eacute; &agrave; phagocyter les formes de discours (styles direct, indirect et indirect libre) et les genres de discours (le narratif, le descriptif, l&rsquo;explicatif, l&rsquo;argumentatif, le dialogal). De plus, il faut noter les pratiques d&rsquo;intertextualit&eacute;. En effet, au-del&agrave; des m&eacute;diations de discours, des pratiques &laquo;&nbsp;rapportantes&nbsp;&raquo; susmentionn&eacute;es, une pr&eacute;sence implicite de citations, d&rsquo;auteurs, et d&rsquo;ouvrages y joue aussi sa partition. Kossi Efoui lui-m&ecirc;me pr&eacute;cise dans une interview que son roman n&rsquo;est qu&rsquo;une tentative de dialogue cognitif entre deux auteurs&nbsp;: Imre Kert&eacute;sz et Herman Hesse<a href="#nbp39" name="liennbp39">39</a>. Les pens&eacute;es de ces auteurs cheminent ensemble dans le roman pour d&eacute;fendre l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle l&rsquo;homme doit, pour se comprendre, jouer de son existence en &eacute;coutant les r&eacute;sonances du monde et en assumant sa propre parole dans une distanciation de soi &agrave; soi-m&ecirc;me. Par-l&agrave;, il faut aussi comprendre que la th&eacute;matique de la m&eacute;moire, en tant qu&rsquo;herm&eacute;neutique de soi, se travaille et se pense elle aussi &agrave; partir de son dehors, c&rsquo;est-&agrave;-dire en se r&eacute;f&eacute;rant aux auteurs et aux pens&eacute;es qui n&rsquo;ont rien &agrave; voir avec elle mais qui, pourtant la concernent. C&rsquo;est dans cette optique que peuvent se comprendre les r&eacute;flexions du narrateur dans le propos suivant&nbsp;:</p> <p><q>Quel livre apprend &agrave; faire ce que je me pr&eacute;pare &agrave; faire&nbsp;? [&hellip;]. Quels livres&nbsp;? Ceux des philosophes que m&rsquo;avaient rendu accessibles les lumi&egrave;res d&rsquo;Axis K&eacute;mal&nbsp;? Des lumi&egrave;res dont il avait commenc&eacute; &agrave; m&rsquo;&eacute;clairer assez t&ocirc;t, vers l&rsquo;&acirc;ge de seize ans, quand il me racontait Platon et le mythe de la caverne. J&rsquo;ai fini par croire que je faisais quelque progr&egrave;s sur le chemin de je ne sais plus aujourd&rsquo;hui quelle connaissance, pas plus que je ne sais aujourd&rsquo;hui si ce que j&rsquo;apprenais &eacute;tait de mourir comme Socrate ou de vivre comme Diog&egrave;ne, ou seulement d&rsquo;arriver &agrave; me constituer une sorte de sagesse personnelle, d&rsquo;avoir une philosophie dans la vie comme on dit, une vie d&eacute;j&agrave;, dit l&rsquo;orateur, quelque chose que je peux d&eacute;j&agrave; appeler une vie, vingt et un ans, et tant de livres lus, tant de films vus, tant d&rsquo;histoires entendues, tant de citations, toute ma collection de savoirs depuis l&rsquo;&acirc;ge de douze ans<a href="#nbp40" name="liennbp40">40</a>.</q></p> <p>Ici, le texte de la m&eacute;moire peut en outre se lire comme une architectonique argumentative avec en amont un questionnement, des pistes de r&eacute;flexion, des hypoth&egrave;ses de recherche, et en aval des cheminements et des tentatives de r&eacute;ponse. C&rsquo;est ce qu&rsquo;indique l&rsquo;usage des modalit&eacute;s d&rsquo;&eacute;nonciation li&eacute; &agrave; la question obs&eacute;dante et &eacute;nigmatique que se pose l&rsquo;orateur et qu&rsquo;il s&rsquo;efforcera de r&eacute;soudre tout au long du texte&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans quel livre apprend-on ce que je me pr&eacute;pare &agrave; faire<a href="#nbp41" name="liennbp41">41</a>&nbsp;?&nbsp;&raquo;. Cette alternance entre th&egrave;me et rh&egrave;me signale non seulement qu&rsquo;il y a une tentative de faire advenir quelque chose au langage, mais paradoxalement, ce quelque chose manque toujours de clart&eacute; et d&rsquo;appara&icirc;tre&nbsp;: d&rsquo;o&ugrave; les r&eacute;-interrogations et les red&eacute;ploiements des proc&eacute;d&eacute;s d&rsquo;organisation du r&eacute;cit de la m&eacute;moire.</p> <p>L&rsquo;&eacute;criture comme mat&eacute;rialit&eacute; a fait du r&eacute;cit de la m&eacute;moire l&rsquo;espace d&rsquo;une discontinuit&eacute; temporelle et narratoriale qui fait corps avec l&rsquo;id&eacute;e de changement. Dire le manque chez Kossi Efoui s&rsquo;est alors construit dans la mise du pass&eacute; et de l&rsquo;histoire &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;&eacute;criture comme l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un autre commencement, pr&eacute;cis&eacute;ment celui de la m&eacute;moire plurielle et discontinue. Les formes et les structures de la m&eacute;moire discontinue se sont signal&eacute;es ainsi comme les &eacute;l&eacute;ments annon&ccedil;ant le travail de la m&eacute;moire critique, c&rsquo;est-&agrave;-dire le travail d&rsquo;interpr&eacute;tation qui re-questionne la m&eacute;moire et les politiques de la m&eacute;moire. Dans la section qui va suivre, il sera question de r&eacute;pondre de l&rsquo;intelligence des techniques de la discontinuit&eacute; m&eacute;morielle par l&rsquo;approfondissement d&rsquo;une r&eacute;flexion ontologique, &eacute;thique et politique du souvenir. Ce sera l&rsquo;occasion de voir comment la pens&eacute;e du manque est fondamentalement une herm&eacute;neutique de soi &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de la m&eacute;moire plurielle et des m&eacute;moires officielles.</p> <h2>3. <strong>&laquo;&nbsp;Penser le manque &raquo;. M&eacute;moire et r&eacute;flexivit&eacute;</strong></h2> <p>En posant le travail de la m&eacute;moire comme questionnement sur le manque, cette section voudrait montrer que<em> L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em> est &laquo;&nbsp;un effort vers le sens<a href="#nbp42" name="liennbp42">42</a> &raquo;. Elle d&eacute;fend l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle &laquo;&nbsp;penser le manque&nbsp;&raquo; c&rsquo;est se mettre en route vers ce que nous appelons la m&eacute;moire critique.</p> <p>En effet, en parlant des politiques de la m&eacute;moire, avec leur part d&rsquo;exub&eacute;rance et d&rsquo;obsessions comm&eacute;moratives, il se pose une r&eacute;elle question de fond&nbsp;: celle des usages du pass&eacute;. &Agrave; ce propos, l&rsquo;&oelig;uvre de Kossi Efoui se pr&eacute;sente comme un r&eacute;quisitoire contre les politiques d&rsquo;instrumentalisation, de f&eacute;tichisation et de violation de l&rsquo;histoire et de la m&eacute;moire. Cela est perceptible dans le discours du personnage-narrateur&nbsp;:</p> <p><q>J&rsquo;allais sur mes cinq ans quand mon p&egrave;re a &eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;momentan&eacute;ment &eacute;loign&eacute;&nbsp;&raquo; et j&rsquo;avais neuf ans lorsque vint le jour qu&rsquo;on appelle, comme on l&rsquo;apprend dans les &eacute;coles, &laquo;&nbsp;la fin des temps de l&rsquo;annexion&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est une date que l&rsquo;on peut lire ou photographier aujourd&rsquo;hui, ici ou l&agrave;, &agrave; l&rsquo;angle d&rsquo;une ruelle sur une plaque comm&eacute;morative, ou en bas de monumentales statues. Ce jour o&ugrave; tout fut grand d&rsquo;un seul coup&nbsp;: grand le d&eacute;fil&eacute; devant la grande statue des grands hommes de l&rsquo;Ind&eacute;pendance et de la Renaissance, grand le marathon malgr&eacute; la pr&eacute;sence d&rsquo;une pauvre cinquantaine d&rsquo;athl&egrave;tes, car grande &eacute;tait l&rsquo;humour hom&eacute;rique des coureurs &agrave; demi muscl&eacute;s, et grande la multitude du peuple dont les mains ne suffisaient plus pour saluer la bravoure b&eacute;n&eacute;vole de ses maigres idoles, la multitude assortie de gongs, cuvettes, casseroles, tout un attirail d&rsquo;ustensiles de cuisine empoign&eacute;s par des hommes, femmes et enfants battant le fer blanc contre le fer blanc, encourag&eacute;s par la radio qui avait improvis&eacute; une comp&eacute;tition des quartiers les plus riches en bruits<a href="#nbp43" name="liennbp43">43</a>.</q></p> <p>Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une mise en garde contre une absurde th&eacute;&acirc;tralisation de la m&eacute;moire et de l&rsquo;histoire. Cette com&eacute;die m&eacute;morielle prend plusieurs formes&nbsp;: celle du <em>festivus</em> et des comm&eacute;morations abusives et superf&eacute;tatoires, celle des grands actes officiels de langage, celle de l&rsquo;&eacute;dification de monuments, de l&rsquo;invention des h&eacute;ros, des symboles, des images, celle des manipulations d&rsquo;archives, de traces et celle des grands rassemblements nationaux forc&eacute;s d&rsquo;hommes, de femmes et d&rsquo;enfants. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;imposture constat&eacute;e par le narrateur lorsqu&rsquo;il prend conscience des journ&eacute;es de m&eacute;moire nationale&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce soir-l&agrave;, pendant que les tirs nous ravageaient les oreilles, nous avions l&rsquo;impression d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; dup&eacute;s par tout ce festival, ce chatoiement de la journ&eacute;e, un mirage monstre, une hallucination collective que ces tirs venaient &agrave; pr&eacute;sent dissiper<a href="#nbp44" name="liennbp44">44</a> &raquo;.</p> <p>Kossi Efoui s&rsquo;attaque &eacute;galement au tourisme m&eacute;moriel qui, en se penchant sur l&rsquo;histoire officielle et dominante, ignore la connaissance libre et plurielle de l&rsquo;histoire. Le tourisme m&eacute;moriel fonctionne par m&eacute;morisation ritualis&eacute;e, par s&eacute;lection des lieux, par orientation th&eacute;matique, par rh&eacute;torique r&eacute;ductionniste, par propagande, par bricolage de r&eacute;cits. L&rsquo;exploration des sites se fait souvent dans une d&eacute;sinvolture qui confine &agrave; la banalisation des &laquo; lieux de m&eacute;moire&nbsp;&raquo;<a href="#nbp45" name="liennbp45">45</a>. C&rsquo;est toute la force de cette mascarade que le regard du narrateur nous invite &agrave; voir dans la description qu&rsquo;il fait de &laquo;&nbsp;la ville de l&rsquo;historial, l&rsquo;ancien emplacement de La Plantation<a href="#nbp46" name="liennbp46">46</a> &raquo;&nbsp;:</p> <p><q>Ce qui reste de l&rsquo;histoire est un d&eacute;cor &agrave; deux dimensions, un sol plat et solidement dall&eacute; par la solidarit&eacute; des pierres noires et polies, avec des guides en attente, tenant &agrave; la main des panneaux marqu&eacute;s A,B,C,D, etc., des rep&egrave;res au sol, semblables &agrave; des parcours. Rien n&rsquo;est rest&eacute; des baraquements, des lieux d&rsquo;isolement, de l&rsquo;&eacute;difice religieux &oelig;cum&eacute;nique, tout cela avait &eacute;t&eacute; ray&eacute; de la terre et de la carte [&hellip;]. Il n&rsquo;y avait plus rien &agrave; voir et les guides n&rsquo;avaient rien &agrave; montrer, de sorte qu&rsquo;il fallait &ecirc;tre bon conteur, et m&ecirc;me beau parleur, pour &ecirc;tre guide dans cette ruine accomplie, ou m&ecirc;me virtuose de la gestuelle et du mime pour arriver &agrave; faire voir aux p&egrave;lerins des &eacute;difices, des dimensions, des distances, des proportions, des rues, des chemins de fer dans le vide environnant [&hellip;]. Encore trente minutes de marche serr&eacute;e et c&rsquo;&eacute;tait la grande avenue avec les m&ecirc;mes martyrs pensifs accroch&eacute;s aux pyl&ocirc;nes, avec les panneaux qui proclament&nbsp;: &laquo;&nbsp;Vous &ecirc;tes accueillis en p&egrave;lerin, non pas en touriste&nbsp;&raquo;, m&ecirc;me si les boutiques ici ressemblent &agrave; n&rsquo;importe quelle boutique &agrave; touristes de n&rsquo;importe quelle ville &agrave; touristes, et les sp&eacute;cialit&eacute;s d&rsquo;ici ne sont pas plus m&eacute;morielles que r&eacute;gionales<a href="#nbp47" name="liennbp47">47</a>.</q></p> <p>Ce qui est en cause dans la mont&eacute;e polymorphique des voyages touristiques m&eacute;moriels, c&rsquo;est l&rsquo;effet de mode, la passivit&eacute;, l&rsquo;absence de cogitation, donc la part d&rsquo;auscultation qui caract&eacute;rise les r&eacute;investissements des espaces historiques comme celui de La Plantation. Avec le foisonnement des voyages de classe, des voyages collectifs ou individuels, la prolif&eacute;ration des agences sp&eacute;cialis&eacute;es, des sites internet, des prospectus, des guides et des r&eacute;cits de voyage, il est davantage question de commerce et de consommation ainsi que l&rsquo;indiquent les expressions utilis&eacute;es par le narrateur&nbsp;: &laquo;&nbsp;boutique &agrave; touristes, ville &agrave; touristes&nbsp;&raquo;.</p> <p>Dans ce contexte marqu&eacute; par la mont&eacute;e du ph&eacute;nom&egrave;ne mn&eacute;monique, il devient difficile de penser la question de &laquo;&nbsp;la juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo;<a href="#liennbp48" name="liennbp48">48</a> ou le probl&egrave;me &eacute;thique des repr&eacute;sentations du pass&eacute;. Ce probl&egrave;me &eacute;tant celui de la constatation de deux &eacute;cueils fondamentaux&nbsp;: celui d&rsquo;un &laquo;&nbsp;trop de m&eacute;moire ici&nbsp;&raquo; et d&rsquo;un &laquo;&nbsp;trop d&rsquo;oubli ailleurs&nbsp;&raquo;<a href="#nbp49" name="liennbp49">49</a>. Kossi Efoui essaie de r&eacute;soudre ce probl&egrave;me en r&eacute;cusant l&rsquo;injonction du &laquo;&nbsp;devoir de m&eacute;moire&nbsp;&raquo; (parce qu&rsquo;elle se pr&ecirc;te &agrave; toutes les manipulations du pouvoir) et en optant pour un &laquo;&nbsp;travail de m&eacute;moire&nbsp;&raquo;. Parler ainsi de &laquo;&nbsp;la juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est d&rsquo;abord d&eacute;sabuser la m&eacute;moire de l&rsquo;emprise de l&rsquo;injonction au souvenir, c&rsquo;est ensuite la soustraire des abus et de l&rsquo;oubli forc&eacute;. En s&rsquo;opposant de la sorte &agrave; la m&eacute;moire dominante, Kossi Efoui postule pour une valorisation de la subjectivit&eacute; comme vecteur de m&eacute;moire, donc du droit des personnes &agrave; disposer d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, de leur m&eacute;moire, de leur histoire, de leur vie. Le narrateur-personnage de Kossi Efoui laisse justement entendre qu&rsquo; &laquo;&nbsp;il ne faut pas trop se pr&eacute;occuper de qui &eacute;coute quand on veut garder sa parole intacte et nue<a href="#nbp50" name="liennbp50">50</a> &raquo;. Comme pour dire que, si l&rsquo;on veut t&eacute;moigner et faire &oelig;uvre de v&eacute;rit&eacute;, il n&rsquo;y a qu&rsquo;une seule chose &agrave; faire&nbsp;: ne pas se laisser interdire, ne pas se laisser gouverner la m&eacute;moire. Il conviendrait d&rsquo;y aller pr&eacute;sentement et par soi-m&ecirc;me. T&eacute;moigner de sa libert&eacute;, traverser sa propre solitude, rester au plus pr&egrave;s de sa parole, c&rsquo;est aussi une autre mani&egrave;re de faire acte de m&eacute;moire personnelle.</p> <p>Toutefois, cette l&eacute;gitimation de la singularit&eacute; ne doit gu&egrave;re s&rsquo;entendre comme une absolutisation de l&rsquo;&ecirc;tre sur le chantier de la m&eacute;moire, mais doit se comprendre comme une prise de conscience responsable. Ce qui suppose la n&eacute;cessit&eacute; de sortir de l&rsquo;enfermement subjectif, la n&eacute;cessit&eacute; de sortir de la complaisance et de la victimisation, de l&rsquo;oubli facile et de l&rsquo;exag&eacute;ration. Contre la subjectivisation absolue et contre &laquo;&nbsp;les grandes m&eacute;moires organisatrices<a href="#nbp51" name="liennbp51">51</a> &raquo;, &laquo;&nbsp;la juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo; se voudrait l&rsquo;articulation entre m&eacute;moire singuli&egrave;re et m&eacute;moire plurielle. D&rsquo;autres que moi peuvent t&eacute;moigner de mon histoire de m&ecirc;me que je peux rendre compte des &eacute;v&eacute;nements les concernant ou communs. Il ressort ce que Jo&euml;l Candau appelle &laquo; m&eacute;moires &eacute;clat&eacute;es&nbsp;&raquo;<a href="#nbp52" name="liennbp52">52</a>. Mais pour en arriver aux m&eacute;moires &eacute;clat&eacute;es, il convient de passer par la rencontre et la confrontation entre &laquo;&nbsp;m&eacute;moires officielles&nbsp;&raquo;, &laquo; m&eacute;moires de groupes&nbsp;&raquo;, &laquo; m&eacute;moires savantes&nbsp;&raquo; et m&eacute;moires individuelles. Cette bataille pour la m&eacute;moire idiosyncrasique et diversifi&eacute;e se traduit dans <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em> par la m&eacute;fiance et les critiques du narrateur-personnage &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des politiques officielles de la m&eacute;moire, par les efforts qu&rsquo;il entreprend afin de mettre de la lumi&egrave;re sur la m&eacute;moire et l&rsquo;histoire de son p&egrave;re.</p> <p>Aussi, &laquo;&nbsp;la juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo; tend vers une m&eacute;moire qui ne sera pas &eacute;ternellement en col&egrave;re, une m&eacute;moire qui saura se d&eacute;charger du poids du pass&eacute;, qui ne manquera pas de faire son deuil. &Agrave; propos du pardon et d&rsquo;une politique de &laquo;&nbsp;la juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo;, Hanna Arendt pr&eacute;conise une m&eacute;moire qui ait &laquo;&nbsp;la capacit&eacute; de se d&eacute;lier pour &ecirc;tre li&eacute;e et donc de faire promesse<a href="#nbp53" name="liennbp53">53</a> &raquo;. Certes, on ne peut gommer ni changer ce qui s&rsquo;est pass&eacute;, n&eacute;anmoins, l&rsquo;histoire peut &ecirc;tre r&eacute;interpr&eacute;t&eacute;e puisque son sens reste ouvert et non fig&eacute;. Si on ne peut oublier, on peut toutefois pardonner. Le pardon comme instance mn&eacute;monique invite ainsi &agrave; &laquo;&nbsp;suspendre les liens avec le pass&eacute; pour retrouver le pr&eacute;sent<a href="#nbp54" name="liennbp54">54</a> &raquo;. La &laquo;&nbsp;juste m&eacute;moire&nbsp;&raquo; se construit non seulement &agrave; partir d&rsquo;un espace de justice, de civilit&eacute; et de cohabitation entre m&eacute;moires, mais surtout admet l&rsquo;autre comme possibilit&eacute;. Le texte de Kossi Efoui, en travaillant la possibilit&eacute; du pardon, met en garde contre les trop grandes c&eacute;r&eacute;monies politiques de pardon qui souvent s&rsquo;organisent unilat&eacute;ralement, c&rsquo;est-&agrave;-dire que ce sont toujours les vainqueurs ou ceux qui sont au pouvoir qui, de mani&egrave;re tr&egrave;s spectaculaire, demandent le pardon.</p> <p>Le texte de Kossi Efoui voudrait &eacute;galement montrer qu&rsquo;au-del&agrave; de son r&ocirc;le de conservation et d&rsquo;&eacute;vocation, la m&eacute;moire mise &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du pr&eacute;sent est d&eacute;tachement, reconfiguration et r&eacute;invention. S&rsquo;il y a parfois, comme le dit Paul Ric&oelig;ur, &laquo;&nbsp;ce petit bonheur de la reconnaissance<a href="#nbp55" name="liennbp55">55</a> &raquo; du souvenir qui vient &agrave; nous et inversement, et que l&rsquo;on reconna&icirc;t, il y a aussi ce moment de la non-totalisation de la m&eacute;moire. Dans cette configuration, on peut dire que l&rsquo;oubli de prudence ou de &laquo;&nbsp;r&eacute;serve&nbsp;&raquo; fait partie du souvenir&nbsp;; que la d&eacute;liaison est, dans le tissage de la m&eacute;moire, le signe m&ecirc;me de sa pr&eacute;servation ; que la v&eacute;rit&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre se trouverait non pas aux confins de la m&eacute;moire, mais bien plus dans le scintillement du souvenir &agrave; venir. D&rsquo;o&ugrave; la probl&eacute;matique de l&rsquo;herm&eacute;neutique du soi et de la souvenance. Le personnage-narrateur de <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em> se demande la chose suivante&nbsp;: &laquo;&nbsp;dans quel livre apprend-on ce que je me pr&eacute;pare &agrave; faire&nbsp;?&nbsp;&raquo; La r&eacute;ponse donn&eacute;e est un saut effectu&eacute; dans la vie comme on saute dans le vide. Il cessera de s&rsquo;identifier &agrave; une histoire en sortant de l&rsquo;obsession m&eacute;morielle et en refusant de se laisser enfermer dans des crispations identitaires et ontologiques. Ainsi, pour avoir &eacute;t&eacute; dup&eacute; par d&rsquo;innombrables comm&eacute;morations officielles, par les strat&eacute;gies de manipulation et de falsification de l&rsquo;histoire, pour avoir &eacute;t&eacute; malmen&eacute; par une institution p&eacute;dagogique peu soucieuse de la formation r&eacute;elle des esprits, pour avoir &eacute;t&eacute; oblig&eacute; de supporter et de porter une m&eacute;moire faussement r&eacute;volutionnaire, ce personnage central d&eacute;cide de s&rsquo;exiler de son origine en caressant la vibration du pr&eacute;sent. On peut entendre sa &laquo;&nbsp;philosophie du feu&nbsp;&raquo; comme telle&nbsp;:</p> <p><q>Il faut achever le travail d&rsquo;oubli avant de se lancer sur une route o&ugrave; marcher n&rsquo;est pas faire un pas apr&egrave;s l&rsquo;autre, mais un bond apr&egrave;s l&rsquo;autre, dans une fuite qui est un saut dans le vide [&hellip;]. Je pense &agrave; ceux qui sont pass&eacute;s ici avant moi, qui ont attendu comme moi le m&ecirc;me signal, vidant leur sac de choses [&hellip;]. Je pense &agrave; ces jeunes gens qui ont fait comme moi le serment de ne plus se souvenir d&rsquo;aucun nom, m&ecirc;me pas de celui qu&rsquo;on a soi-m&ecirc;me port&eacute; jusque-l&agrave; [&hellip;]. Il faut se d&eacute;shabituer de soi avant de continuer la route, perdre la coutume de donner son nom, d&rsquo;&eacute;voquer sa naissance &ndash;la date, le lieu, le nom de gloire de son pays d&rsquo;origine, sa pr&eacute;cieuse lign&eacute;e &ndash;, toutes ces marques qu&rsquo;on nous a &eacute;lev&eacute;s &agrave; porter en devanture, tous ces signes ext&eacute;rieurs par quoi on s&rsquo;imagine soi-m&ecirc;me, ces possessifs que j&rsquo;accepte de confier &agrave; l&rsquo;oubli par le feu.<a href="#nbp56" name="liennbp56">56</a></q></p> <p>Ce mouvement de rature de la m&eacute;moire est un plaidoyer en faveur du pr&eacute;sent et de l&rsquo;action. Il instaure une rupture d&rsquo;avec tout ce qui rel&egrave;ve de l&rsquo;exp&eacute;rience comme r&eacute;p&eacute;tition des traditions, comme continuit&eacute; imm&eacute;diate entre pass&eacute; et pr&eacute;sent, comme atavisme et d&eacute;terminisme, comme h&eacute;ritage. Kossi Efoui remet en question la m&eacute;moire, notamment sa capacit&eacute; de conservation et de transmission du pass&eacute; (capacit&eacute; qu&rsquo;on semble lui attribuer uniquement et trop souvent). Pour lui, questionner la m&eacute;moire dans son rapport au pr&eacute;sent, c&rsquo;est prononcer l&rsquo;oubli et la liquidation de tout ce qui encombre le vivant et l&rsquo;emp&ecirc;che de voir l&rsquo;horizon. C&rsquo;est pourquoi le personnage-narrateur mettra, apr&egrave;s r&eacute;flexion, un terme &agrave; son pass&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai craqu&eacute; quelques allumettes dans la petite bassine et la fum&eacute;e monte d&eacute;j&agrave; du p&ecirc;le-m&ecirc;le de papier. Les carnets aux feuilles arrach&eacute;es, la photo o&ugrave; nous sommes tous les trois, mon p&egrave;re, Ikko et moi, les deux lettres d&rsquo;Ikko, les faux papiers o&ugrave; je m&rsquo;appelle Ionie Zamal<a href="#nbp57" name="liennbp57">57</a> &raquo;.</p> <p>Il faut donc comprendre que &laquo; penser le manque&nbsp;&raquo; chez Kossi Efoui consiste &agrave; redonner du contour &agrave; ce qui n&rsquo;est plus ou qui nous &eacute;chappe. &laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est aussi imaginer que ce que l&rsquo;on raconte est toujours au-devant de soi dans un d&eacute;passement de &laquo;&nbsp;l&rsquo;autrefois&nbsp;&raquo;, au rythme d&rsquo;une temporalit&eacute; inventive et une prospection &eacute;thique nouvelle. La m&eacute;moire, comme aventure narrative et herm&eacute;neutique, se pr&eacute;sente alors comme transformation et transfiguration du r&eacute;el, comme recherche et monstration du souvenir &agrave; venir. Si l&rsquo;acte de rem&eacute;moration est &agrave; la fois un acte d&rsquo;&eacute;vocation et un acte de fabrique, le r&eacute;gime de la souvenance quant &agrave; lui convole avec celui de l&rsquo;imaginaire. Dans ce cas, se rappeler quelque chose, c&rsquo;est toujours s&rsquo;en rappeler dans un esprit reconstructif.</p> <p>Le titre de l&rsquo;&oelig;uvre lui-m&ecirc;me s&rsquo;esquisse comme une enveloppe de choses naissantes au c&oelig;ur d&rsquo;une transparence nocturne o&ugrave; se m&ecirc;lent les battements secrets de la pr&eacute;sence et de l&rsquo;absence, du proche et du lointain, du dicible et de l&rsquo;indicible. Il indique une zone d&rsquo;ombre d&rsquo;o&ugrave; quelque chose adviendra, mais aussi d&rsquo;o&ugrave; quelque chose se retirera. Le titre s&rsquo;entend alors comme la face ombreuse du pass&eacute;, celle des turbulences historiques et de la conscience du temps. Il d&eacute;signe ce qui maintient l&rsquo;opacit&eacute; dans le d&eacute;voilement<a href="#nbp58" name="liennbp58">58</a>. Les choses anciennes et nouvelles se d&eacute;robent ou surgissent &agrave; partir de l&rsquo;ombre en gardant le souvenir de l&rsquo;ombre non pas comme origine toujours remise, mais comme ce dont il faut toujours s&rsquo;&eacute;manciper ou quitter. &laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo; comme ce qui manifestement manque et manquera encore et dont on cherche ind&eacute;finiment l&rsquo;origine et la force, c&rsquo;est alors tenter de reconstruire et d&rsquo;inventer les souvenirs de l&rsquo;histoire et de la m&eacute;moire.</p> <p>La mise en &oelig;uvre d&rsquo;une m&eacute;moire critique dans <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em> de Kossi Efoui a permis de traiter la probl&eacute;matique du manque selon trois inflexions. Premi&egrave;rement, elle a soulign&eacute; l&rsquo;importance de revenir sur la m&eacute;moire en tant que champ d&rsquo;h&eacute;r&eacute;dit&eacute;s, de traditions, de cultures, d&rsquo;histoires, d&rsquo;h&eacute;ritages, de souvenirs. Deuxi&egrave;mement, elle a not&eacute; le moment de r&eacute;vocation ou de liquidation de la m&eacute;moire. Car la m&eacute;moire vise un pouvoir-se-souvenir, mais il s&rsquo;agit d&rsquo;un pouvoir-se-souvenir qui tient lieu dans un d&eacute;passement critique de &laquo;&nbsp;l&rsquo;autrefois&nbsp;&raquo;. Troisi&egrave;mement, la m&eacute;moire critique s&rsquo;est attel&eacute; &agrave; montrer que le souvenant est toujours au-devant de son &ecirc;tre mn&eacute;monique dans une d&eacute;marcation qui ouvre l&rsquo;avenir.</p> <p>Ainsi, &laquo;&nbsp;penser le manque&nbsp;&raquo; veut dire avoir la possibilit&eacute; de raconter l&rsquo;histoire en posant la m&eacute;moire, non seulement comme le lieu de la pr&eacute;sence et de l&rsquo;absence, des rapports et des &eacute;carts entre inscription de soi et institutions communautaires, mais aussi comme l&rsquo;espace d&rsquo;initiative et d&rsquo;action. Se souvenir, ce n&rsquo;est donc pas recouvrer le pass&eacute; dans son int&eacute;gralit&eacute;. Se souvenir ne va donc pas sans la d&eacute;robade de la m&eacute;moire. Le souvenir laisse perplexe. Il est fait de manque. Il n&rsquo;y a m&eacute;moire que de ce qui manque. &laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo; revient alors &agrave; comprendre que le pass&eacute; est un-d&eacute;j&agrave;-pas-encore-fait. Mais la pens&eacute;e du manque s&rsquo;entend toujours d&eacute;j&agrave; comme un retour critique qui d&eacute;joue le pi&egrave;ge de l&rsquo;enfermement en se tenant au plus pr&egrave;s de la m&eacute;moire dans une distance narrative et r&eacute;flexive. Car rien n&rsquo;est jamais acquis dans le retour ni dans le revenir. &laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo;, ou penser la m&eacute;moire, c&rsquo;est finalement se mettre en route vers le sens, ce que Kossi Efoui appelle <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir.</em></p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Andr&eacute; Lalande, <em>Dictionnaire technique et critique de la philosophie</em>, Paris, Quadrige/PUF, 2010, p. 606.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Alain Rey [dir.], <em>Le Robert. Langue et culture. Dictionnaire historique de la langue fran&ccedil;aise</em>, Paris, Le Robert, 1995, p. 1220.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Pierre Larousse [dir.], <em>Grand dictionnaire universel du XIXe si&egrave;cle, X, M.-MEMN</em>, Gen&egrave;ve/Paris, Larousse, 1982, p. 1093.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Josette Rey-Debove, Alain Rey [dir.], <em>Le Nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphab&eacute;tique et analogique de la langue fran&ccedil;aise</em>, Paris, Le Robert/VUEF, 2003, pp. 1563-1564.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Maurice Blanchot, <em>Le Livre &agrave; venir</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 1959, p. 339.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Jean-Claude Ameisen, &laquo;&nbsp;Penser le manque&nbsp;&raquo;, dans <em>Cairn</em> revue [en ligne], <a href="http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ERES_HIRSC_2010_03_0013">http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ERES_HIRSC_2010_03_0013</a>.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> Quatri&egrave;me roman du romancier et dramaturge togolais Kossi Efoui, <em>L&rsquo;ombre des choses &agrave; venir</em>, Paris, Seuil, 2011.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8 </a>Jean-Fran&ccedil;ois Hamel, <em>Revenances de l&rsquo;histoire. R&eacute;p&eacute;tition, narrativit&eacute;, modernit&eacute;</em>, Paris, Les &Eacute;ditions de Minuit, 2006, p. 10.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Edouard Pichon cit&eacute; par Bernard Salignon, <em>Les d&eacute;clinaisons du r&eacute;el. La voix. L&rsquo;art. L&rsquo;&eacute;ternel retour</em>, Paris, Les &Eacute;ditions du Cerf, coll.&nbsp;&laquo;&nbsp;La nuit surveill&eacute;e&nbsp;&raquo;, 2006, p. 27.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> pp. 19-39.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11 </a>Anne Muxel,<em> Individu et m&eacute;moire familiale</em>, Paris, Nathan/VUEF, coll. &laquo; Essais et recherches&nbsp;&raquo;, 2002, p. 35.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> p. 20.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Anne Muxel, <em>op. cit.,</em> p. 34.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14 </a>La th&egrave;se de la m&eacute;moire collective est &eacute;labor&eacute;e et d&eacute;fendue par Maurice Halbwachs dans <em>La m&eacute;moire collective</em>, Paris, Albin Michel, 1997, et dans &laquo;&nbsp;Avant-propos&nbsp;&raquo;, dans <em>Les cadres sociaux de la m&eacute;moire</em>, postface de G&eacute;rard Namer, Paris, Albin Michel, coll. &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que de l&rsquo;&Eacute;volution de l&rsquo;Humanit&eacute;&nbsp;&raquo;, 1994, p. VI. &laquo;&nbsp;[&hellip;] si nous examinons d&rsquo;un peu plus pr&egrave;s de quelle fa&ccedil;on nous nous souvenons, nous reconna&icirc;trions que, tr&egrave;s certainement, le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos amis, ou d&rsquo;autres hommes nous les rappellent. [&hellip;].Le rappel des souvenirs n&rsquo;a rien de myst&eacute;rieux [&hellip;] puisqu&rsquo;ils me sont rappel&eacute;s du dehors, et que les groupes dont je fais partie m&rsquo;offrent &agrave; chaque instant les moyens de les reconstruire, &agrave; condition que je me tourne vers eux et que j&rsquo;adopte au moins temporairement leurs fa&ccedil;ons de penser. [&hellip;] C&rsquo;est en ce sens qu&rsquo;il existerait une m&eacute;moire collective et des cadres sociaux de la m&eacute;moire, et c&rsquo;est dans la mesure o&ugrave; notre pens&eacute;e individuelle se replace dans ces cadres et participe &agrave; cette m&eacute;moire qu&rsquo;elle serait capable de se souvenir [&hellip;]&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Kossi Efoui, <em>op cit.,</em> p. 20.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16 </a><em>Ibidem,</em> p. 120.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a><em> Ibidem,</em> pp. 58-59 et p. 112.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a><em> Ibidem</em>, p. 15.</p> <p><a href="#" name="nbp19">19 </a><em>Ibidem</em>, pp. 16-17.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Michel Foucault, <em>L&rsquo;ordre du discours</em>, Paris, Gallimard, 1971, p. 11. &laquo;&nbsp;Dans toute soci&eacute;t&eacute; la production du discours est &agrave; la fois contr&ocirc;l&eacute;e, s&eacute;lectionn&eacute;e, organis&eacute;e et redistribu&eacute;e par un certain nombre de proc&eacute;dures qui ont pour r&ocirc;le d&rsquo;en conjurer les pouvoirs et les dangers&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> p. 18.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a><em> Ibidem</em>, pp. 11-13.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23 </a><em>Ibidem</em>, pp. 143-158.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> G&eacute;rard Genette, <em>Figures III</em>, Paris, Seuil, coll.&nbsp;&laquo;&nbsp;Po&eacute;tique&nbsp;&raquo;, 1972, p. 227. La notion de voix narrative se rattache grosso modo aux cat&eacute;gories du temps de la narration, du niveau narratif et de la personne, c&rsquo;est-&agrave;-dire des relations entre le narrateur (et &eacute;ventuellement son ou ses narrataires) &agrave; l&rsquo;histoire qu&rsquo;il raconte.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Christian Metz cit&eacute; par G&eacute;rard Genette, <em>op. cit.,</em> p. 77.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a><em> Ibidem</em>, p. 77.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27 </a>Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> pp.13-14. C&rsquo;est nous qui soulignons.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a> G&eacute;rard Genette, <em>op. cit.,</em> p. 111.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> p. 11.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30 </a><em>Ibidem</em>, pp. 33-40.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31 </a><em>Ibidem</em>, p. 17.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32 </a><em>Ibidem</em>, p. 25.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Laurent Jenny, &laquo;&nbsp;M&eacute;thodes et probl&egrave;mes&nbsp;: Dialogisme et polyphonie&nbsp;&raquo;, dans<em> Unige</em> [en ligne], <a href="http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/index.html">http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/index.html</a>. &laquo;&nbsp;Le dialogisme, au sens de Bakhtine, concerne le discours en g&eacute;n&eacute;ral. Il d&eacute;signe les formes de la pr&eacute;sence de l&rsquo;autre dans le discours&nbsp;: le discours [&eacute;tant] un processus d&rsquo;interaction entre une conscience individuelle et une autre, qui l&rsquo;inspire et &agrave; qui elle r&eacute;pond. Quant &agrave; la polyphonie, au sens de Bakhtine, elle peut &ecirc;tre sommairement d&eacute;crite comme pluralit&eacute; de voix et de consciences autonomes dans la repr&eacute;sentation romanesque&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Marie-Pascale Huglo, <em>Le sens du r&eacute;cit. Pour une approche esth&eacute;tique de la narrativit&eacute; contemporaine</em>, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, coll. &laquo; Perspective&nbsp;&raquo;, 2007, p. 16.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a><em> Ibidem</em>, p. 5. Le discours cit&eacute; est pr&eacute;sent&eacute; par un verbe exprimant un acte de locution, suivi d&rsquo;une conjonctive (il dit que&hellip;, elle souligna que&hellip;, etc.). La parole d&rsquo;autrui n&rsquo;y est plus cit&eacute;e exactement.</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36 </a><em>Ibidem</em>. Dans le discours rapport&eacute; au style indirect libre, il y a traduction d&rsquo;un acte de locution dans son contenu, sans respect absolu de sa forme. En d&rsquo;autres termes, les propos rapport&eacute;s peuvent l&rsquo;&ecirc;tre de fa&ccedil;on plus ou moins fid&egrave;le, sans qu&rsquo;on ne soit jamais s&ucirc;r s&rsquo;ils sont mentionn&eacute;s avec exactitude ou interpr&eacute;t&eacute;s par l&rsquo;instance citante.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Laurent Jenny, <em>op. cit.,</em> p. 4. &laquo;&nbsp;&nbsp;Rapporter la parole d&rsquo;autrui au style direct, c&rsquo;est citer un acte de locution clairement attribu&eacute; &agrave; un locuteur ou rapporter exactement des propos, c&rsquo;est, tout &agrave; la fois, reproduire un contenu de parole&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38 </a>Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> pp. 58-60.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Propos recueillis par Vincente Clergeau, <em>Cultures sud</em> [en ligne], <a href="https://alepreuve.com/memoire-critique-penser-manque-revenance-narrativite-reflexivite-lombre-choses-venir-kossi-efoui/www.culturessud.com/redacteur.php?id=89">www.culturessud.com/redacteur.php?id=89</a>. &laquo;&nbsp;Je cite en ouverture du roman, cette phrase de l&rsquo;&eacute;crivain hongrois, Imre Kertesz : &nbsp;&raquo; le suicide qui me convient le mieux, est manifestement la vie &laquo;&nbsp;, que je mets en relation avec une r&eacute;flexion d&rsquo;Herman Hesse qui s&rsquo;est toujours &eacute;tonn&eacute; qu&rsquo;une majorit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tres humains sont toujours pr&ecirc;ts &agrave; mourir pour une id&eacute;e, un id&eacute;al, pourvu qu&rsquo;il soit collectif mais ils ont beaucoup de difficult&eacute;s &agrave; vivre pour une id&eacute;e personnelle et donc &agrave; vivre, &agrave; accepter la solitude que peut imposer parfois le fait d&rsquo;&ecirc;tre proche de sa propre parole. Je fais alors un parall&egrave;le avec cette d&eacute;finition de la libert&eacute; d&rsquo;Imre Kertesz : &nbsp;&raquo; ce qu&rsquo;on appelle la libert&eacute; c&rsquo;est avoir une pens&eacute;e et &ecirc;tre imm&eacute;diatement pr&ecirc;t &agrave; se retrouver seule avec &laquo;&nbsp;.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> pp. 147-148.</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a><em> Ibidem</em>, pp. 12, 14, 22 et 40. &Agrave; cette question centrale s&rsquo;ajoutent d&rsquo;autres non moins importantes&nbsp;: au sujet du p&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;Comment expliquer que lui qui ne buvait pas [&hellip;] comment expliquer cette d&eacute;marche qu&rsquo;il avait &agrave; l&rsquo;oblique et guingois, qu&rsquo;il empruntait avec joie &agrave; ses camarades de la perp&eacute;tuelle so&ucirc;lerie&nbsp;?&nbsp;&raquo;. Au sujet des orphelins&nbsp;: &laquo;&nbsp;Comment imaginer que par la gr&acirc;ce d&rsquo;une &eacute;ducation sp&eacute;ciale on rendait acceptable aux yeux des enfants la haine de l&rsquo;innocence&nbsp;?&nbsp;&raquo;. Et au sujet du souvenir&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais que peut-on lire dans les r&ecirc;ves de quelqu&rsquo;un quand soi-m&ecirc;me, dans ses propres r&ecirc;ves, on est si souvent perdu&nbsp;?&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42 </a>Jean-Pierre Changeux, &laquo;&nbsp;D&eacute;finition de la m&eacute;moire biologique&nbsp;&raquo;, dans Fran&ccedil;oise Barret-Ducrocq [dir.],<em> Pourquoi se souvenir&nbsp;?</em>, Paris, Grasset &amp; Fasquelle, 1999, p. 21.</p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43</a> Kossi Efoui, <em>op. cit.,</em> p 25.</p> <p><a href="#liennbp44" name="nbp44">44</a><em> Ibidem</em>, p. 26.</p> <p><a href="#liennbp45" name="nbp45">45</a> Pierre Nora [dir.], &laquo; Entre m&eacute;moire et histoire. La probl&eacute;matique des lieux&nbsp;&raquo;, dans <em>Les lieux de m&eacute;moires I. La R&eacute;publique</em>, Paris, Gallimard, 1984, p. XIX.</p> <p><a href="#liennbp46" name="nbp46">46</a> <em>Ibidem</em>, p 135.</p> <p><a href="#liennbp47" name="nbp47">47</a><em> Ibidem</em>, pp. 136-141.</p> <p><a href="#liennbp48" name="nbp48">48</a> Mich&egrave;le Baussant, <em>Du vrai au juste&nbsp;: la m&eacute;moire, l&rsquo;histoire et l&rsquo;oubli</em>, Qu&eacute;bec, Universit&eacute; de Laval, 2006, p. 11. &laquo;&nbsp;M&ecirc;me si elle demeure insaisissable et introuvable, sit&ocirc;t que l&rsquo;on s&rsquo;attache &agrave; une analyse contextuelle des m&eacute;canismes sociaux de recomposition des souvenirs, la notion de juste, associ&eacute;e aujourd&rsquo;hui &agrave; la d&eacute;finition de la m&eacute;moire, de l&rsquo;histoire et de l&rsquo;oubli, refl&egrave;te les attentes propres &agrave; de nombreuses soci&eacute;t&eacute;s aujourd&rsquo;hui. De fait, elle verbalise un espoir d&rsquo;action r&eacute;paratrice qui viendrait non seulement restaurer le pass&eacute;, mais aussi l&rsquo;espace existant entre le pass&eacute; et le pr&eacute;sent&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp49" name="nbp49">49</a> Paul Ric&oelig;ur, <em>La m&eacute;moire, l&rsquo;histoire, l&rsquo;oubli</em>, Paris, Seuil, 2000, p. 1.</p> <p><a href="#liennbp50" name="nbp50">50</a> Kossi Efoui,<em> op. cit.</em>, p. 13.</p> <p><a href="#liennbp51" name="nbp51">51</a> Jo&euml;l Candau,<em> M&eacute;moire et identit&eacute;</em>, Paris, Presses Universitaires de France, coll. &laquo; Sociologie d&rsquo;Aujourd&rsquo;hui&nbsp;&raquo;, 1998, p. 175.</p> <p><a href="#liennbp52" name="nbp52">52 </a><em>Ibidem</em>, p. 178.</p> <p><a href="#liennbp53" name="nbp53">53</a> Hannah Arendt cit&eacute; par Paul Ric&oelig;ur, &laquo;&nbsp;A l&rsquo;horizon de la prescription de l&rsquo;oubli&nbsp;&raquo;, dans Fran&ccedil;oise Barret-Ducrocq [dir.], <em>op. cit.,</em> p. 94.</p> <p><a href="#liennbp54" name="nbp54">54</a> Marc Aug&eacute; cit&eacute; par Paul Ric&oelig;ur, <em>La m&eacute;moire, l&rsquo;histoire, l&rsquo;oubli, op. cit.,</em> p. 655.</p> <p><a href="#liennbp55" name="nbp55">55</a> Paul Ric&oelig;ur, &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;histoire et la repr&eacute;sentation du pass&eacute;&nbsp;&raquo;, <em>Annales. Histoire, Sciences Sociales,</em> 55e ann&eacute;e, n&deg; 4, 2000, p. 736.</p> <p><a href="#liennbp56" name="nbp56">56</a> Kossi Efoui, <em>op.cit.,</em> pp. 154-155</p> <p><a href="#liennbp57" name="nbp57">57</a><em> Ibidem</em>, p. 155.</p> <p><a href="#liennbp58" name="nbp58">58</a> Martin Heidegger, <em>&Ecirc;tre et temps</em>, traduction par Emmanuel Martineau, Paris, &eacute;dition num&eacute;rique hors-commerce, 1985, p. 34, <em>free</em> [en ligne], <a href="http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger_etre_et_temps.pdf">http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger_etre_et_temps.pdf</a>. &laquo; Voilement et d&eacute;voilement de l&rsquo;&ecirc;tre : l&rsquo;&ecirc;tre comme &eacute;nigme&nbsp;&raquo;.</p>