<p style="text-align: right;"><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">&laquo;&nbsp;Au </span><em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">milieu</span></em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times=""> du chemin de notre vie je me retrouvai par une </span><em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">for&ecirc;t obscure</span></em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times=""> car la voie droite &eacute;tait perdue.&nbsp;&raquo; </span></p> <p style="text-align: right;"><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">(Dante, </span><em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">La Divine Com&eacute;die</span></em><span new="" roman="" style="font-size: 12pt; font-family: " times="">)</span></p> <p>Comment redevenir vivant et ne plus avoir les yeux grands ferm&eacute;s ? Comment le visage et le rire de l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute; deviennent <em>Umheimlich</em><a href="#nbp1" name="lienbp1">1</a>&nbsp;? Adaptation de la <em>Traumnovelle </em>de Schnitzler (litt&eacute;ralement : &laquo; nouvelle de r&ecirc;ve &raquo; ou &laquo; nouvelle onirique &raquo;<a href="#nbp2" name="lienbp2">2</a>), <em>Eyes Wide Shut </em>est donc affaire de masques et de d&eacute;guisements : les masques v&eacute;nitiens lors de la sc&egrave;ne du bal au ch&acirc;teau de Somerton, les masques sociaux auxquels on se raccroche et derri&egrave;re lesquels on s&rsquo;oublie (la <em>persona </em>et les r&ocirc;les sociaux jou&eacute;s au quotidien), le statut social (la carte de visite du m&eacute;decin Bill qui passe partout), mais aussi le visage qu&rsquo;on rev&ecirc;t dans l&rsquo;intimit&eacute; et qui n&rsquo;est qu&rsquo;un trompe-l&rsquo;&oelig;il, celui qu&rsquo;on plaque m&eacute;caniquement sur l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute;<a href="#nbp3" name="lienbp3">3</a>, l&rsquo;uniforme de l&rsquo;officier dans le fantasme de Bill (puisqu&rsquo;on ne voit jamais son visage). S&rsquo;il est omnipr&eacute;sent, Kubrick va dans son film faire du masque une exp&eacute;rience radicale puisqu&rsquo;il va lui permettre d&rsquo;interroger la dialectique entre le visible (trompeur) et le cach&eacute; (v&eacute;rit&eacute; enfouie), le vivant et le m&eacute;canique, la r&eacute;alit&eacute; et ses artefacts d&eacute;clin&eacute;e de diverses mani&egrave;res (le r&ecirc;ve, le fantasme&hellip;), etc.</p> <p><br /> 1) Dans <em>Eyes Wide Shut</em>, tout est masque, leurre et simulacre et Kubrick &laquo; manifeste avec &eacute;clat le caract&egrave;re structurellement artificieux [du spectacle de la repr&eacute;sentation]<a href="#nbp4" name="lienbp4">4</a> &raquo;. C&rsquo;est pourquoi la sc&egrave;ne du bal masqu&eacute; et de d&eacute;bauche dans le ch&acirc;teau de Somerton est d&eacute;cisive. Contraint de se d&eacute;masquer devant tous les participants, Bill Harford doit montrer &agrave; tous son visage et &ecirc;tre ainsi identifi&eacute; comme un intrus. Il est ainsi mis &agrave; nu (rappelons que ce d&eacute;masquage est une r&eacute;elle mise &agrave; nu puisque, sans l&rsquo;intervention de Mandy venue le secourir, il aurait d&ucirc; se d&eacute;pouiller de ses v&ecirc;tements)<a href="#nbp5" name="lienbp5">5</a>. On pourrait donc penser que le fait de se d&eacute;masquer non seulement individualise mais singularise Bill autant qu&rsquo;il d&eacute;voile &agrave; ses h&ocirc;tes celui qu&rsquo;il jouait &agrave; &ecirc;tre ou l&rsquo;identit&eacute; qu&rsquo;il dissimulait derri&egrave;re celle qu&rsquo;il simulait d&rsquo;avoir. Cet avatar de visage, ce &laquo; visage non visage, non envisageable<a href="#nbp6" name="liennbp6">6</a> &raquo; v&eacute;nitien qui lui recouvrait le visage et l&rsquo;anonymisait d&eacute;sormais &ocirc;t&eacute;, tout porte &agrave; croire que la v&eacute;rit&eacute; de Bill a &eacute;clat&eacute; au grand jour, de sorte qu&rsquo;il d&eacute;voile aux autres son vrai visage. En ce sens, ce que Kubrick s&rsquo;attache &agrave; montrer, ce sont les rapports sociaux st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;s, les &eacute;changes cordiaux, les conversations polies et tous ces instants o&ugrave; l&rsquo;&ecirc;tre humain est sans cesse en <em>repr&eacute;sentation </em>; aussi met-il en sc&egrave;ne la mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne. Ainsi, dans <em>Eyes Wide Shut</em>, on a toujours affaire &agrave; une beaut&eacute; esth&eacute;tique qui n&rsquo;est qu&rsquo;un leurre, &agrave; des faux-semblants et des mascarades qui faussent jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;intimit&eacute;.</p> <p><br /> 2) Paradoxalement, il faut aussi remarquer que lorsque Bill p&eacute;n&egrave;tre dans le ch&acirc;teau, il n&rsquo;est pas masqu&eacute; et que c&rsquo;est seulement dans le vestibule qu&rsquo;il enfile enfin son masque<a href="#nbp7" name="lienbp7">7</a>. C&rsquo;est d&rsquo;autant plus &eacute;trange que les majordomes qui l&rsquo;accueillent sont eux-m&ecirc;mes masqu&eacute;s et que dans un bal masqu&eacute;, on y arrive d&eacute;j&agrave; int&eacute;gralement costum&eacute;. Tout se passe donc comme si Bill &eacute;tait <em>d&eacute;j&agrave; </em>d&eacute;masqu&eacute; avant m&ecirc;me son introduction dans la soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te (et <em>a fortiori</em> avant le fameux rituel). De m&ecirc;me que la soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te, cet autre monde, ne lui r&eacute;v&egrave;le rien, de m&ecirc;me le visage de Bill n&rsquo;est au fond lui aussi qu&rsquo;un masque (de sorte que derri&egrave;re le masque, il n&rsquo;y a rien &agrave; voir, pas d&rsquo;arri&egrave;re-monde &agrave; p&eacute;n&eacute;trer). Se d&eacute;masquer serait alors &ocirc;ter son masque pour en d&eacute;couvrir un autre, tout masque risquant toujours de cacher un autre masque &ndash; laissant le spectateur incertain. D&egrave;s lors, comment ne pas voir dans un geste aussi anodin que mettre son masque dans le vestibule et non &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur du ch&acirc;teau une intention du r&eacute;alisateur de d&eacute;faire le visage et de &laquo; supprimer avec le vrai monde aussi le monde des apparences<a href="#nbp8" name="lienbp8">8</a> &raquo; ?<br /> D&egrave;s lors, comment voir les choses en elles-m&ecirc;mes si tout n&rsquo;est que fa&ccedil;ade ? Comment &ecirc;tre clairvoyant si la nature premi&egrave;re, originaire, est d&eacute;voy&eacute;e ? Et pourquoi chercher &agrave; d&eacute;masquer le travail n&eacute;gatif de la repr&eacute;sentation si derri&egrave;re elle, il n&rsquo;y a qu&rsquo;un vide terrifiant ?<br /> En ce sens, <em>Eyes Wide Shut</em> est un film crypt&eacute; sinon peut-&ecirc;tre cryptique. Aussi, si Kubrick est rest&eacute; extr&ecirc;mement fid&egrave;le &agrave; la nouvelle de Schnitzler (qu&rsquo;il a cherch&eacute; &agrave; adapter depuis trente ans et qui l&rsquo;a fascin&eacute; depuis bien plus longtemps), c&rsquo;est pour mieux la <em>subvertir de l&rsquo;int&eacute;rieur </em>afin d&rsquo;y glisser ses propres th&egrave;mes et ses propres obsessions. Et c&rsquo;est l&agrave; la t&acirc;che du spectateur : d&eacute;couvrir tout un monde que nous remarquons et ne voyons pas, perceptible m&ecirc;me s&rsquo;il n&rsquo;est pas per&ccedil;u, o&ugrave; grouille toute une vie de signes dans laquelle nous devons &laquo; tenter de retrouver la r&egrave;gle du jeu les yeux grands ferm&eacute;s<a href="#nbp9" name="lienbp9">9</a> &raquo;.</p> <h2><br /> L&rsquo;insoutenable communicabilit&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre : une arch&eacute;ologie du masque (Bergman, Antonioni)</h2> <p><em>Eyes Wide Shut</em> est un film sur l&rsquo;intimit&eacute; au sein du foyer conjugal et filme un couple en crise. D&rsquo;embl&eacute;e, Kubrick dissocie le visage apparent d&rsquo;Alice, souriant, avenant, provocateur et charmeur, de son vrai visage qui constituerait son int&eacute;riorit&eacute;, sa sensibilit&eacute;, ses pens&eacute;es, auquel ni son mari ni le spectateur ne pourront avoir imm&eacute;diatement acc&egrave;s. Aussi ne la connaissons-nous que par le truchement de son discours. Mais toute m&eacute;diation peut s&rsquo;av&eacute;rer &ecirc;tre trompeuse, d&eacute;formante ou illusoire et donc <em>s&rsquo;&eacute;carter </em>de la v&eacute;rit&eacute; qu&rsquo;il s&rsquo;agissait de d&eacute;couvrir. Autrement dit, au c&oelig;ur de l&rsquo;intimit&eacute; du couple se loge un labyrinthe (th&egrave;me kubrickien par excellence puisque chaque film est envahi voire constitu&eacute; par ce motif)<a href="#nbp10" name="lienbp10">10</a>. C&rsquo;est ce que d&eacute;couvre Bill devant la <em>persona </em>d&rsquo;Alice, car s&rsquo;il y a en elle du non-dit, de l&rsquo;indicible et de l&rsquo;imperceptible, le probl&egrave;me devient de savoir comment y acc&eacute;der et la d&eacute;masquer si pr&eacute;cis&eacute;ment les tactiques qui peuvent &ecirc;tre mises en place pour traverser les apparences sont d&eacute;j&agrave; connues de celle dont il partage la vie au quotidien. Comment lire en elle ce qui s&rsquo;y trouve et que pourtant elle cache ?</p> <p>En ce sens, <em>Eyes Wide Shut</em> est donc la critique de ce mythe contemporain selon lequel il serait possible de lire sur les visages, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&eacute;tecter ce qui se passe &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de quelqu&rsquo;un &agrave; travers ses expressions faciales et son comportement. Il y a une incommunicabilit&eacute; entre les &ecirc;tres. C&rsquo;est pourquoi, dans la salle du bal masqu&eacute; de l&rsquo;orgie de Somerton, lorsque Bill &ocirc;te le masque qu&rsquo;il rev&ecirc;t pour l&rsquo;occasion et qui d&eacute;guise ses traits, nous n&rsquo;en voyons pas plus. Il n&rsquo;y a pas de personnage dans le personnage<a href="#nbp11" name="lienbp11">11</a>. Nous n&rsquo;avons jamais acc&egrave;s aux motifs, au sens cach&eacute; des choses que nous pressentons. Kubrick veut donc en finir avec ce &laquo; mythe de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;<a href="#nbp12" name="lienbp12">12</a> &raquo; cher &agrave; l&rsquo;Occident qui voudrait que la v&eacute;rit&eacute; soit quelque chose qui serait l&agrave; tout pr&egrave;s, sous un masque (par exemple le masque d&rsquo;une image) qu&rsquo;on s&rsquo;ent&ecirc;te &agrave; vouloir retirer dans l&rsquo;espoir que la v&eacute;rit&eacute; soit en dessous. Mais dans <em>Eyes Wide Shut</em>, point de v&eacute;rit&eacute; qu&rsquo;on puisse d&eacute;voiler, &agrave; la mani&egrave;re dont Nietzsche dit que toute caverne dissimule une autre caverne et que tout masque ne cache en v&eacute;rit&eacute; qu&rsquo;un autre masque<a href="#nbp13" name="lienbp13">13</a>.</p> <p>Par cons&eacute;quent, aucun &ecirc;tre n&rsquo;a de vrai visage puisqu&rsquo;il n&rsquo;existe que diff&eacute;rents masques, diff&eacute;rentes facettes d&rsquo;un m&ecirc;me individu. De m&ecirc;me, l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;, l&rsquo;intimit&eacute; est labyrinthique et est donc inaccessible. C&rsquo;est pourquoi dans le film de Kubrick, &nbsp;nous sommes confront&eacute;s &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;incommunicabilit&eacute; qu&rsquo;il va proposer comme une exp&eacute;rience exceptionnelle, radicale (et qui compte deux sources).&nbsp;</p> <p>L&rsquo;incommunicabilit&eacute; est d&rsquo;abord chez Bergman l&rsquo;impossibilit&eacute; de pouvoir percer l&rsquo;intimit&eacute; d&rsquo;un autre : autrui nous demeure toujours inaccessible (et c&rsquo;est la raison pour laquelle il filme la d&eacute;faite de l&rsquo;int&eacute;rieur du visage, comme si son &ecirc;tre le rongeait). Dans ses films, tout se passe comme si les individus &eacute;taient comme isol&eacute;s les uns des autres. D&rsquo;autrui on ne peut donc rien comprendre mais on est r&eacute;duit &agrave; ce que l&rsquo;on en imagine. C&rsquo;est pourquoi Bergman &laquo; consume et &eacute;teint le visage<a href="#nbp14" name="lienbp14">14</a> &raquo;. Le visage n&rsquo;est plus alors qu&rsquo;un masque parmi tous les autres qui simule et dissimule ce qu&rsquo;il donne &agrave; voir et fait de nous pour les autres un inconnu : reconnu par eux gr&acirc;ce &agrave; mon visage, je n&rsquo;en demeure pas moins inconnu aux autres et mon intimit&eacute; myst&eacute;rieuse est inaccessible. Il n&rsquo;y a rien derri&egrave;re un visage, et en lui, il n&rsquo;y a aucune profondeur (sans compter que les visages peuvent s&rsquo;ajouter les uns aux autres, se superposer comme des surfaces indiff&eacute;rentes et indiff&eacute;renci&eacute;es). Ainsi, dans <em>Persona</em>, une personne renonce &agrave; son m&eacute;tier d&rsquo;actrice, ne veut plus communiquer, se retrouve frapp&eacute;e d&rsquo;une mutit&eacute; et rev&ecirc;t alors une &eacute;trange ressemblance avec son infirmi&egrave;re. Le titre m&ecirc;me du film, <em>Persona</em>, le dit : c&rsquo;est une histoire de masques, sans plus d&rsquo;&acirc;me par-derri&egrave;re o&ugrave; s&rsquo;arr&ecirc;terait la v&eacute;rit&eacute;, &laquo; la &laquo; v&eacute;rit&eacute; &raquo; n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;une moire insaisissable, passant de visage en visage sans jamais s&rsquo;arr&ecirc;ter<a href="#nbp15" name="lienbp15">15</a> &raquo;. Si le prologue s&rsquo;ouvre sur l&rsquo;image d&rsquo;un enfant qui tente de saisir un visage, il n&rsquo;en reste pas moins que sa tentative demeure vaine et que les visages ne cessent de lui &eacute;chapper. Le film qui suit explique ces visages mais n&rsquo;explique en r&eacute;alit&eacute; qu&rsquo;une seule chose : visage = &eacute;cran = surface = fa&ccedil;ade. Le visage bergmanien est donc d&eacute;vor&eacute; de l&rsquo;int&eacute;rieur, abandonn&eacute; &agrave; une part maudite de mal et d&rsquo;ombre comme le sont les gros plans de visage de Bill Harford qu&rsquo;il est rong&eacute; par la jalousie et le ressentiment. Aussi est-il donc tortur&eacute; par une imagerie qu&rsquo;il s&rsquo;est inocul&eacute; lui-m&ecirc;me et qui ne repose sur aucune r&eacute;alit&eacute;<a href="#nbp16" name="lienbp16">16</a> (on assiste donc ici une confusion entre le r&eacute;el et sa repr&eacute;sentation fantasm&eacute;e, imagin&eacute;e).</p> <p>&Agrave; l&rsquo;inverse, chez Antonioni (qui est aussi un cin&eacute;aste du d&eacute;litement du couple), l&rsquo;incommunicabilit&eacute; correspond &agrave; l&rsquo;inad&eacute;quation d&rsquo;un individu au monde et &agrave; autrui. &laquo; Antonioni cherche le d&eacute;sert<a href="#nbp17" name="lienbp17">17 </a>&raquo; : il cherche le d&eacute;sert partout o&ugrave; il se trouve, y compris dans le visage. Antonioni produit donc un nouveau sentiment de la r&eacute;alit&eacute; marqu&eacute; par l&rsquo;impression de d&eacute;sorientation, d&rsquo;&eacute;garement et la sensation d&rsquo;&eacute;tranget&eacute;. Les personnages, fragilis&eacute;s par l&rsquo;inconnu moral, la faillite des sentiments (ou comme le disait Antonioni, &laquo; nous sommes malades d&rsquo;Er&ocirc;s&raquo;<a href="#nbp18" name="lienbp18">18</a>), se retrouvent en prise avec un r&eacute;el dans lequel ils n&rsquo;ont plus de rep&egrave;re. Ils sont autant habit&eacute;s d&rsquo;un malaise int&eacute;rieur et d&rsquo;un sentiment de solitude, que marqu&eacute;s par une &laquo; v&eacute;ritable absence au monde<a href="#nbp19" name="lienbp19">19</a> &raquo; qui les met en qu&ecirc;te de leur identit&eacute; ou du sens du monde. C&rsquo;est pourquoi, chez Antonioni, le personnage est &laquo; perdu dans la r&eacute;alit&eacute; comme dans un d&eacute;sert<a href="#nbp20" name="lienbp20">20</a> &raquo;. D&egrave;s lors, comment deux individus en proie au malaise int&eacute;rieur et absents au monde peuvent-ils ne pas &ecirc;tre &eacute;trangers l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre ? Parce que tous les personnages manquent de rep&egrave;re et sont dans un &eacute;tat de perp&eacute;tuel flottement, ils sont toujours en <em>retrait</em>, pr&eacute;sents en m&ecirc;me temps qu&rsquo;absents, de sorte que leurs relations sont toujours plac&eacute;es sous le signe du d&eacute;tachement (qu&rsquo;Antonioni montrera en pla&ccedil;ant ses personnages aux deux extr&eacute;mit&eacute;s du cadre ou en utilisant des objets qui sont autant d&rsquo;effets de distanciation). L&rsquo;incommunicabilit&eacute; ne vient donc plus comme chez Bergman d&rsquo;une impossibilit&eacute; &agrave; entrer dans la t&ecirc;te et dans l&rsquo;esprit de l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute; mais d&rsquo;une impossible proximit&eacute; : quoi qu&rsquo;ils fassent, les couples sont toujours &agrave; distance, incapables de nouer les liens.<br /> &nbsp;&nbsp; &nbsp;</p> <p>Ce dont Kubrick h&eacute;rite d&rsquo;Antonioni, c&rsquo;est Bill, &laquo; malade d&rsquo;Eros &raquo; et rong&eacute; par la jalousie, en perp&eacute;tuelle inad&eacute;quation au monde dans lequel il n&rsquo;est au mieux que tol&eacute;r&eacute; : &agrave; la r&eacute;ception des Ziegler, il ne conna&icirc;t personne, signe qu&rsquo;il n&rsquo;est pas du m&ecirc;me monde, &agrave; l&rsquo;orgie il vient en taxi alors que les autres sont arriv&eacute;s en limousine, ou encore dans son foyer o&ugrave; il croit savoir qui est sa femme avant de d&eacute;couvrir qu&rsquo;elle n&rsquo;est pas celle qu&rsquo;elle para&icirc;t &ecirc;tre. C&rsquo;est &eacute;galement son errance nocturne au c&oelig;ur d&rsquo;une ville cauchemar en forme de labyrinthe, une ville intemporelle et &eacute;trange qui est &laquo; un d&eacute;sert d&rsquo;un nouveau genre<a href="#nbp21" name="lienbp21">21</a> &raquo;. Kubrick fait donc vivre &agrave; Bill l&rsquo;exp&eacute;rience du d&eacute;sert et le transforme en <em>nomade </em>o&ugrave; tout ce qui se construit ne laisse rien sur son passage qui pourrait le perp&eacute;tuer et dans lequel les myst&egrave;res s&rsquo;ajoutent les uns aux autres sans qu&rsquo;on ne parvienne &agrave; une explication nette, objective et d&eacute;finitive des ph&eacute;nom&egrave;nes<a href="#nbp22" name="lienbp22">22</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Que met en lumi&egrave;re Victor Ziegler ?</h2> <p>L&rsquo;une des nouveaut&eacute;s de Kubrick qui ne figure pas dans la <em>Traumnovelle </em>de Schnitzler est l&rsquo;invention d&rsquo;un personnage original : Victor Ziegler, dont on ne sait au fond rien si ce n&rsquo;est qu&rsquo;il a un appartement cossu et une vie tr&egrave;s ais&eacute;e. En cela, il est un homme tr&egrave;s riche et influent (donc puissant). Or, &laquo; les diff&eacute;rences de d&eacute;tail sont importantes<a href="#nbp23" name="lienbp23">23</a> &raquo;. La question est donc de savoir ce que permet ce personnage de Ziegler et en quoi son existence &eacute;tait n&eacute;cessaire &agrave; Kubrick et sa pr&eacute;sence indispensable.&nbsp;</p> <p>Ziegler est un point de <em>passage </em>incontournable (ce que Dufour appellerait aussi un &laquo; grand imagier<a href="#nbp24" name="lienbp24">24 </a>&raquo;) car il occupe des moments qui ont chacun un r&ocirc;le d&eacute;cisif quant &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie du film. Le cheminement qu&rsquo;il op&egrave;re se fait en trois &eacute;tapes correspondant &agrave; trois statuts successifs : celui de chef op&eacute;rateur, celui de spectateur puis celui de metteur en sc&egrave;ne.</p> <p>Dans un premier mouvement, le personnage de Ziegler, parce qu&rsquo;il est l&rsquo;h&ocirc;te de la r&eacute;ception inaugurale, est celui qui organise le cadrage et qui met en sc&egrave;ne la salle de bal avec une myriade d&rsquo;ampoules : il met donc en sc&egrave;ne la lumi&egrave;re elle-m&ecirc;me. En effet, presque toute l&rsquo;image est &eacute;clair&eacute;e par les lumi&egrave;res m&ecirc;mes que nous voyons dans l&rsquo;image, d&rsquo;autant que le contexte de No&euml;l lui permet de multiplier les petites ampoules (une indication d&rsquo;&eacute;clairage dans la nouvelle de Schnitzler va dans ce sens : &laquo; et soudain scintill&egrave;rent une foule de petites ampoules &raquo;). Or, l&rsquo;impression premi&egrave;re du spectateur d&rsquo;<em>Eyes Wide Shut</em> est de rep&eacute;rer cette lumi&egrave;re survolt&eacute;e, toujours pr&eacute;sente et partout exhib&eacute;e. Contrairement &agrave; ce qu&rsquo;en a &eacute;crit Douchet, elle ne fait pas &laquo; riche<a href="#nbp25" name="lienbp25">25</a>&raquo; : elle fait <em>faux</em>. Tout se passe comme si c&rsquo;&eacute;tait le d&eacute;cor qui renvoyait l&rsquo;&eacute;clairage, illuminait l&rsquo;int&eacute;rieur des lieux, &eacute;blouissait l&rsquo;&eacute;cran (et <em>a fortiori </em>le spectateur). Mais ce faisant, elle force l&rsquo;image et intensifie la repr&eacute;sentation, ce qui produit sur le spectateur une impression d&rsquo;&eacute;tranget&eacute; des d&eacute;cors. La lumi&egrave;re est donc un leurre, un simulacre, un travestissement de la beaut&eacute; : tout est fa&ccedil;ade (en apparence tout brille et &eacute;blouit mais en apparence seulement). La lumi&egrave;re est donc dot&eacute;e &laquo; d&rsquo;une peau parasite qu&rsquo;il faudrait arracher, un masque qu&rsquo;il faudra d&eacute;poser<a href="#nbp26" name="lienbp26">26</a> &raquo; pour d&eacute;jouer les faux-semblants : la lumi&egrave;re <em>masque</em>. Ziegler agit donc comme le chef op&eacute;rateur qui demanderait de filmer les choses comme si ce n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un r&ecirc;ve ou comme si c&rsquo;&eacute;tait un r&ecirc;ve &eacute;veill&eacute; afin de faire confondre &agrave; son spectateur le r&eacute;el et sa repr&eacute;sentation imagin&eacute;e ou fantasm&eacute;e (o&ugrave; s&rsquo;arr&ecirc;tent les images mentales et o&ugrave; commencent les images de la vie quotidienne ?).</p> <p>Dans un deuxi&egrave;me moment, qui tient &agrave; la r&eacute;ception mondaine elle-m&ecirc;me, Ziegler op&egrave;re une travers&eacute;e du miroir et se retrouve spectateur de ce cadre. Il appara&icirc;t en effet passif et immobile. D&rsquo;une part, guettant chaque nouvelle entr&eacute;e dans le vestibule, il r&eacute;p&egrave;te les m&ecirc;mes banalit&eacute;s &agrave; tous les individus qu&rsquo;ils re&ccedil;oivent avec sa femme. Kubrick met en sc&egrave;ne la mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne avec ces conversations cordiales et polic&eacute;es et cette vie en repr&eacute;sentation qui est la n&ocirc;tre d&egrave;s lors que nous vivons en bonne soci&eacute;t&eacute;. Bien qu&rsquo;&agrave; visages d&eacute;couverts, tous les h&ocirc;tes rev&ecirc;tent donc &agrave; cette occasion un masque, une <em>persona</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire un moi social ou un &laquo; moi de surface<a href="#nbp27" name="lienbp27">27</a> &raquo;. Victor y joue le r&ocirc;le de l&rsquo;h&ocirc;te d&eacute;vou&eacute;, appliqu&eacute; et dot&eacute; d&rsquo;un certain sens de l&rsquo;humour (il est le seul &agrave; pouvoir faire des blagues). D&rsquo;autre part, dans la salle de bains dans laquelle il a recours &agrave; Bill pour intervenir aupr&egrave;s d&rsquo;une femme, Mandy, victime d&rsquo;une overdose, il semble d&eacute;pass&eacute; et inquiet pour la situation. L&rsquo;autre versant de la r&eacute;ception (drogue, prostitution, luxure) ne lui donne donc seulement qu&rsquo;un r&ocirc;le de t&eacute;moin.</p> <p>Ziegler est alors comme le spectateur du film a recours aux images cin&eacute;matographiques pour soigner ses maux par la dimension cathartique de la repr&eacute;sentation.&nbsp;</p> <p>Dans un troisi&egrave;me moment, la s&eacute;quence du billard, il devient le metteur en sc&egrave;ne des images afin de pouvoir faire le film des &eacute;v&egrave;nements. Il se place comme celui qui voit tout (qui conna&icirc;t toute la machinerie du cin&eacute;ma) et qui peut aussi donner un sens &agrave; des images qui &eacute;chappent &agrave; Bill.<br /> - Il se met en sc&egrave;ne &agrave; l&rsquo;&eacute;cran. Au cours de l&rsquo;entrevue, il doit <em>faire le point</em> sur ce qui aurait &eacute;chapp&eacute; &agrave; Bill, <em>mettre les choses en lumi&egrave;re</em> mais elle est un v&eacute;ritable puzzle dans la mesure o&ugrave; on n&rsquo;est jamais certain de savoir, derri&egrave;re cette cordialit&eacute; que Victor Ziegler affiche, si elle est sinc&egrave;re ou si elle cache quelque chose. Ziegler est alors en repr&eacute;sentation &nbsp;devant Bill, d&rsquo;o&ugrave; un jeu quelque peu th&eacute;&acirc;tralis&eacute;, et son discours laisse des trous dans le r&eacute;cit malgr&eacute; son explication parcellaire.<br /> - Ziegler est-il le personnage qui transforme tout en repr&eacute;sentation et pour qui tout est affaire de mise en sc&egrave;ne, y compris la mise en sc&egrave;ne elle-m&ecirc;me (il est celui pour qui bal masqu&eacute; = th&eacute;&acirc;tre = spectacle = repr&eacute;sentation). Il met donc en avant la subtilit&eacute; que le bal masqu&eacute; de Somerton nous propose avec sa mise en sc&egrave;ne artificielle et ritualis&eacute;e est mis en sc&egrave;ne par une autre mascarade, par l&rsquo;artifice supr&ecirc;me, par une mise en sc&egrave;ne tout autant stylis&eacute;e : le cin&eacute;ma (tout est repr&eacute;sentation puisqu&rsquo;il y a une perp&eacute;tuelle <em>mise en abyme</em> de la repr&eacute;sentation). C&rsquo;est pourquoi il &laquo; manifeste avec &eacute;clat le caract&egrave;re structurellement artificieux [du spectacle de la repr&eacute;sentation]<a href="#nbp28" name="lienpb28">28 </a>&raquo;.</p> <p>D&eacute;cisif et lumineux, Ziegler a &eacute;t&eacute; ajout&eacute; parce qu&rsquo;il est un &ecirc;tre de cellulo&iuml;d appartient au cin&eacute;ma et, gr&acirc;ce &agrave; ses multiples r&ocirc;les (chef op&eacute;rateur, spectateur, metteur en sc&egrave;ne), il permet d&rsquo;actualiser &agrave; l&rsquo;&eacute;cran cette coalescence du physique et du mental, du r&eacute;el et du virtuel qui s&rsquo;op&egrave;re dans l&rsquo;esprit de Bill dans son odyss&eacute;e nocturne.</p> <h2>Au c&oelig;ur de l&rsquo;image, une obsession masqu&eacute;e&hellip;</h2> <p>Quand on regarde le film, tout semble clair (y compris le myst&egrave;re). Il nous semble pourtant que quelque chose nous &eacute;chappe et qu&rsquo;on est, comme Bill &laquo; les yeux grands ferm&eacute;s &raquo;. Et dans le m&ecirc;me temps, le film s&rsquo;ouvre sur une r&eacute;plique d&rsquo;Alice &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de Bill : &laquo; tu ne m&rsquo;as m&ecirc;me pas regard&eacute; &raquo; qui montre au contraire qu&rsquo;il faut savoir <em>bien regarder</em> ce qu&rsquo;on nous montre. L&rsquo;image d&rsquo;<em>Eyes Wide Shut </em>est un &laquo; masque absolu<a href="#nbp29" name="lienbp29">29&nbsp;</a> mais, si ce qui est &agrave; voir n&rsquo;est pas montr&eacute; comme tel explicitement, il n&rsquo;en reste pas moins que les images sont truff&eacute;es de signes, de d&eacute;tails, de couleurs et de symboles. Peut-&ecirc;tre faut-il alors se demander, non pas &laquo; qu&rsquo;y a-t-il derri&egrave;re l&rsquo;image ? &raquo; c&rsquo;est-&agrave;-dire le masque puisqu&rsquo;il n&rsquo;y a rien, mais &laquo; qu&rsquo;y a-t-il &agrave; voir dans l&rsquo;image<a href="#nbp30" name="lienbp30">30 </a>&nbsp;? &raquo;.&nbsp;</p> <p>Mais que fallait-il vraiment voir qui nous a &eacute;chapp&eacute; ? Si les &eacute;nigmes se multiplient dans le film, l&rsquo;une d&rsquo;entre elles appara&icirc;t cruciale : pourquoi le masque de Bill se retrouve-t-il sur son oreiller alors m&ecirc;me qu&rsquo;on l&rsquo;a vu glisser le sac avec son d&eacute;guisement dans le meuble du salon ? Lorsque Bill rentre en effet chez lui apr&egrave;s l&rsquo;entrevue avec Ziegler, il trouve pos&eacute; &agrave; sa propre place sur l&rsquo;oreiller le masque qu&rsquo;il portait &agrave; Somerton. Est-ce son &eacute;pouse qui l&rsquo;a retrouv&eacute; comme dans la nouvelle de Schnitzler ? Ou l&rsquo;a-t-on pos&eacute; sur l&rsquo;oreiller en guise d&rsquo;avertissement ? Si la premi&egrave;re solution nous semble na&iuml;ve et qu&rsquo;intuitivement nous lui pr&eacute;f&eacute;rons la seconde, encore faut-il expliquer quel serait le contenu de l&rsquo;avertissement.</p> <p>Si on se rappelle l&rsquo;ouverture du film, on voit Alice Harford laisser tomber sa robe pour appara&icirc;tre dans toute la splendeur de sa nudit&eacute;. Si la sc&egrave;ne ne dure que quelques secondes, elle permet de poser malgr&eacute; tout la structure du film : l&agrave; o&ugrave; notre regard de spectateur s&rsquo;est tourn&eacute; vers le sujet apparent (l&rsquo;&eacute;rotisme d&rsquo;Alice), il n&rsquo;a pas saisi l&rsquo;essentiel, &agrave; savoir la mani&egrave;re dont elle se d&eacute;v&ecirc;tit, geste qui sera semblable aux femmes qu&rsquo;on rencontrera plus tard au manoir de Somerton. Le titre du film qui surgit juste apr&egrave;s sonne donc comme un avertissement : si le spectateur pensait avoir tout vu, il n&rsquo;avait en fait rien vu. Les s&eacute;quences du film ne sont en effet pas li&eacute;es seulement par la narration : elles le sont aussi par des liens esth&eacute;tiques (ici un geste) et comprendre le film, c&rsquo;est saisir ces &eacute;l&eacute;ments esth&eacute;tiques qui permettent de relier les s&eacute;quences entre elles afin de lui re-cr&eacute;er un sens. Ici la robe noire qui tombe d&egrave;s ce premier plan annonce en effet la chute des capes des femmes dans le ch&acirc;teau de Somerton. Tout laisse donc &agrave; penser qu&rsquo;Alice s&rsquo;&eacute;tait d&eacute;j&agrave; d&eacute;shabill&eacute;e lors du rituel de la soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te comme certaines autres femmes dans le film. C&rsquo;est pourquoi on peut affirmer avec Laurent Vachaud que &laquo; le film va nous montrer une femme manipul&eacute;e par une soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te, jusque dans son inconscient et &agrave; l&rsquo;insu de son mari<a href="#nbp31" name="lienbp31">31</a> &raquo;.</p> <p>D&egrave;s lors, <em>Eyes Wide Shut</em> n&rsquo;est pas une histoire d&rsquo;infid&eacute;lit&eacute; possible ou r&eacute;elle. Ce n&rsquo;est pas une question de morale mais une affaire de domination, de manipulation, de contr&ocirc;le et d&rsquo;ali&eacute;nation. Si Alice a un secret pour Bill, ce n&rsquo;est pas d&rsquo;avoir fantasm&eacute; sur un homme avec qui elle &eacute;tait pr&ecirc;te &agrave; refaire sa vie (comme l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne de Stefan Zweig dans <em>Vingt-quatre heures de la vie d&rsquo;une femme</em>) mais le fait qu&rsquo;elle ait &eacute;t&eacute; une esclave sexuelle comme toutes ces femmes qu&rsquo;il a vues lors de l&rsquo;orgie. Alice est donc une femme qui a &eacute;t&eacute; conditionn&eacute;e par la violence physique et psychologique au point d&rsquo;&ecirc;tre ali&eacute;n&eacute;e et qui se retrouvait lors de ces orgies d&eacute;poss&eacute;d&eacute;e, &eacute;trang&egrave;re &agrave; elle-m&ecirc;me. Ces &ecirc;tres sont plong&eacute;s dans ce que le psychologue am&eacute;ricain Milgram nommait &laquo; un &eacute;tat agentique<a href="#npb32" name="lienbp32">32</a> &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire un &eacute;tat dans lequel on a un sentiment de libert&eacute; mais o&ugrave; on est conditionn&eacute; par l&rsquo;autorit&eacute; qui nous impose nos d&eacute;cisions et nos comportements (parfois de mani&egrave;re inconsciente certains gestes). On retrouve log&eacute; au c&oelig;ur de cette histoire de jalousie conjugale o&ugrave; rien ne se passe une histoire d&rsquo;individus qui se croient libres de leur choix alors qu&rsquo;ils sont manipul&eacute;s et que leurs esprits sont <em>contr&ocirc;l&eacute;s </em>par une puissance sup&eacute;rieure (tout se passe comme si Kubrick avait pris la nouvelle de Schnitzler pour y introduire ce th&egrave;me du contr&ocirc;le de l&rsquo;esprit qui lui est cher). Aussi l&rsquo;avertissement de la soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te pourrait &ecirc;tre celui-ci : &laquo; nous avons acc&egrave;s &agrave; ta femme &raquo;. Si Alice pouvait &ecirc;tre, ce soir-l&agrave; ou d&rsquo;autres, &agrave; Somerton, le second r&ecirc;ve qu&rsquo;elle confesse &agrave; Bill pourrait &ecirc;tre le r&eacute;cit des souvenirs d&rsquo;une exp&eacute;rience pass&eacute;e, des r&eacute;sidus d&rsquo;une personnalit&eacute; autre que le conditionnement aurait programm&eacute;<a href="#nbp33" name="lienbp33">33</a>. L&agrave; o&ugrave; dans <em>Full Metal Jacket</em>, les GI&rsquo;s se m&eacute;tamorphosaient en machines &agrave; tuer pr&ecirc;tes &agrave; tuer sur l&rsquo;&eacute;coute d&rsquo;un simple mot, les femmes de Somerton sont format&eacute;es pour &ecirc;tre des &laquo; robots humains &raquo;, des objets de plaisir vou&eacute; &agrave; satisfaire les fantasmes sexuels masculins, c&rsquo;est-&agrave;-dire des <em>mannequins </em>(au double sens de tr&egrave;s belles femmes mais transform&eacute;es en automates)<a href="#nbp34" name="lienbp34">34</a>. Ce que d&eacute;nonce visiblement la sc&egrave;ne (c&rsquo;est-&agrave;-dire de mani&egrave;re paradoxalement invisible, comme cach&eacute; en plein jour), c&rsquo;est l&rsquo;influence de l&rsquo;occultisme sur les femmes et ses enfants et la possibilit&eacute; pour les individus d&rsquo;&ecirc;tre contr&ocirc;l&eacute;s jusque dans leur intimit&eacute; par une puissance secr&egrave;te<a href="#nbp35" name="lienbp35">35</a>. Ainsi, cette confusion entre les &ecirc;tres vivants avec des automates induit une d&eacute;shumanisation de certains &ecirc;tres qui ne sont plus consid&eacute;r&eacute;s comme des &ecirc;tres humains mais comme de simples objets instrumentalis&eacute;s et transform&eacute;s en objet de jouissance. Voir ceci ne peut se faire qu&rsquo;&agrave; la condition d&rsquo;&laquo; ouvrir les yeux aussi grands que possible<a href="#nbp36" name="lienbp36">36</a> &raquo; et qu&rsquo;on regarde attentivement les images.</p> <p>Or, cette explication n&rsquo;en est pas vraiment une puisqu&rsquo;une nouvelle question appara&icirc;t : jusqu&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;emprise s&rsquo;&eacute;tend-elle ? Jusqu&rsquo;&agrave; la petite fille du couple ? Si Schnitzler ne lui avait pas donn&eacute; de nom, Kubrick va lui en donner un : Helena. La raison est que les enfants, symboles d&rsquo;innocence et de puret&eacute;, peuvent aussi &ecirc;tre programm&eacute;s, conditionn&eacute;s et qu&rsquo;on peut les pr&eacute;d&eacute;terminer comme de petits automates. Sans doute l&rsquo;une des cl&eacute;s de lecture du film se trouve-t-elle dans cette affiche publicitaire pour une station de ski d&eacute;pos&eacute;e dans le d&eacute;cor de <em>Shining </em>qui porte le nom de MONARCH<a href="#nbp37" name="lienbp37">37</a>. Par l&agrave; m&ecirc;me, le th&egrave;me cod&eacute; de l&rsquo;enfance maltrait&eacute;e affleure. Kubrick, notamment dans la sc&egrave;ne o&ugrave; Alice est montr&eacute;e en train de se maquiller pour un parfait objet de d&eacute;sir et de coiffer sa fille Helena comme une poup&eacute;e. De m&ecirc;me, dans le magasin de jouets, elle brandit fi&egrave;rement une poup&eacute;e Barbie avec des ailes de papillon. La <em>Traumnovelle </em>devient ainsi avec Kubrick une <em>Trauma-novelle</em> dans laquelle il s&rsquo;agit pour lui de montrer la transformation possible de la m&egrave;re mais aussi de sa fille en <em>poup&eacute;e</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire en cr&eacute;ature inanim&eacute;e qui pourrait se retrouver dans les soir&eacute;es de Somerton comme esclave sexuelle. L&rsquo;enjeu est de d&eacute;noncer l&rsquo;emprise d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te qui ali&egrave;ne tous ses participants qui les r&eacute;ifie, et d&rsquo;en d&eacute;noncer la puissance corruptrice qui s&rsquo;&eacute;tend jusqu&rsquo;aux enfants qu&rsquo;on va programmer et maltraiter<a href="#nbp38" name="lienbp38">38</a>. Il faut donc ouvrir les yeux en grand, en prendre conscience pour que ce programme de contr&ocirc;le de l&rsquo;esprit ne vienne pas pervertir les enfants.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>Conclusion : &laquo; Ah si vous les Hommes saviez&hellip; &raquo;</h2> <p>Dans <em>Eyes Wide Shut</em>, &laquo; c&rsquo;est le cerveau qui est mis en sc&egrave;ne<a href="#nbp39" name="lienbp39">39</a> &raquo; et c&rsquo;est dans son exploration, en plongeant dans l&rsquo;infiniment intime, dans les gouffres du psychisme o&ugrave; se rencontrent <em>Eros </em>et <em>Thanatos</em>, que se trouve la cl&eacute; du myst&egrave;re conjugal. <em>Si</em>&nbsp;Kubrick nous projette dans les &laquo; zones les plus intimes de l&rsquo;individu, le probl&egrave;me du couple, la crise de l&rsquo;identit&eacute;<a href="#nbp40" name="lienbp40">40 </a>&nbsp;&raquo; et il met en lumi&egrave;re cette volont&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre humain de se d&eacute;personnaliser et de d&eacute;personnaliser autrui en le soumettant &agrave; une logique instrumentale (le traitement &laquo; Ludovico &raquo; d&rsquo;<em>Orange M&eacute;canique</em>, le contr&ocirc;le de la pens&eacute;e) ou utilitaire (Bill qui ne regarde plus Alice d&egrave;s la s&eacute;quence d&rsquo;ouverture d&rsquo;<em>Eyes Wide Shut</em>). Et si <em>Fidelio </em>est le mot de passe qui donne acc&egrave;s au monde obscur, &agrave; un monde th&eacute;&acirc;tralis&eacute;, masqu&eacute;, &agrave; une soci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te qui appara&icirc;t comme la cristallisation de tous les fantasmes sexuels, c&rsquo;est parce que &laquo; la fid&eacute;lit&eacute; prend des chemins que l&rsquo;on n&rsquo;attend pas forc&eacute;ment<a href="#nbp41" name="lienbp41">41</a> &raquo;. Car la question est bien l&agrave; : comment rester fid&egrave;le &agrave; l&rsquo;autre si la repr&eacute;sentation que j&rsquo;en ai est infid&egrave;le ? L&rsquo;errance nocturne de Bill est donc un voyage initiatique qui doit lui permettre de r&eacute;sorber l&rsquo;&eacute;cart qui le s&eacute;pare de sa femme et qui, parce qu&rsquo;il la regardait les yeux grands ferm&eacute;s, a fait d&rsquo;elle une inconnue. Semblable &agrave; Ulysse qui ne reconna&icirc;t pas Ithaque, Bill va donc devoir parcourir le monde (et explorer son int&eacute;riorit&eacute;), se risquer dans diff&eacute;rentes aventures, r&eacute;elles ou r&ecirc;v&eacute;es, fantasm&eacute;es pour pouvoir revenir chez lui ; l&rsquo;ellipse finale qui s&rsquo;en suit o&ugrave; nous retrouvons les &eacute;poux au matin, Alice avec le nez et les yeux rougis, les traits tir&eacute;s, montrent qu&rsquo;une longue nuit a &eacute;t&eacute; n&eacute;cessaire pour que les deux &ecirc;tres se comprennent<em> face-&agrave;-face</em> et <em>sans masque</em>. N&eacute;anmoins, si notre int&eacute;riorit&eacute; est labyrinthique, &laquo; la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;une nuit ou m&ecirc;me celle de toute une vie ne peut &ecirc;tre l&rsquo;intime v&eacute;rit&eacute; de quelqu&rsquo;un &raquo;. Conscients d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; illusionn&eacute;s par une image cristallis&eacute;e de l&rsquo;autre, ils n&rsquo;en acc&egrave;dent pas pour autant &agrave; leur vrai visage. Nul ne peut entrer dans la t&ecirc;te d&rsquo;un autre (<em>Eyes Wide Shut</em> est donc un film objectif) : on est toujours &agrave; la porte d&rsquo;autrui comme on est &agrave; la porte du paradis. Nous sommes alors confront&eacute;s &agrave; l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; romanesque par excellence : les portes vont-elles s&rsquo;ouvrir ? Va-t-on rester &agrave; la porte ?</p> <p>Aussi s&rsquo;agit-il de comprendre dans un couple que le voyage avec et vers l&rsquo;autre est toujours inachev&eacute;, &agrave; reprendre <em>&agrave; chaque instant</em>. L&rsquo;enjeu est donc de s&rsquo;&eacute;veiller, de se lib&eacute;rer de l&rsquo;imagerie et des repr&eacute;sentations <em>d&eacute;form&eacute;es </em>(parfois hallucinatoires et fantasm&eacute;es) qu&rsquo;on se fait de l&rsquo;autre et qu&rsquo;on projette sur lui. C&rsquo;est aussi percevoir l&rsquo;inconnu dans le connu, voir l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute; qui est toujours le m&ecirc;me et qui est aussi pourtant autre : re-conna&icirc;tre l&rsquo;autre. Si Bill et Alice sont donc &laquo; reconnaissants &raquo;, c&rsquo;est parce qu&rsquo;ils ont pu se reconna&icirc;tre et se reconnecter. C&rsquo;est pourquoi ils sont &eacute;veill&eacute;s et c&rsquo;est pourquoi ils doivent re-prendre leur odyss&eacute;e au plus vite en se reconnectant aussi charnellement&hellip;</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><strong>Bibliographie</strong><br /> Aumont Jacques, <em>Du visage au cin&eacute;ma</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, 1992.<br /> Bonitzer&nbsp;Pascal, <em>Le champ aveugle</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma- Gallimard, 1982.<br /> Bonitzer Pascal, <em>D&eacute;cadrages</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma/&Eacute;d. de l&rsquo;&Eacute;toile, 1985.<br /> Ciment Michel, <em>Kubrick</em>, Paris, Calmann-L&eacute;vy, 2004.<br /> Chion Michel, <em>Stanley Kubrick : l&rsquo;humain, ni plus, ni moins,</em> Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, 2005.<br /> Daney Serge, <em>La rampe</em> [1983], Paris, Cahiers du cin&eacute;ma,&nbsp;&laquo; Petite biblioth&egrave;que des Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 1996.<br /> Deleuze&nbsp;Gilles, Guattari&nbsp;F&eacute;lix, <em>Mille plateaux</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1980.<br /> Deleuze Gilles, <em>Cin&eacute;ma 1. L&rsquo;image-mouvement</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1983.<br /> Deleuze Gilles, <em>Cin&eacute;ma 2. L&rsquo;image-temps</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1985.<br /> Deleuze Gilles, <em>Le Pli. Leibniz et le Baroque</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1987.<br /> Douchet Jean, <em>La DVDoth&egrave;que de Jean Douchet</em>, 2006, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, &laquo; Petite biblioth&egrave;que des Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 2006.<br /> Leprohon&nbsp;Pierre, <em>Antonioni</em>, Paris, Seghers,&nbsp;&laquo; Cin&eacute;astes d&rsquo;aujourd&rsquo;hui &raquo;, 1969.<br /> Milgram Stanley, <em>Soumission &agrave; l&#39;autorit&eacute;. Un point de vue exp&eacute;rimental </em>[1974], Paris, Calmann-L&eacute;vy, 1994.<br /> Nietzsche Friedrich, <em>Le gai savoir </em>[1882], Paris, Flammarion, 2000.<br /> Nietzsche Friedrich, <em>Par-del&agrave; bien et mal</em> [1886], Paris, GF Flammarion, 2000.<br /> Nietzsche Friedrich, <em>Cr&eacute;puscule des idoles</em> [1888], Paris, GF Flammarion, 2005.<br /> Pr&eacute;dal Ren&eacute;, <em>Esth&eacute;tique de la mise en sc&egrave;ne</em>, Cond&eacute;-sur-Noireau, &Eacute;d. du Cerf, 2007.<br /> Frederic Raphael, Kubrick Stanley, <em>Eyes Wide Shut</em>, Paris, Ballantine, 1999.<br /> Schnitzler Arthur, <em>Double r&ecirc;ve</em> [1925], Paris, Rivages,&nbsp;&laquo; Petite biblioth&egrave;que &raquo;, 2023.</p> <hr /> <p><a href="#lienbp1" name="nbp1">1</a> <em>Das Umheimliche</em>, concept freudien d&eacute;velopp&eacute; dans l&rsquo;ouvrage <em>L&rsquo;inqui&eacute;tant familier</em> (1933), qui peut &ecirc;tre traduit par &laquo; l&rsquo;inqui&eacute;tant familier &raquo;, &laquo; l&rsquo;&eacute;trange familier &raquo; ou encore &laquo; les d&eacute;mons familiers &raquo; est ce qui provoque l&rsquo;angoisse : ce qui est familier ou sympathique d&eacute;clenche soudain l&rsquo;inqui&eacute;tude (une maison accueillante qui, subitement, fait peur, des r&eacute;p&eacute;titions et des co&iuml;ncidences involontaires, les doubles, son propre visage qu&rsquo;on croise dans un miroir ou encore le visage d&rsquo;un &ecirc;tre aim&eacute; qu&rsquo;on ne reconna&icirc;t plus et qui nous en r&eacute;v&egrave;le l&rsquo;inaccessibilit&eacute;).</p> <p><a href="#lienbp2" name="nbp2">2 </a>&nbsp;Rappelons que le titre original devait &ecirc;tre <em>Doppelnovelle</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire &laquo; nouvelle du double &raquo;, ce qui insiste sur cette figure du double qu&rsquo;on retrouvera dans le livre et dans le film (deux r&eacute;ceptions, deux prostitu&eacute;es, deux mannequins aux bras de Bill, Milich et sa fille&hellip;).</p> <p><a href="#lienbp3" name="nbp3">3</a> Nous rappellerons ici que le film s&rsquo;ouvre sur Bill qui voit Alice sur la cuvette des toilettes, moment intime et capt&eacute; par Kubrick car, aussi beau que soit le corps de l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute;, nous sommes jour apr&egrave;s jour confront&eacute;s &agrave; son vieillissement, &agrave; sa fonction m&eacute;canique et triviale, &agrave; sa lancinante promiscuit&eacute;.</p> <p><a href="#lienbp4" name="nbp4">4</a> Jean Douchet, <em>La DVDoth&egrave;que de Jean Douchet</em>, 2006, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, &laquo; Petite biblioth&egrave;que des Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 2006, p. 48.</p> <p><a href="#lienbp5" name="nbp5">5</a> Pr&eacute;cisons que, dans <em>Traumnovelle</em>, Fridolin apporte une pr&eacute;cision d&eacute;cisive pour le point qui nous occupe ici puisque pour lui, &laquo; il lui semblait mille fois pire d&rsquo;&ecirc;tre le seul sans loup au milieu de tous ces gens masqu&eacute;s que d&rsquo;&ecirc;tre soudain nu au milieu de gens habill&eacute;s &raquo; (Arthur Schnitzler, <em>Double r&ecirc;ve</em> [1925], Paris, Rivages, &laquo; Petite biblioth&egrave;que &raquo;, 2023, p. 89). Ce qui revient &agrave; dire que se d&eacute;masquer ne se r&eacute;duit pas &agrave; se mettre &agrave; nu mais que c&rsquo;est une exp&eacute;rience bien pire.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a>&nbsp;Jacques Aumont, <em>Du visage au cin&eacute;ma</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma, 1992, p. 190.</p> <p><a href="#lienbp7" name="nbp7">7</a>&nbsp;Ici, Kubrick prend le contre-point de Schnitzler puisque dans la nouvelle <em>Double r&ecirc;ve </em>(<em>Traumnovelle</em>), Fridolin se masque avant de rentrer dans le ch&acirc;teau o&ugrave; a lieu la r&eacute;ception, puisque dans le fiacre qui l&rsquo;y conduit, il se dit &laquo; qu&rsquo;il est grand temps de se masquer &raquo; (p. 77).&nbsp;</p> <p><a href="#lienbp8" name="nbp8">8</a>&nbsp;Friedrich Nietzsche, <em>Cr&eacute;puscule des idoles </em>[1888], Paris, GF Flammarion, 2005, p. 144.</p> <p><a href="#lienbp9" name="nbp9">9</a>&nbsp;Jean Douchet, <em>La DVDoth&egrave;que de Jean Douchet</em>,<em> op. cit.</em>, p. 51.</p> <p><a href="#lienbp10" name="nbp10">10&nbsp;</a>&nbsp;Chez Kubrick, le labyrinthe est autant un espace complexe dans lequel on se perd qu&rsquo;un milieu qui tend &agrave; absorber en son sein des individus qui s&rsquo;engluent &agrave; mesure qu&rsquo;ils pensent retrouver leur chemin.</p> <p><a href="#lienbp11" name="nbp11">11&nbsp;</a>&nbsp;&laquo; Le profond retournement d&eacute;ceptif que produit le film vient [&hellip;] de son fond, de son histoire, de son sujet. [&hellip;] Cruise, c&rsquo;est peut-&ecirc;tre le drame, n&rsquo;est m&ecirc;me pas en cause. Il est bon, oui. Mais uniquement en fa&ccedil;ade. L&rsquo;autre Cruise cens&eacute; na&icirc;tre, <em>le personnage dans le personnage que le film pr&eacute;tend d&eacute;voiler sous nos yeux, celui-l&agrave; n&rsquo;existe pas</em> &raquo;. &nbsp;Nous soulignons. (voir&nbsp;Olivier Seguret, &laquo; L&rsquo;&oelig;il castr&eacute;. &laquo;&nbsp;<em>Eyes Wide Shut</em>, dernier film du r&eacute;alisateur am&eacute;ricain Stanley Kubrick, provoque l&rsquo;envie et suscite la piti&eacute; &raquo;, dans <em>Lib&eacute;ration</em>, 15 septembre 1999, p. 33.)</p> <p><a href="#lienbp12" name="nbp12">12 </a>&nbsp;Nous retrouvons l&agrave; la th&egrave;se que Jacques Bouveresse va faire parler &agrave; Wittgenstein dans son c&eacute;l&egrave;bre ouvrage <em>Le mythe de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; </em>dont nous reprenons l&rsquo;id&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale sans n&eacute;cessairement reprendre &agrave; notre compte l&rsquo;argumentation dans son enti&egrave;ret&eacute;.</p> <p><a href="#lienbp13" name="nbp13">13&nbsp;</a>&nbsp;Friedrich Nietzsche, <em>Par-del&agrave; bien et mal</em> [1886], Paris, GF Flammarion, 2000, &sect;289, p. 274-275.</p> <p><a href="#lienbp14" name="nbp14">14 </a>&nbsp;Gilles Deleuze, <em>Cin&eacute;ma 1. L&rsquo;image-mouvement</em>, Paris, Editions de Minuit, 1983, p. 142.</p> <p><a href="#lienbp15" name="nbp15">15&nbsp;</a>&nbsp;Jacques Aumont,<em> Du visage au cin&eacute;ma</em>,<em> op. cit.,</em> p. 11.</p> <p><a href="#lienbp16" name="nbp16">16&nbsp;</a>&nbsp;On le voit encore de mani&egrave;re exemplaire dans la s&eacute;quence o&ugrave; Alice travaille la le&ccedil;on de math&eacute;matiques avec leur fille Helena. Kubrick filme son visage en gros plan et s&rsquo;ajoute alors en bande-son le r&eacute;cit du r&ecirc;ve qu&rsquo;elle a fait la nuit du bal dans lequel elle trompait Bill avec des centaines d&rsquo;hommes qui sont l&rsquo;&eacute;manation des pens&eacute;es de Bill, de sorte que celui- ci projette sur le visage de sa femme les interrogations qui sont les siennes. En effet,&nbsp;&laquo; quand on a &laquo; tout &raquo;, les probl&egrave;mes ne peuvent venir que de l&rsquo;int&eacute;rieur, de la machine psychologie humaine, ils apparaissent mieux comme endog&egrave;nes &raquo; (Michel Chion, <em>Stanley Kubrick, l&rsquo;humain ni plus ni moins</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma,&nbsp;&laquo; Auteurs &raquo;, 2005, p. 479).</p> <p><a href="#lienbp17" name="nbp17">17 </a>&nbsp;Pascal Bonitzer, <em>Le champ aveugle</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma- Gallimard, 1982, p. 88.</p> <p><a href="#lienbp18" name="nbp18">18&nbsp;</a>&nbsp;Pierre Leprohon, <em>Antonioni</em>, Paris, Seghers,&nbsp;&laquo; Cin&eacute;astes d&rsquo;aujourd&rsquo;hui &raquo;, p. 104-106.</p> <p><a href="#lienbp19" name="nbp19">19&nbsp;</a>&nbsp;Ren&eacute; Pr&eacute;dal, <em>Esth&eacute;tique de la mise en sc&egrave;ne</em>, Cond&eacute;-sur-Noireau, &Eacute;d. du Cerf, 2007, p. 424.</p> <p><a href="#lienbp20" name="nbp20">20&nbsp;</a>&nbsp;Petr Kral, &laquo; La travers&eacute;e du d&eacute;sert &raquo;, dans <em>Antonioni</em>, &Eacute;cran, p. 57.</p> <p><a href="#lienbp21" name="nbp21">21&nbsp;</a>&nbsp;Pascal Bonitzer, <em>D&eacute;cadrages</em>, Paris, Cahiers du cin&eacute;ma/&Eacute;d. de l&rsquo;&Eacute;toile, 1985, p. 98.</p> <p><a href="#lienbp22" name="nbp22">22&nbsp;</a>&nbsp;En ce sens, Kubrick rejoint parfaitement l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;Antonioni : &laquo; toute explication est moins int&eacute;ressante que le myst&egrave;re lui-m&ecirc;me &raquo; (voir Michelangelo Antonioni, <em>Rien que des mensonges</em>, &Eacute;ditions Ramsay poche cin&eacute;ma, 1985, p. 77).</p> <p><a href="#lienbp23" name="nbp23">23&nbsp;</a>&nbsp;Michel Chion, <em>Stanley Kubrick, l&rsquo;humain ni plus ni moins</em>, <em>op. cit.</em>, p. 458.</p> <p><a href="#lienbp24" name="nbp24">24&nbsp;&nbsp;</a>&nbsp;&Eacute;ric Dufour, <em>David Lynch : mati&egrave;re, temps et image</em>, Paris, Vrin, &laquo; Philosophie et cin&eacute;ma &raquo;, 2008, p. 112.</p> <p><a href="#lienbp25" name="nbp25">25&nbsp;</a>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 48-50. La critique du capitalisme qu&rsquo;il expose dans son interpr&eacute;tation est cependant loin d&rsquo;&ecirc;tre inint&eacute;ressante avec cette id&eacute;e que la lumi&egrave;re de l&rsquo;argent s&rsquo;introduirait dans l&rsquo;intimit&eacute; et fausserait tous les rapports au monde. N&eacute;anmoins, cette question ne nous semble pas &ecirc;tre exclusive &agrave; l&rsquo;usage que Kubrick fait de la lumi&egrave;re. Ainsi, il nous semble qu&rsquo;on peut tromper dans l&rsquo;orgie l&rsquo;objet d&rsquo;un questionnement tout aussi f&eacute;cond. On y suit des individus ais&eacute;s, qui m&egrave;nent une vie luxueuse mais cela ne leur suffit pas : il leur faut cette orgie. Mais quoi d&rsquo;autre apr&egrave;s cette orgie ?</p> <p><a href="#lienbp26" name="nbp26">26 </a>&nbsp;<em>Ibid.</em></p> <p><a href="#lienbp27" name="nbp27">27&nbsp;</a>&nbsp;Henri Bergson, <em>Essai sur les donn&eacute;es imm&eacute;diates de la conscience </em>[1889], Paris, PUF, &eacute;d. centenaire, 1970, 3<sup>e</sup> &eacute;dition, p. 84-92.</p> <p><a href="#lienpb28" name="nbp28">28&nbsp;</a>&nbsp;Jean Douchet, <em>La DVDoth&egrave;que de Jean Douchet</em>, <em>op. cit.</em>, p. 48.</p> <p><a href="#lienbp29" name="nbp29">29 </a>&nbsp;Michel Chion, <em>Stanley Kubrick. L&rsquo;humain ni plus ni moins</em>,<em> op. cit.</em>, p. 498.</p> <p><a href="#lienbp30" name="nbp30">30&nbsp;</a>&nbsp;Serge Daney, <em>La rampe</em> [1983], Paris, Cahiers du cin&eacute;ma,&nbsp;&laquo; Petite biblioth&egrave;que des Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 1996, p. 211.</p> <p><a href="#lienbp31" name="nbp31">31&nbsp;</a>&nbsp;Laurent Vachaud, &laquo; Le secret de la pyramide &raquo;, dans <em>Positif</em>, n&deg;623, janvier 2013, p. 79.</p> <p><a href="#lienbp32" name="npb32">32 </a>&nbsp;Stanley Milgram, <em>Soumission &agrave; l&#39;autorit&eacute;. Un point de vue exp&eacute;rimental </em>[1974], Paris, Calmann-L&eacute;vy, 1994, p. 221-222.</p> <p><a href="#lienbp33" name="nbp33">33 </a>&nbsp;Dans une telle perspective, la description que fait Alice de son fantasme avec l&rsquo;officier de marine cache l&agrave; encore une dimension plus tragique : elle d&eacute;crit le lien qui unit la victime du conditionnement &agrave; celui qui l&rsquo;op&egrave;re qui, sur la simple diction du mot de passe, peut l&rsquo;amener &agrave; changer de vie.</p> <p><a href="#lienbp34" name="nbp34">34 </a>&nbsp;Id&eacute;e qu&rsquo;on retrouve dans <em>Docteur Folamour </em>dans le discours final de Strangelove qui explique m&ecirc;me comment une assembl&eacute;e de femmes, recrut&eacute;es parmi les plus beaux sp&eacute;cimens, seraient mises &agrave; disposition des &eacute;lites apr&egrave;s l&rsquo;apocalypse pour perp&eacute;tuer l&rsquo;esp&egrave;ce humaine.</p> <p><a href="#lienbp35" name="nbp35">35&nbsp;</a>&nbsp;Si nous partageons la m&ecirc;me id&eacute;e que Laurent Vachaud, celui-ci, dans son article consacr&eacute; au film dans <em>Positif</em>, va plus loin dans l&rsquo;analyse filmique et affirme l&rsquo;hypoth&egrave;se que les autres femmes crois&eacute;es par Bill au c&oelig;ur de son errance nocturne sont autant de personnalit&eacute;s multiples de son &eacute;pouse cr&eacute;&eacute;es par Monarch, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de 1) Marion, 2) Domino, 3) la jeune femme de Somerton, 4) la fille de Milich&hellip; En ce point, Kubrick est parfaitement fid&egrave;le &agrave; la nouvelle de Schnitzler puisque celui-ci &eacute;crit : &laquo; et c&rsquo;est toujours sa femme qui lui &eacute;tait apparue comme celle qu&rsquo;il cherchait &raquo; (<em>Double r&ecirc;ve</em>, p. 144).</p> <p><a href="#lienbp36" name="nbp36">36&nbsp;</a>&nbsp;Arthur Schnitzler, <em>Double r&ecirc;ve</em>, <em>op. cit.</em>, p. 99.</p> <p><a href="#lienbp37" name="nbp37">37 </a>&nbsp;MONARCH est, comme MK-ULTRA, le nom d&rsquo;un programme fond&eacute; &agrave; partir de techniques de programmation mentale exp&eacute;riment&eacute;es par la CIA dans les ann&eacute;es 1960. Le but &eacute;tait de traumatiser des patients afin qu&rsquo;il puisse d&eacute;velopper des personnalit&eacute;s multiples qui s&rsquo;activent par un mot de passe. L&rsquo;objet &eacute;tait de fabriquer soit des tueurs programm&eacute;s, soit des esclaves sexuels. Les patients sont choisis parce qu&rsquo;ils ont tous subis dans leur enfance des abus sexuels.</p> <p><a href="#lienbp38" name="nbp38">38 </a>&nbsp;On peut songer au projet <em>AI </em>que Kubrick aurait d&ucirc; tourner apr&egrave;s <em>Eyes Wide Shut</em> dans lequel on comprend vite l&rsquo;usage qu&rsquo;il r&eacute;servait aux supertoys, les enfants-robots du futur, quand on voit son id&eacute;e d&rsquo;associer un enfant synth&eacute;tique &agrave; un andro&iuml;de prostitu&eacute; : des jouets sexuels.</p> <p><a href="#lienbp39" name="nbp39">39&nbsp;</a>&nbsp;Gilles Deleuze, <em>Cin&eacute;ma 2. L&rsquo;image-temps</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1985, p. 267.</p> <p><a href="#lienbp40" name="nbp40">40&nbsp;</a>&nbsp;Michel Ciment, <em>Kubrick</em>, Paris, Calmann-L&eacute;vy, 2004, p. 257.</p> <p><a href="#lienbp41" name="nbp41">41&nbsp;</a>&nbsp;Michel Chion, <em>Stanley Kubrick : l&rsquo;humain, ni plus, ni moins</em>, <em>op. cit.</em>, p. 453.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <h2><b>&Agrave; propos de l&rsquo;auteur</b></h2> <p>Professeur certifi&eacute; en philosophie et en cin&eacute;ma-audiovisuel, professeur en lyc&eacute;e, chercheur ind&eacute;pendant rattach&eacute; au PHIER (Philosophie et Rationalit&eacute;) de l&rsquo;Universit&eacute; de Clermont-Ferrand et conf&eacute;rencier, Valentin Debatisse a dirig&eacute; le collectif <em>Star Wars et la philosophie</em> publi&eacute; aux Implications philosophiques en 2020.</p>