<p><strong>Plan de l&#39;article :</strong></p> <ul> <li><strong>Le fl&acirc;neur et la foule parisienne</strong></li> <li><strong><em>Les Deux bouts</em>, une individualisation de la foule</strong></li> <li><strong>Du singulier au collectif</strong></li> </ul> <p>&nbsp;</p> <p>Henri Calet (1904-1956) est l&rsquo;auteur d&rsquo;une &oelig;uvre riche et diversifi&eacute;e d&eacute;but&eacute;e de fa&ccedil;on remarqu&eacute;e en 1935 avec&nbsp;<em>La Belle Lurette</em>. R&eacute;guli&egrave;rement r&eacute;&eacute;dit&eacute;s (notamment dans la collection &laquo;&nbsp;L&rsquo;imaginaire&nbsp;&raquo; ou chez Le Dilettante), ses livres connaissent depuis une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es un r&eacute;el regain d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t<sup><a href="#_ftn1" id="_ftnref1" name="_ftnref1">1</a></sup>. Alors qu&rsquo;il a d&eacute;j&agrave; fait para&icirc;tre trois ouvrages chez Gallimard<sup><a href="#_ftn2" id="_ftnref2" name="_ftnref2">2</a></sup>, Pascal Pia invite Henri Calet, au cours de l&rsquo;automne 1944, &agrave; participer au journal&nbsp;<em>Combat</em>&nbsp;pour faire le r&eacute;cit de la &laquo;&nbsp;pauvre quotidiennet&eacute;<sup><a href="#_ftn3" id="_ftnref3" name="_ftnref3">3</a></sup>&nbsp;&raquo; de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre. En parall&egrave;le de ses activit&eacute;s d&rsquo;&eacute;crivain, il entame ainsi une carri&egrave;re de journaliste-chroniqueur atypique qu&rsquo;il m&egrave;nera jusqu&rsquo;&agrave; la fin de sa vie. Durant l&rsquo;hiver 1953, Calet se voit confier par Claude Bellanger, le directeur du&nbsp;<em>Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>, une enqu&ecirc;te dont l&rsquo;objet sera de parler &laquo;&nbsp;des conditions de vie de gens pris un peu au hasard<sup><a href="#_ftn4" id="_ftnref4" name="_ftnref4">4</a></sup>&nbsp;&raquo;. Le 25 mai 1953,&nbsp;<em>Le Parisien lib&eacute;r&eacute;&nbsp;</em>annonce en premi&egrave;re page &laquo;&nbsp;une grande enqu&ecirc;te d&rsquo;Henri Calet&nbsp;&raquo;, &agrave; suivre &agrave; partir du lendemain et intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo;, dont le propos est r&eacute;sum&eacute; de la fa&ccedil;on suivante par le chapeau&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les soucis, les peines, les joies de chacun d&rsquo;entre nous d&eacute;crits par un grand &eacute;crivain<sup><a href="#_ftn5" id="_ftnref5" name="_ftnref5">5</a></sup>&nbsp;&raquo;. S&rsquo;il s&rsquo;agit bien de s&rsquo;entretenir avec des individus, le chapeau insiste n&eacute;anmoins sur la dimension collective de chaque portrait, ce que justifie encore le premier article de Calet, publi&eacute; &agrave; la suite de cette pr&eacute;sentation. &laquo;&nbsp;Depuis toujours les foules m&rsquo;attirent<sup><a href="#_ftn6" id="_ftnref6" name="_ftnref6">6</a></sup>&nbsp;&raquo; fait office d&rsquo;introduction g&eacute;n&eacute;rale et explique aux lecteurs du journal ses intentions ainsi que sa m&eacute;thode. Son enqu&ecirc;te consistera avant tout &agrave; contempler la foule qui se d&eacute;verse quotidiennement dans la ville pour y travailler et &agrave; en extraire une personne au hasard afin de la transformer en &laquo;&nbsp;star&nbsp;&raquo; d&rsquo;un jour&nbsp;:</p> <p><q>Oui, j&rsquo;aurais voulu extraire de cette foule une personne quelconque, la premi&egrave;re venue, au hasard, et la mettre, pour une fois, en pleine lumi&egrave;re, dans le feu des projecteurs. Entrer dans sa maison, dans sa vie. Partager, faire partager un jour de son existence. [&hellip;] Il m&rsquo;e&ucirc;t &eacute;t&eacute; agr&eacute;able de causer avec chacun d&rsquo;entre eux de nos soucis, de nos difficult&eacute;s journali&egrave;res, de nos joies, de nos espoirs, s&rsquo;il en reste. Cette cat&eacute;gorie de Fran&ccedil;ais que l&rsquo;on ne questionne pas souvent, sinon jamais, sur leurs go&ucirc;ts et leurs habitudes, leurs manies, leurs distractions, leurs projets&nbsp;; ceux qui n&rsquo;ont jusqu&rsquo;ici jamais eu la vedette<sup><a href="#_ftn7" id="_ftnref7" name="_ftnref7">7</a></sup>.</q></p> <p>Chaque personne interrog&eacute;e, clairement identifi&eacute;e selon son sexe, son &acirc;ge, sa profession, sa situation familiale et sa situation financi&egrave;re, devient le pr&eacute;texte d&rsquo;une chronique qui, s&rsquo;inscrivant dans un ensemble, contribue &agrave; d&eacute;crire les multiples facettes d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; marqu&eacute;e par le contraste. Il n&rsquo;est pas ici question de traquer l&rsquo;exceptionnel ou l&rsquo;&eacute;v&egrave;nement sensationnel mais plut&ocirc;t de rapporter &laquo;&nbsp;ces petites histoires&nbsp;&raquo; communes &agrave; tous qui font la &laquo;&nbsp;grande aventure de tous les jours<sup><a href="#_ftn8" id="_ftnref8" name="_ftnref8">8</a></sup>&nbsp;&raquo;.</p> <p><em>Les Deux Bouts</em>&nbsp;&ndash;&nbsp;paru chez Gallimard en 1954 dans la collection &laquo;&nbsp;L&rsquo;air du temps&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;reprend en volume les textes r&eacute;dig&eacute;s &agrave; l&rsquo;occasion de l&rsquo;enqu&ecirc;te &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo;. Les dix-huit portraits<sup><a href="#_ftn9" id="_ftnref9" name="_ftnref9">9</a></sup>&nbsp;qui le composent dressent une radiographie de la soci&eacute;t&eacute; du d&eacute;but des ann&eacute;es cinquante et se font l&rsquo;&eacute;cho des difficult&eacute;s journellement rencontr&eacute;es par les Fran&ccedil;ais. L&rsquo;objectif sera de montrer comment Calet, en observant la foule et en isolant un individu, parvient &agrave; d&eacute;crire l&rsquo;existence exemplaire de tous les anonymes pour finalement proposer une repr&eacute;sentation de la foule constitu&eacute;e de tous ceux qui demeurent &agrave; la marge &laquo;&nbsp;Trente Glorieuses&nbsp;&raquo;.</p> <p>&nbsp;</p> <p><b>Le fl&acirc;neur et la foule parisienne</b></p> <p>Depuis la disparition d&rsquo;Henri Calet, les articles de presse se faisant l&rsquo;&eacute;cho de ses r&eacute;&eacute;ditions successives et les rares notices qui lui sont consacr&eacute;es dans les histoires litt&eacute;raires insistent syst&eacute;matiquement sur les liens qui l&rsquo;unissent &agrave; la ville de Paris. Ainsi, Georges Henein, dans un texte rendant hommage &agrave; son ami intime, &eacute;crit, &agrave; l&rsquo;&eacute;t&eacute; 1964, qu&rsquo;il &laquo;&nbsp;n&rsquo;aimait que Paris<sup><a href="#_ftn10" id="_ftnref10" name="_ftnref10">10</a></sup>&nbsp;&raquo;&nbsp;; pour Maurice Nadeau, Calet &laquo;&nbsp;fait de la capitale un grand village qu&rsquo;il explore rue par rue, r&eacute;v&eacute;lant des aspects inattendus&nbsp;: lieux et gens<sup><a href="#_ftn11" id="_ftnref11" name="_ftnref11">11</a></sup>&nbsp;&raquo;. Pour Patrice Delbourg, Paris est, dans l&rsquo;ensemble de l&rsquo;&oelig;uvre caletienne, un &laquo;&nbsp;accotement de pr&eacute;dilection&nbsp;&raquo; en m&ecirc;me temps qu&rsquo;un &laquo;&nbsp;fil conducteur<sup><a href="#_ftn12" id="_ftnref12" name="_ftnref12">12</a></sup>&nbsp;&raquo;. Enfin, Calet a droit &agrave; une notice dans l&rsquo;&eacute;tude que Marie-Claire Bancquart fait para&icirc;tre en 2006,&nbsp;<em>Paris dans la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise apr&egrave;s 1945</em><sup><a href="#_ftn13" id="_ftnref13" name="_ftnref13">13</a></sup>.</p> <p>Effectivement, d&egrave;s ses premiers romans, Paris est plac&eacute; au centre d&rsquo;un dispositif litt&eacute;raire o&ugrave; l&rsquo;&eacute;vocation de caract&eacute;ristiques clairement identifi&eacute;es&nbsp;&ndash;&nbsp;les ruelles, les impasses, les fortif&rsquo;, le m&eacute;tro&nbsp;&ndash;&nbsp;permet de d&eacute;finir une symbolique populaire commune au plus grand nombre. Toutefois, c&rsquo;est apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale que la capitale devient l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment central de l&rsquo;&oelig;uvre. En effet, l&rsquo;intense activit&eacute; journalistique de Calet le contraint &agrave; parcourir la ville pour rendre compte, au plus pr&egrave;s, de la r&eacute;alit&eacute; des parisiens. S&rsquo;il semble aujourd&rsquo;hui admis qu&rsquo;Henri Calet appartient &agrave; la grande famille litt&eacute;raire des pi&eacute;tons de Paris, il se distingue r&eacute;solument d&rsquo;une image de r&ecirc;veur philosophique et s&rsquo;inscrit davantage dans les pas du &laquo;&nbsp;fl&acirc;neur&nbsp;&raquo; tel que Balzac le d&eacute;finit dans&nbsp;<em>Physiologie du mariage</em>&nbsp;en 1829&nbsp;:</p> <p><q>Oh&nbsp;! errer dans Paris&nbsp;! adorable et d&eacute;licieuse existence&nbsp;! Fl&acirc;ner est une science, c&rsquo;est la gastronomie de l&rsquo;&oelig;il. Se promener, c&rsquo;est v&eacute;g&eacute;ter&nbsp;; fl&acirc;ner c&rsquo;est vivre.&nbsp;[&hellip;] Fl&acirc;ner, c&rsquo;est jouir, c&rsquo;est recueillir des traits d&rsquo;esprit, c&rsquo;est admirer de sublimes tableaux de malheur, d&rsquo;amour, de joie, des portraits gracieux ou grotesques&nbsp;; c&rsquo;est plonger ses regards au fond de mille existences&nbsp;: jeune, c&rsquo;est tout d&eacute;sirer, tout poss&eacute;der&nbsp;; vieillard, c&rsquo;est vivre de la vie des jeunes gens, c&rsquo;est &eacute;pouser leurs passions<sup><a href="#_ftn14" id="_ftnref14" name="_ftnref14">14</a></sup>.</q></p> <p>Balzac oppose l&rsquo;oisivet&eacute; suppos&eacute;e des promeneurs, qui marchent &laquo;&nbsp;comme ils mangent, comme ils vivent, sans y penser<sup><a href="#_ftn15" id="_ftnref15" name="_ftnref15">15</a></sup>&nbsp;&raquo;, &agrave; l&rsquo;activit&eacute; du fl&acirc;neur tourn&eacute;e vers le monde ext&eacute;rieur. Le fl&acirc;neur balzacien marche dans la ville au milieu de ses semblables, les sens toujours en alerte. Il observe et analyse les situations qui se pr&eacute;sentent &agrave; lui et par lesquelles il peut &eacute;prouver du d&eacute;sir ou de l&rsquo;empathie. Ainsi, l&rsquo;&eacute;crivain-marcheur, en contexte urbain, se caract&eacute;rise par la relation &eacute;troite qu&rsquo;il entretient in&eacute;vitablement &agrave; la foule et par sa capacit&eacute; &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;pouser&nbsp;&raquo; et &agrave; en extraire &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;lectricit&eacute;&nbsp;&raquo; qu&rsquo;elle contient<sup><a href="#_ftn16" id="_ftnref16" name="_ftnref16">16</a></sup>&nbsp;:</p> <p><q>Le promeneur solitaire et pensif tire une singuli&egrave;re ivresse de cette universelle communion. Celui-l&agrave; qui &eacute;pouse facilement la foule conna&icirc;t des jouissances fi&eacute;vreuses dont seront &eacute;ternellement priv&eacute;s l&rsquo;&eacute;go&iuml;ste, ferm&eacute; comme un coffre, et le paresseux, intern&eacute; comme un mollusque. Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies et toutes les mis&egrave;res que la circonstance lui pr&eacute;sente<sup><a href="#_ftn17" id="_ftnref17" name="_ftnref17">17</a></sup>.</q></p> <p>Dans&nbsp;<em>Le Peintre de la vie moderne</em>, Baudelaire expose une &laquo;&nbsp;th&eacute;orie de la fl&acirc;nerie<sup><a href="#_ftn18" id="_ftnref18" name="_ftnref18">18</a></sup>&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;applique, dans le&nbsp;<em>Spleen de Paris</em>, &agrave; un &laquo;&nbsp;promeneur solitaire&nbsp;&raquo;. L&agrave; o&ugrave; Balzac avait besoin de distinguer le &laquo;&nbsp;fl&acirc;neur&nbsp;&raquo; et le &laquo;&nbsp;promeneur&nbsp;&raquo; pour introduire l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une fl&acirc;nerie active ouverte au monde, Baudelaire se concentre sur l&rsquo;&laquo;&nbsp;universelle communion&nbsp;&raquo; qui unit un promeneur-fl&acirc;neur &agrave; son environnement. Le &laquo;&nbsp;solitaire&nbsp;&raquo; qui &laquo;&nbsp;&eacute;pouse&nbsp;&raquo; la foule s&rsquo;oppose dor&eacute;navant &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;go&iuml;ste&nbsp;&raquo; et au &laquo;&nbsp;paresseux&nbsp;&raquo;, respectivement &laquo;&nbsp;ferm&eacute;&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;intern&eacute;&nbsp;&raquo;. Le mouvement pr&ocirc;n&eacute; par Baudelaire, celui de l&rsquo;ouverture et de l&rsquo;ext&eacute;riorit&eacute;, s&rsquo;inscrit donc dans la continuit&eacute; de Balzac, et pourrait permettre de comprendre la posture d&rsquo;un Calet qui, malgr&eacute; la discr&eacute;tion de celui qui se dit en toujours en retrait&nbsp;des gens et des choses, recherche pourtant le contact de cette foule&nbsp;:</p> <p><q>Depuis longtemps, les foules m&rsquo;attirent, tout de m&ecirc;me que le vide ou l&rsquo;oc&eacute;an. J&rsquo;&eacute;prouve parfois l&rsquo;envie de me jeter dedans, de m&rsquo;y noyer, de m&rsquo;y perdre. Elles m&rsquo;attirent et elles me font peur en m&ecirc;me temps, cela n&rsquo;est pas contradictoire. Je songe plus particuli&egrave;rement aux foules de Paris, parce que je les vois souvent. (DB, 9)</q></p> <p>Pour Calet,&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;est donc l&rsquo;occasion d&rsquo;observer et de d&eacute;finir une foule qu&rsquo;il sait indissociable de Paris et qui symbolise l&rsquo;effervescence de la capitale, devenue le lieu de la concentration humaine o&ugrave; chacun est plus ou moins conscient qu&rsquo;il participe d&rsquo;un ensemble. Selon Serge Moscovici, cet &laquo;&nbsp;obscur besoin de fusion dans le tout<sup><a href="#_ftn19" id="_ftnref19" name="_ftnref19">19</a></sup>&nbsp;&raquo; serait motiv&eacute; par le fait que l&rsquo;individu serait d&eacute;sireux de se d&eacute;faire du poids de sa solitude. Ainsi, l&rsquo;attirance exprim&eacute;e par Calet pourrait s&rsquo;apparenter &agrave; cette volont&eacute; de participer au rassemblement de la foule parisienne, d&rsquo;extraire la &laquo;&nbsp;singuli&egrave;re ivresse de cette universelle communion<sup><a href="#_ftn20" id="_ftnref20" name="_ftnref20">20</a></sup>&nbsp;&raquo;, et de se m&ecirc;ler au flux de son activit&eacute;. Pour autant, aussi tentante soit-elle, l&rsquo;attirance s&rsquo;accompagne d&rsquo;une peur car celui qui se m&ecirc;le &agrave; la foule prend aussi le risque de renoncer &agrave; son individualit&eacute;. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que d&eacute;crit Victor Fournel, dans&nbsp;<em>Ce qu&rsquo;on voit dans les rues de Paris</em>&nbsp;(1858)<sup><a href="#_ftn21" id="_ftnref21" name="_ftnref21">21</a></sup>, o&ugrave; la figure du fl&acirc;neur s&rsquo;oppose cette fois &agrave; celle du badaud&nbsp;:</p> <p><q>N&rsquo;allons pas toutefois confondre le fl&acirc;neur avec le badaud&nbsp;: de l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre il existe une nuance que sentiront les adeptes. Le simple fl&acirc;neur observe et r&eacute;fl&eacute;chit [&hellip;]. Il est toujours en pleine possession de son individualit&eacute;. Celle du badaud dispara&icirc;t, au contraire, absorb&eacute;e par le monde ext&eacute;rieur qui le ravit &agrave; lui-m&ecirc;me, qui le frappe jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;enivrement et l&rsquo;extase. Le badaud, sous l&rsquo;influence du spectacle, devient un &ecirc;tre impersonnel&nbsp;; ce n&rsquo;est plus un homme&nbsp;: il est public, il est foule<sup><a href="#_ftn22" id="_ftnref22" name="_ftnref22">22</a></sup>.</q></p> <p>Le commentaire de Fournel est int&eacute;ressant car s&rsquo;il convient que le fl&acirc;neur se caract&eacute;rise par la &laquo;&nbsp;pleine possession de son individualit&eacute;&nbsp;&raquo;, il n&rsquo;en reconna&icirc;t pas moins au badaud, devenu foule, &laquo;&nbsp;une dose de candeur qui n&rsquo;exclut nullement le tact et la finesse, une de po&eacute;sie, plusieurs de probit&eacute; s&eacute;v&egrave;re et d&rsquo;irr&eacute;prochable honn&ecirc;tet&eacute;<sup><a href="#_ftn23" id="_ftnref23" name="_ftnref23">23</a></sup>&nbsp;&raquo;. Selon lui, la badauderie se retrouve chez &laquo;&nbsp;le peuple, le petit commer&ccedil;ant, le po&egrave;te, l&rsquo;artiste, l&rsquo;ouvrier, l&rsquo;employ&eacute; en retraite<sup><a href="#_ftn24" id="_ftnref24" name="_ftnref24">24</a></sup>&nbsp;&raquo;, autant de personnages qui font le quotidien de Paris et qui sont r&eacute;currents dans les livres de Calet. Selon cette approche, la foule ne serait plus &agrave; percevoir comme une masse informe mais se d&eacute;finirait comme une somme d&rsquo;individus dont l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, pour celui qui est capable d&rsquo;y prendre part tout en sachant demeurer en retrait, consisterait &agrave; en extraire chacune des particularit&eacute;s. Les badauds se contenteraient &laquo;&nbsp;de jouir sans trop chercher &agrave; approfondir<sup><a href="#_ftn25" id="_ftnref25" name="_ftnref25">25</a></sup>&nbsp;&raquo; pendant que le fl&acirc;neur mettrait &agrave; profit ses talents d&rsquo;observateur. De ce point de vue, l&rsquo;objectif, pour l&rsquo;&eacute;crivain, ne serait pas tant de se fondre totalement dans la foule que de se m&ecirc;ler &agrave; elle pour en relever chacune des asp&eacute;rit&eacute;s qui font les individus&nbsp;:</p> <p><q>En v&eacute;rit&eacute;, davantage que la foule elle-m&ecirc;me, ce sont les individus la composant qui m&rsquo;int&eacute;ressent. J&rsquo;avais pour dessein de la d&eacute;sint&eacute;grer, de t&acirc;cher d&rsquo;en isoler quelques particules&nbsp;; j&rsquo;&eacute;tais pris de curiosit&eacute;, j&rsquo;aurais voulu attraper un mouton du troupeau, capter une goutte d&rsquo;eau de la mer, trouver l&rsquo;aiguille dans la botte de foin&hellip; (DB, 9-10)</q></p> <p>L&rsquo;avant-propos des&nbsp;<em>Deux bouts</em>&nbsp;est &eacute;loquent car Calet y remet clairement en question la suppos&eacute;e homog&eacute;n&eacute;it&eacute; d&rsquo;une foule dans laquelle il ne consent &agrave; plonger que pour en &laquo;&nbsp;isoler&nbsp;&raquo; des &eacute;l&eacute;ments. Cette remarque, qui intervient alors qu&rsquo;il observe, devant la gare Saint-Lazare, le flux des travailleurs qui se pressent aux heures de pointe, explicite ce qu&rsquo;il avait entrepris d&egrave;s&nbsp;<em>La Belle lurette</em>&nbsp;et poursuivi ensuite dans chacun de ses livres. En effet, les vendeurs, les dactylos et les comptables (<em>La Belle Lurette</em>), le ch&ocirc;meur Joseph Cagnieux (<em>Le M&eacute;rinos</em>), l&rsquo;additionneur de la nouvelle &laquo;&nbsp;Temps pris&nbsp;&raquo; (<em>Trente &agrave; quarante</em>), les enfants abandonn&eacute;s de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre (<em>Contre l&rsquo;oubli</em>), Carmen Mussidan (<em>Le Tout sur le tout</em>), un jeune couple qui s&rsquo;embrasse (<em>Monsieur Paul</em>) et la poin&ccedil;onneuse dont la robe est recouverte de confetti jaunes et bleut&eacute;s (<em>Le Tout sur le tout</em>) repr&eacute;sentaient d&eacute;j&agrave; quelques-unes des &laquo;&nbsp;particules&nbsp;&raquo; de cette foule parisienne qui se croise et prend forme dans le m&eacute;tro. Calet &eacute;voque souvent le &laquo;&nbsp;parfum tr&egrave;s secret des dessous de Paris<sup><a href="#_ftn26" id="_ftnref26" name="_ftnref26">26</a></sup>&nbsp;&raquo;, r&eacute;sultat du m&eacute;lange incontr&ocirc;l&eacute; de toutes ces solitudes qui se c&ocirc;toient dans ce lieu clos sans s&rsquo;amalgamer. L&rsquo;odeur ind&eacute;finissable et caract&eacute;ristique du m&eacute;tro parisien est le symbole d&rsquo;une promiscuit&eacute; subie et finalement peu harmonieuse. Cela v&eacute;rifie, dans une certaine mesure, la pens&eacute;e de Marc Aug&eacute;, qui consid&egrave;re le m&eacute;tro comme &eacute;tant, &laquo;&nbsp;pour ceux qui l&rsquo;utilisent chaque jour&nbsp;&raquo;, l&rsquo;exp&eacute;rience de &laquo;&nbsp;la collectivit&eacute; sans la f&ecirc;te et [de] la solitude sans l&rsquo;isolement<sup><a href="#_ftn27" id="_ftnref27" name="_ftnref27">27</a></sup>&nbsp;&raquo;.</p> <p>&Ecirc;tre au contact de la foule, pour Calet, ne consiste donc pas &agrave; la d&eacute;crire de loin dans le but d&rsquo;affirmer son ind&eacute;pendance, comme il ne s&rsquo;agit pas de se fondre dans la masse au risque de mettre en jeu sa propre individualit&eacute;. En affirmant, au contraire, la multiplicit&eacute; des individualit&eacute;s qui font la foule de Paris, il devient possible de ne pas se d&eacute;solidariser de tous ces &ecirc;tres &laquo;&nbsp;semblables en solitude<sup><a href="#_ftn28" id="_ftnref28" name="_ftnref28">28</a></sup>&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est par ces mots que Jacques R&eacute;da, autre pi&eacute;ton de Paris, d&eacute;signe les voyageurs de la ligne de Versailles, dans lesquels il se reconna&icirc;t sans avoir besoin de les accompagner &agrave; bord du train. Cette ressemblance des solitudes, revendiqu&eacute;e par Calet, refuse la posture de la singularit&eacute; suppos&eacute;e de l&rsquo;&eacute;crivain par rapport &agrave; la foule, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle contredit l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une fusion de ces solitudes dans une m&ecirc;me masse. L&rsquo;attitude du pi&eacute;ton Henri Calet pourrait donc &ecirc;tre le r&eacute;sultat d&rsquo;un double refus&nbsp;: celui de demeurer ext&eacute;rieur &agrave; la foule comme celui d&rsquo;y &ecirc;tre amalgam&eacute;.</p> <p>&nbsp;</p> <p><b><em>Les Deux bouts</em>, une individualisation de la foule</b></p> <p>D&egrave;s l&rsquo;&laquo;&nbsp;avant-propos&nbsp;&raquo; des&nbsp;<em>Deux bouts</em>, la premi&egrave;re personne du pluriel, r&eacute;p&eacute;t&eacute;e &agrave; loisir, t&eacute;moigne du fait qu&rsquo;Henri Calet se solidarise des modestes conditions qu&rsquo;il souhaite d&eacute;crire. Il assume son r&ocirc;le d&rsquo;enqu&ecirc;teur et s&rsquo;offre de r&eacute;parer un injuste anonymat en &laquo;&nbsp;nous accord[ant] la grosse manchette&nbsp;&raquo; et en &laquo;&nbsp;mont[ant] en &eacute;pingle&nbsp;&raquo; les banales histoires du quotidien (DB, 10). Un sociologue de profession se refuserait certainement &agrave; revendiquer ouvertement une appartenance qui ne pourrait que remettre en cause l&rsquo;objectivit&eacute; de ses hypoth&egrave;ses et de ses conclusions. Toutefois, ne serait-il pas possible de voir, dans cet &laquo;&nbsp;avant-propos&nbsp;&raquo; comme dans le dernier portrait consacr&eacute; au couple de vieux travailleurs dont Calet reconna&icirc;t, &agrave; la derni&egrave;re phrase qu&rsquo;il vient &laquo;&nbsp;d&rsquo;interviewer [s]on p&egrave;re et [s]a m&egrave;re&nbsp;&raquo; (DB, 193), une volont&eacute; de revendiquer sa l&eacute;gitimit&eacute; &agrave; parler d&rsquo;un univers qu&rsquo;il conna&icirc;t pour y avoir appartenu&nbsp;? S&rsquo;il ne saurait bien entendu &ecirc;tre question d&rsquo;attendre de Calet qu&rsquo;il se conforme &agrave; la rigueur d&rsquo;une d&eacute;monstration sociologique, force est de constater que la d&eacute;marche qu&rsquo;il adopte dans&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;s&rsquo;apparente &agrave; peu de choses pr&egrave;s &agrave; celle d&eacute;fendue par les m&eacute;thodes qualitatives.</p> <p>En effet, Calet conf&egrave;re &agrave; son enqu&ecirc;te une orientation pr&eacute;cise et d&eacute;voile clairement que plut&ocirc;t que de s&rsquo;int&eacute;resser au &laquo;&nbsp;Paris dont on parle g&eacute;n&eacute;ralement le plus&nbsp;: le Paris monumental, artistique, pittoresque, touristique, le &ldquo;Gay Paris&rsquo;&rsquo;, le Paris des th&eacute;&acirc;tres ou des bo&icirc;tes de nuit &agrave; femmes plus ou moins nues&nbsp;&raquo;, il s&rsquo;agira, dans&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>, d&rsquo;observer un Paris plus &laquo;&nbsp;commercial, artisanal, industriel, en un mot&nbsp;: utilitaire, un Paris en tenue de travail&nbsp;&raquo; (DB, 9). L&rsquo;enqu&ecirc;te se construit autour d&rsquo;un postulat de d&eacute;part simple, transparent d&egrave;s le titre de l&rsquo;ouvrage, et consistera &agrave; exposer les difficult&eacute;s quotidiennes des &laquo;&nbsp;classes laborieuses&nbsp;&raquo;. Ainsi, malgr&eacute; le d&eacute;sir exprim&eacute; dans l&rsquo;&laquo;&nbsp;avant-propos&nbsp;&raquo; de ne s&rsquo;int&eacute;resser qu&rsquo;au premier venu, le choix des personnes &eacute;lues pour constituer son &laquo;&nbsp;&eacute;chantillonnage&nbsp;de la population de Paris et de sa banlieue&nbsp;&raquo; (DB, 197) ne rel&egrave;ve en aucun cas du hasard. Un rapide examen des dix-huit portraits qui composent<em>&nbsp;Les Deux bouts</em>&nbsp;permet au contraire de constater que Calet construit son panel avec une extr&ecirc;me minutie.</p> <p>Le premier crit&egrave;re retenu est celui du genre et, en cela, Calet respecte presque syst&eacute;matiquement l&rsquo;alternance et fait preuve d&rsquo;une &eacute;galit&eacute; quasi exemplaire, singuli&egrave;re pour l&rsquo;&eacute;poque, en r&eacute;alisant neuf portraits d&rsquo;hommes, huit portraits de femmes et le portrait d&rsquo;un couple. En plus du genre, un deuxi&egrave;me crit&egrave;re semble s&rsquo;affirmer comme &eacute;tant d&eacute;cisif pour Calet, qui prend soin d&rsquo;inclure dans son &eacute;chantillonnage des personnes des diff&eacute;rentes classes d&rsquo;&acirc;ge&nbsp;: trois ont entre seize et vingt ans, cinq ont entre vingt et vingt-cinq ans, deux ont entre trente et quarante ans, sept ont plus de quarante ans, tandis que le couple de retrait&eacute; a plus de soixante-dix ans. Si l&rsquo;on met en relation ces donn&eacute;es avec le contenu de chacun des portraits, il devient possible d&rsquo;&eacute;tablir des cat&eacute;gories qui rendent peut-&ecirc;tre mieux compte de la classification op&eacute;r&eacute;e par Calet. En sch&eacute;matisant, les dix-huit portraits peuvent ainsi se diviser en quatre groupes&nbsp;: celle des apprentis ou &eacute;tudiants de moins de vingt ans, celle des jeunes travailleurs de moins de vingt-cinq ans, celle des travailleurs &eacute;prouv&eacute;s de plus de trente ans (la plus cons&eacute;quente) et celle des retrait&eacute;s. Tous les &acirc;ges et les diff&eacute;rentes &eacute;tapes d&rsquo;une vie conditionn&eacute;e par le travail sont ainsi repr&eacute;sent&eacute;s. Avec dix-huit portraits, c&rsquo;est bien la foule qu&rsquo;il tend &agrave; repr&eacute;senter.</p> <p>Si Calet respecte une certaine parit&eacute; dans le choix de ses sujets, il tend aussi &agrave; d&eacute;montrer qu&rsquo;une situation de travail corr&eacute;l&eacute;e &agrave; un &acirc;ge et &agrave; un sexe donn&eacute;s se retrouve presque obligatoirement reli&eacute;e &agrave; un r&ocirc;le social et familial pr&eacute;cis. Si l&rsquo;on observe les situations personnelles des huit femmes interrog&eacute;es, il est possible de remarquer que seules trois d&rsquo;entre elles sont mari&eacute;es&nbsp;: Marie Lente et Marcelle, toutes deux femmes &acirc;g&eacute;es de plus de quarante ans, et Mathilde Le Guetteur, seule exception parmi tous les moins de vingt-cinq ans. Les cinq autres jeunes femmes interrog&eacute;es, &acirc;g&eacute;es de seize &agrave; vingt-quatre ans, sont fianc&eacute;es ou c&eacute;libataires et ne semblent pas particuli&egrave;rement press&eacute;es de se r&eacute;soudre au mariage. Calet ne se risque &agrave; aucune conclusion mais laisse n&eacute;anmoins au lecteur la possibilit&eacute; de formuler certaines hypoth&egrave;ses&nbsp;: son enqu&ecirc;te prouve-t-elle une prise d&rsquo;ind&eacute;pendance de la part de jeunes femmes davantage pr&eacute;occup&eacute;es par leur insertion dans la vie active&nbsp;? D&eacute;montre-t-elle une certaine &eacute;mancipation morale et une plus grande prise de libert&eacute; vis-&agrave;-vis des imp&eacute;ratifs familiaux et du mariage&nbsp;? Ou, plus simplement, t&eacute;moigne-t-elle du fait qu&rsquo;il est toujours plus ais&eacute;, en 1953, d&rsquo;interroger des jeunes femmes c&eacute;libataires plut&ocirc;t que celles qui, d&eacute;j&agrave; mari&eacute;es, ont &eacute;t&eacute; contraintes de se retirer du monde du travail pour s&rsquo;occuper exclusivement de l&rsquo;espace familial&nbsp;? Toujours est-il qu&rsquo;en quelques entretiens, il est possible de constater comment une situation individuelle tend &agrave; &ecirc;tre partag&eacute;e.</p> <p>Si la situation familiale est sensiblement diff&eacute;rente pour la majorit&eacute; des hommes d&eacute;crits dans&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>, Calet proc&egrave;de n&eacute;anmoins de la m&ecirc;me mani&egrave;re. Sept des neuf hommes interrog&eacute;s individuellement appartiennent &agrave; la cat&eacute;gorie des &laquo;&nbsp;travailleurs &eacute;prouv&eacute;s&nbsp;&raquo; de plus de trente ans et, parmi eux, six sont mari&eacute;s et p&egrave;res de famille. Pour la grande majorit&eacute; des femmes d&eacute;crites, jeunesse oblige, le monde du travail pr&eacute;c&egrave;de le mariage tandis que pour les hommes, pour la plupart d&rsquo;&acirc;ge m&ucirc;r, l&rsquo;emploi est indissociable d&rsquo;une vie de famille qui r&eacute;pond encore &agrave; des sch&eacute;mas stricts. &Agrave; la difficult&eacute; du labeur quotidien, s&rsquo;ajoute la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;une existence &eacute;crite &agrave; l&rsquo;avance, enti&egrave;rement organis&eacute;e autour du travail et conditionn&eacute;e par lui. Comme le prouve l&rsquo;exemple de Jean-Pierre Calmettes, l&rsquo;apprenti boulanger de 17 ans aux cinquante-cinq heures de travail hebdomadaire promis &agrave; reprendre un fonds, l&rsquo;homme est tr&egrave;s t&ocirc;t pr&eacute;par&eacute; &agrave; se d&eacute;finir par le poste qu&rsquo;il occupe. De ce dernier d&eacute;coule la possibilit&eacute; de mener une existence norm&eacute;e autour d&rsquo;une cellule familiale type, toujours pr&eacute;occup&eacute;e de r&eacute;ussir &agrave; joindre &laquo;&nbsp;les deux bouts&nbsp;&raquo; (DB, 33, 61, 137, 167) et ponctu&eacute;e de r&ecirc;ves collectifs qui ne vont gu&egrave;re au-del&agrave; d&rsquo;une maison de campagne o&ugrave; se retirer une fois &agrave; la retraite, d&rsquo;un lopin de terre &agrave; cultiver ou d&rsquo;une course cycliste &agrave; laquelle assister le dimanche suivant. L&rsquo;individu d&eacute;crit la r&eacute;alit&eacute; de la foule.</p> <p>Seuls Louis Gilbert, 25 ans, qui fait du porte-&agrave;-porte, et Ahmed Brahimi, le man&oelig;uvre de 32 ans immigr&eacute; d&rsquo;Alg&eacute;rie, paraissent &eacute;chapper, pour des raisons diff&eacute;rentes, &agrave; ce cadre social impos&eacute;. Si le premier, seul homme &agrave; &ecirc;tre inclus dans la cat&eacute;gorie que nous avons appel&eacute;e &laquo;&nbsp;les jeunes travailleurs de moins de vingt-cinq ans&nbsp;&raquo;, semble correspondre &agrave; l&#39;id&eacute;e d&rsquo;une jeunesse plus libre et peu d&eacute;sireuse de s&rsquo;engager, le portrait d&rsquo;Ahmed Brahimi d&eacute;montre, au contraire, que les sujets sentimentaux demeurent accessoires lorsqu&rsquo;une situation professionnelle pr&eacute;caire permet difficilement de r&eacute;pondre aux premiers besoins vitaux. Son cas est alors similaire &agrave; ceux d&rsquo;Ernest Tury, le ch&ocirc;meur de la restauration, et de M. C., qui touche l&rsquo;allocation allou&eacute;e aux vieux travailleurs. Ils t&eacute;moignent tous de la fragilit&eacute; d&rsquo;une situation dont l&rsquo;&eacute;quilibre est soumis &agrave; la condition de poss&eacute;der un emploi stable et bien r&eacute;mun&eacute;r&eacute;. D&egrave;s lors que le travail vient &agrave; manquer, les difficult&eacute;s li&eacute;es au manque d&rsquo;argent se doublent, pour tout un chacun, du risque de se voir plac&eacute; en marge du reste de la soci&eacute;t&eacute; et donc d&rsquo;&ecirc;tre exclu de la foule.</p> <p>Cette diversit&eacute; des &acirc;ges, des situations familiales et socio-professionnelles, pourrait r&eacute;pondre &agrave; un certain souci d&rsquo;exhaustivit&eacute; de la part d&rsquo;un &eacute;crivain d&eacute;sireux de se livrer &agrave; une v&eacute;ritable enqu&ecirc;te sociologique ayant pour th&egrave;me le travail au d&eacute;but des ann&eacute;es cinquante. Cependant, comme souvent, le v&eacute;ritable sujet trait&eacute; par Calet ne saurait se limiter &agrave; celui qui semble le plus &eacute;vident. En cela, le titre original de l&rsquo;enqu&ecirc;te parue dans&nbsp;<em>Le Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>, &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo;, est peut-&ecirc;tre plus fid&egrave;le &agrave; son entreprise que celui choisi pour l&rsquo;&eacute;dition en volume,&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>. Alors que ce dernier se concentre sur une dimension &eacute;conomique, &laquo; Un sur cinq millions&nbsp;&raquo; insistait davantage sur le caract&egrave;re &agrave; la fois interchangeable et compl&eacute;mentaire de tous ces individus qui prennent part, d&rsquo;une fa&ccedil;on ou d&rsquo;une autre, au fonctionnement d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;. Plut&ocirc;t que de centrer l&rsquo;interpr&eacute;tation des&nbsp;<em>Deux bouts</em>&nbsp;sur le postulat d&rsquo;une &eacute;tude sur le monde du travail, peut-&ecirc;tre serait-il plus pertinent de consid&eacute;rer que ce dernier n&rsquo;est qu&rsquo;un pr&eacute;texte pour d&eacute;crire des situations personnelles devenues exemplaires et permettant de d&eacute;passer le simple cadre individuel pour,&nbsp;<em>in fine</em>, repr&eacute;senter la r&eacute;alit&eacute; v&eacute;cue par ces &laquo;&nbsp;cinq millions&nbsp;&raquo; de personnes qui incarnent la foule parisienne.</p> <p>&nbsp;</p> <p><b>Du singulier au collectif</b></p> <p>La tardive pr&eacute;cision apport&eacute;e au commencement du seizi&egrave;me des dix-huit portraits que comptent&nbsp;<em>Les Deux bouts</em><sup><a href="#_ftn29" id="_ftnref29" name="_ftnref29">29</a></sup>&nbsp;&eacute;claire sur les motivations profondes d&rsquo;un &eacute;crivain qui privil&eacute;gie ouvertement &laquo;&nbsp;le commerce quotidien de la vie&nbsp;&raquo; au &laquo;&nbsp;singulier&nbsp;&raquo; et au &laquo;&nbsp;pittoresque&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <p><q>Depuis le commencement de cette enqu&ecirc;te, je n&rsquo;avais pas recherch&eacute; des professions singuli&egrave;res ou pittoresques, mais, au contraire, des gens exer&ccedil;ant des m&eacute;tiers connus et r&eacute;pandus. Des gens que nous sommes appel&eacute;s &agrave; fr&eacute;quenter dans le commerce quotidien de la vie. Le receveur est quelqu&rsquo;un de ceux-l&agrave;, on a journellement affaire &agrave; lui. (DB, 158)</q></p> <p>Le choix des personnes interrog&eacute;es n&rsquo;est donc pas &agrave; envisager selon des crit&egrave;res de raret&eacute; ou d&rsquo;incongruit&eacute;, mais rel&egrave;ve au contraire d&rsquo;une banalit&eacute; permettant au lecteur d&rsquo;&eacute;voluer dans un univers familier et de s&rsquo;identifier &agrave; ce qu&rsquo;il lit. Au cours de son enqu&ecirc;te, Calet s&rsquo;entretient, dans l&rsquo;ordre, avec un ouvrier en menuiserie, une vendeuse de grand magasin, un &eacute;boueur, une esth&eacute;ticienne, un m&eacute;tallurgiste des usines Renault, une apprentie cr&eacute;mi&egrave;re, un repr&eacute;sentant de commerce, une ouvreuse de cin&eacute;ma, un apprenti boulanger, un man&oelig;uvre en b&acirc;timent, une secr&eacute;taire, un manutentionnaire de la halle aux vins, une danseuse, un ch&ocirc;meur de la restauration, une violoniste, un receveur d&rsquo;autobus, une deuxi&egrave;me esth&eacute;ticienne et un couple de retrait&eacute;s. &Agrave; l&rsquo;issue de ces rencontres, Calet souligne en guise de conclusion&nbsp;:</p> <p><q>J&rsquo;ai un peu touch&eacute; &agrave; tout&nbsp;: hommes, femmes, vieux, mari&eacute;s, c&eacute;libataires, ouvriers, employ&eacute;s&nbsp;; le b&acirc;timent, les usines, le commerce, les arts&nbsp;; le pain, le vin, le lait&hellip; Un microcosme, un kal&eacute;idoscope, dans les tons neutres o&ugrave; le gris dominait. (DB, 198)</q></p> <p>Au-del&agrave; m&ecirc;me d&rsquo;une profession devenue pr&eacute;texte, il s&rsquo;agit pour lui de rendre compte de l&rsquo;existence de ces personnes semblables &agrave; toutes les autres&nbsp;&mdash;&nbsp;une parmi cinq millions&nbsp;&mdash;&nbsp;qui servent d&rsquo;interm&eacute;diaire, que l&rsquo;on c&ocirc;toie tous les jours dans la rue, dans les transports en communs ou dans les boutiques et que l&rsquo;on croise sans m&ecirc;me parfois remarquer la pr&eacute;sence tant elles se confondent avec leur t&acirc;che et avec nous-m&ecirc;me. Ainsi, chaque entrevue se d&eacute;roule selon le m&ecirc;me sch&eacute;ma&nbsp;: rendez-vous est pris sur le lieu de travail, &agrave; sa sortie lorsqu&rsquo;il est impossible &agrave; Calet d&rsquo;y &ecirc;tre introduit, ou, plus rarement, dans l&rsquo;intimit&eacute; du foyer. Les questions portent sur les diverses banalit&eacute;s pratiques qui composent le quotidien&nbsp;: heures de lever et de coucher, obligations m&eacute;nag&egrave;res, heures d&rsquo;embauche et de sortie, d&eacute;roulement type d&rsquo;une journ&eacute;e de labeur, salaire et organisation du budget. Au-del&agrave; de cette structure fixe sur laquelle s&rsquo;appuie l&rsquo;enqu&ecirc;te, Calet s&rsquo;int&eacute;resse aussi aux &agrave;-c&ocirc;t&eacute;s d&rsquo;une journ&eacute;e de travail, &agrave; tout ce qui pourrait amener l&rsquo;individu &agrave; d&eacute;passer sa fonction sociale et &agrave; d&eacute;finir son unicit&eacute;. Cependant, force est de constater que les questions portant sur l&rsquo;organisation des temps libres, sur les loisirs et sur les aspirations futures ne re&ccedil;oivent que des r&eacute;ponses tout aussi convenues qui permettent finalement &agrave; Calet de &laquo;&nbsp;faire des rapprochements peut-&ecirc;tre exemplaires&nbsp;&raquo; (DB, 199) entre ces &ecirc;tres qui composent un Paris plus nuanc&eacute; qu&rsquo;il n&rsquo;y para&icirc;t. Ainsi, s&rsquo;il est possible de consid&eacute;rer&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;comme une succession de situations personnelles et anecdotiques, elles dressent un portrait de la soci&eacute;t&eacute; de 1953 qui met singuli&egrave;rement &agrave; mal la vision traditionnellement admise des &laquo;&nbsp;Trente Glorieuses &raquo;. Si cette appellation se v&eacute;rifie d&rsquo;un point de vue g&eacute;n&eacute;ral, il est cependant difficile, pour le lecteur du d&eacute;but du XXI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, de reconna&icirc;tre dans&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;les traces de la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;une croissance &eacute;conomique telle qu&rsquo;elle peut se donner &agrave; lire &agrave; travers les chiffres d&rsquo;un manuel d&rsquo;Histoire. La position de Calet est d&rsquo;autant plus singuli&egrave;re que&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;se situe &agrave; un moment charni&egrave;re sur le plan &eacute;conomique et social. En effet, selon Berstein et Milza, cette p&eacute;riode correspond au moment o&ugrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;conomie fran&ccedil;aise conna&icirc;t ses plus belles ann&eacute;es sous la IV<sup>e</sup>&nbsp;R&eacute;publique, celles de l&rsquo;expansion dans la stabilit&eacute;<sup><a href="#_ftn30" id="_ftnref30" name="_ftnref30">30</a></sup>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;enqu&ecirc;te de Calet, en plus de faire &eacute;tat des difficult&eacute;s rencontr&eacute;es journellement par les Fran&ccedil;ais, t&eacute;moigne donc aussi du d&eacute;calage in&eacute;vitable qu&rsquo;il existe toujours entre la perception individuelle d&rsquo;une situation v&eacute;cue au pr&eacute;sent et son analyse collective et globale qui s&rsquo;&eacute;crit&nbsp;<em>a posteriori</em>. S&rsquo;immiscer dans l&rsquo;intimit&eacute; de la vie quotidienne des personnes qu&rsquo;il interroge permet &agrave; Calet de sortir des descriptions g&eacute;n&eacute;rales qui pourront se v&eacute;rifier sur une frise chronologique mais qui appara&icirc;tront toujours erron&eacute;es du point de vue de la foule des anonymes qui subissent l&rsquo;Histoire davantage qu&rsquo;ils la font :</p> <p><q>T&ocirc;t lev&eacute;s, tous, et t&ocirc;t couch&eacute;s. Une grande lassitude g&eacute;n&eacute;rale dans le corps. Non, ce ne sont pas les habitants du &laquo;&nbsp;gay&nbsp;&raquo; Paris dont on nous rebat les oreilles. Ni d&rsquo;un Paris triste non plus. Disons plut&ocirc;t d&rsquo;un Paris mi-figue mi-raisin. (DB, 200)</q></p> <p>Menant son enqu&ecirc;te et composant&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;en r&eacute;action &agrave; la fable de ce &laquo;&nbsp;&ldquo;gay&rsquo;&rsquo; Paris dont on nous rebat les oreilles&nbsp;&raquo;, Calet d&eacute;construit une caricature en prenant soin de n&rsquo;en pas construire de nouvelle. Chaque individu interrog&eacute; n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme &eacute;tant l&rsquo;illustration d&rsquo;une th&eacute;orie sociale mais permet, au contraire, d&rsquo;introduire ou de donner &agrave; conna&icirc;tre un nouveau pan de r&eacute;alit&eacute;, sans jugement ni moralisme.</p> <p>La volont&eacute; de d&eacute;crire &laquo;&nbsp;Paris en tenue de travail&nbsp;&raquo; constituant le postulat de d&eacute;part de l&rsquo;enqu&ecirc;te, il appara&icirc;t naturel de voir Calet s&rsquo;attarder sur ce qui fait la difficult&eacute; de chacun des m&eacute;tiers qu&rsquo;il observe. Qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;amplitudes horaires particuli&egrave;rement longues, des petites et grandes difficult&eacute;s physiques li&eacute;es &agrave; une journ&eacute;e de labeur, ce n&rsquo;est jamais que de fa&ccedil;on extr&ecirc;mement pudique, et comme si cela relevait du d&eacute;tail, qu&rsquo;il se fait l&rsquo;&eacute;cho des banales mis&egrave;res humaines. Ainsi, en guise de conclusion au portrait de M.T., chef d&rsquo;&eacute;quipe aux usines Renault qui souligne l&rsquo;inhumanit&eacute; du travail &agrave; la cha&icirc;ne, l&rsquo;enqu&ecirc;teur remarque&nbsp;:</p> <p><q>Au dernier moment encore, je me suis aper&ccedil;u qu&rsquo;il lui manquait deux phalanges &agrave; la main droite. De m&ecirc;me que Riton, de Bezons, il n&rsquo;avait pas jug&eacute; utile de me signaler cela. Le lendemain, lever 5 heures et demie. Demain, il allait de nouveau devoir &eacute;lever la voix pour t&acirc;cher de dominer le tumulte de la grande temp&ecirc;te qui souffle quotidiennement sur l&rsquo;&icirc;le Seguin, &agrave; Billancourt. (DB, 62)</q></p> <p>Cet &eacute;pisode fait &eacute;cho au portrait de Riton, le menuisier des ateliers de Charonne, dont Calet remarque la semblable infirmit&eacute; &ndash; une phalange manquante aux deux doigts de la main gauche &ndash; dans des circonstances exactement similaires, au moment de le saluer pour prendre cong&eacute;. L&rsquo;enqu&ecirc;teur concluait son premier portrait sur une hypoth&egrave;se &ndash; &laquo;&nbsp;Un accident du travail certainement&nbsp;&raquo; (DB, 20) &ndash; qu&rsquo;il ne lui est pas n&eacute;cessaire de r&eacute;p&eacute;ter la seconde fois pour que le lecteur soit convaincu de sa pertinence et voie dans ces r&eacute;currences une v&eacute;rit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale qui ne rel&egrave;ve gu&egrave;re de l&rsquo;anecdote.</p> <p>&laquo;&nbsp;L&rsquo;expansion dans la stabilit&eacute;&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&eacute;conomie fran&ccedil;aise n&rsquo;est donc pas exempte de nombreux probl&egrave;mes que Calet identifie. Avec ce portrait d&rsquo;Ahmed Brahimi, Alg&eacute;rien de 32 ans, engag&eacute; &agrave; 18 ans dans l&rsquo;arm&eacute;e fran&ccedil;aise et ayant particip&eacute; &agrave; la campagne de Tunisie, au d&eacute;barquement d&rsquo;Italie et &agrave; celui de Normandie, il d&eacute;nonce en une phrase l&rsquo;indiff&eacute;rence du gouvernement fran&ccedil;ais envers ces anciens combattants Nord-Africains priv&eacute;s de reconnaissances &agrave; la Lib&eacute;ration&nbsp;:</p> <p><q>Ahmed a &eacute;t&eacute; affect&eacute; &agrave; la 2&egrave;me D.B.&nbsp;; il a prononc&eacute; le nom&nbsp;: LECLERC avec quelque &eacute;motion. Il a d&eacute;barqu&eacute; en Normandie, il est venu &agrave; Paris, il a guerroy&eacute; en Alsace. Il &eacute;tait sergent. Malade, il a &eacute;t&eacute; renvoy&eacute; en Alg&eacute;rie, puis au Maroc o&ugrave; il a &eacute;t&eacute; r&eacute;form&eacute;. Tout cela sans une blessure, mais aussi sans une m&eacute;daille. Je crois qu&rsquo;il aurait bien aim&eacute; avoir une m&eacute;daille, n&rsquo;importe laquelle. (DB, 95)</q></p> <p>Revenu en France en 1952, Ahmed appartient au contingent de 154 000 Nord-Africains &ndash; une autre foule &ndash; appel&eacute;s en France pour pallier le manque de main d&rsquo;&oelig;uvre<sup><a href="#_ftn31" id="_ftnref31" name="_ftnref31">31</a></sup>. Outre l&rsquo;indiff&eacute;rence et le racisme dont il est victime, l&rsquo;exemple d&rsquo;Ahmed Brahimi permet aussi &agrave; Calet de pointer du doigt l&rsquo;une des grandes probl&eacute;matiques de la p&eacute;riode d&rsquo;apr&egrave;s-guerre&nbsp;: la v&eacute;tust&eacute; et la p&eacute;nurie de logement, qualifi&eacute;e par Berstein et Milza de &laquo;&nbsp;point noir&nbsp;&raquo; dans le d&eacute;veloppement des industries de consommation<sup><a href="#_ftn32" id="_ftnref32" name="_ftnref32">32</a></sup>. Ainsi, l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; la propri&eacute;t&eacute; est ce qui caract&eacute;rise la foule des jeunes m&eacute;nages<sup><a href="#_ftn33" id="_ftnref33" name="_ftnref33">33</a></sup>&nbsp;dont Calet rappelle, avec l&rsquo;entretien de Denyse, la vendeuse du Bon March&eacute; qui soumet son projet de mariage &agrave; la condition de pouvoir acqu&eacute;rir un appartement, qu&rsquo;ils sont &laquo; &agrave; Paris 60 000 jeunes fianc&eacute;s qui attendent comme [elle] un logement&nbsp;&raquo; (DB, 28). Lorsqu&rsquo;il n&rsquo;est pas question de p&eacute;nurie, c&rsquo;est l&rsquo;exigu&iuml;t&eacute; et l&rsquo;insalubrit&eacute; des habitations qui reviennent comme un leitmotiv et, symboliquement, constituent les sujets principaux des deux portraits qui encadrent&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>. Dans &laquo;&nbsp;La retraite ou la mort&nbsp;&raquo;, dernier portrait des&nbsp;<em>Deux bouts</em>&nbsp;qui concluait aussi l&rsquo;enqu&ecirc;te &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo;, Calet d&eacute;crit la maison que ses parents occupent depuis 1920. Au bout d&rsquo;un escalier sombre et dangereux empuanti par l&rsquo;odeur des cabinets situ&eacute;s sur le palier, le couple de V.T., pour &laquo;&nbsp;vieux travailleurs&nbsp;&raquo;, occupe un deux pi&egrave;ces sans eau courante. Cette r&eacute;alit&eacute; famili&egrave;re permet &agrave; Calet de pointer du doigt quelques-unes des v&eacute;rit&eacute;s encore d&rsquo;actualit&eacute; en 1953&nbsp;:</p> <p><q>Car ils ont le gaz et l&rsquo;&eacute;lectricit&eacute;. On est au XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, que diable, et dans la Ville Lumi&egrave;re, et qui plus est, dans un quartier &eacute;l&eacute;gant. Ce sont, en somme, des favoris&eacute;s. Ils ne savent peut-&ecirc;tre pas que 51% des logements parisiens sont d&eacute;pourvus de w-c, de gaz ou d&rsquo;&eacute;lectricit&eacute;&nbsp;; 83% de salle de bains. Mais on n&rsquo;en demande pas tant. Ils n&rsquo;ont pas d&rsquo;eau, c&rsquo;est vrai, mais (je reprends la statistique), il en est de m&ecirc;me dans 23% des logements de Paris. C&rsquo;est, en quelque sorte, consolant. (DB, 187)</q></p> <p>Illustr&eacute;e &agrave; grand renfort de chiffres et d&rsquo;ironie dans ce dernier portrait, la question du logement constitue le v&eacute;ritable fil rouge de l&rsquo;enqu&ecirc;te et devient le premier indice de la difficult&eacute; &agrave; joindre les deux bouts. Les probl&eacute;matiques qui lui sont li&eacute;es concernent la majorit&eacute; des parisiens et les d&eacute;veloppements en cours dans la soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise sur fond de reprise &eacute;conomique ne sauraient masquer les disparit&eacute;s sociales qui subsistent. Comme &agrave; son habitude, Calet ne revendique rien mais se contente de relever des faits dont la somme transforme le caract&egrave;re anecdotique en une v&eacute;rit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale et quotidienne, commune &agrave; tous.</p> <p>En mars 1954,&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;re&ccedil;oit un accueil tr&egrave;s favorable de la part du public<sup><a href="#_ftn34" id="_ftnref34" name="_ftnref34">34</a></sup>&nbsp;et la presse salue le &laquo;&nbsp;remarquable documentaire sur la m&eacute;diocrit&eacute; et la duret&eacute; de la vie actuelle du Fran&ccedil;ais moyen<sup><a href="#_ftn35" id="_ftnref35" name="_ftnref35">35</a></sup>&nbsp;&raquo;. Georges Henein, dans une lettre dat&eacute;e du 5 avril 1954, qualifie le livre d&rsquo;&laquo;&nbsp;essai de sympathie&nbsp;&raquo; dont il serait impossible de n&rsquo;&ecirc;tre pas &laquo;&nbsp;complice<sup><a href="#_ftn36" id="_ftnref36" name="_ftnref36">1</a></sup>&nbsp;&raquo;. Dans un contexte marqu&eacute; par l&rsquo;appel de l&rsquo;abb&eacute; Pierre, le 1<sup>er</sup>&nbsp;f&eacute;vrier 1954, le &laquo;&nbsp;populisme v&eacute;ritable, sans proc&eacute;d&eacute; ni outrance<sup><a href="#_ftn37" id="_ftnref37" name="_ftnref37">37</a></sup>&nbsp;&raquo; dont Calet fait preuve dans ce livre, lui vaut d&rsquo;&ecirc;tre longtemps en course pour l&rsquo;attribution du prix Albert-Londres<sup><a href="#_ftn38" id="_ftnref38" name="_ftnref38">38</a></sup>. Livre d&rsquo;un reporter qui se soucie peu de l&rsquo;&eacute;v&egrave;nement, d&rsquo;un enqu&ecirc;teur social qui ne se risque &agrave; aucune th&eacute;orisation et d&rsquo;un romancier qui n&rsquo;&eacute;crit pas de roman,&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>&nbsp;rend compte d&rsquo;un pauvre quotidien d&eacute;nu&eacute; de grandiose tout autant que de tragique. Avec ces portraits, Calet parvient &agrave; singulariser des individus sans pour chercher &agrave; les rendre exceptionnels. Ainsi isol&eacute;s, ils ne demeurent pas moins solidaires d&rsquo;une foule h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne qui se caract&eacute;rise autant par la multiplicit&eacute; que par la similitude.</p> <hr /> <p><b>R&eacute;f&eacute;rences</b></p> <p><strong>&OElig;uvres d&rsquo;Henri Calet&nbsp;:</strong></p> <p><em>La Belle Lurette</em>&nbsp;[Gallimard, octobre 1935], 2010, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2010.</p> <p><em>Le M&eacute;rinos</em>&nbsp;[Gallimard, septembre 1937], Paris, Le Dilettante, 1996.</p> <p><em>Fi&egrave;vre des polders</em>&nbsp;[Gallimard, juillet 1939], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2017.</p> <p><em>Le Bouquet</em>&nbsp;[Gallimard, mai 1945], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2001.</p> <p><em>Les Murs de Fresnes</em>, Paris, Les &Eacute;ditions des Quatre Vents, 1945.</p> <p><em>Am&eacute;rica</em>, Paris, Mercure de France, 1947.</p> <p><em>Trente &agrave; quarante</em>&nbsp;[&Eacute;ditions de Minuit, avril 1947], Paris, Mercure de France, 1991.</p> <p><em>Le Tout sur le tout</em>&nbsp;[Gallimard, juin 1948], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2011.</p> <p><em>R&ecirc;ver &agrave; la suisse</em>&nbsp;[&Eacute;ditions de Flore, d&eacute;cembre 1948], Paris, Pierre Horay, 1984.</p> <p><em>L&rsquo;Italie &agrave; la paresseuse</em>&nbsp;[Gallimard, avril 1950], Paris, Le Dilettante, 1990.</p> <p><em>Monsieur Paul&nbsp;</em>[Gallimard, octobre 1950], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2007.</p> <p><em>Les Grandes Largeurs</em>&nbsp;[Vineta, novembre 1951], Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;L&rsquo;Imaginaire&nbsp;&raquo;, 2008.</p> <p><em>Un grand voyage</em>&nbsp;[Gallimard, octobre 1952], Paris, Le Dilettante, 1994.</p> <p><em>Les Deux Bouts&nbsp;</em>[Gallimard, mai 1954], Gen&egrave;ve, H&eacute;ros Limite, &laquo;&nbsp;Tuta Blu&nbsp;&raquo;, 2016.</p> <p><em>Le Croquant indiscret</em>&nbsp;[Grasset &amp; Fasquelle, octobre 1955], Paris, Grasset, &laquo;&nbsp;Les Cahiers Rouges&nbsp;&raquo;, 2015.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Corpus critique :</strong></p> <p>Ajchenbaum Yves-Marc,&nbsp;<em>&Agrave; la vie &agrave; la mort, histoire du journal Combat 1941-1974</em>, Paris, Le Monde &Eacute;ditions, 1994.</p> <p>Aug&eacute; Marc,&nbsp;<em>Un ethnologue dans le m&eacute;tro</em>, Paris, Hachette litt&eacute;ratures, &laquo;&nbsp;Pluriel&nbsp;&raquo;, 2008.</p> <p>Balzac Honor&eacute; de,&nbsp;<em>Physiologie du mariage</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 1987.</p> <p>Bancquart Marie-Claire,&nbsp;<em>Paris dans la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise apr&egrave;s 1945</em>, Paris, &Eacute;ditions de la Diff&eacute;rence, &laquo;&nbsp;Les Essais&nbsp;&raquo;, 2006.</p> <p>Baril Jean-Pierre,&nbsp;<em>Henri Calet bibliographie critique 1931-2003</em>, th&egrave;se de doctorat, Universit&eacute; Paris III, 2006.</p> <p>Baudelaire Charles,&nbsp;<em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, Paris, Robert Laffont, &laquo;&nbsp;Bouquins&nbsp;&raquo;, 1980.</p> <p>Berstein Serge, Milza, Pierre,&nbsp;<em>Histoire de la France au XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, tome 2, Paris, Perrin, 2009.</p> <p>Delbourg Patrice,&nbsp;<em>Les D&eacute;sempar&eacute;s, 53 portraits d&rsquo;&eacute;crivains</em>, Paris, Le Castor Astral, 1996.</p> <p>Fournel Victor,&nbsp;<em>Ce qu&rsquo;on voit dans les rues de Paris</em>, Paris, E. Dentu Libraire-&Eacute;diteur, 1867.</p> <p>Hazan &Eacute;ric,&nbsp;<em>L&rsquo;Invention de Paris</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, &laquo;&nbsp;Points&nbsp;&raquo;, 2002.</p> <p>Moscovici Serge,&nbsp;<em>L&rsquo;&Acirc;ge des foules, un trait&eacute; historique de psychologie des masses</em>, Paris, Fayard, 1981.</p> <p>Nadeau Maurice,&nbsp;<em>Le Roman fran&ccedil;ais apr&egrave;s la guerre</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Id&eacute;es&nbsp;&raquo;, 1992.</p> <p>R&eacute;da Jacques,&nbsp;<em>Les Ruines de Paris</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Po&eacute;sie/Gallimard&nbsp;&raquo;, 2018.</p> <p>Schmitt Michel P., &laquo;&nbsp;La r&eacute;ception litt&eacute;raire d&rsquo;Henri Calet&nbsp;&raquo;,<em>&nbsp;in Europe</em>, &laquo;&nbsp;Henri Calet&nbsp;&raquo;, n&deg; 883-884, novembre-d&eacute;cembre 2002.</p> <p><em>Grandes largeurs</em>, n&deg; 1, &eacute;t&eacute; 1981.</p> <p><em>Grandes largeurs</em>, &laquo;&nbsp;Lettres Georges Henein - Henri Calet&nbsp;&raquo;, n&deg; 2-3, automne-hiver 1981.</p> <hr /> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref1" id="_ftn1" name="_ftn1" title="&gt;&lt;span style=">1</a></sup>&nbsp;Soulignons notamment les r&eacute;&eacute;ditions, en 2021, de&nbsp;<em>R&ecirc;ver &agrave; la suisse</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Les Murs de Fresnes</em>, aux &eacute;ditions genevoises H&eacute;ros-Limite.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref2" id="_ftn2" name="_ftn2" title="&gt;&lt;span style=">2</a></sup>&nbsp;<em>La Belle Lurette</em>&nbsp;(1935),<em>&nbsp;Le M&eacute;rinos</em>&nbsp;(1937) et&nbsp;<em>Fi&egrave;vre des polders</em>&nbsp;(1939).</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref3" id="_ftn3" name="_ftn3" title="&gt;&lt;span style=">3</a></sup>&nbsp;L&rsquo;expression est d&rsquo;Yves-Marc Ajchenbaum,&nbsp;<em>&Agrave; la vie &agrave; la mort, histoire du journal Combat 1941-1974</em>, Paris, Le Monde &eacute;ditions, 1994, p. 125.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref4" id="_ftn4" name="_ftn4" title="&gt;&lt;span style=">4</a></sup>&nbsp;Lettre &agrave; Georges Henein, f&eacute;vrier 1953.&nbsp;<em>Grandes largeurs</em>, &laquo;&nbsp;Lettres Georges Henein - Henri Calet&nbsp;&raquo;, n&deg;&nbsp;2-3, automne-hiver 1981, p. 180-181.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref5" id="_ftn5" name="_ftn5" title="&gt;&lt;span style=">5</a></sup>&nbsp;&laquo;&nbsp;Demain dans Le Parisien lib&eacute;r&eacute;, une grande enqu&ecirc;te d&rsquo;Henri Calet : &ldquo;Un sur cinq millions&rsquo;&rsquo;&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Le Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>, 25 mai 1953, p. 1.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref6" id="_ftn6" name="_ftn6" title="&gt;&lt;span style=">6</a></sup>&nbsp;Henri Calet, &laquo;&nbsp;Depuis toujours les foules m&rsquo;attirent&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Le Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>, 25 mai 1953, p. 6. Ce texte constitue l&rsquo;avant-propos du livre&nbsp;<em>Les Deux bouts</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref7" id="_ftn7" name="_ftn7" title="&gt;&lt;span style=">7</a></sup>&nbsp;Henri Calet,&nbsp;<em>Les Deux Bouts</em>, Gen&egrave;ve, H&eacute;ros-Limite, &laquo;&nbsp;Tuta Blu&nbsp;&raquo;, 2018, p. 10. Toutes les citations sont extraites de cet ouvrage. Pour limiter les notes de bas de page nous utiliserons l&rsquo;abr&eacute;viation (DB) suivie du num&eacute;ro de page.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref8" id="_ftn8" name="_ftn8" title="&gt;&lt;span style=">8</a></sup>&nbsp;&laquo;&nbsp;La grande Aventure de tous les jours&nbsp;&raquo;, avec une majuscule sur le mot &laquo;&nbsp;aventure&nbsp;&raquo;, &eacute;tait la phrase choisie par Gallimard pour figurer sur la bande de lancement de l&rsquo;&eacute;dition originale des Deux bouts.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref9" id="_ftn9" name="_ftn9" title="&gt;&lt;span style=">9</a></sup>&nbsp;L&rsquo;enqu&ecirc;te &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo; ne comportait que seize articles. &Agrave; l&rsquo;occasion de la parution des&nbsp;<em>Deux bouts</em>, Calet ajoute deux portraits issus d&rsquo;une autre enqu&ecirc;te intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Au hasard de ma route&nbsp;&raquo;, parue dans&nbsp;<em>Marie-France</em>&nbsp;en octobre-novembre 1953.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref10" id="_ftn10" name="_ftn10" title="&gt;&lt;span style=">10</a></sup>&nbsp;Georges Henein, &laquo;&nbsp;Henri Calet&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Grandes largeurs</em>, n&deg;1, &eacute;t&eacute; 1981, p. 69.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref11" id="_ftn11" name="_ftn11" title="&gt;&lt;span style=">11</a></sup>&nbsp;Maurice Nadeau,&nbsp;<em>Le Roman fran&ccedil;ais apr&egrave;s la guerre</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Id&eacute;es&nbsp;&raquo;, 1992, p. 117.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref12" id="_ftn12" name="_ftn12" title="&gt;&lt;span style=">12</a></sup>&nbsp;Patrice Delbourg,&nbsp;<em>Les D&eacute;sempar&eacute;s, 53 portraits d&rsquo;&eacute;crivains</em>, Paris, Le Castor Astral, 1996, p. 113.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref13" id="_ftn13" name="_ftn13" title="&gt;&lt;span style=">13</a></sup>&nbsp;Marie-Claire Bancquart,&nbsp;<em>Paris dans la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise apr&egrave;s 1945</em>, Paris, Editions de la Diff&eacute;rence, &laquo;&nbsp;Les Essais&nbsp;&raquo;, 2006, p. 38-42. Le portrait de Calet n&rsquo;y est pr&eacute;c&eacute;d&eacute; que de celui de Robert Sabatier (1923-2012).</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref14" id="_ftn14" name="_ftn14" title="&gt;&lt;span style=">14</a></sup>&nbsp;Honor&eacute; de Balzac,&nbsp;<em>Physiologie du mariage</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio&nbsp;&raquo;, 1987, p. 52.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref15" id="_ftn15" name="_ftn15" title="&gt;&lt;span style=">15</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref16" id="_ftn16" name="_ftn16" title="&gt;&lt;span style=">16</a></sup>&nbsp;Charles Baudelaire,&nbsp;<em>Le Peintre de la vie moderne</em>,<em>&nbsp;in &OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, Paris, Robert Laffont, &laquo;&nbsp;Bouquins&nbsp;&raquo;, 1980, p. 795.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref17" id="_ftn17" name="_ftn17" title="&gt;&lt;span style=">17</a></sup>&nbsp;Charles Baudelaire,&nbsp;<em>Le Spleen de Paris</em>,&nbsp;<em>in &OElig;uvres compl&egrave;tes</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 170.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref18" id="_ftn18" name="_ftn18" title="&gt;&lt;span style=">18</a></sup>&nbsp;&Eacute;ric Hazan,&nbsp;<em>L&rsquo;Invention de Paris</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil, &laquo;&nbsp;Points&nbsp;&raquo;, 2002, p. 434.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref19" id="_ftn19" name="_ftn19" title="&gt;&lt;span style=">19</a></sup>&nbsp;Serge Moscovici,&nbsp;<em>L&rsquo;&Acirc;ge des foules, un trait&eacute; historique de psychologie des masses</em>, Paris, Fayard, 1981.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref20" id="_ftn20" name="_ftn20" title="&gt;&lt;span style=">20</a></sup>&nbsp;Charles Baudelaire,&nbsp;<em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>,&nbsp;<em>op. cit.</em>, p. 170.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref21" id="_ftn21" name="_ftn21" title="&gt;&lt;span style=">21</a></sup>&nbsp;Paru pour la premi&egrave;re fois en 1855,&nbsp;<em>Ce qu&rsquo;on voit dans les rues de Paris</em>&nbsp;est r&eacute;&eacute;dit&eacute; en 1858 dans une &eacute;dition augment&eacute;e. C&rsquo;est cette deuxi&egrave;me version qui est reprise par notre &eacute;dition de r&eacute;f&eacute;rence, dat&eacute;e de 1867, et disponible sur le site internet de la BNF &agrave; la page suivante :&nbsp;<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k757298/f3.image">https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k757298/f3.image</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref22" id="_ftn22" name="_ftn22" title="&gt;&lt;span style=">22</a></sup>&nbsp;Victor Fournel,&nbsp;<em>Ce qu&rsquo;on voit dans les rues de Paris</em>, Paris, E. Dentu Libraire-Editeur, 1867, p. 270.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref23" id="_ftn23" name="_ftn23" title="&gt;&lt;span style=">23</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 271.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref24" id="_ftn24" name="_ftn24" title="&gt;&lt;span style=">24</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 272.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref25" id="_ftn25" name="_ftn25" title="&gt;&lt;span style=">25</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 281.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref26" id="_ftn26" name="_ftn26" title="&gt;&lt;span style=">26</a></sup>&nbsp;Henri Calet,&nbsp;<em>Le Tout sur le tout</em>, Paris, Gallimard,&nbsp;&laquo;&nbsp;L&rsquo;imaginaire&nbsp;&raquo;, 2011, p. 220.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref27" id="_ftn27" name="_ftn27" title="&gt;&lt;span style=">27</a></sup>&nbsp;Marc Aug&eacute;,&nbsp;<em>Un ethnologue dans le m&eacute;tro</em>, Paris, Hachette litt&eacute;ratures, &laquo;&nbsp;Pluriel&nbsp;&raquo;, 2008, p. 55.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref28" id="_ftn28" name="_ftn28" title="&gt;&lt;span style=">28</a></sup>&nbsp;Jacques R&eacute;da,&nbsp;<em>Les Ruines de Paris</em>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Po&eacute;sie/Gallimard&nbsp;&raquo;, 2018, p. 72.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref29" id="_ftn29" name="_ftn29" title="&gt;&lt;span style=">29</a></sup>&nbsp;La pr&eacute;cision est tout aussi tardive dans l&rsquo;enqu&ecirc;te &laquo;&nbsp;Un sur cinq millions&nbsp;&raquo; o&ugrave; le portrait consacr&eacute; &agrave; Maurice Denis, receveur d&rsquo;autobus, para&icirc;t dans&nbsp;<em>Le Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>&nbsp;du 15 juin 1953.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref30" id="_ftn30" name="_ftn30" title="&gt;&lt;span style=">30</a></sup>&nbsp;Serge Berstein, Pierre Milza,&nbsp;<em>Histoire de la France au XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</em>, tome 2, Paris, Perrin, 2009, p. 496.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref31" id="_ftn31" name="_ftn31" title="&gt;&lt;span style=">31</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 502. Entre 1951 et 1957, ce sont pr&egrave;s de 164 000 &eacute;trangers qui arrivent pour travailler en France.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref32" id="_ftn32" name="_ftn32" title="&gt;&lt;span style=">32</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 506.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref33" id="_ftn33" name="_ftn33" title="&gt;&lt;span style=">33</a></sup>&nbsp;<em>Ibid</em>., p. 506.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref34" id="_ftn34" name="_ftn34" title="&gt;&lt;span style=">34</a></sup>&nbsp;En 1958, le livre de Calet s&rsquo;&eacute;tait &eacute;coul&eacute; &agrave; 2964 exemplaires soit un chiffre tout &agrave; fait honorable pour un ouvrage d&rsquo;enqu&ecirc;te d&eacute;j&agrave; lu, par ailleurs, par les lecteurs du&nbsp;<em>Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>. &Agrave; titre de comparaison, &agrave; la m&ecirc;me date il s&rsquo;&eacute;tait vendu seulement 2771 exemplaires de&nbsp;<em>Monsieur Paul</em>, pourtant paru quatre ans auparavant (1950), et 7067 exemplaires du&nbsp;<em>Tout sur le tout</em>&nbsp;(1948) qui est, en 1958, le plus grand &laquo;&nbsp;succ&egrave;s de librairie&nbsp;&raquo; de Calet. Jean-Pierre Baril,&nbsp;<em>Henri Calet bibliographie critique 1931-2003</em>, th&egrave;se de doctorat, Universit&eacute; Paris III, 2006, p. 115-117.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref35" id="_ftn35" name="_ftn35" title="&gt;&lt;span style=">35</a></sup>&nbsp;Michel P. Schmitt, &laquo;&nbsp;La r&eacute;ception litt&eacute;raire d&rsquo;Henri Calet&nbsp;&raquo;,<em>&nbsp;in Europe</em>, &laquo;&nbsp;Henri Calet&nbsp;&raquo;, n&deg; 883-884, novembre-d&eacute;cembre 2002, p. 157.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref36" id="_ftn36" name="_ftn36" title="&gt;&lt;span style=">36</a></sup>&nbsp;Lettre de Georges Henein &agrave; Henri Calet du 5 avril 1954.&nbsp;<em>Grandes largeurs</em>, &laquo;&nbsp;Lettres Georges Henein - Henri Calet&nbsp;&raquo;, n&deg; 2-3, automne - hiver 1981, p. 197.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref37" id="_ftn37" name="_ftn37" title="&gt;&lt;span style=">37</a></sup>&nbsp;L&rsquo;expression est de Michel P. Schmitt,<em>&nbsp;in art. cit</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p><sup><a font-size:10.0pt="" href="#_ftnref38" id="_ftn38" name="_ftn38" title="&gt;&lt;span style=">38</a></sup>&nbsp;Calet, qui avait d&eacute;j&agrave; manqu&eacute; le prix Goncourt avec&nbsp;<em>Le Bouquet&nbsp;</em>et&nbsp;<em>Le Tout sur le tout</em>, s&rsquo;incline face au reportage d&rsquo;Armand Gatti,&nbsp;<em>Envoy&eacute; sp&eacute;cial dans la cage aux fauves</em>, paru lui aussi dans<em>&nbsp;Le Parisien lib&eacute;r&eacute;</em>.</p>