<p>Au cœur du plan-séquence inaugural de <em>Gravity</em>, d’Alfonso Cuarón, on peut entendre le personnage de Walt Kowalski prononcer une réplique qui semble déconnectée des enjeux de survie et d’urgence de la scène : « La moitié de l’Amérique du Nord vient de perdre l’accès à Facebook ». Alors que cette ouverture se caractérise du reste par une montée progressive de la tension dramatique et un sentiment de danger toujours plus explicite, la désinvolture de la remarque semble injecter à la scène une forme, sinon de soulagement comique, du moins de légèreté. Elle cristallise pourtant, sans contradiction nécessaire, plusieurs enjeux essentiels du film qui commence, et le place sous le signe de la rupture et du décalage : rupture des communications, rupture du ton du film donc, mais aussi rupture entre les personnages d’astronautes au centre du récit et la population terrestre, restée en bas, sans oublier la faille créée entre la « moitié » en question, privée de réseau, et l’autre moitié, à l’abri des conséquences de la dérive de débris qui endommage plusieurs satellites. Avant même que l’action du film n’ait tout à fait débuté, il est fait allusion à une forme de faille qui met à distance les individus et les sépare à plusieurs titres. Le film de Cuarón anticipe alors celui de Christopher Nolan, <em>Interstellar</em>, sorti un an plus tard et dans lequel il s’agit, une fois parti dans l’espace, de combler la faille temporelle et spatiale qui pourtant ne cesse de s’élargir entre le voyageur spatial et ses proches restés sur Terre.</p>