<p>&laquo;&nbsp;Unique et multiple<sup><a href="#nbp_1" id="note_1" name="lien_nbp_1" title="Aller à la note de bas de page n°1">1</a></sup>&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;insaisissable&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;actuel et inactuel&nbsp;&raquo;. &Eacute;voquer Jean Cocteau passe souvent par une expression paradoxale, explicitant ce que Jean Touzot a nomm&eacute; la &laquo;&nbsp;th&eacute;rapeutique des contraires<sup><a href="#" id="note_2" name="lien_nbp_2" title="Aller à la note de bas de page n°2">2</a></sup>&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;ensuit qu&rsquo;une caract&eacute;risation efficace de notre auteur en termes d&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;ou de posture pose probl&egrave;me. Du point de vue de l&rsquo;objet d&rsquo;&eacute;tude tout d&rsquo;abord, Cocteau s&rsquo;av&egrave;re difficile &agrave; appr&eacute;hender dans la mesure o&ugrave; il multiplie les supports de production, les modalit&eacute;s de cr&eacute;ation ainsi que les diverses facettes de lui qu&rsquo;il donne &agrave; voir. &Agrave; cela s&rsquo;ajoutent des difficult&eacute;s d&rsquo;ordre notionnel&nbsp;: le terme &laquo;&nbsp;posture&nbsp;&raquo; (J&eacute;r&ocirc;me Meizoz) s&rsquo;inscrit dans la lign&eacute;e des notions d&rsquo;&laquo;&nbsp;<em>ethos</em>&nbsp;&raquo; et d&rsquo;&laquo;&nbsp;image d&rsquo;auteur&nbsp;&raquo; (Ruth Amossy), qui lui sont &agrave; la fois compl&eacute;mentaires et concurrentes. Dans notre travail de th&egrave;se, nous nous trouvons face &agrave; cette triade terminologique qui, par chevauchements et diff&eacute;rences, est n&eacute;cessaire &agrave; l&rsquo;appr&eacute;hension de la figure coctalienne.</p> <p>Nous voil&agrave; donc confront&eacute;s &agrave; deux &laquo;&nbsp;objet[s] difficile[s] &agrave; ramasser&nbsp;&raquo; selon la d&eacute;finition de l&rsquo;&oelig;uvre que Cocteau se pla&icirc;t &agrave; donner.</p> <p><q>Il y a fort longtemps, j&rsquo;ai vu dans un catalogue d&rsquo;attrapes pour noces et banquets&nbsp;: &laquo;&nbsp;objet difficile &agrave; ramasser&nbsp;&raquo;. J&rsquo;ignore quel est cet objet et comment il se nomme, mais j&rsquo;aime qu&rsquo;il existe et r&ecirc;ver dessus. Une &oelig;uvre doit &ecirc;tre un &laquo;&nbsp;objet difficile &agrave; ramasser&nbsp;&raquo; [&hellip;]. Il faut ne pas savoir par quel bout la prendre, ce qui g&ecirc;ne les critiques, les agace, les pousse &agrave; l&rsquo;insulte, mais pr&eacute;serve sa fra&icirc;cheur. Moins elle est comprise, moins vite elle ouvre ses p&eacute;tales et moins vite elle se fane<sup><a href="#nbp_3" id="note_3" name="lien_nbp_3" title="Aller à la note de bas de page n°3">3</a></sup>.</q></p> <p>Un tel constat nous am&egrave;ne &agrave; proposer une r&eacute;flexion ne visant pas seulement &agrave; statuer sur la posture coctalienne mais &agrave; confronter, ou mettre en pr&eacute;sence, la complexit&eacute; de notre objet d&rsquo;&eacute;tude et la diversit&eacute; notionnelle afin d&rsquo;en d&eacute;gager une heuristique interpr&eacute;tative, qui serve aussi bien l&rsquo;objet d&rsquo;&eacute;tude Cocteau que l&rsquo;appareil conceptuel mobilis&eacute; dans notre travail de recherche.</p> <p>Dans un premier temps il s&rsquo;agira de poser le cadre conceptuel de r&eacute;f&eacute;rence en d&eacute;finissant et contextualisant les trois notions d&rsquo;<em>ethos</em>, d&rsquo;image d&rsquo;auteur et de posture. Puis, nous esquisserons ce que nous qualifierons de cas Cocteau, en soulignant les diff&eacute;rents niveaux affect&eacute;s par la strat&eacute;gie posturale mise en place par le po&egrave;te. C&rsquo;est enfin l&rsquo;examen de l&rsquo;&eacute;chec paradoxal de l&rsquo;entreprise de pr&eacute;sentation de soi coctalienne qui nous permettra d&rsquo;&eacute;tablir des lignes de force au sein de l&rsquo;activit&eacute; multiple et transm&eacute;diale du po&egrave;te et de voir, en retour, ce que le cas Cocteau peut apporter aux &eacute;tudes de l&rsquo;image d&rsquo;auteur.</p> <h1>0.<em>Ethos</em>/posture/image d&rsquo;auteur&nbsp;: des notions voisines</h1> <p>Les notions d&rsquo;<em>ethos</em>, de posture et d&rsquo;image d&rsquo;auteur convergent vers l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t renouvel&eacute; des disciplines litt&eacute;raires et sociologiques pour la question de l&rsquo;auteur. L&rsquo;Analyse de Discours<sup><a href="#nbp_4" id="note_4" name="lien_nbp_4" title="Aller à la note de bas de page n°4">4</a></sup>&nbsp;&agrave; la fran&ccedil;aise de Dominique Maingueneau ainsi que la perspective sociologique invitent &agrave; appr&eacute;hender la litt&eacute;rature comme un discours qui est travers&eacute; par une multitude d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments, (parmi lesquels l&rsquo;auteur) susceptibles de l&rsquo;influencer, de l&rsquo;orienter voire de le modifier. L&rsquo;&eacute;tude de l&rsquo;image d&rsquo;un auteur se trouve donc au carrefour de plusieurs disciplines distinctes&nbsp;: la rh&eacute;torique, l&rsquo;A. D. d&rsquo;une part et la sociologie des champs et la sociopo&eacute;tique d&rsquo;autre part. Afin d&rsquo;appr&eacute;hender nos trois notions dans leur compl&eacute;mentarit&eacute;, il s&rsquo;agira de contextualiser la notion premi&egrave;re qu&rsquo;est l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;puis de montrer l&rsquo;inscription progressive de l&rsquo;image d&rsquo;auteur et de la posture dans cette lign&eacute;e<sup><a href="#nbp_5" id="note_5" name="lien_nbp_5" title="Aller à la note de bas de page n°5">5</a></sup>.</p> <p>&Agrave; l&rsquo;origine, la notion d&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;rel&egrave;ve de la pratique oratoire o&ugrave; il s&rsquo;agit d&rsquo;influencer l&rsquo;auditoire. Dans sa&nbsp;<em>Rh&eacute;torique</em><sup><a href="#nbp_6" id="note_6" name="lien_nbp_6" title="Aller à la note de bas de page n°6">6</a></sup>, Aristote reprend cette notion issue de la tradition oratoire pour l&rsquo;int&eacute;grer &agrave; son propre syst&egrave;me. Selon le Stagirite, le discours oratoire se compose de trois dimensions compl&eacute;mentaires. Le&nbsp;<em>logos</em>&nbsp;est le lieu des arguments logiques mobilis&eacute;s par l&rsquo;orateur dans le but de persuader. Le&nbsp;<em>pathos</em>&nbsp;en appelle aux affects de l&rsquo;auditoire afin de susciter l&rsquo;&eacute;motion et d&rsquo;emporter l&rsquo;adh&eacute;sion du public. L&rsquo;<em>ethos</em>, quant &agrave; lui, renvoie &agrave; l&rsquo;image de cr&eacute;dibilit&eacute; que l&rsquo;orateur donne de lui-m&ecirc;me pour obtenir la confiance des auditeurs. En faisant de l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;une composante du discours oratoire, Aristote limite cette cat&eacute;gorie &agrave; l&rsquo;interaction verbale, par cons&eacute;quent, ce que l&rsquo;auditoire pense de la personne de l&rsquo;orateur en amont et hors du discours prononc&eacute; n&rsquo;est pas pris en compte.</p> <p>Apr&egrave;s des si&egrave;cles de tradition aristot&eacute;licienne, Lucie Olbrechts Tyteca et Cha&iuml;m Perelman am&eacute;nagent la notion dans le cadre de leur Nouvelle Rh&eacute;torique<sup><a href="#nbp_7" id="note_7" name="lien_nbp_7" title="Aller à la note de bas de page n°7">7</a></sup>. Outre l&rsquo;&eacute;tude de la strat&eacute;gie consciente de l&rsquo;orateur, c&rsquo;est &agrave; l&rsquo;auditoire qu&rsquo;ils accordent une attention toute particuli&egrave;re. Ils &eacute;tablissent un pendant &agrave; l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;discursif intentionnel du locuteur en postulant que, de m&ecirc;me que pour convaincre, l&rsquo;orateur projette un public quand il r&eacute;dige son discours, l&rsquo;auditeur produit certaines attentes relatives au locuteur. Ces attentes sont ce que L. Olbrechts-Tyteca et C. Perelman nomment l&rsquo;&laquo;&nbsp;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable&nbsp;&raquo; rompant ainsi avec le syst&egrave;me aristot&eacute;licien. Il s&rsquo;agit donc de sortir du cadre strictement rh&eacute;torique du discours proprement dit pour y inclure une repr&eacute;sentation discursive du locuteur ant&eacute;rieure &agrave; sa prise de parole.</p> <p>Ce geste, repris par &laquo;&nbsp;l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable&nbsp;&raquo; dans la terminologie de R. Amossy et par &laquo;&nbsp;l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;discursif&nbsp;&raquo; dans celle de D. Maingueneau, favorise ce que nous pouvons qualifier de glissement du cadre strictement discursif vers le domaine sociologique. En effet, D. Maingueneau a l&rsquo;avantage d&rsquo;ouvrir le champ de l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;au domaine de l&rsquo;&eacute;crit en postulant que le texte &eacute;crit, et donc le texte litt&eacute;raire, suppose un fonctionnement discursif, une &eacute;nonciation bas&eacute;e sur une interaction diff&eacute;r&eacute;e entre un locuteur et un r&eacute;cepteur. Mais pour autant, il n&rsquo;exclut pas la prise en compte du monde extra-discursif ou pr&eacute;-discursif, qui conditionne la perception du r&eacute;cepteur. Ce faisant, D. Maingueneau sort du texte au sens strict et consid&egrave;re un faisceau de discours pr&eacute;alables que la m&eacute;moire du r&eacute;cepteur est susceptible de r&eacute;activer.</p> <p>Toutefois, cette perception du r&eacute;cepteur ne repose pas uniquement sur des discours pr&eacute;alables et il faudrait alors prendre en compte tout un ensemble d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments non-discursifs susceptibles d&rsquo;y participer. C&rsquo;est en poussant cette logique jusqu&rsquo;&agrave; son terme que l&rsquo;on voit dans quelle mesure l&rsquo;A.&nbsp;D. peut tendre vers le domaine de la sociologie et comment la notion d&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;peut d&eacute;border le cadre strictement discursif.</p> <p>L&rsquo;approche sociologique recourt &eacute;galement aux notions de posture et d&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;comme le concept goffmanien de la &laquo;&nbsp;pr&eacute;sentation de soi<sup><a href="#nbp_8" id="note_8" name="lien_nbp_8" title="Aller à la note de bas de page n°8">8</a></sup>&nbsp;&raquo; l&rsquo;indique. C&rsquo;est toutefois la sociopo&eacute;tique qui nous int&eacute;resse ici, en ce qu&rsquo;elle constitue une tentative de d&eacute;cloisonnement des domaines sp&eacute;cifiques de l&rsquo;A.&nbsp;D. et de la sociologie. Dans leur ouvrage consacr&eacute; &agrave; Le Cl&eacute;zio<sup><a href="#nbp_9" id="note_9" name="lien_nbp_9" title="Aller à la note de bas de page n°9">9</a></sup>, Alain Viala et Georges Molini&eacute; proposent d&rsquo;unir &eacute;tude textuelle et prise en compte des d&eacute;terminismes non-discursifs. Adoptant une perspective bourdieusienne, ils souhaitent &eacute;tablir la strat&eacute;gie de positionnement de l&rsquo;auteur dans un champ donn&eacute;, sans pour autant n&eacute;gliger les options formelles qui en d&eacute;coulent, c&rsquo;est-&agrave;-dire la po&eacute;tique propre de l&rsquo;auteur.</p> <p>Cette d&eacute;marche dans la lign&eacute;e de laquelle s&rsquo;ins&egrave;re J. Meizoz serait un bon moyen d&rsquo;articuler les p&ocirc;les discursifs et non-discursifs si elle ne recourait pas &agrave; l&rsquo;expression d&rsquo;&laquo;&nbsp;<em>ethos</em>&nbsp;auctorial&nbsp;&raquo;, qui vient r&eacute;utiliser un terme d&eacute;j&agrave; charg&eacute; de significations. Un tel choix terminologique peut expliquer la relative confidentialit&eacute; des travaux d&rsquo;A. Viala dans la mesure o&ugrave; la notion d&rsquo; &laquo;&nbsp;<em>ethos</em>&nbsp;auctorial&nbsp;&raquo; est rest&eacute;e associ&eacute;e de mani&egrave;re pr&eacute;f&eacute;rentielle &agrave; l&rsquo;A.&nbsp;D. avec la d&eacute;finition qu&rsquo;en donne R. Amossy&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;image de soi que projette l&rsquo;auteur dans le discours litt&eacute;raire<sup><a href="#nbp_10" id="note_10" name="lien_nbp_10" title="Aller à la note de bas de page n°10">10</a></sup>.&nbsp;&raquo;</p> <p>On obtient donc un terme (<em>ethos</em>) qui, selon les disciplines, recouvre des r&eacute;alit&eacute;s proches et potentiellement porteuses d&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute;. La mise en relation de l&rsquo;A.&nbsp;D. et de la sociologie a permis d&rsquo;identifier l&rsquo;insuffisance de cette notion discursive &agrave; englober l&rsquo;image d&rsquo;un auteur. Cette n&eacute;cessaire mise &agrave; mal de la fronti&egrave;re entre l&rsquo;intra et l&rsquo;extra-discursif induit l&rsquo;&eacute;mergence de deux notions : l&rsquo;&laquo;&nbsp;image d&rsquo;auteur&nbsp;&raquo; d&eacute;velopp&eacute;e par R.&nbsp;Amossy et la &laquo;&nbsp;posture&nbsp;&raquo; initi&eacute;e par J.&nbsp;Meizoz.</p> <p>Dans son article &laquo;&nbsp;La double nature de l&rsquo;image de l&rsquo;auteur&nbsp;&raquo;, R. Amossy donne la d&eacute;finition suivante&nbsp;:</p> <p><q>L&rsquo;image au sens litt&eacute;ral, visuel du terme se double donc d&rsquo;une image au sens figur&eacute;. Elle comporte deux traits distinctifs&nbsp;: (1)</q></p> <p><q>elle est construite dans et par le discours, et ne se confond en rien avec la personne r&eacute;elle de l&rsquo;individu qui a pris la plume&nbsp;; il s&rsquo;agit de la repr&eacute;sentation imaginaire d&rsquo;un &eacute;crivain en tant que tel. (2) Elle est essentiellement produite par des sources ext&eacute;rieures et non par l&rsquo;auteur lui-m&ecirc;me&nbsp;: il y a repr&eacute;sentation de sa personne, et non pr&eacute;sentation de soi. C&rsquo;est en quoi elle se distingue de l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;discursif, ou image de soi que le locuteur produit dans son discours<sup><a href="#nbp_11" id="note_11" name="lien_nbp_11" title="Aller à la note de bas de page n°11">11</a></sup>.</q></p> <p>Cette notion a l&rsquo;avantage d&rsquo;inviter &agrave; penser ensemble le discours produit par l&rsquo;auteur (entretiens, &oelig;uvre-m&ecirc;me) et l&rsquo;interdiscours, c&rsquo;est-&agrave;-dire les discours mais aussi les pratiques d&rsquo;individus ext&eacute;rieurs (critiques, journalistes, speaker, publicistes,&nbsp;<em>etc</em>.), qui participent du collectif. Selon R.&nbsp;Amossy, toute image d&rsquo;auteur passe par le prisme de l&rsquo;imaginaire d&rsquo;une &eacute;poque, qui englobe la dimension sociale, le r&ocirc;le des st&eacute;r&eacute;otypes, la d&eacute;finition de l&rsquo;&eacute;crivain &agrave; un moment donn&eacute;&nbsp;; ainsi que par le prisme d&rsquo;une strat&eacute;gie de positionnement dans le champ litt&eacute;raire.</p> <p>Et c&rsquo;est autour de cette question de la strat&eacute;gie de positionnement que la notion de posture montre toute son utilit&eacute; et sa pertinence. En effet, &agrave; la suite des travaux d&rsquo;A.&nbsp;Viala et dans la m&ecirc;me ligne que R.&nbsp;Amossy, J.&nbsp;Meizoz forge la notion de posture qui a l&rsquo;avantage d&rsquo;englober la dimension rh&eacute;torique ou textuelle et la dimension actionnelle ou contextuelle. Voici la d&eacute;finition qu&rsquo;en donne J.&nbsp;Meizoz : la posture vient r&eacute;unir les &laquo;&nbsp;conduites &eacute;nonciatives et institutionnelles complexes par lesquelles une voix et une figure se font reconna&icirc;tre comme singuli&egrave;res dans un &eacute;tat du champ litt&eacute;raire<sup><a href="#nbp_12" id="note_12" name="lien_nbp_12" title="Aller à la note de bas de page n°12">12</a></sup>&nbsp;&raquo;. En un mot, la posture c&rsquo;est la mani&egrave;re &agrave; chaque fois personnelle et dynamique d&rsquo;occuper une position particuli&egrave;re dans le champ litt&eacute;raire. S&rsquo;il est question de mani&egrave;re dynamique d&rsquo;occuper une position c&rsquo;est parce que la posture est moins l&rsquo;indicateur d&rsquo;une position d&eacute;termin&eacute;e qu&rsquo;un levier de positionnement. La posture s&rsquo;adapte et se recr&eacute;e continuellement au gr&eacute; des &eacute;volutions de l&rsquo;esth&eacute;tique, de l&rsquo;interaction et du champ. Elle se voit sous-tendue par une strat&eacute;gie promotionnelle concr&egrave;te et plus seulement par un jeu de discours.</p> <p>Mais l&rsquo;un des principaux int&eacute;r&ecirc;ts de cette notion c&rsquo;est qu&rsquo;elle tend &agrave; abolir la distinction entre l&rsquo;extra et l&rsquo;intra-textuel, distinction que J. Meizoz ne juge pas pertinente. Une double fronti&egrave;re tombe alors&nbsp;: d&rsquo;une part, celle qui s&eacute;pare le discours de l&rsquo;auteur et la projection op&eacute;r&eacute;e par les discours autres&nbsp;; et d&rsquo;autre part, celle entre ce qui se construit dans les limites de l&rsquo;&oelig;uvre et ce qui est produit aux alentours de cette m&ecirc;me &oelig;uvre. La sp&eacute;cificit&eacute; de la vision de J. Meizoz consiste enfin dans l&rsquo;inclusion de comportements non-verbaux allant jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;individu r&eacute;el que l&rsquo;A.&nbsp;D. se refuse &agrave; envisager, s&rsquo;arr&ecirc;tant toujours &agrave; une figure imaginaire de l&rsquo;&eacute;crivain qui n&rsquo;est jamais la personne de chair et d&rsquo;os.</p> <p>D&egrave;s lors, appliquer la notion de posture au cas Cocteau nous permet de prendre en compte un ensemble de pratiques de l&rsquo;homme qui sont signifiantes dans l&rsquo;&eacute;tude de l&rsquo;image d&rsquo;auteur. Il est par exemple int&eacute;ressant de mentionner la v&eacute;ritable sc&eacute;nographie th&eacute;&acirc;trale du po&egrave;te recevant dans sa &laquo;&nbsp;cabine&nbsp;&raquo; les jeunes aspirants, selon un c&eacute;r&eacute;monial qui a tout du &laquo;&nbsp;Petit Lever&nbsp;&raquo; d&rsquo;un monarque, comme a pu le souligner Fran&ccedil;ois Sentein<sup><a href="#nbp_13" id="note_13" name="lien_nbp_13" title="Aller à la note de bas de page n°13">13</a></sup>. La posture permet ainsi d&rsquo;int&eacute;grer tout ce r&eacute;seau qui participe de l&rsquo;image du po&egrave;te mais aussi de sa strat&eacute;gie de positionnement.</p> <p>Pour faire un bilan provisoire nous voyons bien qu&rsquo;<em>ethos</em>, posture et image d&rsquo;auteur se pr&eacute;sentent comme des notions voisines qui peuvent parfois entrer en concurrence. N&eacute;anmoins, les notions d&rsquo;image d&rsquo;auteur et de posture ont l&rsquo;avantage de faire tomber la fronti&egrave;re entre le niveau interne au discours et ce qui lui est externe. Enfin, la posture permet d&rsquo;aborder chaque auteur selon une optique strat&eacute;gique et surtout d&rsquo;int&eacute;grer un ensemble de donn&eacute;es qui, bien que non-discursives, constituent un r&eacute;seau signifiant non-n&eacute;gligeable pour l&rsquo;appr&eacute;hension des auteurs modernes et m&eacute;diatiques. Il importe &agrave; pr&eacute;sent d&rsquo;&eacute;tudier ce cas Cocteau pour voir comment faire jouer ces outils m&eacute;thodologiques.</p> <h1>0.Le cas Cocteau</h1> <p>Dans ses ouvrages consacr&eacute;s aux postures litt&eacute;raires, J. Meizoz associe un trait saillant &agrave; chaque auteur qu&rsquo;il &eacute;tudie, &agrave; l&rsquo;instar de la posture du bourlingueur pour Blaise Cendrars<sup><a href="#nbp_14" id="note_14" name="lien_nbp_14" title="Aller à la note de bas de page n°14">14</a></sup>. Il ne s&rsquo;agit pas pour lui de r&eacute;duire la posture &agrave; l&rsquo;expression d&rsquo;une seule facette mais, bien davantage, d&rsquo;identifier ce qui appara&icirc;t comme le centre de la strat&eacute;gie posturale. Pour Jean Cocteau, c&rsquo;est sans aucun doute la figure du po&egrave;te qui constitue le d&eacute;nominateur commun, comme en atteste le patronage po&eacute;tique de son &oelig;uvre qu&rsquo;il d&eacute;cline en &laquo;&nbsp;po&eacute;sie de cin&eacute;ma&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;po&eacute;sie critique&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;po&eacute;sie de roman&nbsp;&raquo;, etc. Si cette &oelig;uvre po&eacute;tique aux ramifications multiples se doit d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;difficile &agrave; ramasser&nbsp;&raquo;, il faut avouer qu&rsquo;il en va de m&ecirc;me pour la figure de l&rsquo;auteur. Ainsi, &agrave; la question &laquo;&nbsp;qui est Cocteau&nbsp;?&nbsp;&raquo;, il semble que nous devions r&eacute;pondre : &laquo;&nbsp;de quelle &eacute;poque est-il question ? &raquo;</p> <p>En &eacute;crivant sa biographie<sup><a href="#nbp_15" id="note_15" name="lien_nbp_15" title="Aller à la note de bas de page n°15">15</a></sup>, Claude Arnaud a choisi, pour rendre compte de cette myriade de facettes, d&rsquo;organiser la vie de Cocteau selon des &laquo;&nbsp;mues&nbsp;&raquo; successives. Cela permet d&rsquo;appr&eacute;hendedi&eacute;e, le genre abord&eacute;, ainsi que les modes ou bien les hi&eacute;rarchies du champ litt&eacute;raire. Il faut &eacute;galement ajouter &agrave; cela les diverses casquettes qu&rsquo;il endosser un premier Cocteau, jeune po&egrave;te brillant dans les salons, auquel succ&egrave;de un artiste &eacute;pris d&rsquo;avant-garde puis un &eacute;crivain proche du public, qui n&rsquo;h&eacute;site pas &agrave; faire le tour du monde pour un reportage dans&nbsp;<em>Paris-Soir</em>, et autant de volte-face jusqu&rsquo;&agrave; sa mort en 1963. Il y aurait donc plusieurs Cocteau selon l&rsquo;&eacute;poque &eacute;tu, se pr&eacute;sentant tour &agrave; tour en po&egrave;te initi&eacute; aux myst&egrave;res, en guide de la jeunesse prodiguant conseils et pr&eacute;faces, ou encore en ami du public qui, par le biais du &laquo;&nbsp;journalisme confidentiel<sup><a href="#nbp_16" id="note_16" name="lien_nbp_16" title="Aller à la note de bas de page n°16">16</a></sup>&nbsp;&raquo;, d&eacute;crit et recommande des spectacles.</p> <p>Afin de mener cette &eacute;tude de cas de la mani&egrave;re la plus efficace, on envisagera la multiplicit&eacute; coctalienne en consid&eacute;rant chaque niveau de discours comme autant de strates composant la figure du po&egrave;te.</p> <p>Au niveau extra-discursif tout d&rsquo;abord, Cocteau propose une mise en sc&egrave;ne de soi dont participe la chor&eacute;graphie codifi&eacute;e du &laquo;&nbsp;Petit Lever&nbsp;&raquo; d&eacute;j&agrave; mentionn&eacute;e. Du point de vue de l&rsquo;image, il faut bien avouer que Cocteau offre une figure ais&eacute;ment reconnaissable&nbsp;; que l&rsquo;on pense &agrave; sa voix au timbre si particulier et &agrave; l&rsquo;&eacute;locution l&eacute;g&egrave;rement affect&eacute;e, ou encore &agrave; son style vestimentaire embl&eacute;matique. Picasso a d&rsquo;ailleurs fort malicieusement assimil&eacute; la raideur du caract&egrave;re de Cocteau au pli, toujours impeccable, de son pantalon, qui va de pair avec sa fameuse technique consistant &agrave; arranger sa chemise, pour la maintenir parfaitement ajust&eacute;e. Une figure aussi ancr&eacute;e dans les esprits appara&icirc;t donc comme un point de rep&egrave;re pour le public. Toutefois, si nous avons un personnage bien identifiable, les mues successives de l&rsquo;artiste ont tendance &agrave; perturber la r&eacute;ception en n&rsquo;offrant pas de prise stable et assur&eacute;e sur l&rsquo;&oelig;uvre pass&eacute;e comme future. Ouvrir un livre, voir un film de Jean Cocteau, c&rsquo;est &ecirc;tre &eacute;ventuellement surpris par une volte-face g&eacute;n&eacute;rique ou esth&eacute;tique. D&egrave;s lors, l&rsquo;<em>ethos&nbsp;</em>pr&eacute;alable de notre po&egrave;te reposerait sur la notion d&rsquo;impr&eacute;visibilit&eacute;.</p> <p>Pour aborder le niveau intra-discursif, nous nous appuierons sur les trois sc&egrave;nes discursives &eacute;tablies par D. Maingueneau<sup><a href="#nbp_17" id="note_17" name="lien_nbp_17" title="Aller à la note de bas de page n°17">17</a></sup>. En effet, ce dernier, repris par J. Meizoz, distingue trois niveaux dans l&rsquo;acte discursif&nbsp;: la &laquo;&nbsp;sc&egrave;ne englobante&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;sc&egrave;ne g&eacute;n&eacute;rique&nbsp;&raquo; et enfin la &laquo;&nbsp;sc&egrave;ne de parole&nbsp;&raquo;.</p> <p>Du point de vue de la sc&egrave;ne englobante, qui concerne les grands types de discours, Cocteau offre un syst&egrave;me univoque en subsumant l&rsquo;ensemble de son &oelig;uvre sous le qualificatif de po&eacute;sie.</p> <p>La question de la sc&egrave;ne g&eacute;n&eacute;rique, &agrave; savoir la prise en compte des genres investis par l&rsquo;&oelig;uvre ainsi que des codes et attentes suppos&eacute;s par ces derniers, s&rsquo;av&egrave;re d&eacute;j&agrave; plus complexe. En effet, Cocteau est un artiste complet qui joue non seulement avec les genres discursifs et litt&eacute;raires mais aussi avec les m&eacute;dias adopt&eacute;s. L&rsquo;activit&eacute; multim&eacute;dia d&rsquo;un auteur offre alors moins de prise &agrave; une &eacute;tiquette fixe qu&rsquo;un auteur qui se consacre &agrave; un seul genre bien d&eacute;fini. En outre, cette multiplicit&eacute; se voit compl&eacute;t&eacute;e par un jeu sur les codes g&eacute;n&eacute;riques. Cocteau aime subvertir les r&egrave;gles en proposant par exemple avec&nbsp;<em>Orph&eacute;e</em><sup><a href="#nbp_18" id="note_18" name="lien_nbp_18" title="Aller à la note de bas de page n°18">18</a></sup>&nbsp;une pi&egrave;ce qui n&rsquo;a de tragique que le sous-titre&nbsp;; ou passer d&rsquo;un style &agrave; l&rsquo;autre en composant tour &agrave; tour&nbsp;<em>La machine &agrave; &eacute;crire</em><sup><a href="#nbp_19" id="note_19" name="lien_nbp_19" title="Aller à la note de bas de page n°19">19</a></sup>, pi&egrave;ce noire inspir&eacute;e d&rsquo;un fait divers (le corbeau de Tulle), et&nbsp;<em>Renaud et Armide</em><sup><a href="#nbp_20" id="note_20" name="lien_nbp_20" title="Aller à la note de bas de page n°20">20</a></sup>, trag&eacute;die classique en alexandrins. L&rsquo;artiste Cocteau d&eacute;route donc en cultivant l&rsquo;innovation et en se rendant toujours o&ugrave; on ne l&rsquo;attend pas.</p> <p>Il reste enfin &agrave; aborder la sc&egrave;ne de parole qui recouvre le niveau de l&rsquo;&eacute;nonciation. Ce dernier niveau pose la question de la distinction entre les &eacute;crits &agrave; dimension autobiographique et les fictions. Il est en effet facile d&rsquo;&eacute;tudier les textes autobiographiques qui offrent un &laquo;&nbsp;dit&nbsp;&raquo; explicite et donnent donc &agrave; voir une construction d&rsquo;image volontaire. Mais pour autant, comme le souligne J. Meizoz, le &laquo;&nbsp;dire&nbsp;&raquo; ne doit pas &ecirc;tre oubli&eacute; et c&rsquo;est dans les fictions qu&rsquo;il est peut-&ecirc;tre plus simple &agrave; d&eacute;celer. Dans le cadre de notre travail, les fictions s&rsquo;av&egrave;rent essentielles puisqu&rsquo;elles sont fortement investies par l&rsquo;auteur. En effet, Jean Cocteau fait preuve d&rsquo;une ma&icirc;trise remarquable des dispositifs paratextuels en enserrant chaque &oelig;uvre dans un r&eacute;seau promotionnel, qui aboutit le plus souvent &agrave; un verrouillage extr&ecirc;me de la r&eacute;ception. On peut ainsi d&eacute;nombrer des articles et &eacute;missions visant &agrave; pr&eacute;senter l&rsquo;&oelig;uvre en question&nbsp;; des interviews et autres manifestations m&eacute;diatiques (presse, radio, t&eacute;l&eacute;vision) ainsi qu&rsquo;un grand nombre de pr&eacute;faces et postfaces destin&eacute;es parfois &agrave; une seule production.</p> <p>Outre cette pr&eacute;sence du Cocteau-auteur se livrant au &laquo;&nbsp;faireparisme<sup><a href="#nbp_21" id="note_21" name="lien_nbp_21" title="Aller à la note de bas de page n°21">21</a></sup>&nbsp;&raquo; de son &oelig;uvre, il faut mentionner les cas de pr&eacute;sence intra-discursive. La pi&egrave;ce&nbsp;<em>Orph&eacute;e</em>&nbsp;offre par exemple le cas d&rsquo;une pr&eacute;sence effective, puisque Cocteau assume le r&ocirc;le de l&rsquo;ange Heurtebise lors de la reprise en 1927, doubl&eacute;e d&rsquo;une pr&eacute;sence par le biais de l&rsquo;&eacute;tat civil, d&eacute;clin&eacute; par la t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e devant le commissaire.</p> <p><q>Le Greffier&nbsp;: Monsieur le Commissaire, &agrave; vos ordres.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: N&eacute; &agrave;&hellip;</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: Maisons-Laffitte.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: Maison quoi&nbsp;?</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: Maisons-Laffitte, deux f, deux t.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: Puisque vous me dites votre lieu de naissance, vous ne refuserez plus de dire votre nom. Vous vous appelez&hellip;</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: Jean.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: Jean comment&nbsp;?</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: Jean Cocteau.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: Coc&hellip;</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: C.&nbsp;O.&nbsp;C.&nbsp;T.&nbsp;E.&nbsp;A.&nbsp;U. Cocteau.</q></p> <p><q>Le Commissaire&nbsp;: C&rsquo;est un nom &agrave; coucher dehors. Il est vrai que vous couchez dehors. &Agrave; moins que vous ne consentiez, maintenant, &agrave; nous dire votre domicile&hellip;</q></p> <p><q>La t&ecirc;te d&rsquo;Orph&eacute;e&nbsp;: Rue d&rsquo;Anjou, dix<sup><a href="#nbp_22" id="note_22" name="lien_nbp_22" title="Aller à la note de bas de page n°22">22</a></sup>.</q></p> <p>Que dire enfin du recours fr&eacute;quent aux prologues qui tiennent &agrave; la fois de l&rsquo;introduction extratextuelle et de l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment intra-discursif, &agrave; l&rsquo;instar de celui de&nbsp;<em>La machine infernale</em><sup><a href="#nbp_23" id="note_23" name="lien_nbp_23" title="Aller à la note de bas de page n°23">23</a></sup>, assur&eacute; par la voix de Cocteau et qui fait du po&egrave;te le ma&icirc;tre du temps et de l&rsquo;espace de la trag&eacute;die&nbsp;?</p> <p>Ainsi, l&rsquo;auteur Cocteau se caract&eacute;rise par son omnipr&eacute;sence &agrave; chaque niveau, ce qui amorce la double dynamique suivante&nbsp;: la promotion de soi sert l&rsquo;&oelig;uvre tandis que la diffusion de l&rsquo;&oelig;uvre contribue &agrave; promouvoir l&rsquo;image du po&egrave;te. Un lien &eacute;troit se tisse alors entre l&rsquo;homme et l&rsquo;&oelig;uvre, lien confirm&eacute; par la ph&eacute;nom&eacute;nologie de l&rsquo;art qu&rsquo;il livre dans&nbsp;<em>D&eacute;marche d&rsquo;un po&egrave;te</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le r&ocirc;le de l&rsquo;artiste sera donc de cr&eacute;er un organisme ayant une vie propre puis&eacute;e dans la sienne<sup><a href="#nbp_24" id="note_24" name="lien_nbp_24" title="Aller à la note de bas de page n°24">24</a></sup>.&nbsp;&raquo; Si l&rsquo;&oelig;uvre est un organisme vivant entretenant un lien biologique avec son cr&eacute;ateur, ce lien entre l&rsquo;&oelig;uvre et l&rsquo;artiste ne suffit pourtant pas &agrave; assurer une identit&eacute; univoque &agrave; ce dernier. Or, cette univocit&eacute; est la base de tout dispositif promotionnel, qui a besoin d&rsquo;un r&eacute;f&eacute;rent stable et ais&eacute;ment identifiable pour promouvoir tel produit ou telle marque. D&egrave;s lors, on peut se demander ce qu&rsquo;il convient de faire de cet artiste cam&eacute;l&eacute;on, objet d&eacute;cid&eacute;ment trop difficile &agrave; ramasser.</p> <p>&Agrave;&nbsp;l&rsquo;issue de ce rapide aper&ccedil;u, nous avons vu comment chaque niveau se voit investi par Cocteau pour servir une strat&eacute;gie globale de promotion de soi et de l&rsquo;&oelig;uvre, m&ecirc;l&eacute;e &agrave; une volont&eacute; d&rsquo;en contr&ocirc;ler la r&eacute;ception. Mais cette ma&icirc;trise si brillante semble trouver ses limites dans l&rsquo;interaction communicationnelle. En effet, le public r&eacute;el n&rsquo;est pas aussi r&eacute;ceptif que le public id&eacute;al vis&eacute; par la strat&eacute;gie et il faut bien conclure &agrave; un &eacute;chec paradoxal de la strat&eacute;gie posturale. Il n&rsquo;est pas question ici de dire que l&rsquo;&oelig;uvre coctalienne conna&icirc;t un &eacute;chec puisque le succ&egrave;s est ind&eacute;niable aupr&egrave;s des contemporains comme des lecteurs actuels. Si &eacute;chec il y a, c&rsquo;est du c&ocirc;t&eacute; de la posture qu&rsquo;il faut le chercher, dans la mesure o&ugrave; Cocteau n&rsquo;obtient pas le titre de grand Po&egrave;te du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, qu&rsquo;il appelait de ses v&oelig;ux. C&rsquo;est cet &eacute;chec que nous proposons d&rsquo;&eacute;tudier en derni&egrave;re partie, afin de consid&eacute;rer l&rsquo;apport du cas Cocteau aux notions d&rsquo;<em>ethos</em>, d&rsquo;image de soi et de posture.</p> <h1>0.L&rsquo;&eacute;chec paradoxal de la strat&eacute;gie coctalienne comme laboratoire de r&eacute;flexion sur le passage de la figure romantique du Po&egrave;te &agrave; l&rsquo;&egrave;re du tout m&eacute;diatique</h1> <p>Les outils d&rsquo;analyse du discours, conjugu&eacute;s &agrave; la notion de posture, permettent de rationaliser un ensemble de conduites, qui paraissaient, dans un premier temps, irr&eacute;ductiblement diverses. Ainsi, on peut &eacute;tablir que Cocteau suit une logique strat&eacute;gique interne &agrave; la dynamique du champ litt&eacute;raire, qui est infl&eacute;chie par des &eacute;l&eacute;ments esth&eacute;tiques ou conjoncturels. Il a pu, par exemple, s&rsquo;adapter &agrave; l&rsquo;air du temps en s&rsquo;orientant vers le th&eacute;&acirc;tre de boulevard et l&rsquo;&eacute;criture de chansons populaires dans les ann&eacute;es 1930 o&ugrave; la po&eacute;sie n&rsquo;&eacute;tait pas gage de succ&egrave;s. Certains &eacute;l&eacute;ments de son parcours confirment &eacute;galement la dimension &eacute;volutive de la posture. Si l&rsquo;on consid&egrave;re la p&eacute;riode de l&rsquo;Occupation, on observe que, bien que difficilement tol&eacute;r&eacute; par les milieux de droite, Cocteau s&rsquo;assure le soutien des autorit&eacute;s occupantes et peut ainsi continuer &agrave; &ecirc;tre jou&eacute;. Cette adaptabilit&eacute; peut m&ecirc;me &ecirc;tre constat&eacute;e au niveau des choix formels lorsque la pi&egrave;ce&nbsp;<em>Renaud et Armide</em><sup><a href="#nbp_25" id="note_25" name="lien_nbp_25" title="Aller à la note de bas de page n°25">25</a></sup>&nbsp;succ&egrave;de aux&nbsp;<em>Parents terribles</em><sup><a href="#nbp_26" id="note_26" name="lien_nbp_26" title="Aller à la note de bas de page n°26">26</a></sup>&nbsp;offrant ainsi un classicisme irr&eacute;prochable en r&eacute;ponse aux accusations d&rsquo;immoralit&eacute; et &agrave; l&rsquo;interdiction de la pi&egrave;ce boulevardi&egrave;re.</p> <p>S&rsquo;il y a donc un probl&egrave;me au niveau de la r&eacute;ception, il ne semble pas provenir de l&rsquo;ensemble des strat&eacute;gies d&eacute;velopp&eacute;es mais bien davantage de l&rsquo;interaction avec le public. Tout d&rsquo;abord, Cocteau met en place une strat&eacute;gie de pr&eacute;sentation de soi qui le transforme en ambassadeur de son &oelig;uvre, ce qui expose l&rsquo;&oelig;uvre en question aux &eacute;ventuels griefs adress&eacute;s &agrave; l&rsquo;homme et ce notamment dans le contexte de l&rsquo;Occupation o&ugrave; culminent les accusations d&rsquo;homosexualit&eacute;, de corruption de la jeunesse et de d&eacute;cadence. D&egrave;s lors, s&rsquo;attaquer &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre permet de s&rsquo;attaquer &agrave; l&rsquo;homme, comme l&rsquo;avaient compris les Surr&eacute;alistes &agrave; l&rsquo;instar de Paul &Eacute;luard chahutant la premi&egrave;re repr&eacute;sentation de&nbsp;<em>La Voix humaine</em>&nbsp;le 15 f&eacute;vrier 1930. R&eacute;ciproquement, l&rsquo;appr&eacute;hension de l&rsquo;&oelig;uvre peut &ecirc;tre infl&eacute;chie par la r&eacute;putation de l&rsquo;homme et Cocteau faire ombrage &agrave; sa production.</p> <p>Il faut ensuite incriminer le dispositif promotionnel intensif orchestr&eacute; par l&rsquo;ensemble des textes de pr&eacute;sentation, qui se voit lest&eacute; par une fonction explicative peut-&ecirc;tre trop univoque. R&eacute;tif &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de laisser partir ses &oelig;uvres, le po&egrave;te d&eacute;cide d&rsquo;en verrouiller la r&eacute;ception par un dispositif qui en vient alors &agrave; saturer la communication, allant, dans certains cas, jusqu&rsquo;&agrave; occulter l&rsquo;&oelig;uvre elle-m&ecirc;me. L&rsquo;affaire des&nbsp;<em>Parents terribles</em>&nbsp;constitue un bon exemple de cet enserrement&nbsp;: J. Touzot d&eacute;nombre six articles promotionnels, quatre interviews retrouv&eacute;es ainsi qu&rsquo;un ensemble des textes visant &agrave; d&eacute;fendre la pi&egrave;ce face &agrave; l&rsquo;interdiction qu&rsquo;elle suscite. Ces strates de commentaires vont suffire &agrave; bon nombre de d&eacute;tracteurs et d&eacute;fenseurs de la pi&egrave;ce, qui prendront parti sans avoir r&eacute;ellement lu ou vu l&rsquo;&oelig;uvre en question. L&rsquo;&oelig;uvre n&rsquo;est donc plus en premi&egrave;re ligne et il arrive m&ecirc;me que ce ne soit plus les commentaires mais bien la personne de l&rsquo;auteur qui lui fasse &eacute;cran.</p> <p>Pour consid&eacute;rer le dernier cas de figure, il faut faire appel &agrave; la notion perelmanienne d&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable, qui permet d&rsquo;expliciter le foss&eacute; qui se creuse entre l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;discursif orchestr&eacute; par le po&egrave;te et un&nbsp;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable sensiblement divergent. L&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable est, comme nous l&rsquo;avons vu plus haut, brouill&eacute; par l&rsquo;instabilit&eacute; de la figure coctalienne. En outre, il s&rsquo;av&egrave;re influenc&eacute; par l&rsquo;interdiscours, qui concentre aussi bien les critiques positives que les &eacute;ventuelles charges contre le po&egrave;te. C&rsquo;est la tension entre ces deux p&ocirc;les qui peut amener &agrave; une discordance. Lorsque Cocteau met en place une image d&rsquo;humilit&eacute;, de p&eacute;dagogie et de po&egrave;te inspir&eacute;, l&rsquo;ethos pr&eacute;alable ajoute &agrave; cette construction des sch&eacute;mas, comme celui d&rsquo;un personnage public &agrave; la mode, venant contrecarrer le s&eacute;rieux attendu d&rsquo;un &eacute;crivain se voulant digne du Panth&eacute;on.</p> <p>L&rsquo;interdiscours peut &eacute;galement contenir de v&eacute;ritables charges contre le po&egrave;te et induire une perception tr&egrave;s n&eacute;gative &agrave; plusieurs niveaux. Le statut de touche-&agrave;-tout &eacute;carterait de fait toute capacit&eacute; &agrave; produire une &oelig;uvre s&eacute;rieuse. Le fait d&rsquo;&ecirc;tre un homme public qui ne cache pas son &eacute;tat de privil&eacute;gi&eacute;, en fr&eacute;quentant les salons et en adoptant une attitude dandy, lui attire de fortes inimiti&eacute;s. L&rsquo;homosexualit&eacute; non dissimul&eacute;e ainsi qu&rsquo;une certaine r&eacute;putation de corrupteur de la jeunesse contribuent &eacute;galement &agrave; lui ali&eacute;ner une partie du public. On peut enfin ajouter l&rsquo;image d&rsquo;un &laquo;&nbsp;homme &eacute;ponge&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;impr&egrave;gne de chaque mode, se l&rsquo;approprie et se limite, pour certains, &agrave; de l&rsquo;imitation. Apr&egrave;s un bref aper&ccedil;u de certaines composantes de l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable, on comprend dans quelle mesure la rencontre de l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;discursif avec un&nbsp;<em>etho</em>s pr&eacute;alable qui lui est oppos&eacute; sinon contraire peut susciter un rejet de la part du public. Il est bien entendu que nous &eacute;non&ccedil;ons ici les pires conditions de r&eacute;ception de Cocteau et qu&rsquo;il ne faut en aucun cas r&eacute;duire l&rsquo;interdiscours aux attaques dont le po&egrave;te fait l&rsquo;objet. N&eacute;anmoins, cette dichotomie entre l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;construit et l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;pr&eacute;alable ne doit pas &ecirc;tre &eacute;lud&eacute;e.</p> <p>Fort heureusement pour les chercheurs, il ne faut pas sous-estimer l&rsquo;adaptabilit&eacute; de Cocteau, plusieurs fois mentionn&eacute;e. Face &agrave; cette scission entre deux images de lui-m&ecirc;me, le po&egrave;te a su utiliser le paradoxe au profit d&rsquo;une orchestration du posthume, par le biais de la production autobiographique. En effet, d&egrave;s son journal sous l&rsquo;Occupation<sup><a href="#nbp_27" id="note_27" name="lien_nbp_27" title="Aller à la note de bas de page n°27">27</a></sup>, tenu au moment o&ugrave; les critiques d&rsquo;extr&ecirc;me droite atteignent une virulence sans pr&eacute;c&eacute;dent, Cocteau effectue un d&eacute;doublement semblable &agrave; celui effectu&eacute; par Proust entre un &laquo;&nbsp;moi social&nbsp;&raquo; et un &laquo;&nbsp;moi cr&eacute;ateur<sup><a href="#nbp_28" id="note_28" name="lien_nbp_28" title="Aller à la note de bas de page n°28">28</a></sup>&nbsp;&raquo;. Mais il va plus loin en d&eacute;veloppant un sc&eacute;nario in&eacute;dit&nbsp;: le moi m&eacute;diatique serait en fait une figure de paille forg&eacute;e par les calomnies des d&eacute;tracteurs. Cette scission permet ainsi &agrave; Cocteau d&rsquo;int&eacute;grer dans sa posture l&rsquo;image d&eacute;plorable cr&eacute;&eacute;e par les milieux de droite, pour mieux la neutraliser, dans un contexte o&ugrave; il ne peut exercer de droit de r&eacute;ponse. Cette figure de paille permet de centraliser les attaques et donc de prot&eacute;ger l&rsquo;&oelig;uvre qui ne pourra prendre toute sa mesure qu&rsquo;&agrave; la mort de l&rsquo;auteur, quand le public sera apte &agrave; en d&eacute;celer le g&eacute;nie. Ainsi, en &eacute;tablissant que le moi m&eacute;diatique d&eacute;test&eacute; est un constituant n&eacute;cessaire de l&rsquo;&oelig;uvre visant &agrave; sa pr&eacute;servation, il donne l&rsquo;impression de ma&icirc;triser un processus qui lui &eacute;chappe. Par la suite, Cocteau associera au moi m&eacute;diatique l&rsquo;ensemble des images positives comme n&eacute;gatives afin de clairement les distinguer de l&rsquo;activit&eacute; pure du cr&eacute;ateur. Cocteau parvient alors &agrave; faire tenir ensemble deux p&ocirc;les&nbsp;<em>a priori&nbsp;</em>inconciliables&nbsp;: l&rsquo;activit&eacute; m&eacute;diatique de l&rsquo;auteur et la &laquo;&nbsp;sc&eacute;nographie auctoriale&nbsp;&raquo; (Jos&eacute;-Luis Diaz) du po&egrave;te maudit, qui ne pourra &ecirc;tre reconnu que de mani&egrave;re posthume.</p> <p>Nous voyons donc bien comment la notion de posture, en ce qu&rsquo;elle englobe l&rsquo;<em>ethos</em>&nbsp;discursif et l&rsquo;ensemble des conduites non-discursives au service d&rsquo;une strat&eacute;gie de promotion de soi, convient tout &agrave; fait &agrave; notre objet d&rsquo;&eacute;tude. Inversement, le cas Cocteau avec toute sa complexit&eacute; permet de mobiliser chaque niveau d&rsquo;analyse et de les faire collaborer en syst&egrave;me. Mais le cas Cocteau est &eacute;galement actuel sur un autre plan dans la mesure o&ugrave; il mobilise deux tendances des &eacute;tudes de l&rsquo;image d&rsquo;auteur. Tout d&rsquo;abord, l&rsquo;&eacute;tude de la figure de l&rsquo;auteur centr&eacute;e sur le XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle avec J.&nbsp;-L. Diaz qui, dans&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;crivain imaginaire&nbsp;: sc&eacute;nographies auctoriales &agrave; l&rsquo;&eacute;poque romantique</em><sup><a href="#nbp_29" id="note_29" name="lien_nbp_29" title="Aller à la note de bas de page n°29">29</a></sup><em>,&nbsp;</em>&eacute;tudie le si&egrave;cle de l&rsquo;auteur-roi et l&rsquo;ensemble des mythes qui lui sont li&eacute;s en mobilisant le concept de sc&eacute;nographie. Il &eacute;tablit ainsi un catalogue de&nbsp;<em>sc&eacute;narii</em>&nbsp;st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;s que les auteurs peuvent investir ou contribuer &agrave; forger. Notre po&egrave;te semble par exemple s&rsquo;appuyer aussi bien sur la sc&eacute;nographie du po&egrave;te maudit que sur une figure proche du dandysme wildien et sur celle du grand homme. Il reste &agrave; &eacute;tablir dans quelle mesure cette influence est op&eacute;rante dans le cas de Cocteau et &agrave; faire la part entre inconscient culturel et orchestration consciente de ces sch&eacute;mas. D&rsquo;autre part, le cas Cocteau rencontre l&rsquo;&eacute;tude de la m&eacute;diatisation de la figure de l&rsquo;auteur dans le contexte contemporain. Nous pensons ici surtout aux travaux de Nathalie Heinich qui &eacute;tudie les modalit&eacute;s de m&eacute;diatisation et leur &eacute;volution de Victor Hugo &agrave; la t&eacute;l&eacute;-r&eacute;alit&eacute;<sup><a href="#nbp_30" id="note_30" name="lien_nbp_30" title="Aller à la note de bas de page n°30">30</a></sup>. Cocteau permet d&rsquo;articuler ces deux pans de la recherche actuelle dans la mesure o&ugrave; il se situe &agrave; la charni&egrave;re. S&rsquo;il anticipe nettement la logique m&eacute;diatique qui commence &agrave; se d&eacute;velopper en exploitant les m&eacute;dias et son image, notre auteur demeure tributaire des st&eacute;r&eacute;otypes romantiques. Il utilise les potentialit&eacute;s m&eacute;diatiques sans renoncer au statut de Po&egrave;te inspir&eacute;.</p> <p>Qu&rsquo;en est-il de sa strat&eacute;gie posthume direz-vous&nbsp;? Cocteau n&rsquo;a pas disparu, cet article ainsi que l&rsquo;ensemble des travaux universitaires qui lui sont consacr&eacute;s en sont la preuve mais, dans une certaine mesure, il continue de faire &eacute;cran &agrave; son &oelig;uvre. Beaucoup visualisent l&rsquo;homme Cocteau, tr&egrave;s peu l&rsquo;ont v&eacute;ritablement lu. Ce paradoxe s&rsquo;explique peut-&ecirc;tre par le fait que cette position charni&egrave;re est demeur&eacute;e entre chien et loup&nbsp;: Cocteau n&rsquo;a pas pu se conformer &agrave; l&rsquo;id&eacute;al romantique mais, pour autant, il n&rsquo;a pas os&eacute; plonger enti&egrave;rement dans l&rsquo;&egrave;re m&eacute;diatique. Il n&rsquo;a pas utilis&eacute; sa &laquo;&nbsp;mauvaise presse&nbsp;&raquo; comme un argument de vente, alors qu&rsquo;il avait pu observer cette d&eacute;marche aupr&egrave;s de Radiguet lors de la promotion du&nbsp;<em>Diable au corps</em><sup><a href="#nbp_31" id="note_31" name="lien_nbp_31" title="Aller à la note de bas de page n°31">31</a></sup>, mais surtout il n&rsquo;a pas pouss&eacute; la logique jusqu&rsquo;au bout en faisant du personnage Cocteau son &oelig;uvre-m&ecirc;me. Si le po&egrave;te s&rsquo;av&egrave;re inextricablement li&eacute; &agrave; son &oelig;uvre, il n&rsquo;a pas voulu faire comme certains&nbsp;<em>peoples</em>&nbsp;actuels qui n&rsquo;ont pour justification de leur c&eacute;l&eacute;brit&eacute; que leur personne. En somme, Cocteau &eacute;tait beaucoup trop attach&eacute; &agrave; l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; et &agrave; l&rsquo;autonomie de l&rsquo;&oelig;uvre pour atteindre cette extr&eacute;mit&eacute;.</p> <p>En conclusion, cette confrontation de deux p&ocirc;les que sont les notions d&rsquo;<em>ethos</em>, image d&rsquo;auteur et posture d&rsquo;une part, et cet auteur aux &eacute;clats d&rsquo;autre part, appara&icirc;t comme extr&ecirc;mement f&eacute;conde. La complexit&eacute; du cas Cocteau invite &agrave; mobiliser un ensemble d&rsquo;outils compl&eacute;mentaires qui permet d&rsquo;&eacute;tablir une posture dans toutes ses nuances tout en permettant &eacute;galement de faire l&rsquo;&eacute;preuve de chacun de ces outils et, en retour, de mieux les d&eacute;finir.</p> <p>La mise au jour de la strat&eacute;gie coctalienne qui ne cesse de se r&eacute;ajuster au point de pr&eacute;parer une r&eacute;ception posthume ouvre enfin sur la question des sc&eacute;nographies et st&eacute;r&eacute;otypes qui continuent d&rsquo;impr&eacute;gner une partie du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle ainsi que sur la modernit&eacute;, parfois sous-estim&eacute;e, de Cocteau qui, &agrave; bien des &eacute;gards, avait compris le m&eacute;canisme du tout m&eacute;diatique &agrave; venir, sans oser en assumer les implications. Face &agrave; ces nouvelles perspectives d&rsquo;exploration, laissons le soin &agrave; Cocteau de confirmer qu&rsquo;il n&rsquo;a pas termin&eacute; de susciter la r&eacute;flexion, gr&acirc;ce &agrave; sa facult&eacute; de d&eacute;rangement qui ne cesse de stimuler la recherche.</p> <p><q>Si j&rsquo;&eacute;cris, je d&eacute;range. Si je tourne un film, je d&eacute;range. Si je peins, je d&eacute;range. Si je montre ma peinture, je d&eacute;range et je d&eacute;range si je ne la montre pas. J&rsquo;ai la facult&eacute; de d&eacute;rangement. Je m&rsquo;y r&eacute;signe, car j&rsquo;aimerais convaincre. Je d&eacute;rangerai apr&egrave;s ma mort. Il faudra que mon &oelig;uvre attende l&rsquo;autre mort lente de cette facult&eacute; de d&eacute;rangement. Peut-&ecirc;tre en sortira-t-elle victorieuse, d&eacute;barrass&eacute;e de moi, d&eacute;sinvolte, jeune et criant&nbsp;: Ouf<sup><a href="#nbp_32" id="note_32" name="lien_nbp_32" title="Aller à la note de bas de page n°32">32</a></sup>&nbsp;!</q></p> <hr /> <h2>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</h2> <p><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1 </a>Titre du site internet coordonn&eacute; par Pierre-Marie H&eacute;ron,&nbsp;<em>Jean Cocteau unique et multiple</em>&nbsp;[en ligne],&nbsp;<a href="http://cocteau.biu-montpellier.fr/">http://cocteau.biu-montpellier.fr/</a>&nbsp;[consult&eacute; le 9 juin 2015].</p> <p><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2 </a>Jean Touzot,&nbsp;<em>Jean Cocteau, le po&egrave;te et ses doubles</em>, Paris, Bartillat, 2000.</p> <p><a href="#lien_nbp_3" name="nbp_3">3 </a>Jean Cocteau, Andr&eacute; Fraigneau,&nbsp;<em>Entretiens sur le cin&eacute;matographe</em>&nbsp;(1973), Monaco, &Eacute;ditions du Rocher, 2003, p.&nbsp;25.</p> <p><a href="#lien_nbp_4" name="nbp_4">4 </a>&Agrave; pr&eacute;sent nous utiliserons l&rsquo;abr&eacute;viation A.&nbsp;D.</p> <p><a href="#lien_nbp_5" name="nbp_5">5 </a>Je m&rsquo;appuie sur l&rsquo;excellente synth&egrave;se de Reindhert Dhondt et Beatrijs Vanacker&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Ethos</em>&nbsp;: pour une mise au point conceptuelle et m&eacute;thodologique&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>COnTEXTES</em>&nbsp;[en ligne], n&deg;&nbsp;13 (20 d&eacute;cembre 2013),&nbsp;<a href="http://contextes.revues.org/5685">http://contextes.revues.org/5685</a>&nbsp;[consult&eacute; le 9 juin 2015].</p> <p><a href="#lien_nbp_6" name="nbp_6">6 </a>Aristote,&nbsp;<em>Rh&eacute;torique</em>, Paris, Librairie g&eacute;n&eacute;rale fran&ccedil;aise, 1991.</p> <p><a href="#lien_nbp_7" name="nbp_7">7 </a>Voir Lucie Olbrechts Tyteca et Cha&iuml;m Perelman,&nbsp;<em>Trait&eacute; de l&rsquo;argumentation&nbsp;: la nouvelle rh&eacute;torique</em>&nbsp;(1958), Bruxelles, &Eacute;ditions de l&rsquo;Universit&eacute; de Bruxelles, 2000.</p> <p><a href="#lien_nbp_8" name="nbp_8">8 </a>Erving Goffman,&nbsp;<em>La mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne, tome&nbsp;1&nbsp;: La pr&eacute;sentation de soi</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1973.</p> <p><a href="#lien_nbp_9" name="nbp_9">9 </a>Georges Molini&eacute; et Alain Viala,&nbsp;<em>Approches de la r&eacute;ception&nbsp;:</em>&nbsp;<em>s&eacute;miostylistique et sociopo&eacute;tique de Le Cl&eacute;zio</em>, Paris, P.U.F., 1993.</p> <p><a href="#lien_nbp_10" name="nbp_10">10 </a>Ruth Amossy, &laquo;&nbsp;La double nature de l&rsquo;image d&rsquo;auteur&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Argumentation et Analyse du Discours&nbsp;</em>[en ligne], n&deg;&nbsp;3 (15 octobre 2009),&nbsp;<a href="http://aad.revues.org/662">http://aad.revues.org/662</a>&nbsp;[consult&eacute; le 9 juin 2015].</p> <p><a href="#lien_nbp_11" name="nbp_11">11&nbsp;</a><em>Ibidem</em>.</p> <p><a href="#lien_nbp_12" name="nbp_12">12 </a>J&eacute;r&ocirc;me Meizoz, &laquo;&nbsp;Ce que l&rsquo;on fait dire au silence&nbsp;: posture,&nbsp;<em>ethos</em>, image d&rsquo;auteur&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Argumentation et Analyse du Discours&nbsp;</em>[en ligne], n&deg;&nbsp;3 (15 octobre 2009),&nbsp;<a href="http://aad.revues.org/667">http://aad.revues.org/667</a>&nbsp;[consult&eacute; le 9 juin 2015]. Voir aussi&nbsp;<em>Postures litt&eacute;raires&nbsp;: mises en sc&egrave;ne moderne de l&rsquo;auteur</em>, Gen&egrave;ve, Slatkine &Eacute;rudition, 2007.</p> <p><a href="#lien_nbp_13" name="nbp_13">13 </a>Fran&ccedil;ois Sentein,&nbsp;<em>Minutes d&rsquo;un libertin, 1938-1941</em>, Paris, La Table Ronde, 1977, p.&nbsp;254.</p> <p><a href="#lien_nbp_14" name="nbp_14">14</a> J&eacute;rome Meizoz, &laquo;&nbsp;Posture et po&eacute;tique d&rsquo;un bourlingueur&nbsp;: Cendrars&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Po&eacute;tique&nbsp;</em>[en ligne], n&deg;&nbsp;147 (mars 2006), p.&nbsp;297-315,&nbsp;<a href="http://www.cairn.info/revue-poetique-2006-3-page-297.htm">www.cairn.info/revue-poetique-2006-3-page-297.htm</a>&nbsp;[consult&eacute; le 9 juin 2015].</p> <p><a href="#lien_nbp_15" name="nbp_15">15 </a>Claude Arnaud,<em>&nbsp;Jean Cocteau</em>, Paris, Gallimard, 2003.</p> <p><a href="#lien_nbp_16" name="nbp_16">16 </a>Titre d&rsquo;un article de Jean Cocteau dans&nbsp;<em>Ce Soir</em>, le 23 novembre 1937.</p> <p><a href="#lien_nbp_17" name="nbp_17">17 </a>Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau,&nbsp;<em>Dictionnaire d&rsquo;Analyse du Discours</em>, Paris, Seuil, 2007.</p> <p><a href="#lien_nbp_18" name="nbp_18">18 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Orph&eacute;e&nbsp;: trag&eacute;die en un acte et un intervalle</em>&nbsp;(1927), Paris, Stock, 2005.</p> <p><a href="#lien_nbp_19" name="nbp_19">19 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>La machine &agrave; &eacute;crire</em>&nbsp;(1941), dans&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre complet</em>, Paris, Gallimard, 2003, p.&nbsp;871-964.</p> <p><a href="#lien_nbp_20" name="nbp_20">20 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Renaud et Armide</em>&nbsp;(1943), dans&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre complet</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;965-1055.</p> <p><a href="#lien_nbp_21" name="nbp_21">21 </a>N&eacute;ologisme forg&eacute; par Jean Cocteau.</p> <p><a href="#lien_nbp_22" name="nbp_22">22 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Orph&eacute;e</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;127-129.</p> <p><a href="#lien_nbp_23" name="nbp_23">23 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>La machine infernale</em>&nbsp;(1934), dans&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre complet</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;471-472.</p> <p><a href="#lien_nbp_24" name="nbp_24">24 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>D&eacute;marche d&rsquo;un po&egrave;te</em>&nbsp;(1953), Paris, Gallimard, 2013, p.&nbsp;76.</p> <p><a href="#lien_nbp_25" name="nbp_25">25 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Renaud et Armide</em>,<em>&nbsp;op. cit.</em></p> <p><a href="#lien_nbp_26" name="nbp_26">26 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Les parents terribles</em>&nbsp;(1938), dans&nbsp;<em>Th&eacute;&acirc;tre complet</em>,&nbsp;<em>op.&nbsp;cit</em>., p.&nbsp;673-774.</p> <p><a href="#lien_nbp_27" name="nbp_27">27 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Journal 1942-1945</em>, Paris, Gallimard, 1989.</p> <p><a href="#lien_nbp_28" name="nbp_28">28 </a>Voir Marcel Proust,&nbsp;<em>Contre Sainte-Beuve</em>&nbsp;(1954), Paris, Gallimard, 1987.</p> <p><a href="#lien_nbp_29" name="nbp_29">29 </a>Jos&eacute;-Luis Diaz,&nbsp;<em>L&rsquo;&Eacute;crivain imaginaire&nbsp;: sc&eacute;nographies auctoriales &agrave; l&rsquo;&eacute;poque romantique</em>, Paris, Honor&eacute; Champion, 2007.</p> <p><a href="#lien_nbp_30" name="nbp_30">30 </a>Nathalie Heinich,&nbsp;<em>De la visibilit&eacute;&nbsp;: excellence et singularit&eacute; en r&eacute;gime m&eacute;diatique</em>, Paris, Gallimard, 2012.</p> <p><a href="#lien_nbp_31" name="nbp_31">31 </a>Raymond Radiguet,&nbsp;<em>Le Diable au corps</em>&nbsp;(1923), Paris, Librairie g&eacute;n&eacute;rale fran&ccedil;aise, 1991.</p> <p><a href="#lien_nbp_32" name="nbp_32">32 </a>Jean Cocteau,&nbsp;<em>Journal d&rsquo;un inconnu</em>, Paris, Grasset, 1953, p.&nbsp;116-117.</p>