<article about="/content/les-strategies-discursives-de-legitimation-de-soi-dans-le-recit-intime-de-nina-bouraoui" data-history-node-id="33" role="article"> <p><q>Je suis l&agrave;, en tant que moi-m&ecirc;me, je ne suis le relai de personne, je ne suis le centre d&rsquo;aucun cercle,&nbsp; je suis juste l&agrave; pour ce que je suis&nbsp;: mon corps, ma voix&nbsp;; c&rsquo;est tout et c&rsquo;est grand<sup><a href="#" id="note_1" name="lien_nbp_1" title="Aller à la note de bas de page n°1">1</a></sup>.</q></p> <p>Nina Bouraoui est n&eacute;e en 1967 &agrave; Rennes, de m&egrave;re bretonne et de p&egrave;re kabyle originaire de Jijel (Alg&eacute;rie). Ses parents ont quitt&eacute; la France pour s&rsquo;installer &agrave; Alger le lendemain de l&rsquo;ind&eacute;pendance alg&eacute;rienne. Elle a pass&eacute; les quatorze premi&egrave;res ann&eacute;es de sa vie en Alg&eacute;rie avant le retour brusque de ses parents en France caus&eacute; par la mont&eacute;e des violences annon&ccedil;ant la guerre civile ou &laquo;&nbsp;la d&eacute;cennie noire&nbsp;&raquo; (1991-2002). Elle a v&eacute;cu par la suite son adolescence &agrave; Paris, Zurich et Abu Dhabi, avant de s&rsquo;&eacute;tablir d&eacute;finitivement &agrave; Paris.</p> <p>L&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire de Bouraoui se compose &agrave; ce jour de quatorze romans&nbsp;: le premier,&nbsp;<em>La Voyeuse interdite</em>, a &eacute;t&eacute; publi&eacute; en 1991, et le dernier,&nbsp;<em>Standard</em>, est paru en janvier 2014. Dans le&nbsp;<em>Jour du s&eacute;isme</em>&nbsp;(1999), elle exploite pour la premi&egrave;re fois la veine autobiographique et amorce un long processus d&rsquo;autorepr&eacute;sentation dans une s&eacute;rie d&rsquo;&oelig;uvres tr&egrave;s souvent rapproch&eacute;es de l&rsquo;autofiction, &agrave; l&rsquo;exception de&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;(2000) o&ugrave; le r&eacute;cit assume de mani&egrave;re explicite l&rsquo;&eacute;criture autobiographique. Dans ce panorama autobiofictif, Bouraoui aborde des sujets ax&eacute;s sur la question de l&rsquo;identit&eacute; culturelle et &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo; en explorant le pass&eacute;, l&rsquo;enfance alg&eacute;rienne notamment, l&rsquo;origine m&eacute;tisse et la difficult&eacute; de trouver sa place dans les contextes socioculturels alg&eacute;rien et fran&ccedil;ais. Dans cet exercice r&eacute;flexif, l&rsquo;auteure va au-del&agrave; de l&rsquo;image de soi car elle repr&eacute;sente &eacute;galement ses environnements historique, social et culturel. L&rsquo;&eacute;criture de soi se fait suivant deux mouvements&nbsp;: introspectif et r&eacute;trospectif&nbsp;; elle interroge la m&eacute;moire personnelle et collective, les limites ambigu&euml;s entre le r&eacute;el et l&rsquo;imaginaire ainsi que le rapport du sujet aux r&eacute;alit&eacute;s et aux normes.</p> <p>Afin de comprendre les enjeux du r&eacute;cit de soi chez Bouraoui, nous proc&egrave;derons &agrave; l&rsquo;analyse de deux &oelig;uvres embl&eacute;matiques de son &eacute;criture intime,&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es,&nbsp;</em>&agrave; travers le prisme de la th&eacute;orie de la performativit&eacute; de Judith Butler. En effet, la reformulation du sujet bouraouien dans le langage litt&eacute;raire pourrait correspondre &agrave; ce que la philosophe nomme l&rsquo;&laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; du sujet, autrement dit, une puissance langagi&egrave;re qui remet en cause les assignations identitaires traditionnelles, les syst&egrave;mes et les discours normatifs pour proposer d&rsquo;autres possibilit&eacute;s identitaires.</p> <h1>0.Antagonismes identitaires et inintelligibilit&eacute; du sujet m&eacute;tis</h1> <p>D&rsquo;apr&egrave;s la th&eacute;orie de la performativit&eacute; de Butler, il existe un ordre sexe/genre/d&eacute;sir qui fonctionne selon les normes de la matrice h&eacute;t&eacute;rosexuelle pour distribuer les identit&eacute;s masculines et f&eacute;minines aux sujets. Dans cet ordre, les sujets sont distingu&eacute;s en fonction de leur anatomie en tant que femelle ou m&acirc;le (sexe), ensuite comme femme ou homme (genre), et doivent &laquo;&nbsp;performer&nbsp;&raquo; un comportement sexuel (d&eacute;sir) qui correspond &agrave; cet ordre, c&rsquo;est-&agrave;-dire que l&rsquo;&ecirc;tre identifi&eacute; comme &eacute;tant &laquo;&nbsp;homme&nbsp;&raquo; doit d&eacute;sirer l&rsquo;&ecirc;tre (genre/sexe) oppos&eacute;, identifi&eacute; comme &eacute;tant &laquo;&nbsp;femme&nbsp;&raquo; et vice-versa. Dans&nbsp;<em>Trouble dans le genre</em>, Butler affirme que l&rsquo;ordre sexe/genre/d&eacute;sir est l&rsquo;effet et non l&rsquo;origine ou la cause des identit&eacute;s &laquo;&nbsp;genr&eacute;es&nbsp;&raquo;. Ces derni&egrave;res sont impos&eacute;es aux sujets qui doivent les reproduire fid&egrave;lement dans des gestes performatifs.</p> <p>Butler d&eacute;veloppe &eacute;galement la notion d&rsquo;intelligibilit&eacute; qui renvoie aux relations qu&rsquo;entretient le sujet avec les autres. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une structure normative par laquelle il est per&ccedil;u et reconnu. Afin d&rsquo;&ecirc;tre intelligible, il doit r&eacute;pondre aux normes de la matrice h&eacute;t&eacute;rosexuelle qui lui imposent de performer soit un genre masculin, soit un genre f&eacute;minin. Ces identit&eacute;s cat&eacute;gorielles constituent la sph&egrave;re du visible et le &laquo;&nbsp;domaine du dicible&nbsp;&raquo; sur le plan socioculturel. Pour Butler, &laquo;&nbsp;sortir [de ce] domaine du dicible, c&rsquo;est mettre en danger son statut de sujet. Incarner les normes qui gouvernent le dicible, c&rsquo;est parachever son statut de sujet du discours<sup><a href="#nbp_2" id="note_2" name="lien_nbp_2" title="Aller à la note de bas de page n°2">2</a></sup>&nbsp;&raquo;.</p> <p>L&rsquo;acte de s&rsquo;&eacute;crire, de se raconter et donc de se projeter dans l&rsquo;&eacute;criture est ce qui constitue le lien entre le r&eacute;cit de soi et la th&eacute;orie de la performativit&eacute; de Judith Butler. En effet, par la fictionnalisation et les diff&eacute;rentes formes de symbolisation de soi dans l&rsquo;espace scriptural, le sujet d&rsquo;&eacute;nonciation atteste et performe une identit&eacute; autre en questionnant les d&eacute;terminismes qui l&rsquo;ont constitu&eacute; comme sujet d&rsquo;un discours. Ce regard critique port&eacute; sur les structures normatives &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans la constitution et la formation du moi rejoint les concepts th&eacute;oriques butl&eacute;riens. Il serait donc pertinent d&rsquo;analyser dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es</em>&nbsp;la formulation de l&rsquo;identit&eacute; culturelle et &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo; de la narratrice-personnage en appliquant cette th&eacute;orie.</p> <p>Dans ces deux r&eacute;cits, la narratrice-personnage expose les composantes alg&eacute;riennes et fran&ccedil;aises de son identit&eacute; socioculturelle et les composantes masculines et f&eacute;minines de son identit&eacute; &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo;. Les combinaisons identitaires par lesquelles elle se d&eacute;finit ne r&eacute;pondent pas toujours aux codes d&rsquo;intelligibilit&eacute; reconnus et accept&eacute;s, car elles ne reproduisent pas de mani&egrave;re orthodoxe les normes socioculturelles et &laquo;&nbsp;genr&eacute;es&nbsp;&raquo; qui pr&eacute;dominent dans ses deux pays d&rsquo;appartenance. Au contraire, elles brouillent les cat&eacute;gories normatives pr&eacute;&eacute;tablies, et partant, condamnent le sujet &agrave; l&rsquo;inintelligibilit&eacute; et au rejet. Les conflits de la narratrice avec les espaces normatifs qui ne la reconnaissent pas spontan&eacute;ment se traduisent par un sentiment permanent d&rsquo;&eacute;tranget&eacute;. En Alg&eacute;rie, elle est consid&eacute;r&eacute;e comme Fran&ccedil;aise et en France comme Alg&eacute;rienne. Doublement &eacute;trang&egrave;re, elle cherche &agrave; comprendre la gen&egrave;se et le contexte g&eacute;n&eacute;rateur de sa situation. Elle revient ainsi sur l&rsquo;histoire de ses deux pays et sur celle de ses parents, les premiers &agrave; avoir connu le rejet &agrave; cause de leur mariage en pleine guerre d&rsquo;Alg&eacute;rie, per&ccedil;u dans les deux soci&eacute;t&eacute;s comme un acte transgressif. En France, sa famille m&eacute;tisse incarne la d&eacute;ch&eacute;ance, et en Alg&eacute;rie, une pr&eacute;sence coloniale qui se prolonge. Nina incarne &agrave; la fois &laquo;&nbsp;l&rsquo;occidentalit&eacute;&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;maghr&eacute;binit&eacute;&nbsp;&raquo; de par son nom&nbsp;: Nina, fille de la Fran&ccedil;aise, Maryvonne, et Yasmina Bouraoui, fille de l&rsquo;Alg&eacute;rien, Rachid&nbsp;; et de par son physique h&eacute;rit&eacute; de son p&egrave;re et qui contraste avec sa langue maternelle, le fran&ccedil;ais, h&eacute;rit&eacute;e de sa m&egrave;re. Son identit&eacute; pose probl&egrave;me car elle est le lieu de la rencontre des oppos&eacute;s. Elle figure une h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; malvenue car non approuv&eacute;e par les majorit&eacute;s dominantes. Autrement dit, elle est rejet&eacute;e parce qu&rsquo;elle ne se conforme pas aux normes qui donnent acc&egrave;s au cadre de l&rsquo;intelligible dans les deux contextes socioculturels.</p> <p>Victime de deux syst&egrave;mes normatifs qui l&rsquo;excluent d&rsquo;embl&eacute;e, ou du moins gomment une partie de son identit&eacute;, la narratrice d&eacute;nonce l&rsquo;absurdit&eacute; de ces syst&egrave;mes. Elle critique les Alg&eacute;riens et les Fran&ccedil;ais qui vivent les uns et les autres dans &laquo;&nbsp;[l]eurs replis. Dans leur complexit&eacute;. Et leurs complexes. [&hellip;] Dans leur impossibilit&eacute; &agrave; aimer vraiment ce qui est &eacute;tranger. Ce qui est diff&eacute;rent<sup><a href="#nbp_3" id="note_3" name="lien_nbp_3" title="Aller à la note de bas de page n°3">3</a></sup>&nbsp;&raquo;. Ces deux groupes se consid&egrave;rent comme &eacute;tant homog&egrave;nes car ils sont les sujets des normes qu&rsquo;ils reproduisent de mani&egrave;re fid&egrave;le, ce qui les rend particuli&egrave;rement lisibles. Ils remettent en cause la viabilit&eacute; des sujets m&eacute;tis qui ne sont pas parfaitement lisibles dans les registres normatifs. La narratrice attaque ce qu&rsquo;il y a de plus st&eacute;r&eacute;otyp&eacute; chez ces groupes :</p> <p><q>J&rsquo;entends la France [&hellip;]. Cette vie repli&eacute;e. Cette France tr&egrave;s fran&ccedil;aise. Ce mouchoir de poche. Ce folklore que je d&eacute;teste. Comme je d&eacute;teste le folklore alg&eacute;rien. Panier en osier. Croix du Sud. Assiette en terre cuite. Burnous pour enfant. Lampe &agrave; p&eacute;trole. Tapis volant. Ce folklore dangereux. Cette petite identit&eacute; culturelle. Ce lopin de terre &agrave; prot&eacute;ger. &Agrave; d&eacute;fendre. Du fil de fer barbel&eacute;. Autour de leur folklore. Contre l&rsquo;&eacute;tranger. Contre la vie. Contre sa vitesse. Contre le progr&egrave;s. Contre la p&eacute;n&eacute;tration<sup><a href="#nbp_4" id="note_4" name="lien_nbp_4" title="Aller à la note de bas de page n°4">4</a></sup>.</q></p> <p>&Agrave; cause de sa mixit&eacute; originelle, le sujet bouraouien se retrouve donc d&eacute;fait par des normes socioculturelles qui ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute; son existence. Dans ce cas, la contestation du cadre normatif ne peut &ecirc;tre qu&rsquo;involontaire car elle est engendr&eacute;e par une situation de vie dans laquelle le sujet s&rsquo;est trouv&eacute; d&egrave;s son apparition au monde. Autrement dit, les normes sont remises en question parce qu&rsquo;elles ne sont pas capables de tenir compte des formes de vies qui se d&eacute;veloppent en s&rsquo;&eacute;cartant d&rsquo;elles.</p> <p>L&rsquo;&eacute;tranget&eacute; identitaire de la narratrice ne se limite pas &agrave; sa composante culturelle mais s&rsquo;&eacute;tend &agrave; sa&nbsp;composante &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo;. Elle ne correspond ni au genre homme, ni au genre femme et se situe par cons&eacute;quent, encore une fois, &agrave; la marge des normes. Elle cherche par tous les moyens &agrave; &eacute;chapper aux contraintes des mod&egrave;les h&eacute;t&eacute;rosexuels dans lesquels elle ne se reconna&icirc;t pas. Elle se met en sc&egrave;ne en choisissant de porter des noms tant&ocirc;t masculins, tant&ocirc;t f&eacute;minins&nbsp;: Ahmed, Brio, Steve, Amine, Yasmina, Nina. Elle marque ses distances avec les st&eacute;r&eacute;otypes &laquo;&nbsp;genr&eacute;s&nbsp;&raquo; en jouant,&nbsp;par exemple, au foot avec les gar&ccedil;ons ou en plongeant dans la mer du haut d&rsquo;une falaise. Par ces comportements inhabituels chez une fille, la narratrice transgresse les limites des cat&eacute;gories h&eacute;t&eacute;ronormatives et se retrouve par cons&eacute;quent sur le terrain de l&rsquo;inintelligible. Elle d&eacute;crit diff&eacute;rentes situations socioculturelles o&ugrave; elle a &eacute;t&eacute; interpell&eacute;e tant&ocirc;t comme gar&ccedil;on, tant&ocirc;t comme fille, tant&ocirc;t comme gar&ccedil;on manqu&eacute;, tant&ocirc;t comme fausse fille ou travesti. Mais elle ne se reconna&icirc;t pas pleinement dans toutes ces d&eacute;signations qui prennent parfois la forme d&rsquo;une injure.</p> <p>Diff&eacute;rent des canons socioculturels et &laquo;&nbsp;genr&eacute;s&nbsp;&raquo;, le sujet bouraouien est victime de la violence de mondes construits &agrave; partir de discours normatifs intransigeants. Pour &eacute;chapper &agrave; cette violence, il tente de se soustraire aux pouvoirs coercitifs des deux groupes sociaux dominants, en explorant dans le r&eacute;cit intime de nouvelles configurations identitaires. L&rsquo;&eacute;criture de soi devient d&egrave;s lors une qu&ecirc;te de sens et de coh&eacute;rence identitaires par la r&eacute;&eacute;criture du moi et de ses repr&eacute;sentations sociales, comme l&rsquo;explique Madeleine Ouellette-Michalska dans ce passage d&rsquo;<em>Autofiction et d&eacute;voilement de soi</em>&nbsp;:</p> <p><q>L&rsquo;autofiction peut aider au travail de rattrapage dans la n&eacute;cessit&eacute; de se cr&eacute;er un moi dynamique et coh&eacute;rent sur les d&eacute;combres d&rsquo;identit&eacute;s perdues, chancelantes ou fragment&eacute;es. La fragilit&eacute; identitaire pourra consolider l&rsquo;individualisation de soi dans une activit&eacute; cr&eacute;atrice qui permet d&rsquo;inscrire son nom, sa fragilit&eacute;, ses manques ou ses aspirations, dans un code symbolique pouvant lui donner voix et refuge. &Eacute;crire permet de se placer dans une structure d&rsquo;identit&eacute; en mouvement dont les param&egrave;tres &eacute;chappent &agrave; la fixit&eacute;. R&eacute;investir le pass&eacute; afin de se l&rsquo;approprier, donner un sens aux lieux, aux gestes et aux mots qui ont manqu&eacute; est la t&acirc;che de toute &eacute;criture autobiographique<sup><a href="#nbp_5" id="note_5" name="lien_nbp_5" title="Aller à la note de bas de page n°5">5</a></sup>.</q></p> <p>Gr&acirc;ce &agrave; la notion d&rsquo;&laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo;, une autre notion cl&eacute; de la th&eacute;orie de la performativit&eacute; de J. Butler, nous proc&eacute;derons &agrave; l&rsquo;analyse de la r&eacute;action du sujet bouraouien aux contraintes identitaires que ses milieux sociaux lui imposent.</p> <h1>0.&laquo;&nbsp;L&rsquo;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; ou le pouvoir de se dire dans le langage litt&eacute;raire</h1> <p>Butler affirme que &laquo;&nbsp;nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons &eacute;t&eacute; constitu&eacute;s comme sujets dans le langage et par le langage<sup><a href="#nbp_6" id="note_6" name="lien_nbp_6" title="Aller à la note de bas de page n°6">6</a></sup>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;identit&eacute; du sujet est donc influenc&eacute;e par la mani&egrave;re dont il a &eacute;t&eacute; interpell&eacute; et identifi&eacute; par diff&eacute;rents discours normatifs. L&rsquo;&laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; correspond &agrave; sa capacit&eacute; de contrer ces discours et de d&eacute;stabiliser les structures sociales pr&eacute;&eacute;tablies. Cette r&eacute;action se fait par le biais du langage et peut permettre aux personnes qui manquent de reconnaissance en tant que sujets d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; une certaine visibilit&eacute; sociale.</p> <p>Le sujet peut r&eacute;agir aux diff&eacute;rentes interpellations qui lui sont adress&eacute;es pour le d&eacute;signer, le nommer, l&rsquo;insulter ou le marginaliser, bref, pour le constituer comme sujet d&rsquo;un discours, en contre-mobilisant le langage selon plusieurs strat&eacute;gies. Parmi ces strat&eacute;gies&nbsp;:</p> <ul> <li>La r&eacute;appropriation du signe linguistique&nbsp;: un terme pouvant avoir plusieurs significations en fonction de son contexte d&rsquo;&eacute;nonciation, le sujet peut donc l&rsquo;utiliser en d&eacute;ployant des significations nouvelles.</li> <li>La citation et l&rsquo;incorporation subversives des normes&nbsp;: Butler part de l&rsquo;id&eacute;e que la norme existe et continue d&rsquo;exister parce que les sujets la r&eacute;activent sans cesse en la r&eacute;p&eacute;tant &agrave; deux niveaux, le discours et l&rsquo;action. Pour d&eacute;stabiliser ou troubler la norme,&nbsp;le sujet peut proc&eacute;der &agrave; une incorporation subversive de celle-ci. Il la reproduit donc non pas pour la consolider mais pour la d&eacute;tourner en jouant sur les variations de la r&eacute;p&eacute;tition.</li> </ul> <p>Les exemples d&rsquo;&laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; du sujet agissant sont nombreux dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;et&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es</em>. Nous avons cit&eacute; la conduite de la narratrice comme gar&ccedil;on dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;par l&rsquo;incorporation de l&rsquo;apparence et du comportement que cela exige. Elle remet en cause l&rsquo;ordre h&eacute;t&eacute;rosexuel par la d&eacute;construction des traits du personnage de Nina et des caract&eacute;ristiques du genre f&eacute;minin. En transgressant ainsi les normes, elle d&eacute;montre que l&rsquo;identit&eacute; &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo; est r&eacute;gul&eacute;e par des r&eacute;gimes discursifs disciplinaires qui font appel &agrave; la performativit&eacute; de comportements socialement cod&eacute;s. Elle rejoint donc l&rsquo;id&eacute;e de Butler selon laquelle les identit&eacute;s &laquo;&nbsp;genr&eacute;es&nbsp;&raquo; ne sont pas une &laquo;&nbsp;essence&nbsp;&raquo; mais une &laquo;&nbsp;performance&nbsp;&raquo;, ce qui permet de les repenser et de les interroger.</p> <p>Elle proc&egrave;de de la m&ecirc;me fa&ccedil;on pour son identit&eacute; culturelle, en d&eacute;construisant les sch&eacute;mas normatifs traditionnels et les repr&eacute;sentations st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;es qui nourrissent les certitudes de certaines familles alg&eacute;riennes et fran&ccedil;aises. Les caract&eacute;ristiques de son identit&eacute; varient sans cesse et sa pluralit&eacute; est le r&eacute;sultat des r&ocirc;les qu&rsquo;elle est amen&eacute;e &agrave; jouer &agrave; chaque fois qu&rsquo;elle passe d&rsquo;un contexte &agrave; un autre ou d&rsquo;une situation &agrave; une autre. Dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>, Nina et son ami Amine jouent &agrave; &ecirc;tre des &laquo;&nbsp;enfants alg&eacute;riens&nbsp;&raquo; en portant des burnous et en essayant de parler en arabe. Ce jeu traduit leur d&eacute;sir de s&rsquo;identifier aux enfants qu&rsquo;ils voient dans la rue, qu&rsquo;ils entendent parler arabe et qui sont diff&eacute;rents du groupe des enfants m&eacute;tis dans lequel ils sont class&eacute;s en Alg&eacute;rie. En France, Nina est amen&eacute;e &agrave; gommer son accent et &agrave; porter des robes &laquo;&nbsp;comme les vraies filles&nbsp;&raquo;, d&egrave;s son arriv&eacute;e chez ses grands-parents maternels pour les vacances d&rsquo;&eacute;t&eacute;. Ces d&eacute;guisements que n&eacute;cessite l&rsquo;int&eacute;gration dans les diff&eacute;rents environnements socioculturels d&eacute;voilent la performativit&eacute; &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans les identit&eacute;s culturelles et par cons&eacute;quent le caract&egrave;re contingent de celles-ci.</p> <p>D&egrave;s l&rsquo;&acirc;ge du &laquo;&nbsp;non&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la majorit&eacute;, Nina rejette le mod&egrave;le socioculturel que sa famille fran&ccedil;aise cherche &agrave; lui imposer<strong>.</strong>&nbsp;L&rsquo;incorporation infid&egrave;le des normes de ce mod&egrave;le se fait par l&rsquo;int&eacute;gration de la composante alg&eacute;rienne qu&rsquo;elle &eacute;tait oblig&eacute;e de garder secr&egrave;te. Il en va de m&ecirc;me du c&ocirc;t&eacute; alg&eacute;rien. Elle refuse d&rsquo;&ecirc;tre le prototype de ces mod&egrave;les traditionnels dominants qui s&rsquo;opposent et s&rsquo;annulent, et les qualifie de folklores identitaires qui conduisent &agrave; l&rsquo;enfermement et au repli sur soi. Elle compare les noms arabes &agrave; des &laquo;&nbsp;prisons&nbsp;&raquo; et les arbres g&eacute;n&eacute;alogiques fran&ccedil;ais &agrave; un &laquo;&nbsp;&eacute;tranglement&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Bouraoui de&nbsp;<em>raha</em>&nbsp;conter, et de&nbsp;<em>Abi&nbsp;</em>qui signifie le p&egrave;re. Les noms arabes sont des prisons familiales. On est toujours le fils de avec&nbsp;<em>Ben</em>&nbsp;ou le p&egrave;re de avec&nbsp;<em>Bou</em>. Des prisons familiales et masculines<sup><a href="#nbp_7" id="note_7" name="lien_nbp_7" title="Aller à la note de bas de page n°7">7</a></sup>.&nbsp;&raquo; Et en parlant des familles fran&ccedil;aises&nbsp;:</p> <p><q>Ils ont des maisons de famille. Des meubles de famille. Des tableaux de famille. Des grands parcs et des all&eacute;es de gravier. Ils font des repas de famille. Ils ont des histoires de famille. Et un arbre g&eacute;n&eacute;alogique. Un &eacute;tranglement<sup><a href="#nbp_8" id="note_8" name="lien_nbp_8" title="Aller à la note de bas de page n°8">8</a></sup>.</q></p> <p>En plus de &laquo;&nbsp;l&rsquo;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; du sujet agissant, on trouve &eacute;galement dans le r&eacute;cit intime de Bouraoui de nombreux exemples de &laquo;&nbsp;l&rsquo;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; du sujet parlant. Les termes qui sont destin&eacute;s &agrave; assujettir la narratrice &agrave; une condition marginale sont repris, r&eacute;p&eacute;t&eacute;s et r&eacute;investis de significations nouvelles qui d&eacute;jouent leurs sens initiaux. Dans&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es</em>, elle raconte comment elle a &eacute;t&eacute; interpell&eacute;e pour la premi&egrave;re fois comme homosexuelle&nbsp;par la m&egrave;re d&rsquo;Amine, son ami d&rsquo;enfance&nbsp;:</p> <p><q>Elle [la m&egrave;re d&rsquo;Amine] r&eacute;p&egrave;te. Son obsession : je ne veux pas que mon fils devienne homosexuel. Elle dit le mot en premier. Elle dit mon mot. &Agrave; force de tra&icirc;ner avec cette fille. Cette fausse fille. C&rsquo;est la folie d&rsquo;Amine. Son miroir<sup><a href="#nbp_9" id="note_9" name="lien_nbp_9" title="Aller à la note de bas de page n°9">9</a></sup>.</q></p> <p>Interpell&eacute;e comme &laquo;&nbsp;homosexuelle&nbsp;&raquo; et comme &laquo;&nbsp;fausse fille&nbsp;&raquo;, la narratrice se retrouve assujettie &agrave; ces identit&eacute;s &agrave; connotation p&eacute;jorative si l&rsquo;on tient compte du locuteur et du contexte d&rsquo;&eacute;nonciation. En effet, la m&egrave;re d&rsquo;Amine interdit l&rsquo;amiti&eacute; entre son fils et la narratrice car elle l&rsquo;a identifi&eacute;e comme homosexuelle et la consid&egrave;re ainsi comme une mauvaise fr&eacute;quentation. Mais le mot &laquo;&nbsp;homosexuelle&nbsp;&raquo; qui est une insulte pour la m&egrave;re d&rsquo;Amine est repris par la narratrice pour d&eacute;signer une identit&eacute; qu&rsquo;elle ne consid&egrave;re pas comme n&eacute;gative mais comme &eacute;tant la sienne tout simplement. Elle d&eacute;clare que ce mot lui appartient &ndash; &laquo;&nbsp;mon mot&nbsp;&raquo; &ndash; cherchant par-l&agrave; &agrave; se le r&eacute;approprier afin de l&rsquo;investir d&rsquo;une nouvelle signification. Cette op&eacute;ration r&eacute;v&egrave;le que ce mot n&rsquo;est pas fig&eacute;, n&rsquo;est pas essentiellement n&eacute;gatif ou p&eacute;joratif mais qu&rsquo;il peut &ecirc;tre re-signifi&eacute; diff&eacute;remment, de mani&egrave;re positive par le sujet qui se le r&eacute;approprie.</p> <p>&Agrave; travers cet exemple, le r&eacute;cit de Bouraoui montre que &laquo;&nbsp;le pouvoir des mots&nbsp;&raquo; (selon l&rsquo;expression de Butler), fonctionnant comme une instance constructive de l&rsquo;identit&eacute; du sujet, ne passe pas uniquement par les d&eacute;signations ext&eacute;rieures, mais &eacute;galement par l&rsquo;autod&eacute;signation. C&rsquo;est parce que le sujet est constitu&eacute; dans le langage qu&rsquo;il a la possibilit&eacute; de r&eacute;agir en se reformulant autrement dans ce m&ecirc;me langage. Bouraoui met en sc&egrave;ne l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;une nouvelle identit&eacute; comme preuve de son pouvoir d&rsquo;agir/r&eacute;agir dans le langage, ou son &laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo;, pour rattraper et re-signifier les diff&eacute;rentes interpellations dirig&eacute;es contre elle. Elle s&rsquo;autorepr&eacute;sente par et dans l&rsquo;&eacute;criture au c&oelig;ur des discours normatifs dominants, en illustrant les normes par lesquelles son identit&eacute; a &eacute;t&eacute; fix&eacute;e et fig&eacute;e, tout en les citant de mani&egrave;re subversive et en d&eacute;multipliant leur signification, afin de sugg&eacute;rer d&rsquo;autres possibilit&eacute;s &agrave; son identit&eacute;.</p> <p>En plus de la d&eacute;nonciation des pressions identitaires dont le sujet m&eacute;tis est victime et de la d&eacute;monstration de sa capacit&eacute; &agrave; r&eacute;agir pour les contrer, le r&eacute;cit laisse entrevoir une alternative identitaire.</p> <h1>0.&Agrave; la recherche de nouvelles significations de soi</h1> <p>Cette alternative n&rsquo;est pas facile &agrave; d&eacute;gager car l&rsquo;identit&eacute; de la narratrice est souvent d&eacute;crite dans des &eacute;nonc&eacute;s qui contiennent des expressions antinomiques, o&ugrave; des aspects positifs et n&eacute;gatifs sont pr&eacute;sent&eacute;s de mani&egrave;re parall&egrave;le&nbsp;:</p> <p><q>&laquo;&nbsp;De m&egrave;re fran&ccedil;aise. De p&egrave;re alg&eacute;rien. [&hellip;] C&rsquo;est une richesse. C&rsquo;est une pauvret&eacute;. [&hellip;] Mon visage alg&eacute;rien. Ma voix fran&ccedil;aise<sup><a href="#nbp_10" id="note_10" name="lien_nbp_10" title="Aller à la note de bas de page n°10">10</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Je parle fran&ccedil;ais. J&rsquo;entends alg&eacute;rien. Mes vacances d&rsquo;&eacute;t&eacute; sont fran&ccedil;aises. Je suis sur la terre alg&eacute;rienne<sup><a href="#nbp_11" id="note_11" name="lien_nbp_11" title="Aller à la note de bas de page n°11">11</a></sup>&nbsp;&raquo;/</q></p> <p><q>&laquo;&nbsp;Je suis ici, diff&eacute;rente, et fran&ccedil;aise. Mais je suis alg&eacute;rienne<sup><a href="#nbp_12" id="note_12" name="lien_nbp_12" title="Aller à la note de bas de page n°12">12</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo; Je reste avec ma m&egrave;re. Je reste avec mon p&egrave;re. Je prends des deux. Je perds des deux. Chaque partie se fond &agrave; l&rsquo;autre puis s&rsquo;en d&eacute;tache. Elles s&rsquo;embrassent et se disputent. C&rsquo;est une guerre. C&rsquo;est une union.&nbsp;C&rsquo;est un rejet. C&rsquo;est une s&eacute;duction<sup><a href="#nbp_13" id="note_13" name="lien_nbp_13" title="Aller à la note de bas de page n°13">13</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Je suis tout. Je ne suis rien<sup><a href="#nbp_14" id="note_14" name="lien_nbp_14" title="Aller à la note de bas de page n°14">14</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Ici je suis une &eacute;trang&egrave;re. Ici je ne suis rien<sup><a href="#nbp_15" id="note_15" name="lien_nbp_15" title="Aller à la note de bas de page n°15">15</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Tous les matins je v&eacute;rifie mon identit&eacute;. J&rsquo;ai quatre probl&egrave;mes. Fran&ccedil;aise&nbsp;? Alg&eacute;rienne&nbsp;? Fille&nbsp;? Gar&ccedil;on<sup><a href="#nbp_16" id="note_16" name="lien_nbp_16" title="Aller à la note de bas de page n°16">16</a></sup>&nbsp;?&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Une fille&nbsp;? Un gar&ccedil;on&nbsp;? [&hellip;] La Fran&ccedil;aise&nbsp;? L&rsquo;Alg&eacute;rienne&nbsp;? L&rsquo;Alg&eacute;ro-fran&ccedil;aise&nbsp;? De quel c&ocirc;t&eacute; de la barri&egrave;re<sup><a href="#nbp_17" id="note_17" name="lien_nbp_17" title="Aller à la note de bas de page n°17">17</a></sup>&nbsp;?&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Je suis une &eacute;trang&egrave;re quand j&rsquo;arrive &agrave; Paris [&hellip;] je ne suis pas une &eacute;trang&egrave;re comme les autres, je suis fran&ccedil;aise, mais je me sens &eacute;trang&egrave;re<sup><a href="#nbp_18" id="note_18" name="lien_nbp_18" title="Aller à la note de bas de page n°18">18</a></sup>&nbsp;[&hellip;].&nbsp;&raquo;/ &laquo; Venir de deux familles que tout oppose, les Fran&ccedil;ais et les Alg&eacute;riens [&hellip;] je crois n&rsquo;&ecirc;tre d&rsquo;aucun camp. Je suis seule avec mon corps<sup><a href="#nbp_19" id="note_19" name="lien_nbp_19" title="Aller à la note de bas de page n°19">19</a></sup>.&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;[&hellip;] je suis presque totalement fran&ccedil;aise &agrave; cause de ma langue maternelle<sup><a href="#nbp_20" id="note_20" name="lien_nbp_20" title="Aller à la note de bas de page n°20">20</a></sup>&nbsp;&raquo;/ &laquo;&nbsp;Je reste entre deux pays. Je reste entre deux identit&eacute;s<sup><a href="#nbp_21" id="note_21" name="lien_nbp_21" title="Aller à la note de bas de page n°21">21</a></sup>.&nbsp;&raquo;</q></p> <p>La critique a souvent interpr&eacute;t&eacute; les contradictions identitaires du sujet bouraouien comme traduisant une division binaire qui condamne &agrave; l&rsquo;errance entre deux p&ocirc;les oppos&eacute;s. Parfois, son identit&eacute; a &eacute;t&eacute; situ&eacute;e dans la cat&eacute;gorie de &laquo;&nbsp;l&rsquo;entre-deux&nbsp;&raquo;, propos&eacute;e par Butler aux sujets qui ne se reconnaissent pas dans les cat&eacute;gories identitaires dominantes. Mais on peut aller plus loin en analysant ces contradictions &agrave; travers le prisme de la logique formelle polyvalente. Nous nous inspirons pour cela de la conf&eacute;rence de Laurent Dubreuil intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Th&eacute;orie litt&eacute;raire et sciences cognitives&nbsp;&raquo;, qui a eu lieu en mai 2012 &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul Val&eacute;ry de Montpellier. Une de ses interventions portait sur l&rsquo;utilisation de la logique formelle pour comprendre les textes litt&eacute;raires<sup><a href="#nbp_22" id="note_22" name="lien_nbp_22" title="Aller à la note de bas de page n°22">22</a></sup>. Pour Dubreuil, le rapport entre la pens&eacute;e et le langage litt&eacute;raire est un rapport particulier puisqu&rsquo;on peut penser de mani&egrave;re contradictoire et l&rsquo;exprimer sans &ecirc;tre pour autant incompr&eacute;hensible. La contradiction fonctionne dans ce cas comme un &eacute;l&eacute;ment f&eacute;cond qui vient enrichir le texte de significations in&eacute;dites. Dubreuil sugg&egrave;re l&rsquo;utilisation de la logique formelle pour distinguer les diff&eacute;rentes significations de la contradiction afin de r&eacute;v&eacute;ler toute la richesse s&eacute;mantique du texte.</p> <p>La logique formelle est utilis&eacute;e en philosophie, par exemple, par Graham Priest qui raisonne sur les paradoxes et constate qu&rsquo;on ne peut plus se contenter du vrai et du faux, de contradiction et de non contradiction. &Agrave; la diff&eacute;rence de Da Costa pour qui la contradiction n&rsquo;est pas vraie, Priest pense que certaines contradictions sont vraies. Da Costa sugg&egrave;re, lui, une nouvelle cat&eacute;gorie pour d&eacute;passer la logique classique qui n&rsquo;admet pas la contradiction (c&rsquo;est-&agrave;-dire, A et non A en m&ecirc;me temps). Il nomme cette cat&eacute;gorie C1 et la divise en deux parties&nbsp;: la n&eacute;gation forte (qui n&rsquo;admet pas la contradiction) et la n&eacute;gation faible (qui, elle, admet la contradiction).</p> <p>Apr&egrave;s une lecture attentive des &eacute;nonc&eacute;s de Bouraoui, nous pouvons exprimer les probl&egrave;mes d&rsquo;appartenance de la narratrice dans une op&eacute;ration cognitive en nous servant de la logique formelle polyvalente. Admettons donc les symboles suivants&nbsp;:</p> <ul> <li>Alg&eacute;rienne = A</li> <li>Fran&ccedil;aise = F</li> <li>Gar&ccedil;on = G</li> <li>Fille = D</li> <li>Ind&eacute;termin&eacute; = I</li> </ul> <p>Selon la logique formelle polyvalente, nous avons plusieurs combinaisons possibles&nbsp;:</p> <ul> <li>la narratrice = ni A ni F</li> <li>la narratrice = A et F</li> <li>la narratrice = entre A et F</li> <li>la narratrice = ni G ni D</li> <li>la narratrice = G et D</li> <li>la narratrice = entre G et D</li> <li>la narratrice = I</li> </ul> <p>Selon la logique formelle de Da Costa nous avons :</p> <ul> <li>la narratrice = A et non A</li> <li>la narratrice = F et non F</li> <li>la narratrice= G et non G</li> </ul> <ul> <li>la narratrice = D et non D</li> </ul> <p>La narratrice n&rsquo;est ni alg&eacute;rienne, ni fran&ccedil;aise quand elle dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je n&rsquo;&eacute;tais plus fran&ccedil;aise. Je n&rsquo;&eacute;tais plus alg&eacute;rienne&nbsp;&raquo;, elle est alg&eacute;rienne et fran&ccedil;aise en disant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je suis tout&nbsp;&raquo;, elle est entre alg&eacute;rienne et fran&ccedil;ais (l&rsquo;entre-deux de Bhabha) dans l&rsquo;expression&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je reste entre deux pays. Je reste entre deux identit&eacute;s&nbsp;&raquo;, et elle appartient &agrave; une cat&eacute;gorie ind&eacute;termin&eacute;e quand elle avoue&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne suis rien&nbsp;&raquo;.</p> <p>Et selon la logique formelle de Da Costa&nbsp;:</p> <p>La narratrice est Alg&eacute;rienne et non Alg&eacute;rienne (la chose et son contraire)&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je suis ici, diff&eacute;rente, et fran&ccedil;aise. Mais je suis alg&eacute;rienne&nbsp;&raquo;. Elle est Fran&ccedil;aise et non Fran&ccedil;aise&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne suis pas une &eacute;trang&egrave;re comme les autres, je suis fran&ccedil;aise, mais je me sens &eacute;trang&egrave;re&nbsp;&raquo;. Pareillement, pour son identit&eacute; &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo;, elle n&rsquo;est ni gar&ccedil;on ni fille, elle est &agrave; la fois gar&ccedil;on et fille et parfois, elle est entre gar&ccedil;on et fille (l&rsquo;entre-deux de Butler), ou, enfin, elle appartient &agrave; une cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo; ind&eacute;termin&eacute;e. Et selon la logique de Da Costa, la narratrice est gar&ccedil;on et non gar&ccedil;on, puis, fille et non fille.</p> <p>Dans ces op&eacute;rations de la logique formelle se r&eacute;v&egrave;lent la richesse et la subtilit&eacute; tapies derri&egrave;re les contradictions apparentes. Quand la narratrice dit &laquo;&nbsp;je suis alg&eacute;rienne&nbsp;&raquo;, elle ne dit pas &laquo;&nbsp;je suis absolument alg&eacute;rienne&nbsp;&raquo;. Et quand elle dit &laquo;&nbsp;je suis fran&ccedil;aise&nbsp;&raquo;, elle ne dit pas &laquo;&nbsp;je suis tout &agrave; fait fran&ccedil;aise&nbsp;ou exclusivement fran&ccedil;aise&nbsp;&raquo;. Il en va de m&ecirc;me pour son identit&eacute; &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo;. En utilisant, pour se d&eacute;signer, des associations de termes parfois antinomiques parfois impr&eacute;visibles ou incompr&eacute;hensibles, la narratrice cherche, non pas &agrave; se situer dans une logique identitaire binaire mais plut&ocirc;t &agrave; y &eacute;chapper en envisageant la contradiction, non comme une chose inacceptable, impossible et donc comme une impasse identitaire, mais plut&ocirc;t comme une force productrice de sens et de significations identitaires nouvelles. Elle affirme d&rsquo;ailleurs qu&rsquo;elle acquiert une grande libert&eacute; gr&acirc;ce &agrave; cette force qui lui permet d&rsquo;envisager diff&eacute;remment son identit&eacute; et sa place dans le monde&nbsp;:</p> <p><q>[&hellip;] la libert&eacute; quand je sais au fond de moi [&hellip;] que je peux trouver ma place dans le monde, [&hellip;] je sais qu&rsquo;il y a la chose au fond de moi qui n&rsquo;est plus une d&eacute;voration, mais une force qui me porte, ma propre force, qui remonte de mon ventre et qui brille dans mes yeux&nbsp;[&hellip;]<sup><a href="#nbp_23" id="note_23" name="lien_nbp_23" title="Aller à la note de bas de page n°23">23</a></sup>.</q></p> <p>La &laquo;&nbsp;d&eacute;voration&nbsp;&raquo; est un terme r&eacute;current dans l&rsquo;&oelig;uvre de Bouraoui. Elle l&rsquo;utilise &agrave; chaque fois que la viabilit&eacute; d&rsquo;un &eacute;l&eacute;ment de son identit&eacute; est menac&eacute;e, quand il rencontre un autre &eacute;l&eacute;ment qui le conteste et l&rsquo;annule. L&rsquo;aspect contradictoire de son identit&eacute; impos&eacute; par des milieux sociaux traditionnels l&rsquo;oblige &agrave; faire dispara&icirc;tre un ou plusieurs &eacute;l&eacute;ments de son Moi, d&eacute;vor&eacute; par un autre qui prend le dessus. En parlant de sa &laquo;&nbsp;propre force&nbsp;&raquo;, elle signifie une op&eacute;ration personnelle dans le langage qui mine les constructions binaires et les antagonismes identitaires par la validation de sa contradiction. En choisissant de s&rsquo;autorepr&eacute;senter dans des formules paradoxales, elle cherche &agrave; l&eacute;gitimer la contradiction identitaire en la traduisant comme une pluralit&eacute; s&eacute;mantique d&rsquo;une grande richesse. En r&eacute;alit&eacute;, elle se sert des potentialit&eacute;s du langage et de la litt&eacute;rature pour faire accepter la contradiction comme &eacute;tant signifiante, c&rsquo;est-&agrave;-dire, qu&rsquo;elle revendique son identit&eacute; culturelle et &laquo;&nbsp;genr&eacute;e&nbsp;&raquo; comme des signifiants socioculturels acceptables, l&eacute;gitimes et comme tout &agrave; fait lisibles quand on quitte la logique binaire traditionnelle des groupes dominants, qui n&rsquo;admet pas la contradiction. Pour elle, il est possible d&rsquo;&ecirc;tre la chose et son contraire mais c&rsquo;est dans la violence que cela se fait car les cat&eacute;gories identitaires sont prot&eacute;g&eacute;es par du &laquo;&nbsp;fer barbel&eacute;&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire, par des syst&egrave;mes normatifs rigides au sein desquels elle cherche &agrave; se frayer une singularit&eacute;. Croire en la force productive de la contradiction identitaire rejoint l&rsquo;id&eacute;e butlerienne selon laquelle, les cat&eacute;gories identitaires ne sont pas uniquement r&eacute;gulatrices et restrictives mais peuvent &ecirc;tre productives.</p> <p>Provincetown dans Mes&nbsp;<em>Mauvaises pens&eacute;es</em>&nbsp;et Tivoli dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>&nbsp;se pr&eacute;sentent comme deux espaces o&ugrave; l&rsquo;identit&eacute; assign&eacute;e &agrave; la narratrice co&iuml;ncide avec un id&eacute;al identitaire auquel elle aspire. Elle illustre par ces lieux la possibilit&eacute; de l&rsquo;existence d&rsquo;un espace neutre o&ugrave; ses antagonismes peuvent compl&egrave;tement dispara&icirc;tre. Dans&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>, elle d&eacute;crit son sentiment en se promenant &agrave; Tivoli&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une nouvelle personnalit&eacute;. Un don peut-&ecirc;tre. Je me retrouvais. Je venais de mes yeux, de ma voix, de mes envies. Je sortais de moi. Et je me poss&eacute;dais<sup><a href="#nbp_24" id="note_24" name="lien_nbp_24" title="Aller à la note de bas de page n°24">24</a></sup>&nbsp;&raquo;. Et dans&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es</em>, en parlant de Provincetown&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] ma voix qui dit&nbsp;: &ldquo;Je suis, ici, chez moi ˮ&nbsp;; cette phrase signifie aussi que je suis chez moi &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de moi<sup><a href="#nbp_25" id="note_25" name="lien_nbp_25" title="Aller à la note de bas de page n°25">25</a></sup>&nbsp;[&hellip;]&nbsp;&raquo;.</p> <p>L&rsquo;identit&eacute; d&eacute;sir&eacute;e par la narratrice atteint donc une r&eacute;alisation parfaite quand la polarisation identitaire dispara&icirc;t. L&rsquo;existence de deux p&ocirc;les oppos&eacute;s est le r&eacute;sultat d&rsquo;une lecture ext&eacute;rieure de son identit&eacute; &agrave; travers la grille des normes traditionnelles qu&rsquo;elle d&eacute;nonce. La conception de l&rsquo;identit&eacute;, telle qu&rsquo;id&eacute;alement imagin&eacute;e dans le r&eacute;cit, n&rsquo;a rien de binaire mais aspire plut&ocirc;t &agrave; l&rsquo;effacement de la binarit&eacute; dans une singularit&eacute; o&ugrave; la contradiction n&rsquo;existe pas, ou plut&ocirc;t, existe en ayant le sens de sa non-existence, ou en tout cas en ayant du sens ou des sens. Et la r&eacute;alisation de cette identit&eacute; se fait avant tout &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de soi-m&ecirc;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;je suis chez moi &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de moi&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Je sortais de moi&nbsp;&raquo;. Cela signifie une possession de soi qui permet non pas d&rsquo;&eacute;chapper au pouvoir des discours normatifs, puisqu&rsquo;on ne peut pas y &eacute;chapper, mais d&rsquo;avoir une approche critique vis-&agrave;-vis de ces discours. Cela veut dire que la narratrice ne revendique pas une individualit&eacute; autonome et substantielle mais relationnelle, consciente que le r&eacute;cit de soi ne peut se faire sans les mots des autres qui l&rsquo;ont d&rsquo;abord d&eacute;sign&eacute;e et constitu&eacute;e en tant que sujet. Elle envisage le moi comme une mati&egrave;re mouvante qui change et se transforme au gr&eacute; des rencontres et des contacts avec l&rsquo;ext&eacute;rieur mais qui peut &ecirc;tre &eacute;galement repens&eacute;e par soi-m&ecirc;me. Son identit&eacute; n&rsquo;est donc ni &laquo;&nbsp;l&rsquo;entre-deux&nbsp;&raquo;, ni &laquo;&nbsp;l&rsquo;&ecirc;tre-deux&nbsp;&raquo;, comme la critique l&rsquo;avait qualifi&eacute;e, mais peut-&ecirc;tre un &laquo;&nbsp;&ecirc;tre-soi&nbsp;&raquo; qui suppose une autoformation de soi initi&eacute;e par l&rsquo;interrogation des pratiques relationnelles du sujet.</p> <p>Le r&eacute;cit de soi de Bouraoui r&eacute;pond donc au principe th&eacute;orique de Butler qui remet en question &agrave; la fois le sujet souverain et la possibilit&eacute; d&rsquo;un sujet autonome et substantiel. Pour Butler, comme pour Bouraoui, l&rsquo;individu est pris dans des rapports d&rsquo;interd&eacute;pendance avec les autres. La reformulation de soi se fait au sein d&rsquo;un r&eacute;cit collectif qui d&eacute;termine une grille de lecture du r&eacute;el et d&eacute;limite ce que la th&eacute;oricienne appelle la sph&egrave;re du &laquo;&nbsp;vivable&nbsp;&raquo; ou de &laquo;&nbsp;l&rsquo;humain&nbsp;&raquo;. Ce r&eacute;cit cr&eacute;e des in&eacute;galit&eacute;s entre les diff&eacute;rents membres d&rsquo;une m&ecirc;me soci&eacute;t&eacute; et entrave l&rsquo;acc&egrave;s de certains sujets au cadre du lisible, du compr&eacute;hensible et donc du reconnu comme &eacute;tant la r&eacute;alisation admise d&rsquo;un &ecirc;tre socioculturel accompli. Des vies peuvent donc &ecirc;tre moins r&eacute;elles que d&rsquo;autres car elles ne reproduisent pas parfaitement les normes du r&eacute;cit dominant.</p> <p>Tel est le cas du sujet d&eacute;crit dans les r&eacute;cits de Nina Bouraoui dont le profil est situ&eacute; d&rsquo;embl&eacute;e &agrave; la marge des canons identitaires des milieux socioculturels auxquels il appartient. Sa r&eacute;action dans le langage litt&eacute;raire expose les circonstances de sa marginalisation et tente de r&eacute;aliser des variations du r&eacute;cit global en rendant compte de soi dans des &eacute;nonc&eacute;s contradictoires. Ces &eacute;nonc&eacute;s sugg&egrave;rent de nouvelles possibilit&eacute;s identitaires, demeur&eacute;es invisibles car ignor&eacute;es des discours r&eacute;gulateurs. Judith Butler pr&eacute;cise qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;inventer des sujets in&eacute;dits mais tout simplement de tenir compte de ceux qui sont l&agrave; et qui ne sont pas reconnus par les syst&egrave;mes normatifs. Elle ne pr&eacute;conise pas une attitude r&eacute;volutionnaire pour leur permettre d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; la reconnaissance mais une r&eacute;sistance critique &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur des normes afin de les rendre plus ouvertes et flexibles. Sa th&eacute;orie ne s&rsquo;inscrit donc pas dans une perspective post-norme, post-pouvoir ou post-genre. L&rsquo;attitude du sujet bouraouien r&eacute;pond &agrave; ce principe butlerien car il ne rejette pas les normes mais les interroge et r&eacute;siste &agrave; leur pouvoir arbitraire, en sugg&eacute;rant de substituer &agrave; leur logique d&rsquo;exclusion, une logique d&rsquo;inclusion.</p> <p>Cette analyse de deux ouvrages autobiofictionnels de Bouraoui &agrave; travers le prisme de la th&eacute;orie performative de J. Butler montre que la cr&eacute;ation litt&eacute;raire peut &ecirc;tre aussi un espace o&ugrave; se d&eacute;ploie l&rsquo;&laquo;&nbsp;agentivit&eacute;&nbsp;&raquo; du sujet par la performativit&eacute; d&rsquo;une identit&eacute; nouvelle.&nbsp;L&rsquo;&eacute;criture de soi se pr&eacute;sente ici comme une op&eacute;ration discursive dont le but est de troubler les cat&eacute;gories normatives pour revendiquer une signification de l&rsquo;identit&eacute;, o&ugrave; celle-ci ne serait plus assujettie &agrave; des r&eacute;gimes fig&eacute;s d&rsquo;historicit&eacute;, de culture, de religion, de tradition ou de genre. Puisque tout est question d&rsquo;histoires et de langage, l&rsquo;espace litt&eacute;raire est ici investi pour inventer d&rsquo;autres histoires, en utilisant diff&eacute;remment le langage, afin de sugg&eacute;rer d&rsquo;autres fa&ccedil;ons de voir le monde. La cr&eacute;ation litt&eacute;raire devient de ce fait un terrain de lutte id&eacute;ologique contre les assignations identitaires standardis&eacute;es, contre l&rsquo;immobilisme des cadres normatifs r&eacute;f&eacute;rentiels et contre les politiques et les essentialismes identitaires.</p> <hr /> <h2>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</h2> <p><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1 </a>Nina Bouraoui,&nbsp;<em>Mes Mauvaises pens&eacute;es</em>, Paris, Stock, 2005, p. 65.</p> <p><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2 </a>Judith Butler,&nbsp;<em>Le Pouvoir des mots&nbsp;: politique du performatif</em>&nbsp;(1997), traduit de l&rsquo;anglais par Charlotte Nordmann, Paris, &Eacute;ditions Amsterdam, 2004, p. 210.</p> <p><a href="#lien_nbp_3" name="nbp_3">3 </a>Nina Bouraoui,&nbsp;<em>Gar&ccedil;on manqu&eacute;</em>, Paris, Stock, 2000, p.&nbsp;98-99.</p> <p><a href="#lien_nbp_4" name="nbp_4">4&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p.&nbsp;121-122.</p> <p><a href="#lien_nbp_5" name="nbp_5">5 </a>Madeleine Ouellette-Michalska,&nbsp;<em>Autofiction et d&eacute;voilement de soi</em>, Montr&eacute;al, XYZ, coll. &laquo;&nbsp;Documents&nbsp;&raquo;, 2007, p.&nbsp;82.</p> <p><a href="#lien_nbp_6" name="nbp_6">6 </a>Judith Butler,&nbsp;<em>op.cit</em>., p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#lien_nbp_7" name="nbp_7">7</a> Nina Bouraoui, 2000,&nbsp;<em>op.cit</em>., p.&nbsp;128.</p> <p><a href="#lien_nbp_8" name="nbp_8">8&nbsp;</a><em>Ibid.</em>, p. 179-180.</p> <p><a href="#lien_nbp_9" name="nbp_9">9&nbsp;</a><em>Ibid.</em>, p.&nbsp;63.</p> <p><a href="#lien_nbp_10" name="nbp_10">10&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 35.</p> <p><a href="#lien_nbp_11" name="nbp_11">11&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 20.</p> <p><a href="#lien_nbp_12" name="nbp_12">12&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 14.</p> <p><a href="#lien_nbp_13" name="nbp_13">13&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 22.</p> <p><a href="#lien_nbp_14" name="nbp_14">14&nbsp;</a><em>Ibidem</em>.</p> <p><a href="#lien_nbp_15" name="nbp_15">15&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 31.</p> <p><a href="#lien_nbp_16" name="nbp_16">16&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 167.</p> <p><a href="#lien_nbp_17" name="nbp_17">17&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 145.</p> <p><a href="#lien_nbp_18" name="nbp_18">18 </a>Nina Bouraoui, 2005,<em>&nbsp;op. cit.</em>, p.&nbsp;100.</p> <p><a href="#lien_nbp_19" name="nbp_19">19&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 53.</p> <p><a href="#lien_nbp_20" name="nbp_20">20&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p. 97.</p> <p><a href="#lien_nbp_21" name="nbp_21">21 </a>Nina Bouraoui, 2000,&nbsp;<em>op. cit</em>., p.&nbsp;28.</p> <p><a href="#lien_nbp_22" name="nbp_22">22 </a>Journ&eacute;es d&rsquo;&eacute;tude du 22, 23 et 24 mai 2012 &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier III.</p> <p><a href="#lien_nbp_23" name="nbp_23">23</a> Nina Bouraoui, 2005,&nbsp;<em>op. cit</em>., p. 64.</p> <p><a href="#lien_nbp_24" name="nbp_24">24&nbsp;</a><em>Ibid</em>., p.&nbsp;191.</p> <p><a href="#lien_nbp_25" name="nbp_25">25&nbsp;</a><em>Ibid.</em>, p.&nbsp;187.</p> <section>&nbsp;</section> </article>