<p style="text-align: right;"><q>&nbsp;<em>Au sommet de l&rsquo;horreur on trouve les classiques : </em>Nosferatu<em> (1922) de Murnau, </em>King Kong<em> (1933), </em>Dracula<em> (1931), </em>Frankenstein<em> (1931), et divers films d&rsquo;Alfred Hitchcock ou de Carl Theodor Dreyer [&hellip;]. Tout en bas on trouve &ndash; horreur des horreurs &ndash; le slasher (ou splatter ou shocker) : l&rsquo;histoire immens&eacute;ment g&eacute;n&eacute;rative d&rsquo;un psycho killer qui massacre une par une des victimes souvent f&eacute;minines, jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;il soit lui-m&ecirc;me mis hors d&rsquo;&eacute;tat de nuire, traditionnellement par la fille qui a surv&eacute;cu.</em></q>&raquo;</p> <p style="text-align: right;">Carol Clover, &laquo;&nbsp;Her Body, Himself: Gender in the Slasher Film&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>The Dread of Difference. Gender and the Horror Film</em>, p. 66-113.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Sous-genre du cin&eacute;ma d&rsquo;horreur s&rsquo;organisant th&eacute;matiquement et visuellement autour d&rsquo;un groupe de victimes d&eacute;cim&eacute;es par un myst&eacute;rieux tueur masqu&eacute;, le <em>slasher film</em><a href="#nbp1" id="footnoteref1_4nmhk8w" name="liennbp1" title="Nous ne chercherons pas ici à définir plus précisément le slasher, qui est une entité générique aux contours assez lâches, sur laquelle il n’existe aucun consensus réel, et qui recoupe ou exclut, selon les critiques, les (sous-)genres connexes du « teenie kill-pic », stalker movie, psycho-killer movie, ou splatter film. Pour une historique des étapes ayant mené le terme « slasher » à être accepté comme terme fédérateur, voir le premier chapitre de Richard Nowell, Blood Money. A History of the First Teen Slasher Film Cycle, London, Continuum, 2011. S’il est évident que des éléments génériques apparaissent avant le premier film formellement qualifié de slasher, nous suivrons la plupart des critiques et historiens du cinéma qui s’accordent pour voir dans Halloween (John Carpenter, 1978) le premier slasher « officiel ». Comme Vera Dika le montre dans son étude structuraliste consacrée au genre (Games of Terror. Halloween, Friday the 13th, and the Films of the Stalker Genre. Rutherford, NY, Fairleigh Dickinson, UP, 1990), il s’agit clairement du film qui servit de modèle à toute une série de films d’exploitation indépendants ou produits par des studios auxquels les critiques font en général référence lorsqu’ils écrivent sur le slasher. Pour une analyse sur les ancêtres du slasher comme Psycho (Alfred Hitchcock, 1960), Peeping Tom (Michael Powell, 1960), 13 Women (George Arcahinbaud, 1932), The Ninth Guest (Roy William Neil, 1932) ou encore The Walking Dead (Michael Curtiz, 1936), voir Adam Rockoff, Going to Pieces. The Rise and Fall of the Slasher Film, 1978-1986 (Jefferson, McFarland, 2002).">1</a> remporta un tr&egrave;s grand succ&egrave;s aupr&egrave;s du public adolescent de la fin des ann&eacute;es 1970 jusqu&rsquo;au milieu des ann&eacute;es 1980. Outre son succ&egrave;s commercial<a href="#nbp2" id="footnoteref2_4shkrp2" name="liennbp2" title="Sur le succès commercial du genre, voir Richard Nowell, op. cit.">2</a>, le <em>slasher </em>a surtout marqu&eacute; l&rsquo;histoire du cin&eacute;ma pour avoir &eacute;t&eacute; au centre d&rsquo;un d&eacute;bat sur la violence dans les m&eacute;dias. Le <em>slasher </em>s&rsquo;est en effet attir&eacute; en son temps les foudres de la critique et de la censure, et a choqu&eacute; l&rsquo;opinion par la repr&eacute;sentation explicite d&rsquo;actes violents et de sc&egrave;nes gores<a href="#nbp3" id="footnoteref3_y54yddz" name="liennbp3" title="Sur la question de la censure, nous renvoyons à notre article, « La violence du slasher film : une affaire de morale », Darkness n°15, revue sur la censure au cinéma, 2014, Besançon Sin’Art.">3</a>. Parce que les tueurs de ces films s&rsquo;en prennent souvent &agrave; des adolescents faisant la f&ecirc;te, le genre a &eacute;t&eacute; accus&eacute; de promouvoir une id&eacute;ologie r&eacute;actionnaire et &laquo;&nbsp;puritaine&nbsp;&raquo; t&eacute;moignant d&rsquo;une attitude hostile envers l&rsquo;&eacute;volution des m&oelig;urs des ann&eacute;es 1960. En sanctionnant des actes &laquo;&nbsp;immoraux&nbsp;&raquo; (sexe, consommation de drogues, <em>etc</em>.), les tueurs seraient l&rsquo;incarnation primaire d&rsquo;une morale punitive h&eacute;rit&eacute;e de l&rsquo;Ancien Testament. Le critique anglais Robin Wood, plut&ocirc;t connu pour ses prises de position favorables au film d&rsquo;horreur, condamne sans appel le <em>slasher</em>&nbsp;pour ces raisons&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;<em>Comme dans presque tout slasher, dans Friday the 13<sup>th</sup> le sexe et la violence sont inexorablement li&eacute;s. La th&eacute;orie pr&eacute;dominante postule que, afin de satisfaire la sexualit&eacute; naissante de l&rsquo;audience essentiellement masculine et adolescente, de nombreuses sc&egrave;nes de nudit&eacute; et d&rsquo;actes sexuels gratuits se trouvent int&eacute;gr&eacute;es au sc&eacute;nario. Pour satisfaire l&rsquo;id&eacute;ologie puritaine encore pr&eacute;sente dans notre soci&eacute;t&eacute;, ces m&ecirc;mes adolescentes qui s&rsquo;engagent dans des actes illicites sont punies de la mani&egrave;re la plus brutale possible<a href="#nbp4" id="footnoteref4_itturqb" name="liennbp4" title="Robin Wood, Hollywood, from Vietnam to Reagan, New York, Columbia University Press, 2003, p. 81. Nous traduisons.">4</a>. </em></q></p> <p>Les critiques ont &eacute;galement reproch&eacute; au genre une dimension misogyne qui exprimerait une attitude hostile &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des mouvements f&eacute;ministes des ann&eacute;es 1960. Au m&ecirc;me titre que le film de <em>vigilante</em><a href="#nbp5" id="footnoteref5_bqb7zh0" name="liennbp5" title="Le vigilante est la version américaine de la figure du justicier solitaire, tels que Billy Jack (la série Billy Jack), Paul Kersey (la série Death Wish), ou encore Bufford Pusser (la trilogie Walking Tall). Héros d’une Frontière souvent urbaine, le vigilante défend la veuve et l’orphelin contre des ennemis « sauvages » (souvent issus des minorités raciales). Au cinéma, il apparaît sous les traits musclés et charismatiques de Clint Eastwood, de Sylvester Stallone ou de Charles Bronson. Les bases mythologiques de cette conception de la justice remontent aux fondements de l’Amérique, à une époque où, en l’absence d’Etat, les colons sur la Frontière n’hésitaient pas à faire justice eux-mêmes. Le concept de vigilantism fut ensuite théorisé et légitimé par la notion de souveraineté populaire pendant la Révolution américaine Pour une exploration de la figure du vigilante, voir Arnold Madison, Vigilantism in America (New York, The Seabury Press, 1973), Richard Slotkin, Gunfighter Nation, The Myth of the Frontier in Twentieth-Century America (Oklahoma, University of Oklahoma Press, 1992).">5</a> ou le film catastrophe, le <em>slasher</em> constituerait l&rsquo;expression culturelle d&rsquo;un <em>backlash</em> (retour de b&acirc;ton) contre l&rsquo;esprit h&eacute;doniste et/ou progressiste des <em>S</em><em>ixties</em><a href="#nbp6" id="footnoteref6_y7itphe" name="liennbp6" title="Sur le sujet, voir notamment Michael Ryan et Douglas Kellner, Camera Politica. The Politics and Ideology of Contemporary Hollywood Film, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1988; et Stephen Prince, A New Pot of Gold, Hollywood Under the Electronic Rainbow, 1980-1989 (History of the American Cinema, vol. 10), Berkeley, University of California Press, 2000, p. 351.">6</a>, et serait, ce faisant, le v&eacute;hicule d&rsquo;une id&eacute;ologie r&eacute;actionnaire dans la droite ligne de la politique conservatrice de Ronald Reagan, &eacute;lu en 1981. Brandissant des armes phalliques, le tueur &oelig;uvrerait &agrave; restaurer l&rsquo;image du P&egrave;re, mise &agrave; mal par les crises socio-politiques des ann&eacute;es 1960-70 (guerre du Vietnam, scandale du <em>Watergate</em>, r&eacute;voltes &eacute;tudiantes, <em>etc</em>.).</p> <p>Longtemps d&eacute;daign&eacute; par la critique et l&rsquo;Universit&eacute;, le genre a &eacute;t&eacute; graduellement r&eacute;habilit&eacute;, notamment par la parution de textes de Linda Williams<a href="#nbp7" id="footnoteref7_51yrarz" name="liennbp7" title="Linda Williams, “When a Woman Looks.”, Re-Vision: Essays in Feminist Criticism,  Mary Ann Doane, Patricia Mellencamp, Linda Williams. Frederick (é.), MD, American Film Institute, 1984, pp. 83-99.">7</a> et de Vera Dika<a href="#nbp8" id="footnoteref8_koqu0k2" name="liennbp8" title="Vera Dika, op. cit.">8</a>. Mais c&rsquo;est surtout le travail de Carol Clover, professeur de litt&eacute;rature scandinave et d&rsquo;&eacute;tudes cin&eacute;matographiques &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Californie, qui a contribu&eacute; &agrave; l&eacute;gitimer le genre et son &eacute;tude aupr&egrave;s de la critique et du monde universitaire. Dans &laquo;&nbsp;<em>Her Body, Himself</em>&nbsp;&raquo;, chapitre d&rsquo;un livre devenu une r&eacute;f&eacute;rence<a href="#nbp9" id="footnoteref9_th6a68w" name="liennbp9" title="Carol Clover, “Her Body, Himself”, in Men, Women and Chainsaws. Gender in the Modern Horror Film, Princeton, Princeton University Press, 1988. Une version plus longue de cet article, que nous citons en exergue, a été publié dans le volume The Dread of Difference. Gender in the Horror Film, B.K. Grant (éd.), Texas Film Studies, 1996.">9</a>, Clover met en relief le personnage de la <em>Final Girl</em>. A l&rsquo;inverse de ses amies qui passent leur temps &agrave; s&rsquo;amuser, la <em>Final Girl</em> est caract&eacute;ris&eacute;e par son s&eacute;rieux (elle est souvent vierge), sa d&eacute;termination, sa d&eacute;brouillardise, son courage et son fort sens moral. Gr&acirc;ce &agrave; ces qualit&eacute;s, elle finit par triompher de ses ennemis monstrueux, Michael Myers, Jason ou Freddy, dans le <em>climax</em> du film<a href="#nbp10" id="footnoteref10_7d1lc58" name="liennbp10" title="Notons que la thèse féministe de Clover doit être nuancée : la Final Girl est souvent secourue par un homme, comme Donald Pleasence à la fin de Halloween. En outre, elle finit souvent le film dans un état de terreur absolue (Sally est rendue folle à la fin de The Texas Chain Saw Massacre ; dans Halloween, Laurie termine le film prostrée, terrifiée, et en larmes). On est donc objectivement assez loin de la figure héroïque construite par Clover.">10</a>. L&rsquo;une de ses caract&eacute;ristiques principales est son c&ocirc;t&eacute; masculin&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;De la m&ecirc;me&nbsp; mani&egrave;re que le tueur n&rsquo;est pas compl&egrave;tement masculin, elle n&rsquo;est pas totalement f&eacute;minine &ndash; pas, en tous cas, f&eacute;minine au sens o&ugrave; le sont ses amies. Son intelligence, son s&eacute;rieux, ses comp&eacute;tences dans le domaine m&eacute;canique et autre aspects pratiques, et sa pudeur sexuelle, l&rsquo;&eacute;loignent des autres filles et l&rsquo;allient, ironiquement, avec les gar&ccedil;ons dont elle a peur ou qu&rsquo;elle rejette, sans parler du tueur lui-m&ecirc;me<a href="#nbp11" id="footnoteref11_wcu73u5" name="liennbp11" title="Carol Clover, op. cit., p.40. Nous traduisons.">11</a>. </em></q></p> <p>Parmi les plus connues, on peut citer Laurie (<em>Halloween</em>), Alice (<em>Friday the 13th</em>) ou encore Alana (<em>Terror Train</em>)<a href="#nbp12" id="footnoteref12_l7w3ent" name="liennbp12" title="Parfois, la Final Girl est un Final Boy, comme Alfred dans The Burning. Vera Dika note cette exception pour aussitôt remarquer que les traits anti-héroïques, voire « féminins » du personnage le codent comme Final Girl : « Alfred, le héros de The Burning, est différent des hommes traditionnellement présents dans les stalker films. A l’inverse du héros américain typique, il est petit, maigre, physiquement faible, et a des traits ethniques assez prononcés. Alfred a le teint brun, un nez épais et une tête allongée. De par son « inadéquation » physique, Alfred est le substitut parfait de la Final Girl habituelle. Les deux sont des versions physiquement « diminuées » du héros américain typique » (Vera Dika, op. cit., p. 119). Nous traduisons.">12</a>.</p> <p>Le but, &eacute;minemment politique, de Clover, est d&rsquo;interroger l&rsquo;accusation de misogynie dont est fr&eacute;quemment victime le genre. Alors que plusieurs critiques voient dans le film d&rsquo;horreur un genre s&rsquo;adressant essentiellement au spectateur masculin et qui offrirait un espace l&eacute;gitimant l&rsquo;expression de pulsions sadiques (qui s&rsquo;incarnent dans la figure du tueur), Carol Clover note que dans le <em>slasher</em>, l&rsquo;audience, qu&rsquo;elle postule comme &eacute;tant essentiellement compos&eacute;e de jeunes hommes, est structurellement pouss&eacute;e &agrave; s&rsquo;identifier &agrave; la <em>Final Girl</em>. Mobilisant un appareil th&eacute;orique psychanalytique, en particulier le texte s&eacute;minal de Laura Mulvey sur le rapport entre dispositif cin&eacute;matographique et id&eacute;ologie patriarcale<a href="#nbp13" id="footnoteref13_2f6olf6" name="liennbp13" title="Laura Mulvey, “Visual Pleasure and Narrative Cinema”, Film Theory and Criticism, Leo Braudy, Marshall Cohen, p. 837-848.">13</a>, elle montre donc la complexit&eacute; genr&eacute;e de ces films, d&eacute;veloppant l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une position voyeuriste masochiste (f&eacute;minine et pr&eacute;-&oelig;dipienne) dans laquelle serait ici plac&eacute;e le spectateur masculin, &agrave; l&rsquo;inverse de la position sadique (post-&oelig;dipienne) postul&eacute;e par Mulvey.</p> <p>Nous voudrions ici revenir sur ce texte qui a grandement contribu&eacute; &agrave; l&eacute;gitimer les &eacute;tudes sur le <em>slasher</em><a href="#nbp14" id="footnoteref14_p9yjolu" name="liennbp14" title="Au moment où nous écrivons ces lignes, un colloque autour de la pérennité et de l’importance du texte de Clover est annoncé à Chicago, en mars 2017 (“Revisiting the Final Girl: The 30th Anniversary of « Her Body, Himself, » SCMS, Chicago, https://call-for-papers.sas.upenn.edu/cfp/2016/06/03/revisiting-the-final-girl-the-30th-anniversary-of-her-body-himself-scms-chicago-il)">14</a> afin de d&eacute;montrer que la g&eacute;n&eacute;alogie de la <em>Final Girl </em>propos&eacute;e par Carol Clover s&rsquo;av&egrave;re, &agrave; l&rsquo;&eacute;tudier de pr&egrave;s, probl&eacute;matique. Nous verrons qu&rsquo;il est possible de lui en substituer une autre, op&eacute;ration qui modifie en profondeur le rapport postul&eacute; par Clover entre diff&eacute;rents films (et qui est susceptible, &agrave; terme, de contribuer &agrave; transformer la perception du <em>slasher</em> et la fonction culturelle qui lui a &eacute;t&eacute; attribu&eacute;e jusqu&rsquo;ici). Pr&eacute;cisons ici que cette intervention se situe dans le cadre d&rsquo;une entreprise plus large se situant dans le champ de l&rsquo;histoire culturelle et dont l&rsquo;ambition est de d&eacute;gager un genre jamais th&eacute;oris&eacute; auparavant, dont l&rsquo;argument sc&eacute;naristique principal tourne autour de l&rsquo;humiliation et de la vengeance d&rsquo;un personnage de souffre-douleur (argument que l&rsquo;on trouve dans des films aussi divers que <em>Freaks</em>, <em>Dumbo</em>, <em>Carrie</em> ou <em>The Toxic Avenger</em>)<a href="#nbp15" id="footnoteref15_6ie3rfr" name="liennbp15" title="Nous avons ailleurs baptisé ce genre “Hop-Frog movie” car nous l’envisageons comme l’expression contemporaine d’un mythe culturel appréhendé de manière archétypale par Edgar Poe dans la nouvelle Hop-Frog (1846), dans laquelle un nain, bouffon à la court d’un roi sadique, se venge des mauvaises plaisanteries infligées par ce dernier en exécutant le monarque lors d’un bal masqué (Pour un développement sur le « Hop-Frog movie », voir notre article « La violence du slasher film », op. cit., et « Les résurgences d’Hop-Frog (Edgar Poe, 1849) dans le film d’horreur américain des années 1970-80, Torso n°13 (Aix-en-Provence) ; à paraître).">15</a>. La d&eacute;monstration que nous nous proposons de faire est moins un morceau autonome que la pi&egrave;ce d&rsquo;un puzzle plus large.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>1. G&eacute;n&eacute;alogie officielle de la <em>Final Girl</em></strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Carol Clover trace une g&eacute;n&eacute;alogie de la <em>Final Girl</em> qui partirait de Sally (Marilyn Burns) dans <em>The Texas Chain Saw Massacre</em> (Tobe Hooper, 1974) et arriverait &agrave; Nancy (Heather Langenkamp) dans <em>A Nightmare On Elm Street</em> (Wes Craven, 1984), en passant par Laurie dans <em>Halloween</em>.</p> <p>Dans le premier, film d&rsquo;horreur ind&eacute;pendant &agrave; petit budget qui fut un &eacute;norme succ&egrave;s dans les <em>drive-in</em> et est devenu un classique du genre<a href="#nbp16" id="footnoteref16_ppe861j" name="liennbp16" title="Le film a engendré trois suites, et a donné lieu à un remake produit par Michael Bay en 2003, lui-même suivi d’une préquelle en 2006, et d’un nouveau remake en 2013.">16</a>, Sally Hardesty, son fr&egrave;re invalide Franklin et trois autres jeunes gens sont pourchass&eacute;s par une famille de bouchers au ch&ocirc;mage dans une r&eacute;gion recul&eacute;e du Texas. Seule survivante, Sally se retrouve &laquo;&nbsp;invit&eacute;e&nbsp;&raquo; &agrave; un repas macabre dans lequel elle est humili&eacute;e et pers&eacute;cut&eacute;e par ses h&ocirc;tes. Lors de ce repas, les cannibales se moquent de Sally, reprenant ses cris sur un mode parodique et faisant des grimaces cens&eacute;es reproduire les expressions terrifi&eacute;es se peignant sur le visage de la jeune fille. Comme l&rsquo;&eacute;crit Jean-Baptiste Thoret,</p> <p><q><em>&nbsp;La sc&egrave;ne du repas rel&egrave;ve pour partie du grotesque, parce que s&rsquo;y joue une forme de d&eacute;mesure, de folie, de surench&egrave;re, mais elle vire aussit&ocirc;t &agrave; l&rsquo;horreur parce que l&rsquo;un des convives, Sally, n&rsquo;y participe pas. C&rsquo;est pourquoi, si, par de nombreux aspects, le&nbsp;film de Tobe Hooper &eacute;voque la langue rabelaisienne [&hellip;] il en &eacute;vacue la dimension comique, burlesque voire joyeuse<a href="#nbp17" id="footnoteref17_ig3bc7s" name="liennbp17" title="Jean-Baptiste Thoret, Une expérience du chaos : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, Dreamland, Paris, 2000, p. 121.">17</a>. </em></q></p> <p>Allant puiser dans ses ultimes ressources, Sally finit par s&rsquo;&eacute;chapper mais elle est visiblement traumatis&eacute;e (l&rsquo;avant-dernier plan du film la montre hurlante et prise d&rsquo;un rire fou, assise &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re d&rsquo;une voiture dans laquelle elle a r&eacute;ussi &agrave; grimper pour &eacute;chapper &agrave; <em>Leatherface</em>, le tueur &agrave; la tron&ccedil;onneuse).</p> <p>Dans <em>Halloween</em>, Laurie est traqu&eacute;e par le monstrueux Michael Myers, &eacute;chapp&eacute; d&rsquo;un asile psychiatrique apr&egrave;s avoir assassin&eacute; sa s&oelig;ur quinze ans auparavant. A l&rsquo;inverse de Sally, essentiellement passive, Laurie fait face &agrave; son agresseur et, aid&eacute;e par le docteur Moomis (Donald Pleasence), elle finit par le mettre hors d&rsquo;&eacute;tat de nuire. Selon Clover, <em>Halloween</em> s&rsquo;inscrit dans la continuit&eacute; de <em>The Texas Chain Saw Massacre</em>, le film allant simplement plus loin dans la masculinisation de la <em>Final Girl</em>. Laurie serait, dans cette perspective, une Sally &laquo;&nbsp;active&nbsp;&raquo;, arborant les caract&eacute;ristiques viriles de son mod&egrave;le mais &laquo;&nbsp;augment&eacute;es&nbsp;&raquo; d&rsquo;un cran.</p> <p>Dans <em>A Nightmare on Elm Street</em>, Nancy affronte quant &agrave; elle le monstrueux Freddy Krueger (Robert Englund), croquemitaine clownesque (il se distingue par son humour carnavalesque) qui peut se mat&eacute;rialiser dans les r&ecirc;ves de ses victimes. A la fin du film, Nancy trouve un moyen de se d&eacute;barrasser de Freddy en le renvoyant d&rsquo;o&ugrave; il vient (bien qu&rsquo;une fin ajout&eacute;e par les producteurs vienne remettre en question cette victoire).</p> <p>Selon la g&eacute;n&eacute;alogie cloverienne, Sally, Laurie et Nancy occuperaient la m&ecirc;me fonction (selon la terminologie de Vladimir Propp)<a href="#nbp18" id="footnoteref18_kli0zx1" name="liennbp18" title="« Les éléments constants, permanents du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la manière dont ces fonctions sont remplies […] Les situations, les personnages ou les modalités d’action varient : les fonctions restent, quant à elles, identiques […] un personnage peut remplir plusieurs fonctions, et une fonction peut être remplie par plusieurs personnages », in J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, Paris, Nathan, 1999, p. 91-92. Pour une discussion sur l’application du schéma de Vladimir Propp au cinéma, voir Will Wright, Sixguns and Society. A Structural Study of the Western, Berkeley, University of California press, 1975.">18</a>, ce que l&rsquo;on peut illustrer par le tableau suivant&nbsp;:</p> <table align="center" border="1" cellpadding="1" cellspacing="1"> <tbody> <tr> <td><strong>Film</strong></td> <td><strong>Final Girl</strong></td> <td><strong>Tueur masqu&eacute;</strong></td> </tr> <tr> <td>The Texas Chainsaw Massacre</td> <td>Sally</td> <td>Leatherface</td> </tr> <tr> <td>Halloween</td> <td>Laurie</td> <td>Michael Myers</td> </tr> <tr> <td>Friday the 13th</td> <td>Alice</td> <td>Jason</td> </tr> <tr> <td>The Burning</td> <td>Alfred</td> <td>Cropsy</td> </tr> <tr> <td>Terror Train</td> <td>Alana</td> <td>Kenny</td> </tr> <tr> <td>A Nightmare on Elm Street</td> <td>Nancy</td> <td>Freddy</td> </tr> </tbody> </table> <p>Or, le rapport entre Sally et Laurie (et par extension, Nancy) postul&eacute; par Clover nous para&icirc;t erron&eacute;. En effet, nous pensons que Laurie ne poursuit pas un geste entam&eacute; par Sally dans le film de Hooper. Bien au contraire, le monstre qu&rsquo;elle combat <em>est </em>Sally elle-m&ecirc;me (en termes de fonction&nbsp;propienne), transform&eacute;e en &laquo;&nbsp;monstre&nbsp;&raquo; apr&egrave;s s&rsquo;&ecirc;tre veng&eacute;e. Pour exposer notre th&egrave;se, il est n&eacute;cessaire de r&eacute;&eacute;valuer la place de <em>Carrie</em> (De Palma, 1976) &minus; film que les historiens du cin&eacute;ma n&rsquo;envisagent pas comme un <em>slasher</em> &minus; dans l&rsquo;histoire du genre.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>2. Carrie et le <em>slasher</em></strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Avant d&rsquo;&ecirc;tre adapt&eacute; au cin&eacute;ma par Brian De Palma, <em>Carrie</em> est &agrave; l&rsquo;origine un roman de Stephen King publi&eacute; en 1976. La protagoniste, Carrie White, est une jeune fille corpulente pers&eacute;cut&eacute;e par ses camarades, &laquo;&nbsp;<em>The girl no one likes and everyone makes fun of&nbsp;</em>&raquo;, comme le sp&eacute;cifiaient les publicit&eacute;s de l&rsquo;&eacute;poque. Elle est marginalis&eacute;e en raison de son physique disgracieux et&nbsp; de sa condition sociale&nbsp;: sa m&egrave;re est une fanatique religieuse abusive persuad&eacute;e que sa fille est une sorci&egrave;re. Carrie compense ses faiblesses par des pouvoirs t&eacute;l&eacute;kin&eacute;siques qui se d&eacute;clenchent lorsqu&rsquo;elle est en col&egrave;re. Le soir du bal de fin d&rsquo;ann&eacute;e, elle est victime d&rsquo;une mauvaise plaisanterie particuli&egrave;rement cruelle. &Eacute;lue reine du bal par le biais d&rsquo;une supercherie mont&eacute;e par quelques-uns de ses camarades, elle se trouve terriblement et publiquement humili&eacute;e lorsqu&rsquo;un baquet de sang de cochon lui est d&eacute;vers&eacute; sur la t&ecirc;te au moment de son intronisation. Du statut de victime, Carrie acc&egrave;de sans transition &agrave; celui de bourreau en d&eacute;cha&icirc;nant ses pouvoirs t&eacute;l&eacute;kin&eacute;siques sur ceux qui se sont moqu&eacute; d&rsquo;elle, ainsi que sur toutes les autres personnes pr&eacute;sentes, victimes collat&eacute;rales de sa rage. En quelques secondes, le lyc&eacute;e prend feu et ses pers&eacute;cuteurs p&eacute;rissent. Apr&egrave;s avoir d&eacute;truit son lyc&eacute;e, Carrie rentre chez elle, esp&eacute;rant trouver un peu de r&eacute;confort aupr&egrave;s de sa m&egrave;re, mais c&rsquo;est pour d&eacute;couvrir que celle-ci a pr&eacute;vu de la mettre &agrave; mort lors d&rsquo;un sacrifice expiatoire. Carrie tue alors sa m&egrave;re (dans le roman elle l&rsquo;&eacute;touffe, alors qu&rsquo;elle la poignarde &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;ustensiles de cuisine dans le film) et p&eacute;rit elle-m&ecirc;me, poignard&eacute;e par cette derni&egrave;re<a href="#nbp19" id="footnoteref19_6ep367e" name="liennbp19" title="Le film de De Palma, qui reprend fidèlement la trame du roman de King, connut un succès retentissant à sa sortie en 1976. Il donna lieu à une suite (The Rage : Carrie 2, Katt Shea, 1999), à un remake télévisuel réalisé par David Carson en 2002, et même à une comédie musicale à Broadway en 1988.">19</a>.</p> <p>L&rsquo;histoire du cin&eacute;ma a appr&eacute;hend&eacute; <em>Carrie</em> de mani&egrave;re isol&eacute;e, sans l&rsquo;envisager dans un quelconque rapport de continuit&eacute; avec le <em>slasher film</em>.&nbsp;Etrangement, alors qu&rsquo;elle ouvre son &eacute;tude sur <em>Carrie</em>, Clover n&rsquo;inclut pas le film de De Palma dans son texte sur la <em>Final Girl</em>, sans doute parce qu&rsquo;il est trop &eacute;loign&eacute; du mod&egrave;le th&eacute;orique qu&rsquo;elle construit. De m&ecirc;me, selon Vera Dika, l&rsquo;une des premi&egrave;res universitaires &agrave; avoir consacr&eacute; une &eacute;tude compl&egrave;te au <em>slasher</em> (qu&rsquo;elle appelle <em>stalker film</em>), il s&rsquo;agit d&rsquo;un film oppos&eacute; au <em>slasher</em>. Comparant <em>Carrie</em> et <em>Prom Night</em>, un film qui serait selon elle model&eacute; sur <em>Halloween</em> (et serait pour le coup un <em>slasher</em> arch&eacute;typal), l&rsquo;auteure &eacute;crit&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Bien que Prom Night partage sa situation, son th&egrave;me (le rite de passage) et plusieurs &eacute;l&eacute;ments sc&eacute;naristiques ainsi que des personnages avec Carrie, on peut le classer dans la cat&eacute;gorie du stalker film, ce qui n&rsquo;est pas possible dans le cas de Carrie. Ceci est d&ucirc; &agrave; la configuration du personnage, du d&eacute;cor, des conventions sc&eacute;naristiques dans ces deux films, ainsi qu&rsquo;&agrave; leur usage distinctif de strat&eacute;gies formelles. Dans Carrie, par exemple, l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne est s&eacute;par&eacute;e de la communaut&eacute; jeune (ses camarades de lyc&eacute;e) et de la communaut&eacute; adulte (sa m&egrave;re et ses professeurs) [&hellip;]. De plus, il n&rsquo;y a pas de tueur isol&eacute; dans Carrie, qui serait notamment conserv&eacute; hors-champ et r&eacute;v&eacute;l&eacute; principalement par ses plans subjectifs. [&hellip;] Au lieu de cela, Carrie elle-m&ecirc;me occupe la position du tueur hors-champ [&hellip;] et ex&eacute;cute subs&eacute;quemment tous les membres de la communaut&eacute; jeune et &acirc;g&eacute;e dans un acte de vengeance qui n&rsquo;est pas totalement injustifi&eacute;<a href="#nbp20" id="footnoteref20_3d39gr5" name="liennbp20" title="Vera Dika, op. cit., pp. 86-87. Nous traduisons.">20</a>. </em></q></p> <p>A l&rsquo;inverse de Vera Dika et de Carol Clover, nous pensons que <em>Carrie</em> est un jalon essentiel, une articulation centrale pour comprendre la fonction de la <em>Final Girl </em>dans les <em>slasher films</em><a href="#nbp21" id="footnoteref21_qtspkfz" name="liennbp21" title="Il est important de souligner que Carrie n’est pas le seul exemple de film des années 1970 mettant en scène une figure de victime « marginale », bouc émissaire de ses camarades ou de ses supérieurs, et qui se venge de ces derniers. Citons, avant Carrie, Willard (Daniel Mann, 1971), Stanley (William Grefe, 1972), Horror High (Larry Stouffer, 1974), Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974) et Massacre at Central High (René Daalder, 1976). Après Carrie, on peut citer Fade to Black (Vernon Zimmerman, 1980), Christmas Evil (Lewis Jackson, 1980), The Pit (Lew Lehman, 1981), l’adaptation de Stephen King Christine (John Carpenter, 1983), Silent Night, Deadly Night (Charles E. Sellier, 1984) ou, sur un versant plus burlesque, Revenge of the Nerds (Jeff Kaney, 1984), Funland (Michael Simpson,1987) The Toxic Avenger (Michael Herz, 1984), ou encore The Garbage Pail Kids Movie (Rod Aamteau, 1987).">21</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>3. De Sally &agrave; Carrie&nbsp;: de la passivit&eacute; &agrave; la vengeance</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>On a vu que Carol Clover voyait dans Sally, la jeune femme victimis&eacute;e de <em>The</em> <em>Texas Chain Saw Massacre</em>, la premi&egrave;re <em>Final Girl</em><a href="#nbp22" id="footnoteref22_6tw9q0r" name="liennbp22" title="Clover trouve des préfigurations de cette figure dans Psycho (le personnage de Lila Crane, qui enquête sur la disparition de sa sœur), mais argue que le modèle « achevé » de la Final Girl, qui sera ensuite décliné dans des films, est Sally (Clover, op. cit., p. 36).">22</a>. Elle retrouve ensuite ce personnage dans <em>Halloween</em>. Int&eacute;grer <em>Carrie</em> &agrave; cette histoire modifie radicalement le tableau.</p> <p><em>Carrie </em>reprend l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une victime pers&eacute;cut&eacute;e et objet de moqueries mis en sc&egrave;ne dans <em>The Texas Chain Saw Massacre</em> (la sc&egrave;ne du repas), mais propose, &agrave; l&rsquo;inverse du film de Hooper, de mettre en sc&egrave;ne la vengeance de celle-ci, vengeance montr&eacute;e comme criminelle mais n&eacute;anmoins l&eacute;gitime (Carrie vit un enfer et personne ne semble pouvoir l&rsquo;aider) et cathartique pour le personnage et le spectateur qui s&rsquo;identifie &agrave; elle<a href="#nbp23" id="footnoteref23_0e5ybph" name="liennbp23" title="Carrie peut d’ailleurs être appréhendé comme une réponse formelle à The Texas Chain Saw Massacre, De Palma reprenant certains cadrages du film de Hooper (notamment des plans serrés en plongée ou contre-plongée très accentuées et de très gros plans sur les yeux révulsés de la protagoniste) pour traduire l’impuissance de la victime.">23</a>. Si, d&rsquo;un point de vue di&eacute;g&eacute;tique, Carrie se venge de ses pers&eacute;cuteurs, on pourrait dire que, d&rsquo;un point de vue intertextuel, elle venge &eacute;galement l&rsquo;humiliation de Sally. En effet, l&agrave; o&ugrave; la multiplication des gros plans et des tr&egrave;s gros plans sur les yeux de Sally dans <em>The Texas Chain Saw Massacre</em> signale le moment o&ugrave; la jeune femme, rendue folle par les rires moqueurs de ses bourreaux, perd une part de son humanit&eacute;, les gros plans sur le visage et les yeux de Carrie apr&egrave;s son humiliation finale chez De Palma co&iuml;ncident avec le moment o&ugrave; la jeune fille s&rsquo;affirme et se retourne contre ses tourmenteurs. Mais, ce faisant, la jeune fille devient monstrueuse : bien que compr&eacute;hensible (le film fait tout pour nous mettre &agrave; sa place et sugg&egrave;re que personne d&rsquo;autre ne peut r&eacute;gler son probl&egrave;me), sa violence est d&eacute;mesur&eacute;e par rapport &agrave; celle dont elle est la victime (elle massacre des personnes qui se moquent d&rsquo;elle&hellip;)<a href="#nbp24" id="footnoteref24_gyukbxi" name="liennbp24" title="« Mais qu’est-ce qui, au fond, horrifie ici ? Si ce qui fait peur est la « libération des femmes », est-ce que Carrie est le monstre ? Et si c’est le cas, qui est la victime, et qui est le héros ? La réponse semble être que Carrie est les deux à la fois. A travers le film, elle est la victime de camarades de classe et d’une mère monstrueux, mais quand, à la fin, elle se venge, elle devient elle-même une sorte d’héroïne monstrueuse – héroïne dans le sens où elle se dresse contre les forces de la monstruosité, monstrueuse dans le sens où elle est elle-même devenue excessive, démoniaque. » (Carol Clover, op. cit., p. 4) Nous traduisons.">24</a>. Or, c&rsquo;est, selon nous, &agrave; cette figure de victime vengeresse devenue monstrueuse que va r&eacute;pondre la figure de la <em>Final Girl</em> qui, dans la g&eacute;n&eacute;alogie que nous proposons ici, n&rsquo;appara&icirc;t pas dans <em>The Texas Chain Saw Massacre</em> mais dans <em>Halloween</em> avec Laurie, comme nous aimerions l&rsquo;exposer dans les pages suivantes.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>4.<em> Halloween</em>&nbsp;et le <em>slasher</em></strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Rappelons tout d&rsquo;abord deux choses. La premi&egrave;re est qu&rsquo;une partie de la critique a voulu voir dans <em>Halloween</em> la matrice du <em>slasher</em>. Selon Andrew Tudor :</p> <p><q><em>&nbsp;c&rsquo;est le succ&egrave;s de Halloween qui ouvrit les vannes, assurant que les diverses copies du film de Carpenter dominent le film de psycho-killer des ann&eacute;es 80&rsquo;s &ndash; de Friday the 13th, Prom Night et Terror Train (tous de 1980) jusqu&rsquo;&agrave; House of Evil, The Slumber Party Massacre (les deux de 1983) et Friday the 13<sup>th</sup> the Final Chapter (1984). Halloween, qu&rsquo;on peut consid&eacute;rer comme un prototype ici, est construit de fa&ccedil;on beaucoup plus subtile que la plupart des autres slasher<a href="#nbp25" id="footnoteref25_ktaqon4" name="liennbp25" title="Andrew Tudor, Monsters and Mad Scientists: A Cultural History of the Horror Movie, Oxford, Blackwell, 1989, p. 199. Nous traduisons.">25</a>. </em></q></p> <p>De m&ecirc;me, pour Kim Newman, &laquo;&nbsp;<em>Halloween</em> a fourni &agrave; <em>Friday the 13th</em>, et aux vagues d&rsquo;imitations suivantes, des conventions toutes faites qui devinrent imm&eacute;diatement aussi pr&eacute;dictibles et ritualis&eacute;es que le sc&eacute;nario des magazines de romance f&eacute;minins &raquo;. D&rsquo;apr&egrave;s Adam Smith, enfin : &laquo;&nbsp;Apr&egrave;s le film de Carpenter, aucune &eacute;tudiante ne prenant une douche n&rsquo;&eacute;tait &agrave; l&rsquo;abri de la l&eacute;gion de psychopathes masqu&eacute;s qui hantaient les &eacute;coles, les dortoirs universitaires, les camps d&rsquo;&eacute;t&eacute; et les soir&eacute;es pyjamas [&hellip;] Sans Michael Myers, il n&rsquo;y aurait jamais eu de Jason Voorhees ou Freddy Krueger<a href="#nbp26" id="footnoteref26_5c08ks5" name="liennbp26" title="Adam Smith, « Halloween », Empire, « The Greatest Horror Movies Ever » (Hors série), Londres, Seventh Flour, 1990, p. 80. Nous traduisons.">26</a>&raquo;.</p> <p>La deuxi&egrave;me chose &agrave; rappeler est que, dans<em> Halloween</em>, la folie meurtri&egrave;re de Michael Myers semble totalement arbitraire, le film ne fournissant aucune cl&eacute; permettant de comprendre pourquoi Myers s&rsquo;attaque &agrave; telle ou telle personne. Selon Eric Dufour, &laquo;&nbsp;Michael Myers tue sans raison : c&rsquo;est par hasard que son chemin croise celui de Laurie et de ses amies<a href="#nbp27" id="footnoteref27_94t98oz" name="liennbp27" title="Eric Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 131.">27</a> &raquo;. Pour Kim Newman, &laquo;&nbsp;Michael Myers est simplement un psychopathe. Il n&rsquo;a aucune motivation &oelig;dipienne, il aime simplement faire peur aux gens<a href="#nbp28" id="footnoteref28_fgqtlje" name="liennbp28" title="Kim Newman, op. cit., p. 146. Nous traduisons.">28</a> &raquo;. D&rsquo;apr&egrave;s John McCarty, enfin :</p> <p><q>&nbsp;<em>les sc&eacute;naristes Carpenter et Debra Hill caract&eacute;risent simplement Michael comme &laquo;&nbsp;psychotique&nbsp;&raquo; et n&rsquo;en font rien d&rsquo;autre. Pourquoi tue-t-il&nbsp;? Il tue parce qu&rsquo;il tue, c&rsquo;est tout [&hellip;] Non, &ccedil;a ne rime &agrave; rien, mais &ccedil;a n&rsquo;est pas sens&eacute; faire sens, parce que Halloween n&rsquo;est pas un film s&eacute;rieux. C&rsquo;est un tour de montagnes russes, et son psychopathe n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;un bon vieux monstre de film d&rsquo;horreur classique sous de nouveaux habits<a href="#nbp29" id="footnoteref29_90lmzdd" name="liennbp29" title="John McCarty, Movie Psychos and Madmen, Film Psychopaths from Jekyll and Hyde to Hannibal Lecter, New York, Citadel Press Book, 1993, p. 165. Nous traduisons.">29</a>. </em></q></p> <p>Or, fait surprenant, l&rsquo;intrigue de la plupart des <em>slashers </em>diff&egrave;re fondamentalement de celle d&rsquo;<em>Halloween</em> (cens&eacute; &ecirc;tre le mod&egrave;le arch&eacute;typal du genre&hellip;) en ce qu&rsquo;elle ne gravite pas autour d&rsquo;un <em>psychokiller</em> fou ou d&rsquo;une incarnation du Mal qui tue (apparemment) sans motifs, mais, comme<em> Carrie</em>, d&rsquo;une victime souvent path&eacute;tique et physiquement &laquo;&nbsp;monstrueuse&nbsp;&raquo; qui se venge &ndash; directement ou indirectement &minus; de ceux qui lui ont fait du mal. Dans <em>To All a Goodnight</em> (David Hess, 1980), les tueurs sont les parents d&rsquo;une jeune fille morte &agrave; la suite d&rsquo;un bizutage qui a d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;. Dans <em>Prom Night</em> (Paul Lynch, 1980), un jeune homme venge la mort de sa jeune s&oelig;ur tu&eacute;e suite &agrave; des brimades inflig&eacute;es par d&rsquo;autres enfants (brimades menant &agrave; un accident au cours duquel elle chute d&rsquo;un immeuble). Dans <em>Terror Train</em> (1981), le tueur est un jeune homme victime de brimades &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; et qui se venge en ex&eacute;cutant ses bourreaux des ann&eacute;es plus tard lors d&rsquo;une f&ecirc;te costum&eacute;e. Dans <em>The Burning </em>(1981), un gardien de camp de vacances accidentellement br&ucirc;l&eacute; par un groupe de jeunes qui cherchent &agrave; s&rsquo;amuser se venge de ces derniers en revenant des ann&eacute;es apr&egrave;s sur les lieux du drame. Dans <em>House on Sorority Row </em>(1983), le tueur venge la mort de sa m&egrave;re, tu&eacute;e &agrave; la suite d&rsquo;une mauvaise plaisanterie organis&eacute;e par des &eacute;tudiantes irresponsables et cruelles. Dans <em>Sleepaway Camp </em>(1983), pour prendre un dernier exemple, une jeune fille (du moins c&rsquo;est ce que l&rsquo;on pense jusqu&rsquo;au dernier plan) se venge des brimades inflig&eacute;es par ses camarades.</p> <p>A l&rsquo;inverse de Michael Myers dans <em>Halloween</em>, la plupart de ses &laquo;&nbsp;clones&nbsp;&raquo; ont une raison (aussi ill&eacute;gitime qu&rsquo;elle puisse para&icirc;tre) de tuer&nbsp;: venger un affront personnel (mauvaise plaisanteries, brimades cruelles&hellip;) ou une offense commise &agrave; l&rsquo;&eacute;gard d&rsquo;un proche. Ces <em>slasher films</em> sont donc, di&eacute;g&eacute;tiquement parlant, beaucoup plus proches de <em>Carrie</em> que d&rsquo;<em>Halloween</em>. Comme<em> Carrie</em>, ils mettent en sc&egrave;ne la victimisation d&rsquo;un personnage de souffre-douleur, et s&rsquo;ouvrent souvent sur une <em>practical joke</em> (mauvaise plaisanterie) particuli&egrave;rement &eacute;labor&eacute;e, tr&egrave;s proche de celle qui conclut le film de De Palma. Dans les deux cas, on assiste &agrave; l&rsquo;humiliation puis &agrave; la vengeance de la victime. Dans les deux cas, il est plus ou moins explicite que les transgressions morales et sociales des adolescents d&eacute;coulent en grande partie de l&rsquo;absence ou de l&rsquo;irresponsabilit&eacute; des adultes&nbsp;et, de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale, des figures d&rsquo;autorit&eacute;. Dans <em>Carrie</em>, la m&egrave;re, le proviseur et le professeur d&rsquo;anglais de Carrie sont d&eacute;peints de mani&egrave;re excessivement n&eacute;gatives (fanatique religieuse, la premi&egrave;re maltraite r&eacute;guli&egrave;rement sa fille, le second n&rsquo;arrive pas &agrave; se rappeler son pr&eacute;nom et le troisi&egrave;me l&rsquo;humilie en cours) et la seule figure adulte sympathique, le professeur de gymnastique, Miss Collins, qui est une sorte de m&egrave;re symbolique pour Carrie, se caract&eacute;rise surtout par son inefficacit&eacute;, n&rsquo;arrivant pas &agrave; emp&ecirc;cher la moquerie dont la jeune fille est victime au d&eacute;but et &agrave; la fin du film. Dans <em>Friday the 13th</em> ou <em>Terror Train</em>, les adultes sont quasiment absents.</p> <p>En r&eacute;alit&eacute;, la principale diff&eacute;rence entre <em>Carrie </em>et <em>The Burning</em> ou <em>Terror Train</em> se joue au niveau de la focalisation&nbsp;: <em>Carrie</em> raconte cette histoire de l&rsquo;humiliation d&rsquo;une victime innocente et de sa vengeance du point de vue de la victime. Le film d&eacute;laisse par moments la jeune fille pour s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; d&rsquo;autres personnages, mais c&rsquo;est elle qui structure la narration et c&rsquo;est &agrave; elle que le spectateur s&rsquo;identifie prioritairement<a href="#nbp30" id="footnoteref30_mcawjua" name="liennbp30" title="Nous faisons référence ici à l’identification secondaire, avec le personnage, et non à l’identification primaire à la caméra. Sur cette distinction, voir Christian Metz, Le Signifiant imaginaire [1977], Paris, Christian Bourgois, 2002.">30</a>. Cette focalisation contribue &agrave; g&eacute;n&eacute;rer pour Carrie une forte dose de sympathie qui perdure apr&egrave;s que celle-ci est devenue criminelle. Le <em>slasher</em>, en revanche, raconte la m&ecirc;me histoire mais du point de vue des &laquo;&nbsp;bourreaux&nbsp;&raquo; et de la <em>Final Girl</em>. La figure humili&eacute;e transform&eacute;e en tueur/tueuse (jouant donc la fonction de Carrie) est quant &agrave; elle rapidement rejet&eacute;e dans le hors-champ apr&egrave;s la sc&egrave;ne de pers&eacute;cution ouvrant le film. Ce basculement du foyer d&rsquo;identification rend les motifs du tueur opaques et transforme ce dernier en une menace &eacute;vasive, quasi-inhumaine, ne surgissant du hors-champ que pour occire ses proies. Lors de son combat avec la <em>Final Girl</em>, le tueur r&eacute;appara&icirc;t plein cadre, mais assez bri&egrave;vement, le temps de se faire proprement refouler, jusqu&rsquo;&agrave; son retour dans une suite &eacute;ventuelle. En employant la terminologie de Rick Altman, on pourrait dire que le <em>slasher</em> constitue une r&eacute;organisation syntaxique d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments s&eacute;mantiques apparus dans <em>Carrie</em><a href="#nbp31" id="footnoteref31_dtujrsj" name="liennbp31" title="Rick Altman, Film/Genre, London, BFI Publishing, 1999.">31</a>. Cette r&eacute;organisation modifie radicalement la fa&ccedil;on dont la figure du tueur est per&ccedil;ue. A la diff&eacute;rence de Carrie, le tueur du <em>slasher</em> perd rapidement ses traits victimaires, et les traces de sa pers&eacute;cution sont de plus en plus oubli&eacute;es, refoul&eacute;es aux marges du r&eacute;cit. D&rsquo;autre part, la vengeance de la victime se d&eacute;roule fr&eacute;quemment des ann&eacute;es apr&egrave;s sa victimisation. C&rsquo;est par exemple le cas dans <em>The Burning</em>, <em>Friday the 13<sup>th</sup></em>, ou encore <em>Terror Train</em>. La vengeance du tueur parait donc plus arbitraire, comme d&eacute;tach&eacute;e de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui l&rsquo;a motiv&eacute;e. Ses crimes semblent disproportionn&eacute;s et abominables compar&eacute;s aux &laquo;&nbsp;fautes pass&eacute;es&nbsp;&raquo; des adolescents responsables de la &laquo;&nbsp;mauvaise plaisanterie&nbsp;&raquo;. Sa violence appara&icirc;t de moins en moins comme une forme de justice priv&eacute;e (au demeurant, bien &eacute;videmment, condamnable) et de plus en plus comme une expression criminelle pathologique<a href="#nbp32" id="footnoteref32_lk8bmog" name="liennbp32" title="L’exemple paradigmatique de notre propos est la série Friday the 13th et particulièrement les derniers épisodes, dans lesquels la violence de Jason semble totalement arbitraire, sans relation avec sa vengeance initiale. Enfant difforme victime de l’irresponsabilité d’adolescents immatures, Jason perd au fil du temps toute caractéristique victimaire pour devenir une monstrueuse machine à tuer, une créature surnaturelle (il meurt à la fin de chaque épisode pour être ressuscité au début du suivant) aux pouvoirs quasi-illimités. Le slasher constitue de ce point de vue une forme mythique au sens où l’entend René Girard, c’est-à-dire un récit masquant le lynchage d’un bouc émissaire en transformant une victime innocente en monstre (voir Girard, La Violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972). Le comble du processus de mythification transformant ce dernier en monstre est atteint avec la série des « Freddy », où la victime est coupable (Freddy est présenté comme un tueur d’enfants) avant même d’être lynchée. A l’inverse de Terror Train ou de The Burning, qui consacrent une séquence (le prologue) à la représentation de cette violence collective, A Nightmare on Elm Street ne met pas en scène le lynchage de Freddy. L’événement qui mène Krueger à se venger est seulement verbalisé par la mère de Nancy (Heather Langenkamp), la Final Girl, poussée par sa fille à révéler les origines du croquemitaine aux griffes d’acier. Véritable scène primitive du genre, la victimisation du bouc émissaire est ici entièrement escamotée du récit.">32</a>.</p> <p>Cette nouvelle g&eacute;n&eacute;alogie, inscrivant le tueur (et non la <em>Final Girl</em>, terme que nous limiterons &agrave; partir de maintenant au personnage qui <em>affronte</em> ce tueur dans les <em>slashers</em>) dans la lign&eacute;e de Sally et de Carrie vient profond&eacute;ment remettre en question une id&eacute;e qu&rsquo;on retrouve souvent sous la plume des auteurs &eacute;crivant sous le <em>slasher</em>&nbsp;: loin d&rsquo;incarner les codes culturels de la masculinit&eacute; phallique, le tueur est souvent d&eacute;crit comme un &ecirc;tre physiquement faible et vuln&eacute;rable, parfois handicap&eacute;, souvent eff&eacute;min&eacute; (c&rsquo;est le cas de Kenny dans <em>Terror Train</em> et de Marty dans <em>Slaughter High</em>&hellip;)<a href="#nbp33" id="footnoteref33_4ez2855" name="liennbp33" title="On peut d’ailleurs lire le port (fréquent) du déguisement et la nécessité pour le tueur d’avoir recours à des armes phalliques pour assurer sa vengeance comme une forme de palliatif ou de prothèse à une masculinité « défaillante », ce qui signale bien que 1) le tueur n’est pas, à la base, une incarnation hyper-masculine 2) que la masculinité n’est pas une donnée ontologique mais bien un « bricolage » de codes esthétiques, de symboles, d’emblèmes, qui peuvent se greffer sur un corps (A ce sujet, voir notre article « Massacres and Masquerades: the Killer’s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller”, Fashion and Horror (Gudrún D Whitehead, Julia Petrov, Bloomsbury (éd.), à paraître en 2017).">33</a>. Bien avant l&rsquo;apparition de la <em>Final Girl</em> dans le film, le spectateur masculin est donc pouss&eacute; &agrave; s&rsquo;identifier &agrave; une figure relevant sexuellement de l&rsquo;ordre masculin mais culturellement et structurellement cod&eacute; comme f&eacute;minin ou, en tous cas, comme une sorte de parodie grotesque de la masculinit&eacute; telle qu&rsquo;elle est construite dans la soci&eacute;t&eacute; patriarcale am&eacute;ricaine. Par une id&eacute;ologie qu&rsquo;on pourrait qualifier de darwinisme social, la culture am&eacute;ricaine valorise en effet le h&eacute;ros fort et puissant qui incarne les valeurs de la Fronti&egrave;re am&eacute;ricaine. Symboliquement, le corps difforme du <em>freak</em>, ou celui, f&eacute;minin, du <em>nerd</em>, incarne donc l&rsquo;envers grotesque du r&ecirc;ve am&eacute;ricain<a href="#nbp34" id="footnoteref34_9hz0ajp" name="liennbp34" title="Voir R.G. Thomson, op. cit.">34</a>.</p> <p>La formule narrative de la victime pers&eacute;cut&eacute;e qui se venge commence &agrave; d&eacute;vier, voire &agrave; s&rsquo;inverser, &agrave; partir de <em>A Nightmare on Elm Street</em>. Premier film d&rsquo;une s&eacute;rie extr&ecirc;mement populaire qui compte aujourd&rsquo;hui sept &eacute;pisodes (et un <em>crossover</em> tr&egrave;s m&eacute;diatis&eacute;, <em>Freddy vs. Jason</em>, en 2003)<a href="#nbp35" id="footnoteref35_40obrmr" name="liennbp35" title="La série des « Freddy » comprend A Nightmare on Elm Street, A Nightmare on Elm Street 2 : Freddy’s Revenge (Jack Sholder, 1985), A Nightmare on Elm Street 3 : Dream Warriors (Chuck Russel, 1987), A Nightmare on Elm Street 4 : The Dream Master (Renny Harlin, 1988), A Nightmare on Elm Street 5 : The Dream Child (Stephen Hopkins, 1989), Freddy’s Dead : The Final Nightmare (Rachel Talalay, 1991), Wes Craven’s New Nightmare (Wes Craven, 1994). En 2003, Ronny Yu réalise le « crossover » Freddy vs. Jason. New Line produit un remake du premier film en 2010 (Samuel Bayer).">35</a>, <em>A Nightmare on Elm Street</em> signale la premi&egrave;re apparition de Freddy Krueger, croquemitaine muni d&rsquo;un gant aux lames d&rsquo;acier, connu pour ses jeux de mots bouffons autant que pour son aspect terrifiant. Tueur d&rsquo;enfants lynch&eacute; par des parents furieux apr&egrave;s que la justice institutionnelle a &eacute;chou&eacute; &agrave; le mettre en prison, Freddy revient d&rsquo;entre les morts pour se venger en massacrant les enfants de ses bourreaux. S&rsquo;immis&ccedil;ant dans les r&ecirc;ves de ses victimes, il prend la forme de leurs pires cauchemars et les tue dans leur sommeil. Comme Carrie, Cropsy (<em>The Burning</em>) ou Marty (<em>Slaughter High</em>, 1986), Freddy est victime d&rsquo;une violence collective. Comme eux, il poss&egrave;de un physique difforme (son visage est int&eacute;gralement br&ucirc;l&eacute;). Cependant,&nbsp;&agrave; l&rsquo;inverse des <em>slashers</em>, o&ugrave; la victime &laquo;&nbsp;innocente &raquo; bascule dans la criminalit&eacute; suite &agrave; la pers&eacute;cution dont elle est l&rsquo;objet, la criminalit&eacute; de Freddy <em>pr&eacute;c&egrave;de</em> son lynchage. Dans la logique id&eacute;ologique et di&eacute;g&eacute;tique du film, Freddy n&rsquo;est pas un bouc &eacute;missaire mais un criminel qui &laquo;&nbsp;m&eacute;rite&nbsp;&raquo; son ch&acirc;timent. En outre, l&agrave; o&ugrave; les victimes vengeresses des films pr&eacute;c&eacute;dents sont &laquo;&nbsp;simplement&nbsp;&raquo; l&rsquo;objet de moqueries ou de comportements irresponsables, Freddy est victime d&rsquo;un acte criminel. Le film de Craven poss&egrave;de, de plus, une dimension ouvertement fantastique qui s&rsquo;accentuera dans les &eacute;pisodes suivants et deviendra l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques de ce que Ian Conrich appelle le <em>post-slasher</em>, dans lequel le tueur devient quasiment immortel et indestructible<a href="#nbp36" id="footnoteref36_rl7qu03" name="liennbp36" title="Ian Conrich, « La série des Vendredi 13 et la fonction culturelle d’un Grand-Guignol moderne », Cauchemars américains, Fantastique et horreur dans le cinéma moderne, éd. Cefal, Liège, p. 110. Après 1986, le mythos de la victime persécutée qui se venge est encore mobilisé dans quelques films comme Killer Party (William Fruet, 1986), la première histoire du film à sketch Screamtime (Michael Armstrong, 1986) ou encore Pledge Night (Paul Ziller, 1988), mais, à l’instar de la série des Freddy qui évolue vers le Grand-Guignol, ces films relèvent autant du genre comique que du film d’horreur. Depuis le milieu des années 1990 on assiste à une résurgence régulière de cette formule avec des films comme Valentine (Jamie Blanks, 2001), Tamara (Jeremy Haft, 2005), Drive Thru (Brendan Cowles, 2007), Truth or Die (Robert Heath, 2007), Stitches (Conor McMahon, 2012), ainsi que l’épisode de la série Masters of Horror, We All Scream for Ice Cream (Tom Holland, 2007). Cette résurgence est probablement à interpréter à la lumière du massacre de Columbine, dans lequel deux adolescents objets de harcèlement ont mis en application le script culturel préfiguré par ces films (et, à l’origine, par Edgar Poe dans sa nouvelle Hop-Frog).">36</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>5. <em>Halloween</em>&nbsp;: de la victime au croquemitaine</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Comme nous l&rsquo;avons vu, Carol Clover situe Laurie <em>Halloween </em>dans la lign&eacute;e de Sally, la <em>Final Girl</em> de <em>The Texas Chain Saw Massacre</em>. Int&eacute;grer <em>Carrie</em> &agrave; la discussion modifie en profondeur cette g&eacute;n&eacute;alogie. En effet, &agrave; l&rsquo;inverse de Clover, nous pensons que Laurie ne joue pas la fonction originellement jou&eacute;e par Sally, mais constitue un <em>nouveau personnage</em> ayant pr&eacute;cis&eacute;ment pour fonction de lutter <em>contre Sally</em>.</p> <p>A priori, <em>Halloween</em> a l&rsquo;air de s&rsquo;&eacute;loigner radicalement de <em>Carrie</em> et de <em>Texas Chain Saw Massacre</em>&nbsp;: aucune sc&egrave;ne ne montre Michael Myers &ecirc;tre pers&eacute;cut&eacute; ou victimis&eacute; par son entourage. L&rsquo;origine de sa violence n&rsquo;est pas expliqu&eacute;e, si ce n&rsquo;est par la diabolisation op&eacute;r&eacute;e par le docteur Loomis qui le d&eacute;crit comme le Mal absolu, une incarnation du croquemitaine des contes de f&eacute;es. Bien qu&rsquo;un tel jugement paraisse peu scientifique, il est difficile de le lui reprocher. Le croquemitaine constitue en effet le coupable id&eacute;al&nbsp;; qui d&rsquo;autre pourrait &ecirc;tre responsable d&rsquo;une telle h&eacute;catombe la nuit d&rsquo;Halloween<a href="#nbp37" id="footnoteref37_2wjs7ia" name="liennbp37" title="Pour des développements sur la circulation de la figure du croquemitaine dans Halloween, voir notre article « Etait-ce bien le croquemitaine ? Pour une démystification d’Halloween », CinémAction. Les Cinémas de l’horreur, Anne-Marie Paquet-Deyris (éd.), Condé-sur-Noireau, Corlet, 2010.">37</a> ? Pourtant, il nous semble qu&rsquo;une autre explication, moins fantaisiste et parano&iuml;aque, est possible, et que le film de Carpenter peut, en d&eacute;pit de la volont&eacute; farouche des personnages (Loomis notamment) et de certains critiques d&rsquo;annexer le film sur le genre fantastique, &ecirc;tre rapproch&eacute; de <em>Carrie</em> et de sa figure vuln&eacute;rable. S&rsquo;il n&rsquo;est pas directement pers&eacute;cut&eacute;, comme Sally, Carrie, Kenny Hampson dans <em>Terror Train</em> ou Angela dans <em>Sleepaway Camp</em>, Michael Myers, un petit enfant, un &ecirc;tre faible, sans d&eacute;fense, au d&eacute;but du film, est d&eacute;laiss&eacute; par ceux qui &eacute;taient cens&eacute;s le surveiller, comme les moniteurs de Jason dans <em>Friday the 13th</em>. Michael est m&ecirc;me doublement abandonn&eacute;&nbsp;: par ses parents d&rsquo;abord, qui sont sortis et n&rsquo;apparaissent qu&rsquo;&agrave; la fin de la premi&egrave;re s&eacute;quence et, surtout, par sa s&oelig;ur, Judith, &agrave; laquelle a &eacute;t&eacute; d&eacute;l&eacute;gu&eacute; le soin de le surveiller et de s&rsquo;occuper de lui, mais qui pr&eacute;f&egrave;re passer du temps avec son petit ami. Traditionnellement, c&rsquo;est &agrave; l&rsquo;a&icirc;n&eacute;e que revient le r&ocirc;le de veiller sur le membre le plus jeune de la famille, or la grande s&oelig;ur ici n&rsquo;a pas respect&eacute; ce devoir.</p> <p>Mis en danger par son entourage irresponsable, Michael va alors se venger et punir ceux qui mettent en p&eacute;ril les plus jeunes et les plus faibles, notamment Tommy Lloyd, l&rsquo;enfant dont Laurie est cens&eacute;e s&rsquo;occuper en tant que <em>babysitter</em>, dans la suite du film<a href="#nbp38" id="footnoteref38_95lunja" name="liennbp38" title="Myers vient notamment à la rescousse de Tommy lorsque ce dernier se fait persécuter par des camarades à la sortie de l’école. Montant dans une voiture de police, il veille ensuite à ce que l’enfant rentre chez lui sans problèmes. A ce titre, il est possible de percevoir Myers comme une figure conjurée par l’inconscient de l’enfant pour punir les bullies, à l’instar de Cropsy dans The Burning. Cette lecture est d’autant plus légitime que Carpenter intègre un intertexte avec Forbidden Planet (Fred Mc Wilcox, 1957). Dans ce classique de la science fiction, regardé par Tommy à la télévision, l’entité monstrueuse est une figure protectrice conjurée par l’esprit d’un père désirant protéger sa fille.">38</a>. Michael ne tue donc pas, comme le soutiennent Eric Dufour, Kim Newman, ou John McCarthy, de fa&ccedil;on arbitraire. Il s&rsquo;en prend en r&eacute;alit&eacute; &agrave; ceux dont les transgressions ou l&rsquo;irresponsabilit&eacute; mettent en p&eacute;ril le tissu social, notamment les plus faibles<a href="#nbp39" id="footnoteref39_uwsc22b" name="liennbp39" title="Cette fonction de protecteur permet de comprendre pourquoi Laurie, figure maternante et protectrice, est la dernière à subir la violence du tueur. A un certain niveau, Laurie apparaît pour Michael comme la « bonne » sœur qui remplace la « mauvaise » sœur qu’il a tuée. Le tueur et la Final Girl, qui sont liés par leur ambiguïté genrée, partagent ainsi également la fonction sociale de protection des plus vulnérables.">39</a>.</p> <p>Selon cette g&eacute;n&eacute;alogie, dans <em>Halloween</em>, c&rsquo;est Michael Myers, et non Laurie, qui occupe la fonction jou&eacute;e par Carrie (et, &agrave; l&rsquo;origine, par Sally) dans le film de De Palma. Laurie n&rsquo;est donc pas l&rsquo;&eacute;volution d&rsquo;un ancien personnage lui pr&eacute;-existant mais bien un <em>nouveau personnage</em> qui appara&icirc;t pour lutter <em>contre</em> ce dernier. Dans une d&eacute;marche pragmatique, c&rsquo;est &agrave; ce personnage que nous proposons d&rsquo;appliquer (et de limiter) la terminologie de <em>Final Girl</em>.</p> <p>L&rsquo;introduction de la <em>Final Girl</em>, fonction et figure qui sera ensuite reprise dans la plupart des <em>slashers</em>, permet au spectateur de rompre l&rsquo;identification moralement probl&eacute;matique avec la figure du tueur, la <em>Final Girl</em> repr&eacute;sentant les valeurs morales dont sont d&eacute;pourvus les autres adolescents et incarnant les valeurs d&rsquo;autonomie, de courage et de ressources caract&eacute;ristiques du mythe de la Fronti&egrave;re, mythe am&eacute;ricain fondateur dans lequel l&rsquo;individu devient un h&eacute;ros en s&rsquo;ensauvageant pour faire face &agrave; un ennemi sauvage<a href="#nbp40" id="footnoteref40_tqdmucy" name="liennbp40" title="Le mythe de la Frontière repose sur l’idée que les valeurs idéologiques et le caractère exceptionnel du développement socio-économique américain proviennent du contact régénérateur avec une nature sauvage et d’une guerre purificatrice contre un ennemi racial (Amérindiens, Noirs, Mexicains…). Voir Richard Slotkin, Regeneration through Violence. The Mythology of the American Frontier, 1600-1860. Norman, University of Oklahoma, 1973.">40</a>. C&rsquo;est par exemple le cas d&rsquo;Alice dans <em>Friday the 13<sup>th</sup></em>. Isol&eacute;e dans un environnement hostile, elle finit par d&eacute;capiter Pamela Voorhees &agrave; la fin du film, violence sauvage mais rendue acceptable par l&rsquo;argument de la l&eacute;gitime d&eacute;fense, &agrave; l&rsquo;inverse de la violence du tueur, violence qu&rsquo;on pourrait &agrave; de nombreux &eacute;gards qualifier d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;thique&nbsp;&raquo; (Pamela cherche &agrave; &eacute;viter que le drame ayant caus&eacute; la mort de son fils se reproduise) mais qui reste <em>in fine</em> ill&eacute;gitime car excessive.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Dans cet article, nous avons essay&eacute; de montrer que, &agrave; l&rsquo;inverse de ce que postule Carol Clover et les historiens du <em>slasher</em> qui se sont inscrits dans sa lign&eacute;e, Laurie (<em>Halloween</em>) ou Alice (<em>Friday the 13th</em>) n&rsquo;occupent pas, structurellement parlant, la place occup&eacute;e pr&eacute;c&eacute;demment par Sally ou Carrie, c&rsquo;est-&agrave;-dire la place de la victime. Elles occupent une<em> nouvelle position</em> et se battent <em>contre &laquo;&nbsp;Carrie&nbsp;&raquo;</em> (envisag&eacute; ici comme fonction propienne), qui est elle-m&ecirc;me une version &laquo;&nbsp;excessive&nbsp;&raquo; et r&eacute;active de Sally. On pourrait exposer l&rsquo;apparition de cette nouvelle figure dans le tableau suivant&nbsp;:</p> <table align="center" border="1" cellpadding="1" cellspacing="1"> <tbody> <tr> <td><strong>Film</strong></td> <td><strong>Victime &laquo;&nbsp;passive&nbsp;&raquo;</strong></td> <td><strong>Victime vengeresse</strong></td> <td><strong>Final Girl</strong></td> </tr> <tr> <td>The Texas Chain Saw Massacre</td> <td>Sally</td> <td>&nbsp;</td> <td>&nbsp;</td> </tr> <tr> <td>Carrie</td> <td>&nbsp;</td> <td>Carrie</td> <td>&nbsp;</td> </tr> <tr> <td>Halloween</td> <td>&nbsp;</td> <td>Michael Myers</td> <td>Laurie</td> </tr> <tr> <td>Friday the 13th</td> <td>&nbsp;</td> <td>Jason</td> <td>Alice</td> </tr> <tr> <td>The Burning</td> <td>&nbsp;</td> <td>Cropsy</td> <td>Alfred</td> </tr> <tr> <td>Terror Train</td> <td>&nbsp;</td> <td>Kenny</td> <td>Alana</td> </tr> <tr> <td>A Nightmare on Elm Street</td> <td>&nbsp;</td> <td>Freddy</td> <td>Nancy</td> </tr> </tbody> </table> <p>Ce panorama ne r&eacute;pond cependant pas aux autres questions pos&eacute;es par le texte de Carol Clover&nbsp;: pourquoi est-ce une fille qui, dans ces films, est charg&eacute;e de restaurer l&rsquo;ordre, et non un personnage masculin comme c&rsquo;est traditionnellement le cas dans le cin&eacute;ma am&eacute;ricain&nbsp;? Comment comprendre la fonction culturelle du <em>slasher</em>&nbsp;? Pourquoi celui-ci &eacute;merge-t-il &agrave; la fin des ann&eacute;es 1970&nbsp;? Autant de questions en suspens auxquelles il s&rsquo;agira de r&eacute;pondre dans l&rsquo;avenir<a href="#nbp41" id="footnoteref41_okmlrqg" name="liennbp41" title="Le lecteur curieux trouvera des amorces de réponse dans nos articles « La violence du slasher film », op. cit., « Massacres and Masquerades: the Killer’s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller », op. cit., et « Vulnérabilité et intronisation carnavalesque dans le film d’horreur américain des années 1970-80 », Revue Leaves (Université de Bordeaux), n°3 consacré à la figuration de la vulnérabilité (http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves) (A paraître).">41</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>(<em>Rirra21, Universit&eacute; Paul&nbsp;Val&eacute;ry</em>)</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <h2>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</h2> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Nous ne chercherons pas ici &agrave; d&eacute;finir plus pr&eacute;cis&eacute;ment le <em>slasher</em>, qui est une entit&eacute; g&eacute;n&eacute;rique aux contours assez l&acirc;ches, sur laquelle il n&rsquo;existe aucun consensus r&eacute;el, et qui recoupe ou exclut, selon les critiques, les (sous-)genres connexes du &laquo;&nbsp;<em>teenie kill-pic</em>&nbsp;&raquo;, <em>stalker movie</em>, <em>psycho-killer movie</em>, ou <em>splatter film</em>. Pour une historique des &eacute;tapes ayant men&eacute; le terme &laquo;&nbsp;<em>slasher</em>&nbsp;&raquo; &agrave; &ecirc;tre accept&eacute; comme terme f&eacute;d&eacute;rateur, voir le premier chapitre de Richard Nowell, <em>Blood Money.&nbsp;A History of the First Teen Slasher Film Cycle</em>, London, Continuum, 2011. S&rsquo;il est &eacute;vident que des &eacute;l&eacute;ments g&eacute;n&eacute;riques apparaissent avant le premier film formellement qualifi&eacute; de slasher, nous suivrons la plupart des critiques et historiens du cin&eacute;ma qui s&rsquo;accordent pour voir dans <em>Halloween</em> (John Carpenter, 1978) le premier <em>slasher</em> &laquo;&nbsp;officiel&nbsp;&raquo;. Comme Vera Dika le montre dans son &eacute;tude structuraliste consacr&eacute;e au genre (<em>Games of Terror.&nbsp;Halloween, Friday the 13th, and the Films of the Stalker Genre</em>. Rutherford, NY, Fairleigh Dickinson, UP, 1990), il s&rsquo;agit clairement du film qui servit de mod&egrave;le &agrave; toute une s&eacute;rie de films d&rsquo;exploitation ind&eacute;pendants ou produits par des studios auxquels les critiques font en g&eacute;n&eacute;ral r&eacute;f&eacute;rence lorsqu&rsquo;ils &eacute;crivent sur le <em>slasher</em>. Pour une analyse sur les anc&ecirc;tres du <em>slasher</em> comme <em>Psycho</em> (Alfred Hitchcock, 1960), <em>Peeping Tom</em> (Michael Powell, 1960), <em>13 Women</em> (George Arcahinbaud, 1932), <em>The Ninth Guest</em> (Roy William Neil, 1932) ou encore <em>The Walking Dead</em> (Michael Curtiz, 1936), voir Adam Rockoff, <em>Going to Pieces.&nbsp;The Rise and Fall of the Slasher Film, 1978-1986</em> (Jefferson,&nbsp;McFarland, 2002).</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Sur le succ&egrave;s commercial du genre, voir Richard Nowell, <em>op. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Sur la question de la censure, nous renvoyons &agrave; notre article<strong>, </strong>&laquo;&nbsp;La violence du <em>slasher film</em>&nbsp;: une affaire de morale&nbsp;&raquo;, <em>Darkness</em> n&deg;15, revue sur la censure au cin&eacute;ma, 2014, Besan&ccedil;on Sin&rsquo;Art.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Robin Wood, <em>Hollywood, from Vietnam to Reagan</em>, New York, Columbia University Press, 2003, p. 81. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Le <em>vigilante</em> est la version am&eacute;ricaine de la figure du justicier solitaire, tels que Billy Jack (la s&eacute;rie <em>Billy Jack</em>), Paul Kersey (la s&eacute;rie <em>Death Wish</em>), ou encore Bufford Pusser (la trilogie <em>Walking Tall</em>). H&eacute;ros d&rsquo;une Fronti&egrave;re souvent urbaine, le <em>vigilante</em> d&eacute;fend la veuve et l&rsquo;orphelin contre des ennemis &laquo;&nbsp;sauvages&nbsp;&raquo; (souvent issus des minorit&eacute;s raciales). Au cin&eacute;ma, il appara&icirc;t sous les traits muscl&eacute;s et charismatiques de Clint Eastwood, de Sylvester Stallone ou de Charles Bronson. Les bases mythologiques de cette conception de la justice remontent aux fondements de l&rsquo;Am&eacute;rique, &agrave; une &eacute;poque o&ugrave;, en l&rsquo;absence d&rsquo;Etat, les colons sur la Fronti&egrave;re n&rsquo;h&eacute;sitaient pas &agrave; faire justice eux-m&ecirc;mes. Le concept de <em>vigilantism</em> fut ensuite th&eacute;oris&eacute; et l&eacute;gitim&eacute; par la notion de souverainet&eacute; populaire pendant la R&eacute;volution am&eacute;ricaine Pour une exploration de la figure du <em>vigilante</em>, voir Arnold Madison, <em>Vigilantism in America</em> (New York, The Seabury Press, 1973), Richard Slotkin, <em>Gunfighter Nation</em>, <em>The Myth of the Frontier in Twentieth-Century America</em> (Oklahoma, University of Oklahoma Press, 1992).</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Sur le sujet, voir notamment Michael Ryan et Douglas Kellner, <em>Camera Politica</em>. <em>The Politics and Ideology of Contemporary Hollywood Film</em>, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1988; et Stephen Prince, <em>A New Pot of Gold, Hollywood</em> <em>Under the Electronic Rainbow, 1980-1989</em> (<em>History of the American Cinema, </em>vol. 10), Berkeley, University of California Press, 2000, p. 351.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> Linda Williams, &ldquo;<em>When a Woman Looks</em>.&rdquo;, <em>Re-Vision: Essays in Feminist Criticism</em>,&nbsp; Mary Ann Doane, Patricia Mellencamp, Linda Williams. Frederick (&eacute;.), MD, American Film Institute, 1984, pp. 83-99.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> Vera Dika, <em>op. cit</em>.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Carol Clover, &ldquo;Her Body, Himself&rdquo;, in <em>Men, Women and Chainsaws. Gender in the Modern Horror Film</em>, Princeton, Princeton University Press, 1988. Une version plus longue de cet article, que nous citons en exergue, a &eacute;t&eacute; publi&eacute; dans le volume <em>The Dread of Difference.&nbsp;Gender in the Horror Film</em>, B.K. Grant (&eacute;d.), Texas Film Studies, 1996.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Notons que la th&egrave;se f&eacute;ministe de Clover doit &ecirc;tre nuanc&eacute;e&nbsp;: la <em>Final Girl</em> est souvent secourue par un homme, comme Donald Pleasence &agrave; la fin de <em>Halloween</em>. En outre, elle finit souvent le film dans un &eacute;tat de terreur absolue (Sally est rendue folle &agrave; la fin de <em>The Texas Chain Saw Massacre</em>&nbsp;; dans <em>Halloween</em>, Laurie termine le film prostr&eacute;e, terrifi&eacute;e, et en larmes). On est donc objectivement assez loin de la figure h&eacute;ro&iuml;que construite par Clover.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Carol Clover, <em>op. cit</em>., p.40. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Parfois, la <em>Final Girl</em> est un <em>Final Boy</em>, comme Alfred dans <em>The Burning</em>. Vera Dika note cette exception pour aussit&ocirc;t remarquer que les traits anti-h&eacute;ro&iuml;ques, voire &laquo;&nbsp;f&eacute;minins&nbsp;&raquo; du personnage le codent comme <em>Final Girl</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Alfred, le h&eacute;ros de <em>The Burning</em>, est diff&eacute;rent des hommes traditionnellement pr&eacute;sents dans les <em>stalker films</em>. A l&rsquo;inverse du h&eacute;ros am&eacute;ricain typique, il est petit, maigre, physiquement faible, et a des traits ethniques assez prononc&eacute;s. Alfred a le teint brun, un nez &eacute;pais et une t&ecirc;te allong&eacute;e. De par son &laquo;&nbsp;inad&eacute;quation&nbsp;&raquo; physique, Alfred est le substitut parfait de la <em>Final Girl</em> habituelle. Les deux sont des versions physiquement &laquo;&nbsp;diminu&eacute;es&nbsp;&raquo; du h&eacute;ros am&eacute;ricain typique &raquo; (Vera Dika, <em>op. cit</em>., p. 119). Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Laura Mulvey, &ldquo;<em>Visual Pleasure and Narrative Cinema</em>&rdquo;, <em>Film Theory and Criticism</em>, Leo Braudy, Marshall Cohen, p. 837-848.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a> Au moment o&ugrave; nous &eacute;crivons ces lignes, un colloque autour de la p&eacute;rennit&eacute; et de l&rsquo;importance du texte de Clover est annonc&eacute; &agrave; Chicago, en mars 2017 (&ldquo;<em>Revisiting the Final Girl: The 30th Anniversary of &laquo;&nbsp;Her Body, Himself</em>,&nbsp;&raquo; SCMS, Chicago, <a href="https://call-for-papers.sas.upenn.edu/cfp/2016/06/03/revisiting-the-final-girl-the-30th-anniversary-of-her-body-himself-scms-chicago-il" target="_blank">https://call-for-papers.sas.upenn.edu/cfp/2016/06/03/revisiting-the-final-girl-the-30th-anniversary-of-her-body-himself-scms-chicago-il</a>)</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Nous avons ailleurs baptis&eacute; ce genre &ldquo;<em>Hop-Frog movie</em>&rdquo; car nous l&rsquo;envisageons comme l&rsquo;expression contemporaine d&rsquo;un mythe culturel appr&eacute;hend&eacute; de mani&egrave;re arch&eacute;typale par Edgar Poe dans la nouvelle <em>Hop-Frog</em> (1846), dans laquelle un nain, bouffon &agrave; la court d&rsquo;un roi sadique, se venge des mauvaises plaisanteries inflig&eacute;es par ce dernier en ex&eacute;cutant le monarque lors d&rsquo;un bal masqu&eacute; (Pour un d&eacute;veloppement sur le &laquo;&nbsp;<em>Hop-Frog movie</em>&nbsp;&raquo;, voir notre article &laquo;&nbsp;La violence du <em>slasher film</em>&nbsp;&raquo;, <em>op. cit.</em>, et &laquo;&nbsp;Les r&eacute;surgences d&rsquo;<em>Hop-Frog</em> (Edgar Poe, 1849) dans le film d&rsquo;horreur am&eacute;ricain des ann&eacute;es 1970-80, <em>Torso</em> n&deg;13 (Aix-en-Provence)&nbsp;; &agrave; para&icirc;tre).</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Le film a engendr&eacute; trois suites, et a donn&eacute; lieu &agrave; un <em>remake</em> produit par Michael Bay en 2003, lui-m&ecirc;me suivi d&rsquo;une pr&eacute;quelle en 2006, et d&rsquo;un nouveau <em>remake</em> en 2013.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Jean-Baptiste Thoret, <em>Une exp&eacute;rience du chaos :</em> <em>Massacre &agrave; la tron&ccedil;onneuse de Tobe Hooper</em>, Dreamland, Paris, 2000, p. 121.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> &laquo;&nbsp;Les &eacute;l&eacute;ments constants, permanents du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la mani&egrave;re dont ces fonctions sont remplies&nbsp;[&hellip;] Les situations, les personnages ou les modalit&eacute;s d&rsquo;action varient&nbsp;: les fonctions restent, quant &agrave; elles, identiques&nbsp;[&hellip;] un personnage peut remplir plusieurs fonctions, et une fonction peut &ecirc;tre remplie par plusieurs personnages&nbsp;&raquo;, in J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, <em>Esth&eacute;tique du film, </em>Paris, Nathan, 1999, p. 91-92. Pour une discussion sur l&rsquo;application du sch&eacute;ma de Vladimir Propp au cin&eacute;ma, voir Will Wright, <em>Sixguns and Society.&nbsp;A Structural Study of the Western</em>, Berkeley, University of California press, 1975.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Le film de De Palma, qui reprend fid&egrave;lement la trame du roman de King, connut un succ&egrave;s retentissant &agrave; sa sortie en 1976. Il donna lieu &agrave; une suite (<em>The Rage&nbsp;: Carrie 2</em>, Katt Shea, 1999), &agrave; un <em>remake</em> t&eacute;l&eacute;visuel r&eacute;alis&eacute; par David Carson en 2002, et m&ecirc;me &agrave; une com&eacute;die musicale &agrave; Broadway en 1988.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Vera Dika, <em>op. cit</em>., pp. 86-87. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Il est important de souligner que <em>Carrie</em> n&rsquo;est pas le seul exemple de film des ann&eacute;es 1970 mettant en sc&egrave;ne une figure de victime &laquo;&nbsp;marginale&nbsp;&raquo;, bouc &eacute;missaire de ses camarades ou de ses sup&eacute;rieurs, et qui se venge de ces derniers. Citons, avant <em>Carrie</em>, <em>Willard</em> (Daniel Mann, 1971), <em>Stanley </em>(William Grefe, 1972), <em>Horror High </em>(Larry Stouffer, 1974),<em> Phantom of the Paradise</em> (Brian De Palma, 1974) et <em>Massacre at Central High</em> (Ren&eacute; Daalder, 1976). Apr&egrave;s <em>Carrie</em>, on peut citer <em>Fade to Black </em>(Vernon Zimmerman, 1980), <em>Christmas Evil </em>(Lewis Jackson, 1980), <em>The Pit</em> (Lew Lehman, 1981), l&rsquo;adaptation de Stephen King <em>Christine</em> (John Carpenter, 1983), <em>Silent Night, Deadly Night </em>(Charles E. Sellier, 1984) ou, sur un versant plus burlesque, <em>Revenge of the Nerds</em> (Jeff Kaney, 1984), <em>Funland</em> (Michael Simpson,1987) <em>The Toxic Avenger </em>(Michael Herz, 1984), ou encore <em>The Garbage Pail Kids Movie </em>(Rod Aamteau, 1987).</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Clover trouve des pr&eacute;figurations de cette figure dans <em>Psycho</em> (le personnage de Lila Crane, qui enqu&ecirc;te sur la disparition de sa s&oelig;ur), mais argue que le mod&egrave;le &laquo;&nbsp;achev&eacute;&nbsp;&raquo;&nbsp;de la <em>Final Girl</em>, qui sera ensuite d&eacute;clin&eacute; dans des films, est Sally (Clover, <em>op. cit.</em>, p. 36).</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a><em> Carrie</em> peut d&rsquo;ailleurs &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute; comme une r&eacute;ponse formelle &agrave; <em>The Texas Chain Saw Massacre</em>, De Palma reprenant certains cadrages du film de Hooper (notamment des plans serr&eacute;s en plong&eacute;e ou contre-plong&eacute;e tr&egrave;s accentu&eacute;es et de tr&egrave;s gros plans sur les yeux r&eacute;vuls&eacute;s de la protagoniste) pour traduire l&rsquo;impuissance de la victime.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> &laquo;&nbsp;Mais qu&rsquo;est-ce qui, au fond, horrifie ici ? Si ce qui fait peur est la &laquo;&nbsp;lib&eacute;ration des femmes&nbsp;&raquo;, est-ce que Carrie est le monstre&nbsp;? Et si c&rsquo;est le cas, qui est la victime, et qui est le h&eacute;ros&nbsp;? La r&eacute;ponse semble &ecirc;tre que Carrie est les deux &agrave; la fois. A travers le film, elle est la victime de camarades de classe et d&rsquo;une m&egrave;re monstrueux, mais quand, &agrave; la fin, elle se venge, elle devient elle-m&ecirc;me une sorte d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne monstrueuse &ndash; h&eacute;ro&iuml;ne dans le sens o&ugrave; elle se dresse contre les forces de la monstruosit&eacute;, monstrueuse dans le sens o&ugrave; elle est elle-m&ecirc;me devenue excessive, d&eacute;moniaque. &raquo; (Carol Clover, <em>op. cit., </em>p. 4) Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Andrew Tudor, <em>Monsters and Mad Scientists: A Cultural History of the Horror Movie</em>, Oxford, Blackwell, 1989, p. 199. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Adam Smith, &laquo; <em>Halloween</em> &raquo;,&nbsp;<em>Empire</em>, &laquo; The Greatest Horror Movies Ever &raquo; (Hors s&eacute;rie), Londres, Seventh Flour, 1990, p. 80. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> Eric Dufour, <em>Le Cin&eacute;ma d&rsquo;horreur et ses figures</em>, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 131.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a> Kim Newman, <em>op. cit.</em>, p. 146. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> John McCarty, <em>Movie Psychos and Madmen, Film Psychopaths from Jekyll and Hyde to Hannibal Lecter</em>, New York, Citadel Press Book, 1993, p. 165. Nous traduisons.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Nous faisons r&eacute;f&eacute;rence ici &agrave; l&rsquo;identification secondaire, avec le personnage, et non &agrave; l&rsquo;identification primaire &agrave; la cam&eacute;ra. Sur cette distinction, voir Christian Metz, <em>Le Signifiant imaginaire </em>[1977], Paris, Christian Bourgois, 2002.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Rick Altman, <em>Film/Genre</em>, London, BFI Publishing, 1999.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> L&rsquo;exemple paradigmatique de notre propos est la s&eacute;rie <em>Friday the 13<sup>th</sup></em> et particuli&egrave;rement les derniers &eacute;pisodes, dans lesquels la violence de Jason semble totalement arbitraire, sans relation avec sa vengeance initiale. Enfant difforme victime de l&rsquo;irresponsabilit&eacute; d&rsquo;adolescents immatures, Jason perd au fil du temps toute caract&eacute;ristique victimaire pour devenir une monstrueuse machine &agrave; tuer, une cr&eacute;ature surnaturelle (il meurt &agrave; la fin de chaque &eacute;pisode pour &ecirc;tre ressuscit&eacute; au d&eacute;but du suivant) aux pouvoirs quasi-illimit&eacute;s. Le <em>slasher</em> constitue de ce point de vue une forme mythique au sens o&ugrave; l&rsquo;entend Ren&eacute; Girard, c&rsquo;est-&agrave;-dire un r&eacute;cit masquant le lynchage d&rsquo;un bouc &eacute;missaire en transformant une victime innocente en monstre (voir Girard, <em>La</em> <em>Violence et le sacr&eacute;</em>, Paris, Hachette, 1972). Le comble du processus de mythification transformant ce dernier en monstre est atteint avec la s&eacute;rie des &laquo; Freddy &raquo;, o&ugrave; la victime est coupable (Freddy est pr&eacute;sent&eacute; comme un tueur d&rsquo;enfants) avant m&ecirc;me d&rsquo;&ecirc;tre lynch&eacute;e. A l&rsquo;inverse de <em>Terror Train</em> ou de <em>The Burning</em>, qui consacrent une s&eacute;quence (le prologue) &agrave; la repr&eacute;sentation de cette violence collective, <em>A Nightmare on Elm Street</em> ne met pas en sc&egrave;ne le lynchage de Freddy. L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui m&egrave;ne Krueger &agrave; se venger est seulement verbalis&eacute; par la m&egrave;re de Nancy (Heather Langenkamp), la <em>Final Girl</em>, pouss&eacute;e par sa fille &agrave; r&eacute;v&eacute;ler les origines du croquemitaine aux griffes d&rsquo;acier. V&eacute;ritable sc&egrave;ne primitive du genre, la victimisation du bouc &eacute;missaire est ici enti&egrave;rement escamot&eacute;e du r&eacute;cit.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> On peut d&rsquo;ailleurs lire le port (fr&eacute;quent) du d&eacute;guisement et la n&eacute;cessit&eacute; pour le tueur d&rsquo;avoir recours &agrave; des armes phalliques pour assurer sa vengeance comme une forme de palliatif ou de proth&egrave;se &agrave; une masculinit&eacute; &laquo;&nbsp;d&eacute;faillante&nbsp;&raquo;, ce qui signale bien que 1) le tueur n&rsquo;est pas, &agrave; la base, une incarnation hyper-masculine 2) que la masculinit&eacute; n&rsquo;est pas une donn&eacute;e ontologique mais bien un &laquo;&nbsp;bricolage&nbsp;&raquo; de codes esth&eacute;tiques, de symboles, d&rsquo;embl&egrave;mes, qui peuvent se greffer sur un corps (A ce sujet, voir notre article &laquo;<em>&nbsp;Massacres and Masquerades: the Killer&rsquo;s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller</em>&rdquo;, <em>Fashion and Horror</em> (Gudr&uacute;n D Whitehead, Julia Petrov, Bloomsbury (&eacute;d.), &agrave; para&icirc;tre&nbsp;en 2017).</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Voir R.G. Thomson, <em>op. cit.</em></p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> La s&eacute;rie des &laquo; Freddy &raquo; comprend <em>A Nightmare on Elm Street, A Nightmare on Elm Street 2 : Freddy&rsquo;s Revenge</em> (Jack Sholder, 1985), <em>A Nightmare on Elm Street 3</em> : <em>Dream Warriors</em> (Chuck Russel, 1987), <em>A Nightmare on Elm Street 4 : The Dream Master</em> (Renny Harlin, 1988), <em>A Nightmare on Elm Street 5 : The Dream Child</em> (Stephen Hopkins, 1989), <em>Freddy&rsquo;s Dead : The Final Nightmare</em> (Rachel Talalay, 1991), <em>Wes Craven&rsquo;s New Nightmare</em> (Wes Craven, 1994). En 2003, Ronny Yu r&eacute;alise le &laquo; <em>crossover</em> &raquo; <em>Freddy vs. Jason</em>. New Line produit un remake du premier film en 2010 (Samuel Bayer).</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Ian Conrich, &laquo; La s&eacute;rie des <em>Vendredi 13</em> et la fonction culturelle d&rsquo;un Grand-Guignol moderne &raquo;, <em>Cauchemars am&eacute;ricains, Fantastique et horreur dans le cin&eacute;ma moderne</em>, &eacute;d. Cefal, Li&egrave;ge, p. 110. Apr&egrave;s 1986, le <em>mythos</em> de la victime pers&eacute;cut&eacute;e qui se venge est encore mobilis&eacute; dans quelques films comme <em>Killer Party</em> (William Fruet, 1986), la premi&egrave;re histoire du film &agrave; sketch <em>Screamtime</em> (Michael Armstrong, 1986) ou encore <em>Pledge Night</em> (Paul Ziller, 1988), mais, &agrave; l&rsquo;instar de la s&eacute;rie des Freddy qui &eacute;volue vers le Grand-Guignol, ces films rel&egrave;vent autant du genre comique que du film d&rsquo;horreur. Depuis le milieu des ann&eacute;es 1990 on assiste &agrave; une r&eacute;surgence r&eacute;guli&egrave;re de cette formule avec des films comme <em>Valentine</em> (Jamie Blanks, 2001), <em>Tamara</em> (Jeremy Haft, 2005), <em>Drive Thru</em> (Brendan Cowles, 2007), <em>Truth or Die</em> (Robert Heath, 2007), <em>Stitches</em> (Conor McMahon, 2012), ainsi que l&rsquo;&eacute;pisode de la s&eacute;rie <em>Masters of Horror</em>,<em> We All Scream</em><em> for Ice Cream</em> (Tom Holland, 2007). Cette r&eacute;surgence est probablement &agrave; interpr&eacute;ter &agrave; la lumi&egrave;re du massacre de Columbine, dans lequel deux adolescents objets de harc&egrave;lement ont mis en application le script culturel pr&eacute;figur&eacute; par ces films (et, &agrave; l&rsquo;origine, par Edgar Poe dans sa nouvelle <em>Hop-Frog</em>).</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Pour des d&eacute;veloppements sur la circulation de la figure du croquemitaine dans <em>Halloween</em>, voir notre article &laquo;&nbsp;Etait-ce bien le croquemitaine&nbsp;? Pour une d&eacute;mystification d&rsquo;<em>Halloween</em>&nbsp;&raquo;, <em>Cin&eacute;mAction</em>.&nbsp;<em>Les Cin&eacute;mas de l&rsquo;horreur</em>, Anne-Marie Paquet-Deyris (&eacute;d.), Cond&eacute;-sur-Noireau, Corlet, 2010.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> Myers vient notamment &agrave; la rescousse de Tommy lorsque ce dernier se fait pers&eacute;cuter par des camarades &agrave; la sortie de l&rsquo;&eacute;cole. Montant dans une voiture de police, il veille ensuite &agrave; ce que l&rsquo;enfant rentre chez lui sans probl&egrave;mes. A ce titre, il est possible de percevoir Myers comme une figure conjur&eacute;e par l&rsquo;inconscient de l&rsquo;enfant pour punir les <em>bullies</em>, &agrave; l&rsquo;instar de Cropsy dans <em>The Burning</em>. Cette lecture est d&rsquo;autant plus l&eacute;gitime que Carpenter int&egrave;gre un intertexte avec <em>Forbidden Planet</em> (Fred Mc Wilcox, 1957). Dans ce classique de la science fiction, regard&eacute; par Tommy &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision, l&rsquo;entit&eacute; monstrueuse est une figure protectrice conjur&eacute;e par l&rsquo;esprit d&rsquo;un p&egrave;re d&eacute;sirant prot&eacute;ger sa fille.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Cette fonction de protecteur permet de comprendre pourquoi Laurie, figure maternante et protectrice, est la derni&egrave;re &agrave; subir la violence du tueur. A un certain niveau, Laurie appara&icirc;t pour Michael comme la &laquo;&nbsp;bonne&nbsp;&raquo; s&oelig;ur qui remplace la &laquo;&nbsp;mauvaise&nbsp;&raquo; s&oelig;ur qu&rsquo;il a tu&eacute;e. Le tueur et la <em>Final Girl</em>, qui sont li&eacute;s par leur ambigu&iuml;t&eacute; genr&eacute;e, partagent ainsi &eacute;galement la fonction sociale de protection des plus vuln&eacute;rables.</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Le mythe de la Fronti&egrave;re repose sur l&rsquo;id&eacute;e que les valeurs id&eacute;ologiques et le caract&egrave;re exceptionnel du d&eacute;veloppement socio-&eacute;conomique am&eacute;ricain proviennent du contact r&eacute;g&eacute;n&eacute;rateur avec une nature sauvage&nbsp;et d&rsquo;une guerre purificatrice contre un ennemi racial (Am&eacute;rindiens, Noirs, Mexicains&hellip;). Voir Richard Slotkin, <em>Regeneration through Violence.&nbsp;The Mythology of the American Frontier, 1600-1860.</em> Norman, University of Oklahoma, 1973.</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a> Le lecteur curieux trouvera des amorces de r&eacute;ponse dans nos articles &laquo;&nbsp;La violence du slasher film&nbsp;&raquo;, <em>op. cit.</em>, &laquo;&nbsp;<em>Massacres and Masquerades: the Killer&rsquo;s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller</em>&nbsp;&raquo;, <em>op. cit.</em>, et &laquo;&nbsp;Vuln&eacute;rabilit&eacute; et intronisation carnavalesque dans le film d&rsquo;horreur am&eacute;ricain des ann&eacute;es 1970-80&nbsp;&raquo;, Revue <em>Leaves</em> (Universit&eacute; de Bordeaux), n&deg;3 consacr&eacute; &agrave; la figuration de la vuln&eacute;rabilit&eacute; (<a href="http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves">http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves</a>) (A para&icirc;tre).</p>