<p>Quoiqu&rsquo;il constitue une cat&eacute;gorie h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne o&ugrave; se c&ocirc;toient des sous-genres diff&eacute;rents (roman &agrave; &eacute;nigme, <em>thriller</em>, espionnage, roman noir, policier historique, etc.) et des perspectives oppos&eacute;es (p&ocirc;le commercial sans pr&eacute;tention litt&eacute;raire <em>vs.</em> p&ocirc;le plus intellectuel, &agrave; l&rsquo;image du champ litt&eacute;raire tel que le d&eacute;crit Pierre Bourdieu<a href="#nbp1" id="footnoteref1_d2zm54k" name="liennbp1" title="Pierre Bourdieu, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales n° 89, 1991, p. 3‑46.">1</a>), le polar constitue un genre bien identifi&eacute; avec des collections sp&eacute;cifiques et des codes narratologiques et visuels propres. Il s&rsquo;agit donc moins d&rsquo;interroger la classification de livres comme polars que le classement dont le genre fait l&rsquo;objet, au sens &agrave; la fois mat&eacute;riel et symbolique du terme, et qui renvoie au degr&eacute; de l&eacute;gitimit&eacute; qui lui est associ&eacute;. Le roman policier a en effet progressivement chang&eacute; de statut au cours des derni&egrave;res d&eacute;cennies. &Agrave; ce processus de l&eacute;gitimation ont particip&eacute; diff&eacute;rentes instances, parmi lesquelles les biblioth&egrave;ques. La place accord&eacute;e aujourd&rsquo;hui au roman policier dans les biblioth&egrave;ques constitue &agrave; la fois un des indices et un des instruments de cette l&eacute;gitimation.</p> <p>Le pr&eacute;sent article se propose d&rsquo;analyser le traitement du roman policier dans les biblioth&egrave;ques de lecture publique fran&ccedil;aises, vues &agrave; travers le cas des biblioth&egrave;ques municipales, qui forment, avec les biblioth&egrave;ques d&eacute;partementales de pr&ecirc;t, l&rsquo;essentiel des &eacute;tablissements dits de lecture publique, lesquels visent, <em>via</em> une offre documentaire, un ensemble de services et des propositions d&rsquo;action culturelle, &agrave; donner au plus grand nombre acc&egrave;s &agrave; la lecture mais aussi &agrave; d&rsquo;autres formes de culture et constituent un des principaux outils de la politique culturelle des collectivit&eacute;s territoriales. Quoique non exempt de jugements de valeur n&eacute;gatifs de la part d&rsquo;une partie des biblioth&eacute;caires et des usagers, le polar occupe aujourd&rsquo;hui dans ces &eacute;tablissements une place importante, qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;analyser&nbsp;ici en interrogeant les modalit&eacute;s de traitement du genre par les biblioth&eacute;caires et les causes de l&rsquo;investissement des biblioth&egrave;ques de lecture publique dans ce genre. On examinera la place ambigu&euml; faite au genre, entre distance et &eacute;vidence, avant d&rsquo;analyser le processus de l&eacute;gitimation dont il fait l&rsquo;objet et qui passe par un travail d&rsquo;esth&eacute;tisation, d&rsquo;auctorialisation et de patrimonialisation, mais aussi d&rsquo;appropriation, en lien avec les missions que se donnent les biblioth&egrave;ques. On tentera ainsi de saisir la convergence d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts qui pr&eacute;side &agrave; ce processus de l&eacute;gitimation et qui semble une des raisons de son efficacit&eacute;.</p> <p>L&rsquo;analyse s&rsquo;appuie sur une enqu&ecirc;te men&eacute;e de 2004 &agrave; 2011 dans les biblioth&egrave;ques de la Ville de Paris (r&eacute;seau d&rsquo;une soixantaine de biblioth&egrave;ques qui tient sa sp&eacute;cificit&eacute; de sa taille, de l&rsquo;existence de services communs et de l&rsquo;autonomie des &eacute;tablissements qui le composent). L&rsquo;enqu&ecirc;te a combin&eacute; entretiens approfondis (avec des biblioth&eacute;caires, sp&eacute;cialis&eacute;s ou non), observations non participantes (r&eacute;unions de biblioth&eacute;caires pour pr&eacute;sentation de la production &eacute;ditoriale et constitution d&rsquo;une liste de propositions d&rsquo;acquisition), analyse de catalogues, analyse de discours (critiques publi&eacute;es dans le guide <em>Les Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e</em>) et analyse d&rsquo;archives (en particulier du prix litt&eacute;raire adolescents &laquo;&nbsp;Les Mordus du polar&nbsp;&raquo;).</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>1. Des romans &agrave; succ&egrave;s consentis</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Le polar occupe en biblioth&egrave;que une place significative du statut social d&rsquo;un genre, qui, comme l&rsquo;ont montr&eacute; Annie Collovald et Erik Neveu<a href="#nbp2" id="footnoteref2_psyelco" name="liennbp2" title="Annie Collovald, Érik Neveu, Lire le noir : enquête sur les lecteurs de récits policiers, Paris, Bibliothèque publique d’information, Centre Pompidou, 2004.">2</a>, est parvenu &agrave; se faire reconna&icirc;tre, mais dont la l&eacute;gitimation, quoique largement entam&eacute;e, n&rsquo;est pas compl&egrave;tement aboutie. Consid&eacute;r&eacute; jusque dans les ann&eacute;es 1970 comme un genre ill&eacute;gitime qui n&rsquo;avait pas &agrave; faire partie d&rsquo;un fonds de lecture publique essentiellement destin&eacute; &agrave; transmettre la culture l&eacute;gitime<a href="#nbp3" id="footnoteref3_mo07464" name="liennbp3" title="Michèle Witta, bibliothécaire à la Bilipo, évoquait ainsi la période des années 1970 où « le genre policier était ignoré ou déconsidéré parmi les fonctionnaires en place. Il était courant à cette époque d’accepter des dons d’ouvrages policiers et de les mettre à la disposition du public dans des cartons ouverts au pied des banques de prêt. Le lecteur inscrit pouvait emprunter deux ou trois ouvrages inscrits sur sa carte et piocher dans le carton quelques livres au format de poche puisque c’est ainsi que se présentaient les principales collections de l’époque. Ces emprunts sauvages n’étaient pas contrôlés et certains titres importants sinon mythiques n’étaient jamais intégrés aux collections des bibliothèques. » dans « La BILIPO, bibliothèque des littératures policières », interview de Michèle Witta bibliothécaire à la Bilipo menée par Alain le Flohic, Savoirs CDI, novembre 2004, https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/metier/les-autres-professionnels-de-la-documentation-et-de-linformation/la-bilipo-bibliotheque-des-litteratures-policieres.html, site consulté le 30 juin 2016.">3</a>, le polar s&rsquo;est peu &agrave; peu impos&eacute; dans les biblioth&egrave;ques municipales et d&eacute;partementales, comme un moyen de diversifier les collections pour &eacute;largir les publics<a href="#nbp4" id="footnoteref4_mdww9jq" name="liennbp4" title="Il correspond donc à un renouvellement de la manière de concevoir la démocratisation culturelle, non plus comme simple mise à disposition des œuvres les plus légitimes mais comme ensemble de médiations appuyées sur des corpus élargis. Voir Vincent Dubois, La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 2000.">4</a>, tandis que sa reconnaissance comme genre litt&eacute;raire &agrave; part enti&egrave;re progressait dans le champ litt&eacute;raire, par l&rsquo;entremise de sp&eacute;cialistes, de revues, de maisons d&rsquo;&eacute;dition et d&rsquo;instances de cons&eacute;cration qui ont particip&eacute; &agrave; en faire un objet digne d&rsquo;&eacute;tude et d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t.</p> <p>Le polar garde n&eacute;anmoins dans les biblioth&egrave;ques un statut ambigu qui est la trace de cette histoire et la marque de l&rsquo;inach&egrave;vement du processus de l&eacute;gitimation dont il a fait l&rsquo;objet. Son classement &agrave; part dans la plupart des &eacute;tablissements constitue le premier indice de cette ambigu&iuml;t&eacute;&nbsp;: il prolonge une segmentation &eacute;ditoriale qui conduit &agrave; publier le policier dans des collections tr&egrave;s clairement identifi&eacute;es par leur maquette, leurs couleurs et les autres codes g&eacute;n&eacute;riques qu&rsquo;elles respectent, mais ce faisant, il conduit &agrave; distinguer le policier de la litt&eacute;rature dite g&eacute;n&eacute;rale. Catalogu&eacute; sous une cote qui le distingue des autres romans et rang&eacute; sur des rayonnages d&eacute;di&eacute;s pourvus d&rsquo;une signal&eacute;tique participant &agrave; sa cat&eacute;gorisation g&eacute;n&eacute;rique, le roman policier est bien identifiable et reconnu comme un genre propre, &agrave; la diff&eacute;rence par exemple des romans sentimentaux ou des romans de terroir qui ne sont qu&rsquo;exceptionnellement r&eacute;unis sur des &eacute;tag&egrave;res sp&eacute;cifiques. Ce classement &agrave; part est le plus souvent d&eacute;fendu par les biblioth&eacute;caires pour la visibilit&eacute; qu&rsquo;il donne, visibilit&eacute; qui est la condition pour permettre la d&eacute;couverte de ce qui est moins connu &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me de ces genres, c&rsquo;est-&agrave;-dire de produire une hi&eacute;rarchie de valeurs en leur sein. Responsable de la biblioth&egrave;que d&eacute;partementale du Val d&rsquo;Oise, Dominique Lahary se fait l&rsquo;&eacute;cho de cette conception dominante dans la profession&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;On ne peut par exemple promouvoir le policier &laquo; de qualit&eacute; &raquo; que si on classe les romans policiers &agrave; part&nbsp;: les noyer entra&icirc;ne le refuge du pauvre lecteur, condamn&eacute; &agrave; se rep&eacute;rer dans l&rsquo;oc&eacute;an qu&rsquo;est un fonds de romans pour adultes, vers les auteurs qu&rsquo;il conna&icirc;t d&eacute;j&agrave;<a href="#nbp5" id="footnoteref5_1roql91" name="liennbp5" title="Dominique Lahary, « Pour une bibliothèque polyvalente : à propos des best-sellers en bibliothèque publique », Bulletin d’information de l’Association des Bibliothécaires Français, n°189, 2000, p. 98. [http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/revues/afficher-46645]">5</a></em>. </q></p> <p>Ces rayonnages sp&eacute;cifiques suscitent cependant aussi dans la profession des r&eacute;flexions et des remises en cause motiv&eacute;es par l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;ils participeraient &agrave; maintenir ces genres dans la semi-l&eacute;gitimit&eacute; de genres &agrave; part, n&rsquo;appartenant pas pleinement &agrave; la litt&eacute;rature, et &agrave; entretenir un cloisonnement des &laquo;&nbsp;menus de lecture&nbsp;&raquo;, les lecteurs de ces genres se cantonnant &agrave; chercher &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de ces &eacute;tag&egrave;res sans ouvrir leurs horizons. Ce mode de classement s&eacute;pare du reste les policiers et les autres romans d&rsquo;&eacute;crivains qui, &agrave; l&rsquo;instar de Didier Daeninckx, se sont adonn&eacute;s &agrave; diff&eacute;rents genres, publiant par exemple tant&ocirc;t dans la S&eacute;rie noire de Gallimard tant&ocirc;t chez un &eacute;diteur tr&egrave;s litt&eacute;raire comme Verdier, mais dont l&rsquo;&oelig;uvre se trouve ainsi disloqu&eacute;e et non identifiable dans son unit&eacute;. C&rsquo;est l&rsquo;argument mobilis&eacute; par une sp&eacute;cialiste du roman policier&nbsp;pour rejeter un classement &agrave; part qu&rsquo;elle d&eacute;crit comme &laquo;&nbsp;une honte&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;C&rsquo;est d&eacute;j&agrave; une honte, de mon point de vue [de classer les polars &agrave; part]. Je veux bien qu&rsquo;on pastille les polars, mais qu&rsquo;on les laisse par piti&eacute; dans les romans ! D&rsquo;abord parce qu&rsquo;il y a des auteurs qui &eacute;crivent dans plusieurs genres et que c&rsquo;est int&eacute;ressant. Je prends au hasard Georges-Jean Arnaud qui a une &oelig;uvre de plus de 400 titres, a &eacute;crit du roman d&rsquo;aventure, de la science-fiction et du polar. Il est excellent dans les trois domaines. Alors, vous allez mettre du Georges-Jean Arnaud partout&nbsp;? Hein&nbsp;? Non. C&rsquo;est quand m&ecirc;me plus int&eacute;ressant pour un lecteur qui vient de lire un Georges-Jean Arnaud science-fiction, de dire&nbsp;: &laquo; Tiens, qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est que &ccedil;a&nbsp;? Ah, &ccedil;a ne ressemble pas&nbsp;! &raquo; &Ccedil;a c&rsquo;est mon point de vue que je d&eacute;fends bec et ongles. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 3 ao&ucirc;t 2007] </em></q></p> <p>Le ton passionn&eacute; employ&eacute; ici r&eacute;v&egrave;le l&rsquo;importance de l&rsquo;enjeu&nbsp;: il s&rsquo;agit bel et bien de la reconnaissance du roman policier comme appartenant &agrave; part enti&egrave;re &agrave; la litt&eacute;rature et de la possibilit&eacute; pour un auteur de &laquo;&nbsp;faire &oelig;uvre&nbsp;&raquo; en passant d&rsquo;un genre &agrave; l&rsquo;autre. Dans la m&ecirc;me optique, l&rsquo;auteure d&rsquo;un manuel de biblioth&eacute;conomie conseille plut&ocirc;t d&rsquo;&eacute;viter un classement &agrave; part qui peut participer d&rsquo;une stigmatisation autant que d&rsquo;une reconnaissance&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Il semble, par contre, que l&rsquo;on n&rsquo;ait gu&egrave;re avantage &agrave; s&eacute;parer du reste des romans les romans policiers et de science-fiction, car ce classement s&rsquo;effectue en fonction d&rsquo;un crit&egrave;re de valeur&nbsp;: litt&eacute;rature &laquo;&nbsp;cultiv&eacute;e &raquo; d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, &laquo;&nbsp;sous &raquo;-litt&eacute;rature de l&rsquo;autre. Or, si certaines collections polici&egrave;res n&rsquo;offrent &eacute;videmment qu&rsquo;un int&eacute;r&ecirc;t tr&egrave;s r&eacute;duit, il n&rsquo;en est pas de m&ecirc;me de certains titres qui sont excellents<a href="#nbp6" id="footnoteref6_86aqwx7" name="liennbp6" title="Annie Béthery, Abrégé de la classification décimale de Dewey / nouv. éd., Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1998, p. 35.">6</a>. </em></q></p> <p>Cette s&eacute;paration conduit &agrave; l&rsquo;absence du roman policier des dispositifs de valorisation qui puisent <em>de facto</em> dans la litt&eacute;rature g&eacute;n&eacute;rale. Consid&eacute;r&eacute; comme un genre &agrave; part, &agrave; l&rsquo;instar de la <em>fantasy</em>, il ne se trouve par exemple qu&rsquo;exceptionnellement s&eacute;lectionn&eacute; en &laquo;&nbsp;coups de c&oelig;ur&nbsp;&raquo; et en &laquo;&nbsp;premiers romans<a href="#nbp7" id="footnoteref7_qzk5nyi" name="liennbp7" title="Voir Cécile Rabot, La Construction de la visibilité littéraire en bibliothèque, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2015.">7</a> &raquo;, selon un principe tacite d&rsquo;exclusion justifi&eacute; par la moindre n&eacute;cessit&eacute; pour ces genres au succ&egrave;s plus assur&eacute; de faire l&rsquo;objet d&rsquo;une valorisation, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;un travail de prescription de la part des biblioth&eacute;caires. Du reste &ndash; et cette derni&egrave;re raison n&rsquo;y est sans doute pas &eacute;trang&egrave;re &ndash;, toute une partie du groupe professionnel des biblioth&eacute;caires manifeste &agrave; l&rsquo;&eacute;gard du roman policier une forme de distance qui oscille entre m&eacute;pris pour un genre &agrave; la l&eacute;gitimation inaboutie et d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t pour un domaine auquel leurs &eacute;tudes universitaires les ont souvent peu pr&eacute;par&eacute;s, qu&rsquo;ils avouent pour beaucoup mal conna&icirc;tre et qui, du fait de son statut, est assez peu susceptible de les valoriser aux yeux de leurs usagers. Une biblioth&eacute;caire responsable de la section adulte d&rsquo;une biblioth&egrave;que parisienne de quartier &eacute;voque ainsi ces diff&eacute;rentes raisons pour expliquer qu&rsquo;elle ne s&eacute;lectionne jamais de romans policiers en &laquo;&nbsp;coups de c&oelig;ur&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Les policiers, j&rsquo;en mets pas parce que j&rsquo;y pense pas, parce que j&rsquo;en lis jamais et parce que&hellip; voil&agrave;. Maintenant, si, une fois, il y en a un qui tra&icirc;ne et que je sais qu&rsquo;il va plaire, je peux le mettre, mais bon, certains policiers sortent tellement, c&rsquo;est m&ecirc;me pas la peine d&rsquo;attirer leur attention dessus, donc c&rsquo;est vrai que j&rsquo;en mets pas. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 12 avril 2005] </em></q></p> <p>Le polar reste en effet, malgr&eacute; tout, associ&eacute; &agrave; des usages d&eacute;cri&eacute;s, reli&eacute;s &agrave; des formes de d&eacute;mesure et de perte de soi (boulimie, addiction, absorption, exclusivit&eacute;), qui ne sont pas sans rappeler les discours sur les mauvaises lectures construits dans la seconde moiti&eacute; du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle et longuement d&eacute;crits par Lo&iuml;c Artiaga<a href="#nbp8" id="footnoteref8_gzq09cc" name="liennnbp8" title="Loïc Artiaga, Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, Limoges, PULIM, 2007.">8</a>. Une conservatrice, responsable d&rsquo;un grand &eacute;tablissement parisien et elle-m&ecirc;me peu lectrice de romans policiers, quoiqu&rsquo;elle ait eu l&rsquo;occasion de monter un fonds polar dans un centre culturel fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger, cite le lecteur de polars comme un exemple de lecteur d&eacute;termin&eacute; et exclusif face auquel le travail de m&eacute;diation du biblioth&eacute;caire r&eacute;v&egrave;le ses limites&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Convaincre un amateur de polar qui vient r&acirc;ler aupr&egrave;s de vous en disant &laquo;&nbsp;Vous n&rsquo;avez rien&nbsp;!&nbsp;&raquo;, en disant : &laquo;&nbsp;Mais si&nbsp;! Mais tout est sorti et ce qui reste, vous l&rsquo;avez d&eacute;j&agrave; lu. Mais aujourd&rsquo;hui vous pourriez peut-&ecirc;tre aller voir&hellip;&nbsp;&raquo; C&rsquo;est peine perdue ! Il veut du polar et pas autre chose ! [&hellip;] Il y a des gens qui sont pas du tout curieux, hein ! Il y a des gens alors l&agrave;, pfff, tr&egrave;s cadr&eacute;s, qui veulent surtout pas &ecirc;tre d&eacute;rang&eacute;s dans leurs habitudes, et notamment les amateurs de polars, hein, je peux vous dire que c&rsquo;est des gens en g&eacute;n&eacute;ral qui sont&hellip; enfin les gros amateurs de polars&hellip; je sais pas si c&rsquo;est pareil pour le cin&eacute;ma, mais il est difficile de leur proposer autre chose, c&rsquo;est du polar, du polar, du polar&hellip; Alors c&rsquo;est vrai que les polars sont de plus en plus diversifi&eacute;s, hein, dans l&rsquo;&eacute;criture, le style, en France, c&rsquo;est vraiment tr&egrave;s vari&eacute; maintenant. Et donc il y en a vraiment pour tous les go&ucirc;ts, mais je suis souvent un peu surprise quand m&ecirc;me. Je peux comprendre qu&rsquo;on adore quelque chose et qu&rsquo;on veuille &agrave; tout prix toujours toujours dans cette veine, mais pourquoi pas tenter aussi parall&egrave;lement autre chose &agrave; c&ocirc;t&eacute;&nbsp;? Mais c&rsquo;est tous des mono-maniaques, hein ! Bon. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 28 mai 2008] </em></q></p> <p>Le roman policier est associ&eacute; &agrave; un mode de lecture ordinaire plus ou moins disqualifi&eacute; par les discours lettr&eacute;s. M&ecirc;me si les contenus ne suffisent pas &agrave; d&eacute;terminer les usages, il se pr&ecirc;te plut&ocirc;t &agrave; une lecture d&rsquo;&eacute;vasion et de divertissement, par laquelle le lecteur s&rsquo;&eacute;chappe de son quotidien en s&rsquo;absorbant dans le jeu de l&rsquo;intrigue et de l&rsquo;identification aux personnages. Cette forme de lecture courante, parfois qualifi&eacute;e de na&iuml;ve<a href="#nbp9" id="footnoteref9_xjndf7s" name="liennbp9" title="Voir Claude Lafarge, La Valeur littéraire. Figuration littéraire et usages sociaux des fictions, Paris, Fayard, 1983.">9</a>, se situe aux antipodes du mode de lecture analytique et distanci&eacute; que l&rsquo;institution scolaire s&rsquo;efforce d&rsquo;enseigner comme mode l&eacute;gitime d&rsquo;approche des textes<a href="#nbp10" id="footnoteref10_1eyqtge" name="liennnbp10" title="Voir Fanny Renard, Les Lycéens et la lecture. Entre habitudes et sollicitations, Rennes, PUR, 2011.">10</a> : captiv&eacute; par des techniques de construction qui le tiennent en haleine, le lecteur se laisse emporter par l&rsquo;intrigue et, jouant notamment &agrave; se faire peur, prend plaisir aux &eacute;motions que lui procure la fiction plus qu&rsquo;il ne s&rsquo;adonne au plaisir esth&eacute;tique du texte. La r&eacute;alit&eacute; des pratiques t&eacute;moigne plut&ocirc;t d&rsquo;un entrem&ecirc;lement des usages, la lecture esth&egrave;te ne se rencontrant gu&egrave;re &agrave; l&rsquo;&eacute;tat pur, comme l&rsquo;ont montr&eacute; G&eacute;rard Mauger et Claude Poliak<a href="#nbp11" id="footnoteref11_odqylko" name="liennbp11" title="Voir Gérard Mauger et Claude Poliak, « Les usages sociaux de la lecture », Actes de la recherche en sciences sociales, no123, 1998, p. 3‑24.">11</a>, tandis que la lecture &laquo;&nbsp;na&iuml;ve&nbsp;&raquo; d&rsquo;une Emma Bovary qui confondrait fiction et r&eacute;alit&eacute; est bien plus souvent, selon les analyses de Richard Hoggart, une lecture &laquo;&nbsp;oblique<a href="#nbp12" id="footnoteref12_u9x33ck" name="liennbp12" title="Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.">12</a> &raquo;, dans laquelle le lecteur joue un jeu en ayant, comme un enfant qui joue, tout &agrave; fait conscience de jouer ce jeu<a href="#nbp13" id="footnoteref13_mfdl387" name="liennbp13" title="Sur cette question, voir par exemple Maurice Godelier, L’Imaginaire, l’imaginé et le symbolique, Paris, CNRS Éditions, 2015.">13</a>. Il reste que le roman policier est plut&ocirc;t associ&eacute; &agrave; une lecture de loisir et constitue souvent un objet de consommation courante, d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s demand&eacute; et pour lequel le biblioth&eacute;caire n&rsquo;a donc pas &agrave; jouer&nbsp;un r&ocirc;le de d&eacute;couvreur-initiateur, comme il peut avoir &agrave; le faire pour d&rsquo;autres formes de litt&eacute;rature. Pour un genre comme le polar, la biblioth&egrave;que remplit donc moins une fonction de prescription qu&rsquo;elle ne joue le r&ocirc;le d&rsquo;une source d&rsquo;approvisionnement gratuit en livres dont la valeur d&rsquo;usage l&rsquo;emporte de loin sur la valeur symbolique et qui, destin&eacute;s &agrave; &ecirc;tre lus, et lus rapidement, plus qu&rsquo;&agrave; &ecirc;tre expos&eacute;s dans une biblioth&egrave;que priv&eacute;e, peuvent &ecirc;tre emprunt&eacute;s plut&ocirc;t qu&rsquo;achet&eacute;s<a href="#nbp14" id="footnoteref14_komgrgl" name="liennbp14" title="Sur cette articulation entre valeur symbolique et valeur d’usage des livres et son effet sur les modes de classement et de valorisation, voir Gérard Mauger, Claude Poliak, et Bernard Pudal, Histoires de lecteurs, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2010.">14</a>.</p> <p>S&rsquo;il ne participe gu&egrave;re &agrave; valoriser symboliquement les biblioth&egrave;ques et les biblioth&eacute;caires, le roman policier conna&icirc;t en biblioth&egrave;que un succ&egrave;s massif. Sa facilit&eacute; de lecture et sa capacit&eacute; &agrave; tenir le lecteur en haleine en font un objet de lecture attractif pour un large public, comme le note la conservatrice d&eacute;j&agrave; cit&eacute;e, non sans r&eacute;affirmer la hi&eacute;rarchie de valeurs qu&rsquo;elle &eacute;tablit tout en la niant entre le &laquo;&nbsp;polar&nbsp;&raquo; et ce qu&rsquo;elle appelle le &laquo;&nbsp;roman psychologique&nbsp;&raquo; :</p> <p><q><em>&nbsp;Le polar a &eacute;norm&eacute;ment d&rsquo;amateurs et c&rsquo;est quand m&ecirc;me plus facile &agrave; lire qu&rsquo;un roman psychologique. Enfin il y a de tr&egrave;s tr&egrave;s bons polars, c&rsquo;est pas ce que je veux dire, mais &ccedil;a tient quelqu&rsquo;un quoi, le polar&hellip; [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>L&rsquo;existence de toute une s&eacute;rie de sous-genres et d&rsquo;une grande diversit&eacute; interne permet &agrave; des publics tr&egrave;s divers de trouver un int&eacute;r&ecirc;t au roman policier, en fonction de leurs propres go&ucirc;ts, le travail des biblioth&eacute;caires consistant alors &agrave; aiguiller un usager vers tel segment de la production. Une biblioth&eacute;caire d&eacute;crit ainsi ce travail d&rsquo;appariement entre offre et demande&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;La litt&eacute;rature polici&egrave;re, c&rsquo;est tr&egrave;s tr&egrave;s large&hellip; Donc, on peut aussi affiner la question. Souvent les gens ont des demandes assez vagues. Donc ce qu&rsquo;il faut essayer de faire, c&rsquo;est leur demander de pr&eacute;ciser leur demande. Parce que moi, si vous voulez, quelqu&rsquo;un qui me demande un roman policier, qu&rsquo;est-ce que je vais lui dire ? Je vais lui dire d&rsquo;abord&nbsp;: &laquo; Quelle &eacute;poque vous voulez ? Contemporain ? Plut&ocirc;t ann&eacute;es quarante ? Plut&ocirc;t fran&ccedil;ais ? Am&eacute;ricain&nbsp;? Anglais ? Vous aimez le suspense&nbsp;? Vous aimez le thriller ? Vous aimez quand il y a du sang ? Quand il n&rsquo;y en a pas du tout ? &raquo; Vous voyez, c&rsquo;est tr&egrave;s tr&egrave;s large en fait. Suivant nos connaissances, on va diriger la personne vers un c&ocirc;t&eacute; ou l&rsquo;autre. On est aussi cens&eacute; conna&icirc;tre les collections. Quand vous passez le concours de biblioth&eacute;caire, vous &ecirc;tes cens&eacute;s conna&icirc;tre les grandes collections, vous &ecirc;tes cens&eacute;s savoir par exemple que dans les &laquo;&nbsp;S&eacute;rie Noire&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est tel genre d&rsquo;auteurs. Donc d&eacute;j&agrave;, &ccedil;a peut aider&nbsp;: on peut aussi dire &agrave; la personne : &laquo;&nbsp;Voyez dans cette collection. &raquo; M&ecirc;me si vous ne connaissez pas les auteurs, si c&rsquo;est une collection, par d&eacute;finition, c&rsquo;est quelque chose d&rsquo;homog&egrave;ne, qui a &eacute;t&eacute; fait dans un but pr&eacute;cis. Par exemple, toute la vague sanglante du roman sanglant &ndash; je parlais de James Patterson &ndash; c&rsquo;est une litt&eacute;rature am&eacute;ricaine extr&ecirc;mement violente qui est tr&egrave;s appr&eacute;ci&eacute;e par exemple par les mamies. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 8 avril 2005] </em></q></p> <p>Le genre policier fait au total l&rsquo;objet d&rsquo;une forte demande qui se traduit par la pr&eacute;sence de romans policiers dans les meilleurs emprunts et par des taux de rotation &eacute;lev&eacute;s<a href="#nbp15" id="footnoteref15_dr6zsdx" name="liennbp15" title="La notion de taux de rotation, définie comme le nombre d’emprunts annuel d’un ouvrage, est dans les bibliothèques de prêt un indicateur statistique important qui sert notamment de base au désherbage, c’est-à-dire à l’actualisation des collections par élimination des ouvrages très peu empruntés.">15</a>. D&egrave;s lors que ces derniers constituent un des outils d&rsquo;&eacute;valuation des &eacute;tablissements &agrave; l&rsquo;heure de la rationalisation des d&eacute;penses publiques<a href="#nbp16" id="footnoteref16_bxhyjwn" name="liennbp16" title="Voir Isabelle Bruno, Emmanuel Didier, Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, Zones, 2013.">16</a>, il pr&eacute;sente donc un int&eacute;r&ecirc;t strat&eacute;gique. Lors des r&eacute;unions de r&eacute;seaux destin&eacute;es &agrave; pr&eacute;senter la production aux &eacute;tablissements et &agrave; &eacute;laborer des propositions d&rsquo;acquisition pour les biblioth&egrave;ques du r&eacute;seau, certains ouvrages sont ainsi cat&eacute;goris&eacute;s oralement dans la &laquo; grosse cavalerie am&eacute;ricaine&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;ils sont con&ccedil;us selon un principe de conformit&eacute; &agrave; l&rsquo;horizon d&rsquo;attente du lectorat qui assure leur succ&egrave;s en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il marque leur absence de pr&eacute;tention litt&eacute;raire<a href="#nbp17" id="footnoteref17_hmgwefm" name="liennbp17" title="Voir Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, traduit par Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1978.">17</a>. La biblioth&eacute;caire sp&eacute;cialiste du polar qui utilise cette d&eacute;nomination d&eacute;crit ce caract&egrave;re convenu qui est aussi une garantie de succ&egrave;s&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Ce que j&rsquo;appelle la grosse cavalerie am&eacute;ricaine, [&hellip;] on sait comment c&rsquo;est fabriqu&eacute;&nbsp;: il y a un processus de fabrication qui est mis en place par les &eacute;diteurs am&eacute;ricains et auquel les auteurs ne peuvent pas ne pas se plier, donc &ccedil;a veut dire trois rebondissements dans le livre &agrave; des pages absolument calibr&eacute;es, donc on sait ce que c&rsquo;est et puis on sait que &ccedil;a fonctionne, que &ccedil;a marche tr&egrave;s bien, donc on sait que nous en France, Dieu merci, on n&rsquo;a que la cr&egrave;me&hellip; Le nombre de romans policiers publi&eacute;s aux &Eacute;tats-Unis est dix fois ce que nous recevons, donc on sait qu&rsquo;on a le meilleur et que &ccedil;a va forc&eacute;ment marcher, c&rsquo;est fait pour, c&rsquo;est un produit fabriqu&eacute;, hein, donc ce n&rsquo;est pas la peine de lire ces livres-l&agrave; jusqu&rsquo;au bout. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 3 ao&ucirc;t 2007] </em></q></p> <p>Des ouvrages de ce type, jug&eacute;s d&rsquo;un assez faible int&eacute;r&ecirc;t litt&eacute;raire, peuvent &ecirc;tre s&eacute;lectionn&eacute;s pour figurer parmi les propositions d&rsquo;acquisition avec l&rsquo;argument &laquo;&nbsp;pour les stats<a href="#nbp18" id="footnoteref18_hzpqc0p" name="liennbp18" title="Les expressions citées ici entre guillemets ont été entendues dans des réunions de réseaux observées en mai 2008.">18</a> &raquo;&nbsp;: acheter ce genre de livres est donc un moyen de r&eacute;pondre &agrave; la demande mais &eacute;galement de satisfaire la tutelle. Strat&eacute;giquement, c&rsquo;est aussi se donner la possibilit&eacute; d&rsquo;acqu&eacute;rir par ailleurs des documents moins rentables, selon un principe de p&eacute;r&eacute;quation d&eacute;j&agrave; analys&eacute; dans les politiques des maisons d&rsquo;&eacute;dition.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>2. Un genre institutionnalis&eacute; et privil&eacute;gi&eacute;</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>F&ucirc;t-ce par strat&eacute;gie plus que par adh&eacute;sion, le polar occupe aujourd&rsquo;hui en biblioth&egrave;que de lecture publique une place privil&eacute;gi&eacute;e qui se traduit par exemple par des acquisitions importantes, par l&rsquo;existence d&rsquo;une biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e dans le r&eacute;seau parisien, par un prix litt&eacute;raire adolescents d&eacute;di&eacute; au roman policier, ou encore par la place privil&eacute;gi&eacute;e du polar dans les r&eacute;unions de r&eacute;seau des biblioth&egrave;ques de la Ville de Paris. Le roman policier est ainsi le seul genre litt&eacute;raire qui b&eacute;n&eacute;ficie d&rsquo;un &eacute;tablissement exclusivement d&eacute;di&eacute; &agrave; sa conservation et &agrave; sa valorisation&nbsp;: la Biblioth&egrave;que des Litt&eacute;ratures Polici&egrave;res (Bilipo). Cet &eacute;tablissement r&eacute;sulte de la mobilisation d&rsquo;un groupe d&rsquo;experts d&eacute;sireux de faire reconna&icirc;tre le polar &agrave; une &eacute;poque, en 1975, o&ugrave; il n&rsquo;&eacute;tait encore qu&rsquo;&laquo;&nbsp;infralitt&eacute;rature<a href="#nbp19" id="footnoteref19_bre8m5c" name="liennbp19" title="Alain le Flohic, art.cit.">19</a> &raquo;. L&rsquo;obtention, en 1983, d&rsquo;un exemplaire du d&eacute;p&ocirc;t l&eacute;gal pour toute publication de roman policier, la cr&eacute;ation, en 1985, par la Ville de Paris d&rsquo;une biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e, et son installation, en 1995, dans des locaux propres ont &eacute;t&eacute; les &eacute;tapes successives d&rsquo;une institutionnalisation du genre qui a accompagn&eacute; sa reconnaissance progressive.</p> <p>L&rsquo;existence de cette biblioth&egrave;que, aujourd&rsquo;hui lieu de r&eacute;f&eacute;rence pour des chercheurs du monde entier, produit des effets sur la place et le traitement du polar dans l&rsquo;ensemble du r&eacute;seau parisien, pour lequel elle constitue un espace d&rsquo;expertise, qui sert de ressource mais aussi, par un effet de division du travail, autorise les biblioth&eacute;caires non sp&eacute;cialis&eacute;s &agrave; ne pas investir le genre en d&eacute;veloppant une connaissance propre &agrave; son propos mais &agrave; s&rsquo;en remettre &agrave; leurs coll&egrave;gues sp&eacute;cialistes. Une biblioth&eacute;caire d&rsquo;un &eacute;tablissement de pr&ecirc;t t&eacute;moigne de ce r&ocirc;le, indispensable mais non sans ambigu&iuml;t&eacute;s, jou&eacute; par la Bilipo&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Pour les policiers, il y a un truc qui est vraiment super, parce que maintenant il y a eu la cr&eacute;ation de la Bilipo, je ne sais pas si vous connaissez. Eux, ils &eacute;ditent carr&eacute;ment un fascicule tous les ans, qui s&rsquo;appelle L&rsquo;Ann&eacute;e du Crime<a href="#nbp20" id="footnoteref20_naq11z1" name="liennbp20" title="Il s’agit en réalité des Crimes de l’année. La confusion dans l’intitulé est significative d’un rapport assez distancié à l’objet et, plus largement, à la littérature policière.">20</a>. Alors les biblioth&egrave;ques le pr&ecirc;tent, ce fascicule, parce qu&rsquo;il y a des conseils de lecture. C&rsquo;est th&eacute;matique et &ccedil;a peut &ecirc;tre historique aussi dans certains cas. Et c&rsquo;est vraiment un outil de travail formidable pour qui s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; la litt&eacute;rature polici&egrave;re. Parce que eux ont vraiment pour vocation de&hellip; Ils archivent aussi. Ils ont des documents tr&egrave;s tr&egrave;s rares. Je sais plus d&rsquo;o&ugrave; ils les ont eus. Ils ont des coffres-forts o&ugrave; il y a des documents qui sont uniquement &agrave; la Bilipo, qui sont consultables &agrave; mon avis uniquement par des chercheurs, un peu &agrave; l&rsquo;image de la BN. &ndash; Dans la s&eacute;lection du fascicule, il y en a que vous connaissez ? &ndash; Non. Il n&rsquo;y en a aucun que je connais. De nom, bien s&ucirc;r&nbsp;: ils passent sur nos listes de commande. Mais sinc&egrave;rement, il n&rsquo;y en a aucun que je connais. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 8 avril 2005] </em></q></p> <p>Cette attitude qu&rsquo;on peut lire comme une forme de remise de soi devant l&rsquo;expertise est analys&eacute;e par une biblioth&eacute;caire de la Bilipo comme une marque de d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t, voire de m&eacute;pris, de la part des biblioth&eacute;caires parisiens&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Ah non, au sein du r&eacute;seau parisien, eux ils ne connaissent pas le polar&nbsp;: ils ne veulent pas le savoir. Je fais des formations pour les biblioth&eacute;caires dans la France enti&egrave;re &ndash; quand je dis la France enti&egrave;re, m&ecirc;me &agrave; la R&eacute;union r&eacute;guli&egrave;rement tous les deux ans je vais faire une formation d&rsquo;une semaine &agrave; la R&eacute;union, je dois avoir fait &agrave; peu pr&egrave;s tous les d&eacute;partements (je fais des formations en g&eacute;n&eacute;ral dans le cadre des BDP<a href="#nbp21" id="footnoteref21_uz8lh2l" name="liennbp21" title="Les bibliothèques départementales de prêt sont des établissements dépendant des conseils départementaux et destinés à développer l’offre de lecture publique sur l’ensemble du territoire, notamment dans les espaces ruraux et les petites villes.">21</a>) &ndash; sauf la r&eacute;gion parisienne&nbsp;! &Agrave; Paris, on sait tout, on n&rsquo;a pas besoin d&rsquo;apprendre et on ne regarde absolument pas&hellip; De toute fa&ccedil;on, puisque je vais &agrave; la r&eacute;union du service technique, il n&rsquo;y a pas besoin de se former, puisque je suis l&agrave;&nbsp;! Le jour o&ugrave; je ne serai plus l&agrave;, je ne sais pas comment ils feront, mais&hellip; Voil&agrave;. Non, non, l&agrave;, les coll&egrave;gues parisiens, c&rsquo;est ahurissant, je n&rsquo;ai jamais vu &ccedil;a ! J&rsquo;ai des coll&egrave;gues qui me disent&nbsp;: &laquo; Pourquoi tu ne nous fais pas des formations&nbsp;?&nbsp;&raquo; Je dis&nbsp;: &laquo; Eh bien, demandez-les&nbsp;! Moi je ne vais pas vous faire une formation comme &ccedil;a.&nbsp;&raquo; Et on n&rsquo;arrive jamais &agrave; trouver plus de deux personnes&nbsp;! Non, non, &ccedil;a ne les int&eacute;resse pas&hellip; de savoir qu&rsquo;il y a plusieurs genres dans le roman policier, pfff, &ccedil;a ne les int&eacute;resse pas&nbsp;! Je me demande comment ils font pour conseiller leurs lecteurs. Effectivement je pense que c&rsquo;est les lecteurs des biblioth&egrave;ques qui doivent lire Les crimes de l&rsquo;ann&eacute;e et pas les biblioth&eacute;caires. C&rsquo;est exasp&eacute;rant. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 3 ao&ucirc;t 2007] </em></q></p> <p>L&rsquo;emploi du &laquo;&nbsp;ils&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;on&nbsp;&raquo; pour d&eacute;signer le r&eacute;seau des biblioth&eacute;caires parisiens ne cesse ainsi de marquer la distance prise &agrave; partir de cette position privil&eacute;gi&eacute;e en biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des biblioth&egrave;ques de pr&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ralistes et de celles et ceux qui y travaillent.</p> <p>La Bilipo joue en particulier un r&ocirc;le d&rsquo;expertise dans l&rsquo;organisation d&rsquo;un prix litt&eacute;raire adolescents&nbsp;: le prix des Mordus du Polar, qui r&eacute;compense annuellement un auteur de litt&eacute;rature polici&egrave;re choisi par un jury constitu&eacute; d&rsquo;une centaine de jeunes. La Bilipo joue dans ce prix un r&ocirc;le essentiel d&rsquo;organisation et de s&eacute;lection, qui mobilise une partie du temps de travail d&rsquo;une biblioth&eacute;caire de cet &eacute;tablissement&nbsp;: il s&rsquo;agit d&rsquo;organiser le prix dans ses diff&eacute;rentes &eacute;tapes, de la pr&eacute;s&eacute;lection &agrave; la c&eacute;r&eacute;monie de remise, en coordonnant les diff&eacute;rents acteurs impliqu&eacute;s, notamment la dizaine de biblioth&egrave;ques du r&eacute;seau qui y prennent part&nbsp;; il s&rsquo;agit surtout d&rsquo;assurer une veille culturelle qui aboutit &agrave; une pr&eacute;s&eacute;lection d&rsquo;ouvrages et de participer &agrave; les faire d&eacute;couvrir aux biblioth&eacute;caires participants de mani&egrave;re qu&rsquo;ils puissent s&eacute;lectionner les cinq livres qu&rsquo;ils donneront &agrave; lire aux jeunes, donnant ainsi un r&ocirc;le pr&eacute;pond&eacute;rant, quoique masqu&eacute;, aux biblioth&eacute;caires dans ce qui se pr&eacute;sente comme un prix de lecteurs<a href="#nbp22" id="footnoteref22_zsl6tob" name="liennbp22" title="Voir Cécile Rabot, « Les mordus du polar : prix d’adolescents ou de bibliothécaires ? », Lecture jeune, n° 147, 2013, p. 17-22.">22</a>.</p> <p>La Bilipo joue surtout un r&ocirc;le d&rsquo;expertise &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle du r&eacute;seau en mati&egrave;re de litt&eacute;rature polici&egrave;re adulte. Au moment de l&rsquo;enqu&ecirc;te, une biblioth&eacute;caire est charg&eacute;e d&rsquo;un travail approfondi de veille, appuy&eacute; sur le d&eacute;p&ocirc;t l&eacute;gal, auquel elle consacre une large partie de son temps de travail (lecture de la production, indexation et r&eacute;daction de critiques) et dont elle rend compte dans des r&eacute;unions de r&eacute;seau consacr&eacute;es &agrave; l&rsquo;examen des nouveaut&eacute;s &eacute;ditoriales. Un tel dispositif d&rsquo;expertise, avec les moyens aff&eacute;rents, est exceptionnel dans les biblioth&egrave;ques parisiennes, les autres genres n&rsquo;&eacute;tant trait&eacute;s, au mieux, que par un groupe de biblioth&eacute;caires volontaires, d&eacute;charg&eacute;s pour quelques heures par mois &agrave; cet effet, et engageant plus ou moins leur temps libre dans la lecture des nouveaut&eacute;s, mais ne b&eacute;n&eacute;ficiant jamais d&rsquo;un temps de travail d&eacute;fini autour de cette mission d&rsquo;analyse critique de la production d&rsquo;un secteur &eacute;ditorial donn&eacute;.</p> <p>Cette expertise tr&egrave;s particuli&egrave;re dont b&eacute;n&eacute;ficie la litt&eacute;rature polici&egrave;re se traduit de mani&egrave;re concr&egrave;te et multiple au moment des r&eacute;unions de r&eacute;seau. L&rsquo;organisation m&ecirc;me de ces derni&egrave;res incarne la place privil&eacute;gi&eacute;e dont b&eacute;n&eacute;ficie le roman policier au sein du r&eacute;seau parisien. Destin&eacute;es &agrave; &eacute;tablir une liste de documents que les diff&eacute;rentes biblioth&egrave;ques du r&eacute;seau pourraient acqu&eacute;rir, ces r&eacute;unions bihebdomadaires rassemblent les repr&eacute;sentants des diff&eacute;rents &eacute;tablissements (par roulement) et les repr&eacute;sentants des diff&eacute;rents comit&eacute;s d&rsquo;experts qui analysent la production &eacute;ditoriale dans un secteur donn&eacute;. Elles sont organis&eacute;es selon un premier grand principe d&rsquo;opposition entre fiction (ou litt&eacute;rature), le matin, et non fiction (ou documentaires), l&rsquo;apr&egrave;s-midi, chaque demi-journ&eacute;e voyant ensuite se succ&eacute;der les repr&eacute;sentants des diff&eacute;rents comit&eacute;s qui pr&eacute;sentent les livres qu&rsquo;ils ont pu analyser en suivant les rubriques correspondantes de <em>Livres Hebdo</em> (l&rsquo;hebdomadaire professionnel qui recense l&rsquo;ensemble des publications des &eacute;diteurs fran&ccedil;ais).</p> <p>L&rsquo;ordre de succession des diff&eacute;rents comit&eacute;s au moment de l&rsquo;enqu&ecirc;te participe &agrave; donner une place privil&eacute;gi&eacute;e au polar et &agrave; produire une hi&eacute;rarchie entre les comit&eacute;s qui place le polar au sommet et la litt&eacute;rature non romanesque au plus bas. Le roman policier se voit consacrer la premi&egrave;re partie de la matin&eacute;e et b&eacute;n&eacute;ficie donc d&rsquo;une capacit&eacute; d&rsquo;attention accrue, &agrave; l&rsquo;inverse de la litt&eacute;rature non romanesque, trait&eacute;e en toute fin de matin&eacute;e devant un auditoire dont l&rsquo;attention est satur&eacute;e et en vue de compl&eacute;ter une liste de titres d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s &eacute;toff&eacute;e. De fait, l&rsquo;ordre de passage des comit&eacute;s se retrouve dans la mesure de leur influence. Si l&rsquo;on consid&egrave;re en effet le taux de propositions d&rsquo;un comit&eacute; &eacute;cout&eacute;es par les participants, c&rsquo;est-&agrave;-dire inscrites sur la liste quand ce sont des prescriptions ou &eacute;cart&eacute;es quand elles font l&rsquo;objet d&rsquo;un avis n&eacute;gatif, le roman policier l&rsquo;emporte de loin, suivi par la bande dessin&eacute;e, la science-fiction <em>fantasy</em>, les autres romans et, pour finir, la litt&eacute;rature non romanesque.</p> <figure> <p style="text-align: center;"><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="427" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Tableau_rabot.jpeg" width="1073" /></p> <figcaption> <p style="text-align: center;">Tableau : Influence des diff&eacute;rents comit&eacute;s d&rsquo;analyse des &laquo;&nbsp;fictions&nbsp;&raquo;&nbsp;: part des avis des comit&eacute;s suivis en r&eacute;union de r&eacute;seau en 2005-2006<a href="#nbp23" id="footnoteref23_kbe3754" name="liennbp23" title="Source : données internes communiquées par le Service du Document et des Échanges des bibliothèques de la Ville de Paris.">23</a>.</p> <p style="text-align: center;"><em>Exemple de lecture&nbsp;: En 2005, 93% des avis favorables du comit&eacute; polars (soit 69 titres) et 100% des avis d&eacute;favorables du m&ecirc;me comit&eacute; (soit 14 titres) ont &eacute;t&eacute; suivis en r&eacute;union de r&eacute;seau.</em></p> </figcaption> </figure> <p>L&rsquo;ordre de passage des comit&eacute;s n&rsquo;est bien s&ucirc;r pas seulement une cause du diff&eacute;rentiel d&rsquo;influence&nbsp;: il est aussi la traduction des places institutionnelles tr&egrave;s in&eacute;gales des diff&eacute;rents genres. Ces derni&egrave;res se retrouvent dans les modalit&eacute;s du travail d&rsquo;analyse de la production (avec une opposition entre des genres dont les ouvrages peuvent faire l&rsquo;objet d&rsquo;une lecture int&eacute;grale et d&rsquo;autres dont les livres ne peuvent qu&rsquo;&ecirc;tre lus tr&egrave;s partiellement) et dans les modes de pr&eacute;sentation des ouvrages analys&eacute;s&nbsp;: tandis que les ouvrages lus <em>in extenso</em>, et en particulier les polars, sont pr&eacute;sent&eacute;s sur un mode assur&eacute; et assertif, avec une subjectivit&eacute; assum&eacute;e et des jugements de valeur explicites, les ouvrages qui ont fait l&rsquo;objet d&rsquo;une analyse plus succincte sont plus souvent &eacute;voqu&eacute;s sur un mode neutre, objectivant et impersonnel, qui entend donner non pas une ligne de vote mais quelques caract&eacute;ristiques cens&eacute;es pouvoir produire un jugement propre de l&rsquo;auditeur et un vote &eacute;clair&eacute;).</p> <p>Gr&acirc;ce aux conditions privil&eacute;gi&eacute;es dont il b&eacute;n&eacute;ficie, et notamment au r&ocirc;le de la Bilipo, le roman policier fait l&rsquo;objet de lectures int&eacute;grales et expertes (c&rsquo;est-&agrave;-dire de lectures comparatives capables de mettre chaque livre en perspective avec d&rsquo;autres et de le rapporter syst&eacute;matiquement &agrave; l&rsquo;histoire du genre et &agrave; l&rsquo;ensemble de la production contemporaine). Il donne lieu &agrave; des pr&eacute;sentations d&eacute;taill&eacute;es et fortement engag&eacute;es, faisant ressortir les traits saillants de l&rsquo;ouvrage mais aussi l&rsquo;avis, tr&egrave;s tranch&eacute;, de l&rsquo;expert prescripteur, exprim&eacute; &agrave; grand renfort de superlatifs redoubl&eacute;s et autres hyperboles (&laquo;&nbsp;c&rsquo;est tr&egrave;s tr&egrave;s tr&egrave;s bon, tr&egrave;s tr&egrave;s bien &eacute;crit, tr&egrave;s original&nbsp;&raquo; <em>vs.</em> &laquo;&nbsp;c&rsquo;est sans aucun int&eacute;r&ecirc;t&nbsp;&raquo;). Ces pr&eacute;sentations emportent par cons&eacute;quent presque automatiquement l&rsquo;adh&eacute;sion des auditeurs, parce qu&rsquo;elles s&rsquo;appuient sur une rh&eacute;torique efficace d&eacute;crite comme de l&rsquo;enthousiasme par la biblioth&eacute;caire qui le met en &oelig;uvre.</p> <p><q><em>&nbsp;Dans l&rsquo;ensemble vous avez l&rsquo;impression d&rsquo;&ecirc;tre bien re&ccedil;ue, bien &eacute;cout&eacute;e&nbsp;? &ndash; Oui, m&ecirc;me trop bien quelquefois&nbsp;: quelquefois je suis un peu trop gentille pour certains livres et du coup ils passent, alors que vraiment, si vous regardez sur BibOffice les analyses &eacute;crites que j&rsquo;ai faites, que je ne lis pas parce que ce serait ridicule, elles sont beaucoup plus mod&eacute;r&eacute;es que l&rsquo;impression que j&rsquo;ai pu donner en parlant qui fait que le livre est quand m&ecirc;me pass&eacute; sur la liste. C&rsquo;est comme &ccedil;a, qu&rsquo;est-ce que vous voulez, quand on est enthousiaste&hellip; [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>Cet &laquo;&nbsp;enthousiasme&nbsp;&raquo; li&eacute; &agrave; une posture assur&eacute;e et engag&eacute;e, qui d&eacute;finit une forme de charisme professionnel, est &eacute;videmment &agrave; relier aux ressources dont dispose l&rsquo;experte, en l&rsquo;occurrence pr&eacute;cis&eacute;ment une expertise, appuy&eacute;e sur une longue exp&eacute;rience de lecture, sur une parfaite insertion dans les r&eacute;seaux d&rsquo;interconnaissance des sp&eacute;cialistes du polar (critiques de presse, jury de prix litt&eacute;raires) et sur un poste de travail lui permettant de continuer &agrave; accumuler du capital sp&eacute;cifique et la d&eacute;gageant de toute autre obligation et notamment de cette part g&eacute;n&eacute;ralement importante du travail de biblioth&eacute;caire, &agrave; savoir le &laquo;&nbsp;service public&nbsp;&raquo; &agrave; des usagers dont elle dit ne pas se pr&eacute;occuper, marquant ainsi sa distance avec des coll&egrave;gues qui ne b&eacute;n&eacute;ficient pas de la possibilit&eacute; de s&rsquo;y soustraire&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Je ne travaille pas par hasard en biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e parce que ce que je pr&eacute;f&egrave;re dans le m&eacute;tier de biblioth&eacute;caire, c&rsquo;est la bibliographie, c&rsquo;est [Elle fait avec les deux mains un geste circulaire] faire des ensembles. [Elle rit.] Donc c&rsquo;est peut-&ecirc;tre un moyen de faire d&eacute;couvrir les choses, bien s&ucirc;r. Mais je vais vous dire quelque chose de tr&egrave;s tr&egrave;s vilain&nbsp;: je me fiche du public, comme de ma premi&egrave;re chaussette&nbsp;! [Elle rit.] C&rsquo;est pour &ccedil;a d&rsquo;ailleurs que je travaille l&agrave; o&ugrave; je suis et non pas dans une biblioth&egrave;que de lecture publique&nbsp;: je me fiche du public&nbsp;: le public ne m&rsquo;int&eacute;resse absolument pas&nbsp;! [Elle rit.] Je comprends que &ccedil;a int&eacute;resse mes coll&egrave;gues, mais moi personnellement &ccedil;a ne m&rsquo;int&eacute;resse pas. Donc je suis contente moi de d&eacute;couvrir des choses nouvelles. Si le fait que moi je fasse ces d&eacute;couvertes peut b&eacute;n&eacute;ficier &agrave; quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre, tant mieux, mais ce n&rsquo;est pas mon but dans l&rsquo;existence ! [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>Ces conditions institutionnelles privil&eacute;gi&eacute;es aboutissent &agrave; ce que le roman policier repr&eacute;sente plus d&rsquo;un ouvrage de litt&eacute;rature sur dix inscrits sur les listes de propositions<a href="#nbp24" id="footnoteref24_2j6rb55" name="liennbp24" title="Sur les 2003 titres inscrits en 2005-2006 sur les listes de propositions d’acquisition de fiction envoyées aux bibliothèques du réseau parisien, 232 (soit 11,6%) sont des romans policiers.">24</a>.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>3. Un travail de l&eacute;gitimation au service d&rsquo;une politique</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>En m&ecirc;me temps qu&rsquo;elles accordent une place privil&eacute;gi&eacute;e au roman policier, les biblioth&egrave;ques de la ville de Paris participent au processus de l&eacute;gitimation de celui-ci via la Biblioth&egrave;que des Litt&eacute;ratures Polici&egrave;res, et notamment le travail de s&eacute;lection critique produit en son sein et donnant lieu &agrave; la publication des <em>Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e</em>. Ce guide annuel, publi&eacute; de 1991 &agrave; 2008, succ&egrave;de aux <em>Crimes du trimestre</em>, publi&eacute;s de 1986 &agrave; 1990, et propose une s&eacute;lection comment&eacute;e de plusieurs centaines de romans policiers ou de recueils de nouvelles rep&eacute;r&eacute;s au sein de la production de l&rsquo;ann&eacute;e &eacute;coul&eacute;e et consid&eacute;r&eacute;s par les s&eacute;lectionneurs comme les meilleurs, comme l&rsquo;indique le sous-titre &laquo;&nbsp;s&eacute;lection critique des meilleurs romans policiers parus entre &hellip; et &hellip;&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;est peu &agrave; peu impos&eacute; comme un outil de r&eacute;f&eacute;rence dans le monde du polar, comme le souligne la biblioth&eacute;caire qui le coordonne :</p> <p><q><em>&nbsp;C&rsquo;est un outil qui &eacute;tait destin&eacute; &agrave; la base aux biblioth&eacute;caires et puis maintenant le public s&rsquo;est tr&egrave;s largement &eacute;tendu, ce qui permet quand m&ecirc;me aux biblioth&eacute;caires d&rsquo;ailleurs de faire leurs acquisitions en connaissance de cause. &ndash; Vous pensez que Les crimes de l&rsquo;ann&eacute;e &ccedil;a sert d&rsquo;outil&nbsp;? &ndash; Ah, je ne le pense pas, je le sais. [Elle rit.] Je le sais&nbsp;! &Ccedil;a sert d&rsquo;outil pour les libraires, pour les biblioth&eacute;caires, et puis apr&egrave;s c&rsquo;est lu par un certain nombre d&rsquo;amateurs. Mais c&rsquo;est principalement un outil de travail pour les biblioth&eacute;caires et les libraires, &ccedil;a, je ne le crois pas, je le sais ! [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 3 ao&ucirc;t 2007] </em></q></p> <p>Chaque ouvrage fait l&rsquo;objet d&rsquo;une notice comportant titre, nom d&rsquo;auteur, autres indications bibliographiques, reproduction du premier plat de couverture, r&eacute;sum&eacute;, analyse critique et mots cl&eacute;s dans l&rsquo;indexation Rameau. Comme dans toute d&eacute;marche de critique artistique, la l&eacute;gitimation r&eacute;sulte, d&rsquo;une part, du geste de s&eacute;lection lui-m&ecirc;me<a href="#nbp25" id="footnoteref25_sykhk2d" name="liennbp25" title="Anaïs Bokobza a ainsi montré comment la traduction a participé à la légitimation du roman policier, notamment parce qu’elle porte sur un corpus choisi et donc repose sur une sélection. Voir Anaïs Bokobza, « Légitimation d’un genre : la traduction des polars », dans Gisèle Sapiro (dir.), Translatio. Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, Paris, CNRS Editions, 2008, p. 287-306.">25</a>, d&rsquo;autre part, de la l&eacute;gitimit&eacute; du s&eacute;lectionneur, et, enfin, de la production d&rsquo;un discours critique et savant sur les &oelig;uvres s&eacute;lectionn&eacute;es. La s&eacute;lection op&eacute;r&eacute;e au sein de la production annuelle dans le genre consid&eacute;r&eacute; puise plus particuli&egrave;rement dans les publications &agrave; plus forte pr&eacute;tention litt&eacute;raire que Patrick Parmentier avait nomm&eacute;es les &laquo;&nbsp;policiers cultiv&eacute;s<a href="#nbp26" id="footnoteref26_ep9r28c" name="liennbp26" title="Patrick Parmentier, « Les genres et leurs lecteurs », Revue française de sociologie 27, no 3, 1986, p. 397‑430.">26</a> &raquo;. En isolant les titres dignes d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, elle participe &agrave; une hi&eacute;rarchisation interne au genre qui semble indissociable de sa l&eacute;gitimation&nbsp;: la l&eacute;gitimation d&rsquo;un genre passe en effet non seulement par un travail pour la reconnaissance du genre en son entier mais aussi par l&rsquo;apparition ou la mise en avant d&rsquo;un p&ocirc;le l&eacute;gitime, aboutissant &agrave; reproduire au sein du genre une polarisation semblable &agrave; celle qu&rsquo;on observe dans le champ litt&eacute;raire entre un p&ocirc;le de grande production &agrave; l&rsquo;optique commerciale et un p&ocirc;le de production restreinte aux vis&eacute;es esth&eacute;tiques ou intellectuelles.</p> <p>L&rsquo;efficacit&eacute; du geste de s&eacute;lection tient aussi &agrave; la position du s&eacute;lectionneur et &agrave; sa propre l&eacute;gitimit&eacute;<a href="#nbp27" id="footnoteref27_jypkeqo" name="liennbp27" title="Voir à ce sujet Pascale Casanova, « Consécration et accumulation de capital littéraire : la traduction comme échange inégal », Actes de la recherche en sciences sociales, no144, 2002, p. 7‑20.">27</a>. En l&rsquo;occurrence il s&rsquo;agit d&rsquo;abord d&rsquo;une l&eacute;gitimit&eacute; institutionnelle, conf&eacute;r&eacute;e par une position, en l&rsquo;occurrence par l&rsquo;appartenance &agrave; une biblioth&egrave;que publique, et plus sp&eacute;cialement &agrave; une biblioth&egrave;que qui est parvenue &agrave; se faire reconna&icirc;tre nationalement et internationalement comme biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e unique en son genre par les fonds qu&rsquo;elle propose. Il s&rsquo;agit par ailleurs de la l&eacute;gitimit&eacute; personnelle de la s&eacute;lectionneuse, biblioth&eacute;caire sp&eacute;cialiste du genre, petite-fille et fille de traducteurs pour la S&eacute;rie Noire de Gallimard, devenue elle-m&ecirc;me traductrice de polars apr&egrave;s des &eacute;tudes d&rsquo;anglais, parvenue &agrave; obtenir un poste dans cette biblioth&egrave;que sp&eacute;cialis&eacute;e qui lui a permis de faire &laquo;&nbsp;tout ce qu&rsquo;[elle] aime au monde&nbsp;&raquo; et surtout d&rsquo;accumuler et de faire reconna&icirc;tre un capital sp&eacute;cifique qui lui donne voix au chapitre dans diff&eacute;rents espaces consacr&eacute;s au polar et consacrant le polar, mais aussi dans d&rsquo;autres espaces o&ugrave; elle intervient alors comme experte et comme formatrice&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Je suis tomb&eacute;e dedans quand j&rsquo;&eacute;tais petite, puisque ma grand-m&egrave;re et puis mon p&egrave;re &eacute;taient traducteurs pour la S&eacute;rie Noire. Donc j&rsquo;ai vraiment commenc&eacute; &agrave; lire des vrais&hellip; enfin des romans policiers pour adultes &agrave; partir de l&rsquo;&acirc;ge de huit ans. J&rsquo;ai lu &eacute;norm&eacute;ment d&rsquo;autres choses, mais j&rsquo;ai toujours lu du polar et j&rsquo;adore &ccedil;a. Je suis moi-m&ecirc;me traductrice de polar, ma fille est traductrice de polars, c&rsquo;est une dynastie ! C&rsquo;est vraiment le genre litt&eacute;raire qui m&rsquo;int&eacute;resse le plus pour ce que &ccedil;a v&eacute;hicule de bien et de pas bien d&rsquo;ailleurs. Je ne parle pas des crimes qui sont commis, hein, &ccedil;a c&rsquo;est totalement accessoire, mais de la soci&eacute;t&eacute; qu&rsquo;elle repr&eacute;sente, qui fait que c&rsquo;est cette litt&eacute;rature-l&agrave; que je privil&eacute;gie sur n&rsquo;importe quoi d&rsquo;autre. Et puis maintenant je suis quelqu&rsquo;un qui est reconnu comme sp&eacute;cialiste, donc je roule sur&hellip; je continue mes recherches, je travaille vraiment sur le genre. Tout le temps. Je ne fais que &ccedil;a. [&hellip;] Je lis un polar par jour pour pouvoir conseiller mes coll&egrave;gues. J&rsquo;apporte la bonne parole &agrave; tous ceux qui la r&eacute;clament. J&rsquo;essaye de rencontrer tous les acteurs du genre. Je vis dans ce monde litt&eacute;raire. [&hellip;] On leur fournit l&rsquo;aide dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. On fait des expositions qui apr&egrave;s circulent. [&hellip;] Donc nous on est toujours l&agrave; pour les aider, s&rsquo;ils ont besoin d&rsquo;une bibliographie, s&rsquo;ils ont besoin de contacter un auteur pour le faire venir ou n&rsquo;importe quoi. J&rsquo;ai des fichiers d&rsquo;auteurs, enfin j&rsquo;ai des fichiers tout court ! Je peux mettre n&rsquo;importe qui en relation avec&hellip; [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>D&rsquo;autre part, la l&eacute;gitimation du roman policier par la Bilipo passe par un travail savant d&rsquo;indexation, par genres, th&egrave;mes, lieux et types de personnages, qui transforme le roman policier d&rsquo;objet de lecture plaisir en objet d&rsquo;&eacute;tude. La biblioth&eacute;caire qui effectue ce travail et coordonne la r&eacute;alisation du guide d&eacute;crit ainsi la lecture professionnelle qui y pr&eacute;side&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;On a une fa&ccedil;on de lire les romans qui est un petit peu&hellip; Enfin, &eacute;videmment, il faut que la lecture provoque le plaisir, parce que sans &ccedil;a, si le livre vous tombe des mains, ce n&rsquo;est pas tr&egrave;s int&eacute;ressant, mais en plus avec une vision synth&eacute;tique en vue de ces indexations qui nous servent &eacute;norm&eacute;ment parce qu&rsquo;on a des demandes &eacute;videmment de partout sur des bibliographies, qui peuvent &ecirc;tre des choses extr&ecirc;mement bizarres&hellip; Mais je peux vous faire une bibliographie, extr&ecirc;mement rapidement, de la vache dans le roman policier puisque j&rsquo;ai tout &ccedil;a dans mes index, donc je peux faire. On a donc des demandes quelquefois extr&ecirc;mement curieuses, sur des th&egrave;mes extr&ecirc;mement pr&eacute;cis, donc on a aussi le souci de lire avec cette chose-l&agrave;. [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>La l&eacute;gitimation du genre passe surtout par la production d&rsquo;un discours critique, qui l&eacute;gitime non seulement des titres singuliers mais aussi, partant, le genre lui-m&ecirc;me, en en faisant un objet litt&eacute;raire et en mettant en avant ses potentialit&eacute;s cognitives. Ce processus de l&eacute;gitimation par la critique passe d&rsquo;abord par un triple travail d&rsquo;esth&eacute;tisation, d&rsquo;auctorialisation&nbsp;et de patrimonialisation, qui participe &agrave; litt&eacute;rariser le genre. D&rsquo;une part, en effet, les discours produits sur les textes s&eacute;lectionn&eacute;s mettent en avant les qualit&eacute;s formelles des textes, sur le plan narratologique ou stylistique, participant ainsi &agrave; les &eacute;riger en objets esth&eacute;tiques&nbsp;: la construction de l&rsquo;intrigue et surtout l&rsquo;&eacute;criture sont valoris&eacute;es tandis que font &agrave; l&rsquo;inverse l&rsquo;objet de pr&eacute;sentations n&eacute;gatives en r&eacute;union des textes jug&eacute;s &laquo;&nbsp;abominablement lourdingue[s] &raquo;, &laquo; &eacute;crit[s] dans un style nul&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;d&eacute;sagr&eacute;able[s] &agrave; lire, mal &eacute;crit[s] &raquo; ou &laquo;&nbsp;illisible[s] car pas une phrase sans faire une comparaison<a href="#nbp28" id="footnoteref28_b51b29h" name="liennbp28" title="Source : observation participante dans des réunions de présentation de la production éditoriale, Service du Document et des Échanges des Bibliothèques de la Ville de Paris, 26 avril, 5 et 19 juillet 2007.">28</a> &raquo;. La sp&eacute;cialiste d&eacute;j&agrave; cit&eacute;e, qui coordonne le guide, met &agrave; cet &eacute;gard sur le m&ecirc;me plan le roman policier et les autres romans, &eacute;cartant ainsi l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un genre vite &eacute;crit sans int&eacute;r&ecirc;t litt&eacute;raire&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Vous avez des romans de litt&eacute;rature g&eacute;n&eacute;rale qui sont &eacute;crits avec les pieds et vous avez des polars qui sont &eacute;crits avec les pieds. C&rsquo;est le style des gens, mais il ne faut surtout pas croire&hellip; et d&rsquo;ailleurs la preuve a &eacute;t&eacute; faite que [le polar] c&rsquo;est un genre litt&eacute;raire qui n&rsquo;est pas facile &agrave; &eacute;crire, puisqu&rsquo;il y a une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es le Mercure de France avait lanc&eacute; une collection de polars &eacute;crits par des grands &eacute;crivains&nbsp;: c&rsquo;&eacute;tait pitoyable ! Ce n&rsquo;est pas du tout un genre facile &agrave; ma&icirc;triser. [Extrait du m&ecirc;me entretien] </em></q></p> <p>D&rsquo;autre part, les critiques&nbsp;tendent &agrave; auctorialiser, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; rapporter chaque titre singulier &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;un auteur, c&rsquo;est-&agrave;-dire aux autres livres pr&eacute;c&eacute;demment publi&eacute;s par celui-ci, ou au style de celui-ci, &agrave; sa &laquo;&nbsp;patte&nbsp;&raquo;, qui est aussi le fondement de son auctorialit&eacute;<a href="#nbp29" id="footnoteref29_ncgbb4k" name="liennbp29" title="Voir Cécile Rabot, « Le rapport des bibliothécaires de lecture publique aux auteurs », Sociologie, n°4, 2012, p. 359‑376.">29</a>. Telle critique publi&eacute;e dans <em>Les Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e </em>&eacute;voque ainsi les qualit&eacute;s d&rsquo;un auteur, au-del&agrave; du titre particulier qui fait l&rsquo;objet de la notice<a href="#nbp30" id="footnoteref30_rkmug23" name="liennbp30" title="Tous les extraits de critiques sont tirés du volume 16 des Crimes de l’année. Les nombres entre crochets indiquent le numéro de la critique dans la guide.">30</a> :</p> <p><q><em>&nbsp;Ken Bruen inaugure ici une s&eacute;rie d&rsquo;une noirceur qui ne le c&egrave;de en rien &agrave; ses pr&eacute;c&eacute;dents titres. Les m&ecirc;mes qualit&eacute;s sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre, du style incisif &agrave; l&rsquo;humour f&eacute;roce, de la narration rythm&eacute;e par des chapitres courts aux multiples r&eacute;f&eacute;rences &agrave; Ed McBain, Robin Cook ou Francis Bacon. [4616] </em></q></p> <p>De mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale, les analyses produites sur les textes s&eacute;lectionn&eacute;s inscrivent les titres dans un univers culturel et, par le jeu des r&eacute;f&eacute;rences, notamment cin&eacute;matographiques ou intertextuelles, participent &agrave; la construction de l&rsquo;histoire du genre. Telle autre critique, tout en d&eacute;crivant l&rsquo;ouvrage cit&eacute; d&rsquo;un point de vue litt&eacute;raire, &eacute;tablit ainsi une filiation avec les films de Michel Audiard&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Philippe Colin-Olivier dresse ici une savoureuse galerie de portraits. Son style est fleuri et donne &agrave; ce titre une atmosph&egrave;re &agrave; la Audiard, digne des Barbouzes ou des Tontons flingueurs. Des dialogues truculents et d&rsquo;&eacute;clatants rebondissements font de ce polar, &agrave; la limite du pastiche, une fort agr&eacute;able lecture. [4635] </em></q></p> <p>D&rsquo;autres critiques &eacute;voquant un &laquo;&nbsp;Sherlock Holmes chinois&nbsp;&raquo;, un &laquo;&nbsp;nouveau James Bond&nbsp;&raquo;, un &laquo;&nbsp;d&eacute;cor qui n&rsquo;est pas sans rappeler celui des <em>Dix Petits N&egrave;gres</em>&nbsp;&raquo; constituent Arthur Conan Doyle, Ian Fleming et Agatha Christie en r&eacute;f&eacute;rences partag&eacute;es. Ce travail de patrimonialisation trouve d&rsquo;ailleurs son prolongement dans l&rsquo;achat, par un certain nombre de biblioth&egrave;ques parisiennes, des &oelig;uvres compl&egrave;tes des auteurs qui ont marqu&eacute; l&rsquo;histoire du genre et que publient notamment les &eacute;ditions Robert Laffont ou Omnibus. On y trouve par exemple Arthur Conan Doyle, Boileau-Narcejac, Gaston Leroux, L&eacute;o Malet, Ian Fleming, Georges Simenon, Maurice Leblanc, Ed McBain et Elizabeth George.</p> <p>D&rsquo;autres critiques s&rsquo;appuient sur une comparaison avec des auteurs moins patrimonialis&eacute;s, mais qui constituent des r&eacute;f&eacute;rences pour les sp&eacute;cialistes, et que la citation participe &agrave; constituer en r&eacute;f&eacute;rences. C&rsquo;est notamment le cas de John Harvey, Ian Rankin, Donald Westlake, Carl Hiaasen ou Christopher Moore dans les extraits de critiques suivants&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Suite d&rsquo;une s&eacute;rie d&rsquo;une extr&ecirc;me gravit&eacute; et d&rsquo;une grande sensibilit&eacute;, consacr&eacute;e &agrave; un groupe de policiers &agrave; la personnalit&eacute; attachante et surtout &agrave; une ville dont la sociologie s&rsquo;est profond&eacute;ment modifi&eacute;e au cours des derni&egrave;res d&eacute;cennies. On y retrouve le mal-&ecirc;tre qu&rsquo;illustrent si bien des John Harvey ou Ian Rankin. Graham Hurley se pose comme leur &eacute;gal et m&eacute;rite toute notre attention. [4710] </em></q></p> <p><q><em>&nbsp;Consid&eacute;r&eacute; par la critique comme l&rsquo;&eacute;quivalent australien d&rsquo;un Donald Westlake ou d&rsquo;un Carl Hiaasen, Shane Maloney adopte un ton beaucoup plus grave que dans ses romans pr&eacute;c&eacute;dents m&ecirc;me s&rsquo;il d&eacute;veloppe, avec talent et humour noir, le th&egrave;me du trafic des esp&egrave;ces prot&eacute;g&eacute;es et m&egrave;ne une charge l&eacute;g&egrave;re contre le syst&egrave;me politique australien qui constitue ordinairement sa principale cible. [4738] </em></q></p> <p><q><em>&nbsp;Un roman exceptionnel, d&rsquo;une tr&egrave;s grande dr&ocirc;lerie, qui pointe les travers les plus flagrants de la soci&eacute;t&eacute; am&eacute;ricaine. M&ecirc;me s&rsquo;il est impossible de r&eacute;sumer en quelques lignes les p&eacute;rip&eacute;ties innombrables du r&eacute;cit, on pense immanquablement &agrave; Carl Hiaasen en lisant Tim Dorsey, la dimension &eacute;cologique en moins. [4662] </em></q></p> <p><q><em>&nbsp;Franco Mimmi propose ici une lecture tr&egrave;s personnelle du Nouveau Testament qui, sous sa plume, devient une sorte d&rsquo;&eacute;trange roman d&rsquo;espionnage. Sa d&eacute;marche n&rsquo;est pas sans rappeler celle de Christopher Moore dans son roman intitul&eacute; L&rsquo;Agneau, la dimension parodique en moins. [4753] </em></q></p> <p>Les notices critiques participent non seulement &agrave; litt&eacute;rariser le roman policier par ces diff&eacute;rents moyens mais aussi &agrave; mettre en avant son int&eacute;r&ecirc;t cognitif. Le polar appara&icirc;t ainsi comme un des genres particuli&egrave;rement capables d&rsquo;instruire tout en divertissant, de procurer non seulement du plaisir (et peut-&ecirc;tre le go&ucirc;t de lire) mais aussi des savoirs et des horizons nouveaux. Les critiques mettent en avant non seulement un plaisir de la lecture qui repose sur l&rsquo;&eacute;vasion dans d&rsquo;autres univers et le jeu sur les &eacute;motions, notamment la peur, et sur la structure de l&rsquo;intrigue et sa capacit&eacute; &agrave; tenir en haleine mais elles soulignent aussi la capacit&eacute; didactique du genre, en mentionnant les diff&eacute;rents types de savoirs, historiques, sociologiques, psychologiques, qu&rsquo;il est susceptible de procurer. Par exemple, des ouvrages de la collection de polars historiques &laquo;&nbsp;Grands d&eacute;tectives&nbsp;&raquo; des &eacute;ditions 10/18, notamment ceux de Paul Doherty, sont valoris&eacute;s pour leur capacit&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;d&eacute;peindre les coulisses d&rsquo;une civilisation [avec] un souci d&rsquo;exactitude et une parfaite ma&icirc;trise de la psychologie de personnages&nbsp;&raquo; [4661] ou &agrave; &laquo;&nbsp;dresse[r] le portrait tr&egrave;s convaincant d&rsquo;une figure historique complexe&nbsp;&raquo; [4660]. Le roman policier est surtout pr&eacute;sent&eacute; comme une peinture de certains aspects du monde social dont le lecteur n&rsquo;a pas l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;elle. La biblioth&eacute;caire sp&eacute;cialiste d&eacute;j&agrave; cit&eacute;e met en avant cette dimension du roman policier comme un de ses int&eacute;r&ecirc;ts majeurs&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;C&rsquo;est vraiment le genre litt&eacute;raire qui m&rsquo;int&eacute;resse le plus pour ce que &ccedil;a v&eacute;hicule de bien et de pas bien d&rsquo;ailleurs. Je ne parle pas des crimes qui sont commis, hein, &ccedil;a c&rsquo;est totalement accessoire, mais de la soci&eacute;t&eacute; qu&rsquo;elle repr&eacute;sente, qui est int&eacute;ressante et qui m&rsquo;int&eacute;resse, qui fait que c&rsquo;est cette litt&eacute;rature-l&agrave; que je privil&eacute;gie sur n&rsquo;importe quoi d&rsquo;autre. [Extrait d&rsquo;un entretien men&eacute; le 3 ao&ucirc;t 2007] </em></q></p> <p>Cette dimension du roman policier ressort des critiques &eacute;crites au sujet des ouvrages s&eacute;lectionn&eacute;s pour les <em>Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e&nbsp;</em>: tel ouvrage, par exemple, &laquo;&nbsp;oscille entre roman noir et observation sociologique&nbsp;&raquo; [4763], tel autre &laquo;&nbsp;offre une vision du Japon traditionnel tout &agrave; fait exceptionnelle&nbsp;&raquo; [4768] ou &laquo;&nbsp;une vision &eacute;clair&eacute;e de l&rsquo;Italie contemporaine&nbsp;&raquo; [4652]. Dans un quatri&egrave;me, &laquo;&nbsp;le lecteur d&eacute;couvre avec int&eacute;r&ecirc;t les m&eacute;andres d&rsquo;une politique m&eacute;connue&nbsp;&raquo; au Laos [4643], tandis qu&rsquo;un cinqui&egrave;me &laquo;&nbsp;offre une vision extr&ecirc;mement subtile de Hambourg &raquo; [4804].</p> <p>Tel qu&rsquo;il est pr&eacute;sent&eacute; dans les critiques, le roman policier appara&icirc;t ainsi comme un moyen d&rsquo;apporter des savoirs en m&ecirc;me temps que le plaisir des histoires, donc de remplir simultan&eacute;ment les deux fonctions que la biblioth&egrave;que de lecture publique essaie de tenir ensemble, et qui font son identit&eacute;, &agrave; savoir divertir et instruire. Les biblioth&egrave;ques de lecture publique sont en effet d&eacute;finies par une mission d&rsquo;acc&egrave;s au savoir, qui les rapproche de l&rsquo;&eacute;cole, mais cherchent par cons&eacute;quent aussi &agrave; se d&eacute;marquer de l&rsquo;institution scolaire, en invoquant la libert&eacute; de l&rsquo;usager et son plaisir. Une division du travail entre deux institutions et deux professions qui se partagent un m&ecirc;me domaine d&rsquo;expertise<a href="#nbp31" id="footnoteref31_glm9xg0" name="liennbp31" title="Voir Andrew D. Abbott, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago(Ill.) London: the University of Chicago press, 1988.">31</a> conduit les biblioth&eacute;caires &agrave; favoriser des moyens de transmettre des savoirs de fa&ccedil;on agr&eacute;able ou ludique, dans l&rsquo;optique de toucher des parties de la population qui n&rsquo;ont pas d&rsquo;app&eacute;tence pour les apprentissages scolaires les plus aust&egrave;res. Captivant et facile &agrave; lire tout en transmettant des connaissances, le roman policier appara&icirc;t, au moins dans sa partie cultiv&eacute;e, comme particuli&egrave;rement adapt&eacute; &agrave; cet enjeu de d&eacute;mocratisation culturelle et &agrave; une &laquo;&nbsp;bonne volont&eacute; culturelle&nbsp;&raquo; qui ne se tourne pas seulement vers les &oelig;uvres les plus l&eacute;gitimes<a href="#nbp32" id="footnoteref32_pibm0ye" name="liennbp32" title="Voir Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.">32</a>, mais cherche tous azimuts les bribes d&rsquo;une culture g&eacute;n&eacute;rale et pr&eacute;side &agrave; ce que G&eacute;rard Mauger et Claude Poliak ont identifi&eacute;, parmi les usages sociaux de la lecture ordinaire, comme la &laquo;&nbsp;lecture didactique&nbsp;&raquo;.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Le roman policier constitue ainsi un cas exemplaire de genre litt&eacute;raire dont la l&eacute;gitimation passe par une institutionnalisation sur la base d&rsquo;un jeu d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts crois&eacute;s&nbsp;: tout en manifestant &agrave; l&rsquo;&eacute;gard du policier une attitude parfois ambigu&euml;, qui est le signe du caract&egrave;re encore inachev&eacute; de sa l&eacute;gitimation, une institution, en l&rsquo;occurrence la biblioth&egrave;que, participe &agrave; l&eacute;gitimer le genre policier en &eacute;tablissant en son sein des hi&eacute;rarchies et en l&rsquo;&eacute;rigeant en objet d&rsquo;&eacute;tude et de plaisir esth&eacute;tique et en outil cognitif. Elle se l&rsquo;approprie aussi parce qu&rsquo;elle trouve des int&eacute;r&ecirc;ts &agrave; se saisir d&rsquo;un genre, qui lui permet &agrave; la fois de r&eacute;pondre &agrave; une large demande, d&rsquo;accro&icirc;tre ses taux de pr&ecirc;ts et, plus profond&eacute;ment, de remplir sa mission de transmission de savoirs dans une logique de &laquo;&nbsp;lecture plaisir&nbsp;&raquo; pour tous et de division du travail avec une institution scolaire contre laquelle elle s&rsquo;est construite.</p> <p>Si la l&eacute;gitimation du genre passe donc ici par le travail d&rsquo;une institution, qui lui accorde dans l&rsquo;ensemble une place relativement privil&eacute;gi&eacute;e, elle se fait en r&eacute;alit&eacute; sous l&rsquo;&eacute;gide d&rsquo;un groupe de professionnels. Toute une partie des biblioth&eacute;caires tiennent en effet toujours le polar dans une relative indiff&eacute;rence, notamment ceux qui constituent le p&ocirc;le, minoritaire en lecture publique, attach&eacute; &agrave; la conservation ou la valorisation du patrimoine, mais aussi ceux qui revendiquent une identit&eacute; plus litt&eacute;raire, qui les conduit &agrave; miser plut&ocirc;t sur la litt&eacute;rature g&eacute;n&eacute;rale, la po&eacute;sie ou le th&eacute;&acirc;tre contemporain, tandis que d&rsquo;autres encore misent moins sur les collections que sur les services que la biblioth&egrave;que peut proposer &agrave; ses usagers. Les biblioth&eacute;caires qui s&rsquo;investissent dans le polar et participent &agrave; sa l&eacute;gitimation constituent donc un segment du groupe professionnel qui trouve un int&eacute;r&ecirc;t &agrave; investir dans le genre. Celui-ci leur permet en effet de construire une identit&eacute; professionnelle de producteurs de valeur litt&eacute;raire, mais d&rsquo;une mani&egrave;re d&rsquo;autant plus acceptable pour l&rsquo;institution qu&rsquo;elle est rentable pour elle.</p> <p>La l&eacute;gitimation repose ainsi sur un syst&egrave;me d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts convergents&nbsp;entre un genre, qui gagne en l&eacute;gitimit&eacute; (comme l&rsquo;ont bien compris les &eacute;diteurs qui acceptent de collaborer avec les biblioth&egrave;ques, par exemple en envoyant des livres en service de presse), une institution, qui trouve ici un moyen d&rsquo;atteindre ses objectifs (pr&ecirc;ter des documents, diffuser du loisir instructif) et un segment de groupe professionnel qui y trouve un espace de construction identitaire (du c&ocirc;t&eacute; des collections et de la production de valeur litt&eacute;raire).</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>(CESSP, Universit&eacute; Paris Nanterre)</em></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <ul> </ul> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Pierre Bourdieu, &laquo;&nbsp;Le champ litt&eacute;raire&nbsp;&raquo;, <em>Actes de la recherche en sciences sociales</em> n&deg; 89, 1991, p. 3‑46.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Annie Collovald, &Eacute;rik Neveu, <em>Lire le noir : enqu&ecirc;te sur les lecteurs de r&eacute;cits policiers</em>, Paris, Biblioth&egrave;que publique d&rsquo;information, Centre Pompidou, 2004.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Mich&egrave;le Witta, biblioth&eacute;caire &agrave; la Bilipo, &eacute;voquait ainsi la p&eacute;riode des ann&eacute;es 1970 o&ugrave; &laquo;&nbsp;le genre policier &eacute;tait ignor&eacute; ou d&eacute;consid&eacute;r&eacute; parmi les fonctionnaires en place. Il &eacute;tait courant &agrave; cette &eacute;poque d&rsquo;accepter des dons d&rsquo;ouvrages policiers et de les mettre &agrave; la disposition du public dans des cartons ouverts au pied des banques de pr&ecirc;t. Le lecteur inscrit pouvait emprunter deux ou trois ouvrages inscrits sur sa carte et piocher dans le carton quelques livres au format de poche puisque c&rsquo;est ainsi que se pr&eacute;sentaient les principales collections de l&rsquo;&eacute;poque. Ces emprunts sauvages n&rsquo;&eacute;taient pas contr&ocirc;l&eacute;s et certains titres importants sinon mythiques n&rsquo;&eacute;taient jamais int&eacute;gr&eacute;s aux collections des biblioth&egrave;ques.&nbsp;&raquo; dans &laquo;&nbsp;La BILIPO, biblioth&egrave;que des litt&eacute;ratures polici&egrave;res&nbsp;&raquo;, interview de Mich&egrave;le Witta biblioth&eacute;caire &agrave; la Bilipo men&eacute;e par Alain le Flohic, <em>Savoirs CDI</em>, novembre 2004, <a href="https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/metier/les-autres-professionnels-de-la-documentation-et-de-linformation/la-bilipo-bibliotheque-des-litteratures-policieres.html">https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/metier/les-autres-professionnels-de-la-documentation-et-de-linformation/la-bilipo-bibliotheque-des-litteratures-policieres.html</a>, site consult&eacute; le 30 juin 2016.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Il correspond donc &agrave; un renouvellement de la mani&egrave;re de concevoir la d&eacute;mocratisation culturelle, non plus comme simple mise &agrave; disposition des &oelig;uvres les plus l&eacute;gitimes mais comme ensemble de m&eacute;diations appuy&eacute;es sur des corpus &eacute;largis. Voir Vincent Dubois, <em>La Politique culturelle. Gen&egrave;se d&rsquo;une cat&eacute;gorie d&rsquo;intervention publique</em>, Paris, Belin, 2000.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Dominique Lahary, &laquo;&nbsp;Pour une biblioth&egrave;que polyvalente&nbsp;: &agrave; propos des <em>best-sellers</em> en biblioth&egrave;que publique&nbsp;&raquo;, Bulletin d&rsquo;information de l&rsquo;Association des Biblioth&eacute;caires Fran&ccedil;ais, n&deg;189, 2000, p.&nbsp;98. [<a href="http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/revues/afficher-46645">http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/revues/afficher-46645</a>]</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Annie B&eacute;thery, <em>Abr&eacute;g&eacute; de la classification d&eacute;cimale de Dewey / </em>nouv. &eacute;d., Paris, &Eacute;ditions du Cercle de la librairie, 1998, p.&nbsp;35.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> Voir C&eacute;cile Rabot, <em>La Construction de la visibilit&eacute; litt&eacute;raire en biblioth&egrave;que,</em> Villeurbanne, Presses de l&rsquo;ENSSIB, 2015.</p> <p><a href="#liennnbp8" name="nbp8">8</a> Lo&iuml;c Artiaga, <em>Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle,</em> Limoges, PULIM, 2007.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Voir Claude Lafarge, <em>La Valeur litt&eacute;raire. Figuration litt&eacute;raire et usages sociaux des fictions</em>, Paris, Fayard, 1983.</p> <p><a href="#liennnbp10" name="nbp10">10</a> Voir Fanny Renard, <em>Les Lyc&eacute;ens et la lecture. Entre habitudes et sollicitations</em>, Rennes, PUR, 2011.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Voir G&eacute;rard Mauger et Claude Poliak, &laquo;&nbsp;Les usages sociaux de la lecture&nbsp;&raquo;, <em>Actes de la recherche en sciences sociales</em>, n<sup>o</sup>123, 1998, p. 3‑24.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Richard Hoggart, <em>La Culture du pauvre. &Eacute;tude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, </em>Paris, Minuit, 1970.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Sur cette question, voir par exemple Maurice Godelier, <em>L&rsquo;Imaginaire, l&rsquo;imagin&eacute; et le symbolique</em>, Paris, CNRS &Eacute;ditions, 2015.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a> Sur cette articulation entre valeur symbolique et valeur d&rsquo;usage des livres et son effet sur les modes de classement et de valorisation, voir G&eacute;rard Mauger, Claude Poliak, et Bernard Pudal, <em>Histoires de lecteurs, </em>Bellecombe-en-Bauges, &Eacute;ditions du Croquant, 2010.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> La notion de taux de rotation, d&eacute;finie comme le nombre d&rsquo;emprunts annuel d&rsquo;un ouvrage, est dans les biblioth&egrave;ques de pr&ecirc;t un indicateur statistique important qui sert notamment de base au d&eacute;sherbage, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; l&rsquo;actualisation des collections par &eacute;limination des ouvrages tr&egrave;s peu emprunt&eacute;s.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Voir Isabelle Bruno, Emmanuel Didier, <em>Benchmarking. L&rsquo;&Eacute;tat sous pression statistique</em>, Paris, Zones, 2013.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Voir Hans Robert Jauss, <em>Pour une esth&eacute;tique de la r&eacute;ception</em>, traduit par Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1978.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> Les expressions cit&eacute;es ici entre guillemets ont &eacute;t&eacute; entendues dans des r&eacute;unions de r&eacute;seaux observ&eacute;es en mai 2008.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Alain le Flohic, <em>art.cit.</em></p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Il s&rsquo;agit en r&eacute;alit&eacute; des <em>Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e</em>. La confusion dans l&rsquo;intitul&eacute; est significative d&rsquo;un rapport assez distanci&eacute; &agrave; l&rsquo;objet et, plus largement, &agrave; la litt&eacute;rature polici&egrave;re.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Les biblioth&egrave;ques d&eacute;partementales de pr&ecirc;t sont des &eacute;tablissements d&eacute;pendant des conseils d&eacute;partementaux et destin&eacute;s &agrave; d&eacute;velopper l&rsquo;offre de lecture publique sur l&rsquo;ensemble du territoire, notamment dans les espaces ruraux et les petites villes.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Voir C&eacute;cile Rabot, &laquo;&nbsp;Les mordus du polar&nbsp;: prix d&rsquo;adolescents ou de biblioth&eacute;caires&nbsp;?&nbsp;&raquo;, <em>Lecture jeune</em>, n&deg;&nbsp;147, 2013, p.&nbsp;17-22.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> Source&nbsp;: donn&eacute;es internes communiqu&eacute;es par le Service du Document et des &Eacute;changes des biblioth&egrave;ques de la Ville de Paris.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Sur les 2003 titres inscrits en 2005-2006 sur les listes de propositions d&rsquo;acquisition de fiction envoy&eacute;es aux biblioth&egrave;ques du r&eacute;seau parisien, 232 (soit 11,6%) sont des romans policiers.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Ana&iuml;s Bokobza a ainsi montr&eacute; comment la traduction a particip&eacute; &agrave; la l&eacute;gitimation du roman policier, notamment parce qu&rsquo;elle porte sur un corpus choisi et donc repose sur une s&eacute;lection. Voir Ana&iuml;s Bokobza, &laquo;&nbsp;L&eacute;gitimation d&rsquo;un genre&nbsp;: la traduction des polars&nbsp;&raquo;, dans Gis&egrave;le Sapiro (dir.), <em>Translatio. Le march&eacute; de la traduction en France &agrave; l&rsquo;heure de la mondialisation</em>, Paris, CNRS Editions, 2008, p. 287-306.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Patrick Parmentier, &laquo;&nbsp;Les genres et leurs lecteurs&nbsp;&raquo;, <em>Revue fran&ccedil;aise de sociologie</em> 27, n<sup>o</sup> 3, 1986, p. 397‑430.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> Voir &agrave; ce sujet Pascale Casanova, &laquo;&nbsp;Cons&eacute;cration et accumulation de capital litt&eacute;raire : la traduction comme &eacute;change in&eacute;gal&nbsp;&raquo;, <em>Actes de la recherche en sciences sociales,</em> n<sup>o</sup>144, 2002, p. 7‑20.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a> Source&nbsp;: observation participante dans des r&eacute;unions de pr&eacute;sentation de la production &eacute;ditoriale, Service du Document et des &Eacute;changes des Biblioth&egrave;ques de la Ville de Paris, 26 avril, 5 et 19 juillet 2007.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Voir C&eacute;cile Rabot, &laquo;&nbsp;Le rapport des biblioth&eacute;caires de lecture publique aux auteurs&nbsp;&raquo;, <em>Sociologie</em>, n&deg;4, 2012, p. 359‑376.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Tous les extraits de critiques sont tir&eacute;s du volume 16 des <em>Crimes de l&rsquo;ann&eacute;e</em>. Les nombres entre crochets indiquent le num&eacute;ro de la critique dans la guide.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Voir Andrew D. Abbott, <em>The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor</em>, Chicago(Ill.) London: the University of Chicago press, 1988.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> Voir Pierre Bourdieu, <em>La Distinction. Critique sociale du jugement</em>, Paris, Minuit, 1979.</p>