<p>Depuis sa fondation en 1648 l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture juge sup&eacute;rieure &agrave; toute autre peinture la repr&eacute;sentation de sujets historiques, mythologiques ou religieux. En 1667, dans la pr&eacute;face des <em>Conf&eacute;rences</em>, F&eacute;libien d&eacute;finit le grand peintre comme celui qui parvient &agrave; m&ecirc;ler l&rsquo;histoire et la fable : &laquo; il faut repr&eacute;senter les grandes actions comme les Historiens, ou des sujets agr&eacute;ables comme les Po&euml;tes<a href="#nbp1" id="footnoteref1_6l8y3cg" name="liennbp1" title="André Félibien, Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, pendant l’année 1667, Paris, F. Léonard, 1668, n. p. (Préface).">1</a> &raquo;. La peinture d&rsquo;histoire, aur&eacute;ol&eacute;e de prestige, a pour obligation de r&eacute;pondre &agrave; trois pr&eacute;ceptes <em>placere, movere, docere</em>, mais au XVIII<sup>e </sup>si&egrave;cle s&rsquo;amorce un d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t pour les tableaux qui mettent en sc&egrave;ne les grandes actions. D&rsquo;une part, l&rsquo;&eacute;volution des savoirs laisse de plus en plus de place aux sciences, au d&eacute;triment des humanit&eacute;s, et conduit progressivement &agrave; la m&eacute;connaissance des mythes antiques<a href="#nbp2" id="footnoteref2_ot734yh" name="liennbp2" title="Chantal Grell, Le Dix-Huitième Siècle et l’Antiquité en France, 1680-1789, Paris, Voltaire Foundation Oxford, 1995, p. 36-37. Les mathématiques prennent de plus en plus de place dans l’enseignement notamment chez les oratoriens.">2</a>. D&rsquo;autre part, le public qui fr&eacute;quente, d&egrave;s 1737, les Salons au Louvre est de moins en moins r&eacute;ceptif aux grands sujets historiques. A cela, il faut ajouter pour les peintres l&rsquo;&eacute;rosion des commandes royales prestigieuses. Ces contraintes obligent l&rsquo;artiste &agrave; modifier ses th&egrave;mes mais aussi &agrave; limiter les genres. Le sujet qui se pr&ecirc;te le mieux &agrave; cette hybridation des genres est celui qui &eacute;tait jusqu&rsquo;alors consid&eacute;r&eacute; comme le plus noble, &agrave; savoir l&rsquo;all&eacute;gorie<a href="#nbp3" id="footnoteref3_zf9z8ub" name="liennbp3" title="Virginie Bar, La peinture allégorique au grand siècle, Dijon, Faton, 2003, p. 15. « Pour ces nobles motifs, les représentations de type allégorique étaient au sommet de la hiérarchie des genres, concept si cher aux théoriciens du Grand Siècle ».">3</a>. Dans ce renouvellement des arts les femmes veulent tenir un r&ocirc;le, d&rsquo;autant plus qu&rsquo;elles sont exclues du programme th&eacute;orique de l&rsquo;Acad&eacute;mie et par l&agrave; m&ecirc;me de la peinture d&rsquo;histoire puisqu&rsquo;elles ne poss&egrave;dent pas les rudiments anatomiques.</p> <p>Quelle strat&eacute;gie les acad&eacute;miciennes mettent-elles en place pour contourner les barri&egrave;res sociales et th&eacute;oriques&nbsp;? Comment parviennent-elles &agrave; s&rsquo;inscrire dans la peinture d&rsquo;histoire&nbsp;?</p> <p>La r&eacute;appropriation de la sc&egrave;ne artistique par les femmes sera abord&eacute;e dans une premi&egrave;re partie, puis nous analyserons dans une seconde partie, la strat&eacute;gie mise en place pour s&rsquo;imposer dans la peinture mythologique.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>1. R&eacute;investir la sc&egrave;ne artistique pour abolir les barri&egrave;res sociales et th&eacute;oriques</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>D&egrave;s 1667, l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et sculpture met en place pour les acad&eacute;miciens, des Conf&eacute;rences mensuelles qui permettent de pr&eacute;senter un tableau jug&eacute; remarquable pour sa qualit&eacute; technique et sa composition. Ce commentaire d&rsquo;&oelig;uvre est confi&eacute; &agrave; un professeur qui s&rsquo;appuie sur une &oelig;uvre conserv&eacute;e dans le cabinet du roi. Cette formation th&eacute;orique doit contribuer &agrave; hisser les peintres au rang d&rsquo;intellectuels. Cette volont&eacute; d&rsquo;&eacute;l&eacute;vation des arts passe &eacute;galement par la r&eacute;daction d&rsquo;ouvrages th&eacute;oriques dont les auteurs sont Andr&eacute; F&eacute;libien, Abraham Bosse, Charles-Alphonse Dufresnoy, Roger de Piles ou Charles Perrault. Paris devient alors le premier foyer artistique d&rsquo;Europe, mais les sept femmes admises depuis 1663 au sein de l&rsquo;Acad&eacute;mie sont exclues de cet enseignement th&eacute;orique, leur reconnaissance &eacute;tant purement honorifique.</p> <p>&nbsp;</p> <h3><em><strong>1.1. Les all&eacute;gories galantes de Rosalba Carriera</strong></em></h3> <p>Rosalba Carriera, n&eacute;e &agrave; Venise en octobre 1685, se passionne tr&egrave;s t&ocirc;t pour les arts. En mars 1720, l&rsquo;arriv&eacute;e en France de cette femme peintre v&eacute;nitienne va &ecirc;tre d&eacute;terminante. L&rsquo;invitation &agrave; Paris de la pastelliste par le financier et m&eacute;c&egrave;ne Pierre Crozat ne vient pas simplement confirmer une renomm&eacute;e internationale, elle avait &eacute;t&eacute; notamment admise &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie de Rome, mais ob&eacute;it aussi &agrave; une strat&eacute;gie politique savamment organis&eacute;e par l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de Paris. Lors de son bref s&eacute;jour dans la capitale, entre 1720 et 1721, la v&eacute;nitienne est h&eacute;berg&eacute;e rue de Richelieu par le financier. Cet homme influent l&rsquo;am&egrave;ne visiter les lieux embl&eacute;matiques, le six juin 1720, elle &eacute;crit dans son <em>Diario&nbsp;</em>: &laquo; je visitai la galerie du Roi et l&rsquo;Acad&eacute;mie Royale<a href="#nbp4" id="footnoteref4_8wa9bol" name="liennbp4" title="Rosalba Carriera, Diaro, Paris, Les Presses du réel, 1997 (1865), p. 8.">4</a> &raquo;. Le lendemain, elle fait la connaissance d&rsquo;un habitu&eacute; des concerts organis&eacute;s par Pierre Crozat, Antoine Coypel, directeur de l&rsquo;Acad&eacute;mie qui essaie d&rsquo;&eacute;tendre le prestige de l&rsquo;institution hors des fronti&egrave;res en admettant des membres &eacute;trangers comme les peintres italiens &agrave; l&rsquo;instar de Sebastiano Ricci et Antonio Pelligrini.</p> <p>Honorer le monarque<a href="#nbp5" id="footnoteref5_lc4s3ju" name="liennbp5" title="Elle donne un portrait de Louis XV comme morceau de réception. Rosalba Carriera, Portrait de Louis XIV enfant (1720), pastel sur papier, 50,5 x 38,5 cm, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, inv. n° 363.">5</a> et renforcer l&rsquo;ambition internationale<a href="#nbp6" id="footnoteref6_3q5ael4" name="liennbp6" title="Le procès-verbal de son admission met en valeur ses reconnaissances institutionnelles à l’étranger. Les trois plus célèbres Académies d’Italie, Rome, Florence et Bologne l’ont comptée dans leur rang. Voir Anatole de Montaiglon, Procès-verbaux de l’Académie Royale de peinture et de sculpture (1648-1793), publiés pour la Société de l’Histoire de l’Art Français d’après les registres originaux conservés à l’École des Beaux-Arts, Paris, J. Baur, tome IV , p. 302-303.">6</a> de l&rsquo;Acad&eacute;mie, Rosalba Carriera remplit les crit&egrave;res exig&eacute;s, c&rsquo;est la candidate r&ecirc;v&eacute;e. De plus ses pastels savent parfaitement s&rsquo;adapter &agrave; la mode du temps en mettant en sc&egrave;ne des jeunes filles tr&egrave;s sensuelles qui correspondent &agrave; l&rsquo;iconographie galante de ce d&eacute;but du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle. Le triomphe de ces sujets o&ugrave; les attributs des saisons, des &eacute;l&eacute;ments, des arts ou encore des sens sont repr&eacute;sent&eacute;s, ne se d&eacute;ment pas. Les peintres Fran&ccedil;ois Boucher ou Antoine Watteau, dont elle fait la connaissance chez Pierre Crozat, repr&eacute;sentent les m&ecirc;mes sujets.</p> <p>Le catalogue raisonn&eacute; de Rosalba Carriera, &eacute;tabli par Bernadina Sani, recense pas moins de cinquante all&eacute;gories pour l&rsquo;ensemble de sa carri&egrave;re. Apr&egrave;s son apprentissage c&rsquo;est principalement sur des miniatures en ivoire que ces jeunes femmes aux divers attributs sont fix&eacute;es. Les sujets sont divers et vari&eacute;s mais ob&eacute;issent toujours &agrave; un style tr&egrave;s semblable o&ugrave; habituellement les figures occupent l&rsquo;espace individuellement, except&eacute; cette <em>All&eacute;gorie de la Musique</em>, r&eacute;alis&eacute;e en 1719.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Alle%CC%81gorie_musique.png" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Rosalba Carriera, <em>All&eacute;gorie de la musique</em> (1719), miniature sur ivoire, 10 x 10 cm, Paris, mus&eacute;e du Louvre, inv. 4801.</p> </figcaption> </figure> <p>Dans ce tondo, trois personnes &eacute;voluent dans un int&eacute;rieur bourgeois, une femme joue du clavecin, &agrave; ses c&ocirc;t&eacute;s un homme souffle dans une clarinette et un <em>putti</em>, all&eacute;gorie de l&rsquo;Amour coordonne le jeu des deux instrumentistes. Cette miniature annonce d&eacute;j&agrave; l&rsquo;all&eacute;gorie de <em>La Musique</em> de Boucher<a href="#nbp7" id="footnoteref7_yeremg2" name="liennbp7" title="Étienne Jollet, « La peinture et l’histoire. Problèmes de poétique figurative au temps de Madame de Pompadour », Philippe Le Leyzour, La volupté du goût, Paris, 2008, p. 81.">7</a>, peinte en 1740, qui selon &Eacute;tienne Jollet symbolise les formes d&eacute;pr&eacute;ciatives de l&rsquo;hybridation du genre qui reposent en partie sur le recours aux <em>putti</em><a href="#nbp8" id="footnoteref8_ht682ut" name="liennbp8" title="François Boucher (1703-1770), La Musique et la Danse (v. 1740), huile sur toile, 68,8 x 123,2 cm, Cleveland, Museum of Art, inv. 1948.182-181.">8</a>. De plus, chez Rosalba Carriera, la musicienne est &eacute;rotis&eacute;e par son d&eacute;shabill&eacute; qui dissimule &agrave; peine sa poitrine comme une invitation manifeste &agrave; la volupt&eacute;. Cette miniature a &eacute;t&eacute; command&eacute;e &agrave; la peintre par Pierre de Crozat qui en fit don &agrave; Anne de La Pierre d&rsquo;Argenon, cantatrice amateur et ni&egrave;ce du peintre Charles de La Fosse<a href="#nbp9" id="footnoteref9_duiyu3g" name="liennbp9" title="Toutain, V., 2003, p. 5.">9</a>. Le th&egrave;me des musiciens avait largement &eacute;t&eacute; d&eacute;velopp&eacute; par Le Caravage<a href="#nbp10" id="footnoteref10_galeokg" name="liennbp10" title="Le Caravage (1571–1610), Les Musiciens (v. 1595), huile sur toile, 92 x 118,5 cm, New York City, Metropolitan Museum of Art, inv. n° 52.81.">10</a> un si&egrave;cle plus t&ocirc;t, joignant d&eacute;j&agrave; amour et musique&nbsp;; si Rosalba Carriera n&rsquo;invente pas le sujet elle en donne par contre une interpr&eacute;tation personnelle qui s&rsquo;adapte au style R&eacute;gence. Les artistes associaient tr&egrave;s facilement peinture et musique, dans les deux formes d&rsquo;art l&rsquo;&eacute;motion &eacute;tait tr&egrave;s pr&eacute;sente.</p> <p>En 1720, lors de son s&eacute;jour parisien, la peintre v&eacute;nitienne pr&eacute;sente une s&eacute;rie de quatre tableaux associ&eacute;s chacun &agrave; une saison de l&rsquo;ann&eacute;e<a href="#nbp11" id="footnoteref11_p42p9ar" name="liennbp11" title="Pastel sur papier, 27 x 21 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.">11</a>. Le succ&egrave;s est immense&nbsp;; par la suite pour satisfaire sa client&egrave;le elle proposera de nombreuses variantes et copies de ces quatre pastels<a href="#nbp12" id="footnoteref12_tnb48h1" name="liennbp12" title="Bernadina Sani, Rosalba Carriera, 1673-1757 : maestra del pastello nell’Europa ancien régime, Turin, U. Allemandi &amp; c., 2007.">12</a>. Au XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, le succ&egrave;s d&rsquo;une &oelig;uvre se mesurait par rapport &agrave; ses copies. Cette premi&egrave;re version appartenait au baron Crozat de Thiers avant de rejoindre les collections de l&rsquo;Ermitage. Dans les quatre &oelig;uvres, les attributs des saisons sont parfaitement reconnaissables, le printemps est symbolis&eacute; par des roses, myosotis et fleurs de cerisier, puis vient l&rsquo;&eacute;t&eacute; avec les &eacute;pis de bl&eacute;, l&rsquo;automne avec les grappes de raisin et l&rsquo;hiver avec le manteau d&rsquo;hermine. La nature est alors c&eacute;l&eacute;br&eacute;e par les artistes qui en font un th&egrave;me de pr&eacute;dilection. Seule l&rsquo;all&eacute;gorie de l&rsquo;&eacute;t&eacute; est tourn&eacute;e de trois quarts vers la droite, les autres adoptant des poses similaires pivotent vers la gauche &eacute;tablissant ainsi un jeu de correspondance. La peintre a donn&eacute; beaucoup d&rsquo;importance &agrave; la gestuelle des femmes, les coloris sont clairs et harmonieux, les visages bienveillants ce qui contribuent &agrave; faire &eacute;maner une certaine douceur dans ces quatre portraits. Les teintes froides du <em>Printemps</em> et de <em>L&rsquo;&Eacute;t&eacute;</em> contrastent avec celles plus chaudes de <em>L&rsquo;Automne</em> et de <em>L&rsquo;Hiver</em>. Valentine Toutain souligne leur &laquo;&nbsp;coiffure tr&egrave;s fran&ccedil;aise avec les petites m&egrave;ches &agrave; la Fontange sur le front<a href="#nbp13" id="footnoteref13_slq0a43" name="liennbp13" title="Valentine Toutain, Le séjour parisien de Rosalba Carriera : 1720-1721, Mémoire de DEA : Histoire de l’art : Paris 4, 2003, p. 53.">13</a> &raquo;. Comme leurs pr&eacute;d&eacute;cesseurs les peintres du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle sont nombreux &agrave; s&rsquo;inspirer du cycle des saisons&nbsp;: Giuseppe Arcimboldo a largement consacr&eacute; son &oelig;uvre aux saisons, Marco Ricci, peintre v&eacute;nitien, s&rsquo;inscrira aussi dans cette tendance comme certains compositeurs &agrave; l&rsquo;exemple d&rsquo;Antonio Vivaldi.</p> <p>&nbsp;</p> <h3><em><strong>1.2. Les all&eacute;gories des arts et la personnification de l&rsquo;inspiration artistique : revendiquer le statut d&rsquo;artiste</strong></em></h3> <p>Sur le mod&egrave;le de l&rsquo;italienne Artemisia Gentileschi (1593-1654) qui avait r&eacute;alis&eacute; un<em> Autoportrait en all&eacute;gorie de la peinture</em><a href="#nbp14" id="footnoteref14_1s66ojk" name="liennbp14" title="Artemisia Gentileschi (1593-1654), Autoportrait en Allégorie de la peinture (1638-1639), huile sur toile, 97 x 84 cm, Windsor, collection royale.">14</a>, Rosalba Carriera propose, en 1720, une <em>All&eacute;gorie de la peinture</em> ce qui am&egrave;nera les historiens de l&rsquo;art &agrave; penser que la peintre v&eacute;nitienne avait eu recours au m&ecirc;me stratag&egrave;me en r&eacute;alit&eacute; les ambitions des deux femmes sont diff&eacute;rentes.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Carriera-Alle%CC%81gorie_peinture.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Rosalba Carriera, <em>All&eacute;gorie de la peinture</em> (1726), pastel sur papier, 45,1 x 35 cm, Washington, National Gallery of Art, coll. Kress.</p> </figcaption> </figure> <p>Chez Rosalba, comme chez la majorit&eacute; des peintres du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, l&rsquo;all&eacute;gorie de la peinture a rev&ecirc;tu des qualit&eacute;s esth&eacute;tiques tr&egrave;s recherch&eacute;es. C&rsquo;est une jeune femme souvent pleine de fra&icirc;cheur et de candeur qui fait face aux visiteurs. Les attributs ne correspondent plus &agrave; l&rsquo;<em>Iconologia</em> de Cesare Ripa<a href="#nbp15" id="footnoteref15_5jx7lsc" name="liennbp15" title="Virginie Bar, op. cit., 2003, p. 16. « L’Iconologie de Cesare Ripa, fut, à l’époque, le véhicule privilégié de cet intérêt pour le langage allégorique. ».">15</a>, ils sont rudimentaires&nbsp;: une palette, un pinceau et un chevalet. Un travail sur les compl&eacute;mentaires est r&eacute;alis&eacute; par la pastelliste, le bleu domine notamment au niveau de la tenue et de la coiffure et permet de faire ressortir les l&egrave;vres orang&eacute;es ainsi que les reflets roux dans les cheveux. Avec ce tr&egrave;s beau pastel, par le regard fuyant, un jeu de s&eacute;duction s&rsquo;engage avec le visiteur. Rosalba qui ma&icirc;trise aussi bien l&rsquo;huile que le pastel rend hommage &agrave; la peinture signifiant ainsi que le talent des femmes peintres ne se limite pas &agrave; une seule technique.</p> <p>En 1774, Elisabeth Vig&eacute;e est autoris&eacute;e &agrave; exposer au Salon de l&rsquo;Acad&eacute;mie de Saint Luc, son admission aura lieu deux mois plus tard. Pour l&rsquo;occasion, elle propose trois all&eacute;gories des arts. Sur chaque panneau est peinte une femme avec les &eacute;l&eacute;ments qui caract&eacute;risent la peinture, la musique et la po&eacute;sie. Seule L<em>&rsquo;All&eacute;gorie de la po&eacute;sie</em><a href="#nbp16" id="footnoteref16_5n3bhn6" name="liennbp16" title="Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), Allégorie de la poésie (1774), Huile sur toile, 80 x 65 cm, Collection particulière.">16</a> a pu &ecirc;tre retrouv&eacute;e, elle constituait vraisemblablement le panneau central de cet ensemble tripartite.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Alle%CC%81gorie-de-la-poe%CC%81sie.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun, <em>All&eacute;gorie de la po&eacute;sie</em> (1774), huile sur toile, 80 x 65 cm, Coll. particuli&egrave;re.</p> </figcaption> </figure> <p>Une jeune femme au corps robuste et &agrave; la peau laiteuse, tourn&eacute;e de profil vers la droite, fixe le ciel. Son coude gauche prend appui sur une colonne de pierre grise. Cette pose en diagonale est assimil&eacute;e par Joseph Baillio &agrave; la peinture baroque italienne et plus particuli&egrave;rement &agrave; Annibal Carrache<a href="#nbp17" id="footnoteref17_ep0djs2" name="liennbp17" title="Joseph Baillio, Xavier Salmon, Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Paris, Réunion des musées nationaux, 2015, p. 131.">17</a>. Son dos est d&eacute;v&ecirc;tu tandis que ses hanches sont recouvertes par un drap de soie blanche, dont les plis contribuent &agrave; dynamiser la composition. Cette &oelig;uvre de jeunesse annonce d&eacute;j&agrave; les traits communs de nombreux de ses mod&egrave;les notamment la couleur ros&eacute;e des joues et la finesse et d&eacute;licatesse du visage. Tourn&eacute;s vers le haut, ses yeux montrent qu&rsquo;elle est en qu&ecirc;te d&rsquo;inspiration. Dans le livre ouvert devant elle, la femme consigne ce souffle po&eacute;tique gr&acirc;ce &agrave; une plume d&rsquo;oie. Le bleu de Prusse du coussin sur lequel elle est assise donne de la luminosit&eacute; aux tonalit&eacute;s nacr&eacute;es du drap et des chairs trait&eacute;es dans des glacis finement color&eacute;s. L&rsquo;effet dramatique de cette sc&egrave;ne est accentu&eacute; par &laquo;&nbsp;la t&ecirc;te aur&eacute;ol&eacute;e et le fond gris qui dispara&icirc;t &agrave; gauche et &agrave; droite dans un ton vigoureux<a href="#nbp18" id="footnoteref18_hs8o31f" name="liennbp18" title="Ibidem, p. 131.">18</a> &raquo;. Les couleurs sont tr&egrave;s proches de celles utilis&eacute;es par Rosalba Carriera dans son <em>A</em><em>ll&eacute;gorie de la po&eacute;sie</em><a href="#nbp19" id="footnoteref19_0cdft2c" name="liennbp19" title="Rosalba Carriera (1675-1757), Allégorie de la poésie, pastel, 61,5 x 51 cm, collection particulière.">19</a>.</p> <p>En 1779, Anne Vallayer-Coster personnifie la M&eacute;lancolie &agrave; travers la figure d&rsquo;une jeune femme.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Melancolie_Vallayer-Coster.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Anne Vallayer-Coster, <em>La M&eacute;lancolie</em> (1779), huile sur toile, 46 x 38 cm, Coll. particuli&egrave;re.</p> </figcaption> </figure> <p>Ce th&egrave;me a beaucoup inspir&eacute; les artistes car depuis l&rsquo;Antiquit&eacute; cette humeur est associ&eacute;e &agrave; l&rsquo;inspiration artistique. Un 1514, D&uuml;rer avait d&eacute;j&agrave; propos&eacute; une <em>A</em><em>ll&eacute;gorie de la M&eacute;lancolie</em>. Chez Anne Vallayer-Coster, le mod&egrave;le est vu de face et en buste, ce cadre rapproch&eacute; permet de ressentir les tourments de son &acirc;me. Cette femme brune appuie sa joue sur sa main droite tandis que son coude repose sur un cahier pos&eacute; sur une colonne de bois surmont&eacute;e d&rsquo;une tablette de marbre. Sur le c&ocirc;t&eacute; droit de la colonne en bois est mentionn&eacute; le distique suivant&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Ses maux et ses plaisirs, Ne sont connus que d&rsquo;elle</em>&nbsp;&raquo;. Son regard fix&eacute; vers le haut montre l&rsquo;&eacute;l&eacute;vation de son &acirc;me. Son imagination va pouvoir se mat&eacute;rialiser dans son cahier o&ugrave; des lignes &eacute;crites &agrave; l&rsquo;encre ont d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; trac&eacute;es. La robe blanche, orn&eacute;e d&rsquo;un galon au niveau de son d&eacute;collet&eacute; permet de d&eacute;tacher le mod&egrave;le du fond ocre. Dans ses cheveux, une couronne de fleurs naturelles introduit une correspondance de couleurs avec son &eacute;tole de soie grise glissant de ses &eacute;paules. Cette &oelig;uvre est &agrave; rapprocher de la <em>M&eacute;lancholie</em> de Joseph-Marie Vien<a href="#nbp20" id="footnoteref20_smnwqfy" name="liennbp20" title="La Douce Mélancolie, huile sur toile, 68 x 55 cm, Cleveland, Museum of Art, inv. 1996.1.">20</a>, notamment par la rupture qui s&rsquo;op&egrave;re au niveau du ton de l&rsquo;&oelig;uvre, la trag&eacute;die a laiss&eacute; place &agrave; la nostalgie.</p> <p>Par leurs costumes, ces deux all&eacute;gories ont &eacute;t&eacute; transpos&eacute;es dans un contexte antique, la charge &eacute;motionnelle est forte avec un cadrage qui se rapproche du portrait et s&rsquo;&eacute;loigne de la peinture d&rsquo;histoire.</p> <p>&nbsp;</p> <h3><strong><em>1.3. Anne Doroth&eacute;e Therbusch, le refus d&rsquo;une reconnaissance</em></strong></h3> <p>Le 28 f&eacute;vrier 1767, l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture re&ccedil;oit l&rsquo;artiste prussienne Anne-Doroth&eacute;e Therbusch (1721-1782). Son p&egrave;re, Georg Liesiewsky (1674-1746) est un peintre polonais de portraits et de sc&egrave;nes de genre qui s&rsquo;est fix&eacute; &agrave; Berlin. C&rsquo;est dans l&rsquo;atelier paternel qu&rsquo;elle se forme en copiant notamment des tableaux d&rsquo;Antoine Watteau et du portraitiste Antoine Pesne (1683-1757). Le style de ce dernier se retrouvera par la suite dans les &oelig;uvres de la peintre prussienne. Ils se sont rencontr&eacute;s &agrave; Berlin o&ugrave; il exer&ccedil;ait la fonction de peintre du Roi. Anne Doroth&eacute;e &eacute;pouse l&rsquo;aubergiste Ernst Friedrich Therbusch, elle interrompra sa carri&egrave;re pendant quelques temps pour &eacute;lever ses quatre enfants. Elle a quarante ans lorsque le duc d&rsquo;Edimbourg, Carl Eugen, lui confie la d&eacute;coration de sa nouvelle r&eacute;sidence. Sa carri&egrave;re red&eacute;marre alors tr&egrave;s vite, elle est r&eacute;compens&eacute;e par de nombreux honneurs&nbsp;: elle est agr&eacute;&eacute;e en 1761, &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie de Bologne, et un an plus tard, dans celle de Stuttgart. Bien que la cour prussienne lui donne une pension, ses ambitions ne se limitent bient&ocirc;t plus &agrave; ces commandes royales, elle veut acqu&eacute;rir une renomm&eacute;e internationale.</p> <p>En 1766, elle arrive &agrave; Paris avec pour seule recommandation une lettre de soutien de l&rsquo;architecte fran&ccedil;ais Philippe de La Gu&ecirc;pi&egrave;re. L&rsquo;acad&eacute;micien Charles-Nicolas Cochin appuie sa candidature &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture et loue son talent dans une lettre &agrave; Marigny apr&egrave;s qu&rsquo;elle se soit pr&eacute;sent&eacute;e &agrave; lui : &laquo; J&rsquo;ay vu les ouvrages de cette dame, peintre du roy de Prusse ; il y a en effet du talent, au-dessus &agrave; [<em>sic</em>] ce que l&rsquo;on attend &agrave; en trouver dans une personne de son sexe, et d&rsquo;autant plus singulier qu&rsquo;elle peint l&rsquo;histoire et le nu comme pourroit faire un homme ; aussi a-t-elle eu le courage d&rsquo;&eacute;tudier d&rsquo;apr&egrave;s nature, en se mettant au-dessus des discours<a href="#nbp21" id="footnoteref21_alob1ax" name="liennbp21" title="Marc Furcy-Raynaud, « Correspondance de M. de Marigny avec Coypel, Lépicié et Cochin », Nouvelles Archives de l’Art français, 1905, 3e série, t. 20, n° 524, p. 69.">21</a> &raquo;.</p> <p>Pourtant, sa qualit&eacute; de peintre d&rsquo;histoire d&eacute;plait en France, l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;apr&egrave;s le mod&egrave;le vivant est jug&eacute;e non conventionnelle pour une femme. Cochin tente de se convaincre que sa r&eacute;ception pourrait &ecirc;tre justifi&eacute;e par l&rsquo;aptitude montr&eacute;e dans ce genre, un si&egrave;cle plus t&ocirc;t, par une femme Claudine Bouzonnet-Stella. Mais il est persuad&eacute; que la technique d&rsquo;Anne Doroth&eacute;e Therbusch a les d&eacute;fauts de l&rsquo;&eacute;cole allemande, il le souligne plus loin dans sa lettre. Ce jugement trouve ses fondements dans les fortes tensions que l&rsquo;Acad&eacute;mie conna&icirc;t. La d&eacute;faite du Royaume dans la Guerre de Sept Ans, en 1763, entra&icirc;ne une p&eacute;riode de crise financi&egrave;re qui met les acad&eacute;miciens en difficult&eacute;, ils ne per&ccedil;oivent plus leurs pensions. Cochin subit alors le discours teint&eacute; de haine de ses confr&egrave;res envers la Prusse. En 1764, suite au d&eacute;c&egrave;s de sa s&oelig;ur la marquise de Pompadour, Marigny, directeur des B&acirc;timents du roi, se retrouve dans une position d&eacute;licate et les acad&eacute;miciens veulent qu&rsquo;il d&eacute;missionne. En refusant l&rsquo;admission de la peintre prussienne, c&rsquo;est sa fonction qu&rsquo;il cherche &agrave; sauver. Gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;insistance de Cochin et de Diderot, elle est admise &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie le 28 f&eacute;vrier 1767.</p> <p>Dix ans plus tard, Cochin se verra reprocher &laquo; d&rsquo;avoir impos&eacute; ses volont&eacute;s &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie sans avoir aucun sens de grandeur<a href="#nbp22" id="footnoteref22_rn468xw" name="liennbp22" title="Christian Michel, L’Académie royale de peinture et de sculpture, 1648-1793 : la naissance de l’École française, Genève, Droz, 2012, p. 114.">22</a> &raquo;.</p> <p>Malgr&eacute; le succ&egrave;s de Rosalba Carriera et de ses all&eacute;gories, qui lui permettront d&rsquo;obtenir de rares commandes de tableaux d&rsquo;histoire comme celui de <em>V&eacute;nus et Cupidon</em><a href="#nbp23" id="footnoteref23_e5l78pj" name="liennbp23" title="Détrempe, miniature sur ivoire, ovale, 9 x 7,1 cm, Dresde, Gemäldegalerie (disparue depuis 1945).">23</a>, un repli des r&eacute;ceptions d&rsquo;artistes &eacute;trangers en partie provoqu&eacute; par les difficult&eacute;s financi&egrave;res du royaume, va se manifester. L&rsquo;Acad&eacute;mie refuse toujours de reconna&icirc;tre les capacit&eacute;s des femmes dans la peinture d&rsquo;histoire, Rosalba Carriera s&rsquo;est faite admettre en tant que portraitiste tandis que Anne-Doroth&eacute;e Therbusch a &eacute;t&eacute; re&ccedil;ue en tant que peintre de genre.</p> <p>Rosalba Carriera apporte avec le pastel non seulement une nouvelle technique en France mais elle va aussi offrir de nouvelles possibilit&eacute;s aux femmes peintres au sein de l&rsquo;Acad&eacute;mie. Gr&acirc;ce &agrave; son passage dans la capitale fran&ccedil;aise, les portes de l&rsquo;Acad&eacute;mie royale, ferm&eacute;es aux femmes, depuis 1682, vont se rouvrir pour sept acad&eacute;miciennes. La v&eacute;nitienne a prouv&eacute; que les femmes peintres peuvent exceller dans les sujets all&eacute;goriques.</p> <p>&nbsp;</p> <h2><strong>2. Entre rupture et continuit&eacute;&nbsp;: s&rsquo;imposer dans la peinture mythologique</strong></h2> <p>&nbsp;</p> <p>Cette qu&ecirc;te de reconnaissance des femmes ne s&rsquo;est pas faite sans heurt, que ce soit au sein m&ecirc;me de l&rsquo;Acad&eacute;mie ou dans les Salons o&ugrave; la critique d&rsquo;art se d&eacute;veloppe et prend parti dans ce d&eacute;bat. Rosalba Carriera sera parvenue &agrave; peindre trente-cinq tableaux repr&eacute;sentant des sujets mythologiques et religieux, et pourtant c&rsquo;est un aspect de son travail qui est souvent oubli&eacute;, son talent de portraitiste &eacute;tant plus facilement mis en avant. Au milieu du XVIIl<sup>e</sup> si&egrave;cle, il faut dire que Diderot, ou encore les auteurs des <em>M&eacute;moires secrets</em> pour ne citer que les plus c&eacute;l&egrave;bres, d&eacute;noncent une disparition des sujets h&eacute;ro&iuml;ques au profit de sujets mythologiques &eacute;rotis&eacute;s<a href="#nbp24" id="footnoteref24_mcowgpx" name="liennbp24" title="Sandrine Lely, « La Massue d’Hercule soulevée par la main des Grâces. Le débat sur la place des femmes dans l’art, entre 1747 et 1793 », Eliane Viennot, Revisiter la « querelle des femmes » : Discours sur l’égalité, l’inégalité des sexes, de 1750 aux lendemains de la Révolution, Saint-Etienne, PUSE, 2012, p. 49.">24</a>. Mais qu&rsquo;en est-il r&eacute;ellement&nbsp;?</p> <p>&nbsp;</p> <h3><strong><em>2.1. L&rsquo;all&eacute;gorie, pour l&eacute;gitimer son talent dans la peinture d&rsquo;histoire</em></strong></h3> <p>La fin des ann&eacute;es 1770 marque un tournant dans la carri&egrave;re de la peintre Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun. Elle cherchait &agrave; se faire admettre &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture. La peinture d&rsquo;histoire &eacute;tait consid&eacute;r&eacute;e comme sup&eacute;rieure aux autres genres, aussi les enjeux de cette reconnaissance sont-ils de double nature pour les femmes&nbsp;: &agrave; la fois d&eacute;passer les pr&eacute;jug&eacute;s et montrer leurs capacit&eacute;s dans un genre r&eacute;serv&eacute; aux artistes qui suivaient le cours du mod&egrave;le vivant. Il est important de rappeler que les femmes en &eacute;taient exclues, aussi pour ne pas heurter ses pairs, la peintre va utiliser l&rsquo;all&eacute;gorie. Il suffisait juste d&rsquo;adapter un portrait, genre dans lequel Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun excellait, en adoptant une symbolique riche de sens. En 1779, elle ex&eacute;cute au pastel une all&eacute;gorie qui met en sc&egrave;ne <em>L&rsquo;Innocence se r&eacute;fugiant dans les bras de la Justice</em>, conserv&eacute;e au mus&eacute;e d&rsquo;Angers.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Paix_et_Justice.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun, <em>L&rsquo;Innocence se r&eacute;fugiant dans les bras de la Justice</em> (1779), pastel sur papier, 104 x130 cm Angers, mus&eacute;e des Beaux-arts, inv. MBA 25.</p> </figcaption> </figure> <p>Dans ce pastel la Justice domine la composition de grande taille. Les deux figures sont accompagn&eacute;es de leurs embl&egrave;mes traditionnels. La balance et le glaive sont pos&eacute;s &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la Justice qui, dans un geste de tendresse, entoure de ses bras l&rsquo;Innocence. Un agneau et une couronne de fleurs blanches sont attribu&eacute;s &agrave; l&rsquo;Innocence qui fuit le regard de la Justice. Une certaine peur se lit dans son expression. La position oblique du visage de l&rsquo;Innocence donne un certain dynamisme au tableau. Les teintes froides dominent cette &oelig;uvre trait&eacute;e dans une gamme de bleu et d&rsquo;ocre et accentuent le mouvement du voile flottant dans le ciel. Genevi&egrave;ve Haroche-Bouzinac souligne que &laquo;&nbsp;l&rsquo;expression de la Justice &eacute;voque la douceur des mod&egrave;les de la Rosalba Carriera tandis que le visage de l&rsquo;Innocence effray&eacute;e fait songer &agrave; certaines t&ecirc;tes de Greuze<a href="#nbp25" id="footnoteref25_1b465xp" name="liennbp25" title="Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Elisabeth Vigée Le Brun : histoire d’un regard, Paris, Flammarion, 2011, p. 88.">25</a> &raquo;.</p> <p>L&rsquo;ann&eacute;e suivante, Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun peint une autre composition all&eacute;gorique qu&rsquo;elle offrira trois ans plus tard &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie royale comme morceau de r&eacute;ception. Cette toile repr&eacute;sente deux femmes qui rev&ecirc;tent les attributs symboliques de la Paix et de l&rsquo;Abondance<a href="#nbp26" id="footnoteref26_jp59jjh" name="liennbp26" title="Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), La Paix ramenant l’Abondance (1780), huile sur toile, 102,5 x 132,5 cm, Paris, musée du Louvre.">26</a>.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/La_paix_ramenant_labondance.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun, <em>La Paix ramenant l&rsquo;Abondance</em> (1780), huile sur toile, 102,5 x 132,5 cm, Paris, mus&eacute;e du Louvre, inv. 3052.</p> </figcaption> </figure> <p>Plac&eacute;e au centre de l&rsquo;&oelig;uvre, les deux personnages investissent les trois quarts de la sc&egrave;ne comme dans l&rsquo;all&eacute;gorie pr&eacute;c&eacute;dente. Le regard du visiteur est guid&eacute;, il vient lentement se poser sur la corbeille de fruit, puis sur le visage de l&rsquo;Abondance, qui le conduit jusqu&rsquo;au point de fuite de cette organisation pyramidale, adoucie par le regard chaleureux de la Paix couronn&eacute;e d&rsquo;un rameau d&rsquo;olivier. L&rsquo;Abondance domine la toile dont elle occupe la partie gauche tandis que la Paix la guide affectueusement. Ce rapport de dominant/domin&eacute; traduit par une absence de sym&eacute;trie est une des caract&eacute;ristiques des all&eacute;gories figur&eacute;es par la peintre. L&rsquo;Abondance triomphe de tout, la symbolique est frappante puisque l&rsquo;abondance ne peut venir qu&rsquo;en temps de paix.</p> <p>Deux sources ont pu amener Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun &agrave; peindre cette toile, la premi&egrave;re est le pastel de Rosalba Carriera, <em>La Paix et la Justice</em>, dont il existait deux versions et le tableau de Simon Vouet intitul&eacute; <em>La Prudence am&egrave;ne la Paix et l&rsquo;Abondance</em>, conserv&eacute; au Louvre. Comme chez Rosalba Carriera, le symbolisme de l&rsquo;all&eacute;gorie de <em>La Paix ramenant l&rsquo;Abondance</em> s&rsquo;inscrit dans les pr&eacute;ceptes de l&rsquo;<em>Iconologie</em> de Cesare Ripa. Enfin un d&eacute;tail important cherche plut&ocirc;t &agrave; confirmer une inscription dans la tradition des femmes peintres. La corbeille de fruit, peinte comme une v&eacute;ritable nature morte, est saisissante par son imitation du r&eacute;el. Attribut de l&rsquo;Abondance, par la richesse et la vari&eacute;t&eacute; des fruits que propose la nature, de m&ecirc;me que le brin de bl&eacute; que le personnage tient dans sa main, symbole des r&eacute;coltes abondantes et de la terre nourrici&egrave;re. La peintre a peut-&ecirc;tre voulu rendre un hommage &agrave; ses cons&oelig;urs comme Louise Moillon (1610-1696) ou Anne Vallayer-Coster, les corbeilles de fruits sont rest&eacute;es &eacute;troitement associ&eacute;es &agrave; une pratique artistique f&eacute;minine.</p> <p>Les all&eacute;gories permettaient aux femmes d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; la reconnaissance acad&eacute;mique. Effectivement en 1760, soit vingt ans plus t&ocirc;t, pour &ecirc;tre admise &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie de Saint Luc de Rome, Catherine Cherubini Preciado avait offert une <em>A</em><em>ll&eacute;gorie de la Justice et de la Paix</em><a href="#nbp27" id="footnoteref27_nr7as6x" name="liennbp27" title="A. Casareo, « I cui nomi sono cogniti per ogni dove… » A proposito di Caterina Cherubini Reciado et Heresa Mengs Maron », Cahiers d’Histoire de l’Art, 6, 2008, p. 79.">27</a>. Cette belle all&eacute;gorie moins &eacute;rotis&eacute;e que celle d&rsquo;Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun montre une ma&icirc;trise technique et un traitement tr&egrave;s m&eacute;ticuleux des tissus.</p> <p>&nbsp;</p> <h3><strong><em>2.2. D&eacute;passer l&rsquo;all&eacute;gorie et s&rsquo;imposer dans la peinture mythologique, </em>V&eacute;nus pr&eacute;sentant sa ceinture &agrave; Junon</strong></h3> <p>A la suite de cette toile, Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun se hasarde &agrave; la peinture d&rsquo;histoire en peignant en 1781 <em>V&eacute;nus pr&eacute;sentant sa ceinture &agrave; Junon</em>.</p> <figure><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" src="https://www.alepreuve.org/sites/alepreuve.org/files/Venus_et_Junon.jpg" width="600" /> <figcaption> <p style="text-align: center;">Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun, <em>V&eacute;nus pr&eacute;sentant sa ceinture &agrave; Junon</em> (1781), huile sur toile, 49 x 38,5 cm, Coll. particuli&egrave;re.</p> </figcaption> </figure> <p>Les barri&egrave;res qui s&rsquo;imposaient aux artistes f&eacute;minines ne furent pas un obstacle pour la peintre qui n&rsquo;h&eacute;sita pas &agrave; faire preuve d&rsquo;audace. Dans une composition, proche des mythologies de Fran&ccedil;ois Boucher, trois personnages &eacute;voluent au centre de la toile. La peintre avait eu le loisir d&rsquo;admirer ces sc&egrave;nes galantes dans l&rsquo;atelier de son p&egrave;re Louis Vig&eacute;e, et plus tard dans la boutique de son mari, le marchand d&rsquo;art, Jean-Baptiste Lebrun. Le succ&egrave;s des tableaux rocaille assurait &agrave; son mari des revenus plus que confortables. Ce tableau peut-&ecirc;tre tr&egrave;s facilement associ&eacute; &agrave; celui que Jean-Baptiste Marie Pierre, &eacute;l&egrave;ve de Boucher, avait peint sur le m&ecirc;me th&egrave;me en 1748<a href="#nbp28" id="footnoteref28_ay5jkfa" name="liennbp28" title="Junon demandant à Vénus sa ceinture (1748), Huile sur toile, 145 x 200 cm, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 7138.">28</a>. Il est probable qu&rsquo;Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun avait vu cette immense toile accroch&eacute;e dans l&rsquo;appartement du dauphin au ch&acirc;teau de Versailles.</p> <p>Comme chez Fran&ccedil;ois Boucher et dans la peinture d&rsquo;histoire narrative de style R&eacute;gence, la question du rapport entre les deux mondes, celui des humains et celui des dieux, est &eacute;videmment pos&eacute;e. Dans ce tableau, inspir&eacute; par un &eacute;pisode de l&rsquo;<em>Iliade</em>, la similitude entre les figures humaines et c&eacute;lestes, caract&eacute;ristique de la peinture galante, est manifeste. Comme suspendue dans les airs, Junon s&rsquo;approche de la jeune V&eacute;nus assise sur un nuage. L&rsquo;absence du sol met le spectateur dans une forme d&rsquo;inconfort et renforce le c&ocirc;t&eacute; immat&eacute;riel de cette sc&egrave;ne. Junon a pris les traits d&rsquo;une charmante jeune femme brune dont les accessoires dor&eacute;s soulignent l&rsquo;aspect majestueux de la d&eacute;esse. Ses cheveux sont retenus par un diad&egrave;me d&rsquo;or et en partie recouverts d&rsquo;un voile transparent. Son costume dor&eacute; d&eacute;couvre l&rsquo;un de ses seins. La d&eacute;esse de l&rsquo;amour et de la beaut&eacute;, blonde, couronn&eacute;e de roses, est d&eacute;v&ecirc;tue, elle offre &agrave; Junon sa ceinture tiss&eacute;e des fils de l&rsquo;amour et du d&eacute;sir. Entre ces deux femmes, le petit Cupidon est le seul &agrave; capter le regard du visiteur. Cheveux blonds boucl&eacute;s et ailes teint&eacute;es de bleu, c&rsquo;est un ch&eacute;rubin espi&egrave;gle qui tient dans sa main une fl&egrave;che enlev&eacute;e du carquois. Son regard et la mani&egrave;re dont il touche la pointe de la fl&egrave;che ajoutent une note sensuelle &agrave; la sc&egrave;ne.</p> <p>Comme dans <em>son All&eacute;gorie de la Paix et de l&rsquo;Abondance,</em> Elisabeth emprunte des traits propres aux genres mineurs, ici c&rsquo;est dans la peinture de genres et non plus dans la nature-morte, qu&rsquo;il faut aller chercher ce rapprochement. Cette tendance &eacute;tait courante chez les peintres de du XVIII<sup>e </sup>si&egrave;cle notamment Carle Vanloo<a href="#nbp29" id="footnoteref29_tr541pi" name="liennbp29" title="Voir L’Adoration des Mages (vers 1760), Huile sur toile, 129,5 x 105,4 cm, Los Angeles, Museum of Art, inv. M.81.177.">29</a>, qui se manifestait par un int&eacute;r&ecirc;t pour les d&eacute;tails cr&eacute;ant un effet de r&eacute;el. Par exemple, les broderies de la ceinture sont extr&ecirc;mement travaill&eacute;es et la couleur des perles dans les cheveux de Junon est brillante. La grande qualit&eacute; de cette &oelig;uvre permet de confirmer la th&egrave;se selon laquelle il s&rsquo;agit d&rsquo;une &eacute;tude pr&eacute;paratoire pour le tableau command&eacute; par le fr&egrave;re cadet de Louis XVI, Charles Philippe, comte d&rsquo;Artois, qui voulait enrichir sa collection de tableaux &agrave; sujets hom&eacute;riques<a href="#nbp30" id="footnoteref30_enwkiqi" name="liennbp30" title="Joseph, Baillio, Xavier, Salmon, op. cit., 2015, p. 134.">30</a>. Le tableau du comte d&rsquo;Artois, confisqu&eacute; et nationalis&eacute; en 1792, n&rsquo;a malheureusement pas pu &ecirc;tre retrouv&eacute;. Cette &eacute;tude a le m&eacute;rite de prouver le talent d&rsquo;une femme dans la peinture mythologique, qui n&rsquo;est n&eacute;anmoins pas parvenue &agrave; se d&eacute;tacher du style rocaille.</p> <p>&nbsp;</p> <h3><em><strong>2.3. L&rsquo;accueil encenseur de la critique d&rsquo;art</strong></em></h3> <p>&Agrave; partir de 1737, les Salons se tiennent r&eacute;guli&egrave;rement dans le Salon carr&eacute; du Louvre, ils deviennent un lieu incontournable de la vie artistique parisienne o&ugrave; se pressent artistes, collectionneurs, lettr&eacute;s ou encore tous les amoureux des arts dans leur plus grande diversit&eacute;. Loin de faire appel &agrave; un public de connaisseurs, les livrets, sorte de catalogues qui r&eacute;f&eacute;rencent les &oelig;uvres pr&eacute;sent&eacute;es, vont rapidement voir le jour pour guider le visiteur. Aujourd&rsquo;hui encore ils sont pour nous un pr&eacute;cieux t&eacute;moignage pour appr&eacute;cier le go&ucirc;t et la production des artistes &agrave; cette &eacute;poque. En parall&egrave;le sont publi&eacute;es des brochures qui portent un jugement sur les &oelig;uvres expos&eacute;es. Ce genre nouveau va prendre le nom de critiques litt&eacute;raires, qui sera &eacute;galement relay&eacute; par la presse comme le <em>Mercure de France</em>.</p> <p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle naissent en France trois mani&egrave;res distinctes d&rsquo;appr&eacute;hender l&rsquo;art, elles ne font pas que s&rsquo;affronter mais au contraire se compl&egrave;tent, &eacute;tant abord&eacute;es par des acteurs tr&egrave;s vari&eacute;s. La premi&egrave;re est celle de la critique d&rsquo;art qui n&eacute;cessite une approche obligatoirement objective car guid&eacute;e par un jugement personnel, la seconde est la philosophie de l&rsquo;esth&eacute;tique qui na&icirc;t en Allemagne et la derni&egrave;re est l&rsquo;approche historique de l&rsquo;histoire de l&rsquo;art. Jacqueline Lichtenstein d&eacute;montre comment &agrave; partir des substrats de la th&eacute;orie de l&rsquo;art, &eacute;labor&eacute;e au XVII<sup>e</sup> si&egrave;cle, ces trois discours ont pu se d&eacute;velopper<a href="#nbp31" id="footnoteref31_j4qsf5y" name="liennbp31" title="Jacqueline Lichtenstein, « L’argument et l’ignorant : de la théorie de l’art à l’esthétique », Christian Michel, Carl Magnusson, Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Paris, Somogy, 2013, p. 82.">31</a>.</p> <p>Si les femmes ont &eacute;t&eacute; exclues du d&eacute;bat th&eacute;orique au XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, bien qu&rsquo;Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun contourn&acirc;t l&rsquo;interdiction en &eacute;crivant ses <em>Conseils sur la peinture de portrait</em><a href="#nbp32" id="footnoteref32_dj2efcq" name="liennbp32" title="lisabeth Vigée-Lebrun, Conseils pour la peinture du portrait, Paris, Charpentier, 1869.">32</a>, elles n&rsquo;ont pas &eacute;chapp&eacute; au regard &eacute;logieux ou parfois dithyrambique de la critique d&rsquo;art. Cependant quelques exceptions existent&nbsp;; c&rsquo;est le cas de la r&eacute;ception d&rsquo;Anne-Doroth&eacute;e Therbusch dont la raison de l&rsquo;&eacute;chec a &eacute;t&eacute; pr&eacute;c&eacute;demment expliqu&eacute;e par un repli nationaliste<a href="#nbp33" id="footnoteref33_57hiy8p" name="liennbp33" title="Nathalie Volle, Marie-Catherine Sahut, Diderot &amp; l’art de Boucher à David : les Salons, 1759-1781, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1984, p. 360. « Diderot intervint auprès de Cochin et de ses amis artistes pour faire admettre au Salon de 1767 un Jupiter et Antiope jugé indécent par les Académiciens et que lui-même n’appréciait guère. »">33</a>. Les critiques sont exclusivement r&eacute;dig&eacute;es par des litt&eacute;raires et non par des artistes, ce qui donne selon l&rsquo;Abb&eacute; Du Bos, un jugement encore plus juste&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Puisque le premier but de la po&eacute;sie et de la peinture est de nous toucher, les po&egrave;mes et les tableaux ne sont de bons ouvrages qu&rsquo;&agrave; proportion qu&rsquo;ils nous &eacute;meuvent et qu&rsquo;ils nous attachent. Un ouvrage qui touche beaucoup doit &ecirc;tre excellent &agrave; tout prendre<a href="#nbp34" id="footnoteref34_1bkll3h" name="liennbp34" title="Jean-Baptiste Dubos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1993 (1719), p. 276.">34</a>. </em></q></p> <p>La collection Deloynes, qui rassemble les critiques des Salons, aujourd&rsquo;hui conserv&eacute;e au Cabinet des estampes et de la photographie, permet de constater que les femmes ne b&eacute;n&eacute;ficient pas de plus d&rsquo;indulgence que les hommes, bien qu&rsquo;en 1783, les critiques se montrent plut&ocirc;t cl&eacute;ments envers l&rsquo;all&eacute;gorie d&rsquo;Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun&nbsp;:</p> <p><q><em>&nbsp;Si je suis s&eacute;v&egrave;re, j&rsquo;aurai contre moi tous ceux qui, s&eacute;duits par la r&eacute;putation pr&eacute;coce de cette jolie Artiste croiront que l&rsquo;envie seule lui trouve des d&eacute;fauts. Si je suis indulgent, on dira que c&rsquo;est un parti pris de pallier les d&eacute;fauts pour ne trouver que les beaut&eacute;s<a href="#nbp35" id="footnoteref35_p1y6g6a" name="liennbp35" title="Messieurs, Ami de tout le monde, 1783. (Critique du Salon de cette année) In-8° de 32 pag. (p. 21).">35</a>. </em></q></p> <p>La m&ecirc;me ann&eacute;e, un po&egrave;me lui est m&ecirc;me d&eacute;di&eacute;, l&rsquo;auteur loue le talent de l&rsquo;artiste, montrant ainsi l&rsquo;&eacute;motion qu&rsquo;elle suscite chez le visiteur<a href="#nbp36" id="footnoteref36_a5777ce" name="liennbp36" title="Vers à Madame Le Brun, de l’Académie royale de peinture sur les principaux ouvrages dont elle a décoré le Sallon de cette année, par M. de Miramond. Paris, Gueffier, 1783. In-8° de 7 pag.">36</a>.</p> <p>Si les litt&eacute;raires semblent appr&eacute;cier le talent des femmes dans la peinture d&rsquo;histoire, en 1785, un des critique &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mme Le Brun annonce du talent, &amp; sur-tout la connoissance des effets pittoresques<a href="#nbp37" id="footnoteref37_rdrpdla" name="liennbp37" title="Discours sur l’origine, les progrès et l’état actuel de la peinture en France contenant des notices sur les principaux artistes de l’Académie pour servir d’introduction au Sallon. A Paris, chez les marchands de nouveautés, 1785. In-8° de 38 pag. (p. 38).">37</a>.&nbsp;&raquo;. Les critiques vont progressivement rejoindre les d&eacute;bats antimonarchiques d&eacute;non&ccedil;ant alors une peinture qui sert la cause royale. Il est vrai que l&rsquo;Acad&eacute;mie de peinture et de sculpture est une institution plac&eacute;e sous le patronage du roi. Comme tout discours qui demande une analyse personnelle, la critique d&rsquo;art ob&eacute;it &agrave; des facteurs ext&eacute;rieurs qui orientent son jugement. Elle aura n&eacute;anmoins contribu&eacute; &agrave; valoriser la pratique f&eacute;minine.</p> <p>&nbsp;</p> <p>S&rsquo;appliquant &agrave; toujours contourner les barri&egrave;res qui leurs sont impos&eacute;es et gr&acirc;ce &agrave; une habile strat&eacute;gie, les acad&eacute;miciennes sont parvenues &agrave; conna&icirc;tre une notori&eacute;t&eacute; dans la peinture d&rsquo;histoire et m&ecirc;me une l&eacute;gitimation institutionnelle en 1783 avec Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun. L&rsquo;hybridation des genres a &eacute;t&eacute; n&eacute;cessaire &agrave; cette appropriation d&rsquo;un genre qui &eacute;tait jusqu&rsquo;alors interdit aux femmes au sein de l&rsquo;Acad&eacute;mie royale. Entre sc&egrave;ne galante et nature-morte, entre style r&eacute;gence et go&ucirc;t italien, les all&eacute;gories ont le mieux symbolis&eacute; cette r&eacute;ussite et illustr&eacute; cette maxime&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les femmes ont atteint l&rsquo;excellence/ Dans chaque art o&ugrave; elles se sont appliqu&eacute;es<a href="#nbp38" id="footnoteref38_h37uyqi" name="liennbp38" title="« Le donne son venute in eccellenza :Di ciascun arte, ove hanno posto cura. » Ludovico Ariosto, L’Orlando furioso, Milano, Mondadori, vol. 2, Canto XX, Stanza 2.">38</a> &raquo;.</p> <p>(<em>CRISES, Montpellier 3</em>)</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Andr&eacute; F&eacute;libien, <em>Conf&eacute;rences de l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture, pendant l&rsquo;ann&eacute;e 1667</em>, Paris, F. L&eacute;onard, 1668, n. p. (Pr&eacute;face).</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Chantal Grell, <em>Le Dix-Huiti&egrave;me Si&egrave;cle et l&rsquo;Antiquit&eacute; en France, 1680-1789</em>, Paris, Voltaire <em>Foundation</em> Oxford, 1995, p. 36-37. Les math&eacute;matiques prennent de plus en plus de place dans l&rsquo;enseignement notamment chez les oratoriens.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Virginie Bar, <em>La peinture all&eacute;gorique au grand si&egrave;cle</em>, Dijon, Faton, 2003, p. 15. &laquo;&nbsp;Pour ces nobles motifs, les repr&eacute;sentations de type all&eacute;gorique &eacute;taient au sommet de la hi&eacute;rarchie des genres, concept si cher aux th&eacute;oriciens du Grand Si&egrave;cle&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Rosalba Carriera, <em>Diaro</em>, Paris, Les Presses du r&eacute;el, 1997 (1865), p. 8.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Elle donne un <em>portrait de Louis XV</em> comme morceau de r&eacute;ception. Rosalba Carriera, <em>Portrait de Louis XIV enfant</em> (1720), pastel sur papier, 50,5 x 38,5 cm, Dresde, <em>Gem&auml;ldegalerie Alte Meister</em>, inv. n&deg; 363.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Le proc&egrave;s-verbal de son admission met en valeur ses reconnaissances institutionnelles &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger. Les trois plus c&eacute;l&egrave;bres Acad&eacute;mies d&rsquo;Italie, Rome, Florence et Bologne l&rsquo;ont compt&eacute;e dans leur rang. Voir Anatole de Montaiglon, <em>Proc&egrave;s-verbaux de l&rsquo;Acad&eacute;mie Royale de peinture et de sculpture (1648-1793), publi&eacute;s pour la Soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;Histoire de l&rsquo;Art Fran&ccedil;ais d&rsquo;apr&egrave;s les registres originaux conserv&eacute;s &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole des Beaux-Arts</em>, Paris, J. Baur, tome IV , p. 302-303.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a> &Eacute;tienne Jollet, &laquo;&nbsp;La peinture et l&rsquo;histoire. Probl&egrave;mes de po&eacute;tique figurative au temps de Madame de Pompadour&nbsp;&raquo;, Philippe Le Leyzour, <em>La volupt&eacute; du go&ucirc;t</em>, Paris, 2008, p. 81.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> Fran&ccedil;ois Boucher (1703-1770), <em>La Musique et la Danse</em> (v. 1740), huile sur toile, 68,8 x 123,2 cm, Cleveland, <em>Museum of Art</em>, inv. 1948.182-181.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Toutain, V., 2003, p. 5.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Le Caravage (1571&ndash;1610), <em>Les Musiciens</em> (v. 1595), huile sur toile, 92 x 118,5 cm, New York City, Metropolitan Museum of Art, inv. n&deg; 52.81.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Pastel sur papier, 27 x 21 cm, Saint-P&eacute;tersbourg, mus&eacute;e de l&rsquo;Ermitage.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Bernadina Sani, <em>Rosalba Carriera, 1673-1757 : maestra del pastello nell&rsquo;Europa ancien r&eacute;gime</em>, Turin, U. Allemandi &amp; c., 2007.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Valentine Toutain, <em>Le s&eacute;jour parisien de Rosalba Carriera : 1720-1721</em>, M&eacute;moire de DEA : Histoire de l&rsquo;art : Paris 4, 2003, p. 53.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a> Artemisia Gentileschi (1593-1654), <em>Autoportrait en All&eacute;gorie de la peinture</em> (1638-1639), huile sur toile, 97 x 84 cm, Windsor, collection royale.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Virginie Bar, <em>op. cit.</em>, 2003, p. 16. &laquo; <em>L&rsquo;Iconologie</em> de Cesare Ripa, fut, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, le v&eacute;hicule privil&eacute;gi&eacute; de cet int&eacute;r&ecirc;t pour le langage all&eacute;gorique.&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun (1755-1842), <em>All&eacute;gorie de la po&eacute;sie</em> (1774), Huile sur toile, 80 x 65 cm, Collection particuli&egrave;re.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Joseph Baillio, Xavier Salmon<em>, Elisabeth Louise Vig&eacute;e Le Brun</em>, Paris, R&eacute;union des mus&eacute;es nationaux, 2015, p. 131.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a><em> Ibidem</em>, p. 131.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Rosalba Carriera (1675-1757), <em>All&eacute;gorie de la po&eacute;sie</em>, pastel, 61,5 x 51 cm, collection particuli&egrave;re.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a><em> La Douce M&eacute;lancolie</em>, huile sur toile, 68 x 55 cm, Cleveland, <em>Museum of Art</em>, inv. 1996.1.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> Marc Furcy-Raynaud, &laquo;&nbsp;Correspondance de M. de Marigny avec Coypel, L&eacute;pici&eacute; et Cochin&nbsp;&raquo;, <em>Nouvelles Archives de l&rsquo;Art fran&ccedil;ais</em>, 1905, 3<sup>e</sup> s&eacute;rie, t. 20, n&deg; 524, p. 69.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Christian Michel, <em>L&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture et de sculpture, 1648-1793 : la naissance de l&rsquo;&Eacute;cole fran&ccedil;aise</em>, Gen&egrave;ve, Droz, 2012, p. 114.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> D&eacute;trempe, miniature sur ivoire, ovale, 9 x 7,1 cm, Dresde, <em>Gem&auml;ldegalerie</em> (disparue depuis 1945).</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Sandrine Lely, &laquo;&nbsp;La Massue d&rsquo;Hercule soulev&eacute;e par la main des Gr&acirc;ces. Le d&eacute;bat sur la place des femmes dans l&rsquo;art, entre 1747 et 1793&nbsp;&raquo;, Eliane Viennot, <em>Revisiter la &laquo;&nbsp;querelle des femmes&nbsp;&raquo;&nbsp;: Discours sur l&rsquo;&eacute;galit&eacute;, l&rsquo;in&eacute;galit&eacute; des sexes, de 1750 aux lendemains de la R&eacute;volution, </em>Saint-Etienne, PUSE, 2012, p. 49.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Genevi&egrave;ve Haroche-Bouzinac, <em>Louise Elisabeth Vig&eacute;e Le Brun : histoire d&rsquo;un regard</em>, Paris, Flammarion, 2011, p. 88.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a> Elisabeth Vig&eacute;e-Lebrun (1755-1842), <em>La Paix ramenant l&rsquo;Abondance</em> (1780), huile sur toile, 102,5 x 132,5 cm, Paris, mus&eacute;e du Louvre.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> A. Casareo, &laquo;&nbsp;<em>I cui nomi sono cogniti per ogni dove&hellip;&nbsp;</em>&raquo; <em>A proposito di</em> Caterina Cherubini Reciado et Heresa Mengs Maron&nbsp;&raquo;, <em>Cahiers d&rsquo;Histoire de l&rsquo;Art</em>, 6, 2008, p. 79.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a><em> Junon demandant &agrave; V&eacute;nus sa ceinture</em> (1748), Huile sur toile, 145 x 200 cm, Versailles, mus&eacute;e national des ch&acirc;teaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 7138.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a> Voir <em>L&rsquo;Adoration des Mages </em>(vers 1760), Huile sur toile, 129,5 x 105,4 cm, Los Angeles, <em>Museum of Art</em>, inv. M.81.177.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a> Joseph, Baillio, Xavier, Salmon, <em>op. cit</em>., 2015, p. 134.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Jacqueline Lichtenstein, &laquo;&nbsp;L&rsquo;argument et l&rsquo;ignorant&nbsp;: de la th&eacute;orie de l&rsquo;art &agrave; l&rsquo;esth&eacute;tique&nbsp;&raquo;, Christian Michel, Carl Magnusson, <em>Penser l&rsquo;art dans la seconde moiti&eacute; du XVIII<sup>e </sup>si&egrave;cle&nbsp;: th&eacute;orie, critique, philosophie, histoire,</em> Paris, Somogy, 2013, p. 82.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> lisabeth Vig&eacute;e-Lebrun, <em>Conseils pour la peinture du portrait</em>, Paris, Charpentier, 1869.</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Nathalie Volle, Marie-Catherine Sahut, <em>Diderot &amp; l&rsquo;art de Boucher &agrave; David : les Salons, 1759-1781</em>, Paris, &Eacute;ditions de la R&eacute;union des mus&eacute;es nationaux, 1984, p. 360. &laquo;&nbsp;Diderot intervint aupr&egrave;s de Cochin et de ses amis artistes pour faire admettre au Salon de 1767 un <em>Jupiter et Antiope</em> jug&eacute; ind&eacute;cent par les Acad&eacute;miciens et que lui-m&ecirc;me n&rsquo;appr&eacute;ciait gu&egrave;re.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Jean-Baptiste Dubos, <em>R&eacute;flexions critiques sur la po&eacute;sie et sur la peinture, </em>Paris, &Eacute;cole nationale sup&eacute;rieure des Beaux-Arts, 1993 (1719), p. 276.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> Messieurs, Ami de tout le monde, 1783. (Critique du Salon de cette ann&eacute;e) In-8&deg; de 32 pag. (p. 21).</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Vers &agrave; Madame Le Brun, de l&rsquo;Acad&eacute;mie royale de peinture sur les principaux ouvrages dont elle a d&eacute;cor&eacute; le Sallon de cette ann&eacute;e, par M. de Miramond. Paris, Gueffier, 1783. In-8&deg; de 7 pag.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a><em> Discours sur l&rsquo;origine, les progr&egrave;s et l&rsquo;&eacute;tat actuel de la peinture en France contenant des notices sur les principaux artistes de l&rsquo;Acad&eacute;mie pour servir d&rsquo;introduction au Sallon.</em> A Paris, chez les marchands de nouveaut&eacute;s, 1785. In-8&deg; de 38 pag. (p. 38).</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> &laquo;&nbsp;<em>Le donne son venute in eccellenza&nbsp;:Di ciascun arte, ove hanno posto cura.</em> &raquo; Ludovico Ariosto, <em>L&rsquo;Orlando furioso</em>, Milano, Mondadori, vol. 2, Canto XX, Stanza 2.</p>