<p>La filmographie de David Lean constitue une œuvre à la forte unité stylistique malgré la diversité des genres qui la compose (mélodrame, romance, film de guerre, adaptation littéraire, drame historique, comédie), et une nette césure entre les productions britanniques de ses débuts et les films spectaculaires coproduits avec les Etats-Unis des années 1960. Cette identité stylistique s’organise autour de motifs récurrents et structurants dont le paysage est l’un des plus prégnants, particulièrement avec le <em>Pont de la rivière Kwaï </em>(1957) et les films qui lui ont succédé où le drame se confond avec l’exploration d’un territoire: <em>Le Pont de la rivière Kwai </em>et la jungle birmane, <em>Lawrence d’Arabie</em> (1960) et le désert, les steppes sibériennes de <em>Docteur Jivago</em> (1965), les plages et les falaises d’Irlande de <em>La Fille de Ryan</em> (1970), les montagnes et les forêts indiennes dans <em>La Route des Indes</em> (1984). L’émergence de l’aube dans le désert de <em>Lawrence d’Arabie</em> synthétise les traits formels constitutifs du paysage chez David Lean: à perte de vue s’étend un désert dont le gigantisme est exagéré par un cadrage en plan général, et par le format cinémascope, dans une tentative de repousser toujours plus loin les limites du cadre pour embrasser la totalité d’un espace. La ligne d’horizon structure l’image entre haut et bas, ciel et terre, et derrière elle surgit un troisième élément, dans ce plan il s’agit du soleil, le plus souvent c’est une silhouette humaine. À ces considérations compositionnelles vient s’ajouter une remarque d’ordre narratif. Le paysage, ou le phénomène naturel, entre en résonance avec le drame: l’aurore exprime autant l’<em>hubris</em> de Lawrence, qu’elle marque le commencement de son épopée arabe. Le lever du soleil est donné par la coupe et le raccord sonore comme la conséquence du plan précédent: un gros plan d’une allumette soufflée par Lawrence. La coupe intervient avant que la flamme ne s’éteigne et laisse le souffle se répercuter dans le désert créant ainsi la sensation d’un lien de cause à effet: en soufflant la flamme, Lawrence illumine les cieux.</p>