<p>&laquo;&nbsp;<em>[&hellip;] le monde aujourd&#39;hui n&#39;est plein que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurit&eacute; et s&#39;habillent insolemment du premier nom illustre qu&#39;ils s&#39;avisent de prendre.</em>&nbsp;&raquo; (Moli&egrave;re,<em>&nbsp;L&rsquo;Avare</em>, V, 5)</p> <p>&nbsp;</p> <p>Si l&rsquo;on peut conc&eacute;der au lecteur une discr&egrave;te tendance &agrave; la parano&iuml;a dans le caract&egrave;re d&rsquo;Harpagon, le brave homme n&rsquo;a pas tort de saisir l&rsquo;imposture comme l&rsquo;un des plus &eacute;nigmatiques maux des temps modernes. Faussaires, escrocs, mystificateurs, plagiaires, falsificateurs peuplent depuis des si&egrave;cles l&rsquo;imaginaire occidental, circulant entre r&eacute;el et fiction, entre arts et histoire, sans que jamais la fascination exerc&eacute;e sur les spectateurs de ce continuel va-et-vient ne se soit d&eacute;mentie. Car l&rsquo;imposteur fascine. Celui qui impose, qui trompe par son double visage, par ses mensonges ou ses productions, inqui&egrave;te autant qu&rsquo;il intrigue, amuse autant qu&rsquo;il scandalise, non sans que finissent par se cristalliser sur sa figure les traits d&rsquo;un v&eacute;ritable mythe. Mais qui est-il au juste? Que trouve-t-on derri&egrave;re le masque d&rsquo;un homme abusant de ses semblables, en jouant avec les fronti&egrave;res du vrai et du faux?</p> <p>La premi&egrave;re image &agrave; se pr&eacute;senter &agrave; nous sera sans doute celle de l&rsquo;imposteur de soci&eacute;t&eacute;, du pur imposteur, celui qui a mis sa personne au c&oelig;ur de la tromperie, et qui usurpe pour lui le nom, la qualit&eacute;, le titre d&#39;un autre, en se faisant passer pour ce qu&rsquo;il n&rsquo;est pas. Celui qui, comme le Knock de Jules Romains, trompe pour des b&eacute;n&eacute;fices mat&eacute;riels, ou qui, plus curieusement, finit par se croire semblable &agrave; cette image construite dans le regard des autres. Si les degr&eacute;s d&rsquo;adh&eacute;sion de l&rsquo;imposteur &agrave; sa tromperie sont vari&eacute;s, rien ne semble tant fasciner que le&nbsp;<em>topos</em>&nbsp;de l&rsquo;abuseur abus&eacute;, pathologique, perdu dans un univers construit de toutes pi&egrave;ces qu&rsquo;il ne distingue plus de l&rsquo;autre, ou incapable de ne pas retomber dans de nouvelles tromperies en d&eacute;pit de l&rsquo;effondrement successif de ses mondes imaginaires. Pensons &agrave; la figure de Philippe Berre, condamn&eacute; une quinzaine de fois pour des escroqueries diverses et vari&eacute;es, dont l&rsquo;histoire fera l&rsquo;objet d&rsquo;une adaptation cin&eacute;matographique (<em>A l&rsquo;origine</em>, Xavier Giannoli, 2008).</p> <p>Mais parmi les praticiens accomplis de l&rsquo;imposture, nous trouvons encore de nombreuses figures de faussaires, qui alt&egrave;rent la v&eacute;rit&eacute; en falsifiant des documents, des objets authentiques, ou en fa&ccedil;onnant par leur technique artistique, souvent doubl&eacute;e de la recr&eacute;ation d&rsquo;un ancrage historique de l&rsquo;artefact, une part de r&eacute;el artificielle parfois impossible &agrave; distinguer de la r&eacute;alit&eacute;. S&rsquo;ils jouent eux aussi avec les fronti&egrave;res du vrai, avec les noms d&rsquo;auteurs et les &eacute;tiquettes, c&rsquo;est, pour leur part, en s&rsquo;effa&ccedil;ant devant une production (ouvrage, &oelig;uvre d&rsquo;art&hellip;) qui incarne &agrave; leur place le talent, le questionnement sur les possibles du faux, la transgression que les purs imposteurs avaient amass&eacute;s sur leur seul visage (pensons &agrave; Rudy Kurniawan, expert en vins de renomm&eacute;e mondiale et escroc de premier ordre). Il reste que ces diff&eacute;rentes r&eacute;alit&eacute;s se confondent volontiers, l&rsquo;objet falsifi&eacute; s&rsquo;offrant souvent comme un outil essentiel pour faire durer l&rsquo;imposture (voir les faux documents du faux pilote d&rsquo;<em>Attrape-moi si tu peux</em>, film de Steven Spielberg, 2002), tandis qu&rsquo;il est pour d&rsquo;autres &ndash; et tout particuli&egrave;rement les faussaires d&rsquo;art &ndash; une fin en soi, dont le lien avec son cr&eacute;ateur ne doit en aucun cas surgir &agrave; la lumi&egrave;re (Shaun Greenhalgh, le g&eacute;nial faussaire de Manchester).</p> <p>Notons encore que dans les arts comme en science, l&rsquo;imposture et la mystification rel&egrave;vent aussi volontiers &ndash; particuli&egrave;rement depuis le d&eacute;but du XXe si&egrave;cle &ndash; d&rsquo;une posture assum&eacute;e, permettant de questionner ou d&eacute;noncer les errements contemporains, ou plus simplement de renouveler le champ de la cr&eacute;ation, en prenant acte de la difficult&eacute; du narratif ou de la figuration &agrave; renouveler les cadres d&rsquo;expression disponibles pour dire la modernit&eacute;.</p> <p>Le pr&eacute;sent num&eacute;ro de la revue&nbsp;<em>&Agrave;</em><em>&nbsp;l&rsquo;&eacute;preuve</em>&nbsp;entend interroger les fronti&egrave;res et les m&eacute;canismes de l&rsquo;imposture en tant qu&rsquo;elle irrigue les arts, dans l&rsquo;optique de faire le point sur cette notion connaissant un regain d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t ces derni&egrave;res ann&eacute;es. L&rsquo;un de ses objectifs serait de contribuer, par la mise en regard d&rsquo;un certain nombre d&rsquo;exemples tir&eacute;s de diff&eacute;rentes disciplines, &agrave; d&eacute;m&ecirc;ler la complexe galaxie des termes aff&eacute;rents &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de tromperie, dont les contours paraissent parfois d&eacute;licats &agrave; esquisser.</p> <p><strong>Faussaires et imposteurs, personnages de fiction</strong></p> <p>D&egrave;s avant Tartuffe, d&egrave;s avant Renart, la fascination de l&rsquo;Occident pour ses imposteurs a trouv&eacute; &agrave; s&rsquo;exprimer dans les arts, en donnant &agrave; penser que le parcours de ces personnages questionnait les liens entre r&eacute;el et fiction avant m&ecirc;me qu&rsquo;on ne les retrouve dans le champ artistique. Presse, biographies, r&eacute;cits, films et &oelig;uvres plastiques ont us&eacute; et abus&eacute; de figures d&rsquo;imposteurs et de faussaires, que leur jeu avec les fronti&egrave;res du vrai transformait en une mati&egrave;re &agrave; narration d&eacute;j&agrave; pr&ecirc;te &agrave; l&rsquo;emploi. Pourquoi ces figures doubles, ouvrant l&rsquo;espace des possibles, ont-elles trouv&eacute; un &eacute;cho relativement constant du c&ocirc;t&eacute; du monde des arts, et dans quelle mesure a-t-il vari&eacute; avec le temps? Comment comprendre leurs interactions si particuli&egrave;res avec une r&eacute;ception devant accepter leur dimension parfois transgressive, leur jeu avec la morale et la soci&eacute;t&eacute;, pour leur accorder sa sympathie, s&rsquo;identifier &agrave; eux ou au contraire, les mettre &agrave; distance? Quelles sp&eacute;cificit&eacute;s les imposteurs malgr&eacute; eux pr&eacute;sentent-ils (<em>Bienvenue, mister Chance</em>, Al Ashby, 1979,&nbsp;<em>Le Colonel Chabert</em>&hellip;)? Plusieurs contributions du num&eacute;ro reviennent en d&eacute;tail sur les motifs et les modalit&eacute;s de ces parent&eacute;s entre imposture et fiction. &Agrave; travers divers romans et un film, parmi lesquels&nbsp;<em>La Grande &eacute;clipse</em>&nbsp;d&rsquo;Alain Bosquet (1952), et&nbsp;<em>Un h&eacute;ros tr&egrave;s discret</em>&nbsp;(1989) de Jean-Fran&ccedil;ois Deniau, adapt&eacute; au cin&eacute;ma par Jacques Audiard en 1996, Cl&eacute;ment Sigalas analyse les traitements vari&eacute;s qu&rsquo;a connu le personnage du r&eacute;sistant imposteur dans la fiction sur la Deuxi&egrave;me Guerre mondiale, &eacute;clairant ainsi la complexit&eacute; politique d&rsquo;une &eacute;poque propice aux tromperies en tous genres. Si les romans de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-guerre d&eacute;noncent la duplicit&eacute; du protagoniste, la condamnation semble se dissiper avec le temps, au profit d&rsquo;une r&eacute;flexion plus large sur la fascination et l&rsquo;in&eacute;puisable mati&egrave;re &agrave; cr&eacute;ation que repr&eacute;sente la figure.</p> <p>On sait aussi que, gr&acirc;ce &agrave; son lien avec la r&eacute;ception et le savoir des spectateurs, l&rsquo;imposteur constitue une figure th&eacute;&acirc;trale et cin&eacute;matographique pleine de potentialit&eacute;s, ouvrant la voie, dans son interrogation permanente des limites du r&eacute;el, &agrave; tous les rebondissements, toutes les mises en abyme. Mais l&rsquo;imposteur soul&egrave;ve encore des questions axiologiques&nbsp;: tant&ocirc;t noir et tant&ocirc;t blanc, tant&ocirc;t comique, tant&ocirc;t tr&egrave;s sombre, il fait les frais de l&rsquo;ironie de ses cr&eacute;ateurs autant qu&rsquo;il suscite leur empathie, pouvant s&rsquo;incarner dans des personnages aussi n&eacute;gatifs par leur cupidit&eacute; ou leur ambition qu&rsquo;attachants dans cette qu&ecirc;te identitaire o&ugrave; le spectateur/lecteur les voit perdus. Pour interroger les r&eacute;ceptions m&eacute;diatique et spectatorielle d&rsquo;une grande figure d&rsquo;imposteur au cin&eacute;ma, Jules Sandeau s&rsquo;est arr&ecirc;t&eacute; sur la&nbsp;<em>persona</em>&nbsp;de Katharine Hepburn dans les ann&eacute;es 1930. L&rsquo;actrice nourrissait dans les m&eacute;dias une controverse quant &agrave; son identit&eacute;: volontiers menteuse sur sa condition amoureuse et familiale, elle d&eacute;cha&icirc;nait les passions, d&eacute;fendue comme un esprit libre par certains, condamn&eacute;e pour sa duplicit&eacute; par d&rsquo;autres. Les films de cette p&eacute;riode m&ecirc;lent inextricablement les r&ocirc;les cin&eacute;matographiques et les r&ocirc;les m&eacute;diatiques que joue l&rsquo;actrice. Dans une &eacute;tude diachronique qui traverse toute la d&eacute;cennie, l&rsquo;auteur nous montre que la compr&eacute;hension de ses r&ocirc;les et de son jeu dans les films n&rsquo;est pas s&eacute;parable d&rsquo;une prise en compte de la posture que l&rsquo;actrice cherchait &agrave; incarner.</p> <p>Les fonctions des personnages d&rsquo;imposteurs sont parfois un moyen de s&rsquo;attaquer &agrave; des figures d&rsquo;autorit&eacute;&nbsp;(m&eacute;decins, pr&ecirc;tres&hellip;) en se montrant aussi capables qu&rsquo;eux, ou en remettant en question leur capacit&eacute; &agrave; d&eacute;masquer la tromperie. L&rsquo;imposture serait dans ce cas de figure un moyen d&rsquo;acc&eacute;der paradoxalement &agrave; la v&eacute;rit&eacute; par la tricherie, en sortant du monde r&eacute;el pour en percevoir une po&eacute;sie d&rsquo;abord inaccessible (pensons &agrave;&nbsp;<em>Thomas l&rsquo;imposteur</em>&nbsp;de Cocteau, qui d&eacute;voile les ressources esth&eacute;tiques et th&eacute;&acirc;trales insoup&ccedil;onn&eacute;es de la Grande Guerre, en 1923), ou en d&eacute;voilant des impostures bien plus grandes. L&rsquo;article propos&eacute; par Lo&iuml;se Lelev&eacute; interroge ainsi les enjeux politiques et esth&eacute;tiques que soul&egrave;ve la pr&eacute;sence de nombreux personnages de faussaires dans la litt&eacute;rature contemporaine europ&eacute;enne. &Agrave; travers des &oelig;uvres d&rsquo;Umberto Eco (<em>Il Cimitero di Praga</em>, 2010), Iain Pears (<em>The Raphael Affair</em>, 1990) et Daniel Kehlman (<em>F</em>, 2013), elle &eacute;claire les potentialit&eacute;s de ces figures troubles, capables de questionner &agrave; travers la fiction notre confiance dans les discours et les figures d&rsquo;autorit&eacute; (auteurs, experts en arts, historiens&hellip;), mais aussi notre appr&eacute;hension marchande des &oelig;uvres, largement fond&eacute;e sur des attributions et des noms d&rsquo;auteurs. En creux, para&icirc;t se jouer, dans l&rsquo;exhibition de ces figures ambig&uuml;es et dans la sape fictionnelle de ces discours de v&eacute;rit&eacute;, une r&eacute;habilitation du pouvoir du lecteur, auquel une certaine post-modernit&eacute; avait d&eacute;ni&eacute; une bonne partie de ses droits.</p> <p>Il s&rsquo;agit aussi de questionner les modalit&eacute;s de fictionnalisation de ces figures, fonctionnant dans un syst&egrave;me clos, o&ugrave; tout para&icirc;t faire sens, &ecirc;tre pens&eacute; en coh&eacute;rence avec l&rsquo;imposture. Quelles transformations ces personnages subissent-ils lors de leurs incessantes circulations dans le riche maillage de la presse, de l&rsquo;autofiction et de la fiction (voir par exemple la multiplication des &eacute;crits et films sur J.-C. Romand, faux m&eacute;decin de l&rsquo;OMS&nbsp;incarc&eacute;r&eacute; pour le meurtre de sa famille, qui d&eacute;cha&icirc;na les passions populaires)? Pour r&eacute;pondre &agrave; cette question, Sara Watson revient sur la r&eacute;appropriation litt&eacute;raire qu&rsquo;entreprit Colette d&rsquo;une grande figure humoristique des ann&eacute;es 1890: l&rsquo;&eacute;crivain Paul Masson, prince du calembour, roi de la farce, de la mystification et de l&rsquo;usurpation d&rsquo;identit&eacute;, qui eut son heure de gloire dans la presse de la Belle &Eacute;poque. Devenu, pour la fiction, &laquo;Lemice-Terrieux&raquo;, ce personnage d&rsquo;imposteur permet l&rsquo;exploration de divers possibles narratifs (falsifications de documents, d&eacute;guisement, mise en relation de personnages&hellip;)&nbsp;et permet surtout, par le d&eacute;voilement de ses tromperies que Colette op&egrave;re, de questionner les artifices et les mensonges de son temps. En comparant les apparitions de Masson dans la presse et ses mises en sc&egrave;ne litt&eacute;raires, l&rsquo;auteure &eacute;claire ainsi le r&ocirc;le de r&eacute;v&eacute;lateur de v&eacute;rit&eacute;s qu&rsquo;assument, en litt&eacute;rature, beaucoup de ces personnages. Plus encore, elle parvient &agrave; mettre en rapport le recours &agrave; ce &laquo;Lemice-Terrieux&raquo; avec les d&eacute;doublements de figures propres &agrave; une Colette qui s&rsquo;en d&eacute;fendait, mais qui fit de l&rsquo;imposture un outil cr&eacute;atif &agrave; part enti&egrave;re, &agrave; l&rsquo;heure o&ugrave; elle cherchait, par le biais de l&rsquo;autofiction, &agrave; donner une vie litt&eacute;raire &agrave; des bribes de son pass&eacute;.</p> <p><strong>L&#39;imposture comme principe de cr&eacute;ation</strong></p> <p>L&#39;imposture et ses corollaires (plagiat, copie, manipulation, mensonge) peuvent encore se nicher au c&oelig;ur des &oelig;uvres d&#39;art, allant parfois jusqu&#39;&agrave; constituer leur principe de cr&eacute;ation. Si l&#39;on ne compte plus les artistes qui furent, au fil des si&egrave;cles pass&eacute;s, accus&eacute;s d&#39;imposture, le XXe si&egrave;cle parvint parfois &agrave; &eacute;riger cette derni&egrave;re en geste artistique &agrave; part enti&egrave;re, souvent r&eacute;flexif, dans la lign&eacute;e de la mise &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve des milieux de l&rsquo;art engag&eacute;e par Duchamp avec&nbsp;<em>Fontaine</em>, en 1917. Depuis lors, les artistes n&#39;ont cess&eacute; d&#39;employer ce biais pour interroger et d&eacute;placer les fronti&egrave;res de l&#39;art, en multipliant les gestes de repr&eacute;sentation de leurs falsifications, de leurs reprises ou leurs plagiats. C&rsquo;est de cette mani&egrave;re que la posture put &ecirc;tre revendiqu&eacute;e pour l&eacute;gitimer un statut d&#39;artiste &agrave; part enti&egrave;re, dans un renversement des valeurs significatif de notre modernit&eacute;. Si le questionnement sur cette posture traverse l&rsquo;&oelig;uvre de Georges Perec, elle est le symbole, pour Mariano d&rsquo;Ambrosio, d&rsquo;une qu&ecirc;te identitaire difficile de l&rsquo;auteur. Du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>&nbsp;(1960) &agrave;&nbsp;<em>Un cabinet d&rsquo;amateur</em>&nbsp;(1979), le th&egrave;me de l&rsquo;imposture se d&eacute;cline &agrave; travers de nombreux motifs et personnages (le portrait du&nbsp;<em>Condotti&egrave;re</em>&nbsp;d&rsquo;Antonello de Messine, le personnage de faussaire Gaspard Winckler, etc.) et divers traits stylistiques (le puzzle comme m&eacute;thode de composition, la fluctuation onomastique et les flottements dans la focalisation, etc.), interrogeant sans cesse la labilit&eacute; des fronti&egrave;res entre le vrai et le faux. Pourtant,&nbsp;<em>W ou Le Souvenir d&rsquo;enfance</em>&nbsp;(1975) constitue un tournant dans la production romanesque p&eacute;recquienne, &agrave; partir duquel les enjeux &eacute;thiques du th&egrave;me se transforment en enjeux esth&eacute;tiques. D&egrave;s lors, l&rsquo;imposture n&rsquo;est plus tant un moyen de d&eacute;masquer une r&eacute;alit&eacute; autobiographique, qu&rsquo;une mati&egrave;re &agrave; cr&eacute;er des r&eacute;cits multiples, aux identit&eacute;s mouvantes.</p> <p>On pourra se pencher sur le statut plus pol&eacute;mique encore du faussaire et des &oelig;uvres contrefaites, de ces productions, qui, donc, n&rsquo;assument pas leur statut d&rsquo;imposture. Que ce soit dans les domaines de la peinture, de la musique (Mamoru Samuragochi, le &laquo;Beethoven japonais&raquo;) ou du cin&eacute;ma notamment, certaines de ces productions ont acquis le statut d&rsquo;&oelig;uvres d&#39;art&nbsp;<em>via</em>&nbsp;un processus d&#39;autonomisation par rapport au mod&egrave;le, une fois l&rsquo;imposture d&eacute;couverte, ou, au contraire, par leur d&eacute;nonciation comme impostures, en d&eacute;pit de l&rsquo;originalit&eacute; dont elles faisaient preuve. Comment l&#39;imposture a-t-elle pu se nicher au c&oelig;ur du processus cr&eacute;atif de certains artistes ou de certaines &oelig;uvres? De quelle fa&ccedil;on permit-elle &agrave; certains artistes de se revendiquer comme tels dans un champ social d&eacute;termin&eacute;? De fa&ccedil;on plus g&eacute;n&eacute;rale, pourquoi et comment en est-elle arriv&eacute;e &agrave; rev&ecirc;tir une dimension positive dans la constitution d&#39;une &oelig;uvre ou d&#39;une figure d&#39;artiste? R&eacute;pondant &agrave; plusieurs de ces questions, l&rsquo;entretien que le peintre Wolfgang Beltracchi a bien voulu nous accorder nous &eacute;claire sur les motivations et les m&eacute;thodes de travail d&rsquo;une des figures de faussaire les plus notables de notre temps. Entre une invention constante et la falsification de signatures, la cr&eacute;ation d&rsquo;une toile in&eacute;dite &laquo; &agrave; la mani&egrave;re de &raquo; est un exemple parfait de la relation &eacute;quivoque et souvent perm&eacute;able entre le g&eacute;nie artistique et l&rsquo;imposture. Dans cet &eacute;change, Beltracchi revient sur l&rsquo;origine de sa passion pour la peinture et nous explique dans le d&eacute;tail sa mani&egrave;re de concevoir des &oelig;uvres originales en s&rsquo;impr&eacute;gnant autant que possible des styles de peintres c&eacute;l&egrave;bres, parmi lesquels Matisse, Max Ernst ou Picasso. En distinguant la tromperie que constitue la fausse signature du processus cr&eacute;atif qui l&rsquo;accompagnait, l&rsquo;artiste montre enfin la continuit&eacute; dans laquelle s&rsquo;inscrit son activit&eacute; picturale, en se ressaisissant d&rsquo;un&nbsp;<em>moi</em>&nbsp;que la copie avait commenc&eacute; &agrave; faire &eacute;merger. Notons enfin que dans certains cas, l&rsquo;imposture devient principe cr&eacute;ateur par la d&eacute;l&eacute;gation de la voix de l&rsquo;auteur &agrave; l&rsquo;une des instances pouvant le repr&eacute;senter au sein de la fiction. Vivien Matisson et Th&eacute;o Soula explorent ainsi la tr&egrave;s complexe strat&eacute;gie &eacute;nonciative du&nbsp;<em>Bavard</em>&nbsp;de Louis-Ren&eacute; des For&ecirc;ts, r&eacute;cit men&eacute; par une sorte de &laquo; prestidigitateur &raquo; qui ne cesse de jouer avec le lecteur, en le trompant, puis en avouant ses tromperies pour mieux le duper encore, dans un cercle infini suscitant &agrave; la fois fascination et frustration. R&eacute;flexion sur le langage et ses vices, sur l&rsquo;importance d&rsquo;une lecture m&eacute;fiante et critique, le texte, &eacute;crit par un r&eacute;sistant au c&oelig;ur de la Seconde Guerre mondiale, n&rsquo;est pas seulement le tour de force linguistique captivant que certains voulurent y voir. Il appelle au contraire, par la mise en sc&egrave;ne d&rsquo;une voix passive, incapable d&rsquo;assumer sa parole et son &ecirc;tre sur un autre mode que celui de l&rsquo;imposture, &agrave; une v&eacute;ritable r&eacute;flexion sur l&rsquo;engagement, riche de sens en ces temps si troubl&eacute;s. Comme l&rsquo;article de Cl&eacute;ment Sigalas, cette lecture du&nbsp;<em>Bavard</em>&nbsp;confirme l&rsquo;intuition selon laquelle certains contextes historiques seraient particuli&egrave;rement propices &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence de figures d&rsquo;imposteurs.</p> <p><strong><em>Work in progress</em></strong></p> <p>Comme chaque ann&eacute;e, on trouvera en fin de num&eacute;ro trois articles issus de communications propos&eacute;es lors de la journ&eacute;e doctorale du Rirra21, intitul&eacute;e&nbsp;<em>Work in progress</em>, qui s&rsquo;est tenue &agrave; Montpellier le 14 avril 2016.</p> <p>Bounthavy Suvilay &eacute;tudie en d&eacute;tail l&rsquo;utilisation du terme &laquo;manga&raquo; dans plusieurs quotidiens fran&ccedil;ais depuis les ann&eacute;es 1980 et nous montre, &agrave; la faveur de nombreux exemples, la fa&ccedil;on dont le mot a &eacute;t&eacute; utilis&eacute; pour servir des positionnements diff&eacute;rents voire oppos&eacute;s au sein du champ m&eacute;diatique.</p> <p>Pour sa part, Fabio Raffo s&rsquo;arr&ecirc;te sur l&rsquo;&oelig;uvre du metteur en sc&egrave;ne italien Romeo Castellucci. En s&rsquo;interrogeant sur l&rsquo;utilisation par l&rsquo;artiste de bruits et de mat&eacute;riaux divers (poussi&egrave;res, machines, etc.), l&rsquo;auteur essaie de construire une g&eacute;n&eacute;alogie th&eacute;&acirc;trale remontant jusqu&rsquo;&agrave; Vaslav Nijinski, en rep&eacute;rant l&rsquo;&eacute;volution et la transformation de quelques constructions narratives et motifs particuliers.</p> <p>&Agrave; travers l&rsquo;&eacute;tude compar&eacute;e des s&eacute;quences introductives des&nbsp;<em>Grandes esp&eacute;rances</em>&nbsp;(1947) et d&rsquo;<em>Oliver Twist</em>&nbsp;(1948) de David Lean, Hadrien Fontanaud analyse la mani&egrave;re dont se construit une po&eacute;tique du paysage chez le r&eacute;alisateur, inspir&eacute;e de l&rsquo;esth&eacute;tique gothique et de la th&eacute;orie du sublime d&rsquo;Edmund Burke. En d&eacute;pit du contraste entre l&rsquo;immensit&eacute; des paysages et la petitesse des personnages, le montage cin&eacute;matographique construit un faisceau de correspondances qui oblige &agrave; interroger le rapport entre les deux &eacute;l&eacute;ments: au-del&agrave; du simple reflet des &eacute;motions individuelles qu&rsquo;il constitue, le paysage chez David Lean ouvre vers une forme de transcendance o&ugrave; le personnage s&rsquo;efface au profit de la nature.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong>:</p> <p>Christian Bessy et Francis Chateauraynaud,&nbsp;<em>Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception</em>, Paris, P&eacute;tra, 2014.</p> <p>Arlette Bouloumi&eacute; (dir.),&nbsp;<em>L&rsquo;imposture dans la litt&eacute;rature</em>, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.</p> <p>Philippe Di Folco,&nbsp;<em>Petit trait&eacute; de l&#39;imposture</em>, Paris, Larousse, 2011.</p> <p>Umberto Eco,&nbsp;<em>La Guerre du faux</em>, Paris, Grasset et Fasquelle, 1985.</p> <p>L&eacute;a Gauthier, Muriel Ryngaert, Fran Lamy (dir.),&nbsp;<em>Posture(s), imposture(s)</em>, Vitry-sur-Seine, MAC/VAL, 2008.</p> <p>Anthony Grafton,&nbsp;<em>Faussaires et critiques. Cr&eacute;ativit&eacute; et duplicit&eacute; chez les &eacute;rudits occidentaux</em>, trad. fr. Marie-Gabrielle Carlier, Paris, Les Belles Lettres, 2009.</p> <p>Jean-Fran&ccedil;ois Jeandillou,&nbsp;<em>Supercheries litt&eacute;raires</em>&nbsp;[1989], Gen&egrave;ve, Droz, 2001.</p> <p>Charlotte Guichard (dir.),&nbsp;<em>De l&rsquo;authenticit&eacute;. Une histoire des valeurs de l&rsquo;art (XVIe-XXe si&egrave;cles)</em>, Paris, Presses de la Sorbonne, 2014.</p> <p>Otto Kurz,&nbsp;<em>Faux et faussaires</em>, trad. fr. Jacques Chavy, Paris, Flammarion, 1992.</p> <p>Thierry Lenain,&nbsp;<em>Art Forgery. The History of a Modern Obsession</em>, Londres, Reaktion, 2011.</p> <p>Anthony Mangeon,&nbsp;<em>Crimes</em>&nbsp;<em>d&rsquo;auteur: de l&rsquo;influence, du plagiat et de l&rsquo;assassinat en litt&eacute;rature.</em>&nbsp;Paris, Hermann, 2016.</p> <p>H&eacute;l&egrave;ne Maurel-Indart,&nbsp;<em>Du Plagiat</em>, Paris, Gallimard, Folio Essais, 2011.</p> <p><em>De main de ma&icirc;tre. L&rsquo;artiste et le faux</em>, collectif, Paris, Hazan, Mus&eacute;e du Louvre &eacute;ditions, 2009.</p>