<p><q><em>&nbsp;Je n&rsquo;habitais plus rien. Habiter n&rsquo;est pas vivre&nbsp;: il y a des logements pour &ccedil;a. Habiter, c&rsquo;est trouver, dans l&rsquo;espace, une zone de co&iuml;ncidence avec son p&eacute;rim&egrave;tre mental. Un lieu de commerce avec l&rsquo;&eacute;tendue, un point de rel&acirc;che des lois de la g&eacute;ographie. Habiter, c&rsquo;est entrer dans sa t&ecirc;te comme on pousse la grille d&rsquo;un parc et d&eacute;couvrir, sous une v&eacute;g&eacute;tation chahut&eacute;e par des animaux en maraude, ses propres pens&eacute;es statufi&eacute;es, ses phrases grav&eacute;es, au canif, dans le bois des bancs et ses souvenirs nageant, taches floues, sous la surface des &eacute;tangs. C&rsquo;est &ecirc;tre &eacute;tranger &agrave; soi-m&ecirc;me, renoncer &agrave; l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;, s&rsquo;ouvrir au flux. Habiter est un travail, et je peinais sur l&rsquo;ouvrage. </em></q></p> <p>Philippe Vasset, <em>Une Vie en l&rsquo;air</em>, Paris, Fayard, 2018, p.&nbsp;138<em> </em></p> <p>&nbsp;</p> <p>Dans son dernier livre, <em>Une Vie en l&rsquo;air</em>, Philippe Vasset d&eacute;crit sa fascination pour un &eacute;trange monument &agrave; l&rsquo;abandon&nbsp;: un monorail &agrave; dix m&egrave;tres au-dessus du sol qui traverse la Beauce, vestige de la rampe d&rsquo;essai d&rsquo;un a&eacute;rotrain dont le projet fut abandonn&eacute; dans les ann&eacute;es 1970. Ainsi perch&eacute;e sur cette terrasse de b&eacute;ton, l&rsquo;&oelig;uvre s&rsquo;&eacute;quilibre de deux dynamiques compl&eacute;mentaires&nbsp;: l&rsquo;&eacute;crivain relate comment le <em>leitmotiv</em> de l&rsquo;a&eacute;rotrain habite son imagination depuis l&rsquo;enfance jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;obsession, et en contrepoint il retrace ses tentatives pour habiter &agrave; son tour cet espace, en vain. Philippe Vasset exp&eacute;rimente ainsi l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une d&eacute;pendance r&eacute;ciproque entre l&rsquo;habiter et l&rsquo;individu. Le <em>Dasein</em> d&rsquo;Heidegger ne disait pas autre chose&nbsp;: habiter est le principe m&ecirc;me de notre existence, &ecirc;tre jet&eacute; au monde tout autant que le monde est jet&eacute; en nous.</p> <p>Concept flottant, le mot &laquo; habiter &raquo; ne se laisse pas d&eacute;finir facilement. &laquo; L&rsquo;habiter &raquo; est aussi bien le principe organisateur de l&rsquo;espace dans les th&eacute;ories des urbanistes que le point de d&eacute;part de nombreuses r&eacute;flexions philosophiques.&nbsp;Sa dimension anthropologique lui donne une port&eacute;e &agrave; la fois sociologique et politique.<i>&nbsp;</i>Il est ainsi significatif que le verbe &laquo; habiter &raquo; soit &eacute;tymologiquement li&eacute; aux notions d&rsquo;appartenance et de r&eacute;p&eacute;tition<a href="#nbp1" name="liennbp1">1</a> : il suppose d&rsquo;abord la possession, au moins symbolique, d&rsquo;un lieu et sa fr&eacute;quentation r&eacute;currente. Point de d&eacute;part du quotidien, l&rsquo;habiter est alors ce qui imprime les <em>habitus</em> en chacun de nous&nbsp;; nos mani&egrave;res d&rsquo;&ecirc;tre, de sentir et de penser en fonction de nos conditions mat&eacute;rielles d&rsquo;existence.</p> <p>Si l&rsquo;habiter est g&eacute;n&eacute;ralement consid&eacute;r&eacute; comme l&rsquo;une des notions classiques du vocabulaire scientifique des g&eacute;ographes, des architectes et des anthropologues, il se raconte aussi &agrave; travers les arts comme il influence les arts eux-m&ecirc;mes. Le pr&eacute;sent num&eacute;ro de la revue <em>&Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve</em> souhaite interroger les nombreuses facettes de cette notion de l&rsquo;habiter qui irrigue aussi bien les sciences humaines que les arts depuis l&rsquo;Antiquit&eacute;. Philippe Vasset a su montrer avec po&eacute;sie comment les lieux nous habitent autant que nous les habitons. Dans son sillage, nous souhaiterions que ce num&eacute;ro mette au jour cette dualit&eacute; de l&rsquo;habiter dans la cr&eacute;ation. D&rsquo;une part, nous proposons de concevoir l&rsquo;habiter comme une th&eacute;matique et d&rsquo;interroger la mani&egrave;re dont les Arts traitent ce concept et le repr&eacute;sentent. D&rsquo;autre part, le processus de cr&eacute;ation lui-m&ecirc;me est li&eacute;, voire conditionn&eacute; par le lieu qu&rsquo;habite l&rsquo;artiste, aussi l&rsquo;habiter peut-il &ecirc;tre envisag&eacute; comme un &eacute;l&eacute;ment participant &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;une &oelig;uvre, d&rsquo;un style, d&rsquo;un art.</p> <h2><strong>Raconter l&rsquo;habiter</strong></h2> <p>Chaque lieu habit&eacute; est une histoire nouvelle. Une histoire intime d&rsquo;abord&nbsp;; les objets, les noms de rue, les photographies, les souvenirs cimentent le rapport &eacute;troit de l&rsquo;individu &agrave; son lieu de vie. Mais cette histoire est aussi sociale, voire politique. Sentiment d&rsquo;appartenance et construction identitaire forment la trame de ce r&eacute;cit, parfois pol&eacute;mique, de l&rsquo;habiter. Rendre compte de la mani&egrave;re dont on investit un lieu, ce qu&rsquo;il raconte de nous autant que ce que nous racontons de lui est une entreprise aussi complexe que r&eacute;v&eacute;latrice de l&rsquo;identit&eacute; tant individuelle que sociale de l&rsquo;individu. L&rsquo;aventure du quotidien, la recherche des limites de cet espace habit&eacute;, l&rsquo;interrogation de ce sentiment d&rsquo;appartenance sont autant d&rsquo;enjeux dont se saisissent &eacute;crivains, photographes, cin&eacute;astes, ou artistes.</p> <p>Si l&rsquo;habiter est le point de d&eacute;part de tout quotidien, il est aussi ind&eacute;termin&eacute; que lui et se d&eacute;robe &agrave; l&rsquo;objectivation. La r&eacute;currence de l&rsquo;habiter, sa banalit&eacute; et son insignifiance ne se pr&ecirc;tent pas facilement &agrave; la mise en r&eacute;cit, ni &agrave; la repr&eacute;sentation. Comment relater sans artificialit&eacute; ce qui fait la douceur ou l&rsquo;ennui d&rsquo;une habitation retir&eacute;e&nbsp;? Le travail d&rsquo;Herv&eacute; Guibert, &eacute;crivain et photographe, invite le lecteur-spectateur &agrave; entrer chez lui et offre un bel exemple de cette repr&eacute;sentation de l&rsquo;habiter. Dans son article<a href="#nbp2" name="liennbp2">2</a>, Chiara Marotta explore le monde de l&rsquo;artiste qui s&rsquo;approprie les espaces habit&eacute;s par les &oelig;uvres qu&rsquo;il en tire. &Agrave; travers ses objets, ses lieux de vie, l&rsquo;artiste nous ouvre la porte de son intimit&eacute;. L&rsquo;inaper&ccedil;u, l&rsquo;infra-ordinaire, la description du proche non seulement peuvent &ecirc;tre saisis mais encore partag&eacute;s et offerts &agrave; une nouvelle appropriation. Finalement, les lieux intimes d&rsquo;Herv&eacute; Guibert deviennent familiers &agrave; ses lecteurs-spectateurs qui habitent, &agrave; leur mani&egrave;re, l&rsquo;espace de l&rsquo;artiste pour une co-habitation d&rsquo;un nouveau genre. Mais la co-habitation ne va pas toujours de soi. Raconter l&rsquo;habiter, dans sa quotidiennet&eacute;, c&rsquo;est aussi montrer les enjeux d&rsquo;un espace partag&eacute; par plusieurs individus. Alice de Charentenay<a href="#nbp3" name="liennbp3">3</a>, en analysant le rapport synecdotique entre le foyer le monde social dans les romans du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle mettant en sc&egrave;ne les relations de ma&icirc;tres &agrave; servants, l&egrave;ve le voile sur la complexit&eacute; d&rsquo;habiter selon son appartenance sociale ou son sexe. &Agrave; travers les romans de Lamartine, Flaubert, Huysmans, Mirbeau ou encore des Goncourt, la figure de la servante, tant&ocirc;t positive, tant&ocirc;t parasitaire, devient le symbole de l&rsquo;&eacute;volution du rapport &agrave; l&rsquo;habitat du mod&egrave;le aristocratique au mod&egrave;le bourgeois. Raconter l&rsquo;habiter, pour ces auteurs, c&rsquo;est mettre au jour tout ce que la sph&egrave;re de l&rsquo;intime peut dire de l&rsquo;organisation sociale et politique d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;. Les fronti&egrave;res sociales ne sont d&rsquo;ailleurs pas les seules &agrave; changer notre rapport &agrave; l&rsquo;habiter. Habiter un lieu, c&rsquo;est poser d&rsquo;une mani&egrave;re implicite notre appartenance &agrave; ce lieu. Or qu&rsquo;en est-il quand celui-ci est &eacute;clat&eacute;&nbsp;? Alvaro Luna<a href="#nbp4" name="liennbp4">4</a> propose de recoller les morceaux de l&rsquo;habiter d&eacute;crit par Sandra Cisneros, romanci&egrave;re mexico-am&eacute;ricaine et auteure de <em>Caramelo</em> qui pose la question d&rsquo;un habiter transnational. &Agrave; l&rsquo;image d&rsquo;un rapport paisible et id&eacute;al &agrave; l&rsquo;habiter selon Gaston Bachelard<a href="#nbp5" name="liennbp5">5</a>, Sandra Cisneros oppose celle d&rsquo;un habiter conflictuel et dispers&eacute;. L&rsquo;immigr&eacute; n&rsquo;habite pas un seul lieu, il l&rsquo;&eacute;tend &agrave; d&rsquo;autres espaces, qu&rsquo;ils soient g&eacute;ographiques ou symboliques. Raconter l&rsquo;habiter devient alors une recherche identitaire, un r&eacute;cit d&rsquo;&eacute;quilibriste pour tenter d&rsquo;apprivoiser un espace qui d&eacute;passe les fronti&egrave;res g&eacute;ographiques et culturelles.</p> <p>Cependant, tous les espaces peuvent-ils &ecirc;tre apprivois&eacute;s, ou r&eacute;apprivois&eacute;s&nbsp;? Raconter l&rsquo;habiter, c&rsquo;est aussi fatalement, raconter l&rsquo;inhabitable. Comment habiter un lieu &agrave; l&rsquo;abandon, d&eacute;laiss&eacute;, hant&eacute; par son essor pass&eacute;&nbsp;? Les habitants de D&eacute;troit tentent de trouver des r&eacute;ponses que la cam&eacute;ra de Jim Jarmusch ou la plume de Tanguy Viel enregistrent. Anne-Isabelle Fran&ccedil;ois<a href="#nbp6" name="liennbp6">6</a>, en rapprochant ces deux artistes, questionne un habiter fantomatique. La ville de D&eacute;troit semble finalement habit&eacute;e davantage par l&rsquo;imaginaire, par le souvenir que par un principe de r&eacute;sidence. L&rsquo;auteure fait ainsi appara&icirc;tre la part de hantise que comporte le terme habiter. Par cet exemple, c&rsquo;est toute notre conception moderne de l&rsquo;habiter dans les espaces urbains qui est interrog&eacute;e. Les d&eacute;serts humains, les espaces vides, ou plut&ocirc;t vid&eacute;s, sont aussi ruraux. L&rsquo;exp&eacute;dition<a href="#nbp7" name="liennbp7">7</a> d&rsquo;Ana&iuml;s Boudot, photographe, Marine Delouvrier, architecte et illustratrice, et Herv&eacute; Siou, doctorant en histoire, r&eacute;sum&eacute;e dans ce num&eacute;ro, a eu pour vocation de donner &agrave; voir l&rsquo;Espagne des campagnes comme une Espagne <em>d&eacute;shabit&eacute;e</em>. Les d&eacute;placements des populations vers les villes ont transform&eacute; en profondeur le visage de ces espaces autrefois habit&eacute;s. La pr&eacute;sence pass&eacute;e a laiss&eacute; des traces dans le paysage, traces qu&rsquo;il faut se r&eacute;approprier. Mais cet espace <em>a priori</em> vide, semble repr&eacute;senter un habiter marginal en pleine mutation qu&rsquo;il s&rsquo;agit de saisir au vol.&nbsp;&Agrave; l&rsquo;inverse, la surpopulation des ensembles urbains peut de m&ecirc;me rendre l&rsquo;acte d&rsquo;habiter difficile. Comment se r&eacute;approprier un espace tout &agrave; la fois dense et cloisonn&eacute; ? C&rsquo;est la question que pose Claire Allouche<a href="#nbp8" name="liennbp8">8</a> &agrave; travers l&rsquo;exemple de la ville de Recife, situ&eacute;e dans la r&eacute;gion la plus pauvre du Br&eacute;sil.&nbsp;Comment habiter une cit&eacute; qui semble opposer deux modes de vie&nbsp;: la verticalit&eacute; des tours s&eacute;curis&eacute;es des beaux quartiers et l&rsquo;horizontalit&eacute; des <em>favelas</em>.&nbsp;Par l&rsquo;analyse de cinq courts m&eacute;trages, Claire Allouche &eacute;tudie la capacit&eacute; des recifenses &agrave; <em>r&eacute;-habiter</em> l&rsquo;espace urbain. Les cin&eacute;astes cherchent &agrave; capter voire &agrave; inventer et cr&eacute;er une vie de quartier pour r&eacute;ussir cette r&eacute;appropriation de l&rsquo;espace.</p> <p>La fragilit&eacute; de l&rsquo;habiter fait la richesse de ses r&eacute;cits. Bien que fragile, mouvant et multiple, l&rsquo;habiter est un prisme au travers duquel se lit l&rsquo;histoire intime et sociale d&rsquo;un individu, d&rsquo;une ville, d&rsquo;un pays, d&rsquo;un monde. C&rsquo;est parce que la notion d&rsquo;habiter touche &agrave; toutes les &eacute;chelles de nos soci&eacute;t&eacute;s que s&rsquo;en saisir est un enjeu artistique, &eacute;thique et politique majeur. L&rsquo;habiter ne se raconte pas seulement, il se cr&eacute;e.</p> <h2><strong>L&rsquo;habiter et la cr&eacute;ation</strong></h2> <p>Par-del&agrave; la description d&#39;un lieu envisag&eacute; depuis un itin&eacute;raire personnel ou historique, l&#39;habiter peut nourrir la m&eacute;ditation de l&#39;artiste. R&eacute;fl&eacute;chir en amont sur la place de l&#39;&oelig;uvre, envisager l&#39;&eacute;tendue de ses interactions et de ses cons&eacute;quences avec un environnement particulier t&eacute;moigne d&#39;une pr&eacute;occupation &eacute;cologique dans la cr&eacute;ation. Dans un m&ecirc;me mouvement, <em>faire &oelig;uvre</em> s&#39;associe n&eacute;cessairement avec l&#39;id&eacute;e de <em>faire monde</em>. L&#39;artiste pose la question de son int&eacute;gration dans un milieu et tente, plut&ocirc;t que d&#39;imposer sa pr&eacute;sence dans un espace, de s&#39;y imbriquer, de s&#39;y fondre et d&#39;&eacute;pouser les contours d&#39;un nouvel habitat. Replacer l&#39;habiter dans une perspective cr&eacute;ationnelle invite &eacute;galement &agrave; interroger les conditions et param&egrave;tres qui favorisent la production d&#39;une &oelig;uvre. &Agrave; quoi ressemblerait un habiter parfait&nbsp;? Comment le concevoir pour mieux l&#39;occuper par la cr&eacute;ation&nbsp;? La possibilit&eacute; de cette utopie convie &agrave; penser non plus espace et invention dans un simple rapport de continuit&eacute; mais en synergie.</p> <p>La notion d&#39;habiter se voit reconfigur&eacute;e par la pression de certaines probl&eacute;matiques contemporaines qui conduisent &agrave; remodeler notre rapport aux espaces. Quelles strat&eacute;gies et r&eacute;flexes mettre en place pour s&#39;adapter &agrave; des donn&eacute;es in&eacute;dites&nbsp;? Dans quel sens orienter sa pratique pour trouver une nouvelle fa&ccedil;on d&#39;habiter un lieu modifi&eacute;&nbsp;? Face aux nombreux d&eacute;fis climatiques, la plasticienne et vid&eacute;aste Ana Mendieta affiche dans son travail un r&eacute;el souci des traces laiss&eacute;es par son corps. Ma&iuml;lys Girodon<a href="#nbp9" name="liennbp9">9</a> interroge le travail de cette artiste au prisme de la notion d&#39;<em>&eacute;cogynie</em>, n&eacute;ologisme forg&eacute; par l&#39;auteure &agrave; partir de la th&egrave;se formul&eacute;e par l&#39;activiste indienne Vandana Shiva et la sociologue allemande Maria Mies dans leur ouvrage <em>Ecof&eacute;minisme</em> (1993). &Eacute;tablissant une parent&eacute; entre l&#39;exploitation de la nature et les violences faites aux femmes, ce terme soutient une r&eacute;flexion approfondie sur le concept de trace. Le processus de cr&eacute;ation est ici doubl&eacute; d&#39;une r&eacute;flexion critique et &eacute;thique sur nos mani&egrave;res d&#39;habiter le monde. Sur des terrains tout aussi actuels, l&#39;article d&#39;Emmanuelle Pelard<a href="#nbp10" name="liennbp10">10</a> constate le bouleversement des modalit&eacute;s de la cr&eacute;ation en litt&eacute;rature par l&#39;&eacute;mergence, le d&eacute;veloppement et l&#39;expansion des pratiques num&eacute;riques. Devant ces nouvelles configurations, le paradigme de l&#39;auctorialit&eacute; au singulier laisse place &agrave; la constitution de communaut&eacute;s cr&eacute;atives. La communaut&eacute; en ligne habite l&rsquo;&oelig;uvre, l&#39;investit et la r&eacute;investit constamment selon les interactions avec cette derni&egrave;re. Cette red&eacute;finition du statut de l&#39;auteur, de l&rsquo;&oelig;uvre et du lecteur ouvre le champ &agrave; des territoires de cr&eacute;ation &agrave; habiter en r&eacute;seau.</p> <p>Si l&#39;on peut cr&eacute;er pour habiter, la proposition inverse fonctionne tout autant. Le lieu, par ses caract&eacute;ristiques propres et sa situation singuli&egrave;re, peut stimuler la cr&eacute;ation et, en l&#39;investissant pleinement, l&#39;artiste peut en d&eacute;gager un b&eacute;n&eacute;fice d&#39;invention non n&eacute;gligeable. C&#39;est &agrave; la qu&ecirc;te de cet espace id&eacute;al que se lance Gaston Bachelard lorsqu&#39;il fournit &agrave; son ami graveur Albert Flocon des indications pour dessiner la maison de ses r&ecirc;ves. Par l&#39;agencement savamment orchestr&eacute; des pi&egrave;ces entre elles, cette habitation favoriserait l&#39;&eacute;tude et le travail intellectuel. Marguerite de Witte<a href="#nbp11" name="liennbp11">11</a> revient sur cet &eacute;pisode peu connu de la vie du penseur en rattachant cette recherche aussi concr&egrave;te que r&ecirc;veuse au processus d&#39;&eacute;criture philosophique de Bachelard, revitalisant par l&agrave;-m&ecirc;me le concept de &laquo;&nbsp;maison onirique&nbsp;&raquo;. Dans une perspective plus pol&eacute;mique et politique, les habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes placent la question de l&#39;habiter au c&oelig;ur de leur production litt&eacute;raire et de leur situation militante. &laquo;&nbsp;Nous habitons ici et &ccedil;a n&#39;est pas peu dire<a href="#nbp12" name="liennbp12">12</a><sup> </sup>&raquo; d&eacute;clare en 2012 un collectif d&rsquo;&laquo;&nbsp;habitants qui r&eacute;sistent&nbsp;&raquo;. La pratique de la litt&eacute;rature s&#39;inscrit dans une dimension r&eacute;sidentielle. Dans son article<a href="#nbp13" name="liennbp13">13</a> analysant les formes d&#39;&eacute;criture de la ZAD, Mathilde Roussign&eacute; resitue ce travail dans des traditions de pens&eacute;e de l&#39;habiter avant de l&#39;envisager comme une action qui rev&ecirc;t une importance d&eacute;terminante dans les mani&egrave;res de faire de la litt&eacute;rature (production, circulation, r&eacute;ception).</p> <p>L&rsquo;habiter ne va pas de soi. Il ne s&rsquo;impose pas mais se construit patiemment dans l&rsquo;attention port&eacute;e au quotidien le plus prosa&iuml;que ou dans la confrontation &agrave; ce qui se d&eacute;robe &agrave; l&rsquo;accueil. Il revitalise notre rapport au monde en interrogeant nos mani&egrave;res de nous y associer et s&rsquo;affirme comme la&nbsp;porte d&rsquo;entr&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;panouissement d&rsquo;une pens&eacute;e. Le pr&eacute;sent num&eacute;ro de la revue <em>&Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve</em> souhaiterait interroger les nombreuses facettes de cette notion de l&rsquo;habiter qui, loin de toute &eacute;vidence, engage un travail, la recherche d&rsquo;une parent&eacute; entre la g&eacute;ologie d&rsquo;un espace et notre mode d&rsquo;&ecirc;tre.</p> <h2><strong><em>Work in progress</em></strong></h2> <p>Dans la derni&egrave;re rubrique du num&eacute;ro, sont publi&eacute;es trois contributions de la journ&eacute;e d&rsquo;&eacute;tude <em>Work In Progress</em> organis&eacute;e par les repr&eacute;sentants des doctorants du RIRRA 21 le 19 avril 2017. Cet &eacute;v&eacute;nement est chaque ann&eacute;e l&rsquo;occasion privil&eacute;gi&eacute;e pour les doctorants d&rsquo;&eacute;changer &agrave; propos de leurs recherches devant un public compos&eacute; de leurs pairs et des chercheurs du laboratoire.</p> <p>Charlotte Biron nous propose une plong&eacute;e dans le travail journalistique d&rsquo;&eacute;crivains qu&eacute;b&eacute;cois. Elle r&eacute;alise ainsi un survol des questionnements li&eacute;s &agrave; la pratique du reportage entre 1870 et 1945 sur les territoires parfois hostiles de la Nouvelle-France.</p> <p>Violaine Sauty entreprend une analyse sociopo&eacute;tique comparative entre les deux &oelig;uvres que sont <em>D&rsquo;Autres vies que la mienne</em> d&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re et <em>La&euml;titia ou la fin des hommes</em> d&rsquo;Ivan Jablonka. L&rsquo;une et l&rsquo;autre sont le r&eacute;cit d&rsquo;une enqu&ecirc;te men&eacute;e par leur auteur, aussi l&rsquo;&eacute;tude de leur posture est r&eacute;v&eacute;latrice des lecteurs potentiels qu&rsquo;ils imaginent avoir et permet d&rsquo;interroger &eacute;galement leur pratique concr&egrave;te du terrain.</p> <p>Nathalie Guimbreti&egrave;re revient sur des travaux r&eacute;alis&eacute;s dans le cadre de sa th&egrave;se sur le th&egrave;me du geste en temps r&eacute;el&nbsp;: deux productions plastiques, une performance et une installation. Elle souhaite ainsi mettre au jour les articulations artistiques entre l&rsquo;humain, l&rsquo;art, le jeu et les technologies num&eacute;riques.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</strong></p> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1 </a>Le verbe &laquo;&nbsp;habiter&nbsp;&raquo; est emprunt&eacute; au latin <em>habitare</em>, fr&eacute;quentatif de <em>habere</em>, dont le premier sens est &laquo;&nbsp;avoir souvent&nbsp;&raquo; et qui signifie &eacute;galement &laquo;&nbsp;demeurer&nbsp;&raquo;. Son d&eacute;riv&eacute; <em>habitudino</em> donne en fran&ccedil;ais &laquo;&nbsp;habitude&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article de Chiara Marotta, &laquo;&nbsp;Chez-moi sacr&eacute;, chez-moi f&eacute;tiche&nbsp;: les espaces fantasm&eacute;s d&rsquo;Herv&eacute; Guibert&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article d&rsquo;Alice de Charentenay, &laquo;&nbsp;Servir et cohabiter : les domestiques, de la maison aristocratique &agrave; l&rsquo;appartement haussmanien&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article d&rsquo;Alvaro Luna, &laquo;&nbsp;D&eacute;coloniser l&rsquo;habiter : pour une approche transnationale de l&rsquo;habiter dans <em>Caramelo</em> de Sandra Cisneros&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Voir la d&eacute;finition de la maison selon Gaston Bachelard dans <em>La Po&eacute;tique de l&rsquo;espace, </em>Paris, Presses Universitaires de France, 1958.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article d&rsquo;Anne-Isabelle Fran&ccedil;ois, &laquo;&nbsp;Habiter la ville fant&ocirc;me. Hantise, ruines et imaginaire&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7 </a>Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article d&rsquo;Ana&iuml;s Boudot, Marine Delouvrier, Herv&eacute; Sioux, &laquo;&nbsp;Approcher l&#39;Espagne d&eacute;shabit&eacute;e&nbsp;: retours d&#39;exp&eacute;rience. Photographier, dessiner et &eacute;crire sur un habiter particulier&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&rsquo;article de Claire Allouche, &laquo;&nbsp;Recife film&eacute;e (2011-2016) : de l&rsquo;occupation urbaine &agrave; une possible habitabilit&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&#39;article de Ma&iuml;lys Girodon, &laquo;&nbsp;Habiter le monde &agrave; travers l&#39;&eacute;cogynie&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Voir dans ce num&eacute;ro l&#39;article d&#39;Emmanuelle Pelard, &laquo;&nbsp;Habiter l&rsquo;espace num&eacute;rique &ldquo;<em>en lisant,</em> <em>en &eacute;crivant</em>&rdquo;&nbsp;: <em>faire &oelig;uvre</em> &agrave; travers les pratiques litt&eacute;raires en r&eacute;seau&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Voir l&#39;article de Marguerite de Witte, &laquo;&nbsp;Enqu&ecirc;te autour d&rsquo;une d&eacute;ception&nbsp;: la maison r&ecirc;v&eacute;e de Gaston Bachelard&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> &laquo;&nbsp;Aux r&eacute;volt&eacute;-e-s de Notre-Dame-des-Landes&nbsp;&raquo;, <em>Zadnadir</em>, jeudi 30 ao&ucirc;t 2012, [En ligne]. <a href="https://zad.nadir.org/spip.php?article320">https://zad.nadir.org/spip.php?article320</a>.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Voir l&#39;article de Mathilde Roussign&eacute;, &laquo;&nbsp;La litt&eacute;rature &agrave; l&#39;&eacute;preuve du terrain&nbsp;: &eacute;crire pour habiter la zad de Notre-Dame-des-Landes&nbsp;&raquo;.</p>