<p>Associer habitation et ville fantôme tient <i>a priori</i> du paradoxe : la ville fantôme est précisément définie par le fait qu’elle est abandonnée, que personne n’y <i>habite</i> – à l’exception des animaux et de la nature qui y reprennent leurs droits. C’est pourtant cette association, interrogation de l’inhabitable et de la possession, de la hantise et de la déshabitation, que nous souhaitons examiner à travers un cas paradigmatique d’habitat déserté, objet de fascination et de trouble, qui constitue un formidable espace de figurations et d’investigations imaginaires : la « <i>shrinking city</i><i> </i>» Detroit, ancien fleuron industriel, parangon de la faillite néo-libérale, cimetière du rêve américain. Comment appréhender un lieu à l’abandon pourtant destiné initialement à être un « chez-soi » ? Comment habiter une ville où l’on déambule à l’infini dans des rues vidées et des lieux délabrés ? Le corpus contemporain (romans, films, photographies) offre un terrain d’exploration privilégié pour examiner cette habitation paradoxale, par les rebuts (sinon détritus) et l’imaginaire, cet espace habitable et en même temps inhabitable qui se déploie en un éventail de formes d’<i>imprésence</i>. L’habitation s’envisage alors dans le va-et-vient entre ce que la ville a été et ce qu’elle est aujourd’hui : présence dans l’absence qui permet aussi de penser la différence entre ruine antique et ruine postindustrielle. Méditations sur le plein et le vide, sur la spectralité et l’existence dans les limbes et l’entre-deux (non-lieu sauvage et non-lieu urbain, vivant et mort, réel et rêvé, passé et présent), les œuvres instaurent un principe de dilatation qui nous pousse à nous confronter à notre propre expérience et, par extension, à notre propre mortalité, qui nous incite à ralentir et à nous laisser submerger par les images, les sons, les mots, tout en soulevant des enjeux éthiques autant qu’esthétiques.</p>