<p>Un pan de la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise actuelle, que l&rsquo;on pourrait appeler l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;criture de terrain&nbsp;&raquo;, rassemble des &oelig;uvres non fictionnelles &eacute;crites &agrave; partir d&rsquo;une exp&eacute;rience sociale v&eacute;cue sur le terrain. Des auteurs comme Fran&ccedil;ois Bon, Annie Ernaux, Emmanuel Carr&egrave;re, Philippe Vasset, Ivan Jablonka ou Florence Aubenas, forment un corpus transversal avec des protocoles vari&eacute;s&nbsp;: enqu&ecirc;tes et entretiens, observations et prise de notes, itin&eacute;rance ou immersion. Ces textes se veulent &agrave; la fois une perc&eacute;e document&eacute;e dans le terrain choisi et le r&eacute;cit &agrave; la premi&egrave;re personne de l&rsquo;entreprise de l&rsquo;auteur. &Eacute;tant souvent class&eacute;s parmi les rayons de litt&eacute;rature, ces livres empruntent pourtant leur pratique de terrain &agrave; des domaines diff&eacute;rents&nbsp;: le journalisme ou les sciences dites de terrain comme la sociologie, l&rsquo;histoire ou l&rsquo;ethnologie. Que nous dit cette tendance collective sur le paysage litt&eacute;raire actuel&nbsp;? En quoi red&eacute;finit-elle le r&ocirc;le social de l&rsquo;&eacute;crivain&nbsp;? Ces interrogations sont au centre de mes recherches et m&rsquo;incitent &agrave; penser une approche sociologique de cette pratique et &agrave; interroger la place de la pratique de terrain dans le champ litt&eacute;raire fran&ccedil;ais actuel. La notion de &laquo;&nbsp;champ&nbsp;&raquo;, reprise &agrave; Bourdieu<a href="#nbp1" id="footnoteref1_598n92d" name="liennbp1" title="Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992.">1</a>, permet, je le rappelle, d&rsquo;appr&eacute;hender la litt&eacute;rature comme un champ de forces au sein duquel interagissent les agents selon leur position et leurs prises de position.</p> <p>Le choix d&rsquo;une pratique de terrain dans l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;une &oelig;uvre litt&eacute;raire, et sa mise en sc&egrave;ne dans le texte, sont des prises de position qui brouillent la fronti&egrave;re institu&eacute;e de la litt&eacute;rature. De fait, en se faisant &agrave; la fois enqu&ecirc;teurs et &eacute;crivains, ces auteurs perturbent les attentes des lecteurs. L&rsquo;anticipation de cette r&eacute;ception perturb&eacute;e et la fa&ccedil;on dont les auteurs justifient l&rsquo;enqu&ecirc;te sont li&eacute;es. L&rsquo;&eacute;tude de ces deux aspects est int&eacute;ressante car anticipation et justification participent toutes deux &agrave; l&rsquo;&eacute;criture et aux orientations donn&eacute;es &agrave; la posture de l&rsquo;auteur. Saisir la position dans le champ &agrave; travers une l&eacute;gitimation inscrite dans le texte est justement le travail que propose l&rsquo;approche sociopo&eacute;tique&nbsp;&ndash;&nbsp;comme sociologie du processus de cr&eacute;ation&nbsp;&ndash;&nbsp;telle qu&rsquo;elle se d&eacute;veloppe depuis une trentaine d&rsquo;ann&eacute;es. Alain Viala<a href="#nbp2" id="footnoteref2_35k0e05" name="liennbp2" title="Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, PUF, 1993.">2</a> proposait d&eacute;j&agrave; dans les ann&eacute;es 1990 de consid&eacute;rer l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire comme un discours pour ouvrir la recherche au-del&agrave; du seul auteur et du seul contenu du texte. La sociopo&eacute;tique permet depuis d&rsquo;analyser le rapport entre l&rsquo;&oelig;uvre et les conditions de son &eacute;criture. Les travaux de J&eacute;r&ocirc;me Meizoz<a href="#nbp3" id="footnoteref3_ysa0zj4" name="liennbp3" title="Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Erudition, 2007.">3</a> s&rsquo;inscrivent dans cette perspective, notamment parce qu&rsquo;il a d&eacute;velopp&eacute; et &eacute;largi la notion de posture. Elle est, selon lui, la mani&egrave;re singuli&egrave;re d&rsquo;un auteur d&rsquo;occuper une position dans le champ litt&eacute;raire et pr&eacute;sente une double dimension puisqu&rsquo;elle est &agrave; la fois une conduite sur la sc&egrave;ne litt&eacute;raire et un <i>ethos</i> port&eacute; par le discours dans ses &oelig;uvres et hors d&rsquo;elles. Cette notion, d&eacute;j&agrave; centrale dans les travaux de Viala, permet de faire le lien entre l&rsquo;inscription sociologique de l&rsquo;&oelig;uvre et sa litt&eacute;rarit&eacute; sp&eacute;cifique<a href="#nbp4" id="footnoteref4_tmsz62u" name="liennbp4" title="V. Alain Viala, « Stylistique et sociologie : Classe de postures », in Revue belge de philologie et d'histoire, tome 71, fasc. 3, 1993, p. 615-624.">4</a>.</p> <p>Dans le cadre de la journ&eacute;e <i>Work in Progress</i>, je souhaitais rendre plus concr&egrave;te l&rsquo;avanc&eacute;e de mes recherches sur ce point en portant mon attention sur deux &oelig;uvres de mon corpus&nbsp;: <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i><a href="#nbp5" id="footnoteref5_i81qifu" name="liennbp5" title="Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, Paris, P.O.L, 2009.">5</a> d&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re (2009) et <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i><a href="#nbp6" id="footnoteref6_u8ifwzn" name="liennbp6" title="Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, Paris, Le Seuil, 2016.">6</a> d&rsquo;Ivan Jablonka (2016). Elles repr&eacute;sentent toutes deux tr&egrave;s bien le protocole le plus attendu de l&rsquo;&eacute;criture de terrain, &agrave; savoir la pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Ivan Jablonka s&rsquo;engage sur les traces d&rsquo;un terrible &eacute;v&eacute;nement survenu en 2011 pr&egrave;s de Nantes&nbsp;: l&rsquo;assassinat monstrueux d&rsquo;une jeune fille, Laetitia Perrais, dont les membres dispers&eacute;s n&rsquo;ont &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;s qu&rsquo;apr&egrave;s plusieurs semaines de recherche. Le meurtrier Tony Meilhon &eacute;tait multir&eacute;cidiviste et toute la France s&rsquo;&eacute;tait &eacute;mue de ce que sa remise en libert&eacute; avait permis la survenue du drame. Nicolas Sarkozy, alors Pr&eacute;sident de la R&eacute;publique, avait accus&eacute; les juges de laxisme, provoquant ainsi une crise politique. L&rsquo;aspect tant sociologique que politique du fait divers a int&eacute;ress&eacute; Ivan Jablonka qui s&rsquo;est d&eacute;plac&eacute; sur les lieux cl&eacute;s de l&rsquo;enqu&ecirc;te pour effectuer des entretiens avec une quinzaine de personnes dont plusieurs proches de la jeune fille et de nombreux professionnels investis dans l&rsquo;affaire. Il s&rsquo;est aussi procur&eacute; les notes prises par une journaliste lors du proc&egrave;s d&rsquo;assises et a assist&eacute; au proc&egrave;s en appel. Le livre d&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re, quant &agrave; lui, est compos&eacute; de deux volets. Si la premi&egrave;re partie relate son exp&eacute;rience traumatisante du tsunami de 2004 au Sri Lanka, c&rsquo;est la seconde, consacr&eacute;e au r&eacute;cit de l&rsquo;enqu&ecirc;te men&eacute;e sur sa belle-famille, qui nous int&eacute;ressera ici. Apr&egrave;s la mort de sa belle-s&oelig;ur, Juliette, atteinte d&rsquo;un cancer, il entreprit d&rsquo;&eacute;crire ce qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; sa vie, son travail de juge et notamment son amiti&eacute; avec son coll&egrave;gue &Eacute;tienne, juge &eacute;galement. Le combat juridique qu&rsquo;ils ont men&eacute; ensemble pour rendre plus justes les proc&egrave;s li&eacute;s au surendettement a fascin&eacute; Emmanuel Carr&egrave;re. Il a par ailleurs effectu&eacute; un travail d&rsquo;observation au tribunal de Vienne o&ugrave; a exerc&eacute; Juliette et men&eacute; une s&eacute;rie d&rsquo;entretiens avec les proches de la jeune femme.</p> <p>Ces deux &oelig;uvres sont en apparence diff&eacute;rentes&nbsp;: l&rsquo;une traite d&rsquo;un fait divers, l&rsquo;autre d&rsquo;un drame familial. Pourtant, elles &eacute;chappent toutes deux &agrave; la cat&eacute;gorisation habituelle. Alors que l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle qu&rsquo;elles relatent les classe du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;autobiographie, la logique de la preuve, revendiqu&eacute;e &agrave; travers la pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te, les assimile &agrave; une litt&eacute;rature documentaire. C&rsquo;est particuli&egrave;rement le cas pour <i>La&euml;titia</i> car Ivan Jablonka souhaite aborder le fait divers comme &laquo;&nbsp;un objet d&rsquo;histoire<a href="#nbp7" id="footnoteref7_qp9ntls" name="liennbp7" title="Idem, p. 8.">7</a> &raquo;, &laquo;&nbsp;un fait social<a href="#nbp8" id="footnoteref8_o9rpcht" name="liennbp8" title="Idem, p. 9.">8</a> &raquo; capable de dresser le portrait d&rsquo;une France p&eacute;riurbaine paup&eacute;ris&eacute;e. Cette dimension sociologique est moins marqu&eacute;e dans l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re, mais en d&eacute;voilant les dessous juridiques des proc&egrave;s li&eacute;s au surendettement, il d&eacute;nonce le fonctionnement des microcr&eacute;dits et propose un &eacute;clairage sur un aspect important de la consommation contemporaine.</p> <p>Consacr&eacute;s au portrait d&rsquo;une jeune femme d&eacute;c&eacute;d&eacute;e, ces deux livres pr&eacute;sentent un autre point commun non n&eacute;gligeable puisque l&rsquo;enqu&ecirc;te a amen&eacute; les auteurs &agrave; s&rsquo;introduire dans l&rsquo;intimit&eacute; du deuil des proches. Aussi la m&ecirc;me probl&eacute;matique d&rsquo;ordre &eacute;thique a d&ucirc; s&rsquo;imposer &agrave; Ivan Jablonka et &agrave; Emmanuel Carr&egrave;re&nbsp;: comment justifier cette pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te&nbsp;? Comment expliquer leur curiosit&eacute; sans qu&rsquo;elle ne soit per&ccedil;ue comme du voyeurisme&nbsp;? Il est certain que l&rsquo;&eacute;criture du texte a toute enti&egrave;re &eacute;t&eacute; travaill&eacute;e par cette probl&eacute;matique. Il n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs pas anodin de noter un troisi&egrave;me point commun aux deux livres qui, chacun &agrave; leur mani&egrave;re, se constituent comme une sorte d&rsquo;hommage. Le choix de d&eacute;dier l&rsquo;&oelig;uvre aux proches&nbsp;&ndash;&nbsp;Jessica, la s&oelig;ur jumelle de La&euml;titia pour le livre de Jablonka et les filles de Juliette pour le livre de Carr&egrave;re&nbsp;&ndash;&nbsp;fonctionne comme une l&eacute;gitimation de l&rsquo;enqu&ecirc;te men&eacute;e. De fait, ces &oelig;uvres pr&eacute;sentent une double dynamique d&rsquo;auto-l&eacute;gitimation qui influe fortement sur les choix d&rsquo;&eacute;criture. D&rsquo;une part, elles souhaitent se pr&eacute;senter comme litt&eacute;raires malgr&eacute; le brouillage des genres qu&rsquo;elles supposent et, d&rsquo;autre part, elles doivent justifier l&rsquo;&eacute;thique de la pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te elle-m&ecirc;me.</p> <p>L&rsquo;anticipation de la r&eacute;ception, que r&eacute;clame l&rsquo;exigence de cette auto-l&eacute;gitimation au moment de l&rsquo;&eacute;criture, est un objet d&rsquo;&eacute;tude privil&eacute;gi&eacute; de la sociopo&eacute;tique dont j&rsquo;ai adopt&eacute; la d&eacute;marche pour cette &eacute;tude. Mon article se propose de restituer les &eacute;tapes d&rsquo;un travail effectu&eacute; au cours de la premi&egrave;re ann&eacute;e de mon doctorat&nbsp;; il se d&eacute;roulera donc de mani&egrave;re m&eacute;thodologique selon les deux temps de l&rsquo;approche sociopo&eacute;tique entreprise. La mise au jour des lecteurs d&eacute;sign&eacute;s par le texte permettra d&rsquo;abord de montrer comment les profils sociologiques de ces lecteurs suppos&eacute;s participent &agrave; l&rsquo;institution du texte. L&rsquo;&eacute;tude de la posture des auteurs nous am&egrave;nera ensuite &agrave; mieux saisir leur prise de position dans le champ.</p> <h2><b>De l&rsquo;enqu&ecirc;te &agrave; l&rsquo;hommage&nbsp;: lecteurs vis&eacute;s et processus de l&eacute;gitimation</b></h2> <h3><b><i>Une r&eacute;ception brouill&eacute;e d&egrave;s la p&eacute;rigraphie</i></b></h3> <p>Le livre, en tant qu&rsquo;objet, est d&eacute;j&agrave; une adresse &agrave; un certain type de destinataire, &agrave; travers la p&eacute;rigraphie et &agrave; travers tous les seuils qui entourent le texte. La p&eacute;rigraphie du livre d&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re n&rsquo;a pas retenu longtemps mon attention car sa promotion ne pointe jamais la particularit&eacute; du livre, &agrave; savoir qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; &eacute;crit &agrave; partir d&rsquo;une exp&eacute;rience de terrain. Le titre, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, fonctionne comme une pr&eacute;t&eacute;rition&nbsp;&ndash;&nbsp;se refusant &agrave; parler de lui, l&rsquo;auteur s&rsquo;engage tout de m&ecirc;me dans un r&eacute;cit autobiographique. Le r&eacute;sum&eacute; en quatri&egrave;me de couverture le confirme&nbsp;&ndash;&nbsp;&laquo;&nbsp;Tout y est vrai&nbsp;&raquo;&nbsp;&ndash;&nbsp;m&ecirc;me si l&rsquo;auteur se pr&eacute;sente seulement comme le &laquo;&nbsp;t&eacute;moin&nbsp;&raquo; d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements impos&eacute;s par la vie. Les prix qu&rsquo;il a re&ccedil;us &ndash; notamment le Prix Marie Claire du roman d&rsquo;&eacute;motion &ndash; ne contredisent pas cette institution par le genre autobiographique.</p> <p><i>La&euml;titia</i> ne laisse pas entrevoir les m&ecirc;mes choix &eacute;ditoriaux. Le texte est publi&eacute; au Seuil dans la collection &laquo;&nbsp;La Librairie du XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle&nbsp;&raquo;, habituellement consacr&eacute;e &agrave; des essais de sciences humaines et dirig&eacute;e par l&rsquo;historien Maurice Olender. Cette collection rappelle le statut d&rsquo;universitaire d&rsquo;Ivan Jablonka, lui aussi historien. Par ailleurs, le titre n&rsquo;apporte pas davantage de pr&eacute;cision, d&rsquo;autant plus que le sous-titre &laquo;&nbsp;ou la fin des hommes&nbsp;&raquo;, plus romanesque, est rejet&eacute; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du livre. Ce brouillage g&eacute;n&eacute;rique se perp&eacute;tue dans la mani&egrave;re dont les institutions de la vie litt&eacute;raire re&ccedil;oivent le livre &agrave; sa sortie. Le journal <i>Le Monde</i> lui remet son prix litt&eacute;raire tout en le d&eacute;signant dans son article comme &laquo;&nbsp;un essai de sciences sociales<a href="#nbp9" id="footnoteref9_fs9gns9" name="liennbp9" title="Éric Loret, « Le Monde remet son prix littéraire à Laëtitia ou la fin des hommes d’Ivan Jablonka », dans Le Monde du 7 septembre 2016, [En ligne] http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/07/ivan-jablonka-un-historien-qui-recoit-un-prix-litteraire-cela-peut-surprendre_4994172_3260.html (consulté le 11 septembre 2018).">9</a> &raquo;. L&rsquo;&oelig;uvre est &eacute;galement r&eacute;compens&eacute;e par le prix M&eacute;dicis dans la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;roman&nbsp;&raquo;, tout en &eacute;tant dans la s&eacute;lection pour le Renaudot de l&rsquo;Essai. La m&ecirc;me ind&eacute;cision caract&eacute;rise la r&eacute;ception des journalistes litt&eacute;raires, comme Fabienne Pascaud de <i>T&eacute;l&eacute;rama</i><a href="#nbp10" id="footnoteref10_rzcofgw" name="liennbp10" title="Fabienne Pascaud, « Laëtitia ou la fin des hommes », dans Télérama n° 3475, 16 août 2016, [En ligne] http://www.telerama.fr/livres/laetitia-ou-la-fin-des-hommes,146183.php (consulté le 11 septembre 2018).">10&nbsp; </a>qui h&eacute;site entre&nbsp;&laquo;&nbsp;essai socio-politique&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;oraison fun&egrave;bre&nbsp;&raquo; pour qualifier l&rsquo;&oelig;uvre.</p> <p>Ivan Jablonka &eacute;crit <i>Laetitia</i> dans la lign&eacute;e de son essai <i>L&rsquo;Histoire est une litt&eacute;rature contemporaine</i><a href="#nbp11" id="footnoteref11_69fy96y" name="liennbp11" title="Ivan Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine, Paris, Le Seuil, 2014.">11</a> qui d&eacute;fend une &eacute;criture litt&eacute;raire des recherches en histoire. Il y d&eacute;veloppe longuement sa conception d&rsquo;une Histoire d&eacute;senclav&eacute;e, interdisciplinaire et ouverte &agrave; l&rsquo;&eacute;criture litt&eacute;raire. Elle serait port&eacute;e par un &laquo;&nbsp;texte-recherche&nbsp;&raquo;, une forme qui &laquo;&nbsp;[tiendrait] &agrave; la fois de l&rsquo;enqu&ecirc;te, du t&eacute;moignage, de l&rsquo;autobiographie, du r&eacute;cit<a href="#nbp12" id="footnoteref12_ya2y151" name="liennbp12" title="Idem, p. 283.">12</a> &raquo;. Cette forme d&rsquo;historiographie r&eacute;habiliterait le recours &agrave; la subjectivit&eacute; de l&rsquo;historien sans mettre en p&eacute;ril la valeur scientifique de son travail. Il dit ainsi vouloir &laquo;&nbsp;faire en sorte que l&rsquo;aspiration litt&eacute;raire du chercheur ne soit pas un renoncement, une r&eacute;cr&eacute;ation [&hellip;] mais un b&eacute;n&eacute;fice &eacute;pist&eacute;mologique<a href="#nbp13" id="footnoteref13_4lsrdf6" name="liennbp13" title="Idem, p. 283.">13</a> &raquo;. Il avait &eacute;galement publi&eacute; deux ans plus t&ocirc;t, en 2012, <i>Histoire des grands parents que je n&rsquo;ai pas eus</i><a href="#nbp14" id="footnoteref14_yot32lj" name="liennbp14" title="Idem, Histoire des grands parents que je n’ai pas eus, Paris, Le Seuil, 2012.">14</a>. Ce r&eacute;cit, au croisement entre litt&eacute;rature de l&rsquo;intime et travail m&eacute;thodologique, s&rsquo;inscrit dans le genre de l&rsquo;ego-histoire qui fait d&eacute;bat parmi les historiens depuis les ann&eacute;es 1980. Ce d&eacute;sir de transdisciplinarit&eacute; est donc clairement mis en &eacute;vidence dans les &eacute;crits d&rsquo;Ivan Jablonka depuis plusieurs ann&eacute;es. Ainsi, son enqu&ecirc;te sur le fait divers La&euml;titia Perrais r&eacute;pond &agrave; cet objectif scientifique d&rsquo;hybridation des genres. Il suffit de feuilleter le livre pour s&rsquo;en rendre compte&nbsp;: une bibliographie appel&eacute;e &laquo;&nbsp;choix de r&eacute;f&eacute;rences&nbsp;&raquo; et des annexes (cartes, listes) occupent les derni&egrave;res pages. Cette ind&eacute;cision entre litt&eacute;rature et ouvrage universitaire est perceptible jusque dans l&rsquo;&eacute;pigraphe. Une citation de Spinoza en latin ouvre le livre, accompagn&eacute;e de sa traduction, &laquo;&nbsp;La joie est le passage de l&rsquo;homme d&rsquo;une moindre perfection &agrave; une plus grande<a href="#nbp15" id="footnoteref15_f38qc55" name="liennbp15" title="« Laetitia est hominis transitio a minore ad majorem perfectionem », Baruch Spinoza, L’Éthique.">15</a>.&nbsp;&raquo; En effet, chez Spinoza, cette joie du perfectionnement passe par la connaissance, aussi la dimension morale et savante de cette &eacute;pigraphe engage l&rsquo;&oelig;uvre dans une mission de mise au jour du savoir. Par ailleurs, l&rsquo;&eacute;tymologie du pr&eacute;nom <i>La&euml;titia</i>, la joie en latin, permet &agrave; la citation de se doubler d&rsquo;une seconde fonction. En sonnant comme un hommage, l&rsquo;&eacute;pigraphe se transforme en &eacute;pitaphe. Du reste, la sobri&eacute;t&eacute; de la premi&egrave;re de couverture et l&rsquo;&eacute;pitaphe s&rsquo;allient comme sur une st&egrave;le, au sens propre du terme, puisque l&rsquo;objet-livre &agrave; la verticale para&icirc;t une pierre tombale. D&egrave;s lors, la double posture de l&rsquo;auteur se r&eacute;v&egrave;le &agrave; la fois comme posture savante du chercheur et comme posture compatissante du philanthrope. &Agrave; regarder de plus pr&egrave;s les choix &eacute;ditoriaux autour de <i>La&euml;titia</i>, il semblerait que le livre m&eacute;nage deux types de lecteur&nbsp;: celui qui sera touch&eacute; par l&rsquo;aspect comm&eacute;moratif du livre tout autant que celui qui sera s&eacute;duit par sa promesse savante.</p> <h3><b><i>Des lecteurs d&eacute;sign&eacute;s en accord avec l&rsquo;&eacute;crivain</i></b></h3> <p>La p&eacute;rigraphie de <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i> ne d&eacute;signe pas explicitement ses lecteurs mais le texte, lui, les pointe de mani&egrave;re assez pr&eacute;cise. Toute la deuxi&egrave;me partie du livre est construite &agrave; partir d&rsquo;entretiens men&eacute;s avec Patrice, le mari de Juliette et &Eacute;tienne, coll&egrave;gue et ami de la jeune femme. Ces personnes repr&eacute;sentent n&eacute;cessairement un premier niveau de lecteurs. Contrairement aux autres destinataires suppos&eacute;s, ceux-l&agrave; ont un droit de <i>veto</i> que Carr&egrave;re met en sc&egrave;ne dans l&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;:</p> <p><q>Cette fois, j&rsquo;ai r&eacute;solu de le donner &agrave; lire avant de le publier &agrave; ceux qu&rsquo;il concernait. [&hellip;] j&rsquo;ai envoy&eacute; le texte &agrave; &Eacute;tienne et Patrice en leur disant [qu&rsquo;]ils pouvaient me demander d&rsquo;ajouter, de retirer ou de changer ce qu&rsquo;ils voulaient, je le ferais<a href="#nbp16" id="footnoteref16_00ktuyc" name="liennbp16" title="Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, op. cit., p. 299-300.">16</a>.</q></p> <p>Nous lisons donc, nous, lecteurs ext&eacute;rieurs et secondaires, une version valid&eacute;e en amont dont l&rsquo;auteur aurait pu nous cacher la n&eacute;gociation. Non seulement il fait appara&icirc;tre ce consentement mais &eacute;galement les <i>marginalia</i> laiss&eacute;es par &Eacute;tienne sur le manuscrit<a href="#nbp17" id="footnoteref17_lu15fg2" name="liennbp17" title="Idem, p. 131 ; 181 ; 224 ; 295.">17</a>. Ce premier lectorat exerce une pression &agrave; la fois dans le pr&eacute;sent du terrain et dans le futur de leurs lectures anticip&eacute;es. L&rsquo;&oelig;uvre s&rsquo;est &eacute;crite sous leurs regards et en devient presque collective.</p> <p>Un deuxi&egrave;me niveau de destinataires est &eacute;galement visible. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un lectorat que Carr&egrave;re imagine fid&egrave;le comme le montrent les nombreuses r&eacute;f&eacute;rences &agrave; son &oelig;uvre ant&eacute;rieure <i>L&rsquo;Adversaire</i><a href="#nbp18" id="footnoteref18_5diage0" name="liennbp18" title="Emmanuel Carrère, L’Adversaire, Paris, P.O.L, 2000.">18</a><i>.</i> Publi&eacute;e en 2000, il s&rsquo;agit d&rsquo;une enqu&ecirc;te sur le fait divers Jean-Claude Romand. Cet homme s&rsquo;&eacute;tait fait passer aupr&egrave;s de ses proches pour un m&eacute;decin chercheur de l&rsquo;OMS pendant plus de dix ans alors qu&rsquo;il &eacute;tait sans emploi. Rattrap&eacute; par son mensonge, il avait fini par assassiner ses parents, sa femme et ses enfants. Emmanuel Carr&egrave;re estime visiblement que ses lecteurs auront lu cette &oelig;uvre pr&eacute;c&eacute;dente et compare &agrave; plusieurs reprises son enqu&ecirc;te sur la vie de Juliette &agrave; celle qu&rsquo;il a r&eacute;alis&eacute;e sur les traces de Jean-Claude Romand. <i>L&rsquo;Adversaire</i>, d&rsquo;abord succ&egrave;s de librairie puis adapt&eacute; au cin&eacute;ma<a href="#nbp19" id="footnoteref19_dxaksmu" name="liennbp19" title="Nicole Garcia, réal. L’Adversaire, Daniel Auteuil, François Berléand, François Cluzet, France, 2002, 129 min.">19</a>, est devenu une r&eacute;f&eacute;rence dans le genre de la non-fiction en France. L&rsquo;auteur se place sous cette aura d&rsquo;&eacute;crivain d&eacute;j&agrave; connu pour sa pratique du terrain. Cependant, ce m&ecirc;me lectorat pourrait lui reprocher de troubler le deuil d&rsquo;une famille dont le drame n&rsquo;a rien &agrave; voir avec les meurtres commis par Jean-Claude Romand. Cela explique les diff&eacute;rentes strat&eacute;gies mises en place par l&rsquo;auteur pour &laquo;&nbsp;sauver&nbsp;&raquo; son <i>ethos</i>, strat&eacute;gies sur lesquelles nous reviendrons par la suite.</p> <p>L&rsquo;inscription des lecteurs dans le livre d&rsquo;Ivan Jablonka passe quant &agrave; elle par le positionnement politique de l&rsquo;auteur. Son analyse du traitement de l&rsquo;affaire par le Pr&eacute;sident d&rsquo;alors, Nicolas Sarkozy, est tr&egrave;s clairement &agrave; charge comme en atteste ce passage du chapitre&nbsp;18&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;Le traitement sarkozien des faits divers est, au sens propre, un acte politique&nbsp;: la rh&eacute;torique de l&rsquo;action, le discours de &laquo;&nbsp;la loi et l&rsquo;ordre&nbsp;&raquo;, l&rsquo;instrumentalisation de la peur, le gouvernement de l&rsquo;&eacute;motion, l&rsquo;omnipr&eacute;sence m&eacute;diatique permettent d&rsquo;appara&icirc;tre comme le d&eacute;fenseur de la soci&eacute;t&eacute;, le protecteur des Fran&ccedil;ais cern&eacute;s par les &laquo;&nbsp;voyous&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;monstres&nbsp;&raquo;. Cet opportunisme compassionnel-s&eacute;curitaire, propre &agrave; Nicolas Sarkozy ministre et pr&eacute;sident, justifie les mesures les plus r&eacute;pressives [&hellip;] au motif de r&eacute;duire &agrave; z&eacute;ro le risque de r&eacute;cidive<a href="#nbp20" id="footnoteref20_z7w1s3h" name="liennbp20" title="Ivan Jablonka, Laëtitia, op. cit., p. 120.">20</a>. </q></p> <p>Ces attaques assum&eacute;es font de ce livre une arme politique puisqu&rsquo;il est paru en ao&ucirc;t 2016, trois mois avant la primaire de la droite o&ugrave; s&rsquo;est pr&eacute;sent&eacute; l&rsquo;ancien Pr&eacute;sident. Dans ce contexte, l&rsquo;&eacute;crivain para&icirc;t s&rsquo;adresser &agrave; un lectorat politis&eacute; qu&rsquo;il n&rsquo;aura pas de mal &agrave; rallier &agrave; son indignation. En ciblant des lecteurs pr&ecirc;ts &agrave; accuser Nicolas Sarkozy d&rsquo;avoir instrumentalis&eacute; le cadavre d&rsquo;une jeune fille, Ivan Jablonka prend aussi le risque de voir la critique se retourner contre lui. C&rsquo;est pourquoi, comme Carr&egrave;re, il doit lui aussi sauver son image en soignant les effets de posture.</p> <h2><b>Savant philanthrope et amateur bienveillant, les ambigu&iuml;t&eacute;s de l&rsquo;<i>ethos</i></b></h2> <p>L&rsquo;inscription des destinataires dans le texte ne peut se penser sans les notions de posture et d&rsquo;<i>ethos</i>. Pour cet article, je bornerai mon &eacute;tude &agrave; la dimension textuelle de la posture, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; sa construction dans les &oelig;uvres choisies et quelques &oelig;uvres pr&eacute;c&eacute;dentes, perceptible notamment gr&acirc;ce aux <i>habitus</i> que trahit la mani&egrave;re d&rsquo;&eacute;crire. Autrement dit, je m&rsquo;int&eacute;resserai &agrave; l&rsquo;<i>ethos </i>tel qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; d&eacute;fini par Dominique Maingueneau<a href="#nbp21" id="footnoteref21_e7jqtfn" name="liennbp21" title="V. Dominique Maingueneau, « Problèmes d’ethos », Pratiques, n° 113, 2002, p. 55-68.">21</a>. Celui-ci propose de partir de la d&eacute;finition aristot&eacute;licienne de l&rsquo;<i>ethos</i>&nbsp;&ndash;&nbsp;&agrave; savoir l&rsquo;image que se conf&egrave;re l&rsquo;auteur dans son discours pour l&eacute;gitimer son dire&nbsp;&ndash;&nbsp;pour mieux l&rsquo;&eacute;tendre et consid&eacute;rer l&rsquo;<i>ethos</i> comme le r&eacute;sultat d&rsquo;un ensemble de facteurs li&eacute;s &agrave; l&rsquo;inscription historique et sociologique de l&rsquo;&oelig;uvre, &agrave; son genre, &agrave; l&rsquo;anticipation de sa r&eacute;ception, &agrave; ses choix stylistiques, etc. Dans le cas des &oelig;uvres &eacute;tudi&eacute;es ici, l&rsquo;<i>ethos</i> de l&rsquo;auteur est directement construit par l&rsquo;usage de la premi&egrave;re personne, par les nombreux passages m&eacute;tatextuels mais &eacute;galement par un ensemble de signes&nbsp;&ndash;&nbsp;lexique choisi, r&eacute;f&eacute;rences, relation avec les enqu&ecirc;t&eacute;s&nbsp;&ndash;&nbsp;qui donnent un ton particulier au discours. Cet <i>ethos</i> discursif entre en interaction avec ce que Maingueneau appelle l&rsquo;<i>ethos</i> pr&eacute;discursif, la repr&eacute;sentation que le lecteur se fait de l&rsquo;auteur avant m&ecirc;me de lire l&rsquo;&oelig;uvre, et ce, en fonction du classement g&eacute;n&eacute;rique de l&rsquo;&oelig;uvre ou des &oelig;uvres pr&eacute;c&eacute;dentes, ou encore de la biographie de l&rsquo;&eacute;crivain. Ces deux <i>ethe</i> sont complexifi&eacute;s par la pratique de terrain puisque l&rsquo;auteur s&rsquo;est aussi forg&eacute; un <i>ethos</i> durant l&rsquo;enqu&ecirc;te et en rend compte &agrave; sa mani&egrave;re dans le r&eacute;cit. La notion d&rsquo;<i>ethos</i> telle que la propose Maingueneau &agrave; travers l&rsquo;analyse de discours est int&eacute;ressante dans notre cas puisqu&rsquo;elle permet de montrer comment l&rsquo;<i>ethos</i> discursif se fa&ccedil;onne &agrave; la fois dans le r&eacute;cit de la pratique de terrain et dans une n&eacute;gociation constante avec l&rsquo;<i>ethos</i> pr&eacute;discursif que les auteurs imaginent poss&eacute;der.</p> <p>Emmanuel Carr&egrave;re, sc&eacute;nariste et &eacute;crivain, a d&eacute;j&agrave; une l&eacute;gitimit&eacute; dans le domaine culturel&nbsp;&ndash;&nbsp;un <i>ethos</i> pr&eacute;discursif&nbsp;&ndash;&nbsp;qui lui permet de pratiquer l&rsquo;autod&eacute;rision tout au long de l&rsquo;&oelig;uvre. Lorsque l&rsquo;&eacute;crivain commence ses entretiens avec Patrice, veuf depuis peu, il d&eacute;crit avec humour l&rsquo;image qu&rsquo;il pense lui renvoyer&nbsp;: &laquo;&nbsp;un vague beau-fr&egrave;re &eacute;crivain, auteur qui plus est de livres r&eacute;put&eacute;s noirs et cruels, d&eacute;barquait chez lui pour en &eacute;crire un sur sa femme morte et le priait de raconter sa vie<a href="#nbp22" id="footnoteref22_rzkc6wo" name="liennbp22" title="Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, op. cit., p. 204.">22</a> &raquo;. Cette mani&egrave;re de pointer l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; de sa d&eacute;marche d&eacute;samorce automatiquement le soup&ccedil;on d&rsquo;un voyeurisme occult&eacute;. Elle permet &eacute;galement d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; d&rsquo;autres r&ocirc;les qu&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re ne souhaite pas endosser. En effet, ses nombreux articles dans diff&eacute;rents journaux et magazines<a href="#nbp23" id="footnoteref23_jif5tso" name="liennbp23" title="V. Emmanuel Carrère, Il est avantageux d’avoir où aller, Paris, P.O.L, 2016.">23</a> &ndash;&nbsp;<i>L&rsquo;&Eacute;v&eacute;nement du jeudi</i>, <i>Le Nouvel Observateur</i>, <i>Le Journal du Dimanche</i>, <i>T&eacute;l&eacute;rama</i>&nbsp;&ndash;&nbsp;ont pu faire de lui un journaliste aux yeux de certains lecteurs. Par ailleurs, &eacute;tant le fils d&rsquo;H&eacute;l&egrave;ne Carr&egrave;re d&rsquo;Encausse, c&eacute;l&egrave;bre historienne, membre de l&rsquo;Acad&eacute;mie fran&ccedil;aise, il peut aussi se voir confondu avec la figure de l&rsquo;universitaire. Or la nonchalance n&rsquo;est-elle pas ici gage d&rsquo;amateurisme&nbsp;? Un amateurisme qui se voudrait maladroit et touchant, au service de l&rsquo;autre pour &eacute;viter d&rsquo;avoir l&rsquo;air de s&rsquo;immiscer dans la souffrance d&rsquo;une famille qui n&rsquo;est pas la sienne. Cet amateurisme est d&rsquo;autant plus l&rsquo;effet d&rsquo;une construction discursive que la m&eacute;thodologie adopt&eacute;e sur le terrain n&rsquo;est pas improvis&eacute;e. Dans le domaine de l&rsquo;enqu&ecirc;te, Emmanuel Carr&egrave;re n&rsquo;en est pas &agrave; son coup d&rsquo;essai. Il en pr&eacute;sente d&rsquo;ailleurs le mode op&eacute;ratoire &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un rituel qui s&rsquo;est tr&egrave;s vite r&ocirc;d&eacute;&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;Cela se passait ainsi&nbsp;: je prenais le train &agrave; huit heures &agrave; la gare de Lyon, j&rsquo;&eacute;tais &agrave; dix heures &agrave; Perrache et un quart d&rsquo;heure plus tard je sonnais &agrave; la porte d&rsquo;&Eacute;tienne. Il faisait du caf&eacute;, nous nous attablions dans la cuisine, face &agrave; face, j&rsquo;ouvrais mon carnet il commen&ccedil;ait &agrave; parler<a href="#nbp24" id="footnoteref24_e725wpa" name="liennbp24" title="Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, op.cit., p. 111.">24</a>. </q></p> <p>Pourtant son travail sur le terrain est sans cesse minimis&eacute;, il dit par deux fois &ecirc;tre all&eacute; &laquo;&nbsp;tra&icirc;ner<a href="#nbp25" id="footnoteref25_at14wz9" name="liennbp25" title="Idem, p. 159 ; 191.">25</a> &raquo; au tribunal pour assister &agrave; des audiences alors qu&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;un v&eacute;ritable travail d&rsquo;observation. Il met m&ecirc;me en sc&egrave;ne ses propres doutes quant &agrave; la raison d&rsquo;&ecirc;tre du livre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un jour, j&rsquo;ai dit &agrave; &Eacute;tienne&nbsp;: Juliette, je ne la connaissais pas, ce deuil n&rsquo;est pas mon deuil, rien ne m&rsquo;autorise &agrave; &eacute;crire dessus. Il m&rsquo;a r&eacute;pondu&nbsp;: c&rsquo;est &ccedil;a qui t&rsquo;y autorise, et moi, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, c&rsquo;est pareil<a href="#nbp26" id="footnoteref26_xf8dydu" name="liennbp26" title="Idem, p. 279.">26</a>.&nbsp;&raquo;</p> <p>En insistant sur l&rsquo;absence de m&eacute;thode sur le terrain, ses scrupules et son manque de l&eacute;gitimit&eacute;, Emmanuel Carr&egrave;re pratique de mani&egrave;re paradoxale un certain contr&ocirc;le de son <i>ethos</i>. Il donne de lui l&rsquo;image d&rsquo;un &eacute;crivain incertain et prompt &agrave; l&rsquo;improvisation ; dans le m&ecirc;me temps il d&eacute;samorce des images qui ne lui correspondent pas comme celle du voyeur ou celle de l&rsquo;enqu&ecirc;teur professionnel&nbsp;&ndash;&nbsp;journaliste ou chercheur&nbsp;&ndash;&nbsp;qui instrumentaliserait la mort d&rsquo;une m&egrave;re de famille &agrave; des fins litt&eacute;raires. <i>A contrario</i>, il met en avant la relation d&rsquo;intimit&eacute; qu&rsquo;il parvient &agrave; tisser au fil des entretiens avec Patrice et &Eacute;tienne pour humaniser sa pratique et ramener sans cesse aux yeux du lecteur le consentement des premiers int&eacute;ress&eacute;s.</p> <p>Chez Ivan Jablonka, cette r&eacute;flexivit&eacute; ne prend jamais la forme de l&rsquo;autod&eacute;rision car pour instituer son &oelig;uvre litt&eacute;raire en essai, l&rsquo;auteur doit donner des gages de s&eacute;rieux. Il a conscience de l&rsquo;impact de son origine sociale et de ses <i>habitus</i> de professeur &laquo;&nbsp;issu de la bourgeoisie parisienne &agrave; dipl&ocirc;mes<a href="#nbp27" id="footnoteref27_g0bqohk" name="liennbp27" title="Ivan Jablonka, Laëtitia, op. cit., p. 145.">27</a> &raquo; mais, contrairement &agrave; Emmanuel Carr&egrave;re, il les pointe sans en relativiser les effets. Ce sont d&rsquo;ailleurs ses <i>habitus</i> et son r&eacute;seau qui lui ont permis de mener son enqu&ecirc;te. Il rapporte ainsi longuement la fa&ccedil;on dont il a justifi&eacute; son projet face &agrave; l&rsquo;avocate C&eacute;cile de Oliveira, en reproduisant m&ecirc;me, d&egrave;s le premier chapitre, la lettre qu&rsquo;il lui a envoy&eacute;e. Plus tard, il raconte comment il a d&ucirc; argumenter pour ne pas perdre le t&eacute;moignage du procureur Xavier Ronsin&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;Je m&rsquo;accroche en lui faisant valoir que mon livre porte aussi sur un pays, une soci&eacute;t&eacute;, la justice au d&eacute;but du XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle. Ronsin tend l&rsquo;oreille. Mon discours devient plus technique, je me r&eacute;v&egrave;le un fin connaisseur de la carri&egrave;re des JAP et de la culture de la SPIP. Il se d&eacute;tend et avec un grand sourire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Vous avez r&eacute;ussi votre examen d&rsquo;oral<a href="#nbp28" id="footnoteref28_0yywc7r" name="liennbp28" title="Idem, p. 210.">28</a> !&nbsp;&raquo; </q></p> <p>Son statut d&rsquo;universitaire lui a donn&eacute; acc&egrave;s au t&eacute;moignage des professionnels investis dans l&rsquo;enqu&ecirc;te ou de personnes haut plac&eacute;es, dont l&rsquo;ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Picca. En revanche, il ne joue pas de cette posture d&rsquo;intellectuel avec les autres t&eacute;moins et se place donc explicitement du c&ocirc;t&eacute; des professionnels. L&rsquo;&eacute;vocation de ses liens d&rsquo;amiti&eacute; avec l&rsquo;avocate C&eacute;cile de Oliveira et la journaliste Alexandra Turcat en est un signe &eacute;vident. Il voit m&ecirc;me dans le juge Pierre-Fran&ccedil;ois Martinot un &laquo;&nbsp;<i>alter ego</i><a href="#nbp29" id="footnoteref29_tarktlo" name="liennbp29" title="Idem, p. 224.">29</a> &raquo;. Gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;explicitation, parfois d&eacute;taill&eacute;e, des rencontres, ces professionnels gravitant autour de l&rsquo;affaire b&eacute;n&eacute;ficient, pour la plupart, d&rsquo;un portrait soign&eacute; et leur parole est toujours mise en contexte, ce qui n&rsquo;est pas le cas de celle des proches de La&euml;titia. Est-ce une strat&eacute;gie, consciente ou non, pour se placer du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;objectivit&eacute; incarn&eacute;e par le personnel policier, juridique et journalistique, et mettre ainsi &agrave; distance une potentielle accusation de mis&eacute;rabilisme&nbsp;? Est-ce parce qu&rsquo;il leur est redevable&nbsp;? Quoi qu&rsquo;il en soit, ce positionnement r&eacute;pond &agrave; l&rsquo;identification suppos&eacute;e des lecteurs avec ce personnel plut&ocirc;t ais&eacute; ou de classe moyenne qui repr&eacute;sente l&rsquo;ordre social face au chaos du fait divers.</p> <p>L&rsquo;auteur se d&eacute;crit d&rsquo;ailleurs lui-m&ecirc;me &agrave; plusieurs reprises en opposition aux jumelles&nbsp;: &laquo;&nbsp;Issu de la bourgeoisie parisienne &agrave; dipl&ocirc;mes, je n&rsquo;ai pas grandi dans la mis&egrave;re alcoolis&eacute;e, je n&rsquo;ai pas &eacute;t&eacute; retir&eacute; par un juge des enfants, je n&rsquo;ai pas fr&eacute;quent&eacute; un lyc&eacute;e professionnel, je me d&eacute;place en m&eacute;tro plut&ocirc;t qu&rsquo;en scooter<a href="#nbp30" id="footnoteref30_m8hf7u4" name="liennbp30" title="Idem, p. 145.">30</a> &raquo;&nbsp;; &laquo;&nbsp;je parle le fran&ccedil;ais intello [&hellip;] Jessica parle le fran&ccedil;ais populaire, l&rsquo;argot de l&rsquo;Ouest [&hellip;] je suis un &ecirc;tre de parole, elle est un &ecirc;tre de discr&eacute;tion<a href="#nbp31" id="footnoteref31_mzwt8ta" name="liennbp31" title="Idem, p. 333.">31</a>.&nbsp;&raquo; Le r&eacute;cit fait donc &eacute;tat d&rsquo;un foss&eacute; sociologique irr&eacute;m&eacute;diable entre le chercheur et l&rsquo;objet de sa recherche. Au chapitre 52, Ivan Jablonka d&eacute;veloppe longuement une r&eacute;flexion sur sa posture d&rsquo;enqu&ecirc;teur historien et parisien. Il est conscient d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; per&ccedil;u comme &laquo;&nbsp;une figure de l&rsquo;autorit&eacute;<a href="#nbp32" id="footnoteref32_p9qcnc6" name="liennbp32" title="Idem, p. 336.">32</a> &raquo; et que son travail peut repr&eacute;senter une &laquo;&nbsp;forme de violence<a href="#nbp33a" id="footnoteref33_g9cdfgl" name="liennbp33a" title="Ibidem.">33</a> &raquo;. Cela lui permet d&rsquo;anticiper sur de potentielles critiques et d&rsquo;affirmer la volont&eacute; qui a &eacute;t&eacute; la sienne de mener un travail respectueux et &eacute;thique&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;J&rsquo;ai re&ccedil;u le consentement &eacute;clair&eacute; de Jessica et de ses proches&nbsp;; j&rsquo;ai tout fait pour respecter leur parole, leur dignit&eacute;, leur peine. [&hellip;] Mais je ne peux exclure d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; moi-m&ecirc;me intrusif et maladroit. Il n&rsquo;est pas facile d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; ces travers quand on m&egrave;ne une enqu&ecirc;te<a href="#nbp33b" id="footnoteref33_83cyc46" name="liennbp33b" title="Ibidem.">33</a>. </q></p> <p>Pourtant Ivan Jablonka n&rsquo;envisage pas &laquo;&nbsp;ces travers&nbsp;&raquo; comme de potentiels biais &agrave; son enqu&ecirc;te qui auraient n&eacute;cessit&eacute; un am&eacute;nagement important de la m&eacute;thodologie en amont, sur le terrain, puis au moment de l&rsquo;analyse des donn&eacute;es, comme cela est pr&eacute;conis&eacute; par les sociologues et les ethnologues<a href="#nbp34" id="footnoteref34_g63lm96" name="liennbp34" title="Voir entre autres références Pierre Bourdieu, « Comprendre », dans Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 903-939 ; Florence Weber, Le Travail à-côté. Une ethnographie des perceptions, « Première partie : le métier d’ethnographe », Nouvelle édition revue et augmentée, éditions EHESS, 2009, [1989], p. 21-56.">34</a>. Le travail r&eacute;flexif du chercheur ne survient qu&rsquo;apr&egrave;s l&rsquo;enqu&ecirc;te et &agrave; la fin de l&rsquo;ouvrage, &agrave; un moment o&ugrave; il prend un tour plus lyrique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Jessica, notre fille. [&hellip;] Jeune fille anonyme qui marche dans la ville avec son sac &agrave; dos. R&eacute;sistante qui tient pour deux. Puisse-t-elle nous pardonner. Ce livre est pour elle.&nbsp;&raquo; Ce parti-pris trahit une ambigu&iuml;t&eacute; de l&rsquo;<i>ethos</i> et sera l&rsquo;objet de la critique de l&rsquo;historien Philippe Arti&egrave;res dans son article &laquo;&nbsp;Ivan Jablonka, l&rsquo;histoire n&rsquo;est pas une litt&eacute;rature contemporaine<a href="#nbp35" id="footnoteref35_yx4cjp5" name="liennbp35" title="Philippe Artières, « Ivan Jablonka, l’histoire n’est pas une littérature contemporaine ! », dans Libération du 6 novembre 2016, [En ligne] http://www.liberation.fr/debats/2016/11/06/ivan-jablonka-l-histoire-n-est-pas-une-litterature-contemporaine_1526604 (consulté le 11 septembre 2018).">35</a> !&nbsp;&raquo;, paru dans <i>Lib&eacute;ration</i>. Philippe Arti&egrave;res reproche &agrave; l&rsquo;auteur de &laquo;&nbsp;brouiller la d&eacute;marche de l&rsquo;historien&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;c&eacute;der &agrave; la jouissance de &ldquo;faire r&eacute;cit&rdquo; plut&ocirc;t que de &ldquo;faire savoir&rdquo;&nbsp;&raquo;, notamment en occultant la m&eacute;thodologie de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Cette f&eacute;roce critique r&eacute;v&egrave;le les limites de la strat&eacute;gie de l&eacute;gitimation d&rsquo;Ivan Jablonka aupr&egrave;s des universitaires.</p> <p>En effet, Ivan Jablonka met en sc&egrave;ne son travail d&rsquo;historien bien plus qu&rsquo;il n&rsquo;en rapporte la m&eacute;thode de fa&ccedil;on authentique. Prenons en exemple le chapitre 1. Apr&egrave;s sa rencontre avec Jessica, l&rsquo;historien se d&eacute;crit pensif, le regard perdu dans les feuillages qui &laquo;&nbsp;palpitent&nbsp;&raquo; derri&egrave;re la fen&ecirc;tre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Au-del&agrave; coule la Loire, dont les eaux argent&eacute;es charrient le souvenir des hommes et des femmes noy&eacute;s en 1793. Mon enqu&ecirc;te vient de commencer<a href="#nbp36" id="footnoteref36_8u1i1fq" name="liennbp36" title="Ivan Jablonka, Laëtitia, op. cit., p. 14.">36</a> &raquo;. Ce passage est remarquable pour plusieurs raisons. Tout d&rsquo;abord, la mani&egrave;re dont l&rsquo;auteur se repr&eacute;sente lui-m&ecirc;me est significative. L&rsquo;image de l&rsquo;historien pour qui la vision de la Loire convoque n&eacute;cessairement l&rsquo;&eacute;pisode historique de la Terreur est une &eacute;vidente mise en sc&egrave;ne st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;e de sa posture scientifique. Cette construction est confirm&eacute;e par la remarque &laquo;&nbsp;mon enqu&ecirc;te vient de commencer&nbsp;&raquo;. Pas un seul historien, ni aucun anthropologue, ne consid&egrave;re que l&rsquo;enqu&ecirc;te commence au moment o&ugrave; il foule le terrain pour la premi&egrave;re fois. Ce serait nier le travail de recherche en amont et la pr&eacute;paration m&eacute;thodologique du protocole envisag&eacute; pour le terrain, indispensables &agrave; toute enqu&ecirc;te scientifique. Nul doute qu&rsquo;Ivan Jablonka le sait mais cette phrase sert d&rsquo;amorce au r&eacute;cit et sc&eacute;narise cet instant comme fondateur de l&rsquo;enqu&ecirc;te et donc du r&eacute;cit qui d&eacute;bute. Un dernier indice vient enfin appuyer mon propos. La seule note de bas de page de l&rsquo;ouvrage ach&egrave;ve ce passage pour indiquer la pr&eacute;sence des r&eacute;f&eacute;rences bibliographiques en fin de volume. Pour ne pas interf&eacute;rer dans le r&eacute;cit avec des renvois et des notes de bas de page, l&rsquo;historien fait le choix esth&eacute;tique d&rsquo;&eacute;vacuer les r&eacute;f&eacute;rences, pourtant n&eacute;cessaires aux nombreux passages th&eacute;oriques. Ivan Jablonka voue ainsi le livre au r&eacute;cit litt&eacute;raire plut&ocirc;t qu&rsquo;au travail de recherche.</p> <p>Pour comprendre cette volont&eacute; de favoriser le r&eacute;cit, il faut revenir &agrave; l&rsquo;essai th&eacute;orique qui a pr&eacute;c&eacute;d&eacute; l&rsquo;&eacute;criture de <i>La&euml;titia</i>. Dans <i>L&rsquo;Histoire est une litt&eacute;rature contemporaine</i>, Ivan Jablonka consacre un chapitre &agrave; ce qu&rsquo;il nomme le &laquo;&nbsp;texte-recherche<a href="#nbp37" id="footnoteref37_ac7gdbc" name="liennbp37" title="Ivan Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine, « 11. Le texte-recherche », op. cit., p. 283-304.">37</a> &raquo;. Il y &eacute;voque notamment l&rsquo;utilisation de la premi&egrave;re personne, le &laquo;&nbsp;je de m&eacute;thode&nbsp;&raquo;, sous trois formes distinctes&nbsp;: le &laquo;&nbsp;je de position&nbsp;&raquo; &eacute;claire le lien intime entre l&rsquo;historien et son objet d&rsquo;&eacute;tude, le &laquo;&nbsp;je d&rsquo;enqu&ecirc;te&nbsp;&raquo; livre les &eacute;tapes de la recherche, le &laquo;&nbsp;je d&rsquo;&eacute;motion&nbsp;&raquo; t&eacute;moigne du ressenti du chercheur au fil de l&rsquo;enqu&ecirc;te. En faisant de <i>La&euml;titia</i> l&rsquo;application pratique de cette th&eacute;orie, Ivan Jablonka a mis en sc&egrave;ne ces trois &laquo;&nbsp;je de m&eacute;thode&nbsp;&raquo; qui correspondent &agrave; trois <i>ethe</i> acceptables construits&nbsp;: le parisien issu de la &laquo;&nbsp;bourgeoisie &agrave; dipl&ocirc;mes&nbsp;&raquo;, le chercheur historien, l&rsquo;&eacute;crivain altruiste. Ces mises en sc&egrave;ne permettent un contr&ocirc;le de l&rsquo;<i>ethos</i> mais elles r&eacute;v&egrave;lent aussi une posture qui &eacute;chappe &agrave; l&rsquo;auteur et que Philippe Arti&egrave;res pointe dans son article, celle de l&rsquo;historien qui se fait &laquo;&nbsp;juge ou pire d&eacute;miurge<a href="#nbp38" id="footnoteref38_fp6coxs" name="liennbp38" title="Philippe Artières, art. cit.">38</a> &raquo;. En r&eacute;alit&eacute;, comme le montre la r&eacute;ception de ses pairs, Ivan Jablonka ne semble pas parvenir &agrave; r&eacute;unir les deux champs&nbsp;&ndash;&nbsp;litt&eacute;raire et acad&eacute;mique&nbsp;&ndash;&nbsp;dans lesquels il souhaitait inscrire <i>La&euml;titia</i>.</p> <p>Alors qu&rsquo;Emmanuel Carr&egrave;re cible aussi deux lectorats&nbsp;&ndash;&nbsp;ses proches et ses lecteurs fid&egrave;les, comme nous l&rsquo;avons vu&nbsp;&ndash;&nbsp;il n&rsquo;oppose pas leurs attentes comme le fait Ivan Jablonka, mais tente au contraire de les concilier. La strat&eacute;gie de justification la plus &eacute;vidente de l&rsquo;&oelig;uvre consiste &agrave; mettre en avant le moment fondateur du livre&nbsp;: sa rencontre avec &Eacute;tienne, le juge et ami de Juliette. L&rsquo;entrevue se termine par une &eacute;nigmatique &eacute;lection&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;[&hellip;] ce que je me rappelle, c&rsquo;est qu&rsquo;au moment de prendre cong&eacute;, tandis qu&rsquo;&agrave; tour de r&ocirc;le dans le vestibule, nous lui serrions la main, il s&rsquo;est adress&eacute; &agrave; moi. &Agrave; aucun moment il n&rsquo;avait manifest&eacute; qu&rsquo;il me connaissait comme &eacute;crivain mais l&agrave;, devant tout le monde, les yeux dans les yeux, il m&rsquo;a dit&nbsp;: vous devriez y penser [&hellip;]. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre pour vous<a href="#nbp39" id="footnoteref39_sq0ul7s" name="liennbp39" title="Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, op. cit., p. 105-106.">39</a>. </q></p> <p>L&rsquo;&eacute;crivain revient &agrave; plusieurs reprises dans le livre sur cet instant fondateur&nbsp;: &laquo;&nbsp;on m&rsquo;avait pass&eacute; une commande<a href="#nbp40" id="footnoteref40_wszlxba" name="liennbp40" title="Idem, p. 107.">40</a> &raquo;, &laquo;&nbsp;La vie m&rsquo;avait mis &agrave; cette place, &Eacute;tienne me l&rsquo;avait d&eacute;sign&eacute;e, je l&rsquo;occupais<a href="#nbp41" id="footnoteref41_59jiyzr" name="liennbp41" title="Idem, p. 110.">41</a> &raquo;, &laquo;&nbsp;La vie m&rsquo;a fait t&eacute;moin de ces deux malheurs, coup sur coup, et charg&eacute;, c&rsquo;est du moins ainsi que je l&rsquo;ai compris, d&rsquo;en rendre compte<a href="#nbp42" id="footnoteref42_efkw7cp" name="liennbp42" title="Idem, p. 308.">42</a> &raquo;. Cette tendance mystique &agrave; concevoir l&rsquo;&eacute;criture comme une destin&eacute;e sacralise la d&eacute;marche et permet de contrebalancer la posture nonchalante dont nous parlions plus t&ocirc;t. La mise en sc&egrave;ne du consentement des t&eacute;moins compl&egrave;te cette inscription de l&rsquo;<i>ethos</i>. En se pr&eacute;sentant comme d&eacute;sign&eacute;, puis adoub&eacute; par ses premiers lecteurs, Carr&egrave;re se montre comme d&rsquo;avance l&eacute;gitim&eacute; face aux lecteurs secondaires.</p> <p><b>&nbsp;</b></p> <p>Cette analyse sociopo&eacute;tique, non exhaustive, permet de mettre au jour plusieurs probl&eacute;matiques li&eacute;es au hiatus n&eacute;cessairement existant entre la pratique de terrain et le r&eacute;cit qui en est fait par l&rsquo;auteur. Ces deux &oelig;uvres brouillent leur appartenance g&eacute;n&eacute;rique et obligent les auteurs &agrave; investir beaucoup d&rsquo;efforts dans l&rsquo;&eacute;laboration de la &laquo;&nbsp;sc&eacute;nographie&nbsp;&raquo;, pour reprendre la notion de Dominique Maingueneau&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;La sc&eacute;nographie, c&#39;est la sc&egrave;ne de parole que le discours pr&eacute;suppose pour pouvoir &ecirc;tre &eacute;nonc&eacute; et qu&#39;en retour il doit valider &agrave; travers son &eacute;nonciation m&ecirc;me. [&hellip;] La sc&eacute;nographie, avec l&rsquo;<i>ethos</i> dont il participe, implique un processus en boucle&nbsp;: d&egrave;s son &eacute;mergence la parole est port&eacute;e par un certain <i>ethos</i>, lequel, en fait, se valide progressivement &agrave; travers cette &eacute;nonciation m&ecirc;me. La sc&eacute;nographie est ainsi &agrave; la fois ce dont vient le discours et ce qu&#39;engendre ce discours&nbsp;; elle l&eacute;gitime un &eacute;nonc&eacute; qui, en retour, doit la l&eacute;gitimer<a href="#nbp43" id="footnoteref43_fpgekkn" name="liennbp43" title="Dominique Maingueneau, « Problèmes d’ethos », art. cit., p. 64-65.">43</a> [&hellip;] </q></p> <p>La comparaison entre <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i> et <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i> met en lumi&egrave;re deux strat&eacute;gies de l&eacute;gitimation de l&rsquo;enqu&ecirc;te &agrave; la fois semblables, en ce qu&rsquo;elles reposent toute deux sur l&rsquo;hommage rendu &agrave; une jeune femme d&eacute;c&eacute;d&eacute;e, et diff&eacute;rentes, parce que l&rsquo;une tente de s&rsquo;instituer comme scientifique alors que l&rsquo;autre se d&eacute;gage de toute pr&eacute;tention documentaire.</p> <p>Dans le livre de Carr&egrave;re, le travail de l&eacute;gitimation ne tend pas &agrave; brouiller les fronti&egrave;res de la litt&eacute;rature. &Eacute;tant d&eacute;j&agrave; reconnu en tant qu&rsquo;&eacute;crivain, son texte est d&rsquo;embl&eacute;e attendu dans la sph&egrave;re litt&eacute;raire. La pratique de l&rsquo;enqu&ecirc;te et son r&eacute;cit font de lui un d&eacute;couvreur d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;autres vies que la sienne&nbsp;&raquo; et le d&eacute;cale simplement du genre de l&rsquo;autobiographie. Il est pourtant amen&eacute; &agrave; euph&eacute;miser les dispositifs de l&rsquo;enqu&ecirc;te, alors m&ecirc;me qu&rsquo;ils r&eacute;pondent &agrave; une m&eacute;thodologie r&eacute;fl&eacute;chie. Se positionner comme amateur lui permet de ne pas avoir l&rsquo;air d&rsquo;enqu&ecirc;ter et de parvenir ainsi &agrave; l&eacute;gitimer une immixtion dans un deuil qui n&rsquo;est pas le sien. La relation de confiance avec les protagonistes est mise en avant pour faire de l&rsquo;&oelig;uvre leur propre hommage tiss&eacute; de leurs souvenirs et dont Emmanuel Carr&egrave;re ne serait que le m&eacute;dia. En r&eacute;alit&eacute;, ce livre est aussi le r&eacute;cit d&rsquo;une exp&eacute;rience de terrain doubl&eacute;e d&rsquo;une exp&eacute;rience d&rsquo;&eacute;criture. Si l&rsquo;auteur tente d&rsquo;en minimiser la dimension autobiographique, c&rsquo;est peut-&ecirc;tre pour en faire le pendant lumineux et altruiste de son &oelig;uvre pr&eacute;c&eacute;dente, <i>L&rsquo;Adversaire</i>, dont l&rsquo;&eacute;criture et la r&eacute;ception furent douloureuses.</p> <p>En ce qui concerne le livre d&rsquo;Ivan Jablonka, l&rsquo;enjeu est clairement de se positionner &agrave; la fois dans le champ litt&eacute;raire et hors de lui, pour r&eacute;pondre aux exigences de sa propre th&eacute;orie sur la m&eacute;thodologie de l&rsquo;histoire contemporaine. Selon lui, sa d&eacute;marche est donc avant tout scientifique, la mise en sc&egrave;ne de soi fonctionne comme un outil &eacute;pist&eacute;mologique et une cl&eacute; de compr&eacute;hension essentielle. Si le livre est un hommage, il l&rsquo;est comme une st&egrave;le, signe et lieu collectifs qui ne r&eacute;v&egrave;lent pas tout &agrave; fait l&rsquo;intimit&eacute; du deuil qu&rsquo;ils ont port&eacute;. Seule cette version de l&rsquo;hommage pouvait permettre &agrave; Ivan Jablonka de faire osciller son livre entre l&rsquo;&oelig;uvre litt&eacute;raire et l&rsquo;essai sociologique.</p> <p>Que nous apporte une telle d&eacute;marche sociopo&eacute;tique dans le cadre d&rsquo;une recherche sur la pratique litt&eacute;raire de terrain&nbsp;? Elle met en avant le fait que le r&eacute;cit d&rsquo;une enqu&ecirc;te doit apporter sa propre justification lorsqu&rsquo;il se trouve dans le champ litt&eacute;raire. Normale et institu&eacute;e pour un journaliste ou un ethnologue, l&rsquo;enqu&ecirc;te ne l&rsquo;est pas pour un &eacute;crivain. L&rsquo;analyse sociopo&eacute;tique montre &eacute;galement que la pratique de terrain complexifie les rapports de force auxquels est soumise la production d&rsquo;une &oelig;uvre. Le r&eacute;cit r&eacute;v&egrave;le certains aspects du d&eacute;roulement de l&rsquo;enqu&ecirc;te et en occulte d&rsquo;autres. L&rsquo;&eacute;tude du dit et du non-dit permet d&rsquo;envisager un &eacute;cart entre l&rsquo;<i>ethos</i> de l&rsquo;auteur dans le r&eacute;cit et sa posture r&eacute;elle sur le terrain. Cet &eacute;cart ne peut &ecirc;tre qu&rsquo;interpr&eacute;t&eacute; &agrave; la mesure de ce que laisse entrevoir l&rsquo;&oelig;uvre mais il a beaucoup &agrave; dire sur la mani&egrave;re dont les strat&eacute;gies de l&eacute;gitimation ont conditionn&eacute; l&rsquo;&eacute;criture. Au vu de ces r&eacute;sultats, l&rsquo;extension de la d&eacute;marche sociopo&eacute;tique &agrave; l&rsquo;ensemble du corpus permettra une cat&eacute;gorisation des diff&eacute;rentes strat&eacute;gies de l&eacute;gitimation afin de montrer que la pratique de terrain est un facteur d&eacute;terminant pour comprendre le champ litt&eacute;raire actuel.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><b>Notes et r&eacute;f&eacute;rences</b></p> <p><b>Bibliographie</b></p> <p>Arti&egrave;res, Philippe, &laquo;&nbsp;Ivan Jablonka, l&rsquo;histoire n&rsquo;est pas une litt&eacute;rature contemporaine&nbsp;!&nbsp;&raquo;, dans <i>Lib&eacute;ration</i> du 6 novembre 2016, [En ligne] <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/11/06/ivan-jablonka-l-histoire-n-est-pas-une-litterature-contemporaine_1526604">http://www.liberation.fr/debats/2016/11/06/ivan-jablonka-l-histoire-n-est-pas-une-litterature-contemporaine_1526604</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018.</p> <p>Bourdieu, Pierre, <i>Les R&egrave;gles de l&rsquo;art. Gen&egrave;se et structure du champ litt&eacute;raire</i>, Paris, Le Seuil, 1992.</p> <p>&ndash;, &laquo;&nbsp;Comprendre&nbsp;&raquo;, dans Pierre Bourdieu (dir.), <i>La Mis&egrave;re du monde</i>, Paris, Le Seuil, 1993, p.&nbsp;903-939.</p> <p>Carr&egrave;re, Emmanuel, <i>L&rsquo;Adversaire</i>, Paris, P.O.L, 2000.</p> <p>&ndash;, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, Paris, P.O.L, 2009.<i> </i></p> <p>&ndash;, <i>Il est avantageux d&rsquo;avoir o&ugrave; aller</i>, Paris, P.O.L, 2016.</p> <p>Jablonka, Ivan, <i>Histoire des grands parents que je n&rsquo;ai pas eus</i>, Paris, Le Seuil, 2012.</p> <p>&ndash;, <i>L&rsquo;Histoire est une litt&eacute;rature contemporaine</i>, Paris, Le Seuil, 2014.</p> <p>&ndash;, <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i>, Paris, Le Seuil, 2016.</p> <p>Loret, &Eacute;ric, &laquo;&nbsp;<i>Le Monde</i> remet son prix litt&eacute;raire &agrave; <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i> d&rsquo;Ivan Jablonka&nbsp;&raquo;, dans <i>Le Monde</i> du 7 septembre 2016, [En ligne] <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/07/ivan-jablonka-un-historien-qui-recoit-un-prix-litteraire-cela-peut-surprendre_4994172_3260.html">http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/07/ivan-jablonka-un-historien-qui-recoit-un-prix-litteraire-cela-peut-surprendre_4994172_3260.html</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018).</p> <p>Maingueneau, Dominique, &laquo; Probl&egrave;mes d&rsquo;<i>ethos</i> &raquo;, <i>Pratiques</i>, n&deg;&nbsp;113, 2002, p.&nbsp;55-68.</p> <p>Meizoz, J&eacute;r&ocirc;me, <i>Postures litt&eacute;raires. Mises en sc&egrave;ne modernes de l&rsquo;auteur</i>, Gen&egrave;ve, Slatkine Erudition, 2007.</p> <p>Molini&eacute;, Georges et Alain Viala, <i>Approches de la r&eacute;ception. S&eacute;miostylistique et sociopo&eacute;tique de Le Cl&eacute;zio</i>, Paris, PUF, 1993.</p> <p>Pascaud, Fabienne, &laquo;&nbsp;La&euml;titia ou la fin des hommes&nbsp;&raquo;, dans <i>T&eacute;l&eacute;rama</i> n&deg;&nbsp;3475, 16 ao&ucirc;t 2016, [En ligne] <a href="http://www.telerama.fr/livres/laetitia-ou-la-fin-des-hommes,146183.php">http://www.telerama.fr/livres/laetitia-ou-la-fin-des-hommes,146183.php</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018).</p> <p>Viala, Alain, &laquo;&nbsp;Stylistique et sociologie&nbsp;: Classe de postures&nbsp;&raquo;, <i>Revue belge de philologie et d&#39;histoire</i>, tome&nbsp;71, fasc.&nbsp;3, 1993, p.&nbsp;615-624.</p> <p>Weber, Florence, <i>Le Travail &agrave;-c&ocirc;t&eacute;. Une ethnographie des perceptions</i>, &laquo;&nbsp;Premi&egrave;re partie&nbsp;: le m&eacute;tier d&rsquo;ethnographe&nbsp;&raquo;, Nouvelle &eacute;dition revue et augment&eacute;e, &eacute;ditions EHESS, 2009, [1989], p.&nbsp;21-56.</p> <hr /> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Pierre Bourdieu, <i>Les R&egrave;gles de l&rsquo;art. Gen&egrave;se et structure du champ litt&eacute;raire</i>, Paris, Le Seuil, 1992.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a> Georges Molini&eacute; et Alain Viala, <i>Approches de la r&eacute;ception. S&eacute;miostylistique et sociopo&eacute;tique de Le Cl&eacute;zio</i>, Paris, PUF, 1993.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a> J&eacute;r&ocirc;me Meizoz, <i>Postures litt&eacute;raires. Mises en sc&egrave;ne modernes de l&rsquo;auteur</i>, Gen&egrave;ve, Slatkine Erudition, 2007.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a> V. Alain Viala, &laquo;&nbsp;Stylistique et sociologie&nbsp;: Classe de postures&nbsp;&raquo;, in <i>Revue belge de philologie et d&#39;histoire</i>, tome&nbsp;71, fasc.&nbsp;3, 1993, p.&nbsp;615-624.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, Paris, P.O.L, 2009.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a> Ivan Jablonka, <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i>, Paris, Le Seuil, 2016.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;8.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;9.</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a> &Eacute;ric Loret, &laquo;&nbsp;<i>Le Monde</i> remet son prix litt&eacute;raire &agrave; <i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i> d&rsquo;Ivan Jablonka&nbsp;&raquo;, dans <i>Le Monde</i> du 7 septembre 2016, [En ligne] <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/07/ivan-jablonka-un-historien-qui-recoit-un-prix-litteraire-cela-peut-surprendre_4994172_3260.html">http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/07/ivan-jablonka-un-historien-qui-recoit-un-prix-litteraire-cela-peut-surprendre_4994172_3260.html</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018).</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a> Fabienne Pascaud, &laquo;&nbsp;<i>La&euml;titia ou la fin des hommes</i>&nbsp;&raquo;, dans <i>T&eacute;l&eacute;rama</i> n&deg;&nbsp;3475, 16 ao&ucirc;t 2016, [En ligne] <a href="http://www.telerama.fr/livres/laetitia-ou-la-fin-des-hommes,146183.php">http://www.telerama.fr/livres/laetitia-ou-la-fin-des-hommes,146183.php</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018).</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> Ivan Jablonka, <i>L&rsquo;Histoire est une litt&eacute;rature contemporaine</i>, Paris, Le Seuil, 2014.</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;283.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;283.</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14</a><i> Idem</i>, <i>Histoire des grands parents que je n&rsquo;ai pas eus</i>, Paris, Le Seuil, 2012.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15 </a>&laquo;&nbsp;<i>Laetitia est hominis transitio a minore ad majorem perfectionem</i>&nbsp;&raquo;, Baruch Spinoza, <i>L&rsquo;&Eacute;thique</i>.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, <i>op. cit</i>., p.&nbsp;299-300.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;131&nbsp;; 181&nbsp;; 224&nbsp;; 295.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>L&rsquo;Adversaire</i>, Paris, P.O.L, 2000.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> Nicole Garcia, r&eacute;al. <i>L&rsquo;Adversaire</i>, Daniel Auteuil, Fran&ccedil;ois Berl&eacute;and, Fran&ccedil;ois Cluzet, France, 2002, 129 min.</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Ivan Jablonka, <i>La&euml;titia</i>, <i>op. </i>cit., p.&nbsp;120.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21</a> V. Dominique Maingueneau, &laquo; Probl&egrave;mes d&rsquo;<i>ethos</i> &raquo;, <i>Pratiques</i>, n&deg;&nbsp;113, 2002, p. 55-68.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;204.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> V. Emmanuel Carr&egrave;re, <i>Il est avantageux d&rsquo;avoir o&ugrave; aller</i>, Paris, P.O.L, 2016.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, <i>op.cit.</i>, p.&nbsp;111.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;159&nbsp;; 191.</p> <p><a href="#liennbp26" name="nbp26">26</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;279.</p> <p><a href="#liennbp27" name="nbp27">27</a> Ivan Jablonka, <i>La&euml;titia</i>, <i>op. cit</i>., p.&nbsp;145.</p> <p><a href="#liennbp28" name="nbp28">28</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;210.</p> <p><a href="#liennbp29" name="nbp29">29</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;224.</p> <p><a href="#liennbp30" name="nbp30">30</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;145.</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;333.</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;336.</p> <p>33 <a href="#liennbp33a" name="nbp33a">a</a> <a href="#liennbp33b" name="nbp33b">b</a> <i>Ibidem</i>.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Voir entre autres r&eacute;f&eacute;rences Pierre Bourdieu, &laquo;&nbsp;Comprendre&nbsp;&raquo;, dans Pierre Bourdieu (dir.), <i>La Mis&egrave;re du monde</i>, Paris, Le Seuil, 1993, p.&nbsp;903-939&nbsp;; Florence Weber, <i>Le Travail &agrave;-c&ocirc;t&eacute;. Une ethnographie des perceptions</i>, &laquo;&nbsp;Premi&egrave;re partie&nbsp;: le m&eacute;tier d&rsquo;ethnographe&nbsp;&raquo;, Nouvelle &eacute;dition revue et augment&eacute;e, &eacute;ditions EHESS, 2009, [1989], p.&nbsp;21-56.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> Philippe Arti&egrave;res, &laquo;&nbsp;Ivan Jablonka, l&rsquo;histoire n&rsquo;est pas une litt&eacute;rature contemporaine&nbsp;!&nbsp;&raquo;, dans <i>Lib&eacute;ration</i> du 6 novembre 2016, [En ligne] <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/11/06/ivan-jablonka-l-histoire-n-est-pas-une-litterature-contemporaine_1526604">http://www.liberation.fr/debats/2016/11/06/ivan-jablonka-l-histoire-n-est-pas-une-litterature-contemporaine_1526604</a> (consult&eacute; le 11 septembre 2018).</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> Ivan Jablonka, <i>La&euml;titia</i>, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;14.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Ivan Jablonka, <i>L&rsquo;Histoire est une litt&eacute;rature contemporaine</i>, &laquo;&nbsp;11. Le texte-recherche&nbsp;&raquo;, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;283-304.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> Philippe Arti&egrave;res, art. cit.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Emmanuel Carr&egrave;re, <i>D&rsquo;autres vies que la mienne</i>, <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;105-106.</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;107.</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;110.</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42</a><i> Idem</i>, p.&nbsp;308.</p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43</a> Dominique Maingueneau, &laquo;&nbsp;Probl&egrave;mes d&rsquo;<i>ethos</i>&nbsp;&raquo;, art. cit., p.&nbsp;64-65.</p> <p>&nbsp;</p>