<p>&nbsp;&nbsp; Quelles formes prend le r&eacute;cit de soi &agrave; l&rsquo;&eacute;cran<a href="#nbp1" id="footnoteref1_sajb7ih" name="liennbp1" title=" Voir Claire Chatelet et Julie Savelli (co-dir.), Entrelacs, « Récits de soi. La mise en Je(u) à l'écran », n° 15, Toulouse, éd. ENSAV et L.A.R.A., en ligne, 2018. (URL : https://journals.openedition.org/entrelacs/2167). Consulté le 07 novembre 2020.">1</a> et en quoi l&rsquo;exp&eacute;rience g&eacute;n&eacute;alogique y participe-t-elle&nbsp;? Si tout film est pr&eacute;texte &agrave; dire &laquo; je &raquo; en convoquant le monde sous un angle personnel, l&#39;autobiographie film&eacute;e se caract&eacute;rise quant &agrave; elle par la possibilit&eacute; d&#39;une lecture documentaire &mdash; &laquo;&nbsp;auto &raquo; : soi, &laquo; bio&nbsp;&raquo; : existence, &laquo; graphie &raquo; : &eacute;criture, enregistrement. Selon le th&eacute;oricien de la litt&eacute;rature Philippe Lejeune, le &laquo;&nbsp;pacte autobiographique<a href="#nbp2" id="footnoteref2_arq953o" name="liennbp2" title=" D’abord paru en 1973 dans la revue Poétique (n° 14, p. 137-162), le texte, légèrement remanié, est repris dans Le Pacte autobiographique en 1975 (Paris, Seuil). La notion de « pacte » sera ensuite développée et reconfigurée par son auteur, notamment dans Le Pacte autobiographique (bis) en 1983 et dans Le Pacte autobiographique, vingt-cinq ans après en 2002. Voir aussi : Carole Allamand, Le « Pacte » de Philippe Lejeune ou l’autobiographie en théorie : édition critique et commentaire, Paris, Honoré Champion, « Textes critiques français », 2018.">2</a> &raquo; se fonde en outre sur l&rsquo;engagement que prend un auteur (dont le nom est celui d&rsquo;une personne r&eacute;elle) de raconter sa vie dans un &laquo;&nbsp;esprit de v&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo;. Pour autant, d&eacute;j&agrave; en 1971 avant la notion de &laquo;&nbsp;pacte&nbsp;&raquo;, Philippe Lejeune &eacute;crivait dans&nbsp;<em>L&rsquo;Autobiographie en France </em><a href="#nbp3" id="footnoteref3_448kh4t" name="liennbp3" title=" Philippe Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, Armand Colin, 1971, p. 105.">3</a> que le &laquo;&nbsp;moi&nbsp;&raquo; constitue &laquo;&nbsp;un des grands mythes de la civilisation occidentale moderne&nbsp;&raquo;, admettant d&rsquo;une certaine mani&egrave;re qu&rsquo;il puisse &ecirc;tre le produit d&rsquo;une invention&nbsp;:</p> <p><q>&nbsp;Bien s&ucirc;r, en essayant de mieux me voir, je continue &agrave; me cr&eacute;er, je mets au propre les brouillons de mon identit&eacute; [...] tous les hommes qui marchent dans la rue sont des hommes-r&eacute;cits, c&rsquo;est pour cela qu&rsquo;ils tiennent debout. Si l&rsquo;identit&eacute; est un imaginaire, l&rsquo;autobiographie qui colle &agrave; cet imaginaire est du c&ocirc;t&eacute; de la v&eacute;rit&eacute;<a href="#nbp4" id="footnoteref4_0cl1bw9" name="liennbp4" title=" Philippe Lejeune, Signes de vie. Le Pacte autobiographique 2, Paris, Seuil, 2005, p. 38-39.">4</a>.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; En convoquant ici de mani&egrave;re implicite la notion d&rsquo;&laquo;&nbsp;identit&eacute; narrative&nbsp;&raquo; que Paul Ric&oelig;ur d&eacute;veloppe dans <em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em><a href="#nbp5" id="footnoteref5_z0b454m" name="liennbp5" title=" Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 1990.">5</a>, Philippe Lejeune rappelle que pour l&rsquo;autobiographe, rien n&rsquo;existe r&eacute;ellement <em>avant </em>son texte, pas m&ecirc;me sa propre vie. Si le r&eacute;cit autobiographique est bien le d&eacute;positaire d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute;, elle r&eacute;sulte alors de l&rsquo;ambition narrative qui est &agrave; l&rsquo;origine de tout rapport &agrave; soi.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dans le domaine cin&eacute;matographique, l&rsquo;horizon d&rsquo;attente autobiographique n&rsquo;est pas moins compatible avec la fantaisie et la cr&eacute;ativit&eacute;. En t&eacute;moigne la diversit&eacute; des &eacute;critures intimes qui caract&eacute;rise d&eacute;j&agrave; les tout premiers gestes de cin&eacute;ma&nbsp;: les vues familiales des fr&egrave;res Lumi&egrave;re en 1895, le carnet de voyage d&rsquo;Oskar Fischinger en 1927 ou encore les <em>body films</em> de l&rsquo;avant-garde am&eacute;ricaine post-surr&eacute;aliste au d&eacute;but des ann&eacute;es 1940 <a href="#nbp6" id="footnoteref6_0mhgu5s" name="liennbp6" title=" Le Repas de bébé (1895) ou La Pêche aux poissons rouges (1895) des frères Lumière ; La Marche de Munich à Berlin (München-Berlin Wanderung, 1927) d’Oskar Fishinger ; The Geography of the Body (1943) de Marie Menken et Willard Maas ou encore Meshes of the Afternoon (1943) de Maya Deren. Voir : Julie Savelli, « Histoire de l'écran à la première personne », UPOPI, en ligne, 2016. (URL : http://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-images/histoire-de-l-ec…). Consulté le 07 novembre 2020.">6</a>. Cette puissance d&rsquo;invention s&rsquo;explique en partie par la marginalit&eacute; du Je &agrave; l&rsquo;&eacute;cran. M&ecirc;me si apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale le Je participe pleinement du cin&eacute;ma moderne et de son &acirc;ge r&eacute;flexif, les pratiques autobiographiques demeurent en dehors des circuits dominants de l&eacute;gitimation, s&#39;apparentant &agrave; des cin&eacute;mas amateur, documentaire ou exp&eacute;rimental, avec lesquels elles partagent le go&ucirc;t de l&rsquo;exploratoire et une ind&eacute;pendance d&#39;esprit. Il faut attendre les ann&eacute;es 1970-1980 pour constater l&rsquo;affirmation du sujet en cin&eacute;ma, comme en litt&eacute;rature<a href="#nbp7" id="footnoteref7_kz3677e" name="liennbp7" title=" Roland Barthes, Georges Perec et Serge Doubrovsky sont les principaux initiateurs de ce phénomène d’auto-représentation au milieu des années 1970 dans le domaine littéraire.">7</a> et plus largement dans les arts, avec la multiplication des autobiographies film&eacute;es et des autofictions<a href="#nbp8" id="footnoteref8_rilxjha" name="liennbp8" title=" En 1977, le critique et romancier Serge Doubrovsky nomme « autofiction » le principe qui consiste à mettre la fiction au service de l'autobiographie dans un genre hybride. Si les cinéastes ont recours à des acteurs, modifiant les noms, les dates ou les lieux des faits, l'enjeu est bien identitaire pour Jean Eustache (La Maman et la Putain, 1972 ; Mes petites amoureuses, 1974), François Truffaut (La Nuit américaine, 1973 et déjà dans Les 400 Coups en 1959), Luc Moullet (Anatomie d'un rapport, 1975) ou Philippe Garrel (dans tous ses films).">8</a>. Puis dans les ann&eacute;es 2000, le ph&eacute;nom&egrave;ne de la t&eacute;l&eacute;-r&eacute;alit&eacute; r&eacute;volutionne le paysage audiovisuel en mettant en sc&egrave;ne la vie priv&eacute;e d&#39;individus anonymes tandis qu&rsquo;en parall&egrave;le le web 2.0 et les technologies mobiles (petite cam&eacute;ra, appareil photo, t&eacute;l&eacute;phone, tablette) favorisent aussi l&#39;expression de soi. Ainsi, dans ce contexte populaire, le cin&eacute;ma d&#39;auteur autobiographique conna&icirc;t enfin un essor important. Les films se multiplient gr&acirc;ce au financement des cha&icirc;nes de t&eacute;l&eacute;vision et sortent des niches de diffusion o&ugrave; ils &eacute;taient circonscrits&nbsp;: ils sont d&eacute;sormais en s&eacute;lection &agrave; Cannes et &agrave; l&#39;international, puis &eacute;dit&eacute;s sous la forme de coffrets DVD. Cette p&eacute;riode contemporaine se caract&eacute;rise par une surexposition de l&#39;intimit&eacute; qui op&egrave;re le passage vers &laquo;&nbsp;l&#39;extime<a href="#nbp9" id="footnoteref9_jj8oluc" name="liennbp9" title=" Terme forgé par Lacan en 1969, et repris par le psychiatre Serge Tisseron en 2001 pour désigner le désir de montrer certains aspects de soi considérés jusque-là comme relevant de l’intime : voir L’intimité surexposée [2001], Paris, rééd. Hachette, 2003.">9</a> &raquo; : l&#39;auteur sort de lui-m&ecirc;me en engageant sa personne et s&#39;expose &laquo;&nbsp;au dehors&nbsp;&raquo; (les autres, le monde). C&#39;est de cette correspondance entre l&#39;int&eacute;rieur et l&#39;ext&eacute;rieur que semble d&eacute;pendre aujourd&rsquo;hui l&#39;enjeu du r&eacute;cit de soi.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; L&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;un &laquo;&nbsp;art documentaire<a href="#nbp10" id="footnoteref10_2wm09y5" name="liennbp10" title=" Voir : Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.), Un art documentaire. Enjeux politiques, esthétiques et éthiques, Rennes, PUR, 2017 ; Aline Caillet, Dispositifs critiques. Le documentaire, du cinéma aux arts visuels, Rennes, PUR, 2014.">10</a> &raquo; au cours de ces vingt derni&egrave;res ann&eacute;es participe plus encore de cette mise en je(u). Les autobiographies film&eacute;es du XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle se caract&eacute;risent &agrave; la fois par l&rsquo;hybridation des &eacute;critures et par une migration vers les arts contemporains &ndash; arts visuels et num&eacute;riques mais aussi plastiques, de la sc&egrave;ne (th&eacute;&acirc;tre, danse, cirque) ou encore de l&rsquo;&eacute;crit. Dans ce contexte interm&eacute;dial, la pr&eacute;sente contribution s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; un imaginaire identitaire qui produit des frottements avec la fiction et l&rsquo;exp&eacute;rimentation pour mettre l&rsquo;accent sur la part de l&rsquo;autre dans la r&eacute;alisation de soi &agrave; l&rsquo;&eacute;cran. Il appara&icirc;t que le &laquo;&nbsp;souci de soi<a href="#nbp11" id="footnoteref11_iurobrl" name="liennbp11" title=" À travers « le souci de soi », Michel Foucault met l’accent sur le processus de travail que chacun est amené à entreprendre pour soi-même et pour la cité. (Michel Foucault, Le Souci de soi, Paris, Gallimard, 1984.)">11</a> &raquo; se confond avec un &laquo;&nbsp;souci du tiers<a href="#nbp12" id="footnoteref12_3yqs0jp" name="liennbp12" title=" Voir : Marion Froger et Lucie Szechter, « Le souci du tiers », dans CinémAction, « Mémoires et identités au cinéma », n° 163, 2017, p. 20-33.">12</a> &raquo;&nbsp;: le sujet filmant/film&eacute; ne convoque plus seulement ses anc&ecirc;tres biologiques pour se situer mais aussi tout un h&eacute;ritage sensible o&ugrave; les proches, les anonymes et les grands hommes sont pris dans une m&ecirc;me g&eacute;n&eacute;alogie sur le principe d&rsquo;inclusion. S&rsquo;il est partag&eacute; par des cin&eacute;astes et des artistes<a href="#nbp13" id="footnoteref13_i78au2w" name="liennbp13" title=" Par exemple les projets processuels et multi-supports du metteur en scène Mohamed El Khatib (France), des cinéastes et artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (France/Liban), ou du plasticien Walid Raad (Liban).">13</a>, ce nouvel &eacute;lan autobiographique n&rsquo;est pas compris ici comme l&rsquo;expression d&rsquo;un mouvement avec des traits distinctifs mais plut&ocirc;t comme une d&eacute;marche polymorphe qui t&eacute;moigne d&rsquo;un fait anthropologique propre &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me contemporain<a href="#nbp14" id="footnoteref14_yi8ls96" name="liennbp14" title=" C’est à Michel Chaillou, romancier et critique, que l’on doit cette formule (avec ou sans tiret). (« L’Extrême contemporain », Po&amp;sie, n° 41, 1987.) Voir aussi : Dominique Viart, « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine », dans Francine Dugast Portes et Michèle Touret (dir.), Le temps des Lettres, Rennes, PUR, p. 317-336.">14</a>, attestant d&rsquo;un besoin accru de &laquo;&nbsp;commun&nbsp;&raquo;. Cette notion, <em>common</em> en anglais, recouvre aujourd&rsquo;hui une acception politique<a href="#nbp15" id="footnoteref15_mwplsdt" name="liennbp15" title=" Voir les travaux d’Elinor Ostrom, « prix Nobel d’économie » en 2009, sur les biens communs.">15</a> qui, dans certains discours au sein de la gauche dite radicale, tend &agrave; marginaliser l&rsquo;individualit&eacute;. L&rsquo;enjeu de ce travail est justement de r&eacute;investir ce <em>commun</em> d&rsquo;un point de vue g&eacute;n&eacute;alogique, pour faire &eacute;merger les n&oelig;uds de la subjectivit&eacute; et de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;<a href="#nbp16" id="footnoteref16_b8gb4gg" name="liennbp16" title=" Voir : Robert Bonamy, Cinémas en communs, Montreuil, Les Éditions de l’Oeil, 2020 et Pascal Nicolas-Le Strat, Le Travail du commun, Rennes, Éditions du commun, 2016.">16</a> dont t&eacute;moigne selon nous une large part de la cr&eacute;ation autobiographique actuelle.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Afin de mettre en lumi&egrave;re ce <em>commun</em> g&eacute;n&eacute;alogique, nous proposons d&rsquo;&eacute;prouver la singularit&eacute; de deux conduites cr&eacute;atrices s&rsquo;inscrivant dans le champ de la cr&eacute;ation imm&eacute;diate. Non seulement les projets de Dominique Cabrera (<em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em>, actuellement en &eacute;criture) et de Laurent Roth (<em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em>, en post-production) t&eacute;moignent manifestement de la mise en &oelig;uvre de cet &laquo;&nbsp;autre-soi&nbsp;&raquo;, mais ils partagent aussi une m&ecirc;me ascendance markerienne. Comment en effet ne pas relever cet heureux hasard&nbsp;: deux cin&eacute;astes de la m&ecirc;me g&eacute;n&eacute;ration r&eacute;alisent en ce moment un nouveau film &agrave; la premi&egrave;re personne habit&eacute; par le fant&ocirc;me de <em>La Jet&eacute;e</em> (1962)&nbsp;! Que les liens de parent&eacute; soient d&eacute;sir&eacute;s, invent&eacute;s ou attest&eacute;s, la po&iuml;&eacute;tique<a href="#nbp17" id="footnoteref17_mnmwh6m" name="liennbp17" title=" Paul Valéry, « Discours sur l’Esthétique », prononcé au Deuxième Congrès International d’Esthétique et de Science de l’Art le 8 août 1937, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Tome 1.">17</a> autobiographique produit ind&eacute;niablement ici des filiations (sociales, culturelles et affectives) qui reconfigurent l&rsquo;exp&eacute;rience g&eacute;n&eacute;alogique du sujet au prisme d&rsquo;un engagement dans le <em>commun</em>.</p> <h2><strong>Signes et co&iuml;ncidences&nbsp;ou l&rsquo;effet de reconnaissance</strong></h2> <p><q>L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui a donn&eacute; naissance &agrave; ce projet est minuscule : mon cousin en visite &agrave; l&rsquo;exposition Marker &agrave; la Cin&eacute;math&egrave;que croit se reconna&icirc;tre enfant avec ses parents dans le cinqui&egrave;me plan de La Jet&eacute;e. En cherchant s&rsquo;il &eacute;tait possible que Marker les ait photographi&eacute;s sur l&rsquo;esplanade d&rsquo;Orly, j&rsquo;ai ouvert un couloir dans le temps. C&rsquo;est par Orly en effet que ma famille est venue d&rsquo;Alg&eacute;rie en 1962. 1962, l&rsquo;ann&eacute;e de l&rsquo;exil, l&rsquo;ann&eacute;e de tournage, aussi, du film de Marker<a href="#liennbp18" id="footnoteref18_pk22xp8" name="liennbp18" title=" Toutes les citations de Dominique Cabrera à propos de son film Le Cinquième Plan de La Jetée sont reproduites avec l’accord de la cinéaste, et extraites du dernier dossier de présentation du film déposé à la SCAM en date du 20 septembre 2020 pour la bourse Brouillon d’un rêve.">18</a>.</q></p> <figure> <p style="text-align: center;"><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="317" src="https://www.alepreuve.org/sites/default/files/Savelli%201.jpg" width="500" /></p> <figcaption> <p style="text-align: center;">Photographie de rep&eacute;rage. Droits r&eacute;serv&eacute;s : Dominique Cabrera</p> </figcaption> </figure> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Un jour, la cin&eacute;aste Dominique Cabrera voit appara&icirc;tre sur sa page <em>Facebook</em> une photo en noir et blanc post&eacute;e par son cousin Jean-Henri qui commente&nbsp;: &laquo;&nbsp;Papa, maman et moi &agrave; 6 ans &agrave; Orly. Incroyable, vu dans <em>La Jet&eacute;e</em> de Chris Marker, peu probable mais possible<a href="#liennbp19" id="footnoteref19_w2oesma" name="liennbp19" title=" « Mais c’est moi ! » avait dit Jean-Henri, le cousin de la cinéaste Dominique Cabrera, en voyant cette image de La Jetée (1962) projeté en continu lors de l’exposition « Chris Marker, les 7 vies d’un cinéaste » à la Cinémathèque française (3 mai-29 juillet 2018).">19</a> &raquo; Ce &agrave; quoi la cin&eacute;aste r&eacute;pond &laquo;&nbsp;C&rsquo;est fou, c&rsquo;est dans <em>La Jet&eacute;e</em> ? J&rsquo;ai toujours eu une sensation de d&eacute;j&agrave;-vu en regardant le film. C&rsquo;est vous ! &raquo; Vus de dos, un couple et un jeune gar&ccedil;on sont accroch&eacute;s &agrave; la balustrade au bout de la jet&eacute;e d&rsquo;Orly, regardant en direction de la piste, vers l&rsquo;ailleurs.</p> <p><q>La photo a fait le tour de la famille. Ils avaient beau &ecirc;tre de dos, on les reconnaissait, c&rsquo;&eacute;tait une certitude. Pour les uns c&rsquo;&eacute;taient les oreilles d&eacute;coll&eacute;es de mon cousin, pour les autres ses genoux, pour ma m&egrave;re les jambes et la coupe de cheveux d&rsquo;Ang&egrave;le, la carrure de Julien. Certains se demandaient si ce n&rsquo;&eacute;tait pas une photo de famille qui aurait &eacute;t&eacute; donn&eacute;e &agrave; Marker.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Cette photographie en noir et blanc d&rsquo;une famille ordinaire au d&eacute;but de <em>La Jet&eacute;e</em> (les cinqui&egrave;me et sixi&egrave;me plans pr&eacute;cis&eacute;ment) produit manifestement un effet frappant de reconnaissance chez les Cabrera&nbsp;: l&rsquo;image g&eacute;n&egrave;re le choc du &laquo;&nbsp;&ccedil;a-a-&eacute;t&eacute;<a href="#nbp20" id="footnoteref20_fh32s1r" name="liennbp20" title=" Roland Barthes, La Chambre claire, Paris, Seuil, « Cahiers du cinéma », 1980.">20</a> &raquo; tout comme d&rsquo;autres photographies&nbsp;&eacute;galement prises en 1962, l&rsquo;ann&eacute;e du retour d&rsquo;Alg&eacute;rie. N&eacute;e le 21 d&eacute;cembre 1957 &agrave; Relizane, Dominique Cabrera est arriv&eacute;e &agrave; Paris en avril 1962 avec ses parents, son fr&egrave;re Thierry et ses cousins. Si comme d&rsquo;autres familles, il arrivait souvent que les Cabrera se rendent &agrave; Orly le dimanche de cette ann&eacute;e-l&agrave;, ce n&rsquo;&eacute;tait pas seulement pour regarder les avions&nbsp;atterrir : il s&rsquo;agissait aussi de &laquo;&nbsp;voir les&nbsp;rapatri&eacute;s&nbsp;arriver&nbsp;&raquo;, et de se reconna&icirc;tre en l&rsquo;autre.</p> <p><q>C&rsquo;&eacute;tait &agrave; Orly que nous avions atterri quand nous &eacute;tions venus d&rsquo;Alg&eacute;rie avec mes cousins. [...] Une strate de temps s&rsquo;y est fig&eacute;e. Indissociable de l&rsquo;espace, de la lumi&egrave;re, de l&rsquo;architecture, l&rsquo;&eacute;motion m&rsquo;&eacute;treint quand j&rsquo;y retourne &ndash; peur, sid&eacute;ration, paralysie mais aussi soulagement. On est arriv&eacute;s&hellip;</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Peu importe alors que <em>La Jet&eacute;e</em> soit une fiction, le cinqui&egrave;me plan fait signe et co&iuml;ncidence de fa&ccedil;on frappante avec l&rsquo;exp&eacute;rience pass&eacute;e. Cette image cristallise l&rsquo;affect du souvenir et op&egrave;re comme la Madeleine de Proust&nbsp;: en se superposant &agrave; l&rsquo;image mentale du v&eacute;cu, elle offre la possibilit&eacute; d&rsquo;une microhistoire&nbsp;<a href="#nbp21" id="footnoteref21_86qz9b5" name="liennbp21" title="La microhistoire (microstoria) est une posture emblématique de l’historiographie contemporaine. Développée par un groupe d’historiens italiens dans les années 1970, elle incite à la réduction des échelles et à la concrétude des sources pour une histoire qui se veut rapprochée et vécue, à « ras du sol ». Voir Carlo Ginzburg et Carlo Poni, « La micro-histoire » [1979], Le Débat, n° 17, Paris, Gallimard, 1981, p. 133-136.">21</a>. Tel un astre fait scintiller le ciel dans son ensemble, la photographie incarne le trauma personnel des Cabrera en m&ecirc;me temps que l&rsquo;exil de toute la communaut&eacute; pied-noire et plus largement les stigmates de la colonisation. C&rsquo;est de ce <em>commun</em> m&eacute;moriel dont le cinqui&egrave;me plan de <em>La Jet&eacute;e</em> t&eacute;moigne.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si le pass&eacute; resurgit dans le pr&eacute;sent de mani&egrave;re d&rsquo;abord involontaire lors des premiers &eacute;changes familiaux, c&rsquo;est ensuite avec d&eacute;termination que Dominique Cabrera va chercher &agrave; reconstituer l&rsquo;histoire de cette photographie, investissant le champ du possible.</p> <p><q>J&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; tresser les fils d&rsquo;une enqu&ecirc;te sur le tournage de <em>La Jet&eacute;e</em> avec ceux d&rsquo;une recherche sur notre arriv&eacute;e. Les co&iuml;ncidences et &eacute;chos entre le film et nos vies ont alors fleuri comme un langage secret.</q></p> <p>Que la famille Cabrera ait ou non crois&eacute; Chris Marker &agrave; Orly lors du tournage de <em>La Jet&eacute;e</em>, c&rsquo;est l&rsquo;enchantement de cette &eacute;ventualit&eacute; qui conduit la cin&eacute;aste &agrave; entreprendre un nouveau projet de film autobiographique<a href="#nbp22" id="footnoteref22_idj0jib" name="liennbp22" title=" Dominique Cabrera a déjà publié deux journaux filmés : Demain et encore demain en 1997 et Grandir (Ô heureux jours !) en 2013. En parallèle du Cinquième plan de La Jetée qui est actuellement en écriture, elle développe deux longs métrages de fiction : Le Club et Darius, tous deux inspirés par sa vie intime et ses proches.">22</a> : <em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em>. Le sentiment de m&ecirc;met&eacute; (<em>idem</em>) va d&egrave;s lors glisser vers l&rsquo;ips&eacute;it&eacute; (<em>ipse</em>) &ndash; l&rsquo;autre p&ocirc;le de l&rsquo;identit&eacute; telle que pens&eacute;e par Paul Ric&oelig;ur<a href="#nbp23" id="footnoteref23_rta7yx4" name="liennbp23" title=" Voir : Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit. ; Temps et récit. Tome I. L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1983 ; Temps et récit. Tome II. La configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil, 1984 ; Temps et récit. Tome III. Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985.">23</a> &ndash; attestant du fait que tout individu se constitue par l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, dans une narration de soi sans cesse renouvel&eacute;e.<em> </em>Le film suit les rebondissements de cette recherche &agrave; la fois g&eacute;n&eacute;tique et g&eacute;n&eacute;alogique que la cin&eacute;aste r&eacute;alise &agrave; pied d&rsquo;&oelig;uvre, explorant sous nos yeux &laquo;&nbsp;les plis et replis de <em>La Jet&eacute;e</em> et de [son] histoire&nbsp;&raquo;. Dominique Cabrera consulte les albums de famille et visionne de vieilles diapos couleurs pour essayer de trouver, avec l&rsquo;aide de sa m&egrave;re, la date exacte de leur arriv&eacute;e &agrave; Paris&nbsp;: elle veut retrouver les images faites &agrave; Orly par son p&egrave;re (qui &eacute;tait photographe avant de quitter l&rsquo;Alg&eacute;rie) pour trouver de nouvelles concordances avec les prises de Chris Marker.</p> <p><q>Mon cousin Jean-Henri m&rsquo;a apport&eacute; deux autres photographies, comme des preuves, une de lui &agrave; six ans et une de ses parents. Ang&egrave;le et Julien au premier &eacute;tage de la tour Eiffel, dans le ciel, face au photographe. Ils ont les m&ecirc;mes silhouettes, la m&ecirc;me allure que le trio du cinqui&egrave;me plan. C&rsquo;est comme s&rsquo;ils s&rsquo;&eacute;taient retourn&eacute;s pour nous fixer.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; En parall&egrave;le, Dominique Cabrera consulte le fonds Marker &agrave; la Cin&eacute;math&egrave;que fran&ccedil;aise qui lui ouvre ses r&eacute;serves&nbsp;<a href="#nbp24" id="footnoteref24_w0pjly2" name="liennbp24" title="« Les Archives de Chris Marker », publié le 9 juin 2016. (URL : https://www.cinematheque.fr/article/884.html). Consulté le 07 novembre 2020.">24</a> ainsi que les archives d&rsquo;Anatole Dauman (Argos Films), &eacute;tudiant, avec l&rsquo;aide de l&rsquo;historienne Fr&eacute;d&eacute;rique Berthet<a href="#nbp25" id="footnoteref25_16c5jx4" name="liennbp25" title=" Historienne, enseignante et chercheuse, mais également collaboratrice de Dominique Cabrera dans la préparation du Cinquième Plan de La Jetée, Frédérique Berthet a effectué l’inventaire de ces archives en 1997-1998 suite au « Traité d’apport à association d’archives privées » signé entre Anatole Dauman (Argos Films) et Bertrand Tavernier (Institut Lumière) le 20 février 1996 : dépôt 1950-1996, 1345 articles.">25</a>, les planches-contacts, carnets de notes, factures de restaurant, bons de commande, pour savoir si Chris Marker a photographi&eacute; son film en 1961 ou en 1962.</p> <p><q>Pour que Marker ait pu photographier mon cousin et ses parents, il fallait qu&rsquo;ils aient &eacute;t&eacute; pr&eacute;sents &agrave; Orly au m&ecirc;me moment. Est-ce possible ? Sur Wikip&eacute;dia, la sortie du film est dat&eacute;e du 16 f&eacute;vrier 1962 et son tournage de 1961. &Agrave; cette date, Jean-Henri et son fr&egrave;re &eacute;taient chez notre grand-m&egrave;re &agrave; Sig, en Alg&eacute;rie. [&hellip;] Je devais leur dire que s&rsquo;&ecirc;tre reconnu dans le film &eacute;tait une illusion. [...] En cherchant mieux, je trouve que <em>La Jet&eacute;e</em><em> </em>est sortie en 1963 et a re&ccedil;u le prix Jean Vigo la m&ecirc;me ann&eacute;e. Si le film a &eacute;t&eacute; tourn&eacute; en 1962, la photo est possible.</q></p> <p>Elle va aussi &agrave; la rencontre de t&eacute;moins de la fabrication du film&nbsp;: Pierre Lhomme, le chef op&eacute;rateur du <em>Joli Mai</em> (1963), et Pierre Grunstein, premier assistant, lui disent que Chris Marker aurait tourn&eacute; les deux films conjointement, en mai et en &eacute;t&eacute; 1962 ; puis la fille de l&rsquo;acteur Pierre Joffroy (l&rsquo;homme du futur aux lunettes-jumelles qui tue Davos Hanich &agrave; la fin de <em>La Jet&eacute;e</em>) confirme que le tournage photographique s&rsquo;est poursuivi &agrave; l&rsquo;automne 1962 en remettant &agrave; la cin&eacute;aste un extrait de l&rsquo;agenda de son p&egrave;re. Dominique Cabrera dresse ainsi la cartographie des liens r&eacute;els et r&ecirc;v&eacute;s tandis que l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une co&iuml;ncidence entre le cinqui&egrave;me plan de <em>La Jet&eacute;e</em> et sa vie d&rsquo;alors se d&eacute;ploie &agrave; l&rsquo;&eacute;cran.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si le degr&eacute; de conformit&eacute; entre la fiction et le r&eacute;el demeure plus ou moins parfait, c&rsquo;est justement dans cette approximation ontologique que r&eacute;side la puissance d&rsquo;invention et d&rsquo;&eacute;motion du film. Dominique Cabrera prend la libert&eacute; d&rsquo;&eacute;laborer tout un jeu de correspondances anachroniques avec l&rsquo;auteur de <em>La Jet&eacute;e</em>. La cin&eacute;aste filme aujourd&rsquo;hui les lieux qui hantent <em>La Jet&eacute;e</em> d&rsquo;hier&nbsp;: Orly, le Jardin des Plantes, le Mus&eacute;um d&rsquo;histoire naturelle, les souterrains de Chaillot. Elle parcourt aussi les rep&egrave;res de Chris Marker, de la place Dauphine au 20<sup>e</sup> arrondissement. Elle revoie les films du cin&eacute;aste, ainsi que ceux qui l&rsquo;ont inspir&eacute; : <em>La Merveilleuse Vie de Jeanne d&rsquo;Arc </em>(1929) &ndash; Simone Genevois ouvre et ferme les yeux comme H&eacute;l&egrave;ne Ch&acirc;telain dans <em>La Jet&eacute;e</em>&nbsp;<a href="#liennbp26" id="footnoteref26_dnxfk99" name="liennbp26" title="La jeune femme s'éveille dans un jeu de fondus enchaînés ; le chant des oiseaux devient strident ; elle bat des paupières. Brièvement, l'image animée remplace les photographies. (18’50’’).">26</a> &ndash; et bien s&ucirc;r <em>Vertigo</em> (1958) dont Marker disait que <em>La Jet&eacute;e </em>&eacute;tait le remake. Dans cette mise en r&eacute;cit de la reconnaissance, les filiations s&rsquo;entrelacent &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un travail de broderie. Ainsi, le faux participe du vrai car l&rsquo;enjeu est ailleurs&nbsp;: &laquo;&nbsp;une confiance muette, une confiance &agrave; l&rsquo;&eacute;tat pur&nbsp;<a href="#liennbp27" id="footnoteref27_w1bxk9j" name="liennbp27" title="Extrait du commentaire de La Jetée : « Est-ce le même jour ? Il ne sait plus. Ils vont faire comme cela une infinité de promenades semblables, où se creusera entre eux une confiance muette, une confiance à l’état pur. »">27</a> &raquo; entre deux cin&eacute;astes dont les univers dialoguent &agrave; l&rsquo;&eacute;cran.</p> <p><q>Il sera question non seulement de l&rsquo;enfance sans mots, de parents bless&eacute;s et d&rsquo;Alg&eacute;rie perdue, des pi&egrave;ges de la colonisation et des ann&eacute;es soixante, mais aussi des hasards et des rencontres, et surtout de cin&eacute;ma. R&eacute;alis&eacute; avec des amis et les moyens du bord dans un mouvement solitaire m&eacute;taphysique, La Jet&eacute;e pose les questions de mise en sc&egrave;ne qui ont travers&eacute; ma vie et mes films. Photographie et cin&eacute;ma, documentaire et fiction, transe et anticipation&hellip; Marker a port&eacute; loin l&rsquo;hybridation des formes. En d&eacute;plier les inspirations et les enjeux, c&rsquo;est aussi explorer la libert&eacute; possible au cin&eacute;ma.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Chris Marker a port&eacute; une &laquo;&nbsp;ombre bienveillante sur [ses] d&eacute;buts&nbsp;&raquo;.<em> </em><em>Pionni&egrave;re d&#39;un certain retour du sujet politique dans le cin&eacute;ma fran&ccedil;ais des ann&eacute;es 1990, Dominique Cabrera </em>s&#39;est toujours risqu&eacute;e &agrave; filmer des territoires de vie sous-expos&eacute;s. Traitant de la banlieue de l&#39;int&eacute;rieur, elle tourne son premier court m&eacute;trage documentaire, <em>J&#39;ai droit &agrave; la parole </em>(1981), dans une cit&eacute; de transit &agrave; Colombes, puis r&eacute;alise<em>, </em>coup sur coup, cinq films consacr&eacute;s aux quartiers du Val Fourr&eacute; et de la Courneuve&nbsp;<a href="#liennbp28" id="footnoteref28_6pekorz" name="liennbp28" title="Les films « de banlieue » de la cinéaste ont été récemment restaurés et édités dans un coffret DVD intitulé « Il était une fois la banlieue » (Documentaire sur grand écran, « collections particulières », janvier 2017) : J’ai droit à la parole (1981), Un balcon au Val Fourré (1990), Chronique d'une banlieue ordinaire (1992), Rêves de ville (1993), Réjane dans la tour (1993), Une poste à La Courneuve (1994).">28</a><em>, </em>tous co-produits par la soci&eacute;t&eacute; de production et de diffusion Iskra, issue de la coop&eacute;rative SLON dont Chris Marker est &agrave; l&rsquo;origine<a href="#liennbp29" id="footnoteref29_x0swaqy" name="liennbp29" title=" Iskra (Image, Son, Kinescope et Réalisations Audiovisuelles, « étincelle » en russe), issue de la coopérative SLON, est une société de production et de diffusion indépendante initiée par Chris Marker en 1968 autour des films collectifs Loin du Vietnam et À bientôt j'espère, dont la ligne éditoriale s'ancre dans le social et le politique. (Voir Catherine Roudé, « Réhabilitation du cinéma politique : Dominique Cabrera à Iskra », dans Julie Savelli (dir.), Dominique Cabrera. L’intime et le politique, Saint-Vincent-de-Mercuze, De l’Incidence Éditeur, avril 2021.)">29</a>. Malgr&eacute; le malaise que connaissent d&eacute;j&agrave; les p&eacute;riph&eacute;ries fran&ccedil;aises &agrave; cette &eacute;poque (et dont les m&eacute;dias se font le relais), la jeune cin&eacute;aste se tient &agrave; distance du clich&eacute; et de la rage, cherchant &agrave; traduire sous l&#39;angle de l&#39;intime &agrave; la fois l&#39;utopie et la crise des banlieues.<em> </em>Elle<em> </em>s&#39;attache &agrave; la puissance affective des lieux, aux visages et &agrave; la parole &laquo;&nbsp;vraie&nbsp;&raquo; des sans-noms que l&#39;on ne voit pas, ou mal, dans les images dominantes. C&#39;est la justesse de la repr&eacute;sentation, entre construction et saisie du r&eacute;el, qui importe &ndash; ce que Chris Marker d&eacute;crit comme l&#39;alliance de &laquo;&nbsp;la rigueur et du naturel&nbsp;&raquo; dans un fax &eacute;logieux envoy&eacute; &agrave; Iskra apr&egrave;s que le cin&eacute;aste a visionn&eacute; <em>Une poste &agrave; la Courneuve</em> (1994) &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision<a href="#liennbp30" id="footnoteref30_65dqbee" name="liennbp30" title=" L'éditeur a retrouvé ce document dans les archives de la production et l'a publié dans le livret du coffret DVD précité. « Plutôt que des adjectifs vagues ou élogieux, j'aimerais dire que ce film est exemplaire, en ce qu'il unit deux qualités qui généralement ont tendance à se combattre : la rigueur et le naturel. Certains cinéastes ont la grâce, on leur pardonne un certain laisser-aller. D'autres ont la méthode, on leur pardonne une certaine lourdeur. Ici rien à pardonner, tout à admirer. Un an de travail approfondi, la connaissance des lieux, des personnes, des heures, aboutissent à la saisie de la vie même, sans qu'on pense à se demander par quel miracle la caméra est toujours au bon endroit, au bon moment. Si j’avais à conseiller une école de cinéma, je lui dirais d’étudier à fond le système Cabrera. Si je pouvais me permettre de conseiller une institution, je lui dirais : il y a des auteurs doués, il en est peu de complets, en voilà un. »">30</a>. En d&rsquo;autres termes, pour comprendre ce qui rapproche fondamentalement Chris Marker et Dominique Cabrera, et donner toute sa valeur au travail de filiation op&eacute;r&eacute; par la cin&eacute;aste dans ce nouveau projet de film, il faut envisager leur engagement commun dans le monde. Et se demander si la persistance du sentiment de d&eacute;j&agrave;-vu ne se produit pas parce que <em>La Jet&eacute;e</em> est d&eacute;j&agrave;-l&agrave; et sans doute m&ecirc;me &agrave; venir&hellip;</p> <p><q>L&rsquo;image de Davos attach&eacute; sur un hamac, des fils &eacute;lectriques fich&eacute;s dans le masque qui l&rsquo;aveugle, est-elle une repr&eacute;sentation de la <em>g&eacute;g&egrave;ne</em> ? La guerre d&rsquo;Alg&eacute;rie, document&eacute;e dans <em>Le Joli Mai</em>, devient m&eacute;taphorique dans <em>La Jet&eacute;e</em>, devient toutes les guerres. [...] Encore quelques pas et le monde de <em>La Jet&eacute;e</em> sera notre pr&eacute;sent.&nbsp;[&hellip;] Aujourd&rsquo;hui &agrave; Orly, je regarde les voyageurs, [...] ceux qui ne passent pas, qu&rsquo;on arr&ecirc;te et qu&rsquo;on expulse, on ne les voit pas. [&hellip;] Il y a une autre photographie [vue sur Internet] que je n&rsquo;ai pas oubli&eacute;e. La photographie d&rsquo;un homme sans nom, expuls&eacute;, attach&eacute; &agrave; un si&egrave;ge d&rsquo;avion au d&eacute;part d&rsquo;Orly. On l&rsquo;a b&acirc;illonn&eacute; d&rsquo;un masque qui ressemble &agrave; celui de Davos dans les souterrains de Chaillot.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ainsi le voyage dans le temps se poursuit par la filiation des sensibilit&eacute;s et l&rsquo;embo&icirc;tement des films. Tout comme dans <em>La Jet&eacute;e</em> c&rsquo;est une image d&rsquo;enfance persistante qui permet &agrave; Davos Hanich de &laquo;&nbsp;revenir dans le chaud dimanche d&rsquo;avant-guerre<a href="#nbp31" id="footnoteref31_po9o25t" name="liennbp31" title=" Le commentaire de La Jetée débute ainsi : « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. La scène qui le troubla par sa violence, et dont il ne devait comprendre que beaucoup plus tard la signification, eut lieu sur la grande jetée d’Orly, quelques années avant le début de la troisième guerre mondiale. »">31</a> &raquo;, dans <em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e,</em> c&rsquo;est aussi une image, celle de l&rsquo;autre-soi, qui permet &agrave; Dominique Cabrera de se projeter et d&rsquo;enrouler le temps. Le cinqui&egrave;me plan de <em>La Jet&eacute;e</em> devient d&egrave;s lors le support d&rsquo;un travail de couture entre soi et l&rsquo;autre pour mettre en relief un ensemble o&ugrave; la fiction et l&rsquo;intime s&rsquo;entrelacent. Ce processus d&rsquo;inclusion g&eacute;n&eacute;alogique<em> fait &eacute;cho &agrave;</em> l&rsquo;approche philosophique du r&eacute;alisme de Stanley Cavell<a href="#nbp32" id="footnoteref32_k2jjzcl" name="liennbp32" title=" Voir notamment La Projection du monde [1971] (S. Cavell, Paris, Belin, 1999) et À la recherche du bonheur [1981] (S. Cavell, Paris, Les Cahiers du cinéma, 1993) ainsi que les textes réunis par M. Cerisuelo et S. Laugier dans Stanley Cavell, Cinéma et Philosophie (Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000) et par E. Domenach dans Le cinéma nous rend-il meilleurs ? (Paris, Bayard, 2003).">32</a> qui appr&eacute;hende le cin&eacute;ma comme un art d&eacute;mocratique apte &agrave; d&eacute;crire nos formes de vie et m&ecirc;me &agrave; les enrichir par la nouvelle connaissance qu&#39;il en procure. Dans notre cas de figure, on voit bien que le film de Chris Marker met Dominique Cabrera en situation de vivre une r&eacute;alit&eacute; (filmique) semblable &agrave; la sienne mais &agrave; laquelle elle n&#39;appartient pas&nbsp;directement. En ayant une perception sensible de cette famille anonyme du cinqui&egrave;me plan, la cin&eacute;aste fait l&rsquo;exp&eacute;rience immanente d&rsquo;un <em>commun&nbsp;</em>: les fragments de r&eacute;alit&eacute; film&eacute;s s&#39;inscrivent en elle le temps du film, et apr&egrave;s, dans ce qu&#39;il lui en reste, dans cette exp&eacute;rience v&eacute;cue qui constitue la g&eacute;n&eacute;alogie imaginaire du film &agrave; venir.</p> <h2><strong>Une archive au pr&eacute;sent. Le principe de renaissance</strong></h2> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>est un photo-film dans la droite lign&eacute;e du photo-roman <em>La Jet&eacute;e.</em> Dans les deux r&eacute;cits, la continuit&eacute; s&rsquo;&eacute;labore &agrave; partir d&rsquo;images fixes pour donner l&rsquo;illusion du mouvement tandis que la photographie se fait le r&eacute;servoir d&rsquo;un temps subjectif, lacunaire et ouvert&nbsp;: une &laquo;&nbsp;archive&nbsp;au pr&eacute;sent&nbsp;&raquo;, selon le r&eacute;alisateur Laurent Roth.</p> <p><q>&nbsp;Film fait seulement de voix, de sons et de photos, c&rsquo;est un nouveau d&eacute;fi pour moi ! La photographie n&rsquo;est pas ici un handicap, une forme de &laquo;&nbsp;cin&eacute;ma diminu&eacute;&nbsp;&raquo;. Sa fixit&eacute;, bien au contraire, me semble r&eacute;volutionnaire : image fig&eacute;e, elle est d&eacute;j&agrave; une &laquo;&nbsp;archive&nbsp;&raquo;, mais une archive au pr&eacute;sent, qui me permet de documenter, indiquer, accuser, d&eacute;noncer ce danger de la p&eacute;trification qui menace Paris&nbsp;<a href="#nbp33" id="footnoteref33_bd26irc" name="liennbp33" title="Toutes les citations de Laurent Roth à propos de son film L’Emmuré de Paris sont reproduites avec son accord et extraites d’un dossier de présentation présenté au CNAP (Centre National des Arts Plastiques) le 16 mars 2016.">33</a>.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Dans son livre<em> Mal d&rsquo;archive</em><a href="#nbp34" id="footnoteref34_5c3un66" name="liennbp34" title="Jacques Derrida, Mal d'archive : une impression freudienne, Paris, Galilée, « Incises », 1995.">34</a>, Jacques Derrida rappelle cette capacit&eacute; qu&rsquo;a l&rsquo;archive de nous mettre en pr&eacute;sence de quelque chose dont elle est le prolongement et qu&rsquo;elle re-commence &ndash; une capacit&eacute; inscrite dans son concept m&ecirc;me, ou plut&ocirc;t dans l&rsquo;&eacute;tymologie grecque <em>a</em><em>rkh&eacute;</em> sur laquelle est construit le terme d&rsquo;archive &ndash; qui signifie &agrave; la fois le principe et le commencement d&rsquo;un &ecirc;tre. Ainsi, selon cette interpr&eacute;tation g&eacute;n&eacute;alogique de l&rsquo;archive, chaque geste photographique dans <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>se trouve vivement amplifi&eacute; par l&rsquo;&eacute;clat que lui procure son statut de trace ou de reste. L&rsquo;image fixe nous met au contact de la r&eacute;alit&eacute; dont elle r&eacute;sulte, laquelle de ce fait resurgit sous une forme nouvelle dans l&rsquo;intervalle qui s&eacute;pare la prise de vue photographique de sa gen&egrave;se. Ce principe de renaissance &agrave; et en soi caract&eacute;rise l&rsquo;image-archive mais plus largement le projet de <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>dans son ensemble<em>.</em></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; La gestation de ce dernier-n&eacute; comprend d&eacute;j&agrave; en elle-m&ecirc;me un nombre infini de renaissances. Si ce nouveau film autobiographique touche aujourd&rsquo;hui &agrave; sa fin, il faut rappeler que son projet a d&eacute;but&eacute; il y a plus de dix ans, en 2010, dans le cadre d&rsquo;une r&eacute;sidence d&rsquo;artistes au studio Centquatre &agrave; la Villette. Ce <em>work in progress</em> a connu de nombreux rebondissements g&eacute;n&eacute;tiques durant sa production, au fur et &agrave; mesure que s&rsquo;&eacute;toffait la recherche men&eacute;e par le cin&eacute;aste sur l&rsquo;histoire et l&rsquo;architecture du quartier mais aussi sur son actualit&eacute; ordinaire.</p> <p><q>Le pari a tout de suite &eacute;t&eacute; de produire ce film sur la dur&eacute;e. La l&eacute;g&egrave;ret&eacute; de l&rsquo;&eacute;quipe a permis de couvrir des &eacute;v&eacute;nements impr&eacute;vus (l&rsquo;installation de sans-papiers passage de Crim&eacute;e), de tenir le journal des chantiers (la destruction et reconstruction de la Tour Maroc, la d&eacute;molition des pavillons des Halles et la construction de la canop&eacute;e actuellement visible, les travaux de restauration du Panth&eacute;on), de se fondre dans la foule (c&eacute;r&eacute;monies des Morts de la Rue et <em>flash-mobs</em> sur la place Stalingrad).</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Le film a ainsi &eacute;volu&eacute; et mis du temps &agrave; trouver sa forme alternant p&eacute;riodes de montage, nouveaux <em>shootings</em> et projections tests en festivals, &eacute;coles d&rsquo;art, mus&eacute;es.<em> L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>s&rsquo;est donc r&eacute;alis&eacute; dans le temps long au gr&eacute; des rencontres avec les publics<a href="#nbp35" id="footnoteref35_bxahqj5" name="liennbp35" title=" Le film a d’abord été présenté dans une version « fin de résidence » de 15 minutes avec un commentaire improvisé au micro par son auteur lors de la Nuit blanche en 2010, puis à des étapes de fabrication plus avancées dans le cadre des Rencontres cinématographiques de Pézenas en février 2012 ou à Visions du Réel à Nyon en avril 2012. Ces informations sur la genèse du film proviennent d’un entretien avec Laurent Roth réalisé en collaboration avec Jacques Gerstenkorn en octobre 2020 en vue de la publication d’un numéro spécial de la revue Entrelacs consacré aux films du cinéaste (Entrelacs, Jacques Gerstenkorn et Julie Savelli (dir.), n° 18, 2021.)">35</a>. Les premi&egrave;res versions longues ont &eacute;t&eacute; intitul&eacute;es<em> Arc, Arceaux, Arcades</em> avant de se recentrer sur le personnage (interpr&eacute;t&eacute; par le cin&eacute;aste) et son enfermement, devenant<em> L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris.</em> Les diff&eacute;rentes tenues vestimentaires (veste beige puis caban d&rsquo;&eacute;t&eacute; bleu) ainsi que les traces d&rsquo;un l&eacute;ger vieillissement du protagoniste &agrave; l&rsquo;&eacute;cran, sont des marqueurs qui traduisent l&rsquo;&eacute;paisseur temporelle du projet. Si la dur&eacute;e de la r&eacute;alisation a sans aucun doute &eacute;t&eacute; &eacute;prouvante pour l&rsquo;auteur<a href="#nbp36" id="footnoteref36_i7ncrqr" name="liennbp36" title=" À mi-parcours, Laurent Roth a dû faire face à la cessation d’activité de la société de production In The Mood, porteuse du projet.">36</a>, elle a aussi permis &agrave; Laurent Roth de perfectionner l&rsquo;ensemble, notamment en lui donnant une concr&eacute;tisation technique optimale. Il a par exemple, encore tr&egrave;s r&eacute;cemment, exp&eacute;riment&eacute; et int&eacute;gr&eacute; de nouveaux effets sp&eacute;ciaux, assumant pleinement de jouer avec les codes de genre (la BD, la SF). Par ailleurs, Laurent Roth n&rsquo;a cess&eacute; de reprendre et d&rsquo;enrichir son r&eacute;cit notamment du point de vue sonore avec de nouvelles compositions musicales, le r&eacute;enregistrement des voix du commentaire en studio ou l&rsquo;ajout de bruitages. Si <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> continue de rena&icirc;tre toujours et encore sous des formes grandies, repoussant en quelque sorte son ach&egrave;vement, il est actuellement en postproduction et s&rsquo;achemine donc vers sa finalisation. L&rsquo;endurance de cette gestation &laquo;&nbsp;monstrueuse&nbsp;&raquo; doit &ecirc;tre comprise comme un facteur de stimulation et de renouvellement permanent qui structure intimement la mise en &oelig;uvre.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ce principe g&eacute;n&eacute;tique de renaissance se traduit aussi dans la revisitation d&eacute;complex&eacute;e de <em>La Jet&eacute;e&nbsp;</em>dont l&rsquo;ombre plane ind&eacute;niablement sur <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em>. La nouvelle &laquo;&nbsp;fantaisie documentaire<a href="#nbp37" id="footnoteref37_umhodu3" name="liennbp37" title=" Le terme est utilisé au générique pour présenter le film : « L’Emmuré de Paris. Une fantaisie documentaire de Laurent Roth ».">37</a> &raquo;&nbsp;de Laurent Roth se pr&eacute;sente en effet comme un voyage dans le temps, associant l&rsquo;histoire de la ville de Paris &agrave; l&rsquo;actualit&eacute; la plus r&eacute;cente &ndash; l&rsquo;&eacute;vocation des attentats terroristes de 2015 ou du mouvement des &laquo;&nbsp;gilets jaunes&nbsp;&raquo; par exemple. Ce r&eacute;cit uchronique film&eacute; au banc-titre t&eacute;moigne en outre d&rsquo;une po&eacute;tique markerienne du d&eacute;tail et du recadrage (on retrouve aussi les r&ocirc;les muets et la puissance narrative du commentaire). En revanche Laurent Roth marque un double &eacute;cart vis &agrave; vis du ma&icirc;tre en faisant le choix de l&rsquo;absurde et de l&rsquo;animation. Il entreprend une enqu&ecirc;te culturelle et historique propice au fantasme g&eacute;n&eacute;alogique, endossant les traits de son personnage tragique &ndash; le Fou, l&rsquo;Idiot &ndash; que l&rsquo;on avait vu appara&icirc;tre pour la premi&egrave;re fois dans le court m&eacute;trage <em>Une maison de famille</em><a href="#nbp38" id="footnoteref38_xynk9zd" name="liennbp38" title=" Voir Rémi Fontanel, « Une maison de famille : une exploration chorale de l’intime », Entrelacs, op. cit., 2021.">38</a> (2004<em>)</em> puis dans sa version longue<em> J&rsquo;ai quitt&eacute; l&rsquo;Aquitaine </em>(2005).</p> <figure> <p style="text-align: center;"><img alt="" data-entity-type="" data-entity-uuid="" height="407" src="https://www.alepreuve.org/sites/default/files/Savelli%202.jpg" width="500" /></p> <figcaption> <p style="text-align: center;">Le personnage de l&rsquo;Emmur&eacute;. Droits r&eacute;serv&eacute;s&nbsp;: Laurent Roth.</p> </figcaption> </figure> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ce double asilaire du h&eacute;ros markerien, Davos Hanich, est plac&eacute; dans un p&eacute;rim&egrave;tre volontairement restreint &agrave; un p&acirc;t&eacute; de maisons du quartier de la Villette (rue d&rsquo;Aubervilliers, rue de Crim&eacute;e, avenue de Flandre, boulevard de la Chapelle). Dans ce confinement topographique, l&rsquo;Emmur&eacute; est assign&eacute; au recensement m&eacute;thodique des arcs, arceaux et arcades. Cette th&eacute;rapie d&eacute;lirante &ndash; institu&eacute;e par la figure <em>alter ego</em> du m&eacute;decin-chef interpr&eacute;t&eacute;e par la complice Kendra Walker &ndash; constitue un arc narratif pr&eacute;texte &agrave; arpenter une des banlieues populaires de Paris &laquo;&nbsp;qui n&rsquo;int&eacute;resse aucun touriste et pourtant vrai laboratoire de ce que pourrait &ecirc;tre l&rsquo;int&eacute;gration des banlieues &agrave; la m&eacute;tropole&nbsp;&raquo;. Car ce r&eacute;cit partage bien la filiation critique&nbsp;de <em>La Jet&eacute;e</em> mais dans un registre loufoque qui recourt aux technologies de l&rsquo;image. Ainsi la mixit&eacute; sociale visible dans les photographies du pr&eacute;sent cohabite avec l&rsquo;histoire de la ville de Paris qui se mat&eacute;rialise et rena&icirc;t sous nos yeux en empruntant aux effets sp&eacute;ciaux leur puissance d&rsquo;incarnation. Laurent Roth cherche &agrave; lutter contre la fabrique de l&rsquo;oubli&nbsp;et &agrave; renouer avec une m&eacute;moire enfouie&nbsp;: il pointe dans un m&ecirc;me mouvement la disparition du peuple rel&eacute;gu&eacute; <em>extramuros, </em>aux portes de Paris, et la liquidation de l&rsquo;histoire affili&eacute;e &agrave; la cartographie de ce quartier p&eacute;riph&eacute;rique, une histoire marginale qui demeure ignor&eacute;e.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Film-fleuve, <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> charrie tout un imaginaire qui associe l&rsquo;ordinarit&eacute; du contemporain aux fant&ocirc;mes des grands hommes de la Villette. Le brouillage des temporalit&eacute;s est ici une mani&egrave;re d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; l&rsquo;enfermement r&eacute;el et symbolique occasionn&eacute; par les troubles de la personnalit&eacute; dont souffre le personnage de Laurent Roth en m&ecirc;me temps que de rena&icirc;tre &agrave; soi-m&ecirc;me.</p> <p><q>La pr&eacute;tendue ali&eacute;nation mentale de mon personnage lui permet [...] de chevaucher les espaces et les &eacute;poques librement, d&rsquo;incarner plusieurs personnages &agrave; la fois, et surtout de faire rire (je l&rsquo;esp&egrave;re), tout en d&eacute;livrant des contenus savants, politiques et po&eacute;tiques. C&rsquo;est un griot qui raconte une autre histoire de France, tangentielle et minoritaire.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Puisque &laquo;&nbsp;Je est un autre<a href="#nbp39" id="footnoteref39_a1l0jdo" name="liennbp39" title="Arthur Rimbaud à Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871).">39</a> &raquo;, selon la c&eacute;l&egrave;bre formule d&rsquo;Arthur Rimbaud, le cin&eacute;aste s&rsquo;applique &agrave; devenir cet autre moi qui n&rsquo;est pas moi. <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> est pens&eacute; sur le mode de l&rsquo;ench&acirc;ssement des figures qui, telles des poup&eacute;es russes, s&rsquo;imbriquent curieusement l&rsquo;une dans l&rsquo;autre. Ainsi, le personnage de l&rsquo;Emmur&eacute; traverse le quartier de la Villette et comme ces transformistes dans les foires de jadis, se m&eacute;tamorphose en pr&eacute;sence des lieux empreints de m&eacute;moire. Le corps du cin&eacute;aste a d&egrave;s lors une fonction narrative et imaginale, accueillant des chor&eacute;-singularit&eacute;s multiples, celles des agents de l&rsquo;histoire de Paris qui poss&egrave;dent successivement l&rsquo;Emmur&eacute;. La transe est br&egrave;ve et op&egrave;re par la voix qui accompagne le <em>morphing</em> du visage &agrave; l&rsquo;image. Parmi ces g&eacute;nies, &laquo;&nbsp;ces grands hommes&nbsp;&raquo;, il y a Auguste Blanqui (1805-1881), r&eacute;publicain socialiste visionnaire surnomm&eacute; &laquo;&nbsp;L&rsquo;Enferm&eacute;&nbsp;&raquo;, qui tente d&rsquo;allumer un foyer insurrectionnel &agrave; la Villette et &eacute;choue &agrave; mettre &agrave; bas le second Empire &ndash; il est le chef dit-on qui aurait cruellement manqu&eacute; &agrave; la Commune de Paris.</p> <p><q>Oui, Messieurs, c&rsquo;est la guerre entre les riches et les pauvres&nbsp;: les riches l&rsquo;ont voulu ainsi&nbsp;; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils consid&egrave;rent comme une action n&eacute;faste le fait que les pauvres opposent une r&eacute;sistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple&nbsp;: cet animal est si f&eacute;roce qu&rsquo;il se d&eacute;fend quand il est attaqu&eacute;<a href="#nbp40" id="footnoteref40_zg48p96" name="liennbp40" title=" Extrait de la défense d’Auguste Blanqui en Cour d’Assises, en 1832, cité dans le commentaire du film (version de travail novembre 2020 - 12’07’’).">40</a>.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Il y a aussi Jacob Rodrigues Pereire (1715-1780), instituteur juif pr&eacute;curseur de l&rsquo;&eacute;ducation des sourds-muets et de l&rsquo;orthophonie &ndash; dont les travaux engag&eacute;s sont aujourd&rsquo;hui m&eacute;connus &ndash; qui ach&egrave;te un terrain rue de Flandre pour y instituer le premier cimeti&egrave;re isra&eacute;lite de la capitale.</p> <p><q>Je suis mort depuis longtemps. J&rsquo;ai construit ce cimeti&egrave;re. &Agrave; peine achev&eacute;, j&rsquo;y ai enterr&eacute; mon fils premier n&eacute; puis je l&rsquo;ai suivi le 4 septembre 1780. Je m&rsquo;appelle Jacob Rodrigues Pereire<a href="#nbp41" id="footnoteref41_40of8di" name="liennbp41" title=" Commentaire de L’Emmuré de Paris (version de travail novembre 2020 - 23’42’’).">41</a>.&nbsp;</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ou encore le Mar&eacute;chal Marmont (1774-1852), h&eacute;ros maudit de la bataille de Paris, qui signe la capitulation de l&rsquo;Empire &agrave; la barri&egrave;re des Vertus (Stalingrad) en mars 1814&nbsp;&ndash; il sauve Paris de la destruction, mais passe du mauvais c&ocirc;t&eacute;, se ralliant &agrave; Louis XVIII.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Rest&eacute;s en marge de l&rsquo;histoire, ignor&eacute;s en raison de leur &eacute;chec, de leur religion ou de leur tra&icirc;trise, force est de constater que ces fant&ocirc;mes de la Villette sont tous frapp&eacute;s par un destin tragique. La &laquo;&nbsp;fatalit&eacute; de cette rel&eacute;gation&nbsp;&raquo;, selon les termes de Laurent Roth, semble &ecirc;tre la marque du quartier lui-m&ecirc;me. Faubourg Nord-Est de la capitale, la Villette est &agrave; la fois un foyer du Paris r&eacute;volutionnaire au XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle et le lieu de passage des arm&eacute;es et des invasions&nbsp;:</p> <p><q>[&hellip;] le vide-ordure de Paris, avec son gigantesque d&eacute;potoir pour les vidangeurs, ses &laquo;&nbsp;voiries&nbsp;&raquo; (d&eacute;charges &agrave; ciel ouvert), ses pompes fun&egrave;bres, ses abattoirs, ses industries polluantes, &agrave; commencer par les &eacute;normes cuves du gazom&egrave;tre, ses champs d&rsquo;&eacute;quarrissage, ses rats et ses corbeaux charognards...&nbsp;L&rsquo;esprit du <em>Sang des b&ecirc;tes</em><a href="#nbp42" id="footnoteref42_xz9zb22" name="liennbp42" title=" Le Sang des bêtes (Georges Franju, 1949) est filmé dans les abattoirs parisiens de la Villette et de Vaugirard.">42</a> est encore l&agrave; qui plane sur le quartier, malgr&eacute; le remodelage du p&eacute;rim&egrave;tre durant ces cinquante derni&egrave;res ann&eacute;es.</q></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Si hier comme aujourd&rsquo;hui, la Villette p&acirc;tit de son caract&egrave;re populaire, les anc&ecirc;tres convoqu&eacute;s par le personnage de l&rsquo;Emmur&eacute; exposent sous un nouvel angle &laquo;&nbsp;la nature h&eacute;ro&iuml;que&nbsp;&raquo; d&rsquo;un quartier peu consid&eacute;r&eacute; par l&rsquo;historiographie acad&eacute;mique. Ces micro-r&eacute;cits g&eacute;n&eacute;alogiques op&egrave;rent des perc&eacute;es temporelles qui mettent imm&eacute;diatement en perspective le pr&eacute;sent&nbsp;: pas de d&eacute;monstration ou de grands discours mais les visages multicolores des passants circulant dans le cadre, et aussi quelques rencontres singuli&egrave;res &ndash; avec Amadou par exemple&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nous promettons de nous revoir<a href="#nbp43" id="footnoteref43_foqniwr" name="liennbp43" title=" Commentaire de L’Emmuré de Paris (version de travail novembre 2020 - 16’18’’).">43</a> &raquo;. Laurent Roth incarne merveilleusement ici le pr&eacute;cepte de Walter Benjamin selon qui une histoire ne vaut que si elle donne voix aux anonymes. &Agrave; cette lign&eacute;e des grands hommes, il faudrait donc ajouter la figure benjaminienne de l&#39;historien-chiffonnier<a href="#nbp44" id="footnoteref44_eq2cszu" name="liennbp44" title=" « Méthode de travail : montage littéraire. Je n’ai rien à dire. Seulement à montrer. Je ne vais rien dérober de précieux, ni m’approprier aucune formule spirituelle. Les haillons, les déchets, eux, je ne veux pas les inventorier, mais leur rendre justice de la seule façon possible : les utiliser. » Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, 1935, dans Œuvres, Paris, Gallimard, 2000, p. 60.">44</a> car l&rsquo;Emmur&eacute; &ndash; d&eacute;termin&eacute; &agrave; se saisir de toute trace d&rsquo;histoire pour&nbsp;nous rendre sensibles &agrave; leur infamie<a href="#nbp45" id="footnoteref45_i09w4ow" name="liennbp45" title="Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes » [1977], dans Archives de l’infamie, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.">45</a> &ndash; fait dit-il &laquo;&nbsp;du lieu du rebut le lieu du combat&nbsp;&raquo;.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Souffrant de confusion mentale, le personnage de Laurent Roth participe ici d&rsquo;un jeu de masques qui paradoxalement permet de d&eacute;placer le regard, de pr&ecirc;cher le faux pour acc&eacute;der &agrave; travers chaque d&eacute;lire g&eacute;n&eacute;alogique &agrave; une v&eacute;rit&eacute; personnelle. Apr&egrave;s en avoir d&eacute;couvert une premi&egrave;re (je suis ce r&eacute;volutionnaire), il en d&eacute;couvre une seconde (je suis ce juif &eacute;clair&eacute;), puis une autre (je suis ce h&eacute;ros maudit), et encore d&rsquo;autres (&laquo;&nbsp;Je suis un &eacute;tudiant en fuite, un immigr&eacute; us&eacute;, une prostitu&eacute;e finissante, un soldat &eacute;clop&eacute;&nbsp;&raquo; dit l&rsquo;Emmur&eacute;). La derni&egrave;re v&eacute;rit&eacute; est celle de l&rsquo;avenir&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je suis cet enfant&nbsp;&raquo;. La sentence est &eacute;nonc&eacute;e &agrave; deux reprises dans le film avant d&rsquo;&ecirc;tre imm&eacute;diatement r&eacute;cus&eacute;e &ndash; &laquo;&nbsp;Je ne suis pas cet enfant&nbsp;&raquo;. Il faut attendre la troisi&egrave;me occurrence, &agrave; la fin du r&eacute;cit, pour que l&rsquo;affirmatif l&rsquo;emporte, actualisant par le verbe la gu&eacute;rison du patient, sa renaissance ou peut-&ecirc;tre m&ecirc;me sa r&eacute;demption (si l&rsquo;on se fie &agrave; la vieille nonne qui appara&icirc;t miraculeusement quelques plans plus t&ocirc;t<a href="#nbp46" id="footnoteref46_dzohpeu" name="liennbp46" title="Laurent Roth est d’origine juive et de confession catholique. Il joue de ce palimpseste dans la séquence « du cimetière juif » en incrustant une goutte de sang sur la paume de sa main, devenant dès lors une icône du Christ.)">46</a>. Il ne s&rsquo;agit pas ici d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; soi mais bien de rena&icirc;tre en l&rsquo;autre pour mieux se conna&icirc;tre. &Agrave; sa mani&egrave;re fantaisiste, Laurent Roth r&eacute;active dans<em> L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> le principe des alt&eacute;rit&eacute;s incluses&nbsp;<a barbare="" href="#nbp47" id="footnoteref47_0618hnq" name="liennbp47" title=" La notion d’ « altérité incluse » a été proposée par le collectif de chercheurs du centre Louis Gernet (historiens de Rome et de la Grèce ancienne) de l’EHESS : « c’est un phénomène d’appropriation de l’autre en conservant ou en exaspérant son altérité afin de construire sa propre identité ». Florence Dupont et Emmanuelle Valette-Cagnac (dir.), Façons de parler grec à Rome, Paris, Belin, « L’Antiquité au présent », 2005, p. 257. Voir aussi : Claire Cécile Mitatre, « Est-on toujours le ">47</a> qui est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans des civilisations fort anciennes, ou lointaines. Il exp&eacute;rimente cette n&eacute;cessit&eacute; archa&iuml;que de recourir &agrave; l&rsquo;autre dans la r&eacute;alisation de soi&nbsp;: devenir l&rsquo;autre en soi (ou r&eacute;ciproquement) permet d&egrave;s lors d&rsquo;&eacute;largir et de reconfigurer sa g&eacute;n&eacute;alogie au prisme du <em>commun</em>.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Certains films laissent une empreinte ind&eacute;l&eacute;bile et accompagnent, tel l&rsquo;animal-totem, le clan de ses descendants. <em>La Jet&eacute;e</em> est de ceux-l&agrave;&nbsp;: il constitue pour le moins une r&eacute;f&eacute;rence et pour le plus une matrice. C&rsquo;est de cette parent&eacute; artistique et affective dont t&eacute;moignent chacun &agrave; leur mani&egrave;re <em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em> de Dominique Cabrera et<em> L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> de Laurent Roth. Si l&rsquo;on connaissait d&eacute;j&agrave; l&rsquo;importance de Chris Marker pour Laurent Roth qui s&rsquo;est exprim&eacute; &agrave; ce sujet sous une forme critique dans <em>Qu&#39;est-ce qu&#39;une madeleine&nbsp;?</em><a href="#nbp48" id="footnoteref48_oys2y6f" name="liennbp48" title=" Raymond Bellour et Laurent Roth, Qu'est-ce qu'une madeleine ? À propos du CD-ROM Immemory de Chris Marker, Paris, Éd. Centre Georges Pompidou, « Les cahiers du musée national d'art moderne », 1997.">48</a>, la filiation prend une envergure nouvelle aujourd&rsquo;hui au contact du <em>Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e.</em> Il faut pour cela faire encore un peu de g&eacute;n&eacute;alogie et rappeler l&rsquo;existence de <em>Ranger les photos, </em>un court m&eacute;trage que Laurent Roth cor&eacute;alisait avec Dominique Cabrera en avril 1998, quelques mois apr&egrave;s la premi&egrave;re r&eacute;trospective Marker<a href="#nbp49" id="footnoteref49_dd9ww2e" name="liennbp49" title=" La Cinémathèque française organisait la première rétrospective des films du cinéaste de son vivant : « Marker mémoire », du 7 janvier au 1er février 1998. L’éventualité d’une filiation entre Ranger les photos et Le Cinquième Plan de La Jetée est aussi relevée par Frédérique Berthet dans son article « Le Cinquième Plan de La Jetée de Dominique Cabrera : le futur d’un retour au passé » (Julie Savelli (dir.), Dominique Cabrera. L’intime et le politique, op. cit.)">49</a>. <em>Ranger les photos </em>est un film tourn&eacute;-mont&eacute; &agrave; quatre mains, puis &laquo;&nbsp;oubli&eacute;&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;finalement retrouv&eacute; onze ans plus tard&nbsp;&raquo;, en 2009. <em>Ranger les photos</em> n&rsquo;est pas un photo-roman ou un photo-film mais il interroge le geste photographique en m&ecirc;me temps qu&rsquo;il en est la repr&eacute;sentation m&ecirc;me. Chacun des douze plans-s&eacute;quences qui le constituent r&eacute;alise la photographie d&rsquo;un moment, d&rsquo;une id&eacute;e, d&rsquo;une &eacute;motion. On y voit d&eacute;j&agrave; Dominique Cabrera ouvrir des cartons (elle vient d&rsquo;emm&eacute;nager dans sa nouvelle maison &agrave; Montreuil), sortir des photos de ses albums de famille, les regarder et parler &agrave; Laurent Roth, complice masqu&eacute; derri&egrave;re la cam&eacute;ra : &laquo;&nbsp;Faire des films comme on respire. Comme on prend une photo. Presque comme un battement de cils.&nbsp;&raquo; Si l&rsquo;ombre de l&rsquo;animal-Marker planait sans aucun doute d&eacute;j&agrave; sur leurs jeunes t&ecirc;tes, est-ce &agrave; penser pour autant que les deux cin&eacute;astes pr&eacute;paraient sans le savoir les projets markeriens qu&rsquo;ils conduisent personnellement, et parall&egrave;lement, aujourd&rsquo;hui&nbsp;?</p> <p>&nbsp;</p> <p><em><strong>Remerciements&nbsp;: Dominique Cabrera et Laurent Roth.<br /> Les images sont reproduites avec leur autorisation.</strong></em></p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><strong>Notes et r&eacute;f&eacute;rences :</strong></p> <p>Bibliographie</p> <p>Barthes, Roland, <em>La Chambre claire</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 1980.</p> <p>Bellour, Raymond et Roth, Laurent, <em>Qu&#39;est-ce qu&#39;une madeleine ?</em> <em>&Agrave;</em><em> propos du CD-ROM </em>Immemory<em> de Chris </em><em>Marker, Paris, Centre Georges Pompidou, &laquo;&nbsp;Les cahiers du mus&eacute;e national d&#39;art moderne&nbsp;&raquo;, 1997.</em></p> <p>Benjamin, Walter, <em>Paris, capitale du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle</em> [1935], dans <em>&OElig;uvres</em>, Tome III, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 2000.</p> <p>Berthet, Fr&eacute;d&eacute;rique, <em>&laquo;</em>&nbsp;<em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em>&nbsp;de Dominique Cabrera : le futur d&rsquo;un retour au pass&eacute;&nbsp;&raquo;, dans<em> </em>Julie Savelli (dir.), <em>Dominique Cabrera. L&rsquo;intime et le politique</em>, Saint-Vincent-de-Mercuze, De l&rsquo;Incidence &Eacute;diteur, &agrave; para&icirc;tre 2021.</p> <p>Caillet, Aline et Pouillaude, Fr&eacute;d&eacute;ric (dir.), <em>Un art documentaire. Enjeux politiques, esth&eacute;tiques et &eacute;thiques</em>, Rennes, PUR, 2017.</p> <p>Cavell, Stanley, <em>La Projection du monde&nbsp;: r&eacute;flexion sur l&rsquo;ontologie du cin&eacute;ma </em>[1971], trad. Christian Fournier, Paris, Belin, 1999.</p> <p>Chatelet, Claire et Savelli, Julie (co-dir.), <em>Entrelacs</em>, &laquo;&nbsp;R&eacute;cits de soi. La mise en Je(u) &agrave; l&#39;&eacute;cran &raquo;, n&deg;&nbsp;15, Toulouse, &eacute;d. ENSAV et L.A.R.A., en ligne, 2018.</p> <p>Derrida, Jacques, <em>Mal d&#39;archive&nbsp;: une impression freudienne</em>, Paris, Galil&eacute;e, 1995.</p> <p>Dupont, Florence et Valette-Cagnac, Emmanuelle (dir.), <em>Fa&ccedil;ons de parler grec &agrave; Rome</em>, Paris, Belin, &laquo; L&rsquo;Antiquit&eacute; au pr&eacute;sent &raquo;, 2005.</p> <p>Foucault, Michel,&nbsp;&laquo; La vie des hommes inf&acirc;mes &raquo; [1977], dans <em>Archives de l&rsquo;infamie,</em> Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.</p> <p>Fontanel, R&eacute;mi, &laquo;&nbsp;Une maison de famille : une exploration chorale de l&rsquo;intime&nbsp;&raquo;, dans Jacques Gerstenkorn et Julie Savelli (co-dir.), <em>Entrelacs</em>, n&deg; 18, &agrave; para&icirc;tre 2021.</p> <p>Ginzburg, Carlo, &laquo;&nbsp;Racines d&rsquo;un paradigme indiciaire&nbsp;&raquo; [1979], <em>dans Mythes, embl&egrave;mes, traces. Morphologie et histoire</em> [1989], Lagrasse, Verdier, 2010<em>.</em></p> <p>Lejeune, Philippe, <em>Le Pacte autobiographique</em>, Paris, Seuil, 1975.</p> <p>Ric&oelig;ur, Paul, <em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;L&rsquo;ordre philosophique&nbsp;&raquo;, 1990.</p> <p>Roud&eacute;, Catherine, &laquo;&nbsp;R&eacute;habilitation du cin&eacute;ma politique&nbsp;: Dominique Cabrera &agrave; Iskra&nbsp;&raquo;, dans&nbsp;Julie Savelli (dir.), <em>Dominique Cabrera. L&rsquo;intime et le politique</em>, Saint-Vincent-de-Mercuze, De l&rsquo;Incidence &Eacute;diteur, &agrave; para&icirc;tre avril 2021.</p> <p>Viart, Dominique, &laquo;&nbsp;&Eacute;crire au pr&eacute;sent&nbsp;: l&rsquo;esth&eacute;tique contemporaine&nbsp;&raquo;, dans Francine Dugast Portes et Mich&egrave;le Touret (dir.), <em>Le Temps des Lettres. Quelles p&eacute;riodisations pour l&#39;histoire de la litt&eacute;rature fran&ccedil;aise du 20<sup>e</sup> si&egrave;cle ?</em>, Rennes, PUR, &laquo;&nbsp;Interf&eacute;rences&nbsp;&raquo;, 2001, p.&nbsp;317-336.</p> <p>&nbsp;</p> <hr /> <p><a href="#liennbp1" name="nbp1">1</a> Voir Claire Chatelet et Julie Savelli (co-dir.), <em>Entrelacs</em>, &laquo;&nbsp;R&eacute;cits de soi. La mise en Je(u) &agrave; l&#39;&eacute;cran &raquo;, n&deg;&nbsp;15, Toulouse, &eacute;d. ENSAV et L.A.R.A., en ligne, 2018. (URL&nbsp;: <a href="https://journals.openedition.org/entrelacs/2167">https://journals.openedition.org/entrelacs/2167</a>). Consult&eacute; le 07 novembre 2020.</p> <p><a href="#liennbp2" name="nbp2">2</a>&nbsp;D&rsquo;abord paru en 1973 dans la revue <em>Po&eacute;tique</em> (n&deg;&nbsp;14, p.&nbsp;137-162), le texte, l&eacute;g&egrave;rement remani&eacute;, est repris dans&nbsp;<em>Le Pacte autobiographique</em> en 1975 (Paris, Seuil). La notion de &laquo;&nbsp;pacte&nbsp;&raquo; sera ensuite d&eacute;velopp&eacute;e et reconfigur&eacute;e par son auteur, notamment dans L<em>e Pacte autobiographique (bis)</em> en 1983 et dans <em>Le Pacte autobiographique, vingt-cinq ans apr&egrave;s </em>en 2002. Voir&nbsp;aussi&nbsp;: Carole Allamand, <em>Le &laquo;&nbsp;Pacte&nbsp;&raquo; de Philippe Lejeune ou l&rsquo;autobiographie en th&eacute;orie&nbsp;: &eacute;dition critique et commentaire</em>, Paris, Honor&eacute; Champion, &laquo;&nbsp;Textes critiques fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo;, 2018.</p> <p><a href="#liennbp3" name="nbp3">3</a>&nbsp;Philippe Lejeune,&nbsp;<em>L&rsquo;Autobiographie en France</em>, Paris, Armand Colin, 1971,&nbsp;p.&nbsp;105.</p> <p><a href="#liennbp4" name="nbp4">4</a>&nbsp;Philippe Lejeune,&nbsp;<em>Signes de vie. Le Pacte autobiographique&nbsp;2</em>, Paris, Seuil, 2005, p.&nbsp;38-39.</p> <p><a href="#liennbp5" name="nbp5">5</a>&nbsp;Paul Ric&oelig;ur, <em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;L&rsquo;ordre philosophique&nbsp;&raquo;, 1990.</p> <p><a href="#liennbp6" name="nbp6">6</a>&nbsp;<em>Le Repas de b&eacute;b&eacute;</em>&nbsp;(1895) ou&nbsp;<em>La P&ecirc;che aux poissons rouges</em>&nbsp;(1895) des fr&egrave;res Lumi&egrave;re ; <em>La Marche de Munich &agrave; Berlin</em>&nbsp;(<em>M&uuml;nchen-Berlin Wanderung</em>, 1927) d&rsquo;Oskar Fishinger ; <em>The Geography of the Body</em> (1943) de Marie Menken et Willard Maas ou encore <em>Meshes of the Afternoon</em> (1943) de Maya Deren. Voir : Julie Savelli, &laquo;&nbsp;Histoire de l&#39;&eacute;cran &agrave; la premi&egrave;re personne &raquo;, <em>UPOPI</em>, en ligne, 2016. (URL&nbsp;:&nbsp;<a href="http://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-images/histoire-de-l-ecran-la-premiere-personne">http://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-images/histoire-de-l-ec&hellip;</a>). Consult&eacute; le 07 novembre 2020.</p> <p><a href="#liennbp7" name="nbp7">7</a>&nbsp;Roland Barthes, Georges Perec et Serge Doubrovsky sont les principaux initiateurs de ce ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;auto-repr&eacute;sentation au milieu des ann&eacute;es 1970 dans le domaine litt&eacute;raire.</p> <p><a href="#liennbp8" name="nbp8">8</a>&nbsp;En 1977, le critique et romancier Serge Doubrovsky nomme &laquo;&nbsp;autofiction&nbsp;&raquo; le principe qui consiste &agrave; mettre la fiction au service de l&#39;autobiographie&nbsp;dans un genre hybride. Si les cin&eacute;astes ont recours &agrave; des acteurs, modifiant les noms, les dates ou les lieux des faits, l&#39;enjeu est bien identitaire pour Jean Eustache (<em>La Maman et la Putain</em>, 1972&nbsp;;&nbsp;<em>Mes petites amoureuses</em>, 1974), Fran&ccedil;ois Truffaut (<em>La Nuit am&eacute;ricaine</em>, 1973 et d&eacute;j&agrave; dans&nbsp;<em>Les 400 Coups</em>&nbsp;en 1959), Luc Moullet (<em>Anatomie d&#39;un rapport</em>, 1975) ou Philippe Garrel (dans tous ses films).</p> <p><a href="#liennbp9" name="nbp9">9</a>&nbsp;Terme forg&eacute; par Lacan en 1969, et repris par le psychiatre Serge Tisseron en 2001 pour d&eacute;signer le d&eacute;sir de montrer certains aspects de soi consid&eacute;r&eacute;s jusque-l&agrave; comme relevant de l&rsquo;intime&nbsp;: voir <em>L&rsquo;intimit&eacute; surexpos&eacute;e</em> [2001], Paris, r&eacute;&eacute;d. Hachette, 2003.</p> <p><a href="#liennbp10" name="nbp10">10</a>&nbsp;Voir&nbsp;: Aline Caillet et Fr&eacute;d&eacute;ric Pouillaude (dir.), <em>Un art documentaire. Enjeux politiques, esth&eacute;tiques et &eacute;thiques</em>, Rennes, PUR, 2017&nbsp;; Aline Caillet, <em>Dispositifs critiques. Le documentaire, du cin&eacute;ma aux arts visuels</em>, Rennes, PUR, 2014.</p> <p><a href="#liennbp11" name="nbp11">11</a> &Agrave; travers &laquo;&nbsp;le souci de soi&nbsp;&raquo;, Michel Foucault met l&rsquo;accent sur le processus de travail que chacun est amen&eacute; &agrave; entreprendre pour soi-m&ecirc;me et pour la cit&eacute;. (Michel Foucault,&nbsp;<em>Le Souci de soi</em>, Paris, Gallimard, 1984.)</p> <p><a href="#liennbp12" name="nbp12">12</a> Voir&nbsp;: Marion Froger et Lucie Szechter,&nbsp;&laquo; Le souci du tiers&nbsp;&raquo;, dans<em>&nbsp;Cin&eacute;mAction</em>, &laquo; M&eacute;moires et identit&eacute;s au cin&eacute;ma&nbsp;&raquo;, n&deg;&nbsp;163, 2017, p. 20-33.</p> <p><a href="#liennbp13" name="nbp13">13</a> Par exemple les projets processuels et multi-supports du metteur en sc&egrave;ne Mohamed El Khatib (France), des cin&eacute;astes et artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (France/Liban), ou du plasticien Walid Raad (Liban).</p> <p><a href="#liennbp14" name="nbp14">14 </a>C&#39;est &agrave; Michel Chaillou, romancier et critique, que l&#39;on doit cette formule (avec ou sans tiret). (&quot;L&#39;Extr&ecirc;me contemporain&quot;, Po&eacute;sie, n&deg;41, 1987.) Voir aussi : Dominique Viart, &quot;Ecrire au pr&eacute;sent : l&#39;esth&eacute;tique contemporaine&quot;, dans Francine Dugast Portes et Mich&egrave;le Touret (dir.), <em>Le temps des Lettres</em>, Rennes, PUR, p. 317-336.</p> <p><a href="#liennbp15" name="nbp15">15</a> Voir les travaux d&rsquo;Elinor Ostrom, &laquo;&nbsp;prix Nobel d&rsquo;&eacute;conomie&nbsp;&raquo; en 2009, sur les biens communs.</p> <p><a href="#liennbp16" name="nbp16">16</a> Voir&nbsp;: Robert Bonamy, <em>Cin&eacute;mas en communs</em>, Montreuil, Les &Eacute;ditions de l&rsquo;Oeil, 2020 et Pascal Nicolas-Le Strat, <em>Le Travail du commun</em>, Rennes, &Eacute;ditions du commun, 2016.</p> <p><a href="#liennbp17" name="nbp17">17</a> Paul Val&eacute;ry, &laquo;&nbsp;Discours sur l&rsquo;Esth&eacute;tique&nbsp;&raquo;,&nbsp;prononc&eacute; au Deuxi&egrave;me Congr&egrave;s International d&rsquo;Esth&eacute;tique et de Science de l&rsquo;Art le 8 ao&ucirc;t 1937, dans<em> &OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, Paris, Gallimard, Tome 1.</p> <p><a href="#liennbp18" name="nbp18">18</a> Toutes les citations de Dominique Cabrera &agrave; propos de son film <em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em> sont reproduites avec l&rsquo;accord de la cin&eacute;aste, et extraites du dernier dossier de pr&eacute;sentation du film d&eacute;pos&eacute; &agrave; la SCAM en date du 20 septembre 2020 pour la bourse&nbsp;Brouillon d&rsquo;un r&ecirc;ve.</p> <p><a href="#liennbp19" name="nbp19">19</a> &laquo;&nbsp;Mais c&rsquo;est moi&nbsp;!&nbsp;&raquo; avait dit Jean-Henri, le cousin de la cin&eacute;aste Dominique Cabrera, en voyant cette image de <em>La</em> <em>Jet&eacute;e</em> (1962) projet&eacute; en continu lors de l&rsquo;exposition &laquo; Chris Marker, les 7 vies d&rsquo;un cin&eacute;aste &raquo; &agrave; la Cin&eacute;math&egrave;que fran&ccedil;aise (3 mai-29 juillet 2018).</p> <p><a href="#liennbp20" name="nbp20">20</a> Roland Barthes, <em>La Chambre claire</em>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Cahiers du cin&eacute;ma &raquo;, 1980.</p> <p><a href="#liennbp21" name="nbp21">21 </a>La microhistoire (microstoria) est une posture embl&eacute;matique de l&rsquo;historiographie contemporaine. D&eacute;velopp&eacute;e par un groupe d&rsquo;historiens italiens dans les ann&eacute;es 1970, elle incite &agrave; la r&eacute;duction des &eacute;chelles et &agrave; la concr&eacute;tude des sources pour une histoire qui se veut rapproch&eacute;e et v&eacute;cue, &agrave; &laquo;&nbsp;ras du sol&nbsp;&raquo;. Voir Carlo Ginzburg et Carlo Poni, &laquo;&nbsp;La micro-histoire&nbsp;&raquo; [1979],&nbsp;<em>Le D&eacute;bat</em>, n&deg; 17, Paris, Gallimard, 1981, p. 133-136.</p> <p><a href="#liennbp22" name="nbp22">22</a> Dominique Cabrera a d&eacute;j&agrave; publi&eacute; deux journaux film&eacute;s&nbsp;: <em>Demain et encore demain</em> en 1997 et <em>Grandir (&Ocirc; heureux jours !)</em> en 2013. En parall&egrave;le du <em>Cinqui&egrave;me plan de La Jet&eacute;e</em> qui est actuellement en &eacute;criture, elle d&eacute;veloppe deux longs m&eacute;trages de fiction&nbsp;: <em>Le Club </em>et <em>Darius</em>, tous deux inspir&eacute;s par sa vie intime et ses proches.</p> <p><a href="#liennbp23" name="nbp23">23</a> Voir&nbsp;: Paul Ric&oelig;ur, <em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em>, <em>op. cit.</em>&nbsp;; <em>Temps et r&eacute;cit. Tome I. L&rsquo;intrigue et le r&eacute;cit historique</em>, Paris, Seuil, 1983&nbsp;; <em>Temps et r&eacute;cit. Tome II. La configuration dans le r&eacute;cit de fiction</em>, Paris, Seuil, 1984&nbsp;; <em>Temps et r&eacute;cit. Tome III. Le temps racont&eacute;</em>, Paris, Seuil, 1985.</p> <p><a href="#liennbp24" name="nbp24">24</a> &laquo;&nbsp;Les Archives de Chris Marker&nbsp;&raquo;, publi&eacute; le 9 juin 2016. (URL : <a href="https://www.cinematheque.fr/article/884.html">https://www.cinematheque.fr/article/884.html</a>). Consult&eacute; le 07 novembre 2020.</p> <p><a href="#liennbp25" name="nbp25">25</a> Historienne, enseignante et chercheuse, mais &eacute;galement collaboratrice de Dominique Cabrera dans la pr&eacute;paration du <em>Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em>, Fr&eacute;d&eacute;rique Berthet a effectu&eacute; l&rsquo;inventaire de ces archives en 1997-1998 suite au &laquo;&nbsp;Trait&eacute; d&rsquo;apport &agrave; association d&rsquo;archives priv&eacute;es&nbsp;&raquo; sign&eacute; entre Anatole Dauman (Argos Films) et Bertrand Tavernier (Institut Lumi&egrave;re) le 20 f&eacute;vrier 1996&nbsp;: d&eacute;p&ocirc;t 1950-1996, 1345 articles.</p> <p><a href="#liennbp26" name="liennbp26">26 </a>La jeune femme s&#39;&eacute;veille dans un jeu de fondus encha&icirc;n&eacute;s&nbsp;; le chant des oiseaux devient strident ; elle bat des paupi&egrave;res. Bri&egrave;vement, l&#39;image anim&eacute;e remplace les photographies. (18&rsquo;50&rsquo;&rsquo;).</p> <p><a href="#liennbp27" name="liennbp27">27</a> Extrait du commentaire de <em>La Jet&eacute;e</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Est-ce le m&ecirc;me jour ? Il ne sait plus. Ils vont faire comme cela une infinit&eacute; de promenades semblables, o&ugrave; se creusera entre eux une confiance muette, une confiance &agrave; l&rsquo;&eacute;tat pur.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp28" name="liennbp28">28 </a>Les films &laquo;&nbsp;de banlieue&nbsp;&raquo; de la cin&eacute;aste ont &eacute;t&eacute; r&eacute;cemment restaur&eacute;s et &eacute;dit&eacute;s dans un coffret DVD intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Il &eacute;tait une fois la banlieue&nbsp;&raquo; (Documentaire sur grand &eacute;cran, &laquo;&nbsp;collections particuli&egrave;res&nbsp;&raquo;, janvier 2017)&nbsp;: <em>J&rsquo;ai droit &agrave; la parole </em>(1981), <em>Un balcon au Val Fourr&eacute;</em> (1990), <em>Chronique d&#39;une banlieue ordinaire</em> (1992), <em>R&ecirc;ves de ville</em> (1993), <em>R&eacute;jane dans la tour</em> (1993), <em>Une poste &agrave; La Courneuve</em> (1994).</p> <p><a href="#liennbp29" name="liennbp29">29</a> Iskra (Image, Son, Kinescope et R&eacute;alisations Audiovisuelles, &laquo;&nbsp;&eacute;tincelle&nbsp;&raquo; en russe), issue de la coop&eacute;rative SLON, est une soci&eacute;t&eacute; de production et de diffusion ind&eacute;pendante initi&eacute;e par Chris Marker en 1968 autour des films collectifs <em>Loin du Vietnam</em> et <em>&Agrave; bient&ocirc;t j&#39;esp&egrave;re</em>, dont la ligne &eacute;ditoriale s&#39;ancre dans le social et le politique. (Voir Catherine Roud&eacute;, &laquo;&nbsp;R&eacute;habilitation du cin&eacute;ma politique&nbsp;: Dominique Cabrera &agrave; Iskra&nbsp;&raquo;, dans Julie Savelli (dir.), <em>Dominique Cabrera. L&rsquo;intime et le politique</em>, Saint-Vincent-de-Mercuze, De l&rsquo;Incidence &Eacute;diteur, avril 2021.)</p> <p><a href="#liennbp30" name="liennbp30">30</a> L&#39;&eacute;diteur a retrouv&eacute; ce document dans les archives de la production et l&#39;a publi&eacute; dans le livret du coffret DVD pr&eacute;cit&eacute;. &laquo;&nbsp;Plut&ocirc;t que des adjectifs vagues ou &eacute;logieux, j&#39;aimerais dire que ce film est exemplaire, en ce qu&#39;il unit deux qualit&eacute;s qui g&eacute;n&eacute;ralement ont tendance &agrave; se combattre&nbsp;: la rigueur et le naturel. Certains cin&eacute;astes ont la gr&acirc;ce, on leur pardonne un certain laisser-aller. D&#39;autres ont la m&eacute;thode, on leur pardonne une certaine lourdeur. Ici rien &agrave; pardonner, tout &agrave; admirer. Un an de travail approfondi, la connaissance des lieux, des personnes, des heures, aboutissent &agrave; la saisie de la vie m&ecirc;me, sans qu&#39;on pense &agrave; se demander par quel miracle la cam&eacute;ra est toujours au bon endroit, au bon moment. Si j&rsquo;avais &agrave; conseiller une &eacute;cole de cin&eacute;ma, je lui dirais d&rsquo;&eacute;tudier &agrave; fond le syst&egrave;me Cabrera. Si je pouvais me permettre de conseiller une institution, je lui dirais&nbsp;: il y a des auteurs dou&eacute;s, il en est peu de complets, en voil&agrave; un.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp31" name="nbp31">31</a> Le commentaire de <em>La Jet&eacute;e</em> d&eacute;bute ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ceci est l&rsquo;histoire d&rsquo;un homme marqu&eacute; par une image d&rsquo;enfance. La sc&egrave;ne qui le troubla par sa violence, et dont il ne devait comprendre que beaucoup plus tard la signification, eut lieu sur la grande jet&eacute;e d&rsquo;Orly, quelques ann&eacute;es avant le d&eacute;but de la troisi&egrave;me guerre mondiale.&nbsp;&raquo;</p> <p><a href="#liennbp32" name="nbp32">32</a> Voir notamment <em>La Projection du monde</em> [1971] (S. Cavell, Paris, Belin, 1999) et <em>&Agrave; la recherche du bonheur</em> [1981] (S. Cavell, Paris, <em>Les Cahiers du cin&eacute;ma</em>, 1993) ainsi que les textes r&eacute;unis par M. Cerisuelo et S. Laugier dans <em>Stanley Cavell, Cin&eacute;ma et Philosophie</em> (Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000) et par E. Domenach dans <em>Le cin&eacute;ma nous rend-il meilleurs&nbsp;?&nbsp;</em>(Paris, Bayard, 2003).</p> <p><a href="#liennbp33" name="nbp33">33</a> Toutes les citations de Laurent Roth &agrave; propos de son film <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>sont reproduites avec son accord et extraites d&rsquo;un dossier de pr&eacute;sentation pr&eacute;sent&eacute; au CNAP (Centre National des Arts Plastiques) le 16 mars 2016.</p> <p><a href="#liennbp34" name="nbp34">34</a> Jacques Derrida, <em>Mal d&#39;archive&nbsp;: une impression freudienne</em>, Paris, Galil&eacute;e, &laquo;&nbsp;Incises&nbsp;&raquo;, 1995.</p> <p><a href="#liennbp35" name="nbp35">35</a> Le film a d&rsquo;abord &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute; dans une version &laquo; fin de r&eacute;sidence &raquo; de 15 minutes avec un commentaire improvis&eacute; au micro par son auteur lors de la Nuit blanche en 2010, puis &agrave; des &eacute;tapes de fabrication plus avanc&eacute;es dans le cadre des Rencontres cin&eacute;matographiques de P&eacute;zenas en f&eacute;vrier 2012 ou &agrave; Visions du R&eacute;el &agrave; Nyon en avril 2012. Ces informations sur la gen&egrave;se du film proviennent d&rsquo;un entretien avec Laurent Roth r&eacute;alis&eacute; en collaboration avec Jacques Gerstenkorn en octobre 2020 en vue de la publication d&rsquo;un num&eacute;ro sp&eacute;cial de la revue <em>Entrelacs</em> consacr&eacute; aux films du cin&eacute;aste (<em>Entrelacs</em>, Jacques Gerstenkorn et Julie Savelli (dir.), n&deg; 18, 2021.)</p> <p><a href="#liennbp36" name="nbp36">36</a> &Agrave; mi-parcours, Laurent Roth a d&ucirc; faire face &agrave; la cessation d&rsquo;activit&eacute; de la soci&eacute;t&eacute; de production In The Mood, porteuse du projet.</p> <p><a href="#liennbp37" name="nbp37">37</a> Le terme est utilis&eacute; au g&eacute;n&eacute;rique pour pr&eacute;senter le film&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris.</em> Une fantaisie documentaire de Laurent Roth&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#liennbp38" name="nbp38">38</a> Voir R&eacute;mi Fontanel, &laquo;&nbsp;Une maison de famille : une exploration chorale de l&rsquo;intime&nbsp;&raquo;, <em>Entrelacs</em>, op. cit., 2021.</p> <p><a href="#liennbp39" name="nbp39">39</a> Arthur Rimbaud&nbsp;&agrave; Paul Demeny (Lettre du Voyant, 15 mai 1871).</p> <p><a href="#liennbp40" name="nbp40">40</a> Extrait de la d&eacute;fense d&rsquo;Auguste Blanqui en Cour d&rsquo;Assises, en 1832, cit&eacute; dans le commentaire du film (version de travail novembre 2020 - 12&rsquo;07&rsquo;&rsquo;).</p> <p><a href="#liennbp41" name="nbp41">41</a> Commentaire de <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris </em>(version de travail novembre 2020 - 23&rsquo;42&rsquo;&rsquo;).</p> <p><a href="#liennbp42" name="nbp42">42</a> <em>Le Sang des b&ecirc;tes</em> (Georges Franju, 1949) est film&eacute; dans les abattoirs parisiens de la Villette et de Vaugirard.</p> <p><a href="#liennbp43" name="nbp43">43</a> Commentaire de <em>L&rsquo;Emmur&eacute; de Paris</em> (version de travail novembre 2020 - 16&rsquo;18&rsquo;&rsquo;).</p> <p><a href="#liennbp44" name="nbp44">44</a> &laquo;&nbsp;M&eacute;thode de travail&nbsp;: montage litt&eacute;raire. Je n&rsquo;ai rien &agrave; dire. Seulement &agrave; montrer. Je ne vais rien d&eacute;rober de pr&eacute;cieux, ni m&rsquo;approprier aucune formule spirituelle. Les haillons, les d&eacute;chets, eux, je ne veux pas les inventorier, mais leur rendre justice de la seule fa&ccedil;on possible&nbsp;: les utiliser.&nbsp;&raquo; Walter Benjamin, <em>Paris, capitale du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle</em>, 1935, dans <em>&OElig;uvres</em>, Paris, Gallimard, 2000, p. 60.</p> <p><a href="#liennbp45" name="nbp45">45</a> Michel Foucault,&nbsp;&laquo; La vie des hommes inf&acirc;mes &raquo; [1977], dans <em>Archives de l&rsquo;infamie</em>, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.</p> <p><a href="#liennbp46" name="nbp46">46</a> Laurent Roth est d&rsquo;origine juive et de confession catholique. Il joue de ce palimpseste dans la s&eacute;quence &laquo;&nbsp;du cimeti&egrave;re juif&nbsp;&raquo; en incrustant une goutte de sang sur la paume de sa main, devenant d&egrave;s lors une ic&ocirc;ne du Christ.)</p> <p><a href="#liennbp47" name="nbp47">47</a> La notion d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;alt&eacute;rit&eacute; incluse&nbsp;&raquo; a &eacute;t&eacute; propos&eacute;e par le collectif de chercheurs du centre Louis Gernet (historiens de Rome et de la Gr&egrave;ce ancienne) de l&rsquo;EHESS&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est un ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;appropriation de l&rsquo;autre en conservant ou en exasp&eacute;rant son alt&eacute;rit&eacute; afin de construire sa propre identit&eacute;&nbsp;&raquo;. Florence Dupont et Emmanuelle Valette-Cagnac (dir.), <em>Fa&ccedil;ons de parler grec &agrave; Rome</em>, Paris, Belin, &laquo; L&rsquo;Antiquit&eacute; au pr&eacute;sent &raquo;, 2005, p. 257. Voir aussi&nbsp;: Claire C&eacute;cile Mitatre, &laquo;&nbsp;Est-on toujours le &quot;barbare&quot; des autres&nbsp;?&nbsp;&raquo;, dans Maxime Del Fiol et Claire C&eacute;cile Mitatre, <em>Les Occidents des mondes arabes et musulmans. Afrique du Nord - XIX<sup>e</sup>-XXI<sup>e</sup> si&egrave;cles</em>, Paris, &Eacute;ditions Geuthner, 2018.</p> <p><a href="#liennbp48" name="nbp48">48</a> Raymond Bellour et Laurent Roth, <em>Qu&#39;est-ce qu&#39;une madeleine ? &Agrave; propos du CD-ROM Immemory de Chris Marker</em>, Paris, &Eacute;d. Centre Georges Pompidou, &laquo;&nbsp;Les cahiers du mus&eacute;e national d&#39;art moderne&nbsp;&raquo;, 1997.</p> <p><a href="#liennbp49" name="nbp49">49</a> La Cin&eacute;math&egrave;que fran&ccedil;aise organisait la premi&egrave;re r&eacute;trospective des films du cin&eacute;aste de son vivant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Marker m&eacute;moire&nbsp;&raquo;, du 7 janvier au 1<sup>er</sup> f&eacute;vrier 1998. L&rsquo;&eacute;ventualit&eacute; d&rsquo;une filiation entre <em>Ranger les photos</em> et <em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em> est aussi relev&eacute;e par Fr&eacute;d&eacute;rique Berthet dans son article &laquo;&nbsp;<em>Le Cinqui&egrave;me Plan de La Jet&eacute;e</em>&nbsp;de Dominique Cabrera : le futur d&rsquo;un retour au pass&eacute;&nbsp;&raquo; (Julie Savelli (dir.), <em>Dominique Cabrera. L&rsquo;intime et le politique</em>,<em> op. cit.</em>)</p>