<p>La d&eacute;linquance juv&eacute;nile est un ph&eacute;nom&egrave;ne consubstantiel &agrave; toute soci&eacute;t&eacute; humaine. Cette assertion se fonde sur la pens&eacute;e durkheimienne qui soulignait le caract&egrave;re normal du &laquo;&nbsp;crime&nbsp;&raquo; (donc de la d&eacute;linquance des jeunes) puisqu&rsquo;aucune soci&eacute;t&eacute; humaine ne pourrait en &ecirc;tre exempte (Durkheim, 1894, 2007). Cette d&eacute;linquance juv&eacute;nile se pr&eacute;sente sous diff&eacute;rentes formes, et le gangst&eacute;risme juv&eacute;nile est une de ses nombreuses manifestations. Le ph&eacute;nom&egrave;ne des gangs de rue a suscit&eacute; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de plusieurs chercheurs partout dans le monde, notamment au Canada (Lanct&ocirc;t &amp; LeBlanc, 1996) et aux Etats-Unis (Choo, 2007).</p> <p>Les gangs de rue d&eacute;signent &laquo;&nbsp;un regroupement plus ou moins structur&eacute; d&rsquo;adolescents et de jeunes adultes qui privil&eacute;gient la force et l&rsquo;intimidation du groupe pour accomplir des actes criminels, et ce, dans le but d&rsquo;obtenir pouvoir et reconnaissance ou de contr&ocirc;ler des sph&egrave;res d&rsquo;activit&eacute;s lucratives&nbsp;&raquo; (Guay et al., 2015&nbsp;: 20). Ce sont donc des groupes centr&eacute;s sur des activit&eacute;s de rue, dont l&#39;implication dans des activit&eacute;s ill&eacute;gales fait partie de son identit&eacute; en tant que groupe. Ils ont &eacute;t&eacute; d&eacute;crits comme un ph&eacute;nom&egrave;ne principalement masculin. Mais de plus en plus, parall&egrave;lement aux &eacute;tudes ant&eacute;rieurement cit&eacute;es, des r&eacute;flexions, d&eacute;crivant des groupes mixtes, affirment la pr&eacute;sence de membres f&eacute;minins au sein des bandes des jeunes. D&rsquo;autres &eacute;tudes &eacute;voquent des groupes de jeunes d&eacute;viants compos&eacute;s exclusivement de filles (Adler, 1975&nbsp;; Fournier, Cousineau &amp; Hamel, 2004&nbsp;; Chesney-Lind, 2015).</p> <p>Comme ailleurs, il existe des gangs de jeunes en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire et particuli&egrave;rement &agrave; Abidjan. Les membres desdits gangs ont pris la d&eacute;nomination de &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo;. Le ph&eacute;nom&egrave;ne des gangs des microbes &agrave; Abidjan, &agrave; cause de sa r&eacute;currence et de sa prolif&eacute;ration, suscite l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des chercheurs (Sadia, 2014&nbsp;; Gaulithy, 2015&nbsp;; Bamba, 2016) et des organisations, notamment Interpeace &amp; Indigo C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire (2017) et l&rsquo;Office fran&ccedil;ais pour la protection des r&eacute;fugi&eacute;s et des apatrides (OFPRA) &agrave; travers sa division information documentation et recherches (DIDR) (2017). Ceux-ci sont pr&eacute;occup&eacute;s par le besoin de cerner les contours de ce gangst&eacute;risme juv&eacute;nile qui fait beaucoup de victimes &agrave; Abidjan.</p> <p>Au regard de ce qui pr&eacute;c&egrave;de, ces travaux quoique dignes d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, n&rsquo;en sont pas pour autant exempts de remarques. En effet, ils semblent occulter la question du genre, n&rsquo;ayant pas mis au c&oelig;ur de leur d&eacute;marche cette question, &agrave; savoir la place des filles au sein des gangs des microbes. Par ailleurs, la sant&eacute; mentale des jeunes impliqu&eacute;s dans les gangs des microbes appara&icirc;t de plus en plus comme une r&eacute;alit&eacute; largement sous-&eacute;valu&eacute;e, m&ecirc;me s&rsquo;il existe des &eacute;crits en la mati&egrave;re (Laurier, 2012&nbsp;; Chesney-Lind, 2015). Mais, ces &eacute;crits ne semblent aborder que la &laquo;&nbsp;r&eacute;alit&eacute; occidentale&nbsp;&raquo;, notamment le Qu&eacute;bec et les &laquo;&nbsp;Afro am&eacute;ricains&nbsp;&raquo;. Notre recherche entend justement s&rsquo;inscrire dans le contexte africain et particuli&egrave;rement ivoirien. Elle vise &agrave; r&eacute;pondre &agrave; diverses interrogations&nbsp;au nombre desquelles : comment et pourquoi des jeunes filles rejoignent-elles les gangs des microbes&nbsp;? Quels liens peut-on &eacute;tablir entre l&rsquo;appartenance &agrave; ce gang de rue et la victimisation des jeunes filles, et quelles sont les r&eacute;percussions de telles victimisations en termes de troubles de la sant&eacute; mentale&nbsp;?</p> <p>En ce qui concerne l&rsquo;&eacute;tude des gangs de rue, diff&eacute;rentes approches th&eacute;oriques permettent de comprendre l&rsquo;appartenance de jeunes &agrave; des groupes juv&eacute;niles producteurs de violence. Pour cette &eacute;tude, deux mod&egrave;les th&eacute;oriques paraissent int&eacute;ressants du fait qu&rsquo;ils semblent bien comprendre, d&rsquo;une part pourquoi des jeunes s&rsquo;affilient &agrave; des groupes d&eacute;viants pour commettre des d&eacute;lits et d&rsquo;autre part les r&ocirc;les qu&rsquo;ils jouent au sein desdits groupes. La premi&egrave;re grille th&eacute;orique &agrave; laquelle la pr&eacute;sente &eacute;tude fait r&eacute;f&eacute;rence est la th&eacute;orie de l&rsquo;apprentissage. Elle a plusieurs variantes : les th&eacute;ories de l&rsquo;apprentissage social de Bandura et de Feldman, la th&eacute;orie de l&rsquo;apprentissage de la conduite antisociale d&rsquo;Akers (Koudou, 2007). Bien qu&rsquo;elles soient int&eacute;ressantes, elles ne mettent pas en &eacute;vidence, entre autres, que l&rsquo;aspect cognitif en ignorant l&rsquo;environnement notamment du d&eacute;linquant dans lequel &eacute;volue l&rsquo;individu.</p> <p>C&rsquo;est la raison pour laquelle la variante de l&rsquo;apprentissage qui retient l&rsquo;attention dans cette recherche est la th&eacute;orie de l&rsquo;association diff&eacute;rentielle Sutherland (Gassin, 2003). Celle-ci fait r&eacute;f&eacute;rence aux habitudes acquises au travers des relations avec les autres individus et l&rsquo;environnement dans lequel le sujet agit. Elle postule que le comportement d&eacute;linquant n&rsquo;est pas inn&eacute;, mais appris. Cet apprentissage se fait essentiellement par l&rsquo;association avec d&rsquo;autres individus qui, eux, ont d&eacute;j&agrave; une exp&eacute;rience dans le domaine. L&rsquo;apprentissage fait donc r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la mise en contact avec un &laquo;&nbsp;r&eacute;seau&nbsp;&raquo; d&eacute;linquant (Koudou, 2007). Cette grille d&rsquo;analyse appara&icirc;t opportune du fait qu&rsquo;elle semble expliquer, en partie du moins, la mani&egrave;re dont les jeunes filles s&rsquo;affilient aux gangs des microbes.</p> <p>Le f&eacute;minisme constitue le second r&eacute;f&eacute;rentiel th&eacute;orique de cette recherche (Parent, 1992). L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour cette approche est triple. Tout d&rsquo;abord, elle permet de mieux comprendre la logique de domination masculine qui est pr&eacute;sente dans les gangs de rue mixtes. Aussi est-elle utile pour analyser le r&ocirc;le que jouent les jeunes filles au sein des gangs. Si auparavant le r&ocirc;le des jeunes filles dans ces bandes &eacute;tait essentiellement limit&eacute; &agrave; des t&acirc;ches de soutien ou d&rsquo;entretien du groupe, il est d&eacute;sormais de plus en plus fr&eacute;quent de voir des membres f&eacute;minins commettre eux-m&ecirc;mes des actes de violence. Ensuite elle offre une perspective f&eacute;ministe de l&rsquo;&eacute;tude des trajectoires, en s&rsquo;int&eacute;ressant au poids des diff&eacute;rentes formes de violences subies, et des d&eacute;savantages notamment au sein de la cellule familiale, comme des m&eacute;canismes qui poussent ou peuvent pousser des filles &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience d&eacute;viante, &agrave; se joindre &agrave; des gangs (Chesney-Lind, 2015). Enfin, la d&eacute;marche f&eacute;ministe s&rsquo;est, de mani&egrave;re pertinente, appuy&eacute;e sur l&rsquo;approche ph&eacute;nom&eacute;nologique pour &eacute;tudier le v&eacute;cu des jeunes filles ou femmes associ&eacute;es aux bandes d&eacute;linquantes. C&rsquo;est l&#39;un des grands m&eacute;rites du f&eacute;minisme que d&#39;avoir rappel&eacute; cette r&eacute;alit&eacute; essentielle et &eacute;largi l&#39;optique des chercheurs qui s&rsquo;int&eacute;ressent aux jeunes filles ou femmes contrevenantes.</p> <p>Cette &eacute;tude, de nature qualitative, se propose principalement d&rsquo;&eacute;tudier le v&eacute;cu de jeunes filles affili&eacute;es aux gangs des microbes. Secondairement, elle vise &agrave; comprendre les liens entre affiliation au gang et victimisation ainsi qu&rsquo;entre la victimisation et la sant&eacute; mentale de ces jeunes filles ayant appartenu aux gangs des microbes.</p> <p>Pour cette recherche deux hypoth&egrave;ses ont &eacute;t&eacute; formul&eacute;es. D&rsquo;une part, nous fondant sur la th&eacute;orie de l&rsquo;association diff&eacute;rentielle de Sutherland, nous postulons que les jeunes filles prennent la d&eacute;cision de rejoindre les gangs des microbes parce qu&rsquo;elles sont en relation sociale avec des membres desdits gangs. D&rsquo;autre part, au regard de l&rsquo;approche f&eacute;ministe, nous soutenons que plus la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation aux gangs est longue, plus les jeunes filles sont victimis&eacute;es et plus elles pr&eacute;sentent des troubles de sant&eacute; mentale.</p> <p>La d&eacute;marche m&eacute;thodologique emprunt&eacute;e pour v&eacute;rifier les hypoth&egrave;ses est d&eacute;crite ci-apr&egrave;s.</p> <h2>I. M&eacute;thodologie</h2> <h3>A. Caract&eacute;risation des variables</h3> <p>La premi&egrave;re hypoth&egrave;se a deux variables&nbsp;: une variable d&eacute;pendante (d&eacute;cision de rejoindre les gangs des microbes) et une variable ind&eacute;pendante (en relation sociale avec des membres des gangs).</p> <p>Les modalit&eacute;s de la variable d&eacute;pendante sont&nbsp;: prendre la d&eacute;cision de rejoindre les gangs des microbes et ne pas prendre la d&eacute;cision de rejoindre les gangs des microbes. Les dimensions de la variable ind&eacute;pendante sont&nbsp;: &ecirc;tre en relation sociale avec des membres des gangs et ne pas &ecirc;tre en relation sociale avec des membres des gangs.</p> <p>La seconde hypoth&egrave;se &eacute;nonc&eacute;e admet trois variables&nbsp;: une variable d&eacute;pendante (les troubles de sant&eacute; mentale), une variable ind&eacute;pendante (dur&eacute;e d&rsquo;affiliation aux gangs) et une variable interm&eacute;diaire (les victimisations).</p> <p>La variable &agrave; expliquer (les troubles de la sant&eacute; mentale) poss&egrave;de deux modalit&eacute;s que sont l&rsquo;existence de troubles et l&rsquo;inexistence de troubles. La variable interm&eacute;diaire (les victimisations) est concomitante et interagit avec la variable ind&eacute;pendante pour expliquer les troubles. Elle se r&eacute;f&egrave;re aux diff&eacute;rentes formes d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements v&eacute;cus par ces jeunes filles pendant leur association aux gangs de rue des microbes. La variable explicative (dur&eacute;e d&rsquo;affiliation aux gangs des microbes) a deux dimensions. Subs&eacute;quemment, la p&eacute;riode d&rsquo;affiliation inf&eacute;rieure ou &eacute;gale &agrave; trois mois est d&eacute;sign&eacute;e &laquo;&nbsp;courte dur&eacute;e&nbsp;&raquo; et celle qui exc&egrave;de trois mois est qualifi&eacute;e de &laquo;&nbsp;longue dur&eacute;e&nbsp;&raquo;.</p> <h3>B. Sujets</h3> <p>Dans le cadre de cette recherche, nous n&rsquo;avons voulu retenir que des sujets consid&eacute;r&eacute;s comme &laquo;&nbsp;mineures en conflit avec la loi&nbsp;&raquo;. Ainsi, nous avons interview&eacute; trois jeunes filles affili&eacute;es aux gangs de rue &agrave; Abidjan, qui ont &eacute;t&eacute; interpell&eacute;es et mises sous garde au Centre d&rsquo;observation des mineurs (COM) d&rsquo;Abidjan. Ces mineures contrevenantes ont &eacute;t&eacute; s&eacute;lectionn&eacute;es gr&acirc;ce &agrave; la technique du tri expertis&eacute; (Angers, 1992 cit&eacute; par Fournier, Cousineau &amp; Hamel, 2004). Cette technique a consist&eacute; &agrave; faire appel aux sp&eacute;cialistes, ici les intervenants du COM, pour confirmer que ces mineures en conflit avec la loi ont effectivement &eacute;t&eacute; associ&eacute;es &agrave; des gangs de rue et y ont v&eacute;cu certaines exp&eacute;riences. La fourchette d&rsquo;&acirc;ge de ces jeunes filles se situe entre 14 et 17 ans. La collecte des donn&eacute;es a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;e entre d&eacute;cembre 2016 et f&eacute;vrier 2017 et r&eacute;actualis&eacute;e en octobre 2019.</p> <h3>C. Instruments de collecte de donn&eacute;es</h3> <p>Pour cette &eacute;tude de cas, l&rsquo;utilisation de l&rsquo;observation documentaire (N&rsquo;Da, 2015), d&rsquo;entretiens individuels semi-directifs ainsi que d&rsquo;&eacute;chelles d&rsquo;&eacute;valuation a &eacute;t&eacute; n&eacute;cessaire. Ainsi, les dossiers individuels de chacune des mineures contrevenantes ont &eacute;t&eacute; consult&eacute;s aupr&egrave;s des services de l&rsquo;assistance socio-&eacute;ducative du COM. Cette observation indirecte a permis de recueillir des informations g&eacute;n&eacute;rales (&acirc;ge, niveau scolaire, domicile, fratrie, &eacute;tat de sant&eacute;, infraction commise, ant&eacute;c&eacute;dents judiciaires, etc.). Chaque enqu&ecirc;t&eacute;e a &eacute;t&eacute; aussi soumise &agrave; un entretien individuel semi-directif et &agrave; deux outils d&rsquo;&eacute;valuation. Les principaux th&egrave;mes abord&eacute;s au cours des entrevues sont les suivants&nbsp;: le processus d&rsquo;affiliation aux gangs, le mode op&eacute;ratoire des gangs, les exp&eacute;riences v&eacute;cues au sein desdits gangs et les rapports avec les personnes ext&eacute;rieures aux bandes de rue.</p> <p>Quant aux &eacute;chelles d&rsquo;&eacute;valuation, il s&rsquo;agit d&rsquo;une part de la version fran&ccedil;aise de l&rsquo;Impact of Event Scale &ndash; Revised (IES-R) (&eacute;chelle d&rsquo;impact de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement) et d&rsquo;autre part de l&rsquo;inventaire de d&eacute;pression de Beck, en anglais Beck Depression Inventory (BDI). L&rsquo;impact of Event Scale &ndash; Revised (IES-R) a &eacute;t&eacute; traduit par Brunet et coll. (1998) &agrave; partir de la forme r&eacute;vis&eacute;e de l&rsquo;&eacute;chelle d&rsquo;Horowitz (1979). Cette &eacute;chelle est construite autour du triptyque (Intrusion &ndash; Evitement &ndash; Hyperactivit&eacute; neurov&eacute;g&eacute;tative) et propose en 22 items, par exemple (&laquo; des images de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement surgissaient dans ma t&ecirc;te&nbsp;; j&rsquo;avais du mal &agrave; dormir&nbsp;; j&rsquo;ai r&ecirc;v&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement &raquo;) avec cinq niveaux de cotation allant de z&eacute;ro (pas du tout) &agrave; quatre (extr&ecirc;mement). Elle donne un score de s&eacute;v&eacute;rit&eacute; des sympt&ocirc;mes post-traumatiques &agrave; partir des trois sous-scores dont il faut faire la somme ou la moyenne. Un score total de 22 points obtenus indique la pr&eacute;sence d&rsquo;un &eacute;tat de stress aigu et un score de 36 points sugg&egrave;re l&rsquo;existence d&rsquo;un trouble de stress post-traumatiques. Cette &eacute;chelle a la qualit&eacute; d&rsquo;&eacute;valuer aussi bien l&rsquo;&eacute;tat de stress aigu (ESA) que l&rsquo;&eacute;tat de stress post-traumatique (ESPT) (Jehel &amp; Vermeiren, 2001).</p> <p>Par ailleurs, la version abr&eacute;g&eacute;e de l&rsquo;inventaire de d&eacute;pression de Beck est une compos&eacute;e de treize items. Chaque item est constitu&eacute; de quatre phrases (exemple de l&rsquo;item 1&nbsp;: Je ne me sens pas triste ; je me sens cafardeux ou triste ; je me sens tout le temps cafardeux ou triste et je n&rsquo;arrive pas en sortir ; je suis si triste et si malheureux que je ne peux pas le supporter.), correspondant &agrave; quatre degr&eacute;s d&rsquo;intensit&eacute; croissante d&rsquo;un sympt&ocirc;me : de z&eacute;ro &agrave; trois. La note globale est obtenue en faisant la somme des scores des treize items. L&rsquo;&eacute;tendue de l&rsquo;&eacute;chelle va de 0 &agrave; 39. Plus la note est &eacute;lev&eacute;e plus le sujet est d&eacute;prim&eacute;&nbsp;: de z&eacute;ro &agrave; treize (pas de d&eacute;pression)&nbsp;; de quatre &agrave; sept (d&eacute;pression l&eacute;g&egrave;re)&nbsp;; de huit &agrave; quinze (d&eacute;pression d&#39;intensit&eacute; moyenne) et de seize et plus (d&eacute;pression s&eacute;v&egrave;re) (Cottraux, 1996). Le BDI a permis de mesurer les cognitions d&eacute;pressives des mineures contrevenantes, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;&eacute;valuer les aspects subjectifs de leur d&eacute;pression.</p> <h3>D. M&eacute;thodes d&rsquo;analyse des donn&eacute;es</h3> <p>En effet, hormis les donn&eacute;es d&eacute;coulant des &eacute;chelles d&rsquo;&eacute;valuation, le contenu des verbatims des entrevues a fait l&rsquo;objet d&rsquo;une analyse qualitative. Aussi, l&rsquo;approche ph&eacute;nom&eacute;nologique a-t-elle &eacute;t&eacute; choisie pour mieux comprendre les exp&eacute;riences v&eacute;cues par les enqu&ecirc;t&eacute;es au sein des gangs des microbes. (N&rsquo;Da, 2015).</p> <h2>II. R&eacute;sultats</h2> <p>Les r&eacute;sultats s&rsquo;articulent autour de trois principaux points&nbsp;: l&rsquo;expos&eacute; des cas, le processus d&rsquo;affiliation des enqu&ecirc;t&eacute;es aux gangs des microbes et les victimisations de m&ecirc;me que leur retentissement sur la sant&eacute; mentale des jeunes filles.</p> <h3>A. Expos&eacute; des cas</h3> <p>Comme son nom l&rsquo;indique, l&rsquo;expos&eacute; des cas ne consistera qu&rsquo;&agrave; pr&eacute;senter le parcours de chacune des participantes retenues dans cette &eacute;tude sans faire d&rsquo;analyse. C&rsquo;est &agrave; la suite de cet expos&eacute; que la latitude nous sera donn&eacute;e de faire des commentaires et une analyse.</p> <h4>1. Cas Soya (pseudonyme)</h4> <p>L&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;e Soya a 17 ans au moment de l&rsquo;enqu&ecirc;te<a href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a>. Elle a un niveau troisi&egrave;me mais est sous ordonnance de garde provisoire (OGP) au Centre d&rsquo;observation des mineurs (COM) d&rsquo;Abidjan. Cette jeune fille avait l&rsquo;&acirc;ge de sept ans quand son p&egrave;re mourrait. Apr&egrave;s le d&eacute;c&egrave;s de ce dernier, la continuit&eacute; de l&rsquo;&eacute;ducation de cette orpheline est assur&eacute;e par le grand-p&egrave;re paternel qui la recueille chez lui. Soya a fr&eacute;quent&eacute; un &eacute;tablissement catholique pour jeunes filles dans une banlieue d&rsquo;Abidjan et a v&eacute;cu dans l&rsquo;internat dudit &eacute;tablissement. Elle dit avoir &eacute;t&eacute; exclue de ce pensionnat et de facto de l&rsquo;&eacute;tablissement pour manquement grave au r&egrave;glement int&eacute;rieur. En effet, elle avoue avoir fait des tatouages sur ses cuisses, une pratique qui &eacute;tait formellement interdite par le r&egrave;glement int&eacute;rieur de cette institution. Cette adolescente reconna&icirc;t avoir appartenu &agrave; une bande de jeunes microbes avec qui elle a pass&eacute; la majeure partie de ses journ&eacute;es. Elle a &eacute;t&eacute; interpell&eacute;e par la police &agrave; l&rsquo;issue d&rsquo;un vol. De fait, des semaines apr&egrave;s son exclusion du pensionnat de jeunes filles, Soya a pris l&rsquo;initiative d&rsquo;y retourner, un matin, en compagnie de certains amis. Cependant, elle a &eacute;t&eacute; la seule &agrave; escalader la cl&ocirc;ture du pensionnat et les autres l&rsquo;y attendaient dehors. Une fois sur les lieux, elle s&rsquo;est introduite furtivement dans les bureaux et dortoirs et y a d&eacute;rob&eacute; des objets et la somme de quatre cent mille francs CFA. Au moment de sa fuite, elle est aper&ccedil;ue et aussit&ocirc;t rattrap&eacute;e par les agents charg&eacute;s de la s&eacute;curit&eacute; des lieux. Ses autres complices prennent alors la fuite. Arr&ecirc;t&eacute;e, elle est mise &agrave; la disposition des autorit&eacute;s judiciaires. Au mois de novembre 2016, elle est admise au Centre d&rsquo;observation des mineurs.</p> <p>Son dossier individuel au COM mentionne qu&rsquo;elle est une d&eacute;linquante primaire. Cependant, au cours des entrevues r&eacute;alis&eacute;es, cette mineure a r&eacute;v&eacute;l&eacute; qu&rsquo;elle n&rsquo;&eacute;tait pas &agrave; son premier acte d&eacute;lictuel. Elle avoue avoir &eacute;t&eacute;, &agrave; maintes reprises, l&rsquo;auteur de plusieurs vols contre des membres de sa famille &eacute;largie comme en t&eacute;moignent ses propos&nbsp;: &laquo;&nbsp;avant qu&rsquo;on m&rsquo;attrape et qu&rsquo;on m&rsquo;am&egrave;ne ici, je volais des parents, des tontons et des tanties chez qui je partais. Je volais et puis je fuyais. A cause de &ccedil;a, ils ne veulent plus me voir chez eux &raquo;. Pour Soya, les objets ou sommes vol&eacute;s servaient &agrave; l&rsquo;entretien de la bande &agrave; laquelle elle appartenait. Cette d&eacute;claration de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;e est &eacute;vocatrice en la mati&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;ce que je vole, j&rsquo;envoie et on partage et on d&eacute;pense ensemble. Quand eux, ils ont pour eux, ils me donnent aussi.&nbsp;Nous sommes des fr&egrave;res de sang<a href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc">2</a>, c&rsquo;est comme &ccedil;a on fait&hellip; On marche ensemble, &ccedil;a fait un peu longtemps&hellip; 8 mois &raquo;.</p> <h4>2. Cas Betty (pseudonyme)</h4> <p>En quatri&egrave;me position dans une fratrie de six enfants, Betty est &acirc;g&eacute;e de seize ans<a href="#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc">3</a> et est non scolaris&eacute;e. Elle a &eacute;t&eacute; en mise sous garde en juin 2016 au Centre d&rsquo;observation des mineurs de Yopougon.</p> <p>Apr&egrave;s le divorce des parents, cette adolescente vit avec sa m&egrave;re dans un quartier pr&eacute;caire de la commune de Yopougon d&eacute;nomm&eacute; Mossikro. Son p&egrave;re, quant &agrave; lui, s&rsquo;est remari&eacute;. Betty ainsi que trois autres de ses fr&egrave;res sont &agrave; la charge de sa m&egrave;re qui a du mal &agrave; faire face, toute seule, aux nombreuses obligations li&eacute;es &agrave; son nouveau statut de m&egrave;re chef de famille. Sans emploi et sans occupation v&eacute;ritable, cette jeune fille passe la plupart de son temps donc en compagnie d&rsquo;amis qu&rsquo;elle a rencontr&eacute;s durant ses fr&eacute;quentes sorties tant diurnes que nocturnes. Betty dit appartenir &agrave; une bande mixte de jeunes microbes dans la commune de Yopougon&nbsp;: &laquo;&nbsp;j&rsquo;ai des camarades, filles comme gar&ccedil;ons, avec qui je me prom&egrave;ne&hellip; &Ccedil;a faisait deux mois qu&rsquo;on sortait, on faisait tout ensemble&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est au cours de l&rsquo;une de leurs sorties nocturnes que Betty et ses amis vont attaquer un h&ocirc;tel de la commune. Cette op&eacute;ration, mal planifi&eacute;e, tourne mal et la bande de jeunes, au nombre de six avec une parit&eacute; de sexe, est arr&ecirc;t&eacute;e et conduite au commissariat de l&rsquo;arrondissement. Cette adolescente dit avoir pass&eacute; trois mois en compagnie des autres membres de la bande. Le chef d&rsquo;accusation retenu contre elle et ses autres complices par la justice et pour lequel, elle est en observation au COM est l&rsquo;association de malfaiteurs, vol de nuit en r&eacute;union avec violences n&rsquo;ayant pas entra&icirc;n&eacute; des blessures, portant sur des t&eacute;l&eacute;phones portables et des sommes d&rsquo;argent.</p> <h4>3. Cas Ma&iuml; (pseudonyme)</h4> <p>Ag&eacute;e de quatorze ans<a href="#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc">4</a>, Ma&iuml; est d&eacute;scolaris&eacute;e et a le niveau CM2. Elle est une mineure en conflit avec la loi. D&eacute;linquante primaire selon son dossier individuel, cette adolescente a &eacute;t&eacute; arr&ecirc;t&eacute;e pour vol en r&eacute;union portant sur cinq complets de pagne. Vivant dans une famille monoparentale, cette enqu&ecirc;t&eacute;e a confi&eacute; qu&rsquo;elle a abandonn&eacute; l&rsquo;&eacute;cole &agrave; l&rsquo;&acirc;ge de treize ans pour des raisons &eacute;conomiques. Elle s&rsquo;est orient&eacute;e, par la suite, vers le commerce informel. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;elle est devenue une vendeuse ambulante. Dans cette activit&eacute;, elle a fait la rencontre de jeunes filles qui exer&ccedil;aient le m&ecirc;me m&eacute;tier qu&rsquo;elle. Cette rencontre avec ces jeunes filles qui appartenaient d&eacute;j&agrave; &agrave; une bande de jeunes d&eacute;linquants a &eacute;t&eacute; le point de d&eacute;part d&rsquo;une courte affiliation &agrave; cette bande. En effet, r&eacute;v&egrave;le Ma&iuml;, &laquo;&nbsp;&hellip; les filles avec qui je vendais sur la route m&rsquo;ont montr&eacute; au chef du groupe. Le chef m&rsquo;a dit de voler quelque chose pour leur envoyer. Apr&egrave;s ils ont dit d&rsquo;aller on va voler. C&rsquo;est quand on est parti voler pagnes qu&rsquo;on nous a attrap&eacute;s&nbsp;&raquo;. Lui ayant demand&eacute; combien de temps apr&egrave;s la premi&egrave;re rencontre avec le chef de gang, il leur a &eacute;t&eacute; demand&eacute; d&rsquo;aller voler ensemble, elle a r&eacute;pondu par ces mots : &laquo;&nbsp;&ccedil;a faisait un mois comme &ccedil;a.&nbsp;&raquo;</p> <p>Apr&egrave;s ce bref expos&eacute; des cas, nous aborderons dans la suite de nos propos le processus d&rsquo;association des sujets aux gangs des &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo; d&rsquo;une part et les victimisations et la sant&eacute; mentale de ces sujets d&rsquo;autre part.</p> <h3>B. Affiliation des enqu&ecirc;t&eacute;es aux gangs des microbes</h3> <p>L&rsquo;affiliation des jeunes filles aux gangs des microbes a &eacute;t&eacute; analys&eacute;e suivant deux axes&nbsp;: les facteurs d&rsquo;association et le processus d&rsquo;association.</p> <h4>1. Facteurs d&rsquo;association des enqu&ecirc;t&eacute;es aux gangs des microbes</h4> <p>A travers les r&eacute;cits des enqu&ecirc;t&eacute;es, l&rsquo;on s&rsquo;aper&ccedil;oit que l&rsquo;engagement dans les gangs des &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo; est un ph&eacute;nom&egrave;ne multifactoriel. En effet, les motivations qui ont conduit ces jeunes filles &agrave; s&rsquo;associer &agrave; leurs diff&eacute;rentes bandes sont diverses. Elles sont regroup&eacute;es autour de deux grandes cat&eacute;gories de facteurs&nbsp;: les probl&eacute;matiques familiales et les caract&eacute;ristiques personnelles.</p> <h5>Probl&eacute;matiques familiales</h5> <p>Institution de socialisation primaire, la famille n&rsquo;est pas toujours arriv&eacute;e &agrave; r&eacute;pondre aux attentes de certaines enqu&ecirc;t&eacute;es et &agrave; satisfaire leurs besoins essentiels (encadrement, protection et s&eacute;curit&eacute;). Ainsi, des difficult&eacute;s v&eacute;cues au sein des familles constituent un des motifs de l&rsquo;association de jeunes filles aux gangs de &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est le cas de Betty chez qui le manque d&rsquo;encadrement et de supervision parentale a &eacute;t&eacute; un facteur qui a facilit&eacute; son int&eacute;gration &agrave; la bande de jeunes d&eacute;linquants. Par ailleurs, Ma&iuml;, confront&eacute;e &agrave; l&rsquo;indigence &eacute;conomique de sa famille, a &eacute;t&eacute; contrainte d&rsquo;abandonner l&rsquo;&eacute;cole pour le commerce de rue. C&rsquo;est dans cet espace que cette enqu&ecirc;t&eacute;e a fait la rencontre de pairs d&eacute;linquants qui, par association et en lui faisant miroiter un &laquo;&nbsp;mieux-&ecirc;tre&nbsp;&raquo;, l&rsquo;ont conduite &agrave; leur bande. Pour ce faire, il existerait une relation entre la pauvret&eacute; de la famille et l&rsquo;adh&eacute;sion de cette jeune fille &agrave; son gang de rue. Fort de ces diff&eacute;rents v&eacute;cus familiaux, il n&rsquo;est pas infond&eacute; de consid&eacute;rer que l&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; un gang est li&eacute;e &agrave; une &lsquo;&rsquo;(m&eacute;s)adaptation&rsquo;&rsquo; familiale des jeunes filles, en qu&ecirc;te de reconnaissance et d&rsquo;appartenance. D&egrave;s lors, les gangs sont devenus pour ces enqu&ecirc;t&eacute;es une alternative &agrave; cette mauvaise adaptation &agrave; leurs familles d&rsquo;origine. De ce point de vue, les membres des gangs ont remplac&eacute; les membres des familles, et l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;fr&egrave;res de sang&nbsp;&raquo; employ&eacute;e par l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;e Soya traduit ais&eacute;ment sa repr&eacute;sentation de ce que sont les membres de son gang d&rsquo;appartenance.</p> <h5>Caract&eacute;ristiques personnelles</h5> <p>Les caract&eacute;ristiques personnelles que l&rsquo;&eacute;tude a pu mettre en &eacute;vidence sont essentiellement les difficult&eacute;s comportementales et les exp&eacute;riences de vie n&eacute;gatives. Les difficult&eacute;s comportementales des enqu&ecirc;t&eacute;es sont li&eacute;es &agrave; des situations d&rsquo;adversit&eacute; comme le d&eacute;c&egrave;s d&rsquo;un parent (Soya), le divorce ou la s&eacute;paration des g&eacute;niteurs (Betty, Ma&iuml;). Ces difficult&eacute;s r&eacute;sultent donc d&rsquo;une r&eacute;action &agrave; leur environnement imm&eacute;diat, aux probl&eacute;matiques familiales. Ces difficult&eacute;s montrent qu&rsquo;un ou plusieurs de leurs besoins n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; combl&eacute;s. Ce qui fait qu&rsquo;elles ont pr&eacute;sent&eacute; de r&eacute;elles difficult&eacute;s d&rsquo;adaptation qui ont affect&eacute; simultan&eacute;ment plusieurs sph&egrave;res de leur vie, notamment la sph&egrave;re scolaire (&eacute;chec scolaire), la sph&egrave;re familiale (fugue) et la sph&egrave;re sociale (d&eacute;linquance). Et parce que leurs besoins sont rest&eacute;s sans r&eacute;ponse ou insatisfaits, ces jeunes filles int&egrave;grent et int&eacute;riorisent &agrave; leur fonctionnement psychologique les r&eacute;percussions de ces difficult&eacute;s. Par la suite, elles ext&eacute;riorisent ces insatisfactions et ces frustrations par une prise de d&eacute;cision. En d&rsquo;autres termes, nos entretiens ont montr&eacute; que la volont&eacute; de ces jeunes filles d&rsquo;int&eacute;grer ces bandes de jeunes d&eacute;linquants d&eacute;rivait surtout du d&eacute;sir de r&eacute;soudre les difficult&eacute;s auxquelles elles sont confront&eacute;es.</p> <h4>2. Processus d&rsquo;association aux gangs</h4> <p>Le processus d&rsquo;appartenance des enqu&ecirc;t&eacute;es aux diff&eacute;rents gangs ob&eacute;it &agrave; une suite d&rsquo;op&eacute;rations successives&nbsp;: recrutement, initiation, acquisition du statut de membre.</p> <h5>Etape du recrutement</h5> <p>Le recrutement est l&#39;ensemble des actions mises en &oelig;uvre pour chercher, s&eacute;lectionner puis int&eacute;grer de nouveaux membres. Les donn&eacute;es du terrain r&eacute;v&egrave;lent que cette &eacute;tape ob&eacute;it &agrave; une rationalit&eacute; des jeunes filles, en raison de pr&eacute;f&eacute;rences, d&eacute;notant une recherche de profit. En effet, les trois mineures affirment toutes avoir rejoint leurs gangs respectifs par le biais d&rsquo;amis ou de camarades qui en &eacute;taient eux-m&ecirc;mes membres, affirmation confirm&eacute;e par ces propos&nbsp;: &laquo;&nbsp;il y a un jeune du quartier qui m&rsquo;a dit que mon comportement lui pla&icirc;t et il veut que j&rsquo;appartienne &agrave; son groupe et c&rsquo;est comme &ccedil;a que je l&rsquo;ai suivi&nbsp;&raquo; (Soya)&nbsp;; &laquo;&nbsp;c&rsquo;est une amie qui m&rsquo;a envoy&eacute;e dedans&nbsp;&raquo; (Betty)&nbsp;; &laquo;&nbsp;les filles avec qui je vendais sur la route m&rsquo;ont montr&eacute; au chef du groupe. C&rsquo;est lui qui m&rsquo;a dit de venir avec eux, et que si j&rsquo;acceptais, j&rsquo;allais avoir beaucoup de choses<a href="#sdfootnote5sym" name="sdfootnote5anc">5</a> comme mes camarades avec qui je vends. C&rsquo;est comme &ccedil;a que je suis rentr&eacute;e dans le groupe &raquo; (Ma&iuml;).&nbsp;</p> <p>Au regard de l&rsquo;association diff&eacute;rentielle de Sutherland, il faut n&eacute;cessairement &laquo;&nbsp;une porte d&rsquo;entr&eacute;e&nbsp;&raquo;, un point de contact entre un individu qui n&rsquo;a pas encore int&eacute;gr&eacute; un groupe d&eacute;linquant&nbsp;: un membre dudit groupe entretenant des relations sociales avec le &laquo;&nbsp;non membre&nbsp;&raquo;. Ainsi, dans les cas &eacute;tudi&eacute;s, nous remarquons cette donne (cf. &laquo;&nbsp;un jeune du quartier&nbsp;&raquo; (Soya) &raquo;, &laquo;&nbsp;une amie&nbsp;&raquo; (Betty), &laquo;&nbsp;les filles avec qui je vendais&nbsp;&raquo; (Ma&iuml;)). C&rsquo;est donc par le biais de cette personne-ressource que le contact avec le gang est &eacute;tabli, pour d&eacute;boucher in fine sur le recrutement.</p> <h5>Etapes d&rsquo;initiation et d&rsquo;acquisition du statut de membre</h5> <p>Apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;tape de recrutement, ces enqu&ecirc;t&eacute;es semblent &ecirc;tre toutes pass&eacute;es par une phase initiatique. C&rsquo;est une forme de test au cours duquel le nouveau membre doit d&eacute;montrer aux autres membres son aptitude &agrave; appartenir au gang en passant avec succ&egrave;s l&rsquo;&eacute;preuve. Le rituel initiatique auquel ces jeunes filles ont &eacute;t&eacute; toutes soumises est le vol, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;elle avait l&rsquo;obligation de rapporter au sein du gang un objet ou de l&rsquo;argent vol&eacute;. C&rsquo;est la satisfaction totale &agrave; cette obligation qui conf&egrave;re au nouveau membre le statut de membre du gang et permet de gagner la confiance du groupe.</p> <p>En tant que membres du gang, ces mineures ont &eacute;t&eacute; appel&eacute;es &agrave; jouer des r&ocirc;les pour assurer la p&eacute;rennit&eacute; et la coh&eacute;sion de la bande. L&rsquo;une des enqu&ecirc;t&eacute;es (Betty) dit avoir jou&eacute; des r&ocirc;les que nous d&eacute;signons sous le vocable de &laquo;&nbsp;r&ocirc;les subalternes&nbsp;&raquo;. Dans ces r&ocirc;les, elle a &eacute;t&eacute; dans une position subordonn&eacute;e, invisible ou alors rel&eacute;gu&eacute;e &agrave; des t&acirc;ches purement secondaires d&#39;assistance aux gar&ccedil;ons. C&rsquo;est ce qu&rsquo;elle explique dans cet extrait de son discours&nbsp;: &laquo; Moi et puis certaines filles, on reste dans le fumoir et quand les gar&ccedil;ons viennent avec ce qu&rsquo;ils prennent avec les gens, c&rsquo;est nous qui gardons &ccedil;a. Ou bien les chefs nous disent d&rsquo;aller vendre aussi pour leur envoyer l&rsquo;argent. &raquo;</p> <p>En revanche, Soya, plus int&eacute;gr&eacute;e, a eu des r&ocirc;les primaires. La jeune fille a &eacute;t&eacute; en premi&egrave;re ligne jouant les premiers r&ocirc;les, visible, pratiquant les activit&eacute;s ill&eacute;gales et violentes au m&ecirc;me titre que les gar&ccedil;ons&nbsp;: &laquo; Je vais aussi sur le terrain pour ratisser avec mes fr&egrave;res de sang&hellip; On s&rsquo;appelle fr&egrave;res de sang parce qu&rsquo;on partage tout, ensemble, on vit ensemble, on cause ensemble, on mange ensemble, on dort ensemble, on fait tout ensemble. Quand on va, chacun a son petit couteau sur lui. &raquo; Par ailleurs, elle ne nie pas avoir &eacute;t&eacute; souvent un objet sexuel pour certains membres du gang&nbsp;: &laquo;&nbsp;ils m&rsquo;ont fait &ccedil;a&nbsp;&raquo;, a-t-elle ajout&eacute;.</p> <p>Ces trois phases r&eacute;sument globalement les circonstances et les modes d&rsquo;affiliation de ces mineurs aux bandes de rue et les diff&eacute;rentes fonctions occup&eacute;es<a href="#sdfootnote6sym" name="sdfootnote6anc">6</a>. Notons au regard des r&eacute;cits relat&eacute;s par nos sujets, le r&ocirc;le important du &laquo;&nbsp;tutorat&nbsp;&raquo; exerc&eacute; par le ou les pair(s) d&eacute;linquant(s) plus exp&eacute;riment&eacute;s dans le processus d&rsquo;affiliation de la jeune fille au gang. C&rsquo;est le tuteur qui favorise tant le recrutement et l&rsquo;initiation que le statut de membre.</p> <p>Par ailleurs, les raisons de l&rsquo;affiliation varient d&rsquo;une enqu&ecirc;t&eacute;e &agrave; une autre. Si la qu&ecirc;te de la reconnaissance et de la valorisation sociale justifierait l&rsquo;affiliation de Soya &agrave; son gang, Betty et Ma&iuml; auraient plut&ocirc;t &eacute;t&eacute; motiv&eacute;es par des raisons de subsistance li&eacute;es &agrave; la satisfaction de leurs besoins primaires.</p> <p>Il est bon de souligner que, si l&rsquo;affiliation de ces adolescentes aux gangs rel&egrave;ve d&rsquo;un choix individuel rationnel et volontaire, il en est autrement de leur &laquo;&nbsp;d&eacute;saffiliation&nbsp;&raquo; qui, elle, est totalement involontaire dans la mesure o&ugrave; les liens avec les gangs ont &eacute;t&eacute; rompus &agrave; cause des diff&eacute;rentes interpellations par la police. Ces donn&eacute;es permettent de mettre en &eacute;vidence le caract&egrave;re rationnel et volontaire de l&rsquo;int&eacute;gration aux groupes de pairs d&eacute;linquants par les jeunes en g&eacute;n&eacute;ral et les jeunes filles en particulier, qui a pour point de d&eacute;part un besoin &eacute;prouv&eacute; par le sujet (cf. &laquo;&nbsp;reconnaissance et valorisation sociale&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;besoins primaires&nbsp;&raquo;). Cela, par l&rsquo;entremise d&rsquo;un tuteur, favorise son recrutement, son initiation et son acquisition du statut de membre. Par un processus de communication &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du gang, la jeune fille va &laquo;&nbsp;apprendre&nbsp;&raquo; en menant des activit&eacute;s ill&eacute;gales (vols, agressions, recel, etc.) &laquo;&nbsp;se perfectionner&nbsp;&raquo;. Ce groupe, pour le regard ext&eacute;rieur<a href="#sdfootnote7sym" name="sdfootnote7anc">7</a>, est d&eacute;linquant&nbsp;; il &eacute;volue en dehors des valeurs et des normes. Toutefois, pour les membres des gangs, notamment les jeunes filles, ces groupes sont per&ccedil;us comme s&eacute;curisants puisqu&rsquo;il s&rsquo;y d&eacute;roule des relations sociales marqu&eacute;es par la solidarit&eacute; (cf. ce qui a &eacute;t&eacute; indiqu&eacute; plus haut&nbsp;: &laquo;&nbsp;on partage tout, ensemble, on vit ensemble, on cause ensemble, on mange ensemble, on dort ensemble, on fait tout ensemble&nbsp;&raquo;.), la fraternit&eacute; (cf. &laquo; nous sommes fr&egrave;res de sang&nbsp;&raquo;). C&rsquo;est donc cet environnement qui &agrave; la fois s&eacute;curise le sujet (la jeune fille) et l&rsquo;endurcit dans son activit&eacute; criminelle (membre du gang). Ainsi, pourrait &ecirc;tre pr&eacute;sent&eacute;e la d&eacute;cision des jeunes filles de s&rsquo;affilier &agrave; un groupe d&eacute;linquant (le gang des microbes) &agrave; la lecture de notre perspective th&eacute;orique&nbsp;: l&rsquo;association diff&eacute;rentielle.</p> <p>Par ailleurs, il nous &eacute;t&eacute; donn&eacute; de constater que les enqu&ecirc;t&eacute;es ont rejoint les gangs de microbes parce qu&rsquo;elles ont pr&eacute;sent&eacute; plusieurs handicaps au niveau de la famille&nbsp;: famille d&eacute;sunie et faible surveillance maternelle qui se caract&eacute;rise par le laxisme et l&rsquo;absence de la m&egrave;re. En somme, il y a une absence de supervision parentale<a href="#sdfootnote8sym" name="sdfootnote8anc">8</a> (Betty), des relations tr&egrave;s probl&eacute;matiques avec la famille<a href="#sdfootnote9sym" name="sdfootnote9anc">9</a> et des pressions li&eacute;es &agrave; l&rsquo;indigence &eacute;conomique (Ma&iuml;). Elles s&rsquo;y sont senties abandonn&eacute;es. Outre ces d&eacute;savantages familiaux &eacute;num&eacute;r&eacute;s pr&eacute;c&eacute;demment, la violence constitue un fait marquant de l&rsquo;histoire de vie des enqu&ecirc;t&eacute;es, en particulier Soya. En effet, sa fuite du domicile familial pour rejoindre le gang des microbes constituait une &eacute;chappatoire &agrave; la violence physique et verbale qu&rsquo;elle subissait au contact de ses parents. D&egrave;s lors, les diff&eacute;rents gangs constituaient pour ces participantes des familles de substitution. On comprend mieux d&egrave;s lors la raison pour laquelle elle pouvait tenir les propos suivants&nbsp;: &laquo;&nbsp;ce que je vole, j&rsquo;envoie et on partage et on d&eacute;pense ensemble. Quand eux, ils ont pour eux, ils me donnent aussi.&nbsp;Nous sommes des fr&egrave;res de sang, c&rsquo;est comme &ccedil;a on fait&hellip; On marche ensemble, &ccedil;a fait un peu longtemps&hellip; 8 mois &raquo;.</p> <p>Cette constatation montre bien l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de s&rsquo;&ecirc;tre int&eacute;ress&eacute; aux trajectoires de vie des enqu&ecirc;t&eacute;es afin de mieux comprendre leur implication dans les gangs des microbes et les comportements d&eacute;linquants qu&rsquo;elles y ont adopt&eacute;s, en r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la th&eacute;orie f&eacute;ministe.</p> <p>Apr&egrave;s avoir abord&eacute; le processus d&rsquo;affiliation des jeunes filles &agrave; ces gangs, voyons &agrave; pr&eacute;sent les victimisations subies par les mineures en conflit avec la loi et l&rsquo;impact sur leur sant&eacute; mentale.</p> <h3>C. Victimisations et leur retentissement sur la sant&eacute; mentale des mineures en conflit avec la loi</h3> <h4>1. Victimisations subies</h4> <p>Pendant la dur&eacute;e de leur affiliation aux gangs de rue, ces mineures contrevenantes ont connu des fortunes diverses. Le tableau ci-apr&egrave;s pr&eacute;sente de fa&ccedil;on synth&eacute;tique les diff&eacute;rentes victimisations qu&rsquo;elles ont subies ainsi que les auteurs desdites victimisations.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Tableau 1&nbsp;: R&eacute;partition des enqu&ecirc;t&eacute;es en fonction de la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation et des victimisations subies</p> <p>Source&nbsp;: notre enqu&ecirc;te, 2016-2017</p> <p>&nbsp;</p> <p>Les victimisations subies par ces adolescentes sont de plusieurs formes&nbsp;: physiques (coups et blessures), psychologiques (humiliations, d&eacute;valorisation et privations), verbales (injures d&eacute;gradantes), sexuelles (attouchements sexuels et viols) et auto-victimisations (consommation de substances psychoactives). Soya, dont la dur&eacute;e d&rsquo;association &agrave; son gang est de huit mois, cumule plusieurs formes de victimisation. Betty r&eacute;unit trois formes de victimisation apr&egrave;s avoir pass&eacute; trois mois en compagnie de sa bande de rue. Ma&iuml; pr&eacute;sente, quant &agrave; elle, pour avoir particip&eacute; pendant un mois aux activit&eacute;s du gang des microbes, deux formes de victimisation, notamment des coups re&ccedil;us des populations lors de son arrestation et surtout les agressions sexuelles par les pairs. Les donn&eacute;es du tableau 1 nous conduisent &agrave; faire quelques remarques. D&rsquo;une part, quelle que soit la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation, on est toujours victimis&eacute;, particuli&egrave;rement les abus physiques. D&rsquo;autre part, le nombre de victimisations subies semble &ecirc;tre li&eacute; &agrave; la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation. Autrement dit, les jeunes filles qui sont plus victimis&eacute;es, le sont parce qu&rsquo;elles ont pass&eacute; plus de temps au sein des gangs. Aussi, ces victimisations ne sont pas uniquement le fait des pairs du gang, elles impliquent &eacute;galement les populations par leurs injures ainsi que leurs atteintes &agrave; l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; physique des mineures contrevenantes et les adolescentes elles-m&ecirc;mes par leur consommation des substances psychoactives. Il reste tout de m&ecirc;me av&eacute;r&eacute; que certaines de ces adolescentes ont &eacute;t&eacute; t&eacute;moins et/ou auteurs d&rsquo;actes de violence envers autrui. C&rsquo;est le cas de la jeune Soya.</p> <h4>2. Retentissement des victimisations sur la sant&eacute; mentale des mineures contrevenantes</h4> <p>Les mineures en conflit avec la loi que nous avons interrog&eacute;es ont v&eacute;cu une diversit&eacute; d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements traumatisants dont le retentissement dans leurs sph&egrave;res &eacute;motionnelle, comportementale et sociale est significatif. Le tableau suivant pr&eacute;sente les r&eacute;sultats des &eacute;valuations de la d&eacute;pression subjective et du syndrome post-traumatique.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Tableau 2</p> <p>Source&nbsp;: notre enqu&ecirc;te, 2016-2017</p> <p>&nbsp;</p> <p>Les informations contenues dans le tableau ci-dessus rel&egrave;vent chez Soya et Ma&iuml; un niveau de d&eacute;pression et de trouble de stress post-traumatique plus &eacute;lev&eacute; que chez Betty. Ces observations ne montrent aucun lien entre la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation et les probl&egrave;mes de sant&eacute; mentale. Autrement dit les sympt&ocirc;mes pr&eacute;sent&eacute;s par les jeunes filles ne sont pas li&eacute;s au temps pass&eacute; au sein de la bande.</p> <h2>III. Discussion</h2> <p>L&rsquo;&eacute;tude visait deux objectifs. Le premier se proposait de comprendre le v&eacute;cu de jeunes filles affili&eacute;es aux gangs des microbes. Le second aspirait &agrave; &eacute;valuer la nature des victimisations v&eacute;cues par ces adolescentes et les troubles mentaux y aff&eacute;rents. Deux hypoth&egrave;ses ont &eacute;t&eacute; &eacute;nonc&eacute;es pour l&rsquo;&eacute;tude. La premi&egrave;re repose sur l&rsquo;id&eacute;e que les jeunes filles prennent la d&eacute;cision de rejoindre les gangs des microbes parce qu&rsquo;elles sont en relation sociale avec des membres desdits gangs. La seconde hypoth&egrave;se postule que plus la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation aux gangs est longue, plus les jeunes filles sont victimis&eacute;es et plus elles pr&eacute;sentent des troubles de sant&eacute; mentale.</p> <p>L&rsquo;&eacute;tude a permis de faire trois constatations essentielles&nbsp;: l&rsquo;affiliation, un choix sans contrainte, les violences et les agressions, une r&eacute;alit&eacute; pr&eacute;gnante du v&eacute;cu de jeunes filles impliqu&eacute;es dans les gangs de rue et le lien entre troubles mentaux et la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation.</p> <h3>A. L&rsquo;affiliation, un choix&hellip; sans contrainte</h3> <p>Les donn&eacute;es du terrain montrent que les trois enqu&ecirc;t&eacute;es se sont affili&eacute;es sans aucune contrainte aux diff&eacute;rents gangs. En sus, leurs premiers contacts avec les bandes des microbes ont &eacute;t&eacute; facilit&eacute;s par des connaissances qui appartenaient d&eacute;j&agrave; aux gangs. Une fois dans le groupe, elles ont pos&eacute; des actes pour se faire accepter. Tous ces faits valident la th&eacute;orie de l&rsquo;association diff&eacute;rentielle de Sutherland convoqu&eacute;e pour cette recherche. Pour cette th&eacute;orie, le comportement d&eacute;lictueux est appris par association avec des pairs dans lequel on note transmission et imitation de techniques et attitudes d&eacute;linquantes. Dans le cadre de notre &eacute;tude, cette th&eacute;orie nous a permis de mettre en &eacute;vidence comment s&rsquo;est faite l&rsquo;affiliation des jeunes filles&nbsp;: certes une association &agrave; des r&eacute;f&eacute;rents d&eacute;linquants mais &eacute;galement une d&eacute;cision personnelle de faire partie du groupe ainsi que des actes pos&eacute;s pour gagner la confiance du groupe et recevoir son acceptabilit&eacute;.</p> <h3>B. Les violences et les agressions, une r&eacute;alit&eacute; pr&eacute;gnante du v&eacute;cu de jeunes filles impliqu&eacute;es dans les gangs de rue</h3> <p>Les r&eacute;sultats pr&eacute;sentent les violences et les agressions comme une r&eacute;alit&eacute; pr&eacute;gnante du v&eacute;cu de jeunes filles impliqu&eacute;es dans des gangs de rue. De ce point de vue, les r&eacute;sultats rejoignent ceux de Fournier, Cousineau &amp; Hamel (2004) et de Chesney-Lind (2015) qui soulignent que les victimisations constituent un aspect marquant de l&rsquo;exp&eacute;rience de jeunes filles associ&eacute;es aux gangs. Par ailleurs, la pr&eacute;sente &eacute;tude postule que, dor&eacute;navant, la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation &agrave; la bande est une variable &agrave; prendre en compte dans l&rsquo;exp&eacute;rience de victimisations, car la victimisation multiple et r&eacute;p&eacute;t&eacute;e serait li&eacute;e &agrave; la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation &agrave; la bande.</p> <p>Il convient de remarquer que les r&ocirc;les jou&eacute;s par les jeunes filles au sein des diff&eacute;rents gangs, les victimisations subies, les troubles pr&eacute;sent&eacute;s. En somme, le v&eacute;cu de ces enqu&ecirc;t&eacute;es conforte le choix et l&rsquo;utilit&eacute; de l&rsquo;approche f&eacute;ministe pour cette &eacute;tude.</p> <h3>C. Le lien entre troubles mentaux et la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation</h3> <p>Il ressort de l&rsquo;&eacute;tude qu&rsquo;il n&rsquo;existe aucun lien causal direct entre les troubles mentaux pr&eacute;sent&eacute;s par les sujets et la dur&eacute;e d&rsquo;affiliation dans la mesure o&ugrave; Ma&iuml;, apr&egrave;s seulement un mois de fr&eacute;quentation de son gang pr&eacute;sente les m&ecirc;mes sympt&ocirc;mes que Soya qui a huit mois d&rsquo;affiliation. Ce qui signifie que d&rsquo;autres param&egrave;tres tels que la caract&eacute;ristique de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement victimisant peuvent &eacute;galement d&eacute;terminer le rapport de l&rsquo;individu &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement&nbsp;; l&rsquo;association &agrave; un gang n&rsquo;est donc pas sans cons&eacute;quences (Laurier, 2012&nbsp;; Chesney-Lind, 2015).</p> <p>Au regard de ce qui pr&eacute;c&egrave;de, on peut affirmer que la premi&egrave;re hypoth&egrave;se de l&rsquo;&eacute;tude est confirm&eacute;e, alors que la seconde l&rsquo;est partiellement. Qui plus est, cette recherche r&eacute;affirme que le ph&eacute;nom&egrave;ne des microbes &agrave; Abidjan n&rsquo;est pas exclusivement masculin comme laisse croire une certaine opinion. M&ecirc;me si la litt&eacute;rature indique une pratique &agrave; dominante masculine, nos r&eacute;sultats renforcent l&rsquo;apparence mixte du ph&eacute;nom&egrave;ne, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;on y trouve aussi bien des gar&ccedil;ons que des filles. Cette mixit&eacute; du ph&eacute;nom&egrave;ne avait d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; mise en &eacute;vidence par Sadia (2014) qui avait pr&eacute;sent&eacute; le &laquo;&nbsp;petit gar&ccedil;on&nbsp;&raquo;, surnom donn&eacute; &agrave; une mineure &laquo;&nbsp;microbe&nbsp;&raquo; de quinze ans s&eacute;journant au Centre d&rsquo;observation des mineurs pour le d&eacute;lit d&rsquo;association de malfaiteurs. Par ailleurs, les r&eacute;sultats mettent en &eacute;vidence une forme de &laquo;&nbsp;fraternit&eacute; criminelle&nbsp;&raquo; entre les membres des gangs des microbes, bas&eacute;s sur l&rsquo;entraide et la solidarit&eacute;. Les travaux r&eacute;alis&eacute;s pr&eacute;c&eacute;demment en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire par Interpeace &amp; Indigo (2017)&nbsp;et DIDR-OFPRA (2017) sur la probl&eacute;matique consolident cette observation. Aux Etats-Unis, Adler (1975) avait fait le m&ecirc;me constat au sein des gangs f&eacute;minins quand il a parl&eacute; de &laquo;&nbsp;sisters in crime&nbsp;&raquo;. Les r&eacute;sultats de l&rsquo;&eacute;tude ont des rapports de similitude avec les recherches men&eacute;es au Canada (Lanct&ocirc;t &amp; LeBlanc, 1996) et aux Etats-Unis (Adler, 1975&nbsp;; Choo, 2007) qui &eacute;voquent la pr&eacute;sence de filles dans certains gangs de rue.</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: center;">*</p> <p style="text-align: center;">* *</p> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;un des enseignements majeurs de cette &eacute;tude est que les cas &eacute;tudi&eacute;s, c&rsquo;est-&agrave;-dire les trois jeunes filles impliqu&eacute;es dans les gangs de rue &agrave; Abidjan souffrent de probl&egrave;mes de sant&eacute; mentale. Cette recherche a consist&eacute; &agrave; faire une &eacute;tude de cas, ce qui pourrait laisser entrevoir des limites quant &agrave; la repr&eacute;sentativit&eacute; de l&rsquo;&eacute;chantillon en vue de la g&eacute;n&eacute;ralisation des r&eacute;sultats. En d&eacute;pit de cet &eacute;tat de fait, ils nous permettent de mettre en &eacute;vidence que les actes de violence qui caract&eacute;risent les membres de ces bandes cachent ces souffrances psychiques. Ce sont des sujets qui sont en difficult&eacute; et la violence dont ils font preuve devrait &ecirc;tre per&ccedil;ue comme une forme d&rsquo;appel &agrave; l&rsquo;aide. Aide, parce que ce sont des personnes en d&eacute;tresse et les diff&eacute;rents &eacute;v&eacute;nements de vie v&eacute;cus semblent avoir boulevers&eacute; le monde int&eacute;rieur de ces jeunes. Les actes de violences perp&eacute;tr&eacute;s ne sont, en r&eacute;alit&eacute;, qu&rsquo;une expression de cette souffrance, de cette blessure int&eacute;rieure qui suppure. Leur action violente n&rsquo;est que la face visible de l&rsquo;iceberg. Toute la grande partie enfouie repr&eacute;sente les troubles internalis&eacute;s qui ont besoin d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;v&eacute;l&eacute;s par une &eacute;valuation syst&eacute;matique. Cela requiert, en cons&eacute;quence, l&rsquo;intervention aupr&egrave;s de cette client&egrave;le sinistr&eacute;e, d&rsquo;un sp&eacute;cialiste de la sant&eacute; mentale qui prendra en compte l&rsquo;&eacute;tat de sant&eacute; mentale du client. Ce sont donc des sujets &agrave; risque qui ne sont pas &agrave; l&rsquo;abri de la r&eacute;cidive. Il y a lieu de mettre en place une v&eacute;ritable politique de pr&eacute;vention que nous appelons &laquo;&nbsp;pr&eacute;vention &eacute;cosyst&eacute;mique&nbsp;&raquo; qui, en plus des jeunes, pourrait int&eacute;grer la famille, l&rsquo;&eacute;cole et la communaut&eacute;. Cette pr&eacute;vention &eacute;cosyst&eacute;mique a la particularit&eacute; d&rsquo;ancrer les solutions dans le milieu des individus.</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>Adler, F. (1975). <em>Sisters in Crime. The Rise of the New Female Criminal</em>, New York: McGraw-Hill.</p> <p>Bamba, L. (2016). <em>Expos&eacute; sur le ph&eacute;nom&egrave;ne des bandes de rue : cas des jeunes d&rsquo;Abidjan d&eacute;nomm&eacute;s &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo;</em>. Paris&nbsp;: Edilivre-Aparis.</p> <p>Cottraux, J. (1996). &laquo;&nbsp;Inventaire abr&eacute;g&eacute; de d&eacute;pression de Beck (13 <em>items</em>)&nbsp;&raquo;. In J. D. Guelfi (Ed.), <em>L&#39;&eacute;valuation clinique standardis&eacute;e en psychiatrie</em>, Tome 1. Boulogne : &Eacute;ditions M&eacute;dicales Pierre Fabre, p. 291-295.</p> <p>Chesney-Lind, M. (2015). &laquo;&nbsp;Les filles et les gangs&nbsp;: contextes et r&eacute;percussions pour les femmes&nbsp;&raquo;, <em>Criminologie</em>, 48 (2) : p. 209-235.</p> <p>Choo, K.S. (2007). <em>Gangs and immigrant youth.</em> New-York, NY: LFB Scholary Publishing LLC.</p> <p>Division Information Documentation Recherches-Office Fran&ccedil;ais de Protection des R&eacute;fugi&eacute;s et des Apatrides (2017). <em>Les groupes de &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo; &agrave; Abidjan. Fonctionnement des gangs et politique de lutte des autorit&eacute;s</em>. OFPRA, consult&eacute; le 22 novembre 2017 depuis <a href="about:blank#C%C3%B4te%20d'Ivoire" target="_top">https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/nos-publications/afrique#C&ocirc;te d&#39;Ivoire</a></p> <p>Durkheim, E. (1894). <em>Les r&egrave;gles de la m&eacute;thode sociologique</em>. Paris, P.U.F., coll. &laquo;&nbsp;Quadrige Grands textes&nbsp;&raquo;, 2007.</p> <p>Fournier, M., Cousineau M.-M. &amp; Hamel, S. (2004). &laquo;&nbsp;La victimisation : un aspect marquant de l&rsquo;exp&eacute;rience des jeunes filles dans les gangs&nbsp;&raquo;. <em>Criminologie</em>, 37(1)&nbsp;: p. 149-166.</p> <p>Gassin, R. (2003). <em>La criminologie</em>. Paris&nbsp;: Dalloz.</p> <p>Gaulithy, K. G. (2015). &laquo;&nbsp;Les gangs des &laquo;&nbsp;microbes&nbsp;&raquo; &agrave; Abidjan&nbsp;&raquo;. <em>Revue Internationale de Criminologie et de Police Technique et Scientifique</em>, 68(4)&nbsp;: p.&nbsp;406-422.</p> <p>Guay, J.-P., et Fredette, C. (dir.),&nbsp;<em>Le ph&eacute;nom&egrave;ne des gangs de rue</em>. Montr&eacute;al, Qu&eacute;bec&nbsp;: Les Presses de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al.</p> <p>Interpeace &amp; Indigo C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire (2017). <em>Exister par le gbonhi. Engagement des adolescents et jeunes dits &ldquo;microbes&rdquo; dans la violence &agrave; Abobo (Abidjan, C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire)</em>. Rapport de recherche participative. Unicef &amp; Pnud.</p> <p>Jehel, L. &amp; Vermeiren, E. (2001). &laquo;&nbsp;Evaluation psychom&eacute;trique des troubles post-traumatiques&nbsp;&raquo;. In De Clercq M., Lebigot F (Ed.), <em>Les Traumatismes psychiques</em>. Paris : Masson, p.&nbsp;351-369.</p> <p>Koudou, O. (2007). <em>Histoire de la criminologie. Les grands courants th&eacute;oriques d&rsquo;hier &agrave; aujourd&rsquo;hui</em>. Abidjan&nbsp;: Presse Universitaire d&rsquo;Abidjan.</p> <p>Lanct&ocirc;t, N. &amp; LeBlanc, M. (1996). <em>Filles et gar&ccedil;ons, membres des bandes marginales</em>. Groupe de recherche sur les adolescents en difficult&eacute;. Ecole de Psycho&eacute;ducation, Universit&eacute; de Montr&eacute;al.</p> <p>Laurier, C. (2012). &laquo;&nbsp;La sant&eacute; mentale des jeunes contrevenants associ&eacute;s aux gangs de rue&nbsp;&raquo;. 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