<p style="text-align:justify">Depuis un peu plus d’un siècle, une nouvelle icône s’est ajoutée à l’imaginaire collectif : l’empreinte négative de main d’homme, dont on trouve des exemples sur l’ensemble de la planète. Celui (ou celle) qui fit ce geste se dédoubla : en retirant sa main restée tâchée de pigment, il put à la fois s’identifier et se reconnaître autre. S’il put mesurer dans ce geste de retrait qui laissait en creux son image quelque chose comme un « Je est un autre », l’altérité intime de cette trace hante à son tour notre contemporain. Ces mains donnent à éprouver un trouble et appellent aujourd’hui encore à la reconnaissance d’une humanité en partage. Mais dans la curieuse intersubjectivité transhistorique du salut qu’il amorce, l’homme préhistorique reste un alter ego sans visage. Dans la mesure où cet autre est aussi une part de soi — puisque l’homo sapiens fait communauté à travers les âges —, vouloir comprendre l’altérité immémoriale s’avère une préoccupation éthique qui s’attèle à la question de ce qu’être humain veut dire. Quelles stratégies adopter pourtant quand la rencontre avec l’altérité n’est plus possible qu’à travers de rares vestiges ? Comment penser le semblable irréductiblement différent dans son éloignement temporel ? Nous voudrions considérer un nouveau primitivisme de la création contemporaine qui ne cherche plus l’autre dans l’ailleurs exotique mais dans le temps reculé. Pour ce faire, nous pourrions nous appuyer sur deux exemples significatifs, l’un emprunté à la littérature, l’autre aux arts-plastiques. Chez Pascal Quignard, l’autre préhistorique s’éprouve comme une hantise, comme une figure du manque. L’épreuve est celle d’un désir d’une rencontre impossible. De même, l’épreuve étant aussi une expérience à laquelle on peut se soumettre dans un but heuristique, Miquel Barceló et Joseph Nadj expérimentent l’altérité en endossant la condition de peintre pariétal lors de la performance Paso doble donnée dans l’église des Célestins transformée en caverne pour le festival d’Avignon en 2006. L’épreuve physique des corps en action invite alors les spectateurs à sentir l’étrangeté du spectacle auquel ils assistent. Nous nous proposons ainsi de sonder l’épreuve de l’altérité préhistorique, tant du point de vue du créateur que du récepteur, à l’aune du concept freudien d’« inquiétante étrangeté », cet « Unheimliche » qui n'est en réalité rien de nouveau, d'étranger, mais bien plutôt quelque chose de familier, depuis toujours, à la vie psychique, et que le processus du refoulement seul a rendu autre. »</p>
<p style="text-align:justify"><strong>Mots-clés : </strong>inquiétante étrangeté, altérité, primitivisme, préhistoire, art pariétal, littérature, Pascal Quignard, arts plastiques, performance, Miquel Barceló, Joseph Nadj</p>