<h2>Introduction</h2> <p style="text-align:justify">L&rsquo;immigration est en Europe, cela n&rsquo;aura &eacute;chapp&eacute; &agrave; personne, l&rsquo;objet de d&eacute;bats intenses. La question de l&rsquo;immigration est politiquement tr&egrave;s sensible, d&rsquo;autant que les extr&ecirc;mes-droites sont &agrave; l&rsquo;aff&ucirc;t dans toute l&rsquo;Europe et attisent le brasier. Le th&egrave;me de l&rsquo;immigration mobilise non seulement les politiques mais &eacute;galement les intellectuels qui ne manquent pas une occasion d&rsquo;intervenir. L&rsquo;immigration est devenue un marqueur id&eacute;ologique et politique entre des p&ocirc;les qui se r&eacute;clament encore de la gauche ou de la droite. En effet, il n&rsquo;existe pratiquement plus aucun d&eacute;saccord de fond sur les sujets &eacute;conomiques entre la droite et la gauche de gouvernement qui se retrouvent sur le principe d&rsquo;une &eacute;conomie capitaliste mondialis&eacute;e et sur le strict respect des crit&egrave;res de convergence &eacute;conomique qui fondent l&rsquo;Euro. Devant le rejet grandissant de ces politiques par les populations et de leur lassitude des alternances sans alternative, le spectacle politique cherche &agrave; donner le change par la mise en sc&egrave;ne de divergences sur des sujets qui ne touchent pas au c&oelig;ur du choix &eacute;conomique fondamental. Comme le montrent Bouvet (2012) la gauche de gouvernement a d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment abandonn&eacute; le choix du changement social et &eacute;conomique pour orienter sa strat&eacute;gie vers les sujets soci&eacute;taux qui ne remettent nullement en cause les bases du syst&egrave;me &eacute;conomique et social mais qui ont pour objectif de laisser croire qu&rsquo;il existe encore une diff&eacute;rence entre la droite et la gauche de gouvernement.</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;immigration fait partie de ces th&egrave;mes qui alimentent les d&eacute;bats. D&egrave;s les ann&eacute;es quatre-vingt, le Parti Socialiste amorce son tournant lib&eacute;ral et il oriente d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment le d&eacute;bat vers la question de l&rsquo;immigration. On sait par exemple maintenant avec certitude que Mitterrand a favoris&eacute; la mont&eacute;e de Le Pen pour g&ecirc;ner et diviser la droite. Son coup politicien a parfaitement r&eacute;ussi car la droite, 30 ans apr&egrave;s, est encore et toujours emp&ecirc;tr&eacute;e dans ses rapports avec le FN. Mais Mitterrand et le PS ont contribu&eacute; &agrave; cr&eacute;er un monstre qui s&rsquo;est retourn&eacute; contre eux, au second tour de l&rsquo;&eacute;lection pr&eacute;sidentielle de 2002 par exemple. Cette strat&eacute;gie a &eacute;galement contribu&eacute; &agrave; placer l&rsquo;immigration au centre de tous les d&eacute;bats, le plus souvent pour le pire et rarement pour le meilleur. L&#39;&eacute;pouvantail du FN ou de la &laquo;&nbsp;lep&eacute;nisation des esprits&nbsp;&raquo; est agit&eacute; &agrave; la moindre occasion et le parti d&rsquo;extr&ecirc;me-droite se retrouve ainsi syst&eacute;matiquement au centre du d&eacute;bat. D&egrave;s lors qu&rsquo;il s&rsquo;empare d&rsquo;une th&eacute;matique, elle est aussit&ocirc;t satanis&eacute;e et devient intouchable sous peine de contamination&nbsp;: la France, la nation, la R&eacute;publique et m&ecirc;me aujourd&rsquo;hui, ironie supr&ecirc;me, la la&iuml;cit&eacute; sont suspect&eacute;s de &laquo;&nbsp;faire le jeu du FN&nbsp;&raquo;. Le pi&egrave;ge s&rsquo;est referm&eacute; sur les d&eacute;mocrates qui ont abandonn&eacute; tous leurs terrains traditionnels &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me-droite. D&egrave;s lors, le th&egrave;me de l&rsquo;immigration est un terrain min&eacute;, y compris pour la recherche, ce qui contribue plus encore &agrave; laisser le champ libre &agrave; tous les d&eacute;lires, x&eacute;nophobes ou sans-fronti&egrave;ristes faute de donn&eacute;es scientifiques incontestables (Tribalat 2010).</p> <p style="text-align:justify">C&rsquo;est dans ce contexte que sont mises en place en Europe des politiques de formation linguistique pour les migrants (Extramiana 2012). Les gouvernements europ&eacute;ens d&eacute;cident de mettre en place des politiques favorisant l&rsquo;int&eacute;gration des migrants et de leurs familles et la question linguistique devient alors centrale. En effet, pour acc&eacute;der &agrave; l&rsquo;emploi, au logement, &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, pour &eacute;tablir des relations avec la soci&eacute;t&eacute; du pays d&rsquo;accueil, l&rsquo;appropriation de la ou des langue(s) dominante(s) est une condition incontournable, m&ecirc;me si elle n&rsquo;est pas suffisante. Ces politiques linguistiques en Europe se mettent en place, &agrave; des rythmes tout &agrave; fait irr&eacute;guliers selon les pays, &agrave; partir du milieu des ann&eacute;es deux-mille et s&rsquo;articulent sur le Cadre Europ&eacute;en Commun de R&eacute;f&eacute;rence pour les Langues (CECRL). En France, le champ &eacute;ducatif de la formation linguistique des migrants a d&eacute;j&agrave; &agrave; cette &eacute;poque une histoire longue de presque cinq d&eacute;cennies et les orientations politico-didactiques du CECRL n&rsquo;arrivent pas sur un terrain vierge. Le CECRL, import&eacute; et appliqu&eacute; au terrain de la formation linguistique des migrants en France, a d&ucirc; s&rsquo;adapter, voire se contorsionner, pour essayer de s&rsquo;imposer mais il a d&eacute;voil&eacute; par-l&agrave; ses propres faiblesses et ses manques structurels.</p> <p style="text-align:justify">Les orientations id&eacute;ologiques du Conseil de l&rsquo;Europe (d&eacute;sormais COE) en mati&egrave;re de politique linguistique ont un impact tr&egrave;s important sur la recherche en didactique des langues en France notamment o&ugrave; les chercheurs institutionnellement les plus en vue sont &eacute;galement experts aupr&egrave;s du Conseil de l&rsquo;Europe. Ce qui m&rsquo;int&eacute;resse ici ce ne sont pas d&rsquo;abord les aspects techniques, c&rsquo;est-&agrave;-dire didactiques, des textes d&rsquo;orientation mais les bases id&eacute;ologiques sur lesquelles ils se fondent. En effet, les orientations didactiques n&rsquo;ont rien de nouveau et se contentent de reprendre les avanc&eacute;es r&eacute;centes de la recherche comme l&rsquo;a montr&eacute; Maurer (2011). J&rsquo;ai donc choisi d&rsquo;analyser les textes d&rsquo;orientation concernant les politiques d&rsquo;int&eacute;gration linguistique des migrants (Beacco 2008 et 2010) et deux documents que ces textes citent &agrave; de nombreuses reprises&nbsp;: Le livre blanc sur le dialogue interculturel (Conseil de l&rsquo;Europe 2008) et le document intitul&eacute; Diversit&eacute; et coh&eacute;sion (Niessen 2000). J&rsquo;aurais pu &eacute;tendre l&rsquo;analyse &agrave; de nombreux autres documents publi&eacute;s par le COE mais j&rsquo;ai limit&eacute; le p&eacute;rim&egrave;tre dans la mesure o&ugrave; ils disent tous la m&ecirc;me chose en se reprenant en boucle par des citations.</p> <h2 style="text-align:justify">1. La formation des adultes migrants en France et le CECRL</h2> <p style="text-align:justify">Quand les orientations du COE en mati&egrave;re de formation linguistique des migrants commencent &agrave; s&rsquo;introduire en France au milieu des ann&eacute;es deux-mille, par le biais du r&eacute;f&eacute;rentiel A1.1 (Beacco <em>et alii</em>), lui-m&ecirc;me directement et &eacute;troitement articul&eacute; au CECRL, le champ &eacute;ducatif de la formation linguistique des migrants a d&eacute;j&agrave; une histoire longue d&rsquo;un demi-si&egrave;cle (Leclercq 2010 et 2012&nbsp;; Adami 2009). En effet, La formation linguistique des migrants adultes (d&eacute;sormais FLMA) est un champ &eacute;ducatif professionnalis&eacute; n&eacute; dans le mouvement associatif et syndical des ann&eacute;es cinquante et soixante, avec les premiers cours du soir pour travailleurs immigr&eacute;s, le plus souvent analphab&egrave;tes. Les besoins en formation, notamment des salari&eacute;s les moins qualifi&eacute;s et les moins scolaris&eacute;s, s&rsquo;affirmant avec la crise structurelle qui s&rsquo;accentue dans les ann&eacute;es quatre-vingt, le champ de la FLMA se structure et se professionnalise autour d&rsquo;objectifs d&rsquo;insertion professionnelle, d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; l&rsquo;emploi autour de la notion de formation de base (Leclercq 2007). La formation linguistique des migrants fait partie int&eacute;grante de ce champ ainsi que les formations dites de &laquo;&nbsp;remise &agrave; niveau&nbsp;&raquo;, selon la terminologie de l&rsquo;&eacute;poque, qui inclut &eacute;galement les francophones natifs en situation d&rsquo;illettrisme. La formation de base concerne les apprenants faiblement ou non scolaris&eacute;s qui peinent &agrave; trouver ou &agrave; retrouver un emploi. La structuration et l&rsquo;&eacute;volution de ce champ &eacute;ducatif avancent dans l&rsquo;indiff&eacute;rence presque compl&egrave;te de la didactique du FLE, elle-m&ecirc;me en cours de construction. Leclercq (2010 et 2011) signale quelques incursions de la recherche acad&eacute;mique dans ce champ mais elles sont sans lendemain.</p> <p style="text-align:justify">La &laquo;&nbsp;connexion&nbsp;&raquo; entre le champ de la didactique acad&eacute;mique et celui de la FLMA s&rsquo;est effectu&eacute;e en 2005 &agrave; l&rsquo;occasion de la mise en place du Contrat d&rsquo;Accueil et d&rsquo;Int&eacute;gration (CAI), du Dipl&ocirc;me Initial de Langue Fran&ccedil;aise (DILF) et du r&eacute;f&eacute;rentiel A1.1 (Beacco <em>et alii</em>, <em>op. cit</em>.). J&rsquo;ai pens&eacute; &agrave; cette &eacute;poque que l&rsquo;introduction du dispositif CAI/DILF &eacute;tait une bonne chose pour le domaine de la FLMA. En effet, j&rsquo;y voyais plusieurs avantages.</p> <p style="text-align:justify">Le premier de ces avantages &eacute;tait que la FLMA pouvait enfin trouver sa place dans le champ de la didactique des langues qui est, me semble-t-il, son ancrage &laquo;&nbsp;naturel&nbsp;&raquo;, sans oublier bien s&ucirc;r tout ce que les sciences de l&rsquo;&eacute;ducation, et notamment les travaux sur la formation des adultes, ont pu apporter et apportent encore. Le deuxi&egrave;me avantage est que le DILF repr&eacute;sentait une forme de l&eacute;gitimation du domaine de la FLMA qui, ne relevant ni de l&rsquo;&eacute;cole ni de l&rsquo;universit&eacute;, restait confin&eacute;e aux marges de la r&eacute;flexion didactique, sur un terrain ignor&eacute; des chercheurs. C&rsquo;est en effet la premi&egrave;re fois dans l&rsquo;histoire de la FLMA que les formations pouvaient d&eacute;boucher sur un dipl&ocirc;me reconnu institutionnellement. Sans f&eacute;tichiser les dipl&ocirc;mes, je pensais que l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t premier du DILF &eacute;tait plut&ocirc;t de reconnaitre un domaine &eacute;ducatif avec ses praticiens et ses apprenants. Le troisi&egrave;me avantage que j&rsquo;y voyais tenait au fait que le DILF, devenant un objectif des formations linguistiques, permettait d&rsquo;harmoniser par le haut des pratiques didactiques qui relevaient parfois du bricolage. En entrant de plain-pied dans le domaine de la didactique des langues, la FLMA pouvait enfin repenser toutes ses pratiques en les inscrivant dans un champ scientifique qui avait de solides r&eacute;f&eacute;rences. Cependant, le parachutage du CECRL sur le terrain de la FLMA ne s&rsquo;est pas effectu&eacute; en douceur. Il me semble int&eacute;ressant de revenir ici sur les conditions de ce parachutage parce qu&rsquo;ils sont assez r&eacute;v&eacute;lateurs de la fa&ccedil;on dont s&rsquo;est impos&eacute;e la nouvelle doxa du COE.</p> <p style="text-align:justify">Consciente que le parachutage du CECRL dans le domaine de la FLMA risquait de poser quelques probl&egrave;mes, la DGLFLF, qui pilotait le dispositif, avait pr&eacute;vu une phase de consultation des acteurs de terrain destin&eacute;e &agrave; recueillir leurs avis sur le r&eacute;f&eacute;rentiel A1.1 en cours d&rsquo;&eacute;laboration. Ce travail m&rsquo;avait &eacute;t&eacute; confi&eacute; ainsi qu&rsquo;&agrave; M.F Rottier. Le r&eacute;f&eacute;rentiel &eacute;tait per&ccedil;u par les praticiens de la formation d&rsquo;adultes migrants comme tr&egrave;s abstrait, assez loin de leurs pratiques et de leur public, m&ecirc;me si la seconde partie du r&eacute;f&eacute;rentiel, portant sur les publics faibles lecteurs et faibles scripteurs, et r&eacute;dig&eacute;e non par des experts du COE mais par des professionnels de la formation d&rsquo;adultes, a &eacute;t&eacute; plut&ocirc;t &eacute;pargn&eacute;e par les critiques. Le r&eacute;f&eacute;rentiel &eacute;tait jug&eacute; tr&egrave;s jargonnant, pour ne pas dire abscons, et les acteurs avaient beaucoup de mal &agrave; comprendre comment ces grands principes pouvaient se d&eacute;cliner sur leur terrain didactique. D&rsquo;autres praticiens au contraire ne comprenaient pas pourquoi on leur demandait de faire ce qu&rsquo;ils faisaient d&eacute;j&agrave; depuis longtemps. Nous avons alors r&eacute;dig&eacute; un rapport int&eacute;grant les remarques des acteurs, ainsi que les n&ocirc;tres, que nous avons transmis aux experts r&eacute;dacteurs du r&eacute;f&eacute;rentiel. Suite &agrave; ce rapport, rien n&rsquo;a chang&eacute; sur l&rsquo;essentiel et le r&eacute;f&eacute;rentiel est demeur&eacute; pratiquement en l&rsquo;&eacute;tat. Mais le probl&egrave;me de l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;accessibilit&eacute;&nbsp;&raquo; du r&eacute;f&eacute;rentiel demeurant, le comit&eacute; de pilotage a constat&eacute; que ce r&eacute;f&eacute;rentiel ne pouvait &ecirc;tre transmis aux acteurs en l&rsquo;&eacute;tat&nbsp;: il &eacute;tait bien trop loin de ce champ didactique particulier qu&rsquo;est la FLMA et qu&rsquo;il devait donc &ecirc;tre &laquo;&nbsp;traduit&nbsp;&raquo; en objectifs op&eacute;rationnels, plus adapt&eacute;s aux besoins du terrain et des acteurs. La d&eacute;cision a donc &eacute;t&eacute; prise, avec l&rsquo;accord et le soutien de la DGLFLF, de publier un ouvrage de vulgarisation-m&eacute;diation entre les v&eacute;rit&eacute;s r&eacute;v&eacute;l&eacute;es du CECRL, inscrites dans le marbre et &agrave; ce titre intouchables, et les pratiques de terrain des formateurs en FLMA. C&rsquo;est Sophie Etienne qui a &eacute;t&eacute; charg&eacute; de r&eacute;diger cet ouvrage (Etienne 2008).</p> <p style="text-align:justify">Le processus de structuration du champ de la FLMA a &eacute;t&eacute; parachev&eacute; en 2011 avec la mise en place du label FLI. Celui-ci, tout en reprenant les grandes orientations didactiques qui font &agrave; peu pr&egrave;s consensus en didactique des langues, a li&eacute; la question de l&rsquo;enseignement/apprentissage du fran&ccedil;ais &agrave; la question politique de la citoyennet&eacute;. C&rsquo;&eacute;tait d&eacute;j&agrave; le cas avec le CAI et son volet citoyennet&eacute; mais les r&eacute;actions des didacticiens favorables aux orientations europ&eacute;ennes ont &eacute;t&eacute; cette fois plus virulentes. Et ces r&eacute;actions s&rsquo;expliquent justement si l&rsquo;on analyse non plus l&rsquo;&eacute;cume technicienne des arguments, mais le fond politique&nbsp;: le choix de la France de lier apprentissage de la langue et citoyennet&eacute;, en s&rsquo;appuyant sur son histoire et ses principes en mati&egrave;re de politique linguistique (Adami 2012a), a heurt&eacute; de front les convictions des partisans des orientations politiques europ&eacute;ennes. C&rsquo;est donc bien ce fond politique des textes d&rsquo;orientation europ&eacute;ens en mati&egrave;re culturelle et linguistique qu&rsquo;il faut analyser pour essayer de comprendre. Car au-del&agrave; du petit monde de la didactique des langues en France, la question est pos&eacute;e dans les m&ecirc;mes termes dans le d&eacute;bat plus large sur la fa&ccedil;on dont il est souhaitable d&rsquo;accueillir les migrants et, encore plus largement, dans quelles type de soci&eacute;t&eacute; les uns et les autres souhaitent que cet accueil se fasse. Dans le d&eacute;bat technique sur l&rsquo;enseignement/apprentissage des langues, la &laquo;&nbsp;scientifisation&nbsp;&raquo; ou l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;&eacute;pist&eacute;mologisation&nbsp;&raquo; des arguments des uns et des autres ne doit pas masquer des positions politiques et id&eacute;ologiques. Mais le fait qu&rsquo;il existe des positions politiques ou id&eacute;ologiques derri&egrave;re les arguments, voire les arguties, techniques et disciplinaires, ne me g&ecirc;ne pas et elles sont tout &agrave; fait l&eacute;gitimes parce que la science totalement neutre est une pure et simple illusion. Cependant, il convient selon moi que chacun ait l&rsquo;honn&ecirc;tet&eacute; intellectuelle de le reconnaitre et de ne pas se cacher derri&egrave;re des positions scientifiques ou acad&eacute;miques.</p> <h2 style="text-align:justify">2. L&rsquo;histoire revue et corrig&eacute;e</h2> <p style="text-align:justify">Le COE et ses experts font de la &laquo;&nbsp;pluralit&eacute;&nbsp;&raquo; l&rsquo;alpha et l&rsquo;om&eacute;ga de leur politique. Tout est &laquo;&nbsp;pluriel&nbsp;&raquo;&nbsp;: les identit&eacute;s, les cultures, les approches &eacute;ducatives, les apprenants et les approches plurielles elles-m&ecirc;mes. Or, au nom de cette pluralit&eacute; tot&eacute;mis&eacute;e, une seule et m&ecirc;me politique est pr&eacute;conis&eacute;e, sans tenir compte d&rsquo;une autre pluralit&eacute;, sans doute la plus r&eacute;fractaire &agrave; toute tentative d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;isation&nbsp;: les diff&eacute;rences nationales. Le COE, comme instance supranationale ou transnationale, ne pr&eacute;tend pas imposer sa politique mais &laquo;&nbsp;assister les &Eacute;tats membres&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mettre &agrave; la disposition des &Eacute;tats membres l&rsquo;expertise existante&nbsp;&raquo;, ou &laquo;&nbsp;accompagner les &Eacute;tats membres&nbsp;&raquo; (Beacco 2008) pour l&rsquo;&eacute;laboration de politiques linguistiques en direction des migrants. Il est bien pr&eacute;cis&eacute; que &laquo;&nbsp;la donn&eacute;e fondamentale&hellip; est celle de la pluralit&eacute; des contextes d&rsquo;accueil et des exp&eacute;riences linguistiques des migrants&nbsp;&raquo; et que &laquo;&nbsp;la pluralit&eacute; des acquis, des exp&eacute;riences linguistiques des migrants n&rsquo;a d&rsquo;&eacute;quivalent que la pluralit&eacute; des soci&eacute;t&eacute;s europ&eacute;ennes elles-m&ecirc;mes (Beacco 2008&nbsp;: 9). Cependant, le m&ecirc;me document indique plus loin qu&rsquo;il importe que ces politiques se mettent en place &laquo;&nbsp; de mani&egrave;re technique en se fondant sur les instruments d&eacute;j&agrave; &eacute;labor&eacute;s par le Conseil de l&rsquo;Europe (Division des Politiques Linguistiques), pour permettre aux &Eacute;tats membres de mettre en place des dispositifs d&rsquo;accompagnement linguistique des adultes migrants en accord avec les principes du Conseil de l&rsquo;Europe&nbsp;&raquo; (Beacco 2008&nbsp;: 13). Il est question trois lignes plus bas d&rsquo;une formation linguistique pour les migrants &laquo;&nbsp;fond&eacute;e sur les valeurs fondatrices du Conseil de l&rsquo;Europe&nbsp;&raquo; (<em>ibid</em>. : 13). Ainsi donc, si pour la forme les orientations du COE en mati&egrave;re de politique linguistique des migrants entendent bien respecter les sp&eacute;cificit&eacute;s des &Eacute;tats, ou en tous cas la &laquo;&nbsp;pluralit&eacute; des contextes d&rsquo;accueil&nbsp;&raquo;, ces politiques devront n&eacute;anmoins s&rsquo;inscrire dans le cadre technique et politique du COE. On comprend bien que les marges de man&oelig;uvre des &Eacute;tats sont minces, du moins en principe, si les &Eacute;tats choisissent de suivre les directives des experts.</p> <p style="text-align:justify">Le COE se retranche derri&egrave;re les textes ratifi&eacute;s par les &Eacute;tats ou une partie des &Eacute;tats pour justifier ses propres choix. Mais l&rsquo;objectif politique est explicite et maintes fois ressass&eacute;&nbsp;: il s&rsquo;agit de promouvoir une citoyennet&eacute; europ&eacute;enne. Or, pour promouvoir cette nouvelle citoyennet&eacute;, il faut uniformiser ou, en langue de bois europ&eacute;enne, &laquo;&nbsp;harmoniser&nbsp;&raquo; les politiques linguistiques europ&eacute;ennes. Ce faisant, les pr&eacute;conisations europ&eacute;ennes ont besoin d&rsquo;effacer purement simplement les sp&eacute;cificit&eacute;s nationales. Cet immense patchwork que constituent les nations europ&eacute;ennes, avec leurs longues histoires, est r&eacute;duit &agrave; une platitude administrative&nbsp; et bureaucratique : les nations sont des &laquo; &Eacute;tats membres&nbsp;&raquo;. L&rsquo;histoire de l&rsquo;Europe commen&ccedil;ant sans doute, dans l&rsquo;esprit de nos experts, &agrave; la cr&eacute;ation de l&rsquo;Union Europ&eacute;enne et du Conseil de l&rsquo;Europe, on peut sans peine faire table rase du pass&eacute; et construire un avenir radieux tout entier tourn&eacute; vers le futur d&rsquo;une pluralit&eacute; pluriellement harmonieuse. L&rsquo;occultation de l&rsquo;histoire, entendue comme le processus de d&eacute;veloppement des formations sociales, permet d&rsquo;effacer les conditions de cr&eacute;ation des rapports de force &eacute;conomiques et sociaux mais &eacute;galement les conditions de production de l&rsquo;artefact politique europ&eacute;en lui-m&ecirc;me ainsi que de ses valeurs revendiqu&eacute;es. La d&eacute;s-historicisation conduit &agrave; pr&eacute;senter les discours de politique linguistique europ&eacute;ens comme intemporels, comme de purs discours d&rsquo;expertise s&rsquo;appuyant sur l&rsquo;id&eacute;ologie inattaquable des droits de l&rsquo;Homme, ce qui renforce leur pouvoir performatif, presque d&eacute;miurgique. Rien n&rsquo;existerait avant l&rsquo;Europe politique et ses politiques linguistiques ou &laquo;&nbsp;culturelles&nbsp;&raquo;. En tous cas rien de positif. <em>Le livre blanc sur le dialogue interculturel</em> est &eacute;clairant &agrave; ce sujet. Il &eacute;vacue la question en quelques lignes p&eacute;remptoires (Livre Blanc&nbsp;: 9)&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;Lors de la consultation, une id&eacute;e est souvent revenue&nbsp;: les approches traditionnelles ne sont plus adapt&eacute;es aux soci&eacute;t&eacute;s qui connaissent un niveau de diversit&eacute; sans pr&eacute;c&eacute;dent et en constant d&eacute;veloppement. Les r&eacute;ponses aux questionnaires transmis aux &Eacute;tats montrent en particulier que l&rsquo;action privil&eacute;gi&eacute;e jusqu&rsquo;&agrave; peu en ce domaine &ndash; r&eacute;sum&eacute;e sous le terme de communautarisme &ndash; s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e inad&eacute;quate. Pour autant, il ne semble pas que l&rsquo;on souhaite revenir &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; l&rsquo;assimilation &eacute;tait de mise. Une nouvelle strat&eacute;gie est donc n&eacute;cessaire pour parvenir &agrave; des soci&eacute;t&eacute;s inclusives, celle du dialogue interculturel.&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">&Agrave; l&rsquo;issue d&rsquo;une consultation donc, dont on ne connait pas les r&eacute;sultats d&eacute;taill&eacute;s, serait apparue la v&eacute;rit&eacute; r&eacute;v&eacute;l&eacute;e&nbsp;: les politiques &laquo;&nbsp;traditionnelles&nbsp;&raquo; en mati&egrave;re de gestion de la diversit&eacute; sont inefficaces et le dialogue interculturel s&rsquo;impose comme une &eacute;vidence. Usant pour cela de la vieille ficelle du repoussoir des &laquo;&nbsp;extr&ecirc;mes&nbsp;&raquo;, en l&rsquo;occurrence le communautarisme et l&rsquo;assimiliationnisme, la strat&eacute;gie du dialogue interculturel s&rsquo;impose alors comme une solution &laquo;&nbsp;centriste&nbsp;&raquo;, alternative et forc&eacute;ment &eacute;quilibr&eacute;e. Ce qui est int&eacute;ressant ici c&rsquo;est l&rsquo;aplatissement op&eacute;r&eacute; par le terme &laquo;&nbsp;d&rsquo;approches traditionnelles&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est un renvoi &agrave; un pass&eacute; ind&eacute;termin&eacute;, presque folklorique, et non &agrave; l&rsquo;histoire, et il est effectu&eacute; de mani&egrave;re allusive, impossible &agrave; dater, &agrave; rep&eacute;rer et donc &agrave; identifier. De toute fa&ccedil;on, puisque l&rsquo;on nous affirme que ces approches traditionnelles ont &eacute;chou&eacute;, &agrave; quoi bon revenir sur des &eacute;checs&nbsp;? Lorsque le texte &eacute;voque les approches &laquo;&nbsp;traditionnelles&nbsp;&raquo;, il s&rsquo;agit sans doute des politiques mises en &oelig;uvre ces derni&egrave;res d&eacute;cennies dans le domaine de la gestion de la &laquo;&nbsp;diversit&eacute;&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;accueil des migrants. <em>Le Livre Blanc</em> propose une politique de rechange aux suppos&eacute;s &eacute;checs des &laquo;&nbsp;approches traditionnelles&nbsp;&raquo; en occultant totalement les r&eacute;alit&eacute;s politiques et sociolinguistiques des &Eacute;tats membres, dont certains ont une histoire plusieurs fois s&eacute;culaire. On retrouve l&agrave; ce qu&rsquo;Emmanuel Todd analyse &agrave; propos des politiques d&rsquo;accueil des migrants, en s&rsquo;appuyant sur le r&eacute;sultat des recherches qu&rsquo;il m&egrave;ne sur les syst&egrave;mes anthropologiques familiaux&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;La r&eacute;ponse donn&eacute;e par les diverses soci&eacute;t&eacute;s europ&eacute;ennes n&rsquo;est pas uniforme. Elle d&eacute;pend, une fois de plus, des valeurs traditionnelles de libert&eacute;, d&rsquo;&eacute;galit&eacute; ou d&rsquo;in&eacute;galit&eacute;. Les choix des trois grands de l&rsquo;immigration en Europe &ndash; la France, l&rsquo;Allemagne et la Grande-Bretagne &ndash; sont diff&eacute;rents et cette divergence rejoue, dans un domaine neuf, ou m&ecirc;me futur, l&rsquo;interminable partie des diff&eacute;rences entre cultures europ&eacute;ennes. (Todd 1996&nbsp;: 612).</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Dans la quatri&egrave;me de couverture de cette &eacute;dition, Todd est encore plus clair &agrave; cet &eacute;gard&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;Ce livre n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; &eacute;crit &laquo;&nbsp;pour&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;contre&nbsp;&raquo; l&rsquo;Europe. Il teste une hypoth&egrave;se sur le lien entre diversit&eacute; des structures familiales et diversit&eacute; des trajectoires historiques. Mais j&rsquo;esp&egrave;re qu&rsquo;il permettra &agrave; certains europ&eacute;istes de sonder l&rsquo;&eacute;paisseur anthropologique des nations. J&rsquo;esp&egrave;re que certains d&rsquo;entre eux, partant comme moi de bons sentiments europ&eacute;ens, arriveront aussi &agrave; la conclusion que le trait&eacute; de Maastricht est une &oelig;uvre d&rsquo;amateurs, ignorants de l&rsquo;histoire et de la vie des soci&eacute;t&eacute;s.&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Quelques trait&eacute;s et r&eacute;f&eacute;rendums plus tard, la course aveugle vers l&rsquo;int&eacute;gration europ&eacute;enne continue, sans se soucier ni de l&rsquo;histoire des peuples ni de leurs avis. Comment par exemple peut-on proposer la m&ecirc;me politique &agrave; des &Eacute;tats qui pratiquent le droit du sol comme la France et &agrave; d&rsquo;autres qui pratiquent le droit du sang&nbsp;comme l&rsquo;Allemagne&nbsp;? Comment &eacute;galement ne pas faire de distinctions entre des pays qui poss&egrave;dent un &Eacute;tat depuis des si&egrave;cles et ceux qui viennent &agrave; peine d&rsquo;acc&eacute;der au statut de nation souveraine&nbsp;? La gestion par l&rsquo;Europe de la crise actuelle en Ukraine et dans les anciennes r&eacute;publiques sovi&eacute;tiques est r&eacute;v&eacute;latrice de cette c&eacute;cit&eacute; politique. Les discours l&eacute;nifiants sur la diversit&eacute; et la pluralit&eacute; sont non seulement impuissants &agrave; r&eacute;gler quoi que ce soit mais ils risquent m&ecirc;me de provoquer des r&eacute;actions en cha&icirc;ne. Par exemple, apr&egrave;s l&rsquo;Ukraine, la Lettonie commence &agrave; s&rsquo;inqui&eacute;ter des r&eacute;actions des russophones. Au-del&agrave; du cercle des experts et de leurs discours pontifiants, la r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;histoire et de la politique fait &eacute;clater la bulle discursive. D&rsquo;ailleurs, les opposants ukrainiens qui r&eacute;clamaient l&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;Union Europ&eacute;enne, &agrave; peine arriv&eacute;s au pouvoir, ont-ils commenc&eacute; par abolir le bilinguisme russe-ukrainien. Ce qui n&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; l&rsquo;Europe de maintenir son soutien au nouveau gouvernement pro-europ&eacute;en.</p> <p style="text-align:justify">Cependant, l&rsquo;histoire n&rsquo;est pas totalement absente des textes d&rsquo;orientation didactique. Mais quand elle est abord&eacute;e, c&rsquo;est pour faire passer un message politique qui, comme d&rsquo;habitude dans les textes europ&eacute;ens, ne s&rsquo;avoue pas comme tel. C&rsquo;est un passage du document d&rsquo;orientation (Beacco&nbsp;2008 : 38)&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;On juge souvent de l&rsquo;insertion r&eacute;ussie des candidats &agrave; la citoyennet&eacute; par la d&eacute;monstration qu&rsquo;ils poss&egrave;dent des &laquo;&nbsp;connaissances&nbsp;&raquo; sur la soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;accueil. Or, ces connaissances renvoient &agrave; une repr&eacute;sentation de l&rsquo;identit&eacute; nationale qui n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement partag&eacute;e par tous les citoyens. Ne serait-il pas pr&eacute;f&eacute;rable de faire saisir l&rsquo;historicit&eacute; de la notion d&rsquo;identit&eacute; nationale et sa fonction politique, plut&ocirc;t que de mettre en circulation des st&eacute;r&eacute;otypes r&eacute;ducteurs de la diversit&eacute;&nbsp;?&nbsp;&raquo;.</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Ce passage est tout &agrave; fait &eacute;clairant, &agrave; plusieurs &eacute;gards. Tout d&rsquo;abord, il d&eacute;montre que les experts ne sont pas de purs techniciens mais qu&rsquo;ils savent convoquer l&rsquo;histoire quand il le faut pour appuyer le message politique qu&rsquo;ils souhaitent faire passer. Ce message, en l&rsquo;occurrence, c&rsquo;est d&rsquo;expliquer aux migrants que l&rsquo;identit&eacute; nationale des pays qui les accueillent est une construction historique et un sujet de d&eacute;bat et donc, qu&rsquo;&agrave; ce titre, elle n&rsquo;a pas de valeur de r&eacute;f&eacute;rence absolue. On sait depuis longtemps que les nations et les identit&eacute;s nationales sont effectivement des constructions historiques et politiques (Thiesse 2001, 2010&nbsp;; Hobsbawm 1992&nbsp;; Anderson 1996) mais ces constructions n&rsquo;en sont pas moins devenues des r&eacute;alit&eacute;s politiques que les peuples se sont appropri&eacute;es. Que cette &laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo; soit en d&eacute;bat, c&rsquo;est un fait, mais comment imaginer accueillir des migrants en commen&ccedil;ant par leur expliquer que l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo; du pays qu&rsquo;ils ont choisi est une illusion, voire une fiction, tout en leur proposant par ailleurs de conserver et de d&eacute;fendre leur propre identit&eacute; ? Il est d&rsquo;ailleurs assez piquant de lire, quelques lignes plus bas, que les formations civiques propos&eacute;es par certains &Eacute;tats (et la France est sans doute particuli&egrave;rement vis&eacute;e), ne doivent pas se transformer en &laquo;&nbsp;cours de droit constitutionnel ou de droit civil sanctionn&eacute; par un examen d&rsquo;allure universitaire.&nbsp;&raquo; On comprend donc que &laquo;&nbsp;faire saisir l&rsquo;historicit&eacute; de la notion d&rsquo;identit&eacute; nationale et sa fonction politique&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas un cours de droit constitutionnel mais que les formations citoyennes, en revanche, rel&egrave;ve du bourrage de cr&acirc;ne et de la propagande nationaliste sans doute. Ce type de pr&eacute;conisation va tout &agrave; fait dans le sens politique des instances europ&eacute;ennes&nbsp;: elle consiste &agrave; d&eacute;tricoter le fait national pour faire passer le message de la citoyennet&eacute; europ&eacute;enne. Ce qui est assez &eacute;tonnant ici, c&rsquo;est que le texte, sans le moindre recul critique et par une affirmation p&eacute;remptoire, nous explique que les identit&eacute;s nationales sont des artefacts et des productions historiques, qui ne font pas l&rsquo;objet de consensus, tout en affirmant, <em>ad nauseam</em>, au long du document <em>Diversit&eacute; et Coh&eacute;sion</em>, l&rsquo;existence des &laquo;&nbsp;identit&eacute;s culturelles&nbsp;&raquo; des migrants et l&rsquo;&laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo; de l&rsquo;Europe. Ainsi donc, il s&rsquo;agit de saisir l&rsquo;historicit&eacute; de la notion d&rsquo;identit&eacute; nationale, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;en d&eacute;montrer l&rsquo;inanit&eacute;, alors m&ecirc;me que tous les autres textes europ&eacute;ens sur les questions culturelles ou linguistiques construisent, sous nos yeux et en temps r&eacute;el, une identit&eacute; politique europ&eacute;enne en reproduisant exactement les m&ecirc;mes proc&eacute;d&eacute;s d&rsquo;invention que pour la construction des &Eacute;tats-nations.</p> <p style="text-align:justify">Le document <em>Diversit&eacute; et Coh&eacute;sion</em> est quant &agrave; lui un peu plus disert en mati&egrave;re d&rsquo;histoire. Mais il proc&egrave;de &agrave; une v&eacute;ritable manipulation de cette histoire pour justifier les orientations europ&eacute;ennes actuelles. Le r&eacute;dacteur du rapport affirme ainsi sans nuance&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;<em>L&rsquo;histoire de l&rsquo;Europe se caract&eacute;rise donc par l&rsquo;&eacute;largissement des horizons et une tendance g&eacute;n&eacute;rale &agrave; l&rsquo;expansion, par le d&eacute;placement et la suppression des fronti&egrave;res et par des mouvements de populations et l&rsquo;installation de nouvelles communaut&eacute;s. Cet h&eacute;ritage complexifie la signification du terme &quot;europ&eacute;en&quot; et l&rsquo;enrichit consid&eacute;rablement par la m&ecirc;me occasion.</em>&nbsp;&raquo; (Niessen 2000&nbsp;: 18)</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Sur la forme, tout d&rsquo;abord, le &laquo;&nbsp;donc&nbsp;&raquo; de la premi&egrave;re phrase est un connecteur qui donne l&rsquo;illusion d&rsquo;une d&eacute;monstration pr&eacute;alable et d&rsquo;une argumentation qui conduirait &agrave; cette affirmation, mais il n&rsquo;en est rien&nbsp;: le passage qui pr&eacute;c&egrave;de est une tentative infructueuse de d&eacute;finir l&rsquo;Europe et la citation ci-dessus n&rsquo;est pas la conclusion d&rsquo;une d&eacute;monstration. Concernant le fond de cette affirmation, si effectivement les fronti&egrave;res en Europe n&rsquo;ont jamais cess&eacute; de se d&eacute;placer, affirmer que la tendance est &agrave; la suppression de ces fronti&egrave;res est une mauvaise plaisanterie. Dans l&rsquo;Europe d&rsquo;aujourd&rsquo;hui et apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;clatement des d&eacute;mocraties populaires d&rsquo;Europe de l&rsquo;Est (Union Sovi&eacute;tique, Yougoslavie, Tch&eacute;coslovaquie), le nombre des &Eacute;tats en Europe, et donc des fronti&egrave;res, s&rsquo;est accru de fa&ccedil;on consid&eacute;rable. Ce qui est amusant d&rsquo;ailleurs dans ce document, c&rsquo;est que la pr&eacute;face a &eacute;t&eacute; r&eacute;dig&eacute;e par le pr&eacute;sident d&rsquo;alors de la r&eacute;publique tch&egrave;que, Vaclav Havel, dramaturge et ancien dissident. Or, Havel est en 2000 le pr&eacute;sident d&rsquo;un tout nouvel &Eacute;tat, &acirc;g&eacute; d&rsquo;&agrave; peine un an, qui vient de se s&eacute;parer des Slovaques, avec qui il formait la Tch&eacute;coslovaquie. Dans cette pr&eacute;face, Havel fustige &laquo;&nbsp;les d&eacute;mons du pass&eacute;, l&rsquo;histoire ne leur ayant rien appris, (qui) enfoncent toujours leurs griffes dans les ruines du nationalisme&nbsp;&raquo; (Niessen&nbsp;: 7). On peine &agrave; comprendre, dans cette logique, comment le fait de cr&eacute;er une nouvelle nation contribue &agrave; lutter contre le nationalisme.</p> <p style="text-align:justify">Ce passage du rapport est tout &agrave; fait &eacute;clairant en fait d&rsquo;une r&eacute;&eacute;criture politique de l&rsquo;histoire. Ce que ce passage d&eacute;crit, ce n&rsquo;est &eacute;videmment pas l&rsquo;histoire de l&rsquo;Europe mais son futur que le r&eacute;dacteur du rapport, militant d&eacute;vou&eacute; de la cause europ&eacute;enne, voudrait faire advenir. Dans la suite du rapport, le passage qui concerne l&rsquo;histoire de l&rsquo;Europe s&rsquo;attache &agrave; d&eacute;montrer que &laquo;&nbsp;la civilisation europ&eacute;enne plonge ses racines dans le monde jud&eacute;o-grec, le christianisme romain et byzantin et l&rsquo;islam nord-africain et ottoman&nbsp;&raquo; (Niessen&nbsp;: 18). Cette question de la religion est centrale pour les id&eacute;ologues du Conseil de l&rsquo;Europe&nbsp;: l&rsquo;histoire de l&rsquo;Europe semble &ecirc;tre l&rsquo;histoire de la diversit&eacute; religieuse, sans doute consid&eacute;r&eacute; par le r&eacute;dacteur comme le parangon de la diversit&eacute; culturelle. Dans cette histoire revisit&eacute;e de l&rsquo;Europe apparaissent &eacute;galement, au d&eacute;tour d&rsquo;une phrase, les Lumi&egrave;res et les r&eacute;volutions mais seulement quand elles sont scientifiques. L&rsquo;histoire sociale des peuples d&rsquo;Europe quant &agrave; elle est totalement absente de ce raccourci d&rsquo;histoire manipul&eacute;e. Il ne reste que de la diversit&eacute; religieuse, les &laquo;&nbsp;minorit&eacute;s&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo;. Le r&eacute;dacteur du rapport confirme plus loin dans le document qu&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;il faut &eacute;galement, par une nouvelle approche de l&rsquo;Histoire, souligner les apports de chaque communaut&eacute; &agrave; nos soci&eacute;t&eacute;s, et pr&eacute;senter leurs diff&eacute;rents points de vue, afin de proc&eacute;der &agrave; des comparaisons et des rapprochements&nbsp;&raquo;. (Niessen&nbsp;: 89). Autrement dit, il confirme la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;instrumentaliser l&rsquo;histoire pour la rendre conforme aux projets politiques du moment mais, surtout, il fait une autre proposition encore plus &eacute;tonnante&nbsp;: il faudra que l&rsquo;histoire &laquo;&nbsp;pr&eacute;sente les points de vue des communaut&eacute;s&nbsp;&raquo;, ce qui signifie, ni plus ni moins, qu&rsquo;une forme d&rsquo;&eacute;thnicisation de l&rsquo;histoire. Le r&eacute;dacteur ne se pose m&ecirc;me pas la question de savoir quelles sont ces communaut&eacute;s ou comment on les reconnait&nbsp;: elles existent comme une &eacute;vidence puisqu&rsquo;on nous dit qu&rsquo;elles existent. Par ailleurs, si tant est qu&rsquo;on puisse circonscrire et rep&eacute;rer ces communaut&eacute;s, comment la communaut&eacute; va-t-elle &laquo;&nbsp;pr&eacute;senter son point de vue de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;&nbsp;? En &eacute;lisant des d&eacute;l&eacute;gu&eacute;s &laquo;&nbsp;charg&eacute;s du point de vue&nbsp;&raquo;&nbsp;? Ce souci de revisiter l&rsquo;histoire s&rsquo;appuie sur les grands principes des Droits de l&rsquo;Homme&nbsp;et le <em>Livre Blanc</em> en donne un exemple int&eacute;ressant&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;L&rsquo;enseignement de l&rsquo;histoire ne peut &ecirc;tre un instrument de manipulation id&eacute;ologique, de propagande ou de promotion de valeurs ultranationalistes, x&eacute;nophobes, racistes ou antis&eacute;mites et intol&eacute;rantes. Les recherches historiques et l&rsquo;histoire telle qu&rsquo;elle est enseign&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;cole ne peuvent en aucune mani&egrave;re, et avec quelque intention que ce soit, &ecirc;tre compatibles avec les valeurs fondamentales et le Statut du Conseil de l&rsquo;Europe si elles permettent ou popularisent des repr&eacute;sentations de l&rsquo;histoire erron&eacute;es. L&rsquo;enseignement de l&rsquo;histoire devrait comprendre l&rsquo;&eacute;limination des pr&eacute;jug&eacute;s et des st&eacute;r&eacute;otypes en mettant en &eacute;vidence, dans les programmes, les influences mutuelles positives entre diff&eacute;rents pays, religions et &eacute;coles de pens&eacute;e dans le d&eacute;veloppement historique de l&rsquo;Europe, ainsi que l&rsquo;&eacute;tude critique des d&eacute;tournements de l&rsquo;histoire, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de d&eacute;tournements par n&eacute;gation d&rsquo;une &eacute;vidence historique, par falsification, par omission, par ignorance ou par r&eacute;cup&eacute;ration id&eacute;ologique.&nbsp;&raquo; (Livre Blanc&nbsp;: 32)</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Au nom de grands principes, auquel n&rsquo;importe quel d&eacute;mocrate peut souscrire sans difficult&eacute;, le document propose exactement de faire ce qu&rsquo;il d&eacute;nonce, &agrave; savoir une r&eacute;cup&eacute;ration id&eacute;ologique de l&rsquo;enseignement de l&rsquo;histoire. Le document &eacute;voque m&ecirc;me &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;vidence historique&nbsp;&raquo; de certains faits, qui ne sauraient donc &ecirc;tre contest&eacute;s, ou des &laquo;&nbsp;repr&eacute;sentations de l&rsquo;histoire erron&eacute;es&nbsp;&raquo;, ce qui devrait faire fr&eacute;mir n&rsquo;importe quel historien. Le Conseil de l&rsquo;Europe s&rsquo;arroge donc le droit de dire le juste et le faux en mati&egrave;re d&rsquo;histoire, de dire ce qui est &laquo;&nbsp;erron&eacute;&nbsp;&raquo; et ce qui ne l&rsquo;est pas.</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;argument central de cette r&eacute;&eacute;criture de l&rsquo;histoire est la reconnaissance et la promotion de la diversit&eacute;. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs la premi&egrave;re phrase du premier chapitre, qui sert de postulat de base&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;Europe a toujours &eacute;t&eacute; le continent de la diversit&eacute;&nbsp;&raquo; (Niessen&nbsp;: 11). Mais comment, dans la vision id&eacute;ologique europ&eacute;enne, concilier &laquo;&nbsp;diversit&eacute;&nbsp;&raquo; et Europe Unie&nbsp;? La diversit&eacute; &eacute;tant consid&eacute;r&eacute;e comme constitutive, l&rsquo;horizon de l&rsquo;union europ&eacute;enne est donc une structure f&eacute;d&eacute;rale, dont on ne sait si elle doit &ecirc;tre chapeaut&eacute; par un &Eacute;tat mais c&rsquo;est surtout le grand march&eacute;, &eacute;conomique, social et culturel o&ugrave; se d&eacute;placent librement les capitaux, les marchandises et les travailleurs, tout cela dans le cadre d&rsquo;une diversit&eacute; assum&eacute;e. J&rsquo;analyserai plus loin ce postulat fondamental sur lequel s&rsquo;appuie toute l&rsquo;argumentation autour de la diversit&eacute; qui sert de justification au grand march&eacute; &eacute;conomique. Dans ce cadre &eacute;videmment, les &Eacute;tats-nations, consid&eacute;r&eacute;s comme homog&eacute;n&eacute;isateurs et ennemis de la diversit&eacute; par les lib&eacute;raux culturels, sont &eacute;galement consid&eacute;r&eacute;s comme des obstacles &agrave; l&rsquo;expansion du grand march&eacute; par les lib&eacute;raux &eacute;conomiques.</p> <h2 style="text-align:justify">3. L&rsquo;obsession identitaire</h2> <p style="text-align:justify">La question de l&rsquo;identit&eacute; est au c&oelig;ur de l&rsquo;une des contradictions des pr&eacute;conisations europ&eacute;ennes en mati&egrave;re d&rsquo;int&eacute;gration des migrants. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les documents d&rsquo;orientation tentent de d&eacute;montrer que les d&eacute;finitions des identit&eacute;s nationales sont illusoires et dangereuses parce qu&rsquo;elles m&egrave;nent au repli, &agrave; la x&eacute;nophobie et &agrave; la haine nationaliste. Mais d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute;, les textes europ&eacute;ens basent toute leur d&eacute;monstration sur le respect et la promotion des identit&eacute;s des migrants et des minorit&eacute;s dans le cadre de la soci&eacute;t&eacute; de la diversit&eacute; qu&rsquo;ils appellent de leurs v&oelig;ux. &Agrave; l&rsquo;&eacute;vidence, il y a pour le COE de bonnes et de mauvaises identit&eacute;s. L&rsquo;identit&eacute; est au centre de l&rsquo;argumentation des documents qui nous int&eacute;ressent ici mais elle est, de fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale, partout pr&eacute;sente dans le d&eacute;bat public, politique et scientifique.</p> <p style="text-align:justify">Or, cette notion est tellement ambigu&euml; qu&rsquo;elle a fait l&rsquo;objet de travaux qui ont fini par conclure, il y d&eacute;j&agrave; quinze ans, qu&rsquo;il &eacute;tait pr&eacute;f&eacute;rable de s&rsquo;en d&eacute;barrasser et d&rsquo;utiliser d&rsquo;autres notions plus pr&eacute;cises (Brubaker 2000). D&rsquo;autres auteurs ont critiqu&eacute; cette notion, ou plut&ocirc;t cette anti-notion, ce trou noir th&eacute;orique qui, comme l&rsquo;objet astrophysique, absorbe par sa masse gravitationnelle tout ce qui passe trop pr&egrave;s. Bayart (1996) a d&eacute;montr&eacute; l&rsquo;inanit&eacute; de la notion d&rsquo;identit&eacute; et illustr&eacute; de mani&egrave;re convaincante qu&rsquo;elle reposait sur des artefacts, par la r&eacute;vision de l&rsquo;histoire et par l&rsquo;invention pure et simple de traditions cr&eacute;es pour les besoins de la cause politique ou commerciale. Bayart parle m&ecirc;me du &laquo;&nbsp;concept catastrophique d&rsquo;identit&eacute;&nbsp;&raquo; (Bayart 2010&nbsp;: 45). Hobsbawm et Ranger (2006) ont avant lui d&eacute;mont&eacute; cette notion par un ouvrage qui a fait date et qui aurait d&ucirc; inciter les chercheurs &agrave; la prudence dans l&rsquo;utilisation de cette notion. Mais il semble que le trou noir est encore suffisamment puissant pour continuer &agrave; avaler des quantit&eacute;s impressionnantes de papiers acad&eacute;miques qui continuent imperturbablement &agrave; utiliser la notion d&rsquo;identit&eacute; sans m&ecirc;me prendre la peine ni de lire ces auteurs ni de tenter au moins de pr&eacute;ciser s&eacute;rieusement ce qu&rsquo;ils entendent par &laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo;. On pourrait finalement accepter de s&rsquo;incliner devant le nombre mais le probl&egrave;me, c&rsquo;est que cette notion omnipr&eacute;sente sert &agrave; construire des positions th&eacute;oriques et/ou id&eacute;ologiques qui font autorit&eacute;. Brubaker (2000) a effectu&eacute; une analyse fine de cette notion et de ses acceptions. Il en fait l&rsquo;histoire et d&eacute;montre comment et pourquoi cette notion a r&eacute;ussi &agrave; s&rsquo;imposer malgr&eacute;, ou gr&acirc;ce, &agrave; son caract&egrave;re &eacute;lastique. Brubaker distingue deux conceptions de l&rsquo;identit&eacute;&nbsp;: une variante forte et une variante faible ou molle&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;La conception forte de l&rsquo;identit&eacute; collective implique une conception forte des liens qui relient les membres du groupe entre eux et de l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; du groupe. Elle implique l&rsquo;existence d&rsquo;un haut degr&eacute; de &quot;groupalit&eacute;&quot;, d&rsquo;une &quot;identit&eacute;&quot; ou d&rsquo;une similitude entre les membres du groupe, en m&ecirc;me temps que d&rsquo;une distinction nette &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des non-membres et d&rsquo;une fronti&egrave;re clairement marqu&eacute;e entre l&rsquo;int&eacute;rieur et l&rsquo;ext&eacute;rieur. &Eacute;tant donn&eacute; les nombreuses et puissantes contestations que suscite les conceptions substantialistes du groupe et les conceptions essentialistes de l&rsquo;identit&eacute;, on pourrait penser que nous avons d&eacute;crit ici un &quot;&eacute;pouvantail&quot; &raquo;. (Brubaker 2000&nbsp;: 74).</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Et pourtant, l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;pouvantail&nbsp;&raquo; que d&eacute;crit Brubaker est bien la conception de l&rsquo;identit&eacute; qui pr&eacute;vaut dans les textes europ&eacute;ens de r&eacute;f&eacute;rence, avec la circonstance aggravante de l&rsquo;utilisation de la notion de &laquo;&nbsp;communaut&eacute;&nbsp;&raquo; abondamment convoqu&eacute;e sur laquelle je reviendrai. Brubaker par ailleurs montre qu&rsquo;il existe une autre conception de l&rsquo;identit&eacute; qui tente de prendre le contrepied de la conception substantialiste. C&rsquo;est ce qu&rsquo;il appelle les conceptions &laquo;&nbsp;molles&nbsp;&raquo; de l&rsquo;identit&eacute; :</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;La premi&egrave;re est ce que nous appelons le &quot;clich&eacute; constructiviste&quot;. Les conceptions faibles ou molles de l&rsquo;identit&eacute; sont couramment accompagn&eacute;es de qualificatifs indiquant que l&rsquo;identit&eacute; est multiple, instable, fluente, contingente, fragment&eacute;e, construite, n&eacute;goci&eacute;e, etc. Ces qualificatifs sont devenus si familiers &ndash; pour ne pas dire obligatoire &ndash; ces derni&egrave;res ann&eacute;es que leur lecture (et leur &eacute;criture) rel&egrave;ve pratiquement de l&rsquo;automatisme. Ils risquent fort de devenir de simples simulacres, des s&eacute;maphores signalant une position plut&ocirc;t que des mots porteurs de significations. On voit mal comment ces conceptions faibles de l&rsquo;&quot;identit&eacute;&quot; sont encore des conceptions de l&rsquo;identit&eacute;. Le sens courant d&rsquo;&quot;identit&eacute;&quot; &eacute;voque fortement au moins l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une &quot;similitude&quot; &agrave; travers le temps, d&rsquo;une persistance, de quelque chose qui demeure identique, semblable, tandis que d&rsquo;autres choses changent. &Agrave; quoi bon utiliser le terme d&rsquo;&quot;identit&eacute;&quot; si cette signification fondamentale est express&eacute;ment rejet&eacute;e&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">On est au c&oelig;ur ici de l&rsquo;aporie &agrave; laquelle m&egrave;ne l&rsquo;utilisation de ce terme. En effet, avec l&rsquo;une de ses acceptions, l&rsquo;&laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo; essentialise et fige et, avec l&rsquo;autre acception, elle dilue. Et pourtant, toute l&rsquo;argumentation des textes europ&eacute;ens, et des productions acad&eacute;miques qui s&rsquo;en inspirent, repose sur l&rsquo;une ou l&rsquo;autre de ces conceptions, voire sur les deux &agrave; la fois.</p> <p style="text-align:justify">Par ailleurs, il existe une confusion permanente entre les identit&eacute;s individuelles et les identit&eacute;s collectives dans l&rsquo;emploi du terme. Pour ce qui concerne notre sujet ici, il s&rsquo;agit des identit&eacute;s collectives, celles des &laquo;&nbsp;minorit&eacute;s&nbsp;&raquo; ou des &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo;. Or, Kaufmann (2010) qui, lui, ne r&eacute;cuse pas la notion d&rsquo;identit&eacute;, montre que les identit&eacute;s collectives sont quasiment impossibles &agrave; d&eacute;finir et qu&rsquo;elles sont surtout individuelles. Descombes enfin (2013) analyse la notion d&rsquo;un point de vue philosophique en d&eacute;montrant qu&rsquo;elle m&egrave;ne&nbsp;&agrave; une impasse logique :</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;Parler d&rsquo;identit&eacute; changeante, c&rsquo;est s&rsquo;infliger &agrave; soi-m&ecirc;me la r&eacute;futation sophistique que rend possible cette expression saugrenue d&rsquo;une identit&eacute; qui est susceptible de changer &ndash; mais &agrave; laquelle on n&rsquo;en demande pas moins d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;identit&eacute; du groupe en question et donc de l&rsquo;identifier continument comme &eacute;tant lui plut&ocirc;t qu&rsquo;un autre. La notion d&rsquo;une &laquo;&nbsp;identit&eacute; changeante&nbsp;&raquo; est ind&eacute;fendable pour des raisons de logique.&nbsp;&raquo; (Descombes 2013&nbsp;: 182).</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">La contradiction majeure que ne surmontent pas les textes europ&eacute;ens r&eacute;side dans le fait qu&rsquo;on ne peut pas &agrave; la fois essayer par tous les moyens de &laquo;&nbsp;d&eacute;construire&nbsp;&raquo; les identit&eacute;s nationales tout en promouvant et en valorisant les identit&eacute;s &laquo;&nbsp;minoritaires&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;culturelles&nbsp;&raquo; et en promouvant &laquo;&nbsp;l&rsquo;identit&eacute; europ&eacute;enne&nbsp;&raquo;. Le th&egrave;me de l&rsquo;identit&eacute; nationale a fait l&rsquo;objet en France d&rsquo;un d&eacute;bat calamiteux instrumentalis&eacute; par le pouvoir en place et dans lequel se sont engouffr&eacute;s les politiques et les intellectuels. Il a donn&eacute; lieu &agrave; l&rsquo;&eacute;talage des pires inepties et &agrave; des caricatures de positions. La question de l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo; nationale m&eacute;riterait un tr&egrave;s long d&eacute;veloppement que nous n&rsquo;avons pas la place de faire ici. On sait depuis bien longtemps que les &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; nationales sont des constructions politiques dat&eacute;es. Hobsbawm (1992), Anderson (1996), Thiesse (2001&nbsp;; 2010), entre autres, l&rsquo;ont bien montr&eacute;. Ceci &eacute;tant, la question du fait national, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la r&eacute;alit&eacute; historique, politique et psychosociologique des nations ne peut &ecirc;tre rejet&eacute;e d&rsquo;un revers de main id&eacute;ologique. Si l&rsquo;identit&eacute; nationale a pu servir de pr&eacute;texte aux pires exc&egrave;s politiques au cours du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, le concept d&rsquo;<em>identit&eacute; culturelle</em> a lui aussi amplement servi d&rsquo;appui aux diff&eacute;rents courants de la droite extr&ecirc;me (Meyran et Rasplus 2014), y compris aux nazis dont tout l&rsquo;&eacute;difice id&eacute;ologique reposait sur le concept de l&rsquo;identit&eacute; raciale et culturelle et pas sur celui de nation.</p> <p style="text-align:justify">Les constructions identitaires sont d&rsquo;ailleurs toujours &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des &Eacute;tats nations institu&eacute;s ou des groupes qui cherchent &agrave; se faire une place politique, sous toutes les latitudes. Je pense, entre beaucoup d&rsquo;autres, aux Roms qui cherchent &agrave; se d&eacute;finir une identit&eacute; collective sur la base d&rsquo;une fiction linguistique (Garo 2002&nbsp;; Canut 2011), aux berb&egrave;res (Pouessel 2005), aux mayas (L&eacute;onard 2005)) ou bien encore au micro-nationalisme breton qui se r&eacute;invente une langue bretonne toute neuve et une &laquo;&nbsp;celtit&eacute;&nbsp;&raquo; de pacotille bas&eacute;e sur des bases id&eacute;ologiques racistes (Morvan 2002). On arrive d&rsquo;ailleurs &agrave; une contradiction qui, pas sa simple &eacute;vocation, permet de mesurer le caract&egrave;re tr&egrave;s largement artificiel de ces identit&eacute;s r&eacute;invent&eacute;es. &Eacute;voquant les deux vari&eacute;t&eacute;s de breton, Broudic &eacute;crit&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;... la distance est consid&eacute;rable entre le badume (la langue qui se parle localement au quotidien) et la langue norm&eacute;e qui s&rsquo;impose pour l&rsquo;enseignement, dans la presse et l&rsquo;&eacute;dition, y compris sur internet, ou sur les panneaux routiers bilingues, et qui est aussi celle dans laquelle tendent &agrave; s&rsquo;exprimer les nouveaux locuteurs en ayant fait l&rsquo;acquisition comme langue seconde. La dichotomie est telle que l&rsquo;on se trouve, pour ainsi dire en pr&eacute;sence de deux langues juxtapos&eacute;es&hellip;&nbsp;&raquo; (Broudic 2013&nbsp;: 451).</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">On assiste ainsi &agrave; la cr&eacute;ation <em>in vitro</em> d&rsquo;une langue bretonne, pour les besoins de la cause identitaire, au prix d&rsquo;une rupture avec les locuteurs dont les nationalistes disent justement vouloir conserver l&rsquo;h&eacute;ritage et perp&eacute;tuer la &laquo;&nbsp;tradition&nbsp;&raquo;. Les micro-nationalismes font flor&egrave;s en ce moment (catalans, &eacute;cossais, flamand, corses, lombardo-v&eacute;nitiens, etc.) et ils construisent tous leurs argumentaires sur des bases ethniques ou linguistiques en r&eacute;inventant leur histoire&nbsp;: &laquo;&nbsp;nous devons &ecirc;tre ind&eacute;pendants parce que vous sommes diff&eacute;rents, parce que nous avons notre propre identit&eacute;&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est l&rsquo;affirmation de l&rsquo;identit&eacute; en soi et pour soi sans autre projet politique que celui de vivre entre soi. &Agrave; une nuance pr&egrave;s cependant&nbsp;: les micro-nationalismes catalans, flamands ou lombardo-v&eacute;nitiens par exemple fondent leurs revendications sur des bases &eacute;conomiques. En effet, ces zones relativement prosp&egrave;res dans l&rsquo;Europe d&rsquo;aujourd&rsquo;hui, justifient leur volont&eacute; de se s&eacute;parer des &Eacute;tats nations parce qu&rsquo;ils n&rsquo;ont plus envie de contribuer de &laquo;&nbsp;payer pour les autres&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire les r&eacute;gions plus pauvres. Il ne s&rsquo;agit donc pas d&rsquo;un projet d&rsquo;&eacute;mancipation mais d&rsquo;&eacute;go&iuml;sme national.</p> <p style="text-align:justify">La question est donc de comprendre pourquoi, malgr&eacute; des critiques anciennes, pertinentes et r&eacute;currentes, cette notion d&rsquo;identit&eacute; continue &agrave; &ecirc;tre utilis&eacute;e dans le discours &agrave; pr&eacute;tention scientifique, sans le moindre recul critique. La surabondance de ce terme dans les documents europ&eacute;ens, ainsi d&rsquo;ailleurs que dans les textes qui s&rsquo;en inspirent ou qui s&rsquo;y r&eacute;f&eacute;rent, devraient au minimum inciter les auteurs &agrave; davantage de prudence. Dans le cas des politiques concernant l&rsquo;accueil des migrants, le postulat de base que les migrants poss&egrave;dent des &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; particuli&egrave;res proc&egrave;de d&rsquo;un choix politique&nbsp;: les &laquo;&nbsp;identit&eacute;s culturelles&nbsp;&raquo; se substituent aux appartenances de classe, bien plus subversives et plus dangereuses pour l&rsquo;ordre social et &eacute;conomique en place en Europe. Je l&rsquo;ai dit en introduction, ce n&rsquo;est pas un hasard si les &laquo;&nbsp;travailleurs immigr&eacute;s&nbsp;&raquo; sont devenus des &laquo;&nbsp;migrants&nbsp;&raquo;. Ce faisant, en mettant l&rsquo;identit&eacute; culturelle en avant, on contribue &agrave; ethniciser une question &eacute;minemment sociale.</p> <p style="text-align:justify">Je livre un exemple au lecteur (parmi d&rsquo;autres, puisque le choix est large), extrait du <em>Livre Blanc</em>, qui donne &agrave; voir les contorsions intellectuelles des id&eacute;ologues europ&eacute;ens pour tenter de sortir de la contradiction o&ugrave; les m&egrave;ne cette question de l&rsquo;identit&eacute; (Livre Blanc&nbsp;: 18)&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;Ainsi, le dialogue interculturel est important pour g&eacute;rer la pluri-appartenance culturelle dans un environnement multiculturel. C&rsquo;est un outil qui permet de trouver constamment un nouvel &eacute;quilibre identitaire, qui r&eacute;pond aux nouvelles ouvertures ou exp&eacute;riences et ajoute &agrave; l&rsquo;identit&eacute; de nouvelles dimensions sans perdre ses propres racines. Le dialogue interculturel nous aide &agrave; &eacute;viter les &eacute;cueils des politiques identitaires et &agrave; rester ouverts aux exigences des soci&eacute;t&eacute;s modernes.&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Le <em>Livre Blanc</em> tente ici de nous convaincre, dans son in&eacute;narrable jargon, que pour &eacute;viter les &laquo;&nbsp;&eacute;cueils des politiques identitaires&nbsp;&raquo;, donc les mauvaises politiques, il faut ajouter aux identit&eacute;s d&rsquo;autres identit&eacute;s&nbsp;! On aura bien compris, au-del&agrave; de ce salmigondis verbal, que pour les id&eacute;ologues europ&eacute;ens, ce ne sont pas les identit&eacute;s qui posent probl&egrave;me en soi&nbsp;: ce qui importe en fait pour eux c&rsquo;est de faire le tri et le bon choix entre les &laquo;&nbsp;bonnes&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;mauvaises&nbsp;&raquo; identit&eacute;s.</p> <h2 style="text-align:justify">4. Culturalisation et ethnicisation de la question&nbsp;migratoire</h2> <h3>4.1.&nbsp;La notion probl&eacute;matique de <em>culture</em></h3> <p style="text-align:justify">De la m&ecirc;me fa&ccedil;on qu&rsquo;<em>identit&eacute;</em>, <em>culture</em> est une notion hypertrophi&eacute;e. Apparue dans le r&eacute;pertoire conceptuel des anthropologues au tournant des XIX<sup>e</sup> et XX<span style="font-size:10.1333px">e</span>&nbsp;si&egrave;cles, ce concept s&rsquo;est lentement transform&eacute; en notion aux contours de plus en plus flous pour finir par devenir un terme tellement galvaud&eacute; qu&rsquo;il ne poss&egrave;de aujourd&rsquo;hui plus de consistance th&eacute;orique. Son &laquo;&nbsp;passage&nbsp;&raquo; dans le domaine public a largement contribu&eacute; &agrave; cette dilution conceptuelle mais les sciences sociales largement consommatrices de ce terme, sont &eacute;galement responsables. L&rsquo;anthropologie aujourd&rsquo;hui remet en cause et travaille cette notion qui pose davantage de probl&egrave;mes qu&rsquo;elle n&rsquo;en r&eacute;sout. Ce travail de remise en cause et de red&eacute;finition est entam&eacute; depuis longtemps et l&rsquo;on pourrait presque dire qu&rsquo;il a commenc&eacute; avec l&rsquo;apparition du terme lui-m&ecirc;me. Je renvoie, concernant cette &eacute;volution, &agrave; l&rsquo;excellent travail de synth&egrave;se de Cuche (2001). Ce travail d&rsquo;interrogation de la notion, et des probl&egrave;mes qu&rsquo;elle pose dor&eacute;navant, continue aujourd&rsquo;hui. Il est men&eacute; par l&rsquo;anthropologie, discipline qui l&rsquo;a introduite dans le domaine des sciences sociales. La notion de culture fait l&rsquo;objet de critiques de plus en plus fr&eacute;quentes et de plus en plus frontales de la part des anthropologues. Amselle (2010&nbsp;: 10), &agrave; partir du terrain africain, &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est ce travail&nbsp;de terrain qui m&rsquo;a amen&eacute; &agrave; d&eacute;construire trois cat&eacute;gories capitales de l&rsquo;anthropologie&nbsp;: celles d&rsquo;ethnie, de culture et d&rsquo;identit&eacute;&raquo;. Selon lui, &laquo;&nbsp;toute culture est le produit d&rsquo;un branchement, d&rsquo;une d&eacute;rivation op&eacute;r&eacute;e &agrave; partir d&rsquo;un r&eacute;seau de significations plus large qu&rsquo;elle.&nbsp;&raquo; Bensa (2006&nbsp;: 125-126), sur la base de son terrain oc&eacute;anien &eacute;crit de son c&ocirc;t&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;Il suffit pourtant de consid&eacute;rer quelques exemples pour s&rsquo;apercevoir que la notion de culture, et le vocabulaire qu&rsquo;elle charrie dans son sillage font eau de toute part. Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;un comportement oc&eacute;anien, europ&eacute;en, asiatique&nbsp;? Quand je mange avec des baguettes, est-ce que je deviens chinois&nbsp;? Si ces gestes relevaient vraiment de cette divinit&eacute; incommensurable qu&rsquo;on appelle culture, ils ne pourraient &ecirc;tre appris par des personnes d&rsquo;origines diff&eacute;rentes. Dans son acception actuelle la plus courante, la notion de culture, comme celle autrefois de race, suppose une niche o&ugrave; chacun serait enferm&eacute; d&egrave;s sa naissance et dont il serait impossible de sortir&nbsp;&raquo;.</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Forg&eacute;e &agrave; l&rsquo;origine par les anthropologues pour d&eacute;crire les soci&eacute;t&eacute;s qu&rsquo;ils qualifiaient encore au d&eacute;but du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle de &laquo;&nbsp;primitives&nbsp;&raquo;, le concept porte immanquablement et durablement la marque du contexte politique, social et scientifique dans lequel il est apparu. En effet, il s&rsquo;agissait pour les administrations coloniales de connaitre les populations des territoires conquis, de les recenser et, si possible, de les organiser dans leur maillage politico-administratif. D&egrave;s l&rsquo;origine, les &laquo;&nbsp;indig&egrave;nes&nbsp;&raquo; sont class&eacute;s, nomm&eacute;s et administr&eacute;s. Ce classement est effectu&eacute; en utilisant le crit&egrave;re racial, ethnique ou tribal, reposant tous les trois essentiellement sur le crit&egrave;re linguistique. L&rsquo;administration coloniale, directement ou indirectement appuy&eacute;e par les anthropologues, cr&eacute;e donc les ethnies, leurs territoires et leurs chefs. Le concept de culture ne fera qu&rsquo;apporter une caution scientifique &agrave; des entit&eacute;s largement construites par les europ&eacute;ens. Les groupes ethniques rep&eacute;r&eacute;s par l&rsquo;anthropologie, et accept&eacute;s comme tels, sont des constructions de l&rsquo;&eacute;poque coloniale et le concept de culture, plaqu&eacute; sur celui d&rsquo;ethnie, reprend &agrave; son compte cette invention. Le concept de &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; a un effet performatif&nbsp;: il cr&eacute;e le groupe culturel ou ethnique en le nommant. L&rsquo;anthropologie cr&eacute;e une &laquo;&nbsp;r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo; qui va finir par s&rsquo;imposer. Les groupes ethniques et leurs noms, ainsi cr&eacute;es par les anthropologues, vont &ecirc;tre utilis&eacute;s par l&rsquo;administration coloniale mais &eacute;galement par les scientifiques. Par un effet pervers propre au monde acad&eacute;mique, des g&eacute;n&eacute;rations d&rsquo;ethnologues reprennent ces classifications pour mener des recherches sur le terrain o&ugrave; chacun cherche &agrave; travailler sur telle ou telle ethnie particuli&egrave;re et occuper ainsi un cr&eacute;neau de sp&eacute;cialit&eacute; n&eacute;cessaire pour construire une carri&egrave;re acad&eacute;mique. Ce faisant, il devient difficile pour les anthropologues de d&eacute;construire leur propres objets d&rsquo;analyse sans d&eacute;construire leur propre travail et, dans ce cas, d&rsquo;interroger les notions d&rsquo;ethnie ou de culture alors que le travail d&rsquo;une carri&egrave;re enti&egrave;re repose sur ces deux bases th&eacute;oriques. Les concepts d&rsquo;ethnie et de culture ont prosp&eacute;r&eacute; au prix de la mise en place d&rsquo;un &eacute;cran th&eacute;orique qui se fissure aujourd&rsquo;hui. Pour cr&eacute;er ses objets &eacute;pist&eacute;mologiques, c&rsquo;est-&agrave;-dire les ethnies et les cultures, l&rsquo;ethnographie a d&ucirc; faire subir &agrave; la r&eacute;alit&eacute; quelques op&eacute;rations chirurgicales. L&rsquo;ethnographie a d&rsquo;abord d&eacute;coup&eacute; dans la masse des populations et des soci&eacute;t&eacute;s qu&rsquo;elle d&eacute;couvrait en dissociant les groupes sociaux les uns des autres sur la base de crit&egrave;res qu&rsquo;elle avait &eacute;tablis&nbsp;: langues, religions, types de parent&egrave;le, etc. Le travail ethnographique a ensuite consist&eacute; &agrave; circonscrire ces groupes de fa&ccedil;on rigoureuse et univoque, d&rsquo;en &eacute;tablir la liste et de d&eacute;limiter leurs territoires. Il s&rsquo;est agi ensuite de nommer ces groupes, op&eacute;ration essentielle, je l&rsquo;ai dit, puisque c&rsquo;est un acte performatif&nbsp;: par la puissance de la science et de l&rsquo;administration coloniale, les ethnies sont cr&eacute;&eacute;es par le fait d&rsquo;&ecirc;tre nomm&eacute;es. La derni&egrave;re op&eacute;ration, mais pas la moindre, consistera &agrave; abstraire ces entit&eacute;s ainsi cr&eacute;es de l&rsquo;histoire&nbsp;: sans m&eacute;moire &eacute;crite, poss&eacute;dant un mode vie en apparence surgi du fond des &acirc;ges, ces peuples et ces soci&eacute;t&eacute;s semblaient vivre dans une intemporalit&eacute; mythologique, un non-temps, une non-histoire puisqu&rsquo;il semblait &agrave; l&rsquo;ethnographie que le temps s&rsquo;&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute; pour ces peuples ou bien m&ecirc;me qu&rsquo;il n&rsquo;avait jamais d&eacute;but&eacute;. Sans histoire, il n&rsquo;y a donc ni progr&egrave;s ni changement et les saisons semblent se suivre et se ressembler pour les soci&eacute;t&eacute;s traditionnelles. Le concept de culture, dans ce contexte intellectuel, arrive &agrave; point nomm&eacute; pour d&eacute;crire cette nouvelle r&eacute;alit&eacute; &eacute;pist&eacute;mologique et il poss&egrave;de l&rsquo;avantage de se d&eacute;barrasser de celui de race, devenu par trop encombrant apr&egrave;s la seconde guerre mondiale. Car il s&rsquo;est bien agi d&rsquo;un glissement, d&rsquo;un passage subreptice de &laquo;&nbsp;race&nbsp;&raquo; &agrave; &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; que d&eacute;crit tr&egrave;s bien Benn Mickaels (Benn Mickaels 1992).</p> <p style="text-align:justify">Mais l&rsquo;anthropologie n&rsquo;a jamais cess&eacute; d&rsquo;interroger ses concepts centraux, culture, ethnie, ethnicit&eacute; (Poutignat et Streiff 1999). De fait, la d&eacute;finition de la culture peut vite tourner en rond si l&rsquo;on commence &agrave; s&rsquo;interroger sur les bases qui les fondent. D&rsquo;ailleurs, les diff&eacute;rentes d&eacute;finitions de la culture sont innombrables, au sens propre du terme (Cuche 2001). Une culture se d&eacute;finit par le fait que les membres d&rsquo;un groupe ou d&rsquo;une communaut&eacute; ou d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; partagent un certain nombre de pratiques, de repr&eacute;sentations, qu&rsquo;ils disent descendre du m&ecirc;me anc&ecirc;tre, qu&rsquo;ils parlent la m&ecirc;me langue ou pratiquent la m&ecirc;me religion. Le probl&egrave;me est de savoir s&rsquo;il faut d&eacute;finir le groupe pour trouver la culture qui lui correspond ou bien l&rsquo;inverse. Le concept de culture a contribu&eacute; &agrave; r&eacute;ifier des soci&eacute;t&eacute;s et des cultures en les d&eacute;crivant comme des syst&egrave;mes clos et homog&egrave;nes. Or, on commence &agrave; avoir une toute autre id&eacute;e de ces cultures&nbsp;: elles ne sont pas closes sur elles-m&ecirc;mes mais en perp&eacute;tuel mouvement&nbsp;et sont en interaction permanente. Les groupes culturels ou ethniques se font et se d&eacute;font sans cesse, s&rsquo;interconnectent, se m&ecirc;lent et se s&eacute;parent. Les travaux des ethnographes et des arch&eacute;ologues montrent &eacute;galement que ces groupes ont non seulement une histoire, mais qu&rsquo;en plus celle-ci est tumultueuse, faite de guerres, de conflits, de construction et de destruction d&rsquo;entit&eacute;s politiques (Keeley 2009). Les cultures traditionnelles ne sont homog&egrave;nes que par la volont&eacute; des ethnographes qui n&rsquo;ont cherch&eacute; &agrave; savoir que ce qui rapprochait les membres des groupes sans voir ce qui les opposait, sans s&rsquo;int&eacute;resser aux in&eacute;galit&eacute;s, aux rapports de force et de domination, aux luttes qui agitaient en interne ces soci&eacute;t&eacute;s. Plus on remonte l&rsquo;histoire de ces soci&eacute;t&eacute;s, quand il est possible de le faire, et moins on per&ccedil;oit de continuit&eacute; indiscutable dans le temps et dans la structure et la composition de ces soci&eacute;t&eacute;s. Les &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; traditionnelles sont instables, complexes, soumises &agrave; d&rsquo;incessantes pressions externes et internes qui les font &eacute;clater, se recomposer, s&rsquo;entre-d&eacute;truire ou s&rsquo;auto-d&eacute;truire, qu&rsquo;elles sont interconnect&eacute;es avec des fronti&egrave;res floues, bref, qu&rsquo;elles sont insaisissables. L&rsquo;anthropologie d&rsquo;aujourd&rsquo;hui interroge ce concept et prend d&eacute;sormais d&rsquo;infinies pr&eacute;cautions avant de l&rsquo;employer (Ab&eacute;l&egrave;s 2012).</p> <p style="text-align:justify">Cet assez long d&eacute;tour, qui semble nous amener loin de notre propos central, se justifie par le fait que les sciences sociales, et pour ce qui concerne directement mon propos ici la sociolinguistique et la didactique, on massivement import&eacute; la notion de culture et l&rsquo;utilisent abondamment, avec toutes ses d&eacute;clinaisons adjectivales et/ou affixales. Les textes europ&eacute;ens reposent tout entier sur cette notion et son omnipr&eacute;sence confine parfois au lavage de cerveau. Mais si l&rsquo;on peut comprendre que des textes d&rsquo;orientation politique, comme le sont les documents du Conseil de l&rsquo;Europe, ne prennent pas la peine d&rsquo;au minimum interroger le terme, on peut le regretter quand il s&rsquo;agit de textes &agrave; pr&eacute;tention scientifique. La quantit&eacute; d&rsquo;articles et d&rsquo;ouvrages publi&eacute;s sur le th&egrave;me du &laquo;&nbsp;-culturel&nbsp;&raquo;, simplement dans le champ de la didactique et de la sociolinguistique, est proprement &eacute;tonnante. Pour cela, toutes les ressources morphologiques du fran&ccedil;ais sont utilis&eacute;es, avec tous les pr&eacute;fixes imaginables (inter-, pluri-, multi-, intra-, trans- ou d&rsquo;autres, combin&eacute;s, comme multi-trans). Les suffixes sont &eacute;galement utilis&eacute;s, une fois que les pr&eacute;fixes ont &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;s&nbsp;(alterculturalit&eacute;, alterculturation&hellip;). La surproduction lexicale ne se limite pas au lex&egrave;me <em>culture</em>&nbsp;: d&rsquo;autres constructions morphologiques apparaissent sur la base de termes omnipr&eacute;sents dans les textes europ&eacute;ens et de ceux qui s&rsquo;en inspirent, comme <em>alt&eacute;ritaire</em> ou <em>diversitaire</em>. Cette inflation n&eacute;ologique confine &agrave; la logomachie et masque mal une indigence conceptuelle.<sup><a href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a></sup></p> <p style="text-align:justify">Pass&eacute; du domaine ethnographique de l&rsquo;analyse des soci&eacute;t&eacute;s traditionnelles, vers celle des soci&eacute;t&eacute;s industrielles et post-industrielles, le concept de culture d&eacute;montre plus encore ses limites. Les d&eacute;ficiences th&eacute;oriques constat&eacute;es dans son domaine d&rsquo;&eacute;mergence et d&rsquo;application d&rsquo;origine, l&rsquo;ethnographie, sont encore plus criantes dans le contexte des soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. La conception holistique des cultures, les consid&eacute;rant et les analysant comme des touts homog&egrave;nes et coh&eacute;rents, ne tient plus. L&rsquo;introduction de l&rsquo;histoire comme facteur d&rsquo;analyse suffit &agrave; d&eacute;montrer que ces ensembles rep&eacute;r&eacute;s par le regard ext&eacute;rieur de l&rsquo;ethnographe n&rsquo;est qu&rsquo;une illusion. En effet, d&rsquo;une part la m&eacute;thodologie ethnographique et le regard anhistorique de l&rsquo;observateur fige les soci&eacute;t&eacute;s &eacute;tudi&eacute;es dans un pr&eacute;sent perp&eacute;tuel et produit des clich&eacute;s photographiques d&rsquo;un instantan&eacute; social qui ne voit rien des mouvements, des changements et des bouleversements en cours, pass&eacute;s ou &agrave; venir. D&rsquo;autre part, l&rsquo;approche holistique des cultures g&ecirc;ne ou emp&ecirc;che de voir les conflits sociaux &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre au sein de ces cultures.&nbsp;Les recherches arch&eacute;ologiques d&eacute;montrent que les soci&eacute;t&eacute;s et les cultures traditionnelles ont disparu, se sont fragment&eacute;es, se sont dispers&eacute;es ou se sont autod&eacute;truites &agrave; la suite de violents conflits internes (Diamond 2000, 2006, 2013&nbsp;; Keeley&nbsp;2009). Enfin et surtout, la conception culturaliste et holistique des &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; a privil&eacute;gi&eacute; une approche id&eacute;aliste, au sens philosophique du terme, en privil&eacute;giant les facteurs religieux, symboliques ou mythologiques pour interpr&eacute;ter les donn&eacute;es collect&eacute;es par le travail de terrain. Ce faisant, elle a compl&egrave;tement sous-estim&eacute; les facteurs mat&eacute;riels, les aspects fondamentaux qui concernent la production, la gestion et la distribution des ressources de subsistance, sources de conflits destructeurs.</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;&eacute;vocation, ou l&rsquo;invocation pourrait-on dire, de la <em>culture</em> en didactique et en sociolinguistique, repr&eacute;sente un probl&egrave;me non pas tant parce qu&rsquo;il faudrait d&eacute;finir chaque terme employ&eacute; et s&rsquo;assurer de son univocit&eacute; car cet objectif est une illusion en sciences humaines. Toutes les notions ont des contours plus ou moins flous et il faut bien s&rsquo;en accommoder. Le probl&egrave;me avec cette notion de culture, et c&rsquo;est l&agrave; le plus important, c&rsquo;est ce que v&eacute;hicule ce terme&nbsp;quand il est import&eacute; dans d&rsquo;autres disciplines que l&rsquo;anthropologie. En faisant l&rsquo;impasse sur les questionnements soulev&eacute;s par cette notion, les discours didactiques et sociolinguistiques en reproduisent les contradictions et les limites.</p> <h3 style="text-align:justify">4.2. La culture des migrants</h3> <p style="text-align:justify">Ainsi, dans le domaine qui nous int&eacute;resse ici, l&rsquo;exhortation militante &agrave; la reconnaissance et &agrave; la valorisation des &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; des migrants, que l&rsquo;on retrouve aussi bien dans les textes officiels du COE que dans ceux des chercheurs qui s&rsquo;en inspirent, repose sur des contradictions fondamentales et irr&eacute;ductibles. La reconnaissance et la valorisation des cultures suppose en effet que celles-ci soient identifiables et que l&rsquo;on soit capable d&rsquo;en d&eacute;finir les contours, sinon la nature et les traits. Cela suppose &eacute;galement que l&rsquo;on soit capable de dire quels sont les groupes et/ou les individus qui y appartiennent ou s&rsquo;en r&eacute;clament. Dans le premier cas, des cultures auraient &eacute;t&eacute; pr&eacute;d&eacute;finies et dans le second, il s&rsquo;agirait de groupes d&rsquo;individus conscients d&rsquo;appartenir sans &eacute;quivoque &agrave; une culture qu&rsquo;ils auraient eux-m&ecirc;mes d&eacute;finie et dont ils se revendiquent. Or, on vient de voir qu&rsquo;une culture est une entit&eacute; insaisissable, en th&eacute;orie et en pratique. Aucune &laquo;&nbsp;appartenance&nbsp;&raquo; nationale, religieuse et encore moins &laquo;&nbsp;ethnique&nbsp;&raquo; n&rsquo;est capable de faire le tour des modes de comportement et de pens&eacute;e d&rsquo;un individu. D&egrave;s lors, les approches culturalistes, tout en r&eacute;affirmant le r&ocirc;le central des cultures, utilisent le m&ecirc;me biais que pour l&rsquo;identit&eacute;&nbsp;: les cultures sont d&eacute;clar&eacute;es &laquo;&nbsp;multiples&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;diverses&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;m&eacute;tiss&eacute;es&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est une fa&ccedil;on de contourner, dans la facilit&eacute; th&eacute;orique, les reproches r&eacute;currents de r&eacute;ification des cultures. Mais si l&rsquo;on admet que les &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; ne sont pas des ensembles homog&egrave;nes, fig&eacute;s, permanents, comment peut-on encore les qualifier de &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo;, au sens qu&rsquo;en donne l&rsquo;anthropologie depuis plus d&rsquo;un si&egrave;cle&nbsp;? Si l&rsquo;on admet que les &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; se d&eacute;finissent par de multiples traits, influences, ou m&eacute;langes, que reste-t-il de ces entit&eacute;s pr&eacute;d&eacute;finies que l&rsquo;on appelle &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo;&nbsp;? Si l&rsquo;on ajoute &agrave; cela que ces &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; et ces &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; ne sont pas permanentes et se modifient, &eacute;voluent, se restructurent en fonction des parcours de vie, des contextes et des contacts, ces deux notions finissent par perdre ce qu&rsquo;il leur reste d&rsquo;&eacute;paisseur. On passe alors de l&rsquo;approche r&eacute;ifiante, essentialiste de la culture &agrave; la version molle, comme le dit Brubacker (<em>op. cit</em>.) &agrave; propos de la notion d&rsquo;identit&eacute;. Cette version de la culture est alors si molle qu&rsquo;elle en devient liquide&nbsp;: la culture, et donc les rapports interculturels, se r&eacute;duisent &agrave; la &laquo;&nbsp;gestion&nbsp;&raquo; des relations interindividuelles, &agrave; une capacit&eacute; r&eacute;flexive et de d&eacute;centration dans les relations interindividuelles. La montagne de l&rsquo;interculturel a ainsi accouch&eacute; d&rsquo;une souris conceptuelle.</p> <p style="text-align:justify">On comprend que l&rsquo;association des deux notions identit&eacute; et culture dans l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;identit&eacute; culturelle&nbsp;&raquo;, devienne alors un v&eacute;ritable pi&egrave;ge th&eacute;orique et politique (Meyran et Rasplus 2014). Ce pi&egrave;ge s&rsquo;est referm&eacute; avec la parution d&rsquo;un ouvrage (Lagrange 2010) qui a suscit&eacute; de nombreuses pol&eacute;miques. Celui-ci d&eacute;montre, statistiques de la d&eacute;linquance &agrave; l&rsquo;appui, que les migrants d&rsquo;origine sah&eacute;lienne, du fait d&rsquo;un certain nombre de traits culturels de leurs soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;origine, seraient plus enclins &agrave; la violence. Ce qui m&rsquo;int&eacute;resse ici ce n&rsquo;est pas de d&eacute;montrer s&rsquo;il a raison ou tort<sup><a href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc">2</a></sup> mais de faire appara&icirc;tre le pi&egrave;ge scientifique et politique auquel m&egrave;ne le culturalisme. Les conclusions de Lagrange ont &eacute;t&eacute; imm&eacute;diatement reprises par une certaine droite parce qu&rsquo;elles confirmeraient qu&rsquo;il y a bien un probl&egrave;me &laquo;&nbsp;culturel&nbsp;&raquo; avec certains immigr&eacute;s tandis que ces conclusions &eacute;taient par ailleurs violemment contest&eacute;es par des sociologues de gauche. Si Lagrange &eacute;tait parvenu &agrave; la conclusion que la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; de ces migrants d&rsquo;origine sah&eacute;lienne et de leurs enfants favorisait un comportement pacifique, l&rsquo;orientation du d&eacute;bat aurait sans doute &eacute;t&eacute; compl&egrave;tement diff&eacute;rente. Le pi&egrave;ge a fonctionn&eacute; ici parce que la mise en avant syst&eacute;matique de la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; des migrants pour la &laquo;&nbsp;reconna&icirc;tre&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;respecter&nbsp;&raquo;, ou en favoriser le maintien, contribue &agrave; placer la question culturelle au centre du d&eacute;bat. D&egrave;s lors qu&rsquo;il s&rsquo;av&eacute;rerait que la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; des migrants serait non plus une source d&rsquo;&eacute;panouissement ou d&rsquo;enrichissement mais un obstacle, pourrait-on encore en favoriser la reconnaissance et le maintien&nbsp;? Mon propos ici, je le r&eacute;p&egrave;te, n&rsquo;est pas de prendre position sur le fait que la culture d&rsquo;origine serait un obstacle ou un enrichissement mais de dire qu&rsquo;il faut tout simplement se d&eacute;barrasser de cette notion, ainsi que de celle d&rsquo;identit&eacute;, pour analyser le fait migratoire. La notion d&rsquo;identit&eacute; culturelle est bel et bien un pi&egrave;ge qu&rsquo;il faut &eacute;viter. Elle conduit &agrave; ethniciser la question de la migration&nbsp;: la mise en avant syst&eacute;matique de la notion d&rsquo;identit&eacute; culturelle pour les migrants, port&eacute;e par les porte-parole autoproclam&eacute;s des &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo; et des &laquo;&nbsp;entrepreneurs d&rsquo;ethnicit&eacute;&nbsp;&raquo; a provoqu&eacute; en retour une r&eacute;action identitaire des autochtones qui se replient sur l&rsquo;identit&eacute; nationale, le terroir, les valeurs traditionnelles, appuy&eacute;es en cela par la droite de la droite et l&rsquo;extr&ecirc;me-droite (Amselle 2011). Le pi&egrave;ge de la &laquo;&nbsp;diff&eacute;rence culturelle&nbsp;&raquo; a d&eacute;j&agrave; fonctionn&eacute; en Afrique du Sud comme l&rsquo;a montr&eacute; et d&eacute;nonc&eacute; Kuper (1999). En effet, le r&eacute;gime de l&rsquo;Apartheid avait compris l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t du diff&eacute;rentialisme culturel en le retournant au profit de son id&eacute;ologie raciste&nbsp;: si les &ecirc;tres humains se caract&eacute;risent par le fait qu&rsquo;ils appartiennent &agrave; des cultures sp&eacute;cifiques, diff&eacute;rentes les unes des autres, et que ces diff&eacute;rences ne sont pas int&eacute;grables dans un ensemble commun, il s&rsquo;agit d&rsquo;organiser la soci&eacute;t&eacute; de fa&ccedil;on &agrave; ce que chaque culture puisse se d&eacute;velopper et vivre selon leurs choix, de fa&ccedil;on <em>s&eacute;par&eacute;e</em>. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs le sens du mot <em>apartheid</em> en Afrikaans. Il y a bien s&ucirc;r une grande part de cynisme de la part des racistes Sud-Africains mais Kuper montre qu&rsquo;ils se sont appuy&eacute;s sur l&rsquo;id&eacute;ologie culturaliste pour cela. L&rsquo;id&eacute;ologie culturaliste produit en autre effet pervers incarn&eacute; par la vision d&rsquo;Huntington (2000). Selon lui, les cultures, qui forment des ensembles civilisationnels plus vastes, sont si diff&eacute;rentes, si loin les unes des autres, qu&rsquo;elles risquent de mener &agrave; des conflits de grande ampleur. La position de Huntington, comme de celle des culturalistes en g&eacute;n&eacute;ral, pose la diff&eacute;rence des cultures comme des faits incontestables. Ce faisant, cette position &eacute;vacue la possibilit&eacute; m&ecirc;me de l&rsquo;universel. Pour les diff&eacute;rentialistes culturels &laquo;&nbsp;bien-pensants&nbsp;&raquo;, les hommes se d&eacute;finissent par leurs identit&eacute;s culturelles, qu&rsquo;il faut reconnaitre, d&eacute;fendre, promouvoir et faire dialoguer. C&rsquo;est le m&ecirc;me constat de d&eacute;part pour les diff&eacute;rentialistes culturels &laquo;&nbsp;mal-pensants&nbsp;&raquo; mais ils en tirent d&rsquo;autres conclusions&nbsp;: il faut que chacun vive de son c&ocirc;t&eacute; et suffisamment s&eacute;par&eacute; et ferm&eacute; aux autres pour que les cultures puissent survivre.</p> <p style="text-align:justify">Cette association notionnelle entre <em>culture</em> et <em>identit&eacute;</em> est parachev&eacute;e par une autre notion qui pose encore bien plus de probl&egrave;mes que les deux autres et qui est l&rsquo;objet en France d&rsquo;un tr&egrave;s intense d&eacute;bat&nbsp;: la <em>communaut&eacute;</em>. Le <em>Livre Blanc</em> l&rsquo;utilise abondamment sans le plus petit d&eacute;but de questionnement ou de recul. Plus encore que <em>culture</em> ou <em>identit&eacute;</em>, cette notion semble relever de l&rsquo;&eacute;vidence absolue pour les auteurs et le COE. Si <em>culture</em> et <em>identit&eacute;</em> sont des notions floues, celle de <em>communaut&eacute;</em> est tout simplement un non-sens th&eacute;orique et pratique et une bombe &agrave; retardement. La communaut&eacute;, en effet, enferme sans &eacute;quivoque les individus dans des appartenances pr&eacute;d&eacute;finies. Cette fois, &agrave; la diff&eacute;rence de &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo;, les contorsions intellectuelles sur le &laquo;&nbsp;multiple&nbsp;&raquo;, le &laquo;&nbsp;pluriel&nbsp;&raquo;, le &laquo;&nbsp;divers&nbsp;&raquo; ne sont plus possibles&nbsp;: on appartient ou on n&rsquo;appartient pas &agrave; la communaut&eacute;, il n&rsquo;y a pas de demi-mesure possible. La soci&eacute;t&eacute; ainsi pens&eacute;e, il n&rsquo;existe donc plus qu&rsquo;une juxtaposition de communaut&eacute;s, plus ou moins importantes, dominantes ou domin&eacute;es, vivant en bonne entente ou non, mais distinctes&nbsp;: le &laquo;&nbsp;dialogue interculturel&nbsp;&raquo; pr&eacute;voit les &eacute;changes entre les communaut&eacute;s mais cela ne peut fonctionner que si chacun reste &agrave; sa place, en l&rsquo;occurrence dans sa communaut&eacute; d&rsquo;origine. Au mieux peut-on passer dans ce syst&egrave;me d&rsquo;une communaut&eacute; &agrave; l&rsquo;autre. L&rsquo;horizon ind&eacute;passable de la communaut&eacute; est non seulement aberrant mais il contrevient aux principes m&ecirc;mes des &laquo;&nbsp;valeurs&nbsp;&raquo; tant de fois r&eacute;affirm&eacute;es du COE, &agrave; savoir les principes philosophiques et politiques des Lumi&egrave;res. Toute la modernit&eacute; d&eacute;mocratique dont se r&eacute;clament les &Eacute;tats membres du COE est fond&eacute;e sur ce principe d&rsquo;airain du lib&eacute;ralisme politique&nbsp;: la soci&eacute;t&eacute; est compos&eacute;e d&rsquo;individus libres et &eacute;gaux devant la loi commune. La modernit&eacute; d&eacute;mocratique a mis des si&egrave;cles &agrave; &eacute;tablir ce principe, contre toutes les appartenances exclusivist&eacute;s de type religieux surtout, mais aussi coutumier, professionnel, sexuel, etc. Avec la notion de communaut&eacute;, c&rsquo;est un retour en arri&egrave;re de plusieurs si&egrave;cles qui s&rsquo;op&egrave;re. Par ailleurs, qui d&eacute;cide, pour qui et au nom de qui, de l&rsquo;appartenance de tel ou tel individu &agrave; telle ou telle communaut&eacute;&nbsp;? Car c&rsquo;est bien l&agrave; le probl&egrave;me majeur&nbsp;: ces communaut&eacute;s n&rsquo;ont aucune r&eacute;alit&eacute; ni aucune l&eacute;gitimit&eacute; autre que celle que des leaders autoproclam&eacute;es lui donnent. Sauf si justement ce sont des instances publiques qui lui donnent l&rsquo;onction. Et, pratiquement, comment et o&ugrave; ces instances publiques peuvent-elles inventer les communaut&eacute;s et leurs leaders, chercher des &laquo;&nbsp;interlocuteurs&nbsp;&raquo; comme le dit pudiquement le <em>Livre Blanc</em>&nbsp;? La r&eacute;ponse est simple&nbsp;: il faut se tourner vers la religion et les chefs des communaut&eacute;s religieuses que l&rsquo;on d&eacute;signe arbitrairement comme les porte-parole de la communaut&eacute; imagin&eacute;e qu&rsquo;ils sont cens&eacute;s repr&eacute;senter. La boucle est boucl&eacute;e et le <em>Livre Blanc</em> est parfaitement explicite &agrave; cet &eacute;gard&nbsp;: le recours aux communaut&eacute;s religieuses pour le &laquo;&nbsp;dialogue interculturel&nbsp;&raquo; est omnipr&eacute;sent. L&rsquo;enfermement est alors total et infiniment dangereux, comme le d&eacute;nonce justement Amartya Sen (Sen 2006). Ce prix Nobel d&rsquo;&eacute;conomie d&rsquo;origine pakistanaise sait de quoi il parle, lui qui a v&eacute;cu dans son enfance les conflits sanglants entre religions. Il montre le caract&egrave;re mortif&egrave;re de la division des individus sur des bases religieuses et d&eacute;nonce &agrave; la fois les &laquo;&nbsp;intellectuels communautaristes&nbsp;&raquo; mais &eacute;galement, et surtout, les politiques suivies dans les pays occidentaux qui consistent &agrave; &eacute;riger les religions, leurs institutions et leurs leaders en interlocuteurs. Ce faisant, on enferme d&eacute;finitivement les individus, migrants ou non, dans un face &agrave; face irrationnel et explosif entre communaut&eacute;s religieuses et le pi&egrave;ge se referme. &Agrave; cet &eacute;gard, la la&iuml;cit&eacute; telle qu&rsquo;elle est con&ccedil;ue en France (Pena-Ruiz 2003&nbsp;; Kinzler 2012), n&rsquo;est pas qu&rsquo;une attitude frileuse et ferm&eacute;e aux &laquo;&nbsp;diff&eacute;rences&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;affirment ses contempteurs, mais c&rsquo;est cette capacit&eacute; &agrave; remettre le Politique au centre des rapports entre les individus et &agrave; (re)mettre la religion l&agrave; d&rsquo;o&ugrave; elle n&rsquo;aurait jamais d&ucirc; sortir&nbsp;: ses sanctuaires.</p> <h3 style="text-align:justify">4.3. La culture pour faire oublier le social et le politique</h3> <p style="text-align:justify">Les textes du COE sont satur&eacute;s de r&eacute;f&eacute;rences &agrave; la culture et &agrave; l&rsquo;identit&eacute; culturelle des migrants. L&rsquo;alpha et l&rsquo;om&eacute;ga des politiques linguistiques pr&eacute;conis&eacute;es par le COE et de ses experts est la reconnaissance, le respect et la promotion des cultures des migrants. Ces orientations de politique culturelle et linguistique sont d&rsquo;ailleurs largement reprises dans le champ de la didactique des langues. L&rsquo;approche &laquo;&nbsp;plurilingue et interculturelle&nbsp;&raquo; est un totem dont la profanation provoque imm&eacute;diatement l&rsquo;anath&egrave;me. Mais cette notion repose elle aussi sur les sables mouvants des &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; et des &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">La domination sans partage de la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; et de ses affixes tient au fait que le d&eacute;bat scientifique et intellectuel s&rsquo;est tr&egrave;s largement laiss&eacute; absorber par un courant philosophique qui n&rsquo;apparait plus, du moins en ce moment, en tant que tel, justement parce qu&rsquo;il est archi-dominant. Ce courant, c&rsquo;est celui de l&rsquo;id&eacute;alisme philosophique. Cette domination sans partage, et qui s&rsquo;ignore comme telle, est le r&eacute;sultat du reflux actuel du marxisme th&eacute;orique. Le marxisme poss&egrave;de un outillage th&eacute;orique qui propose une approche mat&eacute;rialiste pour l&rsquo;analyse des rapports humains et des rapports entre les hommes (Marx et Engels 1976). Une approche mat&eacute;rialiste de l&rsquo;analyse des rapports entre les hommes s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; ce qu&rsquo;ils font, ce qu&rsquo;ils produisent (o&ugrave;, quand, comment, avec qui et avec quoi), ce qu&rsquo;ils pratiquent pour comprendre ce qu&rsquo;ils disent, ce qu&rsquo;ils pensent ou ce qu&rsquo;ils se repr&eacute;sentent. Selon Marx et Engels, il faut savoir et comprendre ce que <em>font</em> les hommes pour comprendre ce qu&rsquo;ils pensent et ce qu&rsquo;ils disent. Ainsi, la culturalisation ou la psychologisation des rapports sociaux par les sciences humaines refl&egrave;te-t-elle la domination actuelle de l&rsquo;id&eacute;alisme philosophique. Du point de vue des institutions relais du culturalisme, cette position est logique&nbsp;: le COE d&rsquo;abord, cr&eacute;&eacute; en mai 1949, en pleine guerre froide, exactement un mois apr&egrave;s l&rsquo;OTAN et qui, d&egrave;s l&rsquo;origine, est con&ccedil;u comme la branche politique et id&eacute;ologique de l&rsquo;organisation militaire occidentale et qui diffuse une id&eacute;ologie lib&eacute;rale et anti-communiste. Aujourd&rsquo;hui que la menace militaire et id&eacute;ologique des pays de l&rsquo;Est europ&eacute;en n&rsquo;existe plus, l&rsquo;id&eacute;ologie culturaliste sert d&rsquo;autres int&eacute;r&ecirc;ts&nbsp;: en culturalisant et en psychologisant les d&eacute;bats et les approches scientifiques, on fait l&rsquo;impasse sur les questions &eacute;conomiques et sociales, sur les in&eacute;galit&eacute;s abyssales qui se creusent, sur le ch&ocirc;mage de masse et les territoires urbains ou ruraux en compl&egrave;te d&eacute;sh&eacute;rence. C&rsquo;est exactement ce que d&eacute;nonce Benn Mickaels aux &Eacute;tats-Unis (Benn Mickaels&nbsp;2006).</p> <p style="text-align:justify">Les difficult&eacute;s d&rsquo;int&eacute;gration que rencontrent les migrants aujourd&rsquo;hui ne sont ni le fait d&rsquo;une pr&eacute;tendue inadaptation culturelle de leur part ni le fait d&rsquo;une intol&eacute;rance grandissante de la part des autochtones&nbsp;: les probl&egrave;mes d&rsquo;int&eacute;gration sont d&rsquo;abord et avant tout le fait que l&rsquo;Europe est dans un &eacute;tat &eacute;conomique et social calamiteux et que les &Eacute;tats europ&eacute;ens sont incapables d&rsquo;offrir et de proposer autre chose &agrave; leurs peuples, et aux migrants qu&rsquo;ils accueillent, que des paroles l&eacute;nifiantes de tol&eacute;rance mutuelle et une Europe ouverte aux quatre vents de la concurrence &eacute;conomique et humaine. Alors que les &Eacute;tats d&rsquo;Europe sont incapables d&rsquo;offrir un travail, un logement, une formation correcte &agrave; ses peuples, ils leur demandent, en plus, de faire de la place pour d&rsquo;autres qui arrivent d&rsquo;ailleurs, encore plus d&eacute;munis qu&rsquo;eux, et d&rsquo;accepter tout cela avec le sourire accueillant d&rsquo;une tol&eacute;rance bienveillante. Cette incroyable c&eacute;cit&eacute; des &eacute;lites europ&eacute;ennes, &eacute;conomiques et intellectuelles, conduit directement &agrave; la mont&eacute;e de l&rsquo;extr&ecirc;me-droite. Guilluy (2010) parle des &laquo;&nbsp;croyants&nbsp;&raquo; et des &laquo;&nbsp;pratiquants&nbsp;&raquo; en mati&egrave;re de tol&eacute;rance &laquo;&nbsp;multiculturelle&nbsp;: il y a ceux qui la pr&ocirc;nent mais qui sont loin, g&eacute;ographiquement et socialement, de la r&eacute;alit&eacute; de ceux qui vivent confin&eacute;s dans les quartiers populaires des grandes m&eacute;tropoles et des zones p&eacute;ri-urbaines. L&rsquo;opinion des classes dominantes, intellectuelles et &eacute;conomiques, sur la mondialisation et les contacts &laquo;&nbsp;interculturels&nbsp;&raquo; n&rsquo;est qu&rsquo;un point de vue qui tend &agrave; se pr&eacute;senter comme une v&eacute;rit&eacute;. Les voyages, les &eacute;changes multiples, les rencontres professionnelles ou interindividuelles des &eacute;lites leur donnent l&rsquo;illusion de vivre une nouvelle &eacute;poque, celle d&rsquo;un cosmopolitisme heureux. En fait, ils vivent dans une bulle, o&ugrave; les contacts avec l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;Autre&nbsp;&raquo; social sont rares ou inexistants. La r&eacute;alit&eacute; &laquo;&nbsp;interculturelle&nbsp;&raquo; des milieux populaires, migrants ou autochtones, est v&eacute;cue d&rsquo;une mani&egrave;re bien diff&eacute;rente&nbsp;: le poids implacable de la crise &eacute;conomique qui n&rsquo;en finit pas et qui exacerbe tous les rapports sociaux. Les &laquo;&nbsp;croyants&nbsp;&raquo; du multiculturalisme heureux sont donc incapables d&rsquo;analyser la mont&eacute;e de l&rsquo;extr&ecirc;me-droite autrement que par un moralisme bien-pensant.</p> <p style="text-align:justify">Cependant, la question &laquo;&nbsp;culturelle&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas une donn&eacute;e n&eacute;gligeable concernant les rapports entre les migrants et la soci&eacute;t&eacute; qui les accueille et tout ne se r&eacute;duit pas &agrave; des consid&eacute;rations &eacute;conomiques et sociales, m&ecirc;me si elles sont d&eacute;terminantes. L&rsquo;approche des faits &laquo;&nbsp;culturels&nbsp;&raquo;, telle qu&rsquo;elle domine aujourd&rsquo;hui en didactique et en sociolinguistique, repose sur une conception de la culture si large et si plastique qu&rsquo;elle peut int&eacute;grer dans l&rsquo;acception du terme tout et son contraire. La &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; concerne aussi bien les pratiques que les repr&eacute;sentations, pr&eacute;sentes ou h&eacute;rit&eacute;es, inconscientes ou conscientes, voire revendiqu&eacute;es. L&rsquo;approche de la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; concerne souvent indistinctement les domaines de la sociologie et de la psychologie, ou de la psychologie sociale, sans que de v&eacute;ritables pr&eacute;cautions th&eacute;oriques ou m&eacute;thodologiques soient prises. L&rsquo;existence et le r&ocirc;le des &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo; est d&rsquo;une telle &eacute;vidence qu&rsquo;il ne semble plus n&eacute;cessaire d&rsquo;en d&eacute;finir les contours, les contenus, les modes d&rsquo;actualisation et de transmission. La &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; est un d&eacute;j&agrave;-l&agrave; intemporel et essentialis&eacute; que les individus poss&egrave;dent, qu&rsquo;ils v&eacute;hiculent intact par-del&agrave; les fronti&egrave;res, qui fait partie d&rsquo;eux-m&ecirc;mes. Cette conception de la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; est spiritualiste et s&rsquo;apparente davantage &agrave; une &acirc;me qu&rsquo;&agrave; un v&eacute;ritable objet scientifique. Les discours g&eacute;n&eacute;raux et d&eacute;sincarn&eacute;s sur les &laquo;&nbsp;diff&eacute;rences&nbsp;&raquo;, l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo;, l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;identit&eacute;&nbsp;&raquo;, reproduits en chaine, se d&eacute;gonflent d&egrave;s lors qu&rsquo;il faut pr&eacute;ciser en quoi concr&egrave;tement consistent ces &laquo;&nbsp;diff&eacute;rences&nbsp;&raquo;, cette &laquo;&nbsp;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo;, ces &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo;. Le seul &eacute;l&eacute;ment concret, et apparemment incontestable, c&rsquo;est la religion. Mais l&agrave; encore, et surtout, je l&rsquo;ai dit plus haut, c&rsquo;est un trompe l&rsquo;&oelig;il puisque, si l&rsquo;on suit les recommandations du <em>Livre Blanc</em>, sont <em>de facto</em> exclus du dialogue interculturel les ath&eacute;es, les agnostiques ou tout simplement les indiff&eacute;rents&nbsp;: c&rsquo;est un enfermement communautaire religieux puisque les migrants n&rsquo;ont d&rsquo;autres solution que de se reconnaitre dans leur religion d&rsquo;origine, qu&rsquo;ils soient croyants ou non.</p> <p style="text-align:justify">Les approches interculturelles courent le risque de ne s&rsquo;int&eacute;resser qu&rsquo;aux &eacute;tats d&rsquo;&acirc;mes ou aux suppl&eacute;ments d&rsquo;&acirc;me &laquo;&nbsp;culturels&nbsp;&raquo; si elle n&rsquo;&eacute;tablit pas de lien concret avec l&rsquo;analyse de la base mat&eacute;rielle, c&rsquo;est-&agrave;-dire ce que vivent les migrants, ce qu&rsquo;ils ont v&eacute;cu, ce qu&rsquo;ils font concr&egrave;tement, ce qu&rsquo;ils ne font plus, ce qu&rsquo;ils mangent, ce qu&rsquo;ils regardent, ce qu&rsquo;ils &eacute;coutent, o&ugrave; et comment ils travaillent, que font leurs enfants, o&ugrave; ils passeront leur retraite, etc. En sacralisant la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; on s&rsquo;interdit de voir quels sont les &eacute;l&eacute;ments concrets qui la font, la d&eacute;font et la refont sans cesse, si tant est qu&rsquo;elle existe encore. En &eacute;rigeant la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; comme valeur supr&ecirc;me, essentialis&eacute;e, on se contraint &agrave; voir les migrants tels qu&rsquo;on croit qu&rsquo;ils sont ou tels qu&rsquo;on croit qu&rsquo;ils devraient &ecirc;tre et non tels qu&rsquo;ils sont r&eacute;ellement. Le processus migratoire provoque de tels changements chez les personnes, sur d&rsquo;innombrables aspects pratiques et symboliques, que l&rsquo;on doit se demander ce qui fait la &laquo;&nbsp;culture&nbsp;&raquo; sp&eacute;cifique de migrants, qu&rsquo;il faudrait &laquo;&nbsp;reconna&icirc;tre&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;valoriser&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;transmettre&nbsp;&raquo;.</p> <h2 style="text-align:justify">5. Implications des conceptions europ&eacute;ennes sur les politiques linguistiques</h2> <p style="text-align:justify">Le COE pr&eacute;conise des politiques linguistiques mais n&rsquo;a pas la capacit&eacute; politique de les imposer, m&ecirc;me s&rsquo;il sait convaincre. Par ailleurs, le COE et ses experts n&rsquo;ont pas invent&eacute; ou con&ccedil;u les d&eacute;marches qu&rsquo;ils pr&eacute;conisent en mati&egrave;re d&rsquo;apprentissage des langues par exemple&nbsp;mais s&rsquo;appuient sur les avanc&eacute;es r&eacute;centes et consensuelles en didactique des langues (Maurer 2011). Il n&rsquo;est donc ni inspirateur ni ordonnateur, mais sans doute un relayeur efficace d&rsquo;une approche didactique qui s&rsquo;inscrit elle-m&ecirc;me dans un courant intellectuel et politique plus large. Si les pr&eacute;conisations du COE ont une influence, c&rsquo;est &eacute;galement parce qu&rsquo;elles ont trouv&eacute; un terrain intellectuel et politique favorable. Ce terrain id&eacute;ologique, c&rsquo;est celui de l&rsquo;alliance objective entre le lib&eacute;ralisme &eacute;conomique et le lib&eacute;ralisme culturel. Les principes qui fondent le capitalisme sont devenus des dogmes : libre circulation, concurrence non fauss&eacute;e, non intervention de l&rsquo;&Eacute;tat, recherche de la rentabilit&eacute; pour accroitre les profits. Ces principes sont maintenant &eacute;tendus aux questions &laquo;&nbsp;culturelles&nbsp;&raquo; et soci&eacute;tales. Le &laquo;&nbsp;nouvel esprit du capitalisme&nbsp;&raquo; (Boltanski et Chiapello 2011) s&rsquo;est non seulement accommod&eacute; de la &laquo;&nbsp;critique artiste&nbsp;&raquo;, comme l&rsquo;appellent Boltanski et Chiapello, mais il l&rsquo;a tr&egrave;s rapidement int&eacute;gr&eacute; &agrave; sa strat&eacute;gie &eacute;conomique et sociale. Cette &laquo;&nbsp;critique artiste&nbsp;&raquo;, lib&eacute;rale sur le plan des m&oelig;urs, &laquo;&nbsp;ouverte &agrave; la diversit&eacute;&nbsp;&raquo; selon la formule consacr&eacute;e, privil&eacute;giant les engagements soci&eacute;taux ou &laquo;&nbsp;culturels&nbsp;&raquo; &agrave; la lutte sociale, a &eacute;t&eacute; tout simplement r&eacute;cup&eacute;r&eacute;e par le capitalisme, &agrave; son profit. Apr&egrave;s Mai 68, les r&eacute;f&eacute;rences dominantes sont d&eacute;sormais l&rsquo;autonomie, la mobilit&eacute;, les comp&eacute;tences. Ces valeurs, subversives au milieu du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, sont devenues la doxa du nouvel esprit du capitalisme, lib&eacute;ral en mati&egrave;re &eacute;conomique et en mati&egrave;re soci&eacute;tale ou &laquo;&nbsp;culturelle&nbsp;&raquo;. Les luttes se polarisent alors sur les questions soci&eacute;tales et notamment la d&eacute;fense des migrants ou des &laquo;&nbsp;minorit&eacute;s&nbsp;&raquo;, devenus les nouveaux &laquo;&nbsp;damn&eacute;es de la Terre&nbsp;&raquo;, pour paraphraser l&rsquo;Internationale, en lieu et place du prol&eacute;taire, infr&eacute;quentable pour avoir trop longtemps soutenu le Parti Communiste et d&eacute;sormais accus&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre raciste, &eacute;triqu&eacute;, ringard, &agrave; la remorque de l&rsquo;histoire. C&rsquo;est la contre-figure embl&eacute;matique du &laquo;&nbsp;beauf&nbsp;&raquo;, t&ecirc;te de turc de la nouvelle &eacute;lite autoproclam&eacute;e, urbaine, cosmopolite et si politiquement s&ucirc;re d&rsquo;elle-m&ecirc;me.</p> <p style="text-align:justify">Dans ce cadre, la r&eacute;f&eacute;rence id&eacute;ologique du COE est parfaitement claire. Le document <em>Diversit&eacute; et coh&eacute;sion</em> en effet, apr&egrave;s avoir longuement d&eacute;montr&eacute; les bienfaits et les avantages &eacute;conomique du capitalisme par une admirable le&ccedil;on de propagande politique et de r&eacute;&eacute;criture de l&rsquo;histoire, affirme sans ambages que &laquo;&nbsp;sur le march&eacute; mondial, la diversit&eacute; culturelle ne fait pas obstacle au d&eacute;veloppement &eacute;conomique&nbsp;; elle lui est plut&ocirc;t favorable&nbsp;&raquo; (Niessen : 24). Autrement dit, la diversit&eacute; culturelle, c&rsquo;est bon pour les affaires. Le texte d&eacute;montre plus loin un certain cynisme sur le m&ecirc;me sujet&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;En tant que membres de la soci&eacute;t&eacute;, les entreprises peuvent et doivent contribuer au d&eacute;veloppement des communaut&eacute;s et au maintien de l&rsquo;harmonie en leur sein. Beaucoup d&rsquo;entre elles d&eacute;couvrent qu&rsquo;elles peuvent tirer un certain nombre d&rsquo;avantages commerciaux en se faisant une r&eacute;putation de soci&eacute;t&eacute; socialement responsable&nbsp;&raquo; (Niessen&nbsp;: 71).</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Ceci signifie qu&rsquo;une politique en faveur des minorit&eacute;s ethniques peut servir d&rsquo;argument commercial&nbsp;: c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs une strat&eacute;gie que les firmes multinationales ont depuis bien longtemps adopt&eacute;e, sans attendre les conseils du COE. Mais le c&oelig;ur de l&rsquo;argumentaire de cette nouvelle configuration id&eacute;ologique est r&eacute;sum&eacute; dans le m&ecirc;me document&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;La libert&eacute; de circulation des personnes est l&rsquo;une des quatre libert&eacute;s &agrave; &eacute;tablir, parall&egrave;lement &agrave; celles des &eacute;changes de services, de capitaux et de biens. Ces libert&eacute;s appartiennent &agrave; la s&eacute;rie d&rsquo;instruments utilis&eacute;s pour atteindre les buts de l&rsquo;Union Europ&eacute;enne. Ces buts sont d&eacute;finis non seulement en termes &eacute;conomiques, mais &eacute;galement en termes sociaux et ils concernent les citoyens de l&rsquo;UE et, in&eacute;vitablement, ceux des pays tiers.&nbsp;La cr&eacute;ation d&rsquo;un march&eacute; commun et d&rsquo;une union europ&eacute;enne et mon&eacute;taire va de pair avec la protection et la coh&eacute;sion sociale et l&rsquo;am&eacute;lioration du niveau et de la qualit&eacute; de la vie&raquo; (Niessen&nbsp;: 52)</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Outre le fait qu&rsquo;on attend toujours une am&eacute;lioration du niveau de vie pour les 25 millions de ch&ocirc;meurs de l&rsquo;UE, le reste de ce passage est sans ambigu&iuml;t&eacute;&nbsp;: la libre circulation des biens et des capitaux est mise sur le m&ecirc;me plan que celle des personnes. Les documents du COE sont tous empreints de cet &eacute;loge sans discernement de la mobilit&eacute; que Boltanski et Chiapello (<em>op. cit</em>.) d&eacute;crivent comme la nouvelle forme d&rsquo;exploitation mise en place par le capitalisme puisque, pour permettre aux uns d&rsquo;&ecirc;tre mobiles, il faut forc&eacute;ment que d&rsquo;autres soient &laquo;&nbsp;immobiles&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;loge de la mobilit&eacute; comme valeur en soi atteint un point culminant avec l&rsquo;analyse du ph&eacute;nom&egrave;ne des &laquo;&nbsp;transmigrants&nbsp;&raquo; (Tarrrius <em>et alii</em>. 2013). Les auteurs, sans doute fascin&eacute;s par leurs sujets, pr&eacute;sentent ces migrants d&rsquo;un nouveau type comme les pr&eacute;curseurs de la soci&eacute;t&eacute; de demain, sans racines et dans contraintes, d&eacute;finitivement lib&eacute;r&eacute;s des pesanteurs &eacute;tatiques et du joug insupportable des &Eacute;tats-nations. Or, ces &laquo;&nbsp;transmigrants&nbsp;&raquo; ne sont autres que&hellip;les contrebandiers et les trafiquants des r&eacute;seaux de drogue et de prostitution, agissant &eacute;videmment au-del&agrave; et par-del&agrave; les fronti&egrave;res. On peut sans doute r&ecirc;ver mieux pour les peuples europ&eacute;ens et les migrants. Le dogme de la libre circulation des personnes est &eacute;rig&eacute; en valeur et toute remise en cause est vou&eacute;e aux g&eacute;monies du racisme, de &laquo;&nbsp;l&rsquo;Europe forteresse&nbsp;&raquo;, de l&rsquo;intol&eacute;rance. Le r&eacute;sultat concret c&rsquo;est d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; une f&eacute;roce concurrence entre les travailleurs europ&eacute;ens qui tire vers le fond les protections sociales et les salaires et c&rsquo;est &eacute;galement l&rsquo;impossibilit&eacute; pour les &Eacute;tats de contr&ocirc;ler les flux migratoires qui produit l&rsquo;accumulation des probl&egrave;mes dans les quartiers et les villes qui accueillent une population en difficult&eacute; toujours plus importante (Guilly,&nbsp;<em>op. cit</em><span style="font-size:12.16px">.</span>).</p> <p style="text-align:justify">Dans le cadre politique pos&eacute; par les id&eacute;ologues du COE, la libre circulation des biens et des personnes abolit les fronti&egrave;res tandis que la reconnaissance et la valorisation des &laquo;&nbsp;cultures&nbsp;&raquo;, des &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo; et des &laquo;&nbsp;minorit&eacute;s&nbsp;&raquo; construit un dallage de groupes sociaux appel&eacute;s &agrave; vivre en bonne entente selon les principes du &laquo;&nbsp;dialogue interculturel&nbsp;&raquo;, tout en restant diff&eacute;rents. C&rsquo;est un aspect central dans l&rsquo;argumentation des textes du COE et des auteurs qui s&rsquo;en inspirent et/ou s&rsquo;en r&eacute;clament. En mati&egrave;re de politique linguistique, les textes conc&egrave;dent que l&rsquo;apprentissage de la langue des pays d&rsquo;accueil est indispensable mais cet que apprentissage doit aller de pair avec une politique volontariste des &Eacute;tats de valorisation et d&rsquo;aide &agrave; la transmission interg&eacute;n&eacute;rationnelle des langues et cultures d&rsquo;origine. L&rsquo;argumentation autour de cette pr&eacute;conisation tient en plusieurs points. C&rsquo;est d&rsquo;abord l&rsquo;id&eacute;e que si l&rsquo;on demande aux migrants de changer pour s&rsquo;int&eacute;grer, les soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;accueil doivent &eacute;galement changer pour faire une place aux nouveaux arrivants. Le deuxi&egrave;me argument est bas&eacute; sur une conception essentialiste et spiritualiste de la culture et de l&rsquo;identit&eacute;, que j&rsquo;ai d&eacute;crite plus haut, qui suppose que l&rsquo;une et l&rsquo;autre font partie de la personnalit&eacute; des individus et qu&rsquo;elles doivent &agrave; ce titre &ecirc;tre reconnues, respect&eacute;es et transmises&nbsp;: reconna&icirc;tre la langue et la culture des migrants, c&rsquo;est reconna&icirc;tre leur identit&eacute;&hellip;et inversement. Ce faisant, on proc&egrave;de &agrave; une forme d&rsquo;assignation identitaire puisque, sans, voire contre, l&rsquo;avis des migrants eux-m&ecirc;mes, on les range dans des cat&eacute;gories identitaires et culturelles pr&eacute;con&ccedil;ues.</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;injonction presque obsessionnelle au maintien des langues et cultures d&rsquo;origine des migrants am&egrave;ne &agrave; une proposition &eacute;trange qui montre bien l&rsquo;impasse dans laquelle conduirait cette politique si elle &eacute;tait men&eacute;e par les &Eacute;tats. Le document propose ainsi (Beacco, 2008&nbsp;: 34)&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align:justify">&laquo;&nbsp;de mettre en r&eacute;seau les acteurs linguistiques en appuyant la mise en place de synergies entre les immigr&eacute;s dans les bassins de vie&nbsp;: pour ancrer certains usages des langues d&rsquo;origine dans les r&eacute;pertoires des jeunes g&eacute;n&eacute;rations, il est n&eacute;cessaire de recr&eacute;er des communaut&eacute;s de communication en tant que communaut&eacute;s de proximit&eacute; &laquo;&nbsp;famille-parent&eacute;-voisinage-quartier/village&nbsp;&raquo;, localement dense. C&rsquo;est la seule instance capable d&rsquo;assurer la transmission de la langue d&rsquo;origine comme langue premi&egrave;re/maternelle&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify">Cette proposition, outre le fait qu&rsquo;elle est impossible &agrave; mettre concr&egrave;tement en pratique, consiste &agrave; pr&eacute;coniser le resserrement et la structuration des liens communautaires pour pr&eacute;server les langues d&rsquo;origine. Prenant acte du fait que le processus d&rsquo;int&eacute;gration fait &laquo;&nbsp;naturellement&nbsp;&raquo; son &oelig;uvre, la seule solution consiste &agrave; communautariser les migrants et leurs descendants. Un autre document du COE (Little 2010&nbsp;: 15), qui concerne les enfants de migrants, fait presque exactement les m&ecirc;mes propositions pour pr&eacute;server les langues d&rsquo;origine. Poussant jusqu&rsquo;au bout cette logique du ghetto &agrave; la mode &laquo;&nbsp;interculturelle&nbsp;&raquo;, il ne reste plus au COE et &agrave; ses experts qu&rsquo;&agrave; envoyer une mission d&rsquo;&eacute;tude aux &Eacute;tats-Unis pour s&rsquo;inspirer du mod&egrave;le des Amish : ils ont su en effet pr&eacute;server intactes leur culture et leur langue d&rsquo;origine &agrave; travers les si&egrave;cles. Bienheureuse communaut&eacute;&nbsp;!</p> <h2 style="text-align:justify">Conclusion</h2> <p style="text-align:justify">J&rsquo;ai essay&eacute; de montrer ici que les pr&eacute;conisations didactiques du COE et de ses experts s&rsquo;appuient en partie sur des bases techniques mais que l&rsquo;essentiel des orientations repose sur des postulats id&eacute;ologiques. Ces orientations s&rsquo;inscrivent dans le cadre de la construction&nbsp;&raquo; europ&eacute;enne&nbsp; qui n&rsquo;a rien d&rsquo;un processus naturel mais tout d&rsquo;un processus politique. L&rsquo;objectif de cette construction est l&rsquo;effacement des fronti&egrave;res nationales pour aller vers le grand march&eacute; concurrentiel des biens et des personnes sous le couvert des &laquo;&nbsp;valeurs europ&eacute;ennes&nbsp;&raquo;. &Agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de cet espace politique, il n&rsquo;est bien s&ucirc;r plus question des nations ou des peuples mais des &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo; ethniques, r&eacute;gionales, linguistiques, religieuses, etc. dont les &laquo;&nbsp;identit&eacute;s&nbsp;&raquo; pourront s&rsquo;affirmer et se d&eacute;velopper librement dans cet espace transnational, sous la protection d&rsquo;une politique de la diversit&eacute;. Tout ceci pourrait laisser entrevoir le meilleur des mondes possibles mais la r&eacute;alit&eacute; est tout autre.</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;appel &agrave; la reconnaissance, &agrave; la valorisation et &agrave; la promotion de la diversit&eacute; se traduit par une exacerbation des identit&eacute;s de toutes sortes. Toutes les &laquo;&nbsp;minorit&eacute;s&nbsp;&raquo; veulent leur place, quitte &agrave; s&rsquo;inventer comme minorit&eacute;. Dans cette Europe de la diversit&eacute; et des &laquo;&nbsp;identit&eacute;s culturelles&nbsp;&raquo;, le projet collectif s&rsquo;efface pour laisser place &agrave; une d&eacute;s-int&eacute;gration g&eacute;n&eacute;rale. Le r&eacute;cent r&eacute;f&eacute;rendum en &Eacute;cosse a provoqu&eacute; des sueurs froides &agrave; la Grande-Bretagne mais &eacute;galement aux responsables de la techno-structure europ&eacute;enne qui ont vu passer le boulet de tr&egrave;s pr&egrave;s. Pourtant, les revendications &eacute;cossaises s&rsquo;inscrivent compl&egrave;tement dans cette politique de la diversit&eacute;&nbsp;: les &eacute;cossais s&rsquo;en s&rsquo;ont servi et ont d&eacute;cid&eacute; de pousser la logique jusqu&rsquo;au bout, jusqu&rsquo;&agrave; demander la cr&eacute;ation de leur propre &Eacute;tat Nation. Ce sont aussi les nationalistes catalans qui demandent un r&eacute;f&eacute;rendum et le processus n&rsquo;a aucune raison de s&rsquo;arr&ecirc;ter puisque d&rsquo;autres micro-nationalismes sont &agrave; l&rsquo;aff&ucirc;t. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, la culturalisation des rapports sociaux, qui est &agrave; la base de l&rsquo;id&eacute;ologie europ&eacute;enne, produit un ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;ethnicisation de la soci&eacute;t&eacute; o&ugrave; chacun tente de se placer sur le grand march&eacute; des identit&eacute;s culturelles. Mais la culturalisation des rapports sociaux est men&eacute;e d&rsquo;abord par le biais des religions, ce qui conduit &agrave; une confessionnalisation de la soci&eacute;t&eacute;. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, l&rsquo;appel mille fois r&eacute;p&eacute;t&eacute;, dans tous les documents europ&eacute;ens, &agrave; la reconnaissance et &agrave; la valorisation du plurilinguisme, dans lequel s&rsquo;inscrivent nous l&rsquo;avons vu les langues d&rsquo;origine des migrants, est-il lui aussi empreint d&rsquo;une belle et grande na&iuml;vet&eacute;. Personne, hormis quelques attard&eacute;s, ne saurait &ecirc;tre contre le beau projet que les europ&eacute;ens parlent ou comprennent plusieurs langues et communiquent dans une belle harmonie n&eacute;o-bab&eacute;lienne en &eacute;coutant, l&rsquo;&oelig;il embu&eacute;, l&rsquo;<em>Hymne &agrave; la Joie</em>. Le probl&egrave;me est ailleurs. Tandis que l&rsquo;on ferraille contre les moulins &agrave; vent des id&eacute;ologies monolingues nationales, un rouleau compresseur monolingue bien r&eacute;el avance : le tout-anglais. Il suffit d&rsquo;aller consulter sur la Toile les sites du Conseil de l&rsquo;Europe et de l&rsquo;UE pour d&eacute;couvrir que la quasi-totalit&eacute; des dispositifs europ&eacute;ens en faveur du plurilinguisme portent des intitul&eacute;s&hellip;en anglais, voire ne sont accessibles que dans cette langue. &laquo;&nbsp;Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais&nbsp;&raquo;, pourrait dire le COE.</p> <p style="text-align:justify">Ce qui est en jeu, ce n&rsquo;est pas telle ou telle orientation didactique, technique ou scientifique&nbsp;: c&rsquo;est un projet de soci&eacute;t&eacute;. Si l&rsquo;effacement des fronti&egrave;res politiques conduit &agrave; la multiplication de nouvelles fronti&egrave;res communautaires (&laquo;&nbsp;culturelles&nbsp;&raquo;, religieuses ou linguistiques), le risque est d&rsquo;aboutir, non &agrave; une &laquo;&nbsp;mosa&iuml;que&nbsp;&raquo; selon le clich&eacute; &eacute;cul&eacute;, mais &agrave; une libanisation de l&rsquo;Europe et ce ne sera pas en chantant les psaumes du &laquo;&nbsp;dialogue interculturel&nbsp;&raquo; que nous r&eacute;ussirons &agrave; effacer ces nouvelles barri&egrave;res. En creusant encore un peu plus le &laquo;&nbsp;foss&eacute; imaginaire de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;&nbsp;&raquo; (Bensa 2006&nbsp;: 14) nous risquons de perdre de vue l&rsquo;essentiel et d&rsquo;oublier, selon la belle formule du m&ecirc;me auteur, que &laquo;&nbsp;rien de ce qui est humain ne saurait &ecirc;tre &eacute;tranger &agrave; un autre humain&nbsp;&raquo;. Le respect de l&rsquo;Alt&eacute;rit&eacute;, avec sa majuscule et &eacute;rig&eacute;e en absolu, emp&ecirc;che d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; l&rsquo;universel, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la conscience que l&rsquo;Autre n&rsquo;est pas d&rsquo;abord un autre, mais notre semblable.</p> <p style="text-align:left"><span style="font-size:35px">Bibliographie</span></p> <p style="text-align:justify">Ab&eacute;l&egrave;s M. (2012).&nbsp;<em>Anthropologie de la globalisation</em>. Paris&nbsp;: Payot et Rivages.</p> <p style="text-align:justify">Adami H. (2009).&nbsp;<em>La formation linguistique des migrants</em>, Paris, CLE International.</p> <p style="text-align:justify">Adami H. (2012a). Langues et coh&eacute;sion sociale&nbsp;: entre analyse scientifique et d&eacute;bats id&eacute;ologiques, In Conti V., De Pietro J.F., Matthey M.,&nbsp;<em>Langue et coh&eacute;sion sociale</em>. 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Paris&nbsp;: Kartala.</p> <p style="text-align:justify">Beacco, J.C, De Ferrari, M., Lhote, G., Tagliante, C., (2005),&nbsp;<em>Niveau A1.1 pour le fran&ccedil;ais. R&eacute;f&eacute;rentiel et certification (DILF) pour les premiers acquis en fran&ccedil;ais</em>, Paris, Didier.</p> <p style="text-align:justify">Benn Mickaels W. (1992). Race into culture&nbsp;: a critical genealogy of cultural identity.&nbsp;<em>Critical Inquiry</em>, Vol. 18, N&deg;4,&nbsp;<em>Identities</em>, pp.655-685.</p> <p style="text-align:justify">Benn Mickaels W. (2006).&nbsp;<em>La diversit&eacute; contre l&rsquo;&eacute;galit&eacute;</em>. Paris&nbsp;: Raisons d&rsquo;Agir.</p> <p style="text-align:justify">Bensa A. (2006).&nbsp;<em>La fin de l&rsquo;exotisme. Essai d&rsquo;anthropologie critique</em>. Paris&nbsp;: Anacharsis.</p> <p style="text-align:justify">Boltanski L., Chiapello E. 2011 (1999).&nbsp;<em>Le nouvel esprit du capitalisme</em>. 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La d&eacute;cennie 1980-1991,&nbsp;<em>&Eacute;ducation permanente</em>, n&deg;111, p.188-204.</p> <p style="text-align:justify">Leclercq V. (2010). La formation linguistique des migrants des ann&eacute;es 1960 aux ann&eacute;e 1980,&nbsp;<em>&Eacute;ducation permanente</em>, n&deg;183, p.173-188.</p> <p style="text-align:justify">Leclercq V. (2012), La formation des migrants en France.&nbsp;<em>In</em>&nbsp;Adami H., Leclercq V., (Eds).&nbsp;<em>Les migrants face aux langues des pays d&rsquo;accueil. Acquisition en milieu naturel et formation</em>. Villeneuve d&rsquo;Ascq&nbsp;: Presses Universitaires du Septentrion, p.173-196.</p> <p style="text-align:justify">L&eacute;onard J.L. (2005). &laquo;&nbsp;H&eacute;ritage&nbsp;&raquo; ou patrimoine linguistique et r&eacute;am&eacute;nagement de la construction nationale&nbsp;: le &laquo;&nbsp;r&eacute;veil Maya&nbsp;&raquo; au Guatemala, perspectives pr&eacute;sentes et futures,&nbsp;<em>Traverses</em>&nbsp;n&deg; 7, p. 221-250, Montpellier&nbsp;<span style="font-size:12.16px">&ndash;</span>&nbsp;Pulm.</p> <p style="text-align:justify">Little D. (2010).&nbsp;<em>Int&eacute;gration linguistique et &eacute;ducative des enfants et adolescents issus de l&rsquo;immigration, Document d&rsquo;orientation</em>. Strasbourg&nbsp;: Conseil de l&rsquo;Europe.</p> <p style="text-align:justify">Marx, K., Engels, F. (1976).&nbsp;<em>L&rsquo;id&eacute;ologie allemande</em>, Paris&nbsp;: &Eacute;ditions sociales.</p> <p style="text-align:justify">Maurer B. (2011).&nbsp;<em>Enseignement des langues et construction europ&eacute;enne. Le plurilinguisme, nouvelle id&eacute;ologie dominante</em>. Paris&nbsp;: &Eacute;ditions des archives contemporaines.</p> <p style="text-align:justify">Meyran R., Rasplus V. (2014).&nbsp;<em>Les pi&egrave;ges de l&rsquo;identit&eacute; culturelle</em>. Paris&nbsp;: Berg International.</p> <p style="text-align:justify">Morvan F. (2002). Le monde comme si. Nationalisme et d&eacute;rive identitaire en Bretagne. Paris&nbsp;: Actes Sud.</p> <p style="text-align:justify">Pena-Ruiz H. (2003).&nbsp;<em>Qu&rsquo;est-ce que la la&iuml;cit&eacute;&nbsp;?</em>&nbsp;Paris&nbsp;: Gallimard.</p> <p style="text-align:justify">Pouessel S. (2005). Quand la langue tamazight se r&eacute;veille&nbsp;: construction et enjeux actuels de la langue berb&egrave;re au Maroc,&nbsp;<em>Traverses</em>&nbsp;n&deg;7, p. 201-220, Montpellier&nbsp;<span style="font-size:12.16px">&ndash;</span>&nbsp;Pulm.</p> <p style="text-align:justify">Poutignat P., Steiff-Fenart J. (1999).&nbsp;<em>Th&eacute;ories de l&rsquo;ethnicit&eacute;</em>. 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(2010).&nbsp;<em>Les yeux grands ferm&eacute;s. L&rsquo;immigration en France</em>. Paris&nbsp;: Deno&euml;l.</p> <hr /> <h2>Notes</h2> <div id="sdfootnote1"> <p style="text-align:justify"><a href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a> &Agrave; ce propos, un autre suffixe pollue litt&eacute;ralement tous les d&eacute;bats. Ce pr&eacute;fixe est -<em>phobe</em>, v&eacute;ritable arme de destruction massive de la r&eacute;flexion et du d&eacute;bat d&eacute;mocratique et scientifique. Au-del&agrave; de la tendance moutonni&egrave;re &agrave; fabriquer des termes &agrave; la cha&icirc;ne en suivant la mode qui passe, ce suffixe sert &agrave; &eacute;touffer la moindre vell&eacute;it&eacute; de penser autrement qu&rsquo;en rond. Les termes construits en -<em>phobe</em> ont pour objectif de porter accusation, de mettre son adversaire &agrave; l&rsquo;<em>Index</em> selon la m&eacute;thode de la Sainte Inquisition.</p> <p style="text-align:justify"><a href="#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a><span style="font-size:12.16px">&nbsp;&nbsp;</span>Je renvoie pour cela le lecteur aux d&eacute;bats sur ce livre m&eacute;diatis&eacute;s sur la Toile.</p> </div>