<p>La guerre du Liban a fait, entre 1975 et 1990, quelque 500&nbsp;000 victimes, tu&eacute;es, bless&eacute;es ou handicap&eacute;es, sans compter des milliers de personnes enlev&eacute;es ou port&eacute;es disparues, sur une population de seulement 3,5 millions d&rsquo;habitants. &Agrave; la fois interne et externalis&eacute;e aux fronti&egrave;res et au-del&agrave;, elle est d&rsquo;une tr&egrave;s grande complexit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Des facteurs internes &ndash; divisions politiques, clivages socio-&eacute;conomiques, segmentation confessionnelle &ndash;, et des facteurs externes li&eacute;s au conflit isra&eacute;lo-arabe doivent &ecirc;tre pris en consid&eacute;ration pour tenter d&rsquo;expliquer la guerre. [&hellip;] Elle a &eacute;t&eacute; ponctu&eacute;e par des alliances et des ruptures d&rsquo;alliances entre les diff&eacute;rentes factions libanaises<a href="#_ftn1" id="_ftnref">[1]</a>, et entre ces derni&egrave;res et les Palestiniens, les Syriens ou les Isra&eacute;liens&nbsp;&raquo; (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 25).</p> </blockquote> <p>Les r&eacute;cidives de violence (janvier 2007, mai 2008) apr&egrave;s les accords de paix de Ta&euml;f (22 octobre 1989) montrent que celle-ci couve encore. Nombreux sont les travaux de sociologues, d&rsquo;historiens et de politologues qui ont tent&eacute; d&rsquo;analyser ce conflit, si &eacute;nigmatique au regard des perceptions que les Libanais avaient &ndash; et continuent souvent d&rsquo;avoir &ndash; &agrave; propos d&rsquo;eux-m&ecirc;mes&nbsp;: un pays riche de sa diversit&eacute; historique, o&ugrave; 18 communaut&eacute;s religieuses officiellement reconnues vivent en bonne intelligence. Comment, sur le terreau de ces paradoxes, des formes d&rsquo;imaginaire de la soci&eacute;t&eacute; post-conflit peuvent-elles s&rsquo;&eacute;laborer&nbsp;?</p> <p>Tout en &eacute;tant singuli&egrave;res, les situations post-conflit convoquent toutes la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une m&eacute;moire, et donc d&rsquo;une parole. Parole(s) des individus diversement marqu&eacute;s, parole aussi des institutions, &agrave; qui il appartient d&rsquo;officialiser la m&eacute;moire&nbsp;; une m&eacute;moire qui sera certes transitoire et pour un certain temps en reconstruction, mais &eacute;galement travers&eacute;e d&rsquo;une n&eacute;cessit&eacute; de stabilisation. Or comment stabiliser un tel discours, au sein d&rsquo;institutions consid&eacute;rablement fragilis&eacute;es et d&eacute;l&eacute;gitim&eacute;es&nbsp;? Comment cr&eacute;diter de sens un &Eacute;tat dont le pouvoir a &eacute;t&eacute; accapar&eacute; par des milices, qui l&rsquo;ont d&eacute;chu de son r&ocirc;le de seul d&eacute;tenteur de la &laquo;&nbsp;violence l&eacute;gitime&nbsp;&raquo; (Weber, 1959)&nbsp;? De fait, on constate que le discours de m&eacute;moire se heurte pour l&rsquo;instant &agrave; un silence institutionnalis&eacute;, qui a banni la guerre et ses victimes des discours officiels...</p> <p>Malgr&eacute; ce silence officiel, nous souhaiterions interroger le r&ocirc;le que joue l&rsquo;institution scolaire dans la construction d&rsquo;un imaginaire national de la r&eacute;conciliation des Libanais entre eux, &agrave; travers les manuels de fran&ccedil;ais du coll&egrave;ge &eacute;crits &agrave; l&rsquo;occasion de la r&eacute;forme &eacute;ducative de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre (1997/1998). La discipline&nbsp;<em>fran&ccedil;ais</em>&nbsp;poss&egrave;de au Liban un statut particulier, puisqu&rsquo;elle b&eacute;n&eacute;ficie historiquement d&rsquo;un statut privil&eacute;gi&eacute; dans l&rsquo;enseignement public et dans nombre d&rsquo;&eacute;tablissements priv&eacute;s, et qu&rsquo;elle est cr&eacute;dit&eacute;e de valeurs &eacute;ducatives universelles de tol&eacute;rance et d&rsquo;ouverture &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; (Denimal, 2011). Cependant quelles sont les modalit&eacute;s de l&rsquo;ouverture &agrave; cet autre paradoxal qu&rsquo;est le &laquo;&nbsp;citoyen d&rsquo;en face&nbsp;&raquo;, celui de l&rsquo;autre camp&nbsp;? L&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais joue-t-il un r&ocirc;le particulier en la mati&egrave;re&nbsp;? Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, nous nous demanderons si et comment, face &agrave; la &laquo;&nbsp;forme institutionnelle d&rsquo;oubli&nbsp;&raquo; (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 37) dans les instances gouvernementales, une construction scolaire de la m&eacute;moire est possible, et quels sont les contenus d&rsquo;enseignement invoqu&eacute;s pour jouer un r&ocirc;le m&eacute;diateur, un r&ocirc;le de&nbsp;<em>tiers</em>&nbsp;en somme, entre les Libanais, et entre les Libanais et leur propre m&eacute;moire.</p> <p>Afin de cerner la notion de tiers m&eacute;diateur en &eacute;ducation, nous proposerons une lecture anthropologique de la guerre civile, &agrave; partir des th&egrave;ses en anthropologie de la violence et du sacr&eacute; chez Ren&eacute; Girard (1972, 2001), et en sociologie des religions chez Camille Tarot (2008). Cette lecture nous permettra de comprendre comment les discours scolaires, tout en &eacute;vitant de parler directement de la guerre, contribuent &agrave; revivifier les institutions en &laquo;&nbsp;sacralisant&nbsp;&raquo; et en universalisant certaines th&eacute;matiques d&rsquo;enseignement, ce que nous illustrerons par le traitement de la th&eacute;matique de la nature et de l&rsquo;environnement rural dans les manuels.</p> <h2>1. La m&eacute;moire de la guerre&nbsp;: un &laquo;&nbsp;objet paradoxal&nbsp;&raquo;</h2> <p>Afin de contextualiser notre &eacute;tude, nous ferons appel aux travaux d&rsquo;A&iuml;da Kanafani-Zahar, sp&eacute;cialiste du Liban contemporain, pour qui la m&eacute;moire de la guerre &laquo;&nbsp;est assur&eacute;ment un objet paradoxal&nbsp;&raquo; (2011&nbsp;: 13)&nbsp;; en effet, cette m&eacute;moire fait l&rsquo;objet de traitements ambivalents aussi bien du c&ocirc;t&eacute; des institutions que du c&ocirc;t&eacute; de la soci&eacute;t&eacute; civile.</p> <p>La guerre &eacute;tant absente des discours des officiels, les institutions semblent travailler &agrave; une v&eacute;ritable &laquo;&nbsp;construction de l&rsquo;oubli&nbsp;&raquo; de la guerre et de ses victimes (<em>ibid.</em>&nbsp;: 23). Or sans justice ni restauration du droit des victimes, sans m&ecirc;me leur parole, on peut difficilement imaginer que la construction d&rsquo;une m&eacute;moire collective soit possible, d&rsquo;autant plus que les jeunes g&eacute;n&eacute;rations qui ont v&eacute;cu la guerre civile n&rsquo;en ont pas compris les raisons (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 14). Cette situation, ajout&eacute;e aux atrocit&eacute;s v&eacute;cues, fait donc de la m&eacute;moire de la guerre une &laquo;&nbsp;douloureuse question&nbsp;&raquo; (Garapon, 2011&nbsp;: 7).</p> <p>De son c&ocirc;t&eacute;, la soci&eacute;t&eacute; civile se trouve partag&eacute;e entre le d&eacute;sir de se souvenir &ndash; pour t&eacute;moigner de la violence et ne pas la r&eacute;it&eacute;rer &ndash; et le d&eacute;sir d&rsquo;oublier. Le d&eacute;sir d&rsquo;oubli se trouve invoqu&eacute; pour &eacute;viter de raviver &agrave; la fois des souvenirs traumatisants, et des vell&eacute;it&eacute;s de vengeance. La guerre civile &eacute;tant par d&eacute;finition celle de &laquo;&nbsp;tous contre tous&nbsp;&raquo; selon l&rsquo;expression hobbesienne, les actes de vengeance en cascade ne font que l&rsquo;alimenter&nbsp;; et force est de reconna&icirc;tre qu&rsquo;ils supposent bien, eux aussi, une forme de m&eacute;moire... celle du bourreau, et celle des victimes &agrave; venger. &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;elle [la guerre] soit rappel&eacute;e, non recommenc&eacute;e&nbsp;&raquo; est d&rsquo;apr&egrave;s Kanafani-Zahar un adage revenant souvent dans la parole des Libanais, et qui r&eacute;sonne de fa&ccedil;on ambivalente&nbsp;: &agrave; la fois comme une parole de conjuration du malheur, et comme un appel &agrave; sortir des cycles de r&eacute;p&eacute;tition de la violence, pour se diriger vers une r&eacute;it&eacute;ration symbolique cette fois, c&rsquo;est-&agrave;-dire m&eacute;morielle et ritualis&eacute;e au sein des institutions&nbsp;; dans cette seconde perspective, la m&eacute;moire est davantage con&ccedil;ue comme un &laquo;&nbsp;processus rationnel dans lequel la parole est un instrument d&rsquo;intelligibilit&eacute;&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>&nbsp;: 16).</p> <p>C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment cette intelligibilit&eacute; que nous souhaiterions interroger, car m&ecirc;me lorsque le souvenir est accessible &agrave; la parole, la guerre civile &agrave; bien des &eacute;gards demeure une immense &eacute;nigme<a href="#_ftn2" id="_ftnref">[2]</a>&nbsp;&ndash; et le cas du Liban, mod&egrave;le fr&eacute;quemment id&eacute;alis&eacute; de la diversit&eacute; religieuse, est &agrave; cet &eacute;gard particuli&egrave;rement frappant&nbsp;: comment un pays dont on a tant chant&eacute; (et dont on chante encore) la qualit&eacute; du vivre ensemble a-t-il pu sombrer dans une telle violence interne et collective&nbsp;? Pourquoi la haine a-t-elle surgi au milieu de l&rsquo;amiti&eacute;&nbsp;?</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;[&hellip;] la proximit&eacute; heureuse entre les communaut&eacute;s, qui faisaient la gloire du Liban, est devenue son enfer. Cette guerre fut un immense crime passionnel. Ce n&rsquo;est pas un hasard si ce sont les pays les plus fraternels qui deviennent les plus meurtriers, tant la haine est l&rsquo;envers de l&rsquo;amour&nbsp;&raquo; (Garapon, 2011&nbsp;: 8).</p> </blockquote> <p>Dans cette &eacute;nigme, o&ugrave; de puissantes inversions semblent concourir &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;une paradoxale image du mal, il nous semble qu&rsquo;effectivement il ne peut y avoir de &laquo;&nbsp;hasard&nbsp;&raquo;, mais qu&rsquo;en m&ecirc;me temps une lecture uniquement &laquo;&nbsp;passionnelle&nbsp;&raquo; ou pulsionnelle ne peut &ecirc;tre suffisante. C&rsquo;est pourquoi nous tenterons ici une lecture anthropologique de la guerre civile, inspir&eacute;e des th&egrave;ses de Ren&eacute; Girard sur la violence et le sacr&eacute; (1972), et des th&egrave;ses de Camille Tarot (2008) sur le symbolique. Nous ne pr&eacute;tendons bien s&ucirc;r pas livrer une clef de compr&eacute;hension universelle de ce conflit si singulier&nbsp;; nous essaierons simplement de tirer quelques fils rouges &agrave; propos des cycles de vengeance dans lesquels les bellig&eacute;rants se trouvent pris en contexte de guerre civile, et &agrave; propos des modes de sortie de la violence interne de la soci&eacute;t&eacute;, au moyen du sacr&eacute; et de m&eacute;diations tierces.</p> <h2>2. La guerre civile&nbsp;: un d&eacute;cha&icirc;nement de la rivalit&eacute; mim&eacute;tique</h2> <p>L&rsquo;important recueil de r&eacute;cits de m&eacute;moire accompli par Kanafani-Zahar dans les villages du Mont Liban, o&ugrave; un tr&egrave;s grand nombre de personnes se sont trouv&eacute;es d&eacute;plac&eacute;es vers les villes pendant la guerre, t&eacute;moigne bien des paradoxes du conflit&nbsp;: &laquo;&nbsp;vie en commun bafou&eacute;e&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;valeurs fraternelles trahies&nbsp;&raquo;, et m&eacute;moire con&ccedil;ue comme un &laquo;&nbsp;vivier d&rsquo;exp&eacute;riences communes o&ugrave; l&rsquo;autre &eacute;tait le semblable&nbsp;&raquo;, mais n&rsquo;ayant malheureusement &laquo;&nbsp;pas emp&ecirc;ch&eacute; le pire d&rsquo;advenir. La &lsquo;&lsquo;guerre de la montagne&rsquo;&rsquo; n&rsquo;a &eacute;pargn&eacute; aucun lien&nbsp;&raquo; (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 175). Cette violence incompr&eacute;hensible est souvent attribu&eacute;e &agrave; des manipulations ext&eacute;rieures, explication certes pertinente au regard des multiples collusions entre les communaut&eacute;s libanaises et des puissances &eacute;trang&egrave;res. Cependant cette explication ne vient pas &agrave; bout du fait que des gens vivant ensemble sur un m&ecirc;me territoire et partageant le m&ecirc;me mode de vie aient pu se livrer &agrave; des &eacute;pisodes r&eacute;p&eacute;t&eacute;s de violence r&eacute;ciproque (et ce m&ecirc;me d&egrave;s avant la guerre) qui peinent encore &agrave; s&rsquo;&eacute;teindre. La r&eacute;conciliation est d&rsquo;ailleurs souvent envisag&eacute;e par le biais de retrouvailles avec le mode de vie rural et traditionnel des campagnes, proche de la nature, de l&rsquo;agriculture et des jardins, et les discours du Minist&egrave;re des D&eacute;plac&eacute;s visent &agrave; &laquo;&nbsp;enraciner la vie en commun sur des bases nationales&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;retourner aux traditions communes&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;construire le m&ecirc;me avenir&nbsp;&raquo;, etc. (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 60).</p> <p>De ces paradoxes qui conjoignent amour et haine, convivialit&eacute; et destruction, entraide et violence, renvoyant au vieux th&egrave;me mythologique de la lutte fratricide, il nous semble possible de proposer une lecture mim&eacute;tique, c&rsquo;est-&agrave;-dire inspir&eacute;e de l&rsquo;hypoth&egrave;se mim&eacute;tique de Ren&eacute; Girard. Cette hypoth&egrave;se est bien connue&nbsp;: il existerait dans toute soci&eacute;t&eacute; des tendances &agrave; la bonne r&eacute;ciprocit&eacute; (&eacute;change de biens, de bons proc&eacute;d&eacute;s) et des tendances &agrave; la mauvaise r&eacute;ciprocit&eacute; (&eacute;change de coups, prix du sang). Il arrive que les tendances &agrave; la bonne r&eacute;ciprocit&eacute; s&rsquo;inversent brusquement, lorsque des individus ou des groupes sociaux vivant proches les uns des autres, partageant le m&ecirc;me mode de vie et le m&ecirc;me environnement, se mettent &agrave; converger vers les m&ecirc;mes objets de d&eacute;sir&nbsp;; le d&eacute;sir mim&eacute;tique selon Girard refl&egrave;te bien cette propension naturelle des humains &agrave; s&rsquo;imiter entre eux, &agrave; la fois pour le meilleur (&eacute;ducation, &eacute;mulation, transmission), et pour le pire, lorsque le mim&eacute;tisme fait convoiter trop ardemment ce que d&eacute;sire son voisin, son proche devenu trop proche. Ainsi, &laquo;&nbsp;ce qui d&eacute;finit le conflit humain n&rsquo;est pas la perte de la r&eacute;ciprocit&eacute; mais le glissement, imperceptible d&rsquo;abord puis de plus en plus rapide, de la bonne &agrave; la mauvaise r&eacute;ciprocit&eacute;&nbsp;&raquo; (Girard, 2001&nbsp;: 28). La concurrence ou &laquo;&nbsp;rivalit&eacute; mim&eacute;tique&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;installe peut alors, au sein de communaut&eacute;s partageant pourtant nombre de valeurs communes, atteindre des sommets de violence, notamment dans des cycles de repr&eacute;sailles. Des repr&eacute;sailles qui se d&eacute;roulent souvent dans le cadre de luttes claniques ou inter-communautaires, ph&eacute;nom&egrave;ne qui n&rsquo;&eacute;tait d&rsquo;ailleurs pas tout &agrave; fait inconnu dans certaines r&eacute;gions de la montagne libanaise, bien avant le d&eacute;clenchement de la guerre. Quoi qu&rsquo;il en soit, il nous semble important de retenir que &laquo;&nbsp;le d&eacute;sir de vengeance porte sur les proches&nbsp;&raquo; (1972&nbsp;: 26), et que ce processus, s&rsquo;il n&rsquo;est pas suffisamment contenu par des interdits op&eacute;rants, peut s&rsquo;&eacute;tendre de fa&ccedil;on remarquable &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Pourquoi la vengeance du sang, partout o&ugrave; elle s&eacute;vit, constitue-t-elle une menace insupportable&nbsp;? La seule vengeance satisfaisante, devant le sang vers&eacute;, consiste &agrave; verser le sang du criminel. Il n&rsquo;y a pas de diff&eacute;rence nette entre l&rsquo;acte que la vengeance punit et la vengeance elle-m&ecirc;me. [&hellip;]<br /> La vengeance constitue donc un processus infini, interminable. Chaque fois qu&rsquo;elle surgit en un point quelconque d&rsquo;une communaut&eacute; elle tend &agrave; s&rsquo;&eacute;tendre et &agrave; gagner l&rsquo;ensemble du corps social. Elle risque de provoquer une v&eacute;ritable r&eacute;action en cha&icirc;ne aux cons&eacute;quences rapidement fatales dans une soci&eacute;t&eacute; de dimensions r&eacute;duites&nbsp;&raquo; (Girard, 1972&nbsp;: 28).</p> </blockquote> <p>Ces p&eacute;riodes de contagion mim&eacute;tique de la violence peuvent mettre en jeu &laquo;&nbsp;l&rsquo;existence m&ecirc;me de la soci&eacute;t&eacute;. C&rsquo;est pourquoi la vengeance fait partout l&rsquo;objet d&rsquo;un interdit tr&egrave;s strict&nbsp;&raquo; (<em>ibid</em>.). Cet interdit peut &ecirc;tre d&rsquo;ordre religieux, ou bien mis en place dans le cadre d&rsquo;un syst&egrave;me judiciaire.</p> <p>Camille Tarot (2008), commentant les th&egrave;ses girardiennes, observe que, quand il fonctionne &laquo;&nbsp;en bonne r&eacute;ciprocit&eacute;&nbsp;&raquo;, le mim&eacute;tisme passe g&eacute;n&eacute;ralement inaper&ccedil;u&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans la paix, [il] r&eacute;gule presque automatiquement les &eacute;changes et les interactions, comme les politesses&nbsp;&raquo;&nbsp;; mais lorsque la rivalit&eacute; se d&eacute;clenche, &laquo;&nbsp;la mauvaise r&eacute;ciprocit&eacute; peut l&rsquo;emporter sur tout&nbsp;&raquo; (Tarot 2008&nbsp;: 403), plongeant la communaut&eacute; dans le chaos de la guerre civile&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;En passant par une violence grandissante de tous contre tous, la crise mim&eacute;tique m&egrave;ne &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de guerre civile et permet m&ecirc;me de concevoir une sorte d&rsquo;&eacute;tat de nature &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;Hobbes, la guerre de tous contre tous&nbsp;&raquo; (Tarot, 2008&nbsp;: 406).</p> </blockquote> <p>La guerre civile pourrait donc &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;e comme une exacerbation de tensions rivalitaires, et le terreau confessionnel libanais, avec les multiples int&eacute;r&ecirc;ts politiques que les responsables de communaut&eacute;s religieuses entretiennent avec les centres de pouvoir locaux et nationaux<a href="#_ftn3" id="_ftnref">[3]</a>, pourrait ne pas &ecirc;tre d&eacute;favorable &agrave; ces formes de mise en concurrence des individus via leurs groupes. Kanafani-Zahar d&eacute;crit d&rsquo;ailleurs la soci&eacute;t&eacute; libanaise comme une &laquo;&nbsp;soci&eacute;t&eacute; divis&eacute;e avec une culture politique fragment&eacute;e&nbsp;&raquo; (2011&nbsp;: 41), o&ugrave; la logique des droits et cultures communautaires fait passer les int&eacute;r&ecirc;ts de la communaut&eacute; avant ceux de la nation, comptant par ailleurs sur des soutiens &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur du pays, qui d&eacute;fendent eux-m&ecirc;mes des choix politiques particuliers (<em>ibid.</em>&nbsp;: 44).</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Pour cette raison, elle n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; seulement &lsquo;&lsquo;la guerre des autres&rsquo;&rsquo; mais aussi une guerre entre Libanais dont les projets divergents ont op&eacute;r&eacute; une hypertrophie de l&rsquo;appartenance communautaire au d&eacute;triment de l&rsquo;appartenance nationale&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>&nbsp;: 45).</p> </blockquote> <p>Situation qui aurait entrav&eacute; la construction d&rsquo;un projet v&eacute;ritablement commun... Cependant, nous voyons bien qu&rsquo;une telle explication, qui repose sur la seule mise en avant des diff&eacute;rences confessionnelles pour expliquer les dynamiques du conflit, laisse de c&ocirc;t&eacute; ce qui fait la force de l&rsquo;hypoth&egrave;se mim&eacute;tique de Girard, qui permet de comprendre le passage de la convivialit&eacute; au d&eacute;chirement&nbsp;: &agrave; savoir que ce serait plut&ocirc;t la disparition progressive des diff&eacute;rences entre les aspirations des citoyens (qui convergent vers des objets de d&eacute;sir identiques&nbsp;: lieux de pouvoir, territoires<a href="#_ftn4" id="_ftnref">[4]</a>, etc.) qui m&egrave;nerait &agrave; la violence. La crise mim&eacute;tique &laquo;&nbsp;aiguise les oppositions non pas en renfor&ccedil;ant les diff&eacute;rences comme notre individualisme le pr&eacute;tend, mais en les vidant de leur contenu, en les indiff&eacute;renciant&nbsp;&raquo; (Girard, 2001&nbsp;: 161)&nbsp;; et il est &agrave; cet &eacute;gard tr&egrave;s frappant d&rsquo;entendre tant de t&eacute;moins &eacute;voquer la bonne entente des Libanais avant la guerre, &agrave; travers &laquo;&nbsp;le v&eacute;cu quotidien d&rsquo;une vie interreligieuse locale de nature rituelle, comm&eacute;morative et festive&nbsp;&raquo; (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 176). De m&ecirc;me, &laquo;&nbsp;l&rsquo;expression &lsquo;&lsquo;ne pas savoir qui est qui&rsquo;&rsquo; [musulman, chr&eacute;tien...] revient dans de nombreux r&eacute;cits&nbsp;&raquo; (ibid.&nbsp;: 179).</p> <p>Sans mettre en doute la n&eacute;cessit&eacute; de se r&eacute;f&eacute;rer &agrave; ces liens d&rsquo;amiti&eacute; et de proximit&eacute; pour tenter de construire la paix, nous ferons l&rsquo;hypoth&egrave;se que c&rsquo;est sans doute cette dialectique entre diff&eacute;renciation et indiff&eacute;renciation qui rend la guerre civile si difficile &agrave; comprendre. Des positions contradictoires se manifestent constamment, y compris dans des analyses approfondies du terrain telles que celle-ci&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Avant de proc&eacute;der &agrave; la confrontation des m&eacute;moires &ndash; du lien et de la violence &ndash;, il est utile de rappeler que si la religion distingue les habitants de la montagne &ndash; chi&rsquo;ites, druzes, sunnites, chr&eacute;tiens &ndash; maronites, grecs-catholiques... &ndash;, une m&ecirc;me culture les lie. Le lien &agrave; la terre [&hellip;], l&rsquo;organisation sociale et spatiale dans les villages, les pratiques de sociabilit&eacute; et d&rsquo;hospitalit&eacute;, le sens de la fiert&eacute;, les modes de subsistance, les coutumes vestimentaires, alimentaires et musicales en sont quelques &eacute;l&eacute;ments. Si la diff&eacute;rence religieuse n&rsquo;est jamais ni&eacute;e [&hellip;], elle n&rsquo;en constitue cependant pas le clivage fondamental. [&hellip;] Les villageois, peu importe leur religion, se reconnaissent dans cette identit&eacute; et ils la revendiquent&nbsp;&raquo; (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 176).</p> </blockquote> <p>Sans donc minimiser les bienfaits de cette culture partag&eacute;e et commune, il pourrait &ecirc;tre pertinent de s&rsquo;interroger sur les d&eacute;rives vers la &laquo;&nbsp;mauvaise r&eacute;ciprocit&eacute;&nbsp;&raquo; que trop de proximit&eacute; peut entra&icirc;ner&nbsp;; d&rsquo;autant qu&rsquo;il est difficile de faire si nettement le d&eacute;part entre culture et religion, sachant que pour les anthropologues du symbolique (Durkheim, Mauss, Girard&nbsp;; voir Tarot 2008), la culture poss&egrave;de justement son origine dans les syst&egrave;mes religieux. Pour comprendre le paradoxe de la lutte fraternelle, il faudrait parvenir &agrave; concevoir que des dynamiques d&rsquo;indiff&eacute;renciation sont en jeu, et qu&rsquo;elles peuvent menacer la culture elle-m&ecirc;me, en tant que syst&egrave;me organis&eacute; de diff&eacute;rences. La violence fait retour p&eacute;riodiquement lorsque ce syst&egrave;me se d&eacute;r&egrave;gle, et c&rsquo;est ce que Girard nomme la &laquo;&nbsp;crise sacrificielle&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Cet ordre culturel, en effet, n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;un syst&egrave;me organis&eacute; de diff&eacute;rences&nbsp;; ce sont les &eacute;carts diff&eacute;rentiels qui donnent aux individus leur &lsquo;&lsquo;identit&eacute;&rsquo;&rsquo;, qui leur permet de se situer les uns par rapport aux autres. [&hellip;] Si la violence d&rsquo;abord cach&eacute;e de la crise sacrificielle d&eacute;truit les diff&eacute;rences, cette destruction en retour fait progresser la violence&nbsp;&raquo; (Girard, 1972&nbsp;: 78).</p> </blockquote> <p>Une violence qui, justement, exacerbe les diff&eacute;rences, et les instrumentalise jusqu&rsquo;&agrave; la fragmentation de la soci&eacute;t&eacute;. Alors, si la finalit&eacute; de la m&eacute;moire collective est bien d&rsquo;entraver la r&eacute;cidive de la violence interne, comment se souvenir sans raviver la haine&nbsp;? Quelle m&eacute;moire construire qui soit une revivification symbolique ayant un sens communautaire, ritualis&eacute;&nbsp;? Et si &laquo;&nbsp;la paix se conquiert par l&rsquo;abandon de la vengeance&nbsp;&raquo; (Garapon, 2011&nbsp;: 9) que faut-il pour abandonner la vengeance&nbsp;?</p> <h2>3. Des tiers m&eacute;diateurs pour l&rsquo;&eacute;ducation post-conflit</h2> <p>Dans le cadre de l&rsquo;anthropologie mim&eacute;tique, les logiques duelles de l&rsquo;affrontement mim&eacute;tique ne peuvent se transcender que dans la production d&rsquo;un tiers, d&rsquo;une forme de m&eacute;diation qui absorbera la violence interne de la soci&eacute;t&eacute;, l&rsquo;ext&eacute;riorisera et lui donnera un sens sacr&eacute;. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;anthropologie girardienne s&rsquo;est tant int&eacute;ress&eacute;e au sacrifice, qui est la forme la plus ancienne d&rsquo;institution, donc la forme la plus ancienne de protection des individus contre leur propre violence. Sans entrer dans les d&eacute;tails de cette th&egrave;se, nous rappellerons simplement que le sacrifice suppose la d&eacute;signation collective d&rsquo;une victime &eacute;missaire, qui cristallisera symboliquement toutes les tensions rivalitaires du groupe, et dont l&rsquo;&eacute;limination op&eacute;rera une forme de catharsis qui ram&egrave;nera la paix. Ce qui nous renvoie dans le m&ecirc;me mouvement &agrave; la fonction premi&egrave;re de l&rsquo;institution&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;C&rsquo;est l&rsquo;unit&eacute; d&rsquo;une communaut&eacute; qui s&rsquo;affirme dans l&rsquo;acte sacrificiel et cette unit&eacute; surgit au paroxysme de la division, au moment o&ugrave; la communaut&eacute; se pr&eacute;tend d&eacute;chir&eacute;e par la discorde mim&eacute;tique, vou&eacute;e &agrave; la circularit&eacute; interminable des repr&eacute;sailles vengeresses. &Agrave; l&rsquo;opposition de chacun contre chacun succ&egrave;de brusquement l&rsquo;opposition de tous contre un. [...] Cette unanimit&eacute; est l&rsquo;indice fort de la fonction sociale de l&rsquo;institution [&hellip;]&nbsp;&raquo; (Tarot, 2008&nbsp;: 405).</p> </blockquote> <p>L&rsquo;institution, pour ritualiser collectivement la m&eacute;moire et remplacer la r&eacute;p&eacute;tition vengeresse par la r&eacute;it&eacute;ration dans le domaine symbolique, s&rsquo;appuie sur cette&nbsp;<em>catharsis</em>&nbsp;sacrificielle, en rappelant ses effets b&eacute;n&eacute;fiques pour l&rsquo;unit&eacute; de la communaut&eacute;. Le bouc &eacute;missaire devient apr&egrave;s sa disparition porteur de paix et instance m&eacute;diatrice vers un nouveau pacte symbolique (voir Martinez, 1996&nbsp;: 240)&nbsp;: il occupe par essence la place et la fonction d&rsquo;un&nbsp;<em>tiers</em>, d&rsquo;une instance ext&eacute;rieure aux duels qui ont lieu entre les rivaux. Il refl&egrave;te v&eacute;ritablement la cr&eacute;ation de cette ext&eacute;riorit&eacute;, qui prend dans les soci&eacute;t&eacute;s traditionnelles la figure du sacr&eacute; et des interdits rituels, et dans les soci&eacute;t&eacute;s s&eacute;cularis&eacute;es la forme d&rsquo;un domaine symbolique fait de lois et de valeurs &agrave; la fois nationales et universalis&eacute;es.</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;La premi&egrave;re cons&eacute;quence ou interpr&eacute;tation du bouc &eacute;missaire est donc l&rsquo;invention du sacr&eacute; qui veut dire fondamentalement s&eacute;paration, &eacute;loignement, car il est la violence du groupe projet&eacute;e sur le bouc &eacute;missaire, objectiv&eacute;e avec lui et associ&eacute;e &agrave; sa m&eacute;tamorphose en fondateur et protecteur du groupe&nbsp;&raquo; (Tarot, 2008&nbsp;: 413).</p> </blockquote> <p>Les interdits, les valeurs et les lois se transmettent via les diff&eacute;rentes institutions, dont l&rsquo;&eacute;cole, ce qui leur conserve une r&eacute;miniscence de leur c&ocirc;t&eacute; primitivement sacr&eacute;&nbsp;: les enfreindre est con&ccedil;u comme une atteinte &agrave; la communaut&eacute; toute enti&egrave;re. En somme, &laquo;&nbsp;Le sacrifice r&eacute;ussi emp&ecirc;che la violence de redevenir immanente et r&eacute;ciproque, il la renforce en tant que sacr&eacute;e, c&rsquo;est-&agrave;-dire ext&eacute;rieure, transcendante, b&eacute;n&eacute;fique&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>&nbsp;: 413). Il joue son r&ocirc;le de&nbsp;<em>symbole</em>&nbsp;et de m&eacute;diation culturelle en ce qu&rsquo;il relie les membres de la communaut&eacute; sans pour autant les indiff&eacute;rencier&nbsp;: L&rsquo;&laquo;&nbsp;acc&egrave;s au symbolique, &eacute;tape d&eacute;terminante de l&rsquo;ontogen&egrave;se<a href="#_ftn5" id="_ftnref">[5]</a>&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;consiste effectivement &agrave; accepter la m&eacute;diation culturelle, fond&eacute;e sur l&rsquo;&eacute;viction d&rsquo;un tiers qui va, &agrave; la fois s&eacute;parer et r&eacute;unir les individus&nbsp;&raquo; (Martinez, 1996&nbsp;: 240). Cette id&eacute;e rejoint d&rsquo;ailleurs quelque peu ce que Michel Serres &eacute;crit en 1991 dans&nbsp;<em>Le Tiers-Instruit</em>, o&ugrave; il tente de d&eacute;plier les diff&eacute;rentes significations du tiers en &eacute;ducation, figure marqu&eacute;e par plusieurs ambivalences, notamment une &laquo;&nbsp;dialectique de l&rsquo;exclusion et de l&rsquo;inclusion&nbsp;&raquo;, et une dialectique &laquo;&nbsp;de s&eacute;paration et de m&eacute;diation&nbsp;&raquo; (Fabre, 2011&nbsp;: 14).</p> <p>Il nous int&eacute;resse donc de savoir si l&rsquo;&eacute;cole, dans un contexte post-guerre civile, peut concevoir de telles valeurs communes, sur la base de la reconnaissance de&nbsp;<em>tiers</em>&nbsp;symboliques, d&rsquo;instances universalis&eacute;es et m&eacute;diatrices entre les Libanais. Et dans le cas particulier de cette guerre civile, l&rsquo;on pourra l&eacute;gitimement soulever l&rsquo;interrogation suivante, qui guidera notre &eacute;tude&nbsp;: compte tenu de l&rsquo;absence d&rsquo;un ennemi v&eacute;ritablement commun &agrave; tous, de la multiplication des boucs &eacute;missaires dans toutes les communaut&eacute;s, de la complexit&eacute; des sch&egrave;mes de ruptures et d&rsquo;alliances entre les factions libanaises, et de l&rsquo;impossibilit&eacute; de polariser la violence sur un individu ni sur un groupe unique&nbsp;; sur quelles figures peuvent alors s&rsquo;&eacute;laborer des figures tierces&nbsp;?</p> <p>Nous allons donc examiner comment les manuels de notre corpus, tout en souscrivant largement au silence institutionnel &agrave; propos de la guerre civile (pour ne pas diviser les citoyens), &eacute;laborent une figure tierce et m&eacute;diatrice, neutre et ext&eacute;rieure au conflit, par le biais de la nature et de l&rsquo;environnement rural. Un environnement qui aura aussi pu &ecirc;tre, de fait, un tiers-victime de la guerre, car comme l&rsquo;&eacute;crit Antoine Garapon&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;La terre est une dimension rarement abord&eacute;e par la justice qui se concentre sur les corps, mais au Liban elle a souffert elle aussi. Les corps ont &eacute;t&eacute; arrach&eacute;s &agrave; la terre comme les arbres ont &eacute;t&eacute; abattus de sang froid. La mati&egrave;re premi&egrave;re de la m&eacute;moire, c&rsquo;est la terre&nbsp;&raquo; (Garapon, 2011&nbsp;: 10).</p> </blockquote> <h2>4. Un corpus de manuels d&rsquo;apr&egrave;s-guerre</h2> <p>Notre corpus se compose de six manuels de fran&ccedil;ais pour le coll&egrave;ge&nbsp;: les trois manuels officiels de l&rsquo;enseignement public &eacute;dit&eacute;s par le CRDP<a href="#_ftn6" id="_ftnref">[6]</a>, et trois manuels d&rsquo;&eacute;dition libanaise priv&eacute;e (Librairie Antoine), qui sont les plus diffus&eacute;s dans l&rsquo;enseignement priv&eacute; (l&rsquo;enseignement priv&eacute; confessionnel compterait environ la moiti&eacute; des &eacute;l&egrave;ves du pays). Ces manuels ont &eacute;t&eacute; les premiers &agrave; &ecirc;tre &eacute;dit&eacute;s au lendemain de la guerre, dans le cadre d&rsquo;une r&eacute;forme &eacute;ducative de grande ampleur (1997/1998) visant &agrave; renforcer l&rsquo;appartenance et l&rsquo;int&eacute;gration nationales de tous les citoyens, et leur mise en circulation est concomitante des mouvements de retour des personnes d&eacute;plac&eacute;es sur leurs terres et dans leurs villages. Les citations d&rsquo;extraits du corpus seront r&eacute;f&eacute;renc&eacute;s par l&rsquo;&eacute;dition du manuel (abr&eacute;g&eacute;e CRDP ou A) suivie du num&eacute;ro correspondant au niveau de scolarisation<a href="#_ftn7" id="_ftnref">[7]</a>&nbsp;(Ex&nbsp;: CRDP7, A8...), puis du num&eacute;ro de page du manuel (Ex&nbsp;: A7-139).</p> <h2>5. &Eacute;chos des formes institutionnelles d&rsquo;oubli dans les manuels&nbsp;: nommer ou ne pas nommer la guerre civile&nbsp;?</h2> <p>Comme l&rsquo;&laquo;&nbsp;oubli institutionnel&nbsp;&raquo; pouvait le laisser pr&eacute;sager, l&rsquo;on constate que le th&egrave;me de la guerre civile est tr&egrave;s peu &eacute;voqu&eacute; dans les manuels, et, fait int&eacute;ressant, qu&rsquo;il donne lieu &agrave; un masquage de tous les bellig&eacute;rants. Selon Grang&eacute; (2003), la difficult&eacute; de nommer le conflit civil n&rsquo;est gu&egrave;re &eacute;tonnante, car il fait figure de &laquo;&nbsp;non-sens politique&nbsp;&raquo; du point de vue de la nation, imposant en lui-m&ecirc;me de nommer ce qui n&rsquo;est autre qu&rsquo;un &laquo;&nbsp;ennemi int&eacute;rieur&nbsp;&raquo;. Dans les discours institutionnels des nations en guerre contre elles-m&ecirc;mes, &laquo;&nbsp;on per&ccedil;oit que la guerre est toujours beaucoup plus acceptable &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur&nbsp;&raquo; (Grang&eacute; 2003&nbsp;: 15)&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;La notion d&rsquo;ennemi int&eacute;rieur est en toute logique un non-sens &ndash; comment un citoyen peut-il prendre les armes contre ses concitoyens, comment une unit&eacute; politiquement organis&eacute;e peut-elle se d&eacute;clarer la guerre &agrave; elle-m&ecirc;me&nbsp;?&nbsp;&raquo; (ibid.&nbsp;: 11).</p> </blockquote> <p>La &laquo;&nbsp;guerre du Liban&nbsp;&raquo; appara&icirc;t donc dans tr&egrave;s peu de textes des manuels (cinq au total). Ces quelques textes &eacute;voquent l&rsquo;apr&egrave;s-guerre, autrement dit placent toujours l&rsquo;&eacute;nonciation au lendemain du conflit et non pendant celui-ci. Deux textes sont sp&eacute;cifiquement consacr&eacute;s au post-conflit, tandis que les autres abordent d&rsquo;autres th&egrave;mes et &eacute;voquent la guerre de fa&ccedil;on anecdotique. Il s&rsquo;agit pour la plupart de documents&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;non fabriqu&eacute;s par les auteurs des manuels, mais dont les sources sont libanaises puisqu&rsquo;on y trouve&nbsp;:</p> <ul> <li>une brochure du Conseil national du tourisme libanais&nbsp;;</li> <li>un article de la revue de l&rsquo;association humanitaire&nbsp;<em>Lebanus</em>&nbsp;(qui a &oelig;uvr&eacute; pour la scolarisation des enfants apr&egrave;s la guerre)&nbsp;;</li> <li>un texte sans source intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Avoir 12-15 ans et vivre au Liban&nbsp;!&nbsp;&raquo;, sign&eacute; &laquo;&nbsp;Fadi, 14 ans&nbsp;&raquo;&nbsp;;</li> <li>un extrait du roman de Mansour Labaky,&nbsp;<em>L&rsquo;enfant du Liban</em>.</li> </ul> <p>S&rsquo;y ajoute le texte de la chanson &laquo;&nbsp;Lebnan<a href="#_ftn8" id="_ftnref">[8]</a>&nbsp;&raquo; de la chanteuse franco-&eacute;gyptienne Dalida, ainsi que les consignes d&rsquo;exercices qui l&rsquo;accompagnent. Donc exception faite de ce dernier texte, les manuels privil&eacute;gient une &eacute;nonciation libanaise pour &eacute;voquer ce sujet.</p> <p>Dans tous les cas, le conflit n&rsquo;est pas d&eacute;sign&eacute; par les noms qui lui sont ordinairement attribu&eacute;s&nbsp;: le pol&eacute;monyme &laquo;&nbsp;guerre du Liban&nbsp;&raquo; et la lexie &laquo;&nbsp;guerre civile&nbsp;&raquo; sont absents du corpus. De tels noms de conflits (ou pol&eacute;monymes) sont, d&rsquo;apr&egrave;s Bacot, Douzou et Honor&eacute; (2008), des formes de chrononymie politique, &laquo;&nbsp;outils par excellence de la politisation du temps&nbsp;&raquo; qui fournissent des formes d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;vidences empiriques&nbsp;&raquo; en m&ecirc;me temps qu&rsquo;un &laquo;&nbsp;syst&egrave;me de rep&eacute;rage objectivant&nbsp;&raquo; (p. 12)&nbsp;; un mode de rep&eacute;rage qui permet de d&eacute;finir le discours politico-institutionnel comme &laquo;&nbsp;mise en sc&egrave;ne de la conflictualit&eacute; sociale&nbsp;&raquo;. Dans un contexte o&ugrave; pr&eacute;cis&eacute;ment cette conflictualit&eacute; sociale peut difficilement &ecirc;tre mise en discours, une telle absence de d&eacute;nomination peut faire office de mise &agrave; distance. Lorsque le conflit est nomm&eacute;, il s&rsquo;agit de &laquo;&nbsp;la guerre&nbsp;&raquo;, des &laquo;&nbsp;conflits&nbsp;&raquo; ou de &laquo;&nbsp;la violence&nbsp;&raquo;, ce qui donne &agrave; la r&eacute;f&eacute;rence un caract&egrave;re absolu, et appelle une connivence avec le r&eacute;cepteur. Une connivence qui peut d&rsquo;ailleurs &ecirc;tre suffisante pour construire une r&eacute;f&eacute;rence sur la base d&rsquo;un sous-entendu, comme dans ce texte sur les adolescents libanais&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Avoir 12-15 ans et vivre au Liban&nbsp;!<br /> (&hellip;) Et leur v&oelig;u le plus cher serait d&rsquo;adresser une lettre aux dirigeants libanais pour exprimer leurs souhaits&nbsp;: prot&eacute;ger l&rsquo;environnement, reconstruire le pays, am&eacute;liorer les conditions de vie, aider les d&eacute;munis et les handicap&eacute;s et... accorder plus d&rsquo;attention &agrave; la jeunesse (CRDP7-150).</p> </blockquote> <p>Le pr&eacute;suppos&eacute; de &laquo;&nbsp;reconstruire&nbsp;&raquo; est que ce pays a &eacute;t&eacute; d&eacute;truit, et le sous-entendu r&eacute;side dans la causalit&eacute; de la guerre civile<a href="#_ftn9" id="_ftnref">[9]</a>. Dans aucune des occurrences on ne trouve de d&eacute;signation des communaut&eacute;s confessionnelles libanaises, le seul marqueur ethnonymique employ&eacute; &eacute;tant le nom de pays &laquo;&nbsp;Liban&nbsp;&raquo;, qui permet une repr&eacute;sentation unitaire, non divis&eacute;e du pays&nbsp;:</p> <blockquote> <p><strong>Le Liban&nbsp;</strong>a toujours &eacute;t&eacute; un pays exceptionnellement attachant et le demeure&nbsp;<strong>au sortir de la guerre</strong>. Tous ceux qui l&rsquo;ont connu, paisible et serein ou d&eacute;chir&eacute; par les conflits, ont &eacute;t&eacute; conquis par sa longue histoire, sa beaut&eacute; et l&rsquo;&acirc;me de son peuple. [...]&nbsp;&raquo; (CRDP7-184) [Source indiqu&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;Conseil national du tourisme&nbsp;&raquo;]</p> <p><strong>Lebnan</strong><a href="#_ftn10" id="_ftnref">[10]</a></p> <p>[Consigne d&rsquo;exercice] Compl&eacute;tez les phrases par des mots de la chanson. a.&nbsp;<strong>Apr&egrave;s la guerre et (le feu)</strong>. b. Le calme est revenu au (Liban). [...] (A7-48)</p> </blockquote> <p>Il semblerait que pour ne pas diviser les citoyens, on &eacute;vite de nommer les bellig&eacute;rants et on occulte toute repr&eacute;sentation d&rsquo;antagonisme, ce qui permet un rassemblement imaginaire de tous les groupes communautaires sous le nom de la nation.</p> <p>Un autre proc&eacute;d&eacute; consiste &agrave; utiliser des pronoms de premi&egrave;re personne (<em>nous, on, je</em>)&nbsp;: dans le texte de l&rsquo;association&nbsp;<em>Lebanus</em>, une &eacute;nonciatrice adulte (enseignante libanaise) livre un t&eacute;moignage pamphl&eacute;taire sur l&rsquo;irresponsabilit&eacute; des adultes durant la guerre, vis-&agrave;-vis des jeunes g&eacute;n&eacute;rations. On y remarque toutefois le caract&egrave;re nationalement rassembleur du pluriel &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo;&nbsp;:&nbsp;</p> <blockquote> <p><strong>Leurs parents, nous</strong>, avons subi passivement la guerre quand&nbsp;<strong>nous</strong>&nbsp;ne l&rsquo;avons pas soutenue.&nbsp;<strong>Nos</strong>&nbsp;crit&egrave;res de d&eacute;mocratie, de paix et d&rsquo;unit&eacute;&nbsp;<strong>nous</strong>&nbsp;les avons gard&eacute;s au fond de&nbsp;<strong>nous-m&ecirc;mes</strong>, derri&egrave;re l&rsquo;effroi et la terreur. Parlez-moi d&rsquo;esprit critique ! (CRDP9-177/179)</p> </blockquote> <p>Ces pronoms personnels se retrouvent d&rsquo;ailleurs dans ce que nous avons nomm&eacute; de &laquo;&nbsp;fines allusions&nbsp;&raquo;, pr&eacute;sentes exclusivement dans les manuels pour l&rsquo;enseignement priv&eacute;. Le marquage de premi&egrave;re personne (<em>je, nous/ notre ou on</em>) s&rsquo;y trouve d&eacute;li&eacute; de tout autre mode de r&eacute;f&eacute;rence, et ces occurrences apparaissent exclusivement dans des &eacute;nonc&eacute;s servant de mati&egrave;re &agrave; des exercices grammaticaux, c&rsquo;est-&agrave;-dire dans des places s&eacute;miotiquement tr&egrave;s marginales du manuel, et&nbsp;<em>a priori</em>&nbsp;non prioritairement exploit&eacute;es en termes d&rsquo;acc&egrave;s au sens&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Les deux ennemis cess&egrave;rent de se battre ; cette tr&ecirc;ve &eacute;tait inesp&eacute;r&eacute;e&nbsp;; mais combien de temps allait-elle durer ?&nbsp;<strong>Nous</strong>&nbsp;esp&eacute;rions qu&rsquo;ils finiraient par s&rsquo;entendre. (A9-48)<br /> Les pays dans lesquels j&rsquo;aimerais vivre ma retraite sont ceux o&ugrave; il fait toujours beau et o&ugrave; il n&rsquo;y a pas de risque de guerre. (A9-129)<br /> Dites<strong>-moi</strong>&nbsp;comment vous trouvez cette sculpture que&nbsp;<strong>j</strong>&rsquo;ai faite avec des objets de guerre r&eacute;cup&eacute;r&eacute;s dans le village. (A9-140)<br /> Les avions disparus, un calme inqui&eacute;tant r&eacute;gna sur la ville.&nbsp;<strong>On</strong>&nbsp;se demandait pourquoi ils avaient si longtemps tourn&eacute; autour de ce m&ecirc;me quartier. (A9-140)</p> </blockquote> <p>Certes de tels pronoms, plac&eacute;s dans des &eacute;nonc&eacute;s r&eacute;dig&eacute;s par les auteurs des manuels, constituent des fictions dans la mesure o&ugrave; ceux-ci ne s&rsquo;y &eacute;noncent pas en leur propre nom, ce qui les rend particuli&egrave;rement difficiles &agrave; renvoyer &agrave; une instance &eacute;nonciative. Cependant le choix d&rsquo;un pronom de premi&egrave;re personne pour &eacute;voquer une exp&eacute;rience de la guerre n&rsquo;est sans doute pas tout &agrave; fait anodin non plus. Nous y voyons des &laquo;&nbsp;fines allusions&nbsp;&raquo; au conflit, autrement dit des formes de subjectivit&eacute; discr&egrave;tes, rel&eacute;gu&eacute;es dans les marges du discours du manuel et qui pourraient &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;s comme des r&eacute;miniscences de situations v&eacute;cues ou de discours entendus, ou encore comme des aspirations personnelles suite &agrave; des violences subies, sans que le discours du manuel ne fournisse d&rsquo;autre moyen de les &eacute;lucider, &agrave; l&rsquo;exception d&rsquo;un de ces &eacute;nonc&eacute;s qui fait se rencontrer un je et un marquage national&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Beyrouth, ville de tous les dangers, &eacute;tait aussi la ville la plus acharn&eacute;e &agrave; vivre. J&rsquo;y rencontrais de nombreux journalistes. (A9-128)&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;&nbsp;</p> </blockquote> <p>Ces spectres fugaces qui hantent les marges du discours scolaire, et investissent ses interstices les plus apparemment insignifiants, pourraient finalement &ndash; du moins telle est notre hypoth&egrave;se &ndash; offrir un certain espace de libert&eacute; &eacute;nonciative aux auteurs de manuels, dans des textes &agrave; haut degr&eacute; de fiction didactique.</p> <p>Enfin il nous reste &agrave; signaler le cas assez &eacute;tonnant de l&rsquo;extrait de roman de Mansour Labaky,&nbsp;<em>L&rsquo;enfant du Liban</em>, qui ne fait aucune mention de la guerre&nbsp;: pourtant ce livre est consacr&eacute; &agrave; la vie de jeunes Libanais durant celle-ci. L&rsquo;extrait choisi pour le manuel relate l&rsquo;arriv&eacute;e du jeune Nassim dans un orphelinat, sans que l&rsquo;on sache pourquoi il a, comme le pr&eacute;cise le p&eacute;ritexte r&eacute;dig&eacute; par les auteurs du manuel, &laquo;&nbsp;[perdu] ses parents, ses fr&egrave;res et ses s&oelig;urs&nbsp;&raquo; (A7-12). L&rsquo;&eacute;l&egrave;ve libanais ne pourra recourir qu&rsquo;&agrave; son imagination ou au savoir de son enseignant pour &eacute;lucider ce puissant implicite.</p> <p>Ces diff&eacute;rentes strat&eacute;gies permettent d&rsquo;ignorer les fronti&egrave;res entre les membres du M&ecirc;me national, de ne pas faire de ce M&ecirc;me un &laquo;&nbsp;&eacute;tranger &agrave; lui-m&ecirc;me&nbsp;&raquo;. La r&eacute;f&eacute;rence au conflictuel peut &ecirc;tre implicit&eacute;e voire occult&eacute;e, tandis que la r&eacute;f&eacute;rence au M&ecirc;me est explicite&nbsp;; et inversement, la r&eacute;f&eacute;rence au pays du M&ecirc;me peut &ecirc;tre relativement implicit&eacute;e par les pronoms, tandis que le conflit est cette fois d&eacute;sign&eacute;. Rappelons que durant la guerre du Liban, &laquo;&nbsp;inventer des fronti&egrave;res et les rendre visibles par la violence ont fait partie du &lsquo;&lsquo;syst&egrave;me milicien&rsquo;&rsquo;&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Kanafani-Zahar (2011&nbsp;: 26)&nbsp;; les manuels de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre optent donc pour la logique inverse&nbsp;: le brouillage des fronti&egrave;res entre les citoyens. Ce qui fait &eacute;cho aux politiques d&rsquo;apr&egrave;s-guerre, &agrave; propos desquelles Kanafani-Zahar rappelle que&nbsp;: dans un contexte o&ugrave; le territoire national, sous autorit&eacute; milicienne, a &eacute;t&eacute; morcel&eacute; sur une base confessionnelle, parfois avec des vell&eacute;it&eacute;s de scission, d&eacute;clarer le Liban uni avait valeur de symbole fort (<em>ibid.</em>&nbsp;: 33-34).</p> <p>Or si l&rsquo;unit&eacute; des citoyens est indispensable &agrave; la r&eacute;conciliation, il ne faut ni n&eacute;gliger les pi&egrave;ges de l&rsquo;indiff&eacute;renciation, ni ceux d&rsquo;une trop grande exacerbation des diff&eacute;rences... Pour m&eacute;nager ce fragile &eacute;quilibre et d&eacute;tourner le discours scolaire vers des instances tierces, les manuels privil&eacute;gient visiblement des th&eacute;matiques d&rsquo;&eacute;ducation capables de f&eacute;d&eacute;rer l&rsquo;imaginaire national, la nature y occupant une place fondamentale. Et cette th&eacute;matique poss&egrave;de justement l&rsquo;avantage de convoquer un imaginaire de la vie rurale et de la campagne, dont nous avons d&eacute;j&agrave; montr&eacute; l&rsquo;importance&nbsp;<em>supra</em>, et auquel nous avions consacr&eacute; une pr&eacute;c&eacute;dente &eacute;tude (Denimal, 2014) d&eacute;crivant son r&ocirc;le structurant dans l&rsquo;imaginaire post-conflit.</p> <h2>6. La nature et l&rsquo;environnement&nbsp;: des tiers neutres et rassembleurs&nbsp;?</h2> <p>Les th&egrave;mes de la nature et de l&rsquo;environnement (interpr&eacute;tation &eacute;cologique du milieu naturel) occupent une place particuli&egrave;rement importante dans les manuels. Ils figurent parmi les th&egrave;mes officiels des curricula du CRDP pour la premi&egrave;re ann&eacute;e du coll&egrave;ge<a href="#_ftn11" id="_ftnref">[11]</a>, et sont abord&eacute;s r&eacute;guli&egrave;rement dans le cadre des autres th&eacute;matiques et des autres niveaux. Par ailleurs, &agrave; l&rsquo;exception du manuel CRDP9, les couvertures des livres laissent toutes une place importante &agrave; des images de paysages naturels, vierges ou ruraux (photographies ou reproductions de tableaux)&nbsp;: cascade moussue (CRDP7), champ de coquelicots (CRDP8), sentier bord&eacute; de pins (A7), barques sur une rivi&egrave;re (A8), semeur dans un champ ensoleill&eacute; (A9). Sauf dans ce dernier cas, l&rsquo;humain est absent du paysage, ou bien seulement sugg&eacute;r&eacute; par des bateaux ou des toits rouges dans la verdure.</p> <p>Comme nous ne pourrons dans le cadre de cette partie pr&eacute;senter une analyse exhaustive de notre corpus, nous nous concentrerons sur les unit&eacute;s didactiques explicitement consacr&eacute;es &agrave; la nature et &agrave; l&rsquo;environnement<a href="#_ftn12" id="_ftnref">[12]</a>&nbsp;(dans CRDP7 et A7, donc). Chaque unit&eacute; th&eacute;matique s&rsquo;organise en m&ecirc;me temps autour d&rsquo;un type de texte &agrave; ma&icirc;triser. &laquo;&nbsp;La nature&nbsp;&raquo; fait ainsi travailler la description (et la recherche d&rsquo;information), et &laquo;&nbsp;L&rsquo;environnement&nbsp;&raquo; fait travailler l&rsquo;argumentation, ce qui donne aux apprentissages une orientation ais&eacute;ment perceptible&nbsp;: associer la nature &agrave; la description la pr&eacute;sente comme un donn&eacute; du r&eacute;el, une r&eacute;alit&eacute; en soi, devant laquelle l&rsquo;homme se pose en observateur. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, associer l&rsquo;environnement &agrave; la pratique de l&rsquo;argumentation dirige l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve vers la d&eacute;fense et la protection de la nature.</p> <p>Lorsque le manuel place l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve en position d&rsquo;observateur et de descripteur de la nature, c&rsquo;est selon une double orientation&nbsp;: objective/ scientifique ou subjective/ esth&eacute;tique. De fait les textes choisis sont soit informatifs, soit litt&eacute;raires. Dans les deux cas, c&rsquo;est un rapport de d&eacute;pendance de l&rsquo;humain &agrave; la nature qui est sugg&eacute;r&eacute;, celle-ci lui apportant de quoi vivre et s&rsquo;&eacute;merveiller&nbsp;: l&rsquo;humain (universalis&eacute; ci-dessous par l&rsquo;article d&eacute;fini) n&rsquo;est pas plac&eacute; dans un rapport de force ni d&rsquo;opposition avec la nature, au contraire il lui appara&icirc;t en quelque sorte subordonn&eacute;, et recevant ses bienfaits&nbsp;:</p> <blockquote> <p>[Les arbres] Comme la plupart d&rsquo;entre eux ont une dur&eacute;e de vie bien sup&eacute;rieure &agrave; la n&ocirc;tre, ils nous paraissent &eacute;ternels. [&hellip;] Produisant l&rsquo;oxyg&egrave;ne n&eacute;cessaire &agrave; toute vie, &eacute;quilibrant les temp&eacute;ratures, retenant les sols et s&rsquo;opposant &agrave; l&rsquo;&eacute;rosion, les arbres sont indispensables &agrave; la survie du monde animal, y compris les &ecirc;tres humains. Sans oublier ce qui n&rsquo;est peut-&ecirc;tre pas le moins important&nbsp;: l&rsquo;influence qu&rsquo;ils exercent sur l&rsquo;esprit de l&rsquo;homme, &agrave; qui les arbres apportent depuis toujours apaisement et inspiration. (CRDP7-18) [Source&nbsp;:&nbsp;<em>Reader&rsquo;s digest</em>]<br /> La Nature est bienfaisante au corps&nbsp;: distraction, repos et d&eacute;tente, promenade, sports, air vivifiant, et ce luxe moderne qu&rsquo;est le silence... [&hellip;] Enfin la Nature est indispensable &agrave; notre libert&eacute;. Elle exalte la r&eacute;flexion, le r&ecirc;ve et la force vitale de l&rsquo;homme. (CRDP7-52/53) [Source&nbsp;: Ph. Saint-Marc,&nbsp;<em>Socialisation de la nature</em>]<br /> Les nuages, je voudrais bien vivre avec eux, en planant, &eacute;tendu sur la vo&ucirc;te du ciel. Je voudrais &ecirc;tre avec eux, rester parmi eux, pour mieux les conna&icirc;tre. Souvent je les cherche, entre les immeubles des villes. Quand il y a beaucoup de bruit et de mouvement dans toutes ces rues, je l&egrave;ve la t&ecirc;te, je les vois, et ils me lib&egrave;rent. (CRDP7-18) [Source&nbsp;: Le Cl&eacute;zio,&nbsp;<em>L&rsquo;inconnu sur la terre</em>]</p> </blockquote> <p>Les consignes d&rsquo;activit&eacute;s langagi&egrave;res invitent l&rsquo;apprenant &agrave; produire des textes descriptifs fond&eacute;s sur l&rsquo;observation de la nature, &agrave; orientation scientifique (CRDP7-22/23) ou po&eacute;tique (CRDP7-26). La nature fait figure d&rsquo;id&eacute;al esth&eacute;tique, et la fusion du sujet en une entit&eacute; protectrice est souvent sugg&eacute;r&eacute;e, comme dans le texte ci-dessus, ou encore ici&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Ils s&rsquo;assirent, la t&ecirc;te &agrave; l&rsquo;abri et les pieds dans la chaleur. Ils regardaient toute cette vie grouillante et petite qu&rsquo;un rayon fait appara&icirc;tre&nbsp;; et Jeanne attendrie r&eacute;p&eacute;tait&nbsp;: &lsquo;&lsquo;Comme on est bien&nbsp;! Que c&rsquo;est bon la campagne&nbsp;! Il y a des moments o&ugrave; je voudrais &ecirc;tre mouche ou papillon pour me cacher dans les fleurs&rsquo;&rsquo;. (A7-123) [Source&nbsp;: Maupassant,&nbsp;<em>Une vie</em>]<br /> Quelquefois des pluies d&rsquo;orage vous surprennent dans ces grands bois-l&agrave;&nbsp;; on se blottit sous un ch&ecirc;ne plus &eacute;pais que les autres, et, sans rien dire, on &eacute;coute la pluie cr&eacute;piter l&agrave;-haut comme sur un toit, bien &agrave; l&rsquo;abri [&hellip;] (A7-139) [Source&nbsp;: Colette,&nbsp;<em>Claudine &agrave; l&rsquo;&eacute;cole</em>]</p> </blockquote> <p>La fusion r&ecirc;v&eacute;e entre l&rsquo;humain et la nature s&rsquo;incarne &eacute;galement dans un th&egrave;me r&eacute;current du corpus&nbsp;: la maison rurale libanaise<a href="#_ftn13" id="_ftnref">[13]</a>. Dans ces unit&eacute;s en principe consacr&eacute;es &agrave; la nature, la maison de village libanaise, avec son architecture traditionnelle, s&rsquo;invite pour repr&eacute;senter une forme d&rsquo;harmonie entre l&rsquo;homme et son environnement, que repr&eacute;sente bien le jardin&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Notre maison est construite sur le c&ocirc;t&eacute; droit de la place du village [&hellip;]. La maison est majestueuse avec son carr&eacute; impeccable, sa toiture de tuiles rouges en forme de pyramide imposante, ses trois arcades florentines et ses longues et innombrables fen&ecirc;tres. Elle est entour&eacute;e de jardins d&rsquo;arbres fruitiers et d&rsquo;une roseraie &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re [&hellip;]. Par endroits, la rampe en fer forg&eacute; est engloutie par le lierre ou par les bosquets odorants de lavande bleue. Les pierres de l&rsquo;escalier [&hellip;] sont creus&eacute;es par l&rsquo;usure des ann&eacute;es et les intemp&eacute;ries des saisons... (CRDP7-36) [Source&nbsp;: Myriam Khodr, 16 ans &ndash; Liban, 3&deg; prix du concours &laquo;&nbsp;Jeune &eacute;crivain francophone&nbsp;&raquo;]</p> </blockquote> <p>L&rsquo;&eacute;l&egrave;ve est invit&eacute; &agrave; produire des descriptions de telles maisons, &agrave; orientation m&eacute;liorative, comme dans cette activit&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Quels &eacute;l&eacute;ments choisissez-vous dans la description d&rsquo;une maison pour donner une impression de ga&icirc;t&eacute;&nbsp;? (volets ouverts, volets ferm&eacute;s, fleurs au balcon, jardin fleuri, carreau cass&eacute; etc.) (CRDP7-36)</p> </blockquote> <p>Les volets ferm&eacute;s ou le carreau cass&eacute; peuvent donner une impression d&rsquo;abandon et de tristesse, comme dans ces villages d&eacute;sert&eacute;s de la montagne libanaise que les d&eacute;plac&eacute;s peinent &agrave; reconna&icirc;tre lorsqu&rsquo;ils y retournent (Kanafani-Zahar, 2011&nbsp;: 161-173). Plusieurs textes expriment la hantise de la perte et de la d&eacute;gradation, qui fait &eacute;chos &agrave; ces r&eacute;cits de m&eacute;moire d&eacute;plorant l&rsquo;abandon des jardins et la destruction des vergers&nbsp;; structurante de l&rsquo;appel &agrave; la pr&eacute;servation de l&rsquo;environnement, cette pr&eacute;occupation pousse les auteurs de manuels &agrave; repr&eacute;senter le Liban comme un espace &agrave; prot&eacute;ger, et &agrave; pr&eacute;server tel quel&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Les g&eacute;n&eacute;rations actuelles ont une t&acirc;che bien plus lourde que de refaire le monde, c&rsquo;est d&rsquo;&eacute;viter qu&rsquo;il soit d&eacute;fait (CRDP7-57)&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;</p> </blockquote> <p>On la trouve aussi dans deux textes litt&eacute;raires d&rsquo;A7 (unit&eacute; &laquo;&nbsp;&Agrave; la rencontre de la nature&nbsp;&raquo;), qui repr&eacute;sentent des jardins abandonn&eacute;s. Le premier est tir&eacute; des&nbsp;<em>Mis&eacute;rables</em>, et d&eacute;crit un chaos v&eacute;g&eacute;tal fait d&rsquo;inversions produites par l&rsquo;abandon et le retour d&rsquo;une nature anarchique&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Un jardin abandonn&eacute;<br /> [&hellip;] Les arbres s&rsquo;&eacute;taient baiss&eacute;s vers les ronces, les ronces &eacute;taient mont&eacute;es vers les arbres, la plante avait grimp&eacute;, la branche avait fl&eacute;chi [&hellip;]&nbsp;; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, &eacute;pines, s&rsquo;&eacute;taient m&ecirc;l&eacute;s, travers&eacute;s, mari&eacute;s, confondus [&hellip;] (A7-129)</p> </blockquote> <p>Le second conjure au contraire l&rsquo;abandon par des retrouvailles miraculeuses avec un lieu qui n&rsquo;a pas chang&eacute;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Rien n&rsquo;a chang&eacute;. J&rsquo;ai tout revu&nbsp;: l&rsquo;humble tonnelle<br /> De vigne folle avec les chaises de rotin...<br /> Le jet d&rsquo;eau fait toujours son murmure argentin<br /> Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.<br /> Les roses comme avant palpitent&nbsp;; comme avant,<br /> Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.<br /> Chaque alouette qui va et vient m&rsquo;est connue. [&hellip;] (A7-132) [Verlaine, &laquo;&nbsp;Melancholia&nbsp;&raquo;, retitr&eacute; &laquo;&nbsp;Apr&egrave;s trois ans&nbsp;&raquo; par les auteurs du manuel]</p> </blockquote> <p>Cette nature universellement pourvoyeuse de bienfaits semble donc viser une forme de r&eacute;conciliation imaginaire entre le citoyen et son pays, &agrave; travers la c&eacute;l&eacute;bration d&rsquo;un mode de vie rural et de retrouvailles avec des lieux inchang&eacute;s, mais sur lesquels plane ou a plan&eacute; la menace de la destruction. Les motifs r&eacute;currents de la maison abandonn&eacute;e ou intacte dans son &eacute;crin de verdure, se fondant harmonieusement avec la nature, semblent proposer une m&eacute;taphore du projet de vie d&rsquo;apr&egrave;s-guerre, tandis que la hantise du village et du jardin abandonn&eacute;s, si fr&eacute;quente dans les discours des d&eacute;plac&eacute;s qui retrouvent leurs terres saccag&eacute;es, agit comme contre-mod&egrave;le dysphorique &agrave; ce projet.</p> <h2>Conclusion</h2> <p>Nous avons modestement tent&eacute; ici de dessiner des lignes d&rsquo;interpr&eacute;tation possibles du discours scolaire post-conflit, dans un contexte de guerre civile particuli&egrave;rement complexe. Notre hypoth&egrave;se est que dans la guerre de tous contre tous, les institutions et l&rsquo;&Eacute;tat ne peuvent plus &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme suffisamment l&eacute;gitimes pour prot&eacute;ger la soci&eacute;t&eacute; de sa violence interne. Il n&rsquo;est donc pas &eacute;tonnant que s&rsquo;y &eacute;laborent des figures tierces, th&eacute;matiques universalis&eacute;es et valeurs mises en ext&eacute;riorit&eacute; par rapport aux bellig&eacute;rants, mais qui sont en m&ecirc;me temps des r&eacute;miniscences possibles des victimes et de leurs souffrances. La nature et la ruralit&eacute; au Liban semblent per&ccedil;ues comme des voies &eacute;ducatives privil&eacute;gi&eacute;es pour la r&eacute;conciliation&nbsp;; elles pr&eacute;sentent s&ucirc;rement beaucoup d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, mais &agrave; notre avis elles risquent, ainsi que ceux qui les promeuvent, de m&eacute;conna&icirc;tre quelque peu le fait que ce mode de vie rural commun n&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; la guerre civile ni les tensions rivalitaires de s&rsquo;exacerber. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre l&agrave; une m&eacute;prise fr&eacute;quente des soci&eacute;t&eacute;s post-conflit, qui voient uniquement dans la soci&eacute;t&eacute; pr&eacute;-conflit un &eacute;den, et non un terreau sur lequel les violences se sont d&eacute;cha&icirc;n&eacute;es.</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>CORM, Georges, 2005,&nbsp;<em>Le Liban contemporain. Histoire et Soci&eacute;t&eacute;</em>, Paris, La D&eacute;couverte.</p> <p>DENIMAL, Amandine, 2011, &laquo;&nbsp;Les valeurs d&rsquo;ouverture &agrave; l&rsquo;Autre dans les manuels de fran&ccedil;ais libanais&nbsp;: un traitement paradoxal&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Tr&eacute;ma</em>&nbsp;n&deg;35-36, p. 37-52.</p> <p>DENIMAL, Amandine, 2014, &laquo;&nbsp;Dialectique de l&rsquo;un et du divers dans les manuels de fran&ccedil;ais libanais&nbsp;: construire les imaginaires nationaux en &eacute;ducation post-conflit&nbsp;&raquo;, dans Jos&eacute; Aguilar, C&eacute;dric Brudermann et Malory Lecl&egrave;re (dir.),&nbsp;<em>Langues, cultures, soci&eacute;t&eacute;s. Interrogations didactiques,&nbsp;</em>Paris, Riveneuve, p. 97-123.</p> <p>FABRE, Michel, 2011, &laquo;&nbsp;Le tiers en d&eacute;bat&nbsp;&raquo;, dans Constantin Xypas, Michel Fabre et Renaud H&eacute;tier,&nbsp;<em>Le tiers &eacute;ducatif. Une nouvelle relation p&eacute;dagogique,&nbsp;</em>Bruxelles, De Boeck, p.13-18.</p> <p>GARAPON, Antoine, 2011,&nbsp;<em>Pr&eacute;face</em>, dans A&iuml;da Kanafani-Zahar,&nbsp;<em>Liban. La guerre et la m&eacute;moire</em>, Rennes, Presses Universitaires, p.7-11.</p> <p>GIRARD, Ren&eacute;, 1972,&nbsp;<em>La violence et le sacr&eacute;</em>, Paris, Grasset.</p> <p>GIRARD, Ren&eacute;, 2001,&nbsp;<em>Celui par qui le scandale arrive</em>, Paris, Descl&eacute;e de Brouwer.</p> <p>GRANG&Eacute;, Ninon, 2003, &laquo;&nbsp;Cic&eacute;ron contre Antoine&nbsp;: la d&eacute;signation de l&rsquo;ennemi dans la guerre civile&nbsp;&raquo;,&nbsp;<em>Mots. Les langages du politique n&deg;</em>73, p. 9-24.</p> <p>KANAFANI-ZAHAR, A&iuml;da, 2011,&nbsp;<em>Liban. La guerre et la m&eacute;moire,</em>&nbsp;Rennes, Presses Universitaires.</p> <p>KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, 1986,&nbsp;<em>L&rsquo;implicite</em>, Paris, Armand Colin.</p> <p>MARTINEZ, Marie-Louise, 1996,&nbsp;<em>Vers la r&eacute;duction de la violence &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Contribution &agrave; l&rsquo;&eacute;tude de quelques concepts pour une anthropologie relationnelle de la personne en philosophie de l&rsquo;&eacute;ducation</em>, Th&egrave;se de doctorat, Universit&eacute; de la Sorbonne nouvelle &ndash; Paris III, 1996.</p> <p>TAROT, Camille, 2008,&nbsp;<em>Le symbolique et le sacr&eacute;, th&eacute;ories de la religion</em>, Paris, M.A.U.S.S.</p> <p>WEBER, Max, 1959,&nbsp;<em>Le savant et le politique,</em>&nbsp;Paris, Plon.</p> <p><strong>Corpus</strong></p> <p>ABOU GHANNAM, Anis, Bouchra BAGHDADI ADRA, Marthe ATTIEH, Rafic CHIKHANI, Abdallah FAWAZ, Gis&egrave;le HADDAD, Samir HOYEK, Georges MHANNA, L&eacute;la NACOUZ et Georges ROUPHA&Euml;L,&nbsp;<em>A la crois&eacute;e des textes. &Eacute;ducation de base septi&egrave;me ann&eacute;e</em>&nbsp;(2&egrave;me &eacute;dition), Liban, Librairie Antoine/ Hachette-Edicef, 2005.</p> <p>ABOU GHANNAM, Anis, Bouchra BAGHDADI ADRA, Marthe ATTIEH, Rafic CHIKHANI, Abdallah FAWAZ, Gis&egrave;le HADDAD, Samir HOYEK, Georges MHANNA, L&eacute;la NACOUZ et Georges ROUPHA&Euml;L,&nbsp;<em>A la crois&eacute;e des textes. &Eacute;ducation de base huiti&egrave;me ann&eacute;e</em>&nbsp;(2&egrave;me &eacute;dition), Liban, Librairie Antoine/ Hachette-Edicef, 2005.</p> <p>ABOU GHANNAM, Anis, Bouchra BAGHDADI ADRA, Marthe ATTIEH, Rafic CHIKHANI, Abdallah FAWAZ, Gis&egrave;le HADDAD, Samir HOYEK, Georges MHANNA, L&eacute;la NACOUZ et Georges ROUPHA&Euml;L,&nbsp;<em>A la crois&eacute;e des textes. &Eacute;ducation de base neuvi&egrave;me ann&eacute;e</em>&nbsp;(2&egrave;me &eacute;dition), Liban, Librairie Antoine/ Hachette-Edicef, 2008.</p> <p>ABOU MEHRI, Armelle, Rachad AOUN, Ibrahim ASSI, Marie Bejjani et Marcelle HARIZ JABBOUR,&nbsp;<em>Horizons Jeunes, Lecture et activit&eacute;s. &Eacute;ducation de base neuvi&egrave;me ann&eacute;e,</em>&nbsp;Liban, Librairie du Liban Publishers, 2000.</p> <p>AOUN, Rachad, Ibrahim ASSI, Armelle PILLET-ABOU MEHRI et Marcelle HARIZ JABBOUR,&nbsp;<em>Livre de fran&ccedil;ais. &Eacute;ducation de base septi&egrave;me ann&eacute;e (</em>2&egrave;me &eacute;dition), Liban, Librairie du Liban Publishers, 1996.</p> <p>AOUN, Rachad, Ibrahim ASSI, Armelle PILLET-ABOU MEHRI et Marcelle HARIZ JABBOUR,&nbsp;<em>Livre de fran&ccedil;ais. &Eacute;ducation de base huiti&egrave;me ann&eacute;e</em>&nbsp;(2&egrave;me &eacute;dition), Liban, Librairie du Liban Publishers, 1997.</p> <h2>Notes&nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn1">[1]</a>&nbsp;Une centaine, dont une vingtaine aurait jou&eacute; un r&ocirc;le significatif.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn2">[2]</a>&nbsp;En t&eacute;moigne le nombre important de publications qui tentent de d&eacute;crypter les &laquo;&nbsp;causes&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;raisons&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;motifs&nbsp;&raquo; du conflit, etc.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn3">[3]</a>&nbsp;Commentant des propos de t&eacute;moins, Kanafani-Zahar observe que &laquo;&nbsp;la haine est &agrave; la fois la cause et la cons&eacute;quence de la violence. Elle r&eacute;sulte aussi du confessionnalisme et de la comp&eacute;tition des partis politiques pour le pouvoir local et national&nbsp;&raquo; (2011&nbsp;: 185).</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn4">[4]</a>&nbsp;Kanafani-Zahar indique que la guerre s&rsquo;est aussi faite &laquo;&nbsp;guerre de territoires&nbsp;&raquo; (2011&nbsp;: 187).</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn5">[5]</a>&nbsp;Dans la perspective de Martinez (1996), l&rsquo;enjeu est avant tout de consid&eacute;rer la construction des personnes que cette relation met en jeu, dans l&rsquo;optique de r&eacute;duire la violence &agrave; l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;; dans la pr&eacute;sente contribution, il va de soi que nous privil&eacute;gions la perspective sociog&eacute;n&eacute;tique &ndash; ce qui n&rsquo;introduit pas pour autant d&rsquo;incompatibilit&eacute; avec les travaux de cette auteure, qui se r&eacute;f&egrave;re &eacute;galement &agrave; l&rsquo;hypoth&egrave;se mim&eacute;tique.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn6">[6]</a>&nbsp;Centre national de recherche et de documentation p&eacute;dagogique, organe du minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation nationale charg&eacute; des programmes, des curricula et des manuels des &eacute;coles publiques.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn7">[7]</a>&nbsp;Les septi&egrave;me, huiti&egrave;me et neuvi&egrave;me ann&eacute;es de scolarisation correspondent respectivement aux premi&egrave;re, deuxi&egrave;me et troisi&egrave;me ann&eacute;es du coll&egrave;ge.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn8">[8]</a><em>&nbsp;Lebnan&nbsp;</em>est le nom arabe du Liban.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn9">[9]</a>&nbsp;Pour les notions de pr&eacute;suppos&eacute; et de sous-entendu, nous nous fondons sur la distinction op&eacute;r&eacute;e par Kerbrat-Orecchioni (1986).</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn10">[10]</a>&nbsp;Nom arabe du Liban.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn11">[11]</a>&nbsp;&laquo;&nbsp;Nature&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Environnement&nbsp;&raquo; sont les deux premi&egrave;res unit&eacute;s du manuel, et pr&eacute;sentent dans les manuels du CRDP un nombre de pages sup&eacute;rieur &agrave; la moyenne des unit&eacute;s de la collection.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn12">[12]</a>&nbsp;Dans notre pr&eacute;c&eacute;dent travail (Denimal, 2014) nous avons propos&eacute; une lecture de l&rsquo;autochtonie libanaise et de la r&eacute;invention des traditions &agrave; travers la repr&eacute;sentation de la maison rurale, dans le m&ecirc;me corpus de manuels.</p> <p><a href="#_ftnref" id="_ftn13">[13]</a>&nbsp;Voir aussi Denimal, 2014.</p> <p>&nbsp;</p> <h3>Amandine DENIMAL<br /> EA-739 Dipralang<br /> Universit&eacute; Montpellier 3</h3>