<h2 style="text-align:justify">Introduction</h2> <p style="text-align:justify">Les normes sont les dispositifs parmi les plus fondamentaux et les plus ais&eacute;ment observables dans la soci&eacute;t&eacute; humaine. Cependant, les normes ne sont que des r&egrave;gles et des rep&egrave;res &eacute;tablis par l&rsquo;homme dans une circonstance pr&eacute;cise, et donc elles ne sont pas toutes immuables au fil du temps, mais elles sont changeantes, modifiables, inventables et jetables. En revanche, les processus normatifs sont constants et perp&eacute;tuels. Ils reposent sur une intention et/ou un acte de normalisation dont George Canguilhem a fait usage dans ses notes de cours sous l&rsquo;expression d&rsquo;&laquo; invention normative &raquo; (Debru, Cl., 2015, p5).Avant que toute norme soit &eacute;tablie, elle n&eacute;cessite en premier lieu une intention de rendre quelque chose normatif, c&rsquo;est ainsi que Claude Debru d&eacute;finit le terme de &laquo; normativit&eacute; &raquo; comme &laquo; la capacit&eacute; humaine d&rsquo;adopter des attitudes ou de former des jugements sur ce qui doit &ecirc;tre et pas seulement sur ce qui est &raquo; (Ibid. p16). La normativit&eacute; se retrouve dans diverses activit&eacute;s de notre soci&eacute;t&eacute;, nous allons nous int&eacute;resser ici au domaine de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur en ce qui concerne l&rsquo;&eacute;volution du rapport au savoir des &eacute;tudiants face aux r&eacute;formes &eacute;ducatives, qui repr&eacute;sentent &agrave; juste titre un processus normatif impos&eacute; par des instances de pouvoir en vue d&rsquo;instaurer de nouvelles normes de fonctionnement et, dans le m&ecirc;me temps, d&rsquo;en d&eacute;faire les anciennes, dans l&rsquo;objectif de former des citoyens modernes.</p> <p style="text-align:justify">En m&rsquo;inspirant de ma recherche doctorale portant sur l&rsquo;&eacute;tude du rapport au savoir et ses incidences subjectives dans l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur des langues, je suis amen&eacute;e &agrave; la question du discours normatif &agrave; travers le r&eacute;investissement du discours institutionnel de la part des &eacute;tudiants. Pour pouvoir travailler avec la notion de normativit&eacute;, je serai attentive aux attitudes et aux jugements que portent les &eacute;tudiants vis-&agrave;-vis de certains th&egrave;mes des discours institutionnels dans les entretiens<a href="#_ftn1" id="_ftnref1" name="_ftnref1">[1]</a> que j&rsquo;ai effectu&eacute;s sur les terrains d&rsquo;investigation. Les &laquo;&nbsp;jugements normatifs&nbsp;&raquo; (Wedgwood., R., 2007), du genre &laquo;&nbsp;il doit &ecirc;tre&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;je dois faire&nbsp;&raquo;, sont des indicateurs de la normativit&eacute; humaine r&eacute;f&eacute;rant &eacute;galement &agrave; la question de la valeur. Quant aux analyses des discours normatifs, je ne me limiterai pas &agrave; une &eacute;tude de lexique et de contenu, mais entreprendrai surtout une approche d&rsquo;analyse du discours<a href="#_ftn2" id="_ftnref2" name="_ftnref2">[2]</a> bas&eacute;e sur l&rsquo;&eacute;tude des positionnements discursifs du sujet parlant.</p> <p style="text-align:justify">De ce fait, l&rsquo;ensemble des analyses sera structur&eacute; en r&eacute;ponse &agrave; deux questions essentielles&nbsp;: comment s&rsquo;op&egrave;re le processus normatif dans la production et le r&eacute;investissement du discours&nbsp;? Quels sont les impacts de la normativit&eacute; sur le rapport au savoir des &eacute;tudiants sur le plan individuel&nbsp;? Afin de traiter de mani&egrave;re non exhaustive l&rsquo;articulation entre la normativit&eacute; et le rapport au savoir, je me concentrerai sur deux dimensions pr&eacute;sentes dans un processus d&rsquo;apprentissage: l&rsquo;objectif des &eacute;tudes etle r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant, &agrave; travers lesquelles je choisirai deuxextraits des entretiensafin de proc&eacute;der &agrave; une analyse du discours pour &eacute;tayer la probl&eacute;matique.</p> <h2 style="text-align:justify">Le contexte socio-historique</h2> <p style="text-align:justify">A partir des ann&eacute;es 1980, la pr&eacute;occupation par l&rsquo;emploi s&rsquo;est manifest&eacute;e de plus en plus au sein du syst&egrave;me &eacute;ducatif, le pouvoir politique a ainsi proc&eacute;d&eacute; &agrave; une red&eacute;finition des contenus de l&rsquo;enseignement &laquo;&nbsp;selon laquelle la transmission des connaissances n&rsquo;est plus le monopole de l&rsquo;&eacute;cole&nbsp;&raquo; (Rop&eacute; Fr., et Tanguy L., 1994, p25), et a tent&eacute; de rapprocher le monde du travail du monde de l&rsquo;&eacute;ducation. Cette tentative a &eacute;t&eacute; concr&eacute;tis&eacute;e &agrave; travers des actes de jumelage &eacute;cole-entreprise lanc&eacute;es en octobre 1984&nbsp;; depuis des cursus professionnels et des stages ont &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute;s, et des interventions initi&eacute;es par des experts professionnels ont &eacute;t&eacute; chaleureusement accueillies au sein des &eacute;tablissements. Suivi de la r&eacute;forme en 1989, le syst&egrave;me d&rsquo;&eacute;valuation du monde du travail a &eacute;t&eacute; ins&eacute;r&eacute; dans le syst&egrave;me &eacute;ducatif et il a introduit dans le m&ecirc;me temps l&rsquo;approche par comp&eacute;tences &agrave; travers un nouveau r&eacute;gime de fonctionnement sous forme de &laquo;&nbsp;contrat d&rsquo;enseignement&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">Dans un contexte de mondialisation &eacute;conomique avec un essor consid&eacute;rable des nouvelles technologies num&eacute;riques, ce mouvement de rapprochement &eacute;cole-entreprise a rapidement &eacute;t&eacute; adopt&eacute; par les instituts et se r&eacute;pand progressivement dans le milieu de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur. Le processus de Bologne (1999) et la strat&eacute;gie de Lisbonne (2000) ont amorc&eacute; un profond remodelage de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur en France&nbsp;; depuis on entend constamment parler de &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;conomie de la connaissance&nbsp;&raquo; et de &laquo;&nbsp;la soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;information&nbsp;&raquo; Le Parlement europ&eacute;en et le Conseil de l&rsquo;Union europ&eacute;enne ont propos&eacute; des &laquo;&nbsp;comp&eacute;tences cl&eacute;s pour l&rsquo;&eacute;ducation et l&rsquo;apprentissage tout au long de la vie&nbsp;&raquo;, et ont lanc&eacute; en 2010 un &laquo;&nbsp;dialogue universit&eacute;-entreprise&nbsp;: un nouveau partenariat pour la modernisation des universit&eacute;s en Europe&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">Tous ces textes politiques ont pour objet de proc&eacute;der &agrave; un remodelage du fonctionnement &eacute;ducatif dans lequel le pouvoir politique tente d&rsquo;instaurer de nouvelles normes et crit&egrave;res. Souvent consid&eacute;r&eacute;s comme indicateurs de l&rsquo;&eacute;volution du march&eacute; du travail et de la soci&eacute;t&eacute;, les discours institutionnels exercent une influence ind&eacute;niable sur les &eacute;tudiants, car, en se positionnant en tant que futurs demandeurs d&rsquo;emploi, ils adoptent et suivent en g&eacute;n&eacute;ral la perspective donn&eacute;e par le gouvernement &agrave; travers diff&eacute;rentes formes de discours. N&eacute;anmoins, la r&eacute;adaptation des nouvelles normes ne se fait pas toujours sans r&eacute;sistance ou sans conflit, que ce soit de mani&egrave;re consciente ou inconsciente. A travers les discours que produisent les &eacute;tudiants sur leur parcours universitaire et sur leur point de vue sur l&rsquo;apprentissage, nous allons d&eacute;couvrir une dimension de l&rsquo;ambivalence inscrite au sein du positionnement du sujet par rapport &agrave; la norme et &agrave; la normativit&eacute;.</p> <h2 style="text-align:justify">L&rsquo;objectif des &eacute;tudes</h2> <p style="text-align:justify">Contexte&nbsp;: l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;, pr&eacute;nomm&eacute; Sam, a effectu&eacute; un parcours scientifique en biologie depuis la licence jusqu&rsquo;au doctorat. Il a mis fin &agrave;ses recherches en deuxi&egrave;me ann&eacute;e de th&egrave;se, puis il a repris deux ans plus tard ses &eacute;tudes en master de psychanalyse.</p> <ol start="623"> <li><em>Li : [&hellip;] m&hellip; et &agrave; part&hellip; part le savoir / est-ce que&hellip; tes professeurs t&rsquo;ont transmis autres choses ? tutu peux parler s&eacute;par&eacute;ment- parce que =</em></li> <li><em>Sam : = non parce que je le / je leur demandais pas&hellip; pas plus</em></li> <li><em>Li : d&rsquo;accord</em></li> <li><em>Sam : moi shuis * moi / l&agrave; c&rsquo;est&hellip; l&agrave; je parle de moi ah</em></li> <li><em>Li : oui</em></li> <li><em>Sam : c&rsquo;est clair que&hellip; moi je viens / pour&hellip; pour le savoir / si je viens &agrave; l&rsquo;universit&eacute; c&rsquo;est pour le savoir [&hellip;]</em></li> </ol> <p style="text-align:justify">(Ensuite Sam m&rsquo;a parl&eacute; du contrat doctoral et du r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant. Il estime que le professeur devrait faire partager ses relations personnelles avec ses &eacute;tudiants afin de les aider &agrave; trouver du travail. Le pronom &laquo;&nbsp;il&nbsp;&raquo; ci-dessous r&eacute;f&egrave;re au professeur)</p> <ol start="682"> <li><em>Sam : il a une obligation de formation mais il a une obligation aussi de te&hellip; de te former / &agrave; avoir un travail // c&rsquo;est quand m&ecirc;me &ccedil;a c&rsquo;est-&agrave;-dire on va pas en th&egrave;se&hellip; juste pour&hellip; juste pour toucher la bourse ou juste pour faire de la recherche pour soi / on y va pour travailler</em></li> </ol> <p style="text-align:justify">Lorsque j&rsquo;aborde le sujet de la transmission du savoir et des autres formes de connaissances et d&rsquo;exp&eacute;riencesdurant les &eacute;tudes universitaires, l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; Sam interrompt d&rsquo;embl&eacute;e mon discours en affirmant cat&eacute;goriquement &ndash; &laquo;&nbsp;<em>non</em>&nbsp;&raquo; &ndash; qu&rsquo;il n&rsquo;y a rien en dehors du savoir. La justification qu&rsquo;il apporte par la suite r&eacute;v&egrave;le sa perception du processus d&rsquo;apprentissage qu&rsquo;il interpr&egrave;te comme un &eacute;change &agrave; sens unique. En effet, l&rsquo;emploi du verbe actionnel &laquo;&nbsp;<em>demandais&nbsp;</em>&raquo; indique une prise de pouvoir du sujet parlant, car ce verbe &laquo;&nbsp;demander&nbsp;&raquo; s&rsquo;entend ici au sens d&rsquo;&laquo;&nbsp;exiger&nbsp;&raquo;, et non au sens de &laquo;&nbsp;souhaiter obtenir quelque chose&nbsp;&raquo;. Donc,&agrave; travers cette &eacute;nonciation, Sam se situe dans une position d&rsquo;exigence et laisse entendre que le professeur ne fait que r&eacute;pondre &agrave; sa demande et qu&rsquo;il ne transmet que ce qu&rsquo;il a sollicit&eacute; en premier. Ce positionnement de pouvoir refl&egrave;te quelque peu une personnalit&eacute; narcissique.</p> <p style="text-align:justify">Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; suivant (626.Sam), Sam a utilis&eacute; le pronom tonique &laquo;&nbsp;<em>moi&nbsp;</em>&raquo; &agrave; trois reprises pour faire ressortir son image de lui-m&ecirc;me, ce qui rel&egrave;ve d&rsquo;une identit&eacute; affich&eacute;e &agrave; l&rsquo;attention de son interlocuteur &ndash;moi-m&ecirc;me. Donc, cette identit&eacute; qu&rsquo;il est en train de construire n&rsquo;est en fait qu&rsquo;une repr&eacute;sentation de son &laquo;&nbsp;moi&nbsp;&raquo; qui est de l&rsquo;ordre d&rsquo;un effet d&rsquo;identit&eacute;(Prieur, J-M., cours d&rsquo;anthropologie du langage, 2013-2014). En insistant sur sa propre image,Sam sous-entend que les autres peuvent &ecirc;tre diff&eacute;rents. Et en soulignant sa subjectivit&eacute;et sa singularit&eacute; &ndash; &laquo;&nbsp;<em>l&agrave; je parle de moi</em>&nbsp;&raquo;, ilmet en avantlaversion id&eacute;ale de sa position&ndash; &laquo;&nbsp;<em>si je viens &agrave; l&rsquo;universit&eacute; c&rsquo;est pour le savoir</em>&nbsp;&raquo;. La mise en discours de la conjonction &laquo;&nbsp;si&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas dans l&rsquo;usage pour construire une supposition, en effet,la formulation &eacute;nonciative &laquo;&nbsp;si&hellip;c&rsquo;est&nbsp;&raquo; marque une structure de mise en relief, qui accentue l&rsquo;unicit&eacute; de son objectif d&rsquo;&eacute;tudes qui se rapporte exclusivement au savoir.</p> <p style="text-align:justify">Cependant, cette exclusivit&eacute; du savoir est vite contest&eacute;e au travers de certains paradoxesqui op&egrave;rent &agrave; la suite dans le discours de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;. Sam mentionne deux types d&rsquo;&laquo; obligation&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;&eacute;gard du professeur, dont une est li&eacute;e &agrave; la &laquo;<em>&nbsp;formation</em>&nbsp;&raquo; et l&rsquo;autre au fait de &laquo;&nbsp;<em>former</em> (les &eacute;tudiants) <em>&agrave; avoir un travail</em>&nbsp;&raquo;. Puisque cet &eacute;nonc&eacute; consiste en deux propositions reli&eacute;es avec une conjonction d&rsquo;opposition &laquo;&nbsp;<em>mais</em>&nbsp;&raquo;, nous pouvons d&eacute;duire que la &laquo;&nbsp;formation&nbsp;&raquo; diff&egrave;re de l&rsquo;action de&nbsp;&laquo;&nbsp;former&nbsp; &agrave; avoir un travail &raquo; et qu&rsquo;elle se r&eacute;f&egrave;re &agrave; l&rsquo;enseignement et &agrave; la transmission du savoir qui rel&egrave;ve de la fonction de l&rsquo;enseignant. Ainsi, le terme &laquo;&nbsp;obligation&nbsp;&raquo; s&rsquo;entend ici au sens de responsabilit&eacute; et de devoir. Donc, Sam consid&egrave;re que le professeur est &eacute;galement le responsable et l&rsquo;initiateur de la recherche d&rsquo;emploi, puisque cette t&acirc;che fait partie de son devoir. Il attribue ainsi au professeur un r&ocirc;le de formateur (actualis&eacute; par ailleurs &agrave; travers les termes &laquo;&nbsp;formation&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;former&nbsp;&raquo;)&nbsp;qui tend vers le r&ocirc;le d&rsquo;un agent de P&ocirc;le emploi ; ce qui contredit fortement son premier positionnement vis-&agrave;-vis des professeurs &ndash; &laquo;&nbsp;<em>je leur demande pas plus</em>&nbsp;&raquo;. Je reviendrai sur ce paradoxe un peu plus tard.</p> <p style="text-align:justify">Le terme &laquo;&nbsp;obligation&nbsp;&raquo; est un indicateur saillant du discours normatif, parce qu&rsquo;il v&eacute;hicule une dimension de r&egrave;glementation, donc de norme. De plus, cet aspect normatif du terme tend davantage vers une norme effective que vers une intention normative&nbsp;; autrement dit, lorsque l&rsquo;on parle d&rsquo;une obligation ou d&rsquo;un acte oblig&eacute;, on a d&eacute;j&agrave; adopt&eacute; et m&ecirc;me int&eacute;rioris&eacute; son contenu en tant que norme, et on aconstruit une attitude ou un jugement sur ce qui est. Revenons sur le discours de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;.Aucun texte juridique n&rsquo;a ordonn&eacute; &agrave; l&rsquo;enseignant de s&rsquo;occuper de l&rsquo;emploi de ses &eacute;l&egrave;ves, seuls les documents politiques ont indiqu&eacute; une orientation de perspective<a href="#_ftn3" id="_ftnref3" name="_ftnref3">[3]</a> dans ce sens-l&agrave;, donc, si Sam consid&egrave;re cela comme une obligation r&eacute;glementaire, il s&rsquo;av&egrave;re qu&rsquo;il a non seulement effectu&eacute; un r&eacute;investissement du discours institutionnel et politique, mais il a notamment op&eacute;r&eacute; un processus de normalisation de ces discours, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;il a r&eacute;adapt&eacute; et int&eacute;gr&eacute; le discours institutionnel en lui accordant une dimensionnormative. Ce r&eacute;investissement discursifrepr&eacute;sente la cause sous-jacenteet pr&eacute;alable de la normativit&eacute; de la fonction du professeur, mais la cause essentielle se lie directement &agrave; l&rsquo;objectif des &eacute;tudes qui est &eacute;galement influenc&eacute; par le discours institutionnel<a href="#_ftn4" id="_ftnref4" name="_ftnref4">[4]</a>et se manifeste comme une autre norme.</p> <p style="text-align:justify">Apr&egrave;s avoir introduit les deux &laquo;&nbsp;obligations&nbsp;&raquo;, Sam poursuit son discours en rappelant les principales vis&eacute;es des &eacute;tudes en doctorat &ndash;la &laquo;&nbsp;<em>th&egrave;se&nbsp;</em>&raquo;. La structure &eacute;nonciative qu&rsquo;il emploie &ndash; &laquo;&nbsp;<em>pas juste pour&hellip; juste pour&hellip;</em>&nbsp;&raquo; &ndash; repose sur un discours de la mise en relief qui permet de construire une subtile hi&eacute;rarchie entre ces trois &eacute;l&eacute;ments&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>toucher la bourse</em>&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;<em>faire de la recherche pour soi</em>&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;<em>travailler</em>&nbsp;&raquo;, qui r&eacute;actualisent respectivement trois cat&eacute;gories discursives&nbsp;: &laquo;&nbsp;la finance&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;le savoir&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;l&rsquo;emploi&nbsp;&raquo;. En effet, les deux premiers &eacute;l&eacute;ments sont plac&eacute;s dans un statut d&rsquo;&eacute;galit&eacute; en raison de l&rsquo;usage de la conjonction &laquo;&nbsp;<em>ou</em>&nbsp;&raquo;.Si Sam avait employ&eacute; l&rsquo;adverbe d&rsquo;addition &laquo;&nbsp;aussi&nbsp;&raquo; pour introduire le troisi&egrave;me &eacute;l&eacute;ment (&laquo;&nbsp;on y va AUSSI pour travailler&nbsp;&raquo;), son discours aurait r&eacute;v&eacute;l&eacute; une relation d&rsquo;&eacute;galit&eacute; entre ces trois cat&eacute;gories discursives&nbsp;; mais, l&rsquo;absence de cet adverbe d&rsquo;addition, aussi anodine qu&rsquo;elle puisse para&icirc;tre, r&eacute;v&egrave;le justement l&rsquo;insistance singuli&egrave;re sur ce dernier &eacute;l&eacute;ment &laquo;&nbsp;travailler&nbsp;&raquo;. Donc, Samexprime en filigrane que l&rsquo;objectif de&laquo;&nbsp;l&rsquo;emploi&nbsp;&raquo; pr&eacute;domine par rapport &agrave; celui de la &laquo;&nbsp;finance&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;savoir&nbsp;&raquo;.Cette conception de l&rsquo;objectif des &eacute;tudes ne se limite pas &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; seul, mais elle est &eacute;tablie depuis un angle de vue g&eacute;n&eacute;ral, car l&rsquo;ensemble des &eacute;nonc&eacute;s est construit avec le pronom omni-personnel &laquo;&nbsp;<em>on&nbsp;</em>&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">Ce pronom &laquo;&nbsp;on&nbsp;&raquo; renvoie &agrave; l&rsquo;ensemble des &eacute;tudiants, y compris &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; lui-m&ecirc;me. A travers ce pronom g&eacute;n&eacute;ral, Sam minimise sa propre image et met en avant une identit&eacute; collective du groupe. Ainsi, il proc&egrave;de &agrave; un mouvement de g&eacute;n&eacute;ralisation et d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;isation par rapport &agrave; la d&eacute;finition de l&rsquo;objectif des &eacute;tudes, et ce mouvement discursif v&eacute;hicule un trait de normativit&eacute;. En effet, l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques de la norme consiste en une r&eacute;alit&eacute; consensuelle valid&eacute;e par la majorit&eacute; des usagers concern&eacute;s. La mise en discours du pronom &laquo;&nbsp;on&nbsp;&raquo; marque cette dimension de majorit&eacute; &agrave; travers sa g&eacute;n&eacute;ralit&eacute;.En conclusion, Samr&eacute;alise ici, de mani&egrave;re plus subtile, un autre jugement normatifconcernant l&rsquo;objectif principal des &eacute;tudes qui se r&eacute;sume &agrave; &laquo;&nbsp;travailler&nbsp;&raquo;. De ce fait, il se contredit de nouveau et r&eacute;fute le rapport aux &eacute;tudes qu&rsquo;il pr&eacute;tendait tenir &ndash; &laquo;&nbsp;<em>si je viens &agrave; l&rsquo;universit&eacute; c&rsquo;est pour le savoir</em>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">A partir de cette analyse, nous avons relev&eacute; deux paradoxes au sein du discours de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;, qui d&eacute;montrent une position ambivalente du sujet dans son rapport au savoir qui se manifeste &agrave; travers sa relation au professeur et son rapport aux &eacute;tudes. La premi&egrave;re position bas&eacute;e sur la transmission et l&rsquo;acquisition du savoir est &eacute;tablie au sein d&rsquo;un processus d&rsquo;identification individuelle de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;. En mettant en avant une image de soi id&eacute;alis&eacute;e, Sam construit un rapport id&eacute;al aux &eacute;tudes &ndash; &laquo;&nbsp;<em>c&rsquo;est pour le savoir</em>&nbsp;&raquo;. Alors qu&rsquo;en ayant recoursau discours institutionnel et politique et au processus d&rsquo;identification collective du groupe d&rsquo;&eacute;tudiants, Sam remanie sa positionvis-&agrave;-vis des &eacute;tudes et du savoir en pr&eacute;conisant la priorit&eacute; de la formation &agrave; l&rsquo;emploi dans un parcours universitaire. Ainsi, nous remarquons que le r&eacute;investissement discursif dans le processus normatif d&rsquo;un discours autre participe activement &agrave; la mod&eacute;lisation du rapport du sujet au savoir.</p> <p style="text-align:justify">Cette ambivalence positionnelle d&eacute;montre bel et bien l&rsquo;impact de la normativit&eacute; du rapport au savoir sur le sujet apprenant, qui est amen&eacute; &agrave; op&eacute;rer des ajustements, des remaniements et m&ecirc;me des d&eacute;constructions et reconstructions de son rapport au savoir. La perspective professionnelle concernant la recherche d&rsquo;emploi ne constitue ni un probl&egrave;me en elle-m&ecirc;me, ni la cause directe du changement du rapport au savoir, ce qui d&eacute;stabilise les &eacute;tudiants (mais aussi les professeurs) est en fait le statut que l&rsquo;on accorde &agrave; cette perspective professionnelle. Dans cette analyse, nous pouvons constater que la question du travail a &eacute;t&eacute; plac&eacute;e au c&oelig;ur d&rsquo;un processus d&rsquo;apprentissage institutionnel, cependant elle ne devrait &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e que comme objectif &laquo;&nbsp;post-&eacute;tudes&nbsp;&raquo;, car, le fonctionnement du monde de l&rsquo;&eacute;ducation et celui du monde du travail diff&egrave;rent fondamentalement. Le monde de l&rsquo;&eacute;ducation est b&acirc;ti sur un syst&egrave;me de dette symbolique dont la transmission et la r&eacute;appropriation du savoir et de la culture de l&rsquo;espritconstituent la cl&eacute;,qui est anim&eacute;e par un processus de transfert entre les &eacute;l&egrave;veset l&rsquo;enseignant. Alors que le monde du travail est r&eacute;gi par un syst&egrave;me de rendement dont l&rsquo;utilit&eacute;, la performance, la rentabilit&eacute; et la comp&eacute;titivit&eacute; sont les principes traits. Lorsque la politique et les r&eacute;formes &eacute;ducatives tentent de fusionner ces deux mondes, il n&rsquo;est pas &eacute;tonnant de constater un bouleversement du syst&egrave;me &eacute;ducatif qui induit des confusions chez les apprenants et qui fait &eacute;merger un rapport utilitaire au savoir.</p> <h2 style="text-align:justify">La position de l&rsquo;enseignant</h2> <p style="text-align:justify">Contexte&nbsp;: l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;, pr&eacute;nomm&eacute; Tony, a poursuivi ses &eacute;tudes en psychologie depuis la licence jusqu&rsquo;en marster1 dans la m&ecirc;me facult&eacute;. Ensuite, il a chang&eacute; d&rsquo;universit&eacute; pour continuer en master2 de psychologie, et en m&ecirc;me temps il s&rsquo;est inscrit parall&egrave;lement en master1 de recherche en psychanalyse dans la premi&egrave;re universit&eacute; o&ugrave; il a obtenu la licence.</p> <p style="text-align:justify">(Nous parlons des cours en ligne)</p> <ol start="60"> <li><em>Tony : [&hellip;] je trouve que leur plateforme &eacute;tait bien faite parce que&hellip; on se sentait dirig&eacute; / et non pas laiss&eacute; avec des textes &agrave; commenter</em></li> </ol> <p style="text-align:justify"><em>[&hellip;]</em></p> <ol start="73"> <li><em>Li : oui // hen&hellip; et quel est le r&ocirc;le du professeur dans l&rsquo;apprentissage ?</em></li> <li><em>Tony : // ah pour moi: euh&hellip; c&rsquo;est parce que j&rsquo;ai exp&eacute;riment&eacute; c&rsquo;est parce que j&rsquo;ai vu c&rsquo;est parce que j&rsquo;ai v&eacute;cu / mais je pense que&hellip; le professeur: / est l&agrave; pour s&rsquo;effacer / c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;il doit se d&eacute;sengager // &ccedil;a veut pas dire qu&rsquo;il doit &ecirc;tre absent / c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;il doit &ecirc;tre l&agrave; sans / &ecirc;:tre dans une position de ma&icirc;trise / malheureusement c&rsquo;est ce qu&rsquo;on voit: depuis toujours /c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;y en a un qui sait l&rsquo;autre qui sait pas y a un ma&icirc;tre et un &eacute;l&egrave;ve[&hellip;] je pense que c&rsquo;est euh&hellip; on / pas &eacute;tant en comp&eacute;tition les uns contre les autres mais&hellip; y a une coop&eacute;ration que y a vraiment un apprentissage collectif / qui est possible [&hellip;]</em></li> </ol> <p style="text-align:justify">Dans l&rsquo;analyse de l&rsquo;entretien pr&eacute;c&eacute;dent, nous avons d&eacute;j&agrave; eu un aper&ccedil;ude la modification du r&ocirc;le du professeur interpr&eacute;t&eacute;e par l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; Sam. Ce dernier, en ser&eacute;appropriant les perspectives d&eacute;clin&eacute;es dans certains textes politiques et r&eacute;formes au sujet de l&rsquo;&eacute;ducation, assigne &agrave; l&rsquo;enseignant un nouveau r&ocirc;le de formateur &agrave; l&rsquo;emploi vis-&agrave;-vis des &eacute;tudiants. Cette prise de position est &eacute;mise &agrave; travers son jugement normatif qui consid&egrave;re cette assignation comme un fait effectif. Dans l&rsquo;entretien suivant, nous allons &eacute;tudier un autre genre de discours normatif qui repose sur une intention normative par rapport &agrave; la position de l&rsquo;enseignant.</p> <p style="text-align:justify">Lors de la conversation sur les cours en ligne, Tony &eacute;labore un discours de valorisation &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la plateforme num&eacute;rique des cours universitaires en opposant deux types de position de l&rsquo;&eacute;tudiant &ndash; &laquo; <em>&ecirc;tre dirig&eacute;</em> &raquo; et &laquo; <em>&ecirc;tre laiss&eacute;</em> &raquo;. Le verbe &laquo; diriger &raquo; implique une relation de hi&eacute;rarchisation et une fonction de direction. Si &laquo; <em>on se sent dirig&eacute;</em> &raquo;, alors &laquo; on &raquo; se situe dans une position assujettie, et l&rsquo;autre dans une posture d&rsquo;autorit&eacute;. Si j&rsquo;&eacute;largis le paradigme s&eacute;mantique, j&rsquo;entends aussi que l&rsquo; &laquo; on &raquo; ne conna&icirc;t pas la direction &agrave; prendre, donc &laquo; on &raquo; est dans le non-savoir, tandis que l&rsquo;autre se place dans le savoir.Quant au verbe &laquo; laisser &raquo;, il dessine une image del&rsquo;absence et de l&rsquo;abandon, qui est donc &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de la position d&rsquo;&laquo;&nbsp;&ecirc;tre dirig&eacute;&nbsp;&raquo; Quant &agrave; &laquo; <em>on</em> &raquo;, r&eacute;f&eacute;rant &agrave; l&rsquo;ensemble des &eacute;tudiantsy compris l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; lui-m&ecirc;me, il t&eacute;moigne d&rsquo;une op&eacute;ration de g&eacute;n&eacute;ralisation du discours. Ainsi, Tony reconna&icirc;t la position de l&rsquo;&eacute;tudiant qui est de l&rsquo;ordre de l&rsquo;assujettissement et du non-savoir ; et dans le m&ecirc;me temps il situe l&rsquo;enseignant dans une position d&rsquo;autorit&eacute; et de savoir. A travers cette &eacute;nonciation,Tony admet la pr&eacute;sence symbolique de l&rsquo;enseignant dans le processus d&rsquo;apprentissage &agrave; distance, et il appr&eacute;cie et valorise cette configuration positionnelle puisqu&rsquo;il &laquo;&nbsp;<em>trouve que leur plateforme &eacute;taitbien faite</em> &raquo;. Cependant, dans la suite de l&rsquo;entretien, Tony change radicalement de positionnement discursif &agrave; travers un discours &eacute;pist&eacute;mique portant sur le r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant.</p> <p style="text-align:justify">Au lieu de r&eacute;pondre directement &agrave; ma question, Tony commence par exposer le raisonnement de ses pens&eacute;es (74.Tony) en employant la locution de cause &laquo; <em>parce que</em> &raquo; &agrave; trois reprises au d&eacute;but de chaque &eacute;nonc&eacute; sous une forme de mise en relief &ndash; &laquo;&nbsp;<strong><em>c&rsquo;est</em></strong><em> parce que</em>&nbsp;&raquo;.Cette structure &eacute;nonciative manifeste une attitude fortement argumentative du sujet parlant, qui cherche &agrave;insistersur le faitque son point de vue est bas&eacute; sur son propre v&eacute;cu, et &agrave; convaincre son interlocuteur (moi-m&ecirc;me) que son argument a un fondement empirique, et donc qu&rsquo;il est solide et imparable. Pourtant, la mise en discours de la conjonction d&rsquo;opposition &laquo; <em>mais</em> &raquo; (&laquo; <em>mais je pense que </em>&raquo;) trahitles propos du sujet parlant, et c&rsquo;est &agrave; ce moment pr&eacute;cis que son inconscient se manifeste &agrave; travers ce lapsus. Effectivement, si les arguments que Tony allait avancer &eacute;taientr&eacute;ellement inspir&eacute;s de son v&eacute;cu, il aurait utilis&eacute; la conjonction de cons&eacute;quence &laquo; donc &raquo;, mais en aucun cas celle d&rsquo;opposition. Donc, l&rsquo;apparition du lapsus d&eacute;voileune force antagoniste entre ce que l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; d&eacute;clare consciemment et ce qu&rsquo;il sait inconsciemment. Ainsi, ce discours cachesubtilement un &eacute;tat de division chez le sujet-enqu&ecirc;t&eacute;.Maintenant, nous allons d&eacute;couvrir le contenu de son opinion sur le r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant que Tony d&eacute;fend comme un fait av&eacute;r&eacute;.</p> <p style="text-align:justify">Tony commence par &eacute;mettre un discours essentialisant&agrave; travers le verbe d&rsquo;existence &laquo;&nbsp;&ecirc;tre&nbsp;&raquo;&ndash; &laquo;&nbsp;<em>le professeur est l&agrave; pour s&rsquo;effacer</em>&nbsp;&raquo;, cela permet de d&eacute;peindreune caract&eacute;ristique intrins&egrave;que de la positiondu professeur&nbsp;: l&rsquo;effacement. Ce discours essentialisant est subordonn&eacute; &agrave; un &eacute;nonc&eacute; subjectif compos&eacute; d&rsquo;un verbe cognitif &laquo;&nbsp;penser&nbsp;&raquo; &ndash; &laquo;&nbsp;<em>je pense que</em>&nbsp;&raquo;, qui indique qu&rsquo;il s&rsquo;agitd&rsquo;une interpr&eacute;tation personnelle et d&rsquo;une projection imaginaire du sujet parlant, non d&rsquo;un fait effectif. De ce fait, la combinaison de cette pens&eacute;e projective et du discours essentialisant refl&egrave;te une expression normative.Ensuite, Tony apporte des pr&eacute;cisions &ndash; &laquo;&nbsp;<em>c&rsquo;est-&agrave;-dire</em>&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;<em>&ccedil;a ne veut pas dire</em>&nbsp;&raquo; &ndash; pour expliciter ce qu&rsquo;est l&rsquo;effacement du professeur. A chaque explication, il emploie un verbe d&eacute;ontique (Sarfati, G-E, 2012, p26) &laquo;&nbsp;devoir&nbsp;&raquo;au mode indicatif &ndash; &laquo;&nbsp;<em>il doit</em>&nbsp;&raquo; &ndash; pour exprimer une attitude d&rsquo;exigence et un ton imp&eacute;ratif. En tant que marqueur de la normativit&eacute; discursive, cette formulationd&eacute;ontique permet de construireouvertement des jugements normatifs toujours bas&eacute;s sur une projection intentionnelle, car, Tony n&rsquo;effectue pas une &eacute;valuation sur ce qu&rsquo;est un professeur, mais il donne un jugement sur ce que <strong>doit &ecirc;tre</strong> un enseignant.</p> <p style="text-align:justify">La mise en discours des verbes &laquo;&nbsp;s&rsquo;effacer&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;se d&eacute;sengager&nbsp;&raquo; indique d&rsquo;embl&eacute;e une absence voulue du professeur de la part de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;, mais cette absence est loin d&rsquo;&ecirc;tre une absence physique, selon la red&eacute;finition donn&eacute;e par Tony &ndash; &laquo; <em>&ccedil;a veut pas dire qu&rsquo;il doit &ecirc;tre absent</em> &raquo;,il s&rsquo;agit en revanche d&rsquo;une absence symbolique &ndash; &laquo; <em>il doit &ecirc;tre l&agrave; sans &ecirc;tre dans une position de ma&icirc;trise</em> &raquo;. Cette &laquo;&nbsp;position de ma&icirc;trise&nbsp;&raquo; refl&egrave;te bel et bien une position d&rsquo;autorit&eacute; et de savoir qu&rsquo;occupe l&rsquo;enseignant dans un processus de l&rsquo;enseignement-apprentissage afin d&rsquo;assurer la transmission du savoir. C&rsquo;est ce qu&rsquo;affirme par ailleurs l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; dans la suite de son discours&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;y en a un qui sait l&rsquo;autre qui sait pas y a un ma&icirc;tre et un &eacute;l&egrave;ve&nbsp;</em>&raquo;. Vis-&agrave;-vis de cette position, Tony &eacute;met un discours d&rsquo;&eacute;valuation n&eacute;gative &agrave; forte normativit&eacute; &ndash; &laquo;&nbsp;<em>malheureusement c&rsquo;est ce qu&rsquo;on voit depuis toujours&nbsp;</em>&raquo;. L&rsquo;utilisation de la locution temporelle &laquo;&nbsp;<em>depuis toujours</em>&nbsp;&raquo; marque la perp&eacute;tuation et l&rsquo;historicit&eacute; de cette position de ma&icirc;trise chez l&rsquo;enseignant qui rel&egrave;ve donc de la tradition. Cette constatation d&eacute;voile de fait une reconnaissance du sujet par rapport &agrave; unenormetraditionnelle et existante.L&rsquo;emploi de l&rsquo;adverbe de concession &laquo;&nbsp;<em>malheureusement</em>&nbsp;&raquo; exprimant une attitude d&eacute;favorable du sujet parlant indique son intention de s&rsquo;opposer et m&ecirc;me d&rsquo;enfreindre cette norme. De ce fait, ce discours constatif d&eacute;montre &agrave; juste titre la nature de la normativit&eacute;, dont la gen&egrave;se est &laquo;&nbsp;vue comme la capacit&eacute; de reconna&icirc;tre des r&egrave;gles de comportement autant que de les enfreindre au nom d&rsquo;autres r&egrave;gles, normes ou valeurs&nbsp;&raquo; (Debru, Cl., 2015, p97). Cette autre norme en question ici a d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; mise en discours &agrave; travers l&rsquo;&laquo; effacement&nbsp;&raquo; du professeur, puis se conclut par le dernier &eacute;nonc&eacute; &ndash; &laquo;&nbsp;<em>y a une coop&eacute;ration que y a vraiment un apprentissage collectif qui est possible</em>&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align:justify">Cette nouvelle perspective du r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant a &eacute;t&eacute; mise en &eacute;vidence &agrave; travers divers textes politiques et r&eacute;formes &eacute;ducatives, dans lesquels on revendique la centration sur les &eacute;l&egrave;ves eton applique un &laquo; discours de l&rsquo;Autrement &raquo; sur le statut et la position des enseignants : &laquo;&nbsp;on dira seulement qu&rsquo;ils doivent devenir Autres : animateurs, &eacute;ducateurs, grands fr&egrave;res, nourrices, etc. &raquo; (Milner, J-Cl. 1984, p24). En adoptant ces discours politiques et institutionnels, Tonyeffectueun processus de normalisation qui interagit avec son rapport &agrave; l&rsquo;enseignant et au savoir. En effet, en privant le professeur de sa position de savoir et d&rsquo;autorit&eacute;, Tony ne se situe plus dans une position d&rsquo;assujettissement en tant qu&rsquo;&eacute;l&egrave;ve ; il assigne l&rsquo;enseignant &agrave; la m&ecirc;me place qu&rsquo;un apprenant dans un contexte de &laquo;&nbsp;<em>coop&eacute;ration</em>&nbsp;&raquo; et d&rsquo;&laquo;&nbsp;<em>apprentissage collectif</em>&nbsp;&raquo;, o&ugrave; il n&rsquo;y a ni ma&icirc;tre ni disciple, donc, pas de transmission possible non plus.</p> <p style="text-align:justify">Cette d&eacute;claration solennelle sur la normativit&eacute; de la nouvelle position de l&rsquo;enseignant forme un paradoxe aigu par rapport au discours pr&eacute;c&eacute;dent qui traite de la valorisation de la plateforme des cours en ligne o&ugrave; l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; se contente d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;dirig&eacute;&nbsp;&raquo;. Ces deux positionsantinomiques du sujet d&eacute;montrent et justifient la pr&eacute;sence du lapsus dans son discours ainsi que sa division. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, Tony se place inconsciemment dans son r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;l&egrave;ve ignorant et assujetti par rapport &agrave; l&#39;enseignant pour que la transmission du savoir puisse se r&eacute;aliser. De l&rsquo;autre, il se nourrit du discours institutionnel et politique pour alimenter un imaginaire dans lequel le professeur ne d&eacute;tient ni savoir ni autorit&eacute;, mais agit et coop&egrave;re avec les apprenants qui sont d&eacute;sormais dans une autonomie totale.</p> <h2 style="text-align:justify">Conclusion</h2> <p style="text-align:justify">En tant que sujets individuels vivant dans une soci&eacute;t&eacute; conditionn&eacute;e par des r&egrave;gles et des normes, nous exp&eacute;rimentons dans toute dimension de la vie humaine des activit&eacute;s (actions et pens&eacute;es) normatives. Le monde de l&rsquo;&eacute;ducationest &eacute;galement &eacute;tabli sur des r&egrave;gles de fonctionnement qui, depuis des si&egrave;cles, se modifient continuellement &agrave; travers des r&eacute;formes. Ces derni&egrave;res sont souvent r&eacute;gies par les perspectives id&eacute;ologiques de la politique et de l&rsquo;&eacute;conomie v&eacute;hicul&eacute;es &agrave; travers les discours institutionnels. &laquo;&nbsp;Performance, comp&eacute;tences, employabilit&eacute;, flexibilit&eacute;, autonomie, nouvelles technologies de l&rsquo;information et de la communication&nbsp;&raquo;, ce sont des mots-cl&eacute;s qui circulent actuellement dans l&rsquo;environnement &eacute;ducatif. Ces discours ambiants ayant traits &agrave; des normes comme r&eacute;v&eacute;latrices de la situation socio-&eacute;conomique interagissent in&eacute;vitablement avec le rapport au savoir des &eacute;tudiants &agrave; travers leur fa&ccedil;on d&rsquo;apprendre, leur conception du savoir, des &eacute;tudes et du travail, leur place d&rsquo;&eacute;tudiant ainsi que leur point de vue sur le r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant.</p> <p style="text-align:justify">La normativit&eacute;, au-del&agrave; de sa dimension pragmatique en tant qu&rsquo;activit&eacute; fondamentale de l&rsquo;humain, peut &eacute;galement &ecirc;tre mobilis&eacute;e en tant que notion op&eacute;rationnelle et transdisciplinaire qui permet d&rsquo;&eacute;tudier les positionnements discursifs du sujet. En nous focalisant sur les &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;ambivalence, de clivage, d&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; et de division que d&eacute;gagent les positionnements subjectifs, nous parviendrons &agrave; &eacute;tudier les impacts provoqu&eacute;s par les &eacute;volutions sociales sur le plan individuel. Le travail effectu&eacute; ici d&eacute;montre que les discours institutionnels et politiques issus des r&eacute;formes r&eacute;centes de l&rsquo;&eacute;ducation exercent ind&eacute;niablement des influences sur la construction du rapport au savoir des &eacute;tudiants, qui t&eacute;moigne de la manifestation d&rsquo;un rapport utilitaire au savoir et de ladissolution des rep&egrave;res symboliques dans l&rsquo;apprentissage.</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>Debru, Cl., 2015, <em>Au-del&agrave; des normes&nbsp;: la normativit&eacute;</em>, Paris, Hermann</p> <p>Dreyfus, M., et Prieur J-M., (dir.), 2012, <em>H&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; et variation, perspectives sociolinguistiques, didactiques et anthropologiques</em>, Paris,&nbsp;M. Houdiard</p> <p>Frega, R., 2013,<em> Les&nbsp;sources sociales de la normativit&eacute;, </em>Paris,&nbsp;Vrin</p> <p>Frega, R., 2015, &laquo;&nbsp;Les pratiques normatives&nbsp;&raquo;, <em>SociologieS, </em> Dossiers, Pragmatisme et sciences sociales : explorations, enqu&ecirc;tes, exp&eacute;rimentations, [En ligne]&nbsp;: <a href="http://sociologies.revues.org/4969">http://sociologies.revues.org/4969</a>[consult&eacute; le 3 mai 2017]</p> <p>Kaufmann J-Cl., 2004,<em>L&rsquo;entretien compr&eacute;hensif</em>, Paris, A. Colin</p> <p>Hatchuel F., 2007, <em>Savoir, apprendre, transmettre : une approche psychanalytique du rapport au savoir</em>, Paris, La D&eacute;couverte</p> <p>Lacan, J., 1956, &laquo; Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse &raquo;, <em>La psychanalyse</em>&nbsp;<em>: Sur la parole et le langage</em>, n&deg; 1, p. 81-166</p> <p>Le Goff J-P., 2003, <em>La barbarie douce&nbsp;: la modernisation aveugle des entreprises et de l&rsquo;&eacute;cole</em>, Paris, La D&eacute;couverte</p> <p>Mich&eacute;a, J-Cl., 1999, <em>L&rsquo;enseignement de l&rsquo;ignorance : et ses conditions modernes</em>, Castelnau-le-Lez, Climats, DL</p> <p>Milner,J-Cl., 1984, <em>De l&rsquo;&eacute;cole</em>, Paris, Seuil</p> <p>Mosconi, N., Beillerot J., Blanchard-Laville Cl., 2000, <em>Formes et formations du rapport au savoir</em>, Paris, Harmattan</p> <p>Prairat,&nbsp;E.,&nbsp;2012, <em>Normes et normativit&eacute; dans l&rsquo;&eacute;ducation</em>, Caen,&nbsp;CERSE</p> <p>Prieur, J-M., 1996, <em>Le&nbsp;vent traversier&nbsp;:&nbsp;langage et subjectivit&eacute;</em>,Montpellier,&nbsp;Universit&eacute; Paul Val&eacute;ry, Centre de formation p&eacute;dagogique pour l&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re</p> <p>Rastier Fr., 2013, <em>Apprendre pour transmettre &ndash; l&rsquo;&eacute;ducation contre l&rsquo;id&eacute;ologie manag&eacute;riale</em>, Paris, Presses universitaires de France</p> <p>Rapport sur le dialogue universit&eacute;-entreprise : un nouveau partenariat pour la modernisation des universit&eacute;s en Europe, 2010, [consult&eacute; le 28 mai 2017] [en ligne] : <a href="http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1274172391_pe_univ_entreprises_29_03_2010.pdf">http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1274172391_pe_univ_entreprises_29_03_2010.pdf</a></p> <p>Rop&eacute; Fr. et Tanguy L., 1994, <em>Savoirs et comp&eacute;tences&nbsp;: de l&rsquo;usage de ces notions dans l&rsquo;&eacute;cole et l&rsquo;entreprise</em>, Paris, Harmattan</p> <p>Sarfati, G-E, 2012, <em>El&eacute;ments d&rsquo;analyse du discours</em>, Paris, Armand Colin</p> <h2>Notes&nbsp;</h2> <p><a href="#_ftnref1" id="_ftn1" name="_ftn1">[1]</a> Les entretiens que j&rsquo;ai effectu&eacute;s sont bas&eacute;s sur la m&eacute;thode d&rsquo;&laquo;&nbsp;entretien compr&eacute;hensif&nbsp;&raquo; &eacute;labor&eacute;e par Jean-Claude Kaufmann (2004) dans une perspective qualitative et empirique. Ils sont men&eacute;s sous forme d&rsquo;interview semi-directive avec une grille de questionnaire pr&eacute;&eacute;tablie. Il y a au total 43 entretiens r&eacute;alis&eacute;s en Chine et en France avec des &eacute;tudiants et des professeurs.</p> <p><a href="#_ftnref2" id="_ftn2" name="_ftn2">[2]</a>Etant donn&eacute; que ce travail est centr&eacute; sur la question du sujet et de la subjectivit&eacute;, il s&rsquo;av&egrave;re n&eacute;cessaire et pertinent de faire appel au cadre de l&rsquo;analyse de discours en l&rsquo;articulant avec des notions op&eacute;rationnelles du champ de la psychanalyse et de l&rsquo;anthropologie du langage.</p> <p><a href="#_ftnref3" id="_ftn3" name="_ftn3">[3]</a>Nombreux textes et r&eacute;formes ont parl&eacute; du r&ocirc;le de l&rsquo;enseignant, je cite ici un commentaire dans le &laquo;&nbsp;rapport&nbsp;sur le dialogue universit&eacute;-entreprise &raquo; (2010) : &laquo;&nbsp;en vue de d&eacute;velopper l&#39;esprit d&#39;entreprise aupr&egrave;s des &eacute;tudiants, toutes les personnes impliqu&eacute;es (<strong>corps universitaire</strong>, &eacute;tudiants, hommes et femmes d&#39;affaires)devraient &ecirc;tre suffisamment inform&eacute;es quant aux outils et aux m&eacute;canismes qu&#39;elles peuvent utiliser pour d&eacute;velopper une coop&eacute;ration plus efficiente, plus efficace et aussi plus avantageuse pour les parties en pr&eacute;sence; [&hellip;] il est indispensable, d&#39;une part, de renforcer la formation des <strong>professeurs d&#39;universit&eacute;</strong> dans ce secteur par le biais, entre autres, d&#39;initiatives telles que l&#39;apprentissage tout au long de la vie et, d&#39;autre part, que les universit&eacute;s ouvrent leurs portes aux entreprises et aux employeurs pour que ceux-ci puissent leur faire des suggestions quant au contenu de l&#39;enseignement et &agrave; la formation, aux connaissances et aux qualifications que les &eacute;l&egrave;ves doivent poss&eacute;der&nbsp;&raquo;.</p> <p><a href="#_ftnref4" id="_ftn4" name="_ftn4">[4]</a> Le pouvoir politique incite les &eacute;tudiants &agrave; d&eacute;velopper des comp&eacute;tences r&eacute;pondant aux exigences du monde du travail, dans le m&ecirc;me &laquo;&nbsp;rapport sur le dialogue universit&eacute;-entreprise&nbsp;&raquo;, nous trouvons: &laquo;&nbsp;il importe de transmettre et &eacute;changer les connaissances, les comp&eacute;tences et l&#39;exp&eacute;rience des adultes afin de guider les jeunes g&eacute;n&eacute;rations sur le march&eacute; du travail &raquo;</p>