<p>Si à l’heure actuelle, l’enseignement/apprentissage de la compétence de l’écrit semble bien connu, il n’en est pas le cas pour la compétence de l’oral. Trop longtemps considéré comme éphémère et associé au registre familier, relâché et populaire, parlé en dehors de l’école, contrairement à l’écrit, l’oral est resté problématique dans la classe : L’histoire de la didactique montre le mépris de la méthode grammaire/traduction envers l’oral, toujours rangé du côté du spontané, du ludique, de l’expression débridée, source de chahut. (Rosier, 2002 : 87) Une autre conception repose sur la représentation (préjugé) que l’oral n’a pas de grammaire dans le sens où il n’y a pas de structuration des énoncés, pas d’organisation interne et donc pas de normes de construction comme à l’écrit : «l’oral est tenu pour l’impur, le sauvage et l’informe» (Lebre Peytard, 1991 : 47) Cependant, le regain d’intérêt pour l’enseignement de l’oral s’accroît ces dernières années; plusieurs questions sont posées, aussi bien sur le plan terminologique qu’en termes de sa pratique dans les classes de français langue maternelle, étrangère et seconde. Plusieurs recherches sont mises à jour par des didacticiens, psychologues et linguistes pour insister sur l’importance de l’oral dans le domaine de l’enseignement : «une impulsion puissante est donnée ainsi à l’enseignement de l’oral devenu, dans les discours du moins, l’égal de l’écrit.» (Dolz et Schneuwly, 1998 :15). Ces recherches ont montré que l’importance de l’oral est incontestable dans les pratiques sociales et même professionnelles : réunion, débat, prise de parole en public et travail de groupe, etc. (Charmeux, 2007). Selon Halté: «l’oral est le médium de la reconnaissance sociale» (2002 : 16). En classe, la pratique de l’oral est perçue par les enseignants comme une composante du rapport pédagogique et du fonctionnement du groupe classe (Perrenoud, 1998), il est un moyen de vérifier la compréhension des élèves et d’introduire l’écrit, car «(...) il correspond (...) à un «moyen» qu’utilisent les enseignants pour aborder les différents moments du cours» (Groupe de Créteil, 1991). Il s’agit d’un oral de régulation des rapports humains, d’organisation, d’explication de consignes, etc. Certes la présence de l’oral est inhérente aux activités de la classe, mais il ne faut pas non plus le considérer uniquement comme un «passe-partout» pour aborder la lecture, la compréhension écrite/orale et l’écriture. Il est aussi important de ne pas perdre de vue, comme le souligne Perrenoud (1998), que l’oral doit être enseigné comme «un objectif à part entière», et doit être considéré comme un moment particulièrement privilégié pour améliorer et diversifier les performances des élèves. Autrement dit, il faut l’intégrer dans la classe comme un domaine particulier, ayant des spécificités intrinsèques. Cet auteur insiste sur l’importance de considérer l’oral : «comme un instrument pratique (...) avec des enjeux concrets : convaincre, argumenter, négocier, s’expliquer, s’informer» (ibid.). C’est-à-dire «maîtriser les actes de parole en pratique» (ibid.). En revanche, plusieurs chercheurs, entre autres (Colleta 1998, Brillant-Annequin 1998, etc.), insistent sur l’importance du rapport existant entre les deux codes oral et écrit, et recommandent de les enseigner simultanément. Dans son travail consacré à la didactique de l’oral et des interactions, Colletta (1998), conseille de s’appuyer sur une approche contrastive des discours écrits et oraux pour l’enseignement de la compétence de production écrite. Dans ses travaux, Brillant-Annequin (1998) propose, quant à lui, la création d’une certaine synergie entre l’oral, l’argumentation et le texte théâtral. Cette manière de faire permettra à l’apprenant d’apprendre à argumenter aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. En classe de langue étrangère, l’oral est enseigné en tant que moyen de communication. Plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de l’enseignement de l’oral en langue étrangère et seconde (Nonnon : 1999, Garcia-Debanc et Plane: 2004, etc.), d’autant plus qu’en classe de langue étrangère, l’oral est à la fois un objet d’étude et un moyen d’aborder les autres activités, pour atteindre une compétence de communication (Bouchard, 2005). L’enseignement de l’oral à l’école repose sur des compétences langagières que l’on retrouve dans la vie sociale. L’objectif est de préparer les apprenants à leur future vie d’adulte et par conséquent, à maîtriser les compétences de communication de la vie quotidienne et de la vie professionnelle. Il consiste aussi à motiver les apprenants en leur faisant prendre conscience des enjeux de leur apprentissage et ainsi leur permettre de se projeter dans les situations où ils devront utiliser les compétences apprises à l’école. En effet, l’école forme les élèves à leur future activité sociale, chose qui prouve qu’on ne peut séparer le domaine de l’enseignement des langues du domaine social. La réforme du système éducatif algérien, intervenue depuis la rentrée scolaire 2003/2004, s’inscrit dans cette perspective. De ce fait, elle propose de nouveaux programmes de français qui se veulent en rupture avec les anciens, et prévoit l’installation de compétences communicatives, en particulier à l’oral, par des activités variées dans le cadre de «l’approche par les compétences» et «la pédagogie de projet». Ces programmes préconisent accorder à l’oral une place assez importante contrairement aux anciens qui étaient centrés, surtout, sur la compétence écrite. La compétence orale chez les élèves algériens En Algérie, le constat est patent. Les enseignants et les inspecteurs de langue française sont unanimes pour remarquer l’incapacité des apprenants algériens à communiquer en cette langue. Ces apprenants manquant visiblement d'entraînements spécifiques, quand bien même ils maîtriseraient les règles lexico-morpho-syntaxiques de base, éprouvent d'énormes difficultés à décoder des messages oraux, dès lors qu'ils se trouvent dans des situations de communication authentique en réception ou en émission. Situation déplorable à plus d'un titre, s'expliquant, d'une part, par la méconnaissance et/ou la non-application de toutes les stratégies adéquates pour un enseignement efficient par les enseignants chargés de l'encadrement du public visé, et d’une autre, par la centration de cet enseignement sur l’aspect linguistique de la langue. Au regard de tous ces constats, une étude empirique s’impose afin d’évaluer avec précision les compétences orales des apprenants et de leur enseignement en vue de trouver les remèdes nécessaires aux défaillances constatées à l’oral chez les apprenants algériens. L’objectif de notre recherche, nous a menée à nous focaliser sur des observations de classes dans des situations naturelles d’enseignement. Nous avons effectué notre recueil de données en Algérie plus précisément dans la région de Bejaia. Le recueil s’est fait dans trois établissements scolaires, localisés au centre de cette ville. Par ailleurs, le choix de porter nos observations sur plusieurs classes et dans la wilaya indiquée n’est pas fortuit. En effet, nous avons voulu obtenir des données concrètes et suffisantes sur l’évolution de la maitrise de l’oral chez les apprenants, et sur les pratiques pédagogiques des enseignants en matière d’enseignement de la compétence orale. Aussi, la situation sociolinguistique de la région nous a paru intéressante dans la mesure où la langue française est très présente dans les interactions quotidiennes et professionnelles entre locuteurs. Cependant, pour mieux appréhender les enjeux de la construction d’une compétence de communication orale en classe, nous avons effectué six enregistrements vidéo dans des classes différentes avec des enseignants différents. Nous avons filmé deux classes de 5ème année primaire ( prise en charge par l’enseignant désigné par la lettre M1), deux classe de 4ème année moyenne ( prise en charge par l’enseignant désigné par la lettre M2) et deux autres classes de 3ème année secondaire ( prise en charge par l’enseignant désigné par la lettre M3). Par ailleurs, l’enregistrement vidéo devait nous permettre d’observer les interactions en classe, les comportements des élèves en plein apprentissage et les pratiques pédagogiques des enseignants. Pour la collecte du corpus et l’enregistrement des différentes séances d’oral, enregistrées dans la région de Bejaia, nous nous sommes orientée vers les écoles suivantes : l’école primaire, sise à proximité du stade olympique, le CEM de Sidi Ahmed et le lycée El Hammadia, qui se situent au centre-ville. Le choix d’enregistrer dans ces écoles a, en réalité, été dicté en grande partie par des raisons pratiques, liées à l’absence de problèmes d’autorisation d’accès à ces établissements, et aussi par l’assurance de la collaboration d’une partie du personnel. L’effectif des classes filmées varie entre 25 et 35 élèves. La disposition spatiale des classes est traditionnelle ; les tables sont toutes face au tableau et au bureau de l’enseignant. Les observations de classe auxquelles nous nous sommes livrée avaient pour objectif d’analyser les productions orales des apprenants. Nos enregistrements vidéo ont été réalisés à l’aide d’un caméscope, car nous voulions à la fois filmer les productions verbales des élèves lors des interactions en classe ainsi que leurs productions non verbales. Une fois réalisés, nous sommes passée à l’étape de la transcription de ces enregistrements (d’environs 45 à 90 minutes) pour les constituer dans la trace écrite comme document de notre étude. Les données sont transcrites dans leur totalité et incluent des indications sur le non verbal qui aident le lecteur dans la compréhension de l’interaction. En outre, la dimension gestuelle est très importante et nécessite d’être mentionnée, car les gestes permettent l’identification du référent en l’absence du langage. Pour notre corpus, le choix des conventions de transcription s’est porté sur celles élaborées par les interactionnistes et plus particulièrement celles de Traverso V. que nous avons adaptées à notre travail. Résultats de l’enquête Selon nos premières observations, nous avons noté que chacun des trois enseignants filmés commence son cours d’abord par des salutations, ensuite annonce l’objectif ou le sujet de la séance (M1), ou bien commence directement le cours par des consignes données aux apprenants (M2 et M3). Nous avons également remarqué une absence d’un échange de questions/réponses dans les trois classes au début de la séance sauf pour les deux classes de 5ème AP où nous trouvons un bref échange entre l’enseignant et ses élèves au début du cours. En effet, cet échange de questions/réponses joue un rôle important dans l’animation de la classe et la provocation d’une ambiance au sein du groupe qui favorise, à son tour, l’apprentissage en général, et l’apprentissage des langues étrangères en particulier. Cette phase d’ouverture lors d’un échange verbal permet d’établir un contact physique et psychologique entre les interactants. Dans nos six corpus, elle nous a semblé très légère et très courte Nous constatons, après la description du déroulement des trois séances filmées, que les trois enseignants suivent des méthodes pédagogiques différentes. En effet, l’enseignant du primaire (M1) applique les activités du manuel telles qu’elles sont organisées et utilise souvent le manuel scolaire en lui consacrant, presque, tout le temps de la séance. Il rappelle à chaque fois, à l’ordre et à la discipline, chose qui a attiré notre attention et demande aux élèves d’être attentifs aux consignes et aux explications, et surtout à bien prononcer. Séance 1 44 M1 : il y a deux personnes qui parlent/ très bien/ donc les enfants on va demander à deux élèves de lire le dialogue/ un va faire le touriste/ « euh » et l’autre l’agent/ le monsieur qui travaille à l’agence/ d’accord ? 46 M1 : allez toi/ tu fais le touriste et/ « euh » Salim c’est le/ l’agent/ akka (d’accord) ? 48 M1 : aya (aller)/ les autres/ suivez/ suivez avec le doigt/ en silence d’accord ?// allez-y Les corpus 1, 2, 3 et 4 illustrent une conception normative de l’oral; en effet, l’enseignant du primaire (M1, annexe 1) attire l’attention des élèves à propos de la phrase “il peut pas” en disant à un élève : «il ne peut pas supporter la chaleur/ on dit/ il ne peut pas/ les enfants/ «euh» à l’école on dit/ il ne peut pas/ (…)». Par cette remarque, nous déduisons que pour cet enseignant il y a un oral familier utilisé en dehors de l’école et un oral scolaire qui reste la référence du bon français. Annexe 1 83 E3 : bien/ est ce que je peux aussi/ me déplacer à dos de chameau ?/ on dit que c’est/ le vIsseau (vaisseau) du désert 84 M1 : non/ attention c’est pas comme ça qu’on prononce/on prononce « é »// regardez/ regardez les enfants/ la règle s'écrit comme ça / avec un « è »/ pourquoi ?/ parce que/ ici dans le mot vaisseau le « ai » est égale à « é » / mais il y a des mots qui ne s'écrivent pas comme ça/ / ils ne s'écrivent pas avec un « ai »/ mais avec un accent grave/ comme ça/ ok ? 86 M1 : alors répète/ vai/ sseau 87 E4 : vaisseau Nous avons relevé également que l’oral est utilisé comme moyen pour introduire les autres domaines d’apprentissage; par exemple, pour entamer la séquence de lecture, de vocabulaire, etc. Séance1 444 M1 : à moteur/ bien// les enfants/ nous allons faire un exercice de vocabulaire/ un exercice de ? ((il s’adresse à un élève)) 445 E12 : (silence) 446 M1 : de grammaire ? 447 E12 : non 448 M1 : c’est quoi alors ? 449 E12 : de vocabulaire 450 M1 : de vocabulaire// alors un exercice sur les noms composés/ les noms/ composés/ alors// ((il écrit l’exercice au tableau)) Nous avons constaté que les enseignants avaient une conception traditionnelle de l’apprentissage. En effet, pour l’enseignant du primaire, par exemple, et d’après les séances filmées, l’enseignant demeure le seul qui donne les informations en classe aux élèves, ces derniers doivent absorber les informations et les intégrer dans leur mémoire. C’est-à-dire que la transmission du savoir se fait d’une manière unilatérale de l’enseignant vers l’élève. Séance 2 642 E9 : station-seRvice/ saute 643 M1 : [qu’est ce que tu as dit ? 644 E9 : station seRvice 645 M1 : alors/ c’est un Italien/ les Italiens/ les Italiens ils prononcent [R[ / le R station-service/ alors station// 646 E9 : station-service/ saute-mouton D’après les séances enregistrées au Moyen, le statut de l’enseignante dans la classe n’est pas bien défini. Car tantôt elle joue le rôle de guide, en distribuant la parole aux élèves pendant les échanges verbaux, en leur demandant de poser des questions aux camarades, tantôt elle s’efface complètement et n’intervient que rarement pour corriger certaines erreurs de ses apprenants. Par exemple pour corriger une mauvaise prononciation ou une mauvaise formulation. La conception de cette enseignante de l’oral nous paraît moins normative que celle de l’enseignant du primaire pour qui parler en français c’est non seulement bien prononcer les mots, mais aussi former des phrases comme à l’écrit. Séance 3 : 122 E12 : (inaud.)/protéger la rastauration 123 M2 : la restauration Cette conception normative justifie les remarques des enseignants sur la discipline, la manière dont il faut apprendre et demander la parole. Séance 1 : 101 M1 : bien/ les enfants// qui appelle ?/ d’après le texte qui appelle/ on lève le doigt/ akka (comme ça). 265 M1 : on lève le doigt/ Salma ? (séance 1, annexe 1) Quant à l’enseignant du lycée, il avait plutôt une attitude très tolérante vis-à-vis de ses apprenants. Par conséquent, les élèves prenaient la parole librement pour communiquer en français ou en langue maternelle sans craindre la réaction de leur enseignant, contrairement aux élèves du primaire et du moyen. Nous arrivons à cette déduction : le comportement de l’enseignant du lycée est, peut-être, dû, selon nous, d’abord, à la volonté de faire parler tous les élèves avant la fin de la séance (1 heure), ensuite, à sa courte expérience dans le domaine de l’enseignement et sa formation de départ d’où son absence remarquable dans la classe (même dans la gestion des tours de parole). Séance 5 : 5 M3 : j’espère que vous avez pris la peine/ de la travailler chez vous ?/ parce que je vais vous noter// vous êtes prêts 6 E : non/ chwiya kan (un petit peu) (inaud.) Séance 6 : 47 E3 : E3 : veni (venez)/ je vais vous montrer « euh »//les autres/ « euh »/ les autres pièces// voici la salle de bain/ au fond vous avez la cuisine/ tachbah (elle est belle) ? 48 E1 : « euh »/ combien « euh »/ combien le prix ? 49 E3 : 2 millions 50 E2 : ayama (oh ma mère) 51 M 3 : chut/ aya maalich (allez ce n’est pas grave)/ s’il vous plait/ s’il vous plait un peu de sérieux/ dayan thoura (c’est fini maintenant) Quant à l’enseignante du moyen, son comportement et son attitude sont dus, selon nous, au manque de formation d’un coté, et à la nature de l’activité réalisée durant les séances filmées (l’exposé), ce qui ne signifie pas, bien sur, que les apprenants avaient une grande liberté de prise de parole en classe. L’enseignant du primaire, quant à lui travaille toujours avec la méthode traditionnelle, pour qui l’oral n’était que la transposition de l’écrit. Et par conséquent, la transposition des règles d‘écriture dont le modèle reste celui des œuvres littéraires. Nous signalons aussi que les trois enseignants travaillent souvent avec les mêmes élèves, et surtout avec ceux qui sont considérés comme «meilleurs». Ceci peut être dû, à notre avis, d’un côté au volume horaire consacré à la matière (la langue française) car les enseignants préfèrent terminer le point prévu pour la séance afin d’avancer dans le programme, et d’un autre coté, à la surcharge des classes et de ces mêmes programmes. Nous arrivons à dire que la prise de parole dans les trois classes filmées par les élèves dépend de l’attitude de l’enseignant, de sa réaction face à l’usage de la langue maternelle (qui constitue un «gilet de sauvetage» qu’utilisent certains élèves en difficultés pour éviter les blocages linguistiques), de leurs stratégies communicatives, de leurs connaissances surtout linguistiques, etc. Séance 1 514 E14 : naki tashimiyi ? (et moi vous m’avez oublié ?) ((l’élève parle à voix basse)) 515 M1 : Rayane tu joue à la JSMB ?/ pourquoi tu joues pas au MOB ? (rire collectif) 516 E1 : c’est le maitre d’arabe qui fait le MOB 517 M1 : Rayane joue à la JSMB parce qu’il est/ il est beau/ akka (c’est vrai) Rayane ? ((l’enseignant pose la question à une élève qui s’appelle aussi Rayane)) Séance 3 74 E5 : on l’appelle la plante carnivore/ parce qu’elle mange « euh » des/des /des « euh »/ hacharat (les insectes)// « euh » les insectes ((l’élève prononce le mot hacharat en arabe à voix très basse)) Séance 6 23 E2 : ne « euh »/ ne vous inquiétez pas/ ma grand-mère est/ « euh » takhlaft (gentille)/ et/ (inaudible)// elle va vous baissez le prix E5 : non/ khati (non)/ pas du tout. E5 : kif kif (pareil)/ pareil ? Dans les six corpus analysés nous avons remarqué que cette prise de parole devient un peu plus volontaire en passant du primaire au moyen, et du moyen au lycée, ce qui signifie que les apprenants algériens deviennent plus au moins autonomes en passant d’un cycle à un autre, et utilisent de plus en plus de nouvelles stratégies pour combler leurs lacunes en communication en langue étrangère, dans notre cas en langue française. Nous signalons de prime à bord, que cette autonomie reste loin de l’autonomie langagière telle que définie par Germain C., Netten J. comme : La capacité de l’apprenant de prendre des initiatives langagières et d'utiliser avec spontanéité des énoncés nouveaux lors d’une situation authentique de communication dans la L2. (2004 :57) En effet, certes, certains apprenants du moyen que nous avons filmés ont réussi à communiquer en français en classe et ils ont franchi une étape qui leur permet d’aborder des sujets scientifiques complexes tels que «le tremblement de terre», «l’effet de serre», etc. Mais leurs productions manquent d’authenticité et de spontanéité (par exemple, les exposés présentés étaient soit appris par cœur soit lus). Dans les deux classes du lycée, les élèves ont réussi, à des degrés différents, à produire des discours oraux sur un sujet de la vie quotidienne qu’ils peuvent rencontrer dans le futur (une fois à l’université). Cependant, ils ont présenté d’énormes difficultés traduites par de fortes hésitations, pauses et répétitions qui ont marqué leurs productions orales. Séance 5 : 155 E24 : entrez/ soyez bienvenues// c’est ici voila la cuisine/ la salle de bain / et un « euh » petit bureau pour travailler bien 156 E22 : c’est « euh » magnifique/ je peux avoir le prix s’il vous plait ? 157 E23 : s’il vous plait madame Renard / c’est une fille sérieuse (inaud.)/ vous pouvez l’aider ? 158 E24 : d’accord je vais réfléchi 159 E23 : saha (d’accord) merci Séance 6 : 162 E25 : je suis à la recherche d’une chambre « euh » à « euh » à louer/ j’ai trouvé cette annonce/ mais « euh » je connais pas « euh » où est l’adresse// je connais pas l’adresse « euh » du stade/ vous pouvez « euh » m’indiquez le chemin 163 E26 : oui je connais bien cette adresse/ je peux même « euh »// t’accompagner 164 E25 : merci/ désolée de te déranger 165 E26 : non c’est « euh »/ c’est contraire/ c’est un plaisir pour moi Les jeux de rôles réalisés en classe étaient artificiels et totalement fabriqués et bien préparés à l’avance dans l’objectif d’avoir une bonne note. Malheureusement, lors de l’activité de jeu de rôle, les apprenants ne se sont pas mis dans la peau des personnages (des natifs) ce qui a donné des dialogues qui manifestent une structure artificielle éloignée de celles des interactions réelles. Les interactions orales dans les classes filmées L’analyse des interactions orales dans les six classes filmées a révélé les constats suivants : - Nous avons constaté, tout d’abord, une grande disparité dans la longueur des interventions des apprenants des trois classes ; - Une minorité d’élèves s’est exprimée assez librement par rapport à une grande partie d’apprenants qui était moins bavarde et qui n’osait pas prendre ou demander la parole. Leur participation en classe était, plutôt, gestuelle et/ou souvent collective ; - La prise de parole en classe, surtout dans les classes du primaire et du moyen, était centrée sur les mêmes éléments (élèves), ces derniers sont présélectionnés par les enseignants qui les sollicitent parce qu’ils sont en mesure de donner des réponses rapides et exemplaires. Par exemple, un simple comptage des tours de parole dans le premier corpus (séance 1, annexe 1) révèle que l’élève (E1) nommée (Rayane) a pris la parole plus que les autres élèves de la classe (51 prises de parole sur 496). En réalité, nous avons noté 814 tours de parole dans cette classe avec 318 prises de parole pour l’enseignant). Ces résultats expliquent qu’au sein des six classes filmées, il existe une hétérogénéité dans les niveaux et les compétences des apprenants ; - Dans les six classes filmées, l’activité de l’apprenant se réduit à des activités réactives, souvent limitées et dirigées par les indications données par les enseignants. Dans la plupart des cas, leurs productions sont soit des répétitions, soit des réponses brèves, simples et limitées à un «oui» ou un «non», surtout lorsqu’il s’agit de questions fermées, ou bien à des groupes de mots isolés. La plupart des réponses des apprenants, quelles soient bien élaborées ou non, sont soumises à la correction des enseignants. Durant leur prise de parole en classe, les élèves s’adressent principalement à l’enseignant ; - Le nombre élevé des apprenants en classe a réduit la possibilité de donner la parole à chacun d’entre eux en cours et a limité leurs participations individuelles qui sont remplacées par des participations plutôt collectives. Quant à l’utilisation des autres langues en classe, l’analyse des interactions nous montre que les élèves parlent souvent leur langue maternelle pendant le cours de français avec les camarades, mais très rarement avec les enseignants qui n’acceptent pas la présence d’autres langues pendant le cours de français. Nous notons que l’utilisation des langues maternelles a souvent été interdite ou considérée comme un obstacle dans l’apprentissage des langues étrangères, notamment par certains courants de la didactique des langues (Besse H., 1985). Auparavant en Algérie, l’usage de la langue maternelle en classe de langue étrangère était interdit, surtout avec les méthodes structuro-globales dont s’inspirait l’enseignement du français dans notre pays. Aujourd’hui, les nouveaux textes officiels en Algérie insistent sur l’importance de faire recours aux langues antérieures des apprenants (l’approche contrastive en classe de langue). En effet, l’approche contrastive est très sollicitée dans les méthodes d’enseignement proposées par les concepteurs des manuels et des programmes du FLE en Algérie : «en cette phase d’initiation, l’apprentissage du français langue étrangère se fera par le contact des langues en présence dans l’environnement de l’élève» (MEN). Cela veut dire que l’apprentissage de cette langue prend appui sur les langues que les élèves connaissent déjà : arabe dialectal, arabe classique et tamazight (Berbère) ; la traduction, la comparaison et l’usage de ces langues sont autorisés en cours de français (après une longue interdiction). Cette place donnée à (aux) la langue(s) maternelle(s) des apprenants et à leurs acquis antérieurs, constitue un pas important dans l’enseignement des langues étrangères en Algérie. Toutefois, les enseignants ne doivent pas transformer exclusivement la séance de langue française en cours de langue maternelle. Les résultats de notre enquête de terrain nous mènent à postuler qu’en général, la compétence communicative des apprenants filmés reste insuffisante puisqu’ils manquent, visiblement, d’autonomie langagière. Ces derniers n’ont pas encore développé la capacité de s’exprimer avec aisance et spontanéité en langue française. Leurs énoncés restent courts, simples, souvent répétés et pleins de phrases toutes faites (manque d’authenticité dans les dialogues dans les jeux de rôles réalisés par les élèves du secondaire, etc.). Selon Germain C. et Netten J., l’apprenant n’ayant pas développé son autonomie langagière : «ne recourrait qu’à des phrases toutes faites, des formules stéréotypées ainsi que quelques phrases répétées.» (2004 :57) Cette réalité nous montre que les élèves algériens, qui sont censés maitriser la langue française, restent loin d’être des utilisateurs autonomes de cette langue. Ainsi l’objectif qui stipule qu’ à la fin du cycle secondaire, l’élève sera un utilisateur autonome du français, instrument qu’il pourra mettre au service des compétences requises par la formation supérieure professionnelle, les entreprises utilisatrices et les contraintes de la communication sociale. (MEN, 2004) n’est pas atteint puisque les élèves du secondaire n’ont pas les capacités discursives attendues. Même une fois arrivés à l’université, les élèves éprouvent d’énormes difficultés à l’oral. Nous sommes arrivée à démontrer, au cours de cette analyse, que les enseignants portent toute leur attention sur l’explication des outils linguistiques de la langue française. Or, pour nous, il ne s’agit pas seulement d’indiquer aux apprenants le fonctionnement linguistique de la langue française, mais aussi de les amener à réfléchir sur la langue cible et de donner un sens aux erreurs potentielles par rapport aux langues déjà apprises. Les résultats obtenus au terme de ce travail de recherche ont abouti, après un état des lieux exhaustif suivi d’une analyse approfondie, à expliquer et comprendre les particularités les compétences orales des apprenants algériens, ces dernières restent limitées et confrontées à diverses difficultés grammaticales, lexicales et phonologiques. Après plusieurs années d’enseignement/apprentissage de la langue française, les élèves de quatrième année moyenne et ceux de la troisième année secondaire ont encore de fortes déficiences et lacunes concernant l’utilisation des compétences linguistiques dans les situations de communication lors des interactions orales en classe malgré les efforts fournis pour résoudre ces problèmes. Nous avons constaté également que la spontanéité de l’oral est complètement écartée des classes que nous avons observées. Les interactions verbales verticales (enseignant/apprenant) se sont déroulées, surtout, sous forme de questions/réponses, tandis que les interactions horizontales (apprenants/enseignant) sont, presque, totalement absentes. Les activités mises en œuvre ont pris la forme de discours écrit oralisé, ou bien de simples jeux de rôle préalablement préparés. Le manque de pratique de l’interaction en classe de langue, même pour les élèves du collège et du lycée, rend quasiment impossible son transfert dans des situations de communication réelle. A travers notre expérience, nous avons observé que les apprenants algériens éprouvent de grandes difficultés à l’oral, en production comme en compréhension. Les problèmes rencontrés mettent en cause, d’un coté, les contenus des programmes de français destinés aux différents niveaux, et d’un autre coté le rôle des enseignants qui sont censés aider les apprenants à améliorer leur niveau en langue française et surtout à s’exprimer aisément et correctement aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Bibliographi Besse, H. (1992), Méthodes et pratiques des manuels de langues, Crédif-Didier, Paris Bouchard R. (1995) « De l'enseignement de la langue orale à l'entraînement aux pratiques dialogiques », in. V. De Nucheze, V. & J.-M Colletta, (éd.), L'interaction en questions, LIDIL, n°12, Grenoble : Lidilem/Presses Universitaires de Grenoble Charmeux E., (2007) «L'oral, c'est l'Arlésienne de l'école », (en ligne) http://www.charmeux.fr/oral.html (consulté en juin 2010). Dolz, J.et Schneuwly, B.(1998), Pour un enseignement de l’oral, Initiation aux genres formels à l’école, ESF, Paris. Garcia-Debanc, C. et Plane, S. (2004), Comment enseigner l’oral à l’école primaire, Hatier, Paris. Germain Claude, Netten Joan (2004) « Facteurs de développement de l’autonomie langagière en FLE / FLS », ALSIC, vol. 07, p. 55- 69. Mis en ligne en décembre : toiltheque.org/Alsic_volume.../alsic_v07_08-rec2.htm (consulter en juillet 2012) Halté, J.F., (2002), Pourquoi faut-il oser l’oral?,Cahiers pédagogiques n°400, janvier Lebre Peytard, M. (1990). Situations d’oral, Paris, Clé International, p.15 M.E.N, (2006). Programme de français de 3ème année secondaire Pendanx, M. (1998) Les activités d’apprentissage en classe de langue. Hachette, p. 10 Perrenoud E. (1988) A propos de l’oral, In Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève. http://www.unige.ch/faps/SSE/teatchers/perrenoud/php_main/php_1988/1988_14.htmlRosier J-M. (2002) La Didactique du français, Paris : Publications Universitaires de France, Coll. « Que sais-je ? ». Traverso V. 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