<p>Article</p>
<p>1- Introduction</p>
<p>Notre article s’intéresse à la notion d’agir professoral, terme emprunté à Cicurel. Il vise particulièrement à montrer les stratégies mobilisées par les enseignants de français langue étrangère lors des leçons de FLE au cycle moyen. Les postures que l’enseignant prend lorsqu’il enseigne, ont des conséquences sur le rapport aux savoirs des élèves et aussi sur leur réelle activité. Ce qui nous intéresse c’est la façon de donner la parole à l’autre de le faire parler qui fait l’objet d’observation. Parler de l’agir professoral c’est mettre en générale l’accent, sur les actions verbales et non verbales que les enseignants mettent en place pour transmettre et communiquer des savoir (Cicurel, 2011, p.119). Donc c’est au sein de l’approche praxéologique que se situe l’agir professoral.</p>
<p>L’objectif visé dans cet article est de comprendre l’action de l’enseignant, observer ses comportements. De quoi sont –ils composées ? Sur quelles théories ou expériences repose-t-ils ? Comment les enseignants mobilisent-t-ils l’attention des apprenants ? Comment gèrent-t-ils les imprévus ? Ces questions sont traitées à partir de l’analyse d’interactions verbales entre enseignants et apprenants en classe de FLE. La transmission se fait d’un locuteur savant à un destinateur récepteur du savoir (Cicurel, 1993, p. 95). L’objectif de cette analyse est d’observer la façon dont les acteurs de l’interaction opèrent leurs choix de dire et de faire.</p>
<p>2. L’agir professoral ?</p>
<p>L’agir professoral est un concept complexe. Lorsqu’on parle d’agir, on met au premier lieu le concept d’action et de parole. L’action enseignante est une pratique sociale confectionnée, par les actions répétitives que l’enseignant accomplie, mais aussi par les réactions des apprenants à ces actions. La rencontre entre enseignants et apprenant donne lieu à une interaction co-construite.</p>
<p>L’action enseignante a été l'objet d'un projet réfléchie par l'enseignant où l'institution, le programme, les contenus, les représentations ont été appelées. (Cicurel, 2011, p .33) précise que « l’agir ne se réalise pas de la même manière selon les cultures éducatives, l’environnement, la personnalité ou formation de l’enseignant ». Nous pouvons supposer que pour chaque enseignant un agir mais aussi pour chaque situation un agir.</p>
<p> </p>
<p>3- Recueil et traitement des données</p>
<p>La réflexion est basée sur un ensemble de quatre séances observés et transcrites de quatre enseignants du cycle moyen. L’objectif est de comprendre l’agir des enseignants en milieu de travail. Notre statue est donc de celui d’une observatrice scrutant les actions des enseignants et d’une chercheure qui analyse les actes observés en fonction de ses connaissances théoriques et sa propre expérience. La démarche adoptée est essentiellement interprétative. Notre attention est donc centrée sur l’enseignant sans pour autant négliger l’apprenant. Nous avons examiné les pratiques individuelles de transmission de chaque enseignant afin de dégager leurs styles. (Cicurel,2002, p.29) définit ces pratiques comme « des pratiques langagières didactiques (verbales, non verbales, mimogestuelles) et des pratiques interactionnelles qu’un expert met en œuvre afin qu’un public moins savant puisse s’approprier des savoirs et des savoir-faire ». Ces pratiques sont différentes car elles dépendent « de la culture d’origine des interactants, de la formation de l’enseignant, de son expérience, et de sa personnalité » (Cicurel, 2002,p. 29). Les séances ont été filmées et transcrites selon la convention de transcription de l’équipe de GRAFE (Groupe Romand d’Analyse du Français Enseigné).</p>
<p>Tableau 1 : Les différents interlocuteurs participant aux interactions en classe ont été ainsi désignés</p>
<table border="1" cellpadding="1" cellspacing="1" style="width:500px;">
<tbody>
<tr>
<td>symbole</td>
<td>Signification</td>
</tr>
<tr>
<td>E</td>
<td>enseignant(e)</td>
</tr>
<tr>
<td>é</td>
<td>élève non reconnu</td>
</tr>
<tr>
<td>é1, é2, é3</td>
<td>si plusieurs élèves différents peuvent être distingués dans un passage.</td>
</tr>
<tr>
<td>Es</td>
<td> groupe d’élève ou classe</td>
</tr>
</tbody>
</table>
<p> Pour des raisons pratiques nous avons limité notre champ d’observation auprès des enseignants de la wilaya de Skikda.</p>
<p>Tableau 2 :Les caractéristiques des séances analysées</p>
<table border="1" cellpadding="1" cellspacing="1" style="width:500px;">
<tbody>
<tr>
<td>Enseignant </td>
<td>Leçon</td>
<td>Sexe</td>
<td>Niveau</td>
<td>Date</td>
<td>Lieu</td>
</tr>
<tr>
<td>H</td>
<td>Grammaire</td>
<td>F</td>
<td> 2AM</td>
<td>06.05.2015</td>
<td>Skikda</td>
</tr>
<tr>
<td>G</td>
<td>Conjugaison</td>
<td>H</td>
<td>2AM</td>
<td>26.04.2015</td>
<td>Skikda</td>
</tr>
<tr>
<td>B</td>
<td>Vocabulaire</td>
<td>H</td>
<td>2AM</td>
<td>29.04.2015</td>
<td>Skikda</td>
</tr>
<tr>
<td>S</td>
<td>Orthographe</td>
<td>H</td>
<td>2AM</td>
<td>06.05.2015</td>
<td>Skikda</td>
</tr>
</tbody>
</table>
<p>4- Analyse des interactions</p>
<p>Le rythme des échanges verbaux est presque le même chez les quatre enseignants. Les mêmes actes reviennent : après la question de départ répétée deux fois adressée aux apprenants l’enseignant désigne, la bonne réponse fournie par un apprenant à son tour l’enseignant reprend la réponse ou la corrige éventuellement. Ensuite l’enseignant désigne d’autres interlocuteurs à répéter la bonne réponse ce qui prouve la multiplicité des échanges. « Le discours didactique présente la caractéristique d’être un discours qui avale la parole de l’autre. Le professeur est « linguaphage », il provoque la parole, il la canalise, il l’arrête ou la reprend pour continuer à susciter une autre parole ou pour alimenter son discours pédagogique » (Cicurel, 1990, p.54).</p>
<p> Le procédé de relance adopté par les enseignants pour faire avancer l’apprentissage incite les apprenants à agir et interagir ce qui permet aux apprenants de participer activement.</p>
<p> La premiere séance</p>
<p>27 EG : oui H pourquoi il a fait réunir ses enfants↑pour se donner des conseils↓quels sont les conseils↑</p>
<p>(L’enseignant répète la même question deux fois) 0»</p>
<p>28 és : gardez vous↑xxx</p>
<p>29 EG : voilà/donc de gardez quoi↑de gardez l’héritage donc il y a quoi↑</p>
<p>30 és : il y a un trésor/</p>
<p>La deuxième séance</p>
<p>1 EB : ouvrez les livres à la page/ 64 / page 64 observez le texte que vous avez devant vous que représente ce texte là Ce texte là c’est quoi ↑ Ce texte c’est quoi Ce texte c’est une</p>
<p>2 és : une fable↓</p>
<p>3 EB : Ce texte c’est quoi </p>
<p>4 és : fable</p>
<p>5 EB : levez la main oui</p>
<p>6 é : fable</p>
<p>7 EB : ce texte c’est une fable très bien qui est l’auteur de ce texte Cette fable est écrit par qui // est écrit PAR</p>
<p>La troisième séance</p>
<p>29 EH : oui c’est bien / que fait le lion dans la première phrase / que fait le lion</p>
<p> dans la première phrase// lis la phrase</p>
<p>30é 1 : aurais- tu oublié que je suis le roi des animaux</p>
<p>31EH : oui quelqu’un d’autre</p>
<p>32 é 2 : aurais- tu oublié qui je suis le roi des animaux</p>
<p>33EH : oui</p>
<p>La quatrième séance</p>
<p>2 ES : bien melle ,donc vous remarquez que dans ce texte ,il ya des mots qui sont soulignés .alors, qu’est ce qu’ils ont de communs ces mots ?qu’est ce qu’ils ont de pareils ?</p>
<p>Les interactions didactiques des séances de FLE se caractérisent par l’enchâssement de mini dialogues entre l’enseignant et l’apprenant, qui se matérialisent autour du schéma IRF initiation –réponse-feed-back. L’enseignant pose une question, les apprenants répondent, l’enseignant évalue la réponse des apprenants soit via une régulation ou bien par une autre sollicitation. Ce schéma a connu différentes appellations « échange ternaire » (Bouchard, 2005), « triple structure »(McHoul,1990)… .</p>
<p>Nous constatons que les interactants évitent le silence car ne pas répondre constitue une menace pour eux (l’enseignant et l’apprenant). Mais également la préoccupation de l’enseignant est de faire parler l’apprenant pour le faire apprendre. L’objectif de faire parler pour faire apprendre l’apprenant, caractéristique de l’agir professoral, conduit l’enseignant à une demande permanente de la parole apparente.</p>
<p>La parole enseignante constitue l’élément premier de la classe de la langue (Borg, 2003). L’enseignant de FLE est persuadé que sa parole constitue un vecteur d’apprentissage. Toutes les recherches ont reconnu la prédominance de la parole enseignante (fréquence /durée) (Bellack & al., 1966 ; Sinclair & Coulthard, 1975).</p>
<p>Exemple</p>
<p>24 EB : les quatre premières mots nous avons se désaltérait (texte) ↑ /courant (texte) ↑ / Breuvage (texte) ↑ Un élève entre et demande une chaise</p>
<p>25 EB : se désaltérait c’est quoi / est-ce que c’est un nom / c’est un verbe / c’est un Adjectif / c’est un adverbe</p>
<p>27 és : verbe</p>
<p>28 EB : c’est un verbe, courant c’est nom onde une onde ↑</p>
<p>29 és : nom</p>
<p>30 EB : nom le breuvage est un</p>
<p>31 és : nom</p>
<p>32 EB : nom ces mots là appartient ou réfèrent à quelle idée ?se désaltérait c’est boire ou apaisait sa soif un courant C’est le courant d’une rivière où coule de l’eau une onde / c’est aussi une onde (Texte) des ondes d’accord breuvage ↑ breuvage c’est un lieu où on boit, tous ces mots là étaient caractérisés oui référent à l’idée de l’eau on disait que ces mots là appartiennent au champ lexical de</p>
<p>33 EB + és : l’eau ↑</p>
<p>34 EB : c’est mots là le champ lexical du mot eau / d’accord ↓ qui me donne un mot qui me donne un mot qui appartient au champ lexical de l’eau ↓ un autre mot / qui vous connaissez un autre mot</p>
<p>Nous pensons que la prédominance de la parole enseignante s’explique par la nécessité de provoquer la parole des apprenants, de la solliciter et de la réguler. Par conséquent, le travail de l’enseignant consiste à créer une « atmosphère communicative » (Bucheton& Soulé, 2009).</p>
<p>Lorsqu’on dit un tour de parole pour les élèves, ce sont des tours brefs, parfois pas plus d’un mot.</p>
<p>Nous soulevons donc, le caractère asymétrique et inégal du discours en classe de FLE. Effectivement, l’interaction didactique caractérisée dans le schéma IRF entraine la monopolisation de l’enseignant sur le discours, du fait qu’il détient le mouvement I (initiation) et F (feed back). En effet l’aspect dynamique de l’interaction de classe repose en partie sur le questionnement de l’enseignant, envisagé souvent comme une sorte de « bombardement » de questions à l’adresse de l’apprenant (Astolfi, 1996). </p>
<p>Nous observons plusieurs mouvements F effectués par les enseignants, dont certains fonctionnent comme des relances ou comme des reformulations.</p>
<p>L’enseignant agit comme correcteur ou facilitateur pour encourager la parole apprenante.</p>
<p>Exemple 1 :</p>
<p>104 EG : oui↑</p>
<p>105 é : comprendre comprends comprenons x comprenez x</p>
<p>106 EG : répétez la conjugaison↑</p>
<p>107 é : comprends↑ comprenons↑ comprenez↑</p>
<p>108 EG : oui bien 0»</p>
<p>Exemple2 :</p>
<p>89 ES : il est dans le texte rapide</p>
<p>90 és : non ↑</p>
<p>91 ES : mais c’est bon c’est bien ↑ celui qui est dans le texte qui ressemble à rapide</p>
<p>92 é : facile</p>
<p>93 ES : très bien facile c’est bien comme exemple je vais écrire les deux melle rapide se termine par e et l’adjectif du texte qui est facile ce termine par une voyelle :: on ajoute ment et nous obtenons facilement / rapidement</p>
<p>Dans ces deux extraits l’expression du « contentement » des enseignants (G, S) peuvent aussi indiquer une satisfaction qui proviendrait de l’adéquation entre leur propre motif « faire parler » et l’événement discursif apprenant (l’apprenant parle). Le terme (bien) prononcé par les enseignants revêt une valeur d’un autre type qui n’évolue pas tant le contenu que l’acte de prise de parole. Toute bonne réponse de la part de l’apprenant est pour l’enseignant la preuve que l’apprentissage fonctionne. Ainsi la « félicité » de l’apprenant vise à le valoriser en sorte qu’il persiste dans ses interventions.</p>
<p>Le feed-back positif de l’enseignant affirme aussi que l’énoncé de l’apprenant est correct au niveau de la forme, et recevable au niveau sens. Nous estimons ce n’est que lorsque le locuteur expert (enseignant), a pu évaluer la proposition du locuteur non expert (apprenant) que l’interaction peut être considéré comme complète.</p>
<p> </p>
<p>5- Conclusion</p>
<p>Nous avons observé quatre enseignants du cycle moyen en classe de FLE face aux apprenants pour pouvoir comprendre l’agir professoral. Notre analyse a montré que certaine actions enseignantes employés pendant le mouvement F, sont semblables aux rôles pédagogiques de régulateur, correcteur, facilitateur.</p>
<p>Le schéma IRF, structure éventuellement dialogique, se fait le lien d’inscription de l’inséparabilité des tours de parole des interactants. Dans la communication en classe, les enseignants orientent l’action des élèves, à l’aune des significations qu’ils favorisent. Ils essayent aussi d’imposer du sens. La relation des enseignants avec les apprenants est une relation asymétrique et verticale. Le rôle de l’enseignant reflète cette asymétrie, son temps de parole est très nettement supérieur au temps de parole des élèves, c’est lui qui choisit la durée de chaque dispositif didactique. Le motif de « faire parler l’apprenant », qui est considéré comme le fondement de l’agir professoral, entraine les enseignants à saisir la moindre occasion pour promouvoir la parole apprenante. </p>
<p>Nous constatons que les quatre enseignants enseignent de la même façon, cela s’explique par leur formation et surtout par les journées de rencontre avec les inspecteurs, La caractérisation de l'agir professoral qui découle d'une étude comme la nôtre, qui porte sur l'analyse des pratiques des enseignants, peut être profitable auprès d'enseignants-formateurs dans le cadre de leur formation continue, mais aussi auprès des futurs enseignants en formation initiale cela pourrait ainsi compléter leur processus de construction d'une identité enseignante.</p>
<p>Pour la réussite de la mise en application de telle ou telle pratiques, nous pensons qu’une collaboration étroite entre spécialistes, inspecteurs et enseignants est primordiale dans la mesure où ils doivent être des partenaires alliant leurs savoirs pour un objectif commun. La didactique du français langue étrangère devrait se stabiliser en tant que discipline scientifique, non pas pour s’isoler mais avancer dans un dialogue plus constructif avec les autres sciences.</p>
<p>Elle devrait également se configurer en deux secteurs distincts mais en relation étroite, comme d’autres sciences : une didactique comme discipline scientifique et une didactique appliquée.</p>
<p>Ainsi, la recherche fondamentale pourrait produire des recherches théoriques et la didactique appliquée, à partir de ces recherches théoriques et des études de terrain, devrait avancer dans la conception d’outils didactiques (planification de séquence, séquence d’enseignement, activités en ligne, etc) afin de mettre en avant les avancées en matière de recherche, puisqu’une simple transmission des résultats didactiques ne permet pas d’outiller les enseignants.</p>