Résumé: Dans cet article, nous présenterons les résultats d’une intervention didactique faite dans une classe de FLE en contexte marocain (cycle secondaire qualifiant). En bref, nous avons proposé aux élèves de quatre classes littéraires un dispositif conçu dans une perspective actionnelle dont la tâche ciblée est la rédaction collective d’une nouvelle réaliste destinée au site du lycée. Introduction La production écrite est parmi les activités scolaires les plus difficiles à maîtriser pour les apprenants et à exploiter pour l’enseignant dans le fait qu’elle est une activité-carrefour ou un carrefour-d’activités. Elle nécessite la maîtrise de compétences qui sont à la fois nombreuses et complexes telles la structure de texte et de phrase, la grammaire, l’orthographe, les types et formes propres à chaque texte, etc. De surcroît, la maîtrise de la compétence scripturale relative à cette activité est fort importante ; d’autant qu’elle est à la fois une compétence disciplinaire et une compétence transversale, c’est-à-dire qu’elle est mobilisable dans tous les domaines disciplinaires ; y compris les domaines scientifiques. En tant qu’enseignant du secondaire qualifiant à Taourirt (ville de l’Oriental marocain), et à la suite du test de positionnement proposé aux élèves et des entretiens que nous avons effectués auprès des enseignants du lycée de cette ville, nous nous sommes rendu compte que la majorité des apprenants rencontrent d’immenses lacunes en production écrite tant sur le plan linguistique que sur le plan discursif relatif aux différents types de textes abordés et que la plupart des enseignants se lamentent du manque d’intérêt qu’éprouvent les apprenants pour cette activité. Au surplus, ces enseignants optent pour une pédagogie quasi-traditionnelle, qui s’exprime par l’adoption d’un modèle qui s’inspire des travaux scientifiques de l’approche cognitive et qui privilégie une modalité de travail individuel au détriment du travail en / de groupe souvent marginalisé dans la classe. Cette méthode rigide rend, à notre sens, les apprenants passifs, dépendants et déséquilibrés en compétence écrite. Devant une telle réalité, il faudrait une autre méthode d’enseignement/ apprentissage leur permettant d’être plus actifs, plus autonomes, plus responsables de leur processus d’apprentissage, et surtout d’être plus performants en production écrite en FLE. Pour ce, nous pensons que le dispositif de l’atelier d’écriture collective, en tant qu’espace-temps particulier, permettrait de créer un climat social chaleureux au sein des groupes en privilégiant le côté relationnel et collaboratif afin de réaliser un produit final mettant l’apprenant en contact le plus large possible avec la vie sociale. <a name="_Toc486632963">I. Etat des lieux de l’enseignement/apprentissage de la production écrite au lycée marocain</a> : cas de Taourirt Le présent axe se propose d’examiner les entretiens que nous avons menés avec les personnes-ressources (17 professeurs de lycée et un inspecteur pédagogique). L’objet de ces entretiens est l’analyse de la(es) démarche(s) de l’exploitation de la production écrite utilisée(s) dans le cours de FLE, notamment celle(s) relative(s) à la rédaction d’un récit ou d’une séquence narrative. Nous signalons que ces entretiens ont été précédés d’un test de positionnement  destiné aux élèves de quatre classes du tronc commun littéraire pour identifier leurs profils d’entrée en matière de la production écrite. <a name="_Toc486632965">1. Place de la production écrite dans la nouvelle réforme</a> marocaine La spécificité du lycée marocain, en tant que phase-tremplin vers les études supérieures et le domaine du travail, implique le recours à des activités de production écrite diversifiées, susceptibles de faire accéder l’élève au degré d’autonomie escompté. Ces activités portent, selon les Orientations pédagogiques, sur le résumé, le compte rendu de lecture, la synthèse de documents, l’essai général et littéraire, le commentaire, la réécriture, la rédaction courte, le pastiche et sur des écrits fonctionnels tels le compte rendu de réunion, le rapport, la lettre (demande d’emploi, lettre de motivation, demande de stage, lettre de réclamation, etc.), le curriculum vitae ; etc. en vue de mieux préparer les élèves à la vie active. En effet, au lycée, l’écrit spécifiquement la production écrite est l’activité finale de la séquence d’apprentissage ou du projet (relatif à l’étude d’une &oelig;uvre intégrale). Elle constitue la phase d’intégration des ressources antérieurement apprises (référentielles, linguistiques, pragmatiques, discursives…). Celles-ci vont être réinvesties par les apprenants en fonction des contraintes de la tâche (consigne, thème…). <a name="_Toc486632966">2. Etat des lieux : le « pensum rituel de « la rédac » »</a><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a> Comme elle est l’objet de notre intervention didactique, la production écrite des récits constitue la clé de voûte des entretiens menés auprès des personnes-ressources. Là-dessus, nous avons constaté que la majorité des apprenants du lycée, abstraction faite de ceux de classes terminales scientifiques (options physique/chimie et maths), représentent des scripteurs novices. Ils éprouvent des difficultés en matière de la rédaction des récits simples et signifiants. Quoique les apprenants aient abordé le récit au primaire et au secondaire collégial, la majorité d’entre eux ne possèdent pas les habiletés (savoir-faire) et les connaissances nécessaires notamment liées à l’organisation narrative (schémas narratif et actantiel) et aux outils linguistiques (articulateurs logiques, temps verbaux du récit, etc.). Bref, ils ont du mal à produire des récits cohérents et structurés. Leurs écrits montrent bien de faibles performances quant à la mise en &oelig;uvre de ce type de texte. Les facteurs qui ont contribué et contribue à cet état des lieux très critique de la gestion de la production écrite sont nombreux et se manifestent aussi bien au niveau théorique ; notamment lié au changement paradigmatique et au modèle<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a> adopté/imposé qu’au niveau praxéologique relatif aux pratiques de classe. II. Produire des récits en ateliers : une activité pour former des esprits agissants <a name="_Toc486632990">1. Un projet « d’écriture par lecture » : objectifs et tâche finale</a> <a name="_Toc440306850">Nous avons proposé un dispositif d’enseignement/ apprentissage du FLE (un projet d’ « écriture par lecture ») à partir d’une nouvelle réaliste de Guy de Maupassant intitulée « Aux Champs » qui fait partie des &oelig;uvres programmées au secondaire qualifiant marocain pour la première année (le tronc commun) toutes filières confondues. Ce dispositif a été mis en &oelig;uvre lors d’une expérimentation menée avec quatre classes du tronc commun (TCL), filière Lettres au lycée Al Marinyine à Taourirt appartenant à l’Académie de l’Oriental. Ladite expérimentation a duré 8 semaines. Elle vise à </a>« écrire collectivement une nouvelle réaliste pour le site du lycée ». Dans notre projet, nous avons présenté la tâche finale sous la forme d’un « scénario actionnel » qui guide les apprenants dans la réalisation progressive de la tâche complète au moyen d’une série de consignes correspondant chacune à une tâche partielle. L’élaboration de ce dispositif repose sur plusieurs principes didactiques. Premièrement, nous avons cherché à intégrer des activités de lecture, d’oral et d’écrit dans le but de développer la compétence (réd)actionnelle<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a> des élèves, c’est-à-dire que les pratiques de production ont été favorisées par rapport aux autres activités. Deuxièmement, nous avons cherché à alterner activités individuelles et activités collaboratives afin de favoriser à la fois la confrontation intersubjective et l’autonomie. Toutes les activités et tâches suivent un processus de découverte progressive. Finalement, la démarche adoptée est actionnelle dans le fait que la plupart des séances devaient se finaliser par une tâche scolaire intermédiaire. La tâche finale, telle qu’elle avait été pensée, avait pour but d’écrire collectivement une nouvelle réaliste pour le site du lycée : les apprenants se partagent en différents groupes (ateliers d’écriture) dans les séances relatives à l’activité de la production écrite. Chaque groupe va accomplir la tâche demandée au cours de cette activité pour réaliser le projet final. Dans chaque groupe, il peut y avoir une répartition des tâches entre les apprenants selon une logique coopérative (dans ce groupe A, l’élève 1 va décrire le personnage principal ; l’élève 2, un des personnages adjuvant ; l’élève 3, va décrire le lieu de l’histoire…) avant de « mettre en commun » avec les membres de leur groupe puis avec les autres groupes afin de procéder ensemble à l’écriture de la nouvelle. Le produit final sera ensuite publié sur le site du lycée et un jury composé de professeurs de français dont un écrivain de la littérature maghrébine d’expression française<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a> choisira le meilleur travail. Quant à la conception des groupes, nous avons opté pour les groupes de niveaux hétérogènes qui permettent de mettre en place un système de tutorat où les meilleurs apprenants aident les plus faibles. Nous avons désigné pour chaque groupe un(e) rapporteur(e) et un(e) responsable (chef d’équipe) qui a eu pour mission de gérer son groupe (le temps, les conflits, les méthodes de travail), de donner le dernier mot en cas de désaccord dans le groupe, et de rappeler, si nécessaire, la consigne que nous leur avions donnée auparavant. Bien entendu, cet élève choisi devait être assez bon en français et reconnu comme tel par ses camarades. 2. Les productions finales des élèves Pour donner un aperçu général sur la diversité des quatre productions collectives, nous les avons envisagées sous les points de vue de l’intrigue (trame narrative), de l’univers fictionnel et des insertions descriptives et dialogales. C’est-à-dire, nous avons considéré le texte fictionnel par rapport à son organisation de surface, ou son volet matriciel qui comprend à la fois les connaissances scolaires et extra-scolaires des élèves et par rapport aux différentes introductions concernant les descriptions et les scènes dialoguées qui contribuent à offrir au récit « son pouvoir hallucinatoire, sa prétention à se faire prendre pour le réel »<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a>. En général, nous avons remarqué que les productions finales sont des récits à trame simplifiée, focalisée sur quelques évènements marquants ; autrement dit, des récits « à faible degré de narrativisation »<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a>. S’ajoute à cela, le recours, à plusieurs reprises, aux « sommaires » et au « discours narrativisé ».  Au niveau de l’univers fictionnel, nous avons constaté que les textes relatent le « vécu quotidien » sans référence au merveilleux. Toutes les classes sont parties du monde local ou régional qui les entoure. Chose qui donne aux récits un « effet réaliste »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a> qui présente le réel sous ses aspects les plus ordinaires. Quant à la textualisation (les principes de cohérence, de cohésion, de « thématisation » et de mise en récit) qui exige que « les faits dénotés par les propositions narratives soient liées [à travers] des rapports de conditions-conséquences »<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a> et qui représente un autre critère de visibilité des événements et de lisibilité du texte, elle est bien présente dans les productions des élèves notamment par le truchement des connecteurs logiques, des indicateurs temporels (« une nuit du mois de janvier », « par un matin du mois de septembre », « un jour », « un jour, pendant le mois du Ramadan »), des ellipses narratives (« quelques heures plus tard », « trois années après)… Finalement, les opérations d’intégration de séquences descriptives et dialogales qui attestent d’un niveau de performance assez élevé nous paraissent assez indiquées dans les quatre productions. Généralement, lorsque les élèves introduisent une scène dialoguée, nous pouvons remarquer que le schéma de base est globalement assimilé. Par exemple dans la production de la classe TCL2, la description, dans l’ensemble, est plus ou moins réussie : « vieux guitariste », « ancienne guitare », « quelques rides creusent son front » sont des éléments qui riment ensemble. En analysant la configuration de ces séquences, qui est bâtie sur le mode du vu et du dit, par rapport à la lisibilité du texte, nous pouvons constater qu’elle est principalement faite par un vocabulaire décrivant physiquement et moralement les personnages (« il a des yeux noirs et des cheveux blancs comme la neige », « il était toujours content et optimiste », « quelques rides creusent son front un peu bombé », « ses yeux noirs entourés de cernes bleus », « elle avait des cheveux châtain clair »,…) et un lexique spatial (« c’est un paradis terrestre où coule un ruisseau d’eau limpide au milieu d’un verger », « le douar était une agglomération des maisons construites en pisé enserrée entre les figuiers de barbarie », …). Au niveau didactico-praxéologique, nous pouvons estimer que plus les apprenants sont exposés, dans le temps, à des textes prototypiques (modèles) et à un enseignement systématique des caractéristiques narratives canoniques, notamment à travers des séquences narratives courtes et simples, plus ils affinent leur maturité narrative dans leurs écrits. Cela devrait être effectué dans un climat didactique prônant la co-action. Cette triple conscience se traduit alors par une production plus ou moins libérée des entraves institutionnelles<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title="">[9]</a> à travers laquelle les élèves co-agissent en assumant leur statut d’auteurs-élèves à partir de tentatives de constructions relativement proches du modèle littéraire et en partant de leur vécu quotidien. Dans l’ensemble, les élèves-narrateurs ont fourni un effort qui n’est pas à négliger, il serait donc injuste de condamner leurs productions car ils sont en plein apprentissage et peuvent facilement s’améliorer petit-à-petit. Nous devons donc valoriser leur travail, les encourager, les guider… <a name="_Toc486632954">3. Les ateliers d’écriture créative : </a>acheminement vers l’action Dans la modalité de l’« atelier d’écriture », perçu comme un lieu de rencontre avec d’autres pairs, l’action enseignante, en tant que médiation pédagogique, consiste à favoriser une dynamique de mutualisation qui aide à surmonter la résistance personnelle à l’écrit. Dans une telle situation, les apprenants expriment leur rapport personnel au monde en admettant l’échange et la confrontation avec l’autre à l’intérieur d’un groupe constitué dont les membres vivent « avec » pendant quelques heures pour aboutir à une réalisation commune à « plusieurs mains »<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title="">[10]</a> et à plusieurs voix. Les ateliers conduisent les apprenants-acteurs à passer d’une situation d’individualisation et de séparation à un autre statut qui est celui de se reconnaître comme membre d’un groupe solidaire. Ils les conduisent aussi à passer d’un état de réticence, voire de résistance vis-à-vis de l’écrit, et même de la parole en classe, à un état d’expression, de communication libre et de plaisir. A ce stade, le « souci de soi »<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title="">[11]</a> exige une écoute attentive de l’autre : chacun est appelé à être particulièrement attentif au propos de l’autre, à son savoir-faire et ses attitudes au sein du groupe. A notre avis, l’atelier littéraire se distingue par deux points essentiels : d’une part, la démarche d’écriture a bien trait à des faits conformes à la réalité ; d’autre part, les interactions, les caractères singuliers et l’hétérogénéité se fédèrent pour conduire à une action collective (« conjointe ») à savoir la création d’un récit littéraire. Celui-ci fournit aux apprenants « des motifs pour l’action »<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title="">[12]</a>. Ainsi la dimension de la collectivité oblige-t-elle à prendre en compte le point de vue de l’autre dans le cadre d’une interaction qui constitue « le résultat d’actions pratiques effectuées par les sujets de façon conjointe et coordonnée ». Ici, « la subjectivité du sujet se présente (…) comme une subjectivité partagée et négociée »<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title="">[13]</a>. L’interaction est alors « le lieu où se construit la relation sociale, à travers le travail de figuration, de confrontation des images de soi et des identités, à travers la distribution et redistribution des rôles et des places »<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title="">[14]</a>. Dans une modalité d’ateliers d’écriture, nous pouvons parler donc d’intersubjectivité, puisque le travail au sein du groupe engage les univers de connaissances et les notions subjectives, images ou représentations que les sujets-apprenants entretiennent à propos du monde, d’eux-mêmes, de leurs pairs, de la situation didactique. Partant de cela, les tâches que nous avons proposées au sein des ateliers d’écriture consistaient le plus souvent en un prétexte à mutualiser des ressources, discuter et participer dans le groupe. Dans la mise en &oelig;uvre du dispositif, nous avons incité les apprenants à aborder les difficultés en fonction de leurs savoirs, de leur compréhension des objectifs et de leur style cognitif. En